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[RP] Il y a des poignards dans les sourires

Iban
[Dans une auberge de Dijon]

Les yeux embués et les mains encore engourdies par la moite chaleur des étreintes fébriles dont l’avait comblé cette nuit qu’il venait à peine d’achever, Etxegorry, nu encore, entrepris de rédiger cette lettre dont il avait trop longtemps retarder l’écriture.
Citation:

Très chère et très estimée Comtesse,

Cela faisait sans doute longtemps que vous étiez sans nouvelle de votre humble serviteur mais je gage qu’étant donné l’attachement relatif que vous me portez, vous ne vous en êtes pas soucié outre mesure. Et c’est à bon droit. Des affaires, qui n’étaient que de peu d’importance eut égard votre grandeur, m’ont retenu quelques mois dans les cités bourguignonnes. Vous imaginez bien qu’un honnête homme comme je prétends m’efforcer de l’être se doit d’honorer les engagements qui l’obligent et vous me pardonnerez je l’espère cette escapade solitaire et imprévue. A présent que ces menues affaires sont réglées, me voila de retour vers notre chère Guyenne après laquelle je n’ai de cesse de me languir depuis que je suis arrivé en votre compagnie dans les mornes paysages du Nord.


Les bras langoureux de la catin rousse qu’il avait connue cette nuit-là vinrent se poser mollement sur ses épaules, l’invitant à laisser là son occupation studieuse pour s’abandonner encore à l’expertise de son corps ondulant. Peut être espérait-elle par ses caresses lui arracher les quelques deniers supplémentaires qu’il lui manquait sans doute pour éviter de vendre deux de ses dents ou quelques mèches de ses beaux cheveux afin de subvenir aux rigueurs de l’automne approchant. Stupide et insatiable : le mépris qu’elle lui inspirait ce matin n’avait d’égal que le désir ardent qu’il avait eu la veille de la posséder.

« Vas t’en ! » lui lança-t-il sèchement en l’écartant d’un brutal revers de bras. « Vas t’en te dis-je, déguerpis, sottarde ! Tu as eu ton argent, retourne de suite voir ta maquerelle, ou ma parole, tu lui reviendras trop laide pour plus séduire personne. »

Plus inquiète que vexée, la catin ramassa ses frusques et sortit sans se manifester davantage. Le Basque se concentra de nouveau sur sa missive.

Citation:

J’ai ouï parler des tristes évènements qui secouent notre bon duché et le risque d’opprobre et d’humiliation qu’ils vous font encourir. Je vous saurai gré de me mettre au courant de ce qu’il s’y passe exactement. L’on m’a évoqué tour à tour une excommunication et une destitution, et j’ose espérer qu’il ne s’agissait là que de billevesées comme le vulgaire se complaît tant à en conter. Soyez assurée de mon indéfectible soutien et de mon inébranlable dévotion envers votre noble personne. Les criminelles horreurs qui sont répandus par la piétaille sur votre compte jusqu’aux franges de la Bourgogne ne sauraient entamer le crédit et l’affection que je vous porte. Connaissant la ténacité de votre fierté, je m’attends bien à ce que vous négligiez mes velléités de secours. Néanmoins, vous n’ignorez point comme moi que, lorsque la situation devient critique au point qu’elle n’est plus supportable, la fierté peut dans ce cas extrême sortir indemne de la tempête quand bien même elle agréerait une aide humble et opportune. Si donc, ma lame ou mon verbe (ou tout autre chose) pouvait s’avérer d’un quelconque secours, sachez que vous pouvez compter sur la précision et l’acuité de l’une comme de l’autre.

Que pourrais-je en effet refuser à celle qui s’est montrée envers moi une des plus généreuses ?

Votre éternel obligé,

I. E.


Satisfait, le Basque esquissa un sourire mauvais et cacheta sa lettre.
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Gnia
[Quelques jours plus tard - Montauban - L'Alabrena, à une heure avancée de la matinée, à l'aube en somme, pour qui ne dort pas.]


Au bruit pourtant discret de l'huis qui s'ouvrait, Agnès ouvrit un oeil. L'oreille reconnut le trottinement régulier de la chambrière qui venait d'entrer et qui se dirigeait vers le lit.
Celle-ci apparut enfin dans le champ de vision de la Comtesse et s'approcha pour poser un pli sur le coffre qui jouxtait le baldaquin et repartit sans dire mot ou poser un regard sur l'autre occupant de la couche.

Agnès s'accorda les quelques instants nécessaires à finir de se réveiller et entreprit de détacher d'une main délicate celle qui s'était, à la faveur de la nuit, ancrée sur son sein. Un grognement mécontent accueillit ce déplacement et elle coupa court aux protestations en plaçant judicieusement la déplacée sur sa hanche. Mieux que rien. Et visiblement le propriétaire s'en contenta.

Elle se pencha ensuite jusqu'au coffre et se saisit de la lettre qu'elle déplia et parcourut rapidement, toujours allongée. Un sourire en coin étira les lèvres sèches et le billet fut replié avec soin et rapidement remisé.
Elle y répondrai. Plus tard.
Pour l'heure, il s'agissait de commencer la journée de la plus agréable façon qui soit.
La main posée sur sa hanche s'était déjà aventurée sur le chemin du retour, et d'autorité, Agnès la guida à l'endroit qu'elle lui avait fait quitter un peu plus tôt.
Et le Basque fut relégué à d'ultérieures préoccupations.


Le pâle soleil du jour était déjà haut dans le ciel lorsque le courrier reçu le matin fut à nouveau déplié, relu et que réponse lui fut faite.


Citation:
Il est heureux de vous lire, puisque cela signifie que vous ne vous êtes pas fait occire au gré de l'une de vos coutumières forfaitures.
Ce qui se déroule actuellement en Guyenne n'est que l'une des parties visibles du bras de fer qui oppose l'Alliance du Ponant et la Couronne. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'autre chose que de nourrir l'avidité de la Reyne à voir cette Alliance, selon elle contre nature, mourir. Elle trouve en Guyenne allié fort et acharné en l'Eglise Aristotélienne qui au travers de prélats mal intentionnés attise un conflit qui confine à la guerre civile.

Toutefois, rassurez-vous, si j'ai été mise au ban de la communauté des fidèles, j'ai conservé, pour l'heure, mes titres et vous pourrez toujours sussurer à mon oreille des "Votre Grandeur" ou "Comtesse" sucrés et mielleux selon ce que vous désirez obtenir de ma générosité.

Vous proposez vos services, je les accepte. Ma fierté ne saurait prendre le pas sur le bon sens qui veut que lorsque l'on est attaqué, l'on ne refuse pas de l'aide.
Aussi, sachez que si vos pas, guidés par votre désir de me servir, devaient vous mener en Guyenne, vous y trouverez accueil à la hauteur de votre démarche.

Et vous savez l'étendue de mes largesses.

ASJ

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Iban
[De bon matin, sur les routes du Royaume de France]

Iban retira sa lourde cape. L’air matinal était encore frais mais déjà le Basque commençait à suer sous la chaleur prometteuse d’un soleil clair et doux que nul nuage ne venait contrarier. Arrivé au sommet d’un petit promontoire, il s’arrêta pour boire et reposer un peu ses jambes endolories par sa marche effrénée. Les rumeurs des évènements dramatiques qui se déroulaient en Guyenne, confirmées par la lettre de la Comtesse, avaient fait galoper son imagination avide de conquêtes, de richesses et d’aventure à tel point qu’il n’avait pris que fort peu de sommeil depuis son départ d’Auvergne, se hâtant vers les saules de Montauban. Si une tragédie se jouait là-bas, il voulait être un de ses acteurs. Au pied du monticule sur lequel il se restaurait, les plaines de Guyenne s’étendaient à perte de vue, désertes, rousses et chatoyantes sous ce soleil de fin d’été, balayées par une brise taquine qui se levait imperceptiblement. Le Basque dont l’esprit résolument pratique n’était d’ordinaire que peu sensible à la poésie des lieux et des personnes ne put que se laisser toucher par la vue de cette immensité silencieuse qui quittait lentement les torpeurs de la nuit en de léger frémissements. Sans doute l’étrange familiarité des lieux et l’idée qu’il ne se trouvait désormais plus très loin du terme de son voyage participaient de cette étrange alchimie de sentiments confus.

Posément, il sortit sa plume et son parchemin. L’endroit l’inspirait.

Citation:

Très chère et très estimée Comtesse,

Tout ce que vous me contez dans votre précédente lettre me réjouis fort. Cette vaste partie d’échec promet d’être disputée et je suis assuré qu’à vos côtés, le jeu va s’avérer passionnant. Vous ne m’avez point encore mis au courant de l’état et de l’avancement de votre stratégie dans ce panier de crabes mais je ne saurai trop vous conseiller de faire feu de tout bois dans cette tumultueuse affaire et d’entailler au plus vite. Tout bon chirurgien, si tant est que cela existe, vous dira que lorsqu’un membre commence à sentir, on l’ampute. Je ne connais point de meilleure médecine jusqu’à présent. Votre meilleure défense se trouvera dans l’attaque. Vous ne pouvez concevoir l’impatience qui m’étreint alors que je vous écris ces mots. Il me tarde de pouvoir participer pleinement à ce conflit qui présage bien de sang, de larmes et de sueur.

Vous me voyez néanmoins bien aise d’apprendre que vous ne vous retrouvez pas mêlée à la roture. Je ne saurai cacher, il est vrai, le pouvoir qu’ont vos charmes sur ma bien faible chair, et pourtant, vous comprendrez sans peine à quel point il m’eut été pénible de ne plus étreindre une Comtesse. Non pas que je sois de ces médiocres courtisans qui voient dans le lit des dames de haut rang un marchepied vers une fortune et des honneurs plus avantageux (combien de fois en effet ai-je croisé de gentilshommes pour qui les bras blanc d’une baronne était le droit chemin vers la Cour de France), mais, voyez-vous, jouir d’une roturière a quelque chose de terriblement commun. La dépravation ne devient intéressante que lorsqu’elle est dissimulée avec art sous les obligations du rang. Sans transgression ni hypocrisie, l’étreinte amoureuse n’aurait à mon goût que fort peu d’intérêt. Peut être vous avais-je déjà entretenue de ces philosophiques réflexions. Quoiqu’il en soit je ne puis que vous faire part de ma joie à la lecture d’une missive si rassurante.

Je devrais arriver en vue de Montauban dans deux jours tout au plus. Je suis et resterai bien entendu à votre service. Ordonnez, chère amie, et j’obéirai.

Votre serviteur dévoué,

I.E.

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Gnia
[Quitter Montauban et... éviter de mourir.]


Agnès reposa le pli reçu sur son écritoire, un sourire en coin retroussant la commissure de ses lèvres.
Le temps était un ennemi implacable contre lequel toute lutte était vouée à l'échec.
Elle quittait Montauban au crépuscule d'une journée. Iban y arriverait probablement à l'aurore de la suivante. Et à défaut de pouvoir ordonner qu'il lui fasse oublier un instant à la faveur d'une étreinte brûlante les turpitudes de journées harassantes, il fallait lui laisser directives pour quand il arriverait.

Le Vieux Georges, fidèle parmi les fidèles, fut entretenu de l'accueil qu'il devait réserver au Basque, comment le reconnaitre, démasquer un imposteur, et de ce qui devait lui être dit et ce qui devait lui être caché.

Confiante en la bonne fortune qui mènerait Iban jusqu'à l'Alabrena et en ce destin plus fort que toute logique qui croisait irrémédiablement sa route avec celle du mercenaire, elle laissa derrière elle la Cité des Saules en priant pour que le Très Hauct lui permette un jour d'en contempler à nouveau la chevelure dorée des arbres qui ondoyait au vent.

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Matalena
[Quitter Montauban, et éviter de tue... Ah, trop tard.]

Périples, tergiversations, c'est finalement rompus de fatigue que les compagnons étaient parvenus à destination après un retour éprouvant sur la terre de Guyenne. Ils n'ignoraient pas pourtant que leurs épreuves ne faisaient que commencer, englués dans les intrigues politiques et religieuses comme des mouches dans un pot de glu. Le destin, pourtant, en avait décidé autrement pour certains, avec son ordinaire malignité qui veut qu'on ne tombe jamais aussi bas qu'on le croit... Plus loin, toujours plus loin quand le sort s'acharne, testant les limites des corps et des âmes jusqu'aux tréfonds de leur déchéance. La graine de la discorde était semée, ne manquait que quelques pluies bienfaitrices pour porter la pourriture du fruit au summum de son potentiel.

Secrètes de nature, réservées dans leurs sentiments, les deux femmes du groupe se muraient progressivement dans des non-dits qui ne se lisaient guère qu'à travers le ballet de leurs regards gênés... Occupées de leurs calculs stratégiques, leurs questionnements intérieurs, et les missives qu'elles rédigeaient la nuit tombée pour s'occuper, se divertir, par manque ou nostalgie, à de lointains destinataires. Absents anonymes qu'elles se devinaient pourtant sans pouvoir les nommer.
La comtesse, à plusieurs reprises, avait tenté de briser ce voile dont les mailles se tissaient chaque jour plus certainement entre elles. Et, systématiquement, la pasteur réformée l'avait repoussée sans explications. Par crainte peut-être de n'être point comprise, ou de l'être sans que ceci soit suivi d'actes. Pourtant, en cette soirée de septembre qui se révélât aussi grise et froide que leurs humeurs, la cadette s'était proposée pour coiffer la chevelure bouclée de sa maitresse, comme il était de coutume jadis, quand l'été était doux. Le peigne de nacre niché au creux de ses mains longues et calleuses, la toison brune dans l'autre, elle s'appliquait en silence sur cet instant de paix ou rien ne semblait plus compter. Deux présences au coin d'un feu, dans la salle commune désertée d'une auberge de province. Et point de poignards. Juste le goût d'une minute d’apaisement dans des vies de pression ou d’oppression, c'est selon.

Si elle avait su que déjà les pas du prédateur étaient sur leurs traces.
Que le foyer de peste ne s'éteint jamais vraiment.
Et que la femme à qui elle accordait toute sa confiance livrait à son tortionnaire les armes pour la détruire.
Lui qu'elle espérait perdu en Bourgogne, partit, mort, mais loin, ô combien très loin.
Alors elle aurait crié peut être.
De rage, de haine.
Elle l'aurait cherché, aurait fuit. Deos seul le sait.
Mais elle n'aurait pas sourit.

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« Ne confondez pas le sombre avec l'obscur. L'obscur accepte l'idée de bonheur; le sombre accepte l'idée de grandeur. »
Victor Hugo

Iban
Trois coups retentirent à la porte de l’auberge. Il faisait nuit noire. Les rues étaient désertes : par les temps qui couraient, la maréchaussée n’avait eu nul besoin d’imposer un couvre-feu pour que chacun se terrât chez lui dés neuf heures sonnées. L’enseigne des « Deux Lièvres » oscillait en grinçant, faiblement éclairée par la lumière qui émanait de l’intérieur de l’auberge. Une bruine traitresse avait imbibé la cape du mercenaire de la traine à la capuche de ses fraîches gouttelettes. Il avait froid. A jeun et fourbu, c’est à peine s’il parvenait à maîtriser un furieux grelottement. Après avoir attendu en vain les quelques secondes que pouvaient souffrir sa patiente de Basque, il ouvrit vigoureusement la porte humide. La bouffée de chaleur et de lumière qui inondèrent brusquement son visage buriné et suant firent rougir ce dernier comme celui d’un forgeron.

Le feu de cheminée était encore beau et bruyant. La comtesse se trouvait assise devant, sur un fauteuil couvert de soie pourpre. Elle avait le port de tête noble, comme à son habitude, et son regard semblait perdu dans les flammes graciles qui dansaient en crépitant. Fière et immobile, distante et froidement belle comme une antique statue de reine, elle resta impassible à l’entrée du nouveau venu. Derrière elle se tenait une autre femme, plongée de moitié dans l’obscurité, drapée d’un long vêtement blanc, qui arrangeait en silence la chevelure de sa maîtresse. Ses mains d’une pâleur fantomatique s’affairaient sur la toison d’ébène avec douceur, patience, et une extrême minutie. La grâce apaisante de cette silhouette était telle qu’on l’eût dit attelée à quelque ouvrage mystérieux et sacré. Les yeux embués d’Etxegorry eurent tout d’abord du mal à distinguer les traits de ce qui lui sembla en premier lieu n'être qu’une apparition évanescente.

C’était Matalena Ladivèze. Qui l’eut cru ! Certainement point le Gascon, en tout cas. La jeune sauvageonne de Montauban s’était paré ce soir là de la beauté claire-ténébreuse d’une vestale. Ces deux femmes, aux beautés si contrastées, formaient dans cette salle d’auberge fort commune un dramatique tableau, à la fois sévère et doux, profond et altier. Le mercenaire fut tant surpris par cette scène silencieuse qu’il n’osa dans un premier temps en déranger l’ordonnance ni en troubler le calme. Le pourquoi de sa présence lui revenant alors à l’esprit, il finit par s’avancer. Sans délaisser son ouvrage, la suivante leva furtivement les yeux et les baissa aussitôt.

Iban s’avança encore un peu, posa un genou à terre devant le fauteuil comtal et baissa le chef.

« Mes hommages, Comtesse. Me voici de retour. »

Le silence qui s’en suivit fut des plus éloquents. Sans l’apercevoir, le Basque sentit un regard lourd de reproches se poser sur son sombre crâne. Cela faisait bientôt une semaine qu’il avait regagné le duché sans plus donner de nouvelles, tandis que la guerre civile avait déjà commencé à maculer de sang la terre de Guyenne et qu’en cette redoutable période d’élection son retard avait du agacer la comtesse au plus haut point. Toute excuse eut été vaine et la fierté du Basque le bornait de toute façon à n’en point formuler. Il attendit néanmoins quelque signe avant que de se relever. Il se contenta de lever la tête vers la suivante.

« Le bonsoir, damoiselle Ladivèze. Croyez bien que je suis fort aise de vous revoir, quoi qu’il me peine un peu que cette aise ne soit point partagée. »

Sans rien ajouter, il retira ses gants et ôta de sa main mutilée ses deux griffes de métal qu’il fit disparaître dans un repli de son mantel. Par ces temps de rude froid, elles tendaient à infecter douloureusement ses moignons irrités.

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Gnia
Respectant le silence que Matalena avait installé entre elles, Agnès fixait le feu tandis que la Sombre démêlait avec application les boucles de jais. Parenthèse dans une vie faite de soubresauts, comme un rituel nécessaire à calmer les angoisses, les non dits, les errances.
Cet équilibre ténu fut soudain rompu par les coups frappés à l'huis qui s'ouvrit brusquement sans pour autant parvenir à masquer la chaleur apaisante du feu qui grondait.

Le regard glissa imperceptiblement de biais et reconnu la silhouette qui s'avançait. Et l'ambiance plus ou moins sereine qui régnait l'instant d'avant dans la salle commune se tendit soudainement.
Si cette tension de l'air n'avait point été palpable des protagonistes étrangement réunis là par un destin farceur, toute l'attitude du Basque la reflétait, tout comme celle qui la coiffait avait perdu toute fluidité dans es gestes.

Agnès observa Iban un instant dans un silence réprobateur et après un infime soupir, elle finit par lui tendre sa main. Si le mercenaire semblait, par ses paroles et par sa présence, vouloir lui faire allégeance, il convenait qu'il se plie alors aux reproches mais également à accepter le signe d'apaisement voilé qu'était la main offerte au baiser.
La voix rauque, éternellement tintée de cet accent du Nord qui se faisait force de ne pas plier sous le poids chantant de l'occitan, finit par s'élever pour demander, fort à propos


Peut-on savoir pourquoi l'aise que j'ai à vous savoir enfin à mes côtés ne serait-elle point partagée par Damisélà Ladivèze ? Auriez-vous fauté au point d'attirer sur vous son courroux ou pis, son mépris ?


Le ton ne souffrait guère que l'on lui oppose une pirouette cynique pour se sortir du mauvais pas qui s'annonçait. Hiératique sur son trône de fortune, souveraine de rien qui ne soit déjà perdu si ce n'est une aura malfaisante et sombre qui semblait agréger autour d'elle les âmes damnées, perdues, ambivalentes.
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Felina
[Lorsque l’on parle d’âmes damnées, l’on en voit la pointe des griffes.]

Des jours d’errance et de fuite en avant, seule à chevaucher sur les routes de Guyenne, dans les quatre directions de la rose des vents, et finalement, l’espoir qui renait quand les lumières d’un village apparaissent au loin.

Des jours qu’elle ne s’est plus arrêtée.
Des jours qu’elle mange, boit et dort sur sa vieille carne.
Des jours qu’elle se meurt d’angoisse en imaginant son rejeton pris entre le feu de deux armées.
Des jours qu’elle ne vit plus …

Epuisées, affamées, monture et cavalière rassemblent alors leurs dernières forces, la dernière piquant de deux en direction de la cité salvatrice. Le guet est passé sans souci, chose assez rare en ces temps de guerre pour être souligné, et la Rastignac peut aussitôt s’enfoncer dans les ruelles désertes, à la recherche de l’auberge où est descendue celle qu’elle cherche. D’aucun connaissant le sens d’orientation déplorable de la semi manchote, ne sera pas surpris de la voir poser rapidement pied à terre, invectivant le premier, et unique, maraud pour lui demander son chemin.

Une fois renseignée, c’est à pied, traînant derrière elle sa jambe raide, que la silhouette dépenaillée parcourra les derniers mètres la séparant de son objectif. Monture abandonnée sur le seuil de la porte, que la Féline poussera de sa main valide, les griffes de l’autre gisant nonchalamment contre son corps plus malingre que d’ordinaire. Les mirettes sombres scrutent alors la pièce, rictus affiché sur son visage, alors qu’un irrépressible frisson s’empare d’elle lorsque la chaleur de la pièce la saisit.

Trois âmes, mais une seule vers qui, pour l’heure, va toute son attention. Sans se soucier le moins du monde de son apparence, elle avance d’un pas, comme deux mots, à peine murmurés, s’échappent de ses lèvres, tels un soupir de soulagement.

Agnès … enfin …
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Ljd Falco a écrit : "Jouons. Peu importe la victoire, pourvu que le spectacle soit beau."
Matalena
Le froid. Qui se glisse au creux de son ventre, dans sa poitrine, jusqu'à laisser courir un interminable frisson le long de sa colonne vertébrale. Lorsque la jeune femme leva sur lui ses prunelles pour croiser son regard bleuté à la limpidité trompeuse.
En détournant la tête, elle laissa glisser sa chevelure de ses épaules pour masquer son profil, voile d'illusion entre le regard masculin et les expressions de son visage grave. Son geste ne s'arrêta pas pour autant, préservant encore un instant l'image de la servante docile dans laquelle elle s'était glissée, tandis que la voix du basque s'écoulait dans l’atmosphère comme un poison sucré. Mais la comtesse ne fut nullement dupe de leur manège muet, et alors que la réformée s'apprêtait à entrer dans la danse, un sourire moiré aux lèvres, la Rastignac lui fournit une échappatoire bienvenue. Certainement, dans d'autres circonstances, cette arrivée inopinée aurait été soldée d'un léger agacement. Mais, lorsqu'elle se releva pour faire face à la nouvelle venue, la donzelle n'eut que le temps de traverser la salle pour lui donner le bras, et l'aider à gagner le siège tout justement quitté.


Asseyez-vous enfin, ne bougez pas...

Ombre blanche, la Pasteur s'empressa de jeter sur les épaules de la mère en loques son épaisse capeline de voyage et d'aller quérir un vin chaud derrière le comptoir. Une fois ceci fait, elle s'effaça légèrement de la scène, quelques pas en arrière, prenant garde de ne point tourner le dos au mercenaire. Quiconque eut contemplé son faciès en cet instant n'aurait distingué qu'un miroir lisse, sans teint, le noir de ses yeux habité d'une flamme énigmatique.
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« Ne confondez pas le sombre avec l'obscur. L'obscur accepte l'idée de bonheur; le sombre accepte l'idée de grandeur. »
Victor Hugo

Iban
Prenant délicatement la main qui lui était tendue, Etxegorry, toujours genou à terre, y déposa ses lèvres rugueuses comme le plus dévoué féal. Eut-il été un peu moins crasseux et dégoulinant de pluie et de sueur que le tableau de ce témoignage de soumission eut pu inspirer les illustrateurs de contes édifiants et de romans chevaleresques destinés aux petites têtes blondes de la noblesse de France. Alors qu’il se relevait, la Comtesse le questionna au sujet de la Ladivèze. Imperturbable, il s’approcha du feu pour y réchauffer ses mains gelées et méditer un instant à la réponse la plus judicieuse. Il s’apprêtait à répondre quand se fit une nouvelle arrivée impromptue. Viscéralement méfiant, Iban tourna brusquement la tête en direction de la porte pour identifier l’importun. Sa surprise ne fut pas mince. A la reine et à la prêtresse se joignait à présent la sauvageonne. Autant dire que le Gascon appréciait fort d’être cerné par si charmante compagnie. Son regard ne mit pas longtemps à se porter sur le poing griffu de la troisième grâce. Impassible, il détourna lentement son regard pour le replonger dans l’âtre.

« Courroux, mépris… ce sont là de bien grands mots pour évoquer le petit différend qui nous sépare malencontreusement. » finit-il par répondre.
Se tournant vers l’intéressée, il ajouta :
« Disons simplement que nous peinons à accorder nos caractères si contrastés. Vous connaissez, Comtesse, la grande piété et la fervente chasteté de la Damisela en question, quant à moi, que voulez vous, j’ai grand mal à m’arracher à cette vie que certains qualifieront de « vie de débauche » mais qui, ma foi, m’est fort agréable. Rien de bien grave en somme.»

Pas à pas, le Basque s’était rapproché de la pastourelle, qui se tenait auprès du siège de la nouvelle venue, droite et mystérieuse*.


« Ce petit malentendu ne manquera pas d’être vite effacé au profit de la charité fraternelle. » poursuivit-il, amusé, « Si je conçois que notre prédicatrice puisse éprouver quelque déplaisir à mon arrivée, je gage qu’en tant que membre exemplaire de la communauté réformée elle saura me témoigner bien assez tôt quelque affection. En tout cas, je ferai mon possible pour qu'il en soit ainsi... »

Il se tut un court instant, envisageant de ses pupilles marines ce pâle masque que lui opposait la jeune suivante.

« Un si petit affront serait-il insurmontable ? » conclut-il avec malice.

Se retournant vers Agnès, il changea soudainement le cours de leur conversation.


« Dites moi donc, Comtesse, je ne savais qu’un félin ne vous suffisait pas… Voila que vous prenez des panthères à votre service désormais ? J’ose espérer que vous n’avez point songé à nous faire œuvrer de concert : l’idée de mercenariat féminin me laisse déjà fort dubitatif, mais celle de devoir m’encombrer d’une amazone m’insupporte franchement. »

Goguenard, le Basque dévisagea l’amazone en question. Le jupon court, l’arme à la hanche et le cheveu en bataille, la patte folle, le visage étique et la mine vermeille d'épuisement, elle semblait tout droit sorti de ces contes exotiques dans lesquels des femmes sauvages bataillent et dévorent leurs amants.

De quoi faire vagabonder bien loin l’esprit du Basque, si prompt à s’enflammer.


*L'humble auteur de ce post tient à signaler à ses patients lecteurs qu'il avait d'abord pensé à "droite et impénétrable". Etant donné le contexte du récit, il serait bien inutile d'expliquer le pourquoi de ce changement, qui s'imposera sans trop de peine à l'esprit sagace du lecteur. L'auteur tient à s'excuser de sacrifier ainsi la pertinence d'un terme sur l'autel de la bienséance. Bonne lecture !
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Gnia
Agnès s'était évidemment jointe au ballet des autres visages se tournant vers la porte encore une fois ouverte sur le froid de cette nuit pluvieuse. Un regard inquiet avisa la nouvelle arrivante qui semblait en bien piètre état, mais Matalena la devança pour lui apporter son aide. Un léger hochement de tête accueillit avec bienveillance l'entrée féline avant que la voix du Basque ne détourne à nouveau l'attention de la Comtesse.

Les yeux plissés, elle écoutait, dubitative, les explications du mercenaire. Evidemment, il aurait été de bon aloi d'entendre les deux versions d'une méfiance qui semblait largement dépasser le peu de cas qu'en faisait l'homme. Toutefois, Agnès jugea qu'il n'était point l'heure d'arbitrer un différend sans en connaitre tous les tenants et aboutissants. D'autant que comme l'on pouvait s'y attendre le félin esquissa une cynique pirouette en retombant sur ses pattes.


Extegorry, quoiqu'il advienne, vous demeurez mon dévoué serviteur, dès lors vous ferez ce que je vous dis, n'est-ce pas ?

Sourire en coin retroussant la commissure des lèvres, elle l'observait en train d'envisager une Félina au plus mal.

Alors laissez donc l'amazone se remettre de son voyage et allez donc vous laver, vous n'êtes guère éloigné de l'odeur du gibier qui a trop attendu pour être mangé.

Le nez se retroussa non sans faire apparaitre sur son visage une pointe de mépris. Puis la mine hautaine se mâtina ensuite d'une lueur cynique dans le regard.

Quand votre présence ne sera plus une agression des sens, vous viendrez ensuite vous enquérir auprès de moi de si je vous livre à une belle amazone et, si tel est mon bon plaisir, à laquelle...
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Felina
[On ne choisit jamais un chat : c'est lui qui vous choisit.]


Alors qu’elle n’attend qu’un signe, un mot de la comtesse, c’est une autre qui répond, et il faut quelques instants à ce qu’il reste de la fière mercenaire pour réagir, et reconnaître celle qui lui apporte son secours. Pétrifiée, c’est presqu’en chatte soumise qu’elle accepte le bras tendu et se laisse guider jusqu’au siège offert. Mais une fois assise, réalisant enfin l’image déplorable qu’elle renvoie et la position de faiblesse dans laquelle elle se trouve, la Féline laisse échapper un grognement de protestation. Puis, elle lance une œillade noire à la jeune fille à la tresse comme le tissu de la capeline, pourtant appréciée à sa juste valeur, enveloppe ses épaules encore tremblantes. Pour les remerciements, il faudra repasser. Fierté quand tu nous tiens …

Ce n’est qu’à partir de ce moment, comme enfin elle semble avoir recouvert totalement ses esprits, que l’infirme remarque une troisième présence. Une silhouette, un visage et une voix qui ne lui pas complètement inconnus, mais sur l’ensemble desquels elle serait bien en peine d’apposer un nom. Méfiance dans les mirettes en entendant son discours, elle se crispe malgré elle, et cette fois, le froid n’est pour rien dans le long frisson qui lui dresse l’échine. Le surnom dont elle se voit affublée lui déplaît au plus haut point, mais elle n’a pas le loisir de s’en défendre que déjà la comtesse a remis en place l’importun.

Etxegorry …

Le "Basque de Montauban" au patronyme imprononçable …
Ca y est, elle l’a resitué. Pour le peu qu’elle se rappelle de l’homme, elle l’a toujours pris pour un simple paysan mal dégrossi et peu loquace. Mais que diable ferait un homme ordinaire dans l’entourage de la Saint Just, elle qui n’a pas pour coutume de s’offrir les services de n’importe qui ? La réponse sûrement viendra en son temps, mais déjà attise la curiosité maladive de la Rastignac. Nombres de questions lui brûlent les lèvres, et c’est en les plongeant dans le verre de vin offert qu’elle en apaise légèrement le feu, restant silencieuse et reprenant peu à peu forme humaine. Les muscles se détendent comme elle s’installe plus confortablement dans le fauteuil, allant même jusqu’à étendre sa jambe raide devant elle pour la soulager.

Les prunelles sombres scrutent les trois protagonistes du tableau qui se dresse devant elle, comme pour prendre la mesure de la situation, puis la langue commence à se délier.


Et bien et bien … si j’m’attendais à voir tout ce p’tit monde ici. J’vois qu’vous êtes très bien entourée M’dame Juste … On fête que’qu’chose peut être ?

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Ljd Falco a écrit : "Jouons. Peu importe la victoire, pourvu que le spectacle soit beau."
Matalena
Un espace infime, presque insaisissable, d'yeux qui ne cillaient pas. L'assassin la regarda pour la seconde fois. Remise de la surprise engendrée par sa brutale arrivée, ses inconséquences apaisées par sa froideur de façade, la réformé ne chercha plus à fuir la confrontation. A le fuir. Et la barrière de ses cils bruns s'ouvrit toute grande sur ses prunelles aux pupilles indiscernables, noyées de leur propre noirceur. Ses mains pâles reposaient sur le dossier de la chaise, côte à côte, et tout son corps n'était plus qu'un mouvement de rejet, irradiant d'un dégoût qu'on aurait pu humer. Comme une ligne mince formée à travers une atmosphère dont la lourdeur si pesante en devenait palpable.
Les marines figées face aux Onyx, la jeune femme lui parla alors, se rendant lisible pour lui, avec toute l’entièreté qui était sienne et qu'elle ne savait fuir. La chanson de ses dernières promesses de mort raisonnant encore à son esprit. Une menace ? Non. Une certitude. Et quand tout fut dit, ses lèvres délicates s'étirèrent en un sourire si parfaitement trompeur qu'on aurait pu le jurer sincère, le basque excepté sans doute.


Je ne doute point que l'amour aristotélicien auquel Dieu me commande ne puisse souffrir d'exception. D'autant plus qu'à ma connaissance, notre bon ami Etxegorry ne c'est jamais montré coupable de quoi que ce fut qui m'autorisa à le lui refuser.

Puis se fendit d'une gracieuse révérence, ses doigts relevant tout juste la bordure de ses dentelles avec une retenue d'infante.

Si vous voulez bien m'excuser, Votre Grandeur, je me retire un instant.

Ignorant le regard accusateur de la féline dont, de coutume, elle se serait fait un honneur de répondre par un aller-retour bien sentit dans son minois d'infirme, la pasteur prit congé de sa maîtresse d'un signe de la tête et grimpa aux étages pour regagner sa chambre.
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« Ne confondez pas le sombre avec l'obscur. L'obscur accepte l'idée de bonheur; le sombre accepte l'idée de grandeur. »
Victor Hugo

Iban
Bien que cela le gêna de ne point cerner le mystérieux sens du petit manège auquel se livrait Matalena Ladivèze, le Basque ne put que s’en amuser. Il espérait voir bientôt ces touchants témoignages de charité fraternelle qu’elle venait de lui promettre avant de disparaître à l’étage. Le Basque ne put au contraire réprimer le hérissement que provoquèrent les mots de la Saint-Just. L’agacement céda néanmoins vite place à une sourde jubilation emprunte d’une certaine admiration. La réplique était pertinente et spirituelle, le jeu honnête : piégé par sa propre flatterie, il ne pouvait s’en vouloir qu’à lui-même. Et ce qui sauvait le Basque d’une véritable humiliation était que la subtile joute verbale n’était pas encore terminée.

« Vous me voyez comblé d’entendre, chère Duchesse, que ma dévotion à votre endroit n’est point mise en doute. Néanmoins, c’est cette dévotion même qui m’intimerait de faire obstacle à votre choix quand ce dernier vous conduirait à votre perte. »

Le redoutable félin s’était tourné vers Agnès et la regardait à présent avec un air de chien fidèle qui ne lui ressemblait guère.


« Enfin…» ajouta-t-il en haussant les épaules, « Force est d’admettre que votre sagesse est grande. Je m’en remets donc à votre discernement et viendrai chercher mes ordres dés que j’aurai fait le nécessaire pour remédier à l’indisposition de ces dames, qui, soit dit en passant, ont l’odorat bien sensible… ».

Une moue dédaigneuse en guise de salut, il s’en fut en grand seigneur vers les escaliers, ne comprenant point ce que l’on pouvait bien reprocher à la fragrance nidoreuse de ses défroques.

Après être entré sans grande discrétion dans plusieurs chambrées occupées et avoir écopé de plusieurs noms d’oiseaux jetés entre deux bâillements par les dormeurs réveillés, noms que le Basque s’efforça de retenir pour pouvoir rétribuer à qui de droit dés que l’occasion s’en présenterait, il finit par trouver enfin une salle équipée pour ses ablutions. Si la plupart des baquets et des seaux, vides, avaient été repoussés contre les murs, il trônait encore un baquet rempli au centre de la pièce. Voila, ce dit Etxegorry, qui ferait affaire. Il plongea sa main dans l’eau et l’en retira presqu’aussitôt. S’il était un point commun que le mercenaire partageait avec la gente féline, c’était sans doute son aversion pour l’eau lorsqu’elle se trouvait trop froide. Elle était là glaciale. C’est à grand peine que le Gascon parvint à surmonter la répugnance que lui inspirait cette eau digne des fjords du grand nord. Lorsqu’enfin il se fut dévêtu, il s’y engouffra d'un seul et unique plongeon.

L’auberge tout entière retentit alors d'un rugissement d'une vulgarité à faire rougir tous les bons saints du paradis.

Les ablutions seraient rapides.

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Matalena
De minimes craquements désarticulés se réverbérèrent le long des contre-vent jalonnant la charpente. Une à une, les vertèbres de sa colonne s'accolaient contre la porte close tandis que les genoux ployaient lentement, jusqu'à toucher le sol. A travers l'étoffe diaphane de sa houppelande perçaient les bosses allusives de ses coutelas, ceinturés autour de ses cuisses en mortelles jarretelles d'un autre genre de femme à marier. Un doigt distrait vint les effleurer. Combien de temps avant qu'une telle occasion ne se présente ? Fallait-il laisser impunément le criminel débarquer de nouveau dans le cours de son existence, son impossible sourire placardé sur sa gueule de tueur, assuré de s'en tirer à bon compte jusqu'à ce que mort s'en suive ? Impossible. Il n'était plus question de violer ses principes et ses convictions sur le simple motif que la Saint Just trouvait accommodant le doigté du mercenaire s'agissant de manier les divers gourdins dont-il était équipé.

Avec cette franchise brutale et naïve qui ne cessait, hélas, de la caractériser, la jeune réformée s'était présentée devant celui qu'elle considérait comme un père, pour le confondre. Exiger de lui vérité et honnêteté semblables à celles qu'elle même lui vouait depuis la genèse de leur relation. Peut-être avait-il voulu la faire douter. Protéger les illusions de l'enfant qu'il continuait de voir en elle, sans doute à raison par certains aspects. Elle n'était point prête pour ces choses. Pour accepter qu'on pu amputer son propre clan pour la gloire de celui-ci, quand bien même les écritures promettaient l'enfer à qui se montrait coupable d'un crime fratricide. Et le Lecteur ne l'ignorait point. Peut-être, si la petite guerrière lui avait présenté des preuves de son crime, l'aurait-il évincée d'une manière ou d'une autre. Qui peut prédire ces choses.
Des preuves...
Insidieusement, l'idée s'était frayé un chemin dans le cours tortueux de ses pensées. Jusqu'à la cristallisation d'un projet fou, dangereux, mais peut-être décisif. Plaquée contre le panneau de bois, son oreille repéra avec la certitude des veilles connaissances la démarche du basque, son manège pour se choisir un lieu ou poser ses frusques puantes, avant de quitter la pièce en direction des salles d'aisance et de toilette. Muée par on ne sait quel sentiment impérieux qui consomma les derniers lambeaux de sa prudence dans les flammes de sa détermination, elle prit sa décision.

Dans un souffle, sans un son, la chambre fut close, vide de tout occupant.

Il lui semblait que les battements de son cœur raisonnaient contre la barrière de sa cage thoracique, faisant tant de bruit qu'ils devaient être audibles depuis Bordeaux, lui noyant les oreilles d'un martellement d'Apocalypse. Ses pieds nus glissaient contre le plancher avec une légèreté féline que facilitait sa frêle constitution, si précautionneusement qu'il lui fallu une éternité pour traverser le maigre couloir desservant les appartements. Ce n'est que lorsqu'elle parvint enfin à s'enfermer dans la cabine du tueur, goutant l'illusoire sécurité d'être parvenue à son premier objectif, que la donzelle s’aperçut qu'elle retenait son souffle depuis plusieurs minutes.
Ses yeux noirs sondèrent les environs, la Lune claire perçant à travers la fenêtre l'assistant dans cette tâche, jusqu'à repérer le cuir brun élimé d'un sac de voyage. S'efforçant de maitriser le tremblement fébrile qui gagnait ses doigts, ses bras, et menaçait de se propager à toute sa personne, l'intrépide entreprit d'écarter les effets personnels du brigand à la recherche d'un quelconque objet qui saurait l'accabler. Négligeant les rations de voyage rances, l'arsenal de rechange et les quelques possessions de moindre importance, elle s'intéressa plus volontiers au fond de la besace... Un sourire léger traversant son visage lorsque ses ongles, experts en coutures de par son métier, y rencontrèrent une poche cachée. Plusieurs parchemins, craquants sous le poid de l'âge ou souples encore, se distinguèrent alors. Se saisissant du premier qui vint se glisser dans sa main, l'infante le porta à hauteur du regard, plissant les paupières pour déchiffrer l'écriture nerveuse et torturée qui caractérisait l'homme, sa bouche s'entrouvrant au fur et à mesure des lignes parcourues...
Archybald, l'armée...
Trahison. Il fallait avertir Agnès de toute urgence !

C'est alors que, s'arrachant à la contemplation du vélin qui avait accaparé toute son attention, la jeune femme s'avisa d'un souffle. Lent et chaud. Qui lui caressait la nuque.

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« Ne confondez pas le sombre avec l'obscur. L'obscur accepte l'idée de bonheur; le sombre accepte l'idée de grandeur. »
Victor Hugo

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