~~ Marseille, Ville la plus imposante parce que la plus imposée ~~
Pour vous mettre dans l'ambiance
Vous croyez que j'exagère
Parce que je viens du Midi.
Même si c'est pas vrai, peuchère !
Nous on croit tout ce qu'on dit.
Le jeune Amiral est sorti de la Viguerie pour aller s'asseoir sur les quais, admirant de loin le "Sardine" obstruant la rade, et réfléchissant au moyen de l'évacuer. La solution finit par s'imposer d'elle-même : de l'alcool de Sardine. Le liquide à la fois le plus violemment alcoolisé et le plus explosif qui fût jamais inventé dans ces terres. Il en restait plusieurs tonneaux d'une cuvée de 1456, planqués sous la Viguerie, Alessandro en était certain. Si l'on prennait le navire d'assaut durant la nuit, on devait pouvoir le faire exploser avec quelques tonneaux bien placés : une seule étincelle et les vapeurs d'alcool provoqueraient le plus grand incendie qu'on ait vu depuis les bûchers cathares.
L'Amiral sourit, pensant avoir enfin trouvé le moyen d'envoyer au large ce navire que personne n'arrivait à couler. Il fallait qu'il essaie cela. Mais pour l'heure, il y avait plus urgent à faire.
Sur la place, sous l'olivier où son père rendait jadis sa "justice" sous forme d'une dictature sanglante, le jeune Amiral avait dressé des tables sur des tréteaux, étalé des nappes et posé dessus pichets de vin, miches de pain, saucisson d'âne et coupes de fruits. Il avait fait courir le bruit qu'il offrait le boire et le manger : il suffisait d'une simple rumeur pour faire acourir les gens présents dans la ville. Quelques paysans aux airs d'ivrognes étaient déjà en place, louchant sur le vin gardé par les hommes de la famille.
La GENS, Guilde des Esthètes Nougatins Sophistiqués, allait organiser sa première réunion en plein air, dans la plus pure tradition viguérale marseillaise. Moins pour faire appel à une Viguerie qui ne ressemblait plus à grand chose, que parce que le système était culturel.
L'Alessandro monta sur un tabouret et leva le smains pour réclamer l'attention des habitants qui regardaient avec amusement ces fous qui avaient planté leur table au milieu de la place publique.
Mes amis ! Bon, d'accord : nous ne sommes pas tous amis. Disons mes voisins. Ceci est la première réunion publique de la GENS. Je rappele que ceci n'est pas un vrai parti politique, mais un parti pour de rire, alors ceux qui veulent que je les aide à devenir comte ou baillis peuvent déjà se venger sur le pichet de vin.
Le but de notre mouvement... parti... organisation... truc est de susciter un éveil des consciences, de choquer les mentalités, de bousculer les habitudes provençales. Nous avions organisé une fête dans le parlement pour y distribuer du nougat, sans demander la permission. Le but alors était de vous montrer que cet édifice existait mais ne servait à rien, pour plusieurs raisons que je n'ai pa sla prétention de connaitre. Nous avons essayé de vous montrer les absurdités de notre système.
Nous aimons notre pays, mais nous voulons qu'il change, qu'il s'améliore, qu'il soit encore mieux. Mais ça, on veut que ça soit fait dans le calme, dans le rire, dans le partage. Nous préférons donc des actions avec un brin de folie et de plaisanterie, plutôt que des actes de violence, des paroles dures, de la haine.
Sans armes, ni haine, ni violence, nous souhaitons amener les gens à changer. Parce qu'aucun pays ne peut changer si ses habitants ne changent pas.
Aujourd'hui, nous organisons une discussion à Marseille. Ensuite, un habitant d'une autre ville décidera de faire pareil. Chacun est libre, du moment que ses actes correspondent à l'éthique de notre mouvement de... perturbés.
Les thèmes d'aujourd'hui sont "qu'est-ce que je pense du Manifeste de la GENS" d'abord, "comment exprimer le manifeste de façon plus simple" ensuite.. et pour finir "est-ce que l'Amiral devrait arrêter de manger des oignons avant d'engueuler les gens". Thème proposé par ma soeur que je remercie beaucoup.
On distribua des exemplaires du Manifeste :
Par la grâce du Très-Haut qui me donna vie et pour le salut de la Provence qui me nourrit.
Ceci est le MANIFESTE DU MOUVEMENT GENS écrit par un simple provençal, à destination des provençaux qui souhaiteront l'écouter avec honnêteté, en lui pardonnant la longueur de son développement.
Préambule
Des vents violents soufflent depuis maintenant trois jours sur notre pays. Deux camps s'affrontent : l'un souhaite se retirer du Marquisat qu'il accuse de tous les maux, l'autre affirme défendre la liberté chère à notre patrie.
Tous les deux ont raison : le Pouvoir actuel ne convient pas car il est liberticide, pourtant le Marquisat est utile et bénéfique à notre liberté.
Tous les deux ont tort : sortir du Marquisat pour faire du Comté une entité étatique n'est pas la solution, et garder le Pouvoir tel quel est également néfaste.
Le mouvement GENS propose donc une voie du milieu, qui souhaite satisfaire chacun, afin que les provençaux réapprennent à vivre ensemble comme le peuple fort et uni qu'ils savent être dans l'adversité.
Exprimons-nous d'abord sur nos deux affirmations, qui sont que « le Pouvoir actuel ne convient pas car il est liberticide, pourtant le Marquisat est utile et bénéfique à notre liberté » et que « sortir du Marquisat pour faire du Comté une entité étatique n'est pas la solution, et garder le Pouvoir tel quel est également néfaste ».
Le pouvoir actuel ne convient pas car il est liberticide
Il existe un vote de confiance pour le Marquis. Ce vote est récent et est avancé par ses défenseurs comme une mesure visant à renforcer le contrôle du peuple sur le souverain. Le mouvement GENS affirme que ce vote est liberticide, car il se fait nommément et publiquement. Ainsi, quiconque voudrait voter contre le pouvoir en place devrait le faire à visage découvert, s'exposant ainsi à des poursuites, à des vengeances, à des mesures le visant lui, sa famille, sa carrière et ses biens. Nous disons que ce vote de confiance est une mascarade visant à marquer d'un signe visible les opposants au pouvoir du Marquis.
Nul traité diplomatique ne peut être signé sans le sceau du Marquisat. Nous disons que cela est une folie : voit-on le Roy de France faire apposer son sceau sous chaque traité établi par l'une de ses provinces, fut-elle du Domaine Royal ?
Actuellement, seule la noblesse peut proposer un candidat au poste de Marquis, ou défier le Marquis pour provoquer un vote de confiance (alors appelé de défiance) anticipé. Nous disons que cela est injuste pour le peuple et que tel n'est pas le rôle de la noblesse, que de chercher à tout prix une occasion de renverser son souverain.
Nous disons que par sa vocation à empêcher toute entreprise belliqueuse de la Provence, le Marquisat prive le Comte Illustre, élu par les provençaux, du droit de mener son pays comme bon lui semble, et de déclarer la guerre si cela est nécessaire. Nous disons que ceci est injuste et folie, car une mauvaise paix peut être pire que la guerre, qui parfois est nécessaire. Nous devons donc laisser le Comte Illustre et ses conseillers en décider sans pression d'aucune sorte d'un pouvoir qui ne devrait diriger que ses propres armées, et non celles de ses provinces.
Pourtant le Marquisat est utile et bénéfique à notre liberté
Nous l'affirmons, car seul le Marquisat promeut, pour sa propre sauvegarde, des valeurs telles que l'existence d'un parlement populaire, sans lequel le pouvoir comtal serait absolu et tyrannique, ou encore telles que le droit pour n'importe quel citoyen de rencontrer personnellement son souverain face à face, pour lui exposer ses doléances sans devoir attendre des semaines qu'un porte-parole lui rapporte la réponse d'une concertation du pouvoir qui, souvent, n'a aucun lien direct avec la question initiale.
Nous affirmons que le Marquisat est utile car il incarne la grandeur de notre peuple par des signes durables, aujourd'hui connu, sinon reconnu, dans le monde entier. Il est utile car sa Cours Suprême doit permettre idéalement de contrer les injustices éventuelles du Comté, en remplaçant des juges politiciens et donc partiaux par des juges juristes de carrière, qui en principe ne dépendent de personne.
Sortir du Marquisat pour faire du Comté une entité étatique n'est pas la solution
Les provinces indépendantes de toute tutelle étatique, cela nexiste pas. Un comté est toujours soumis à une autorité supérieure pour certains domaines, et ce pour une raison fort louable et nécessaire, qui est dempêcher les abus dautorité dun pouvoir qui, autrement, serait trop fort.
Sans un État au-dessus de ladministration exécutive de la province, qui empêcherait le Comte de faire exécuter qui bon lui semble ? Personne, car ce sont les conseillers quil place à la justice qui jugeront et condamneront. Ce sont également les conseillers quil placera judicieusement qui pourront, seuls et sans même se donner la peine den faire explication, rédiger des lois amoindrissant les droits du peuple, augmentant les privilèges des conseillers comtaux, diminuant la liberté dexpression ou favorisant la toute-puissance du Comte Illustre. Tout ceci reste possible avec un État supérieur, bien sûr, mais les risques en sont de beaucoup diminué, car le Souverain craint le peuple : sa tête, bien plus que celle du Comte, serait menacée dêtre décollée en cas de révolte. Voyez dailleurs qui Ernest et son groupe ont accusé : ils ont visé la Marquise, or cest la Comtesse qui a pris en main leur châtiment, qui à lheure où jécris doit être tombé.
Afin de sauvegarder nos libertés, les pouvoirs doivent être divisés. Lexécutif, le législatif et le judiciaire doivent être séparés dans la mesure du possible, et un contre-pouvoir doit exister afin de retenir les excès de la Province ou de lÉtat : le Marquis et le Comte doivent cohabiter et se contrôler lun et lautre, sans pour autant interférer dans leurs affaires respectives, comme cest malheureusement le cas actuellement.
En voulant supprimer le Marquisat pour donner tout pouvoir au Comté, lon ne réussira quà donner encore plus de pouvoirs et de licences à des gens qui nen possèdent déjà que trop. Il sagit là du meilleur moyen de limiter les libertés du peuple, et non de celui de les augmenter.
Garder le Pouvoir tel quel est également néfaste
Nimporte qui aura remarqué que la Provence étouffe. Nous nous entretuons lentement, nous alimentons une gangrène qui nous dévore.
Certains provençaux en accusent dautres de les spolier de leurs droits, de considérer les choses de lÉtat comme des biens personnels, crient et font cent bruits en se trompant généralement de cible, car ils crachent en direction de la conséquence et non de la cause.
Des provençaux accusent les premiers de manquer dinitiative et desprit dentreprise. Ils dénoncent le manque de candidats pour de nombreux postes à responsabilité, quils sont alors obligé de cumuler avec dautres fonctions. Ils se sentent seuls à travailler et se trompent également, en visant de la même façon les conséquences plutôt que les causes, pensant quil sagit dattaques personnelles alors quil ne sagit que de lexpression dun mal-être.
Car mal-être il y a. Un syndrome plonge la Provence dans les ténèbres, poussant chacun à ne voir en lautre quun concurrent, un arriviste, un ennemi prêt à lui sauter à la gorge pour semparer de ses biens. Sans doute est-ce là la conséquence de notre situation dassiégés : nos ennemis sont nombreux et notre pays est petit. Alors, najoutons pas à ces ennemis la menace dune guerre intestine.
Pour toutes ces raisons, il faut changer le pouvoir, dans sa forme et dans son fond.
Appel à laction concertée
Avec humilité, je présente à la Provence toute entière mes plus sincères excuses. Jai été égoïste, agressif dans mes paroles, menaçant envers mes voisins, dévoré par lambition et sourd aux appels à laide de mon peuple. Tel est mon mea culpa et telles sont les paroles que jinvite chaque provençal à répéter sincèrement et publiquement, sil souhaite me rejoindre dans mon action ou sil souhaite simplement partager mon désir dune autre Provence.
Je nai pas la prétention dêtre un guide ou davoir toutes les qualités. Je suis simplement conscient de mes défauts et jessaie de les endiguer, même si je suis loin dy arriver chaque fois que je le souhaiterais. Néanmoins, jai été élevé dans le dessein de faire de moi un chevalier, un Prince, un général, un homme de justice et déquité. Je suis loin dêtre devenu cet idéal et je doute de jamais y parvenir, car les idéaux sont parfaits, or seul le Très-Haut est parfait. Je propose une voie médiane à tous ceux qui laccepteront.
Je propose la transformation de notre Monarchie élective constitutionnelle nommée Marquisat, en une République où le Prince, ou le Marquis, ou le Doge, ou quel que soit son titre, soit élu tous les ans par lensemble de ses sujets. Ce vote se passerait dans un isoloir et serait donc anonyme, mais réservé aux seuls sujets de lÉtat. Nous allierions ainsi le besoin de protéger la liberté des votants à la nécessité dempêcher les forces étrangères de fausser lexpression de notre État
Je propose que cette République puisse signer en son nom propre certaines lois et certains traités lengageant elle et ses forces envers un autre État, sans pour autant engager de façon obligatoire ses provinces, qui resteraient libres de signer leurs propres traités avec dautres provinces, sans main mise daucune sorte de la part de lÉtat sur la province ou de la province sur lÉtat.
Je propose la transformation de lAssemblée populaire en un Parlement bénéficiant de membres permanents élus par leurs pairs : les tribuns, les maires, les représentants dOrdre, de compagnies, de guildes. Tout autre citoyen provençal serait dès lors membre non-permanent du Parlement, et bénéficiant des mêmes droits que les membres permanents, sans leurs obligations qui seraient : présence, représentation de leurs pairs. Tout citoyen nexerçant pas une fonction au sein du conseil comtal pourrait dès lors proposer des lois, des motions, ou tout sujet de débat, qui seraient alors votés par le parlement, en gargote provençale.
Je propose que ce Parlement puisse, seul, rédiger et modifier les lois, afin dempêcher le conseil comtal dabuser de ses pouvoirs comme il lui est arrivé de le faire par le passé.
Je propose un État ayant de lenvergure et un désir de grandeur, incarnant la fierté de ses sujets et leur place dans le monde, laquelle est le CENTRE de ce monde. Un État nayant pas peur de défendre son honneur lorsque des étrangers le salissent, un État qui ose agir avec dignité, respect. Un État qui accepte dêtre soumis aux exigences de tous ses sujets, via lorganisation de référendum anonyme, chaque fois quun tel référendum sera proposé par un parlement de lune de ses provinces pour un sujet relevant de lÉtat et non de la province.
Je propose un État où le Conseil du Prince serait formé dune Cour où chaque place pourra être obtenue par élection ou nomination, que ce soit par ses pairs, ses administrés ou lensemble du peuple.
Je propose une noblesse vraiment noble et donc digne dêtre respectée de tous, une noblesse accessible non par droit du sang ou par faveur politique à lissue de lexercice du pouvoir, mais par les vertus de courage, dabnégation, de dévouement au peuple de sa province ou de son État. Une noblesse qui serait désignée par le peuple et la Cour, et qui accepterait de ne recevoir ponctuellement que de petits fiefs pour des mérites aussi grands soient-ils, car exiger de grands titres pour une seule action est indigne de lhumilité à laquelle nous invite Aristote.
Jai donc décidé de proposer aux membres du mouvement GENS lorganisation de lélection dun nouveau Marquis, qui se tiendrait en face des bureaux consacrés au vote de confiance. Contrairement à ce vote de confiance, lélection du nouveau Marquis serait anonyme, car elle se pratiquerait dans un isoloir, accessible à tous les provençaux, mais uniquement aux provençaux.
Le mouvement GENS na pas vocation à faire de la politique comtale, mais à améliorer la qualité de vie des sujets de lÉtat, par lorganisation danimations culturelles, de débats publics, de manifestations citoyennes. Ses membres restent libres de tout droit dassociation, de participation à la vie politique, de défense didées propres. Ils ne sont tenus à aucune participation financière et ils restent libres de leurs convictions idéologiques, fussent-elles religieuses, à la condition de prôner les valeurs de progrès, de communication, de rêve et desthétisme.
Tout sujet de lÉtat est libre dadhérer au mouvement ou de le quitter.
Rédigé et signé en la Viguerie de Marseille,
Le dimanche dix-neuvième de Juin MCDLIX
Alessandro Franchimont-LEscala
Représentant de la GENS
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Je vous préviens : si je ne vois pas d'amour et de joie, je vous envoie par
télépathie une version de "tirelipimpon sur le chihuahua" au ukulélé. Vu ?!