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[RP] La route semée d'épines

Clemence.de.lepine
La vie vous offre des surprises : souvent mauvaises, parfois bonnes. Clémence ne parvient pas à les apprécier. Elles ne font que la troubler, elles brouillent ses repères, déstabilisent son monde et éprouvent l'impassibilité de son âme.

Mais aujourd'hui était jour de victoire. Et bien qu'on lui ait appris, plus jeune, que crier victoire trop vite était la plus sotte des réactions, elle ne pouvait s'empêcher d'arborer la mine ravie de ceux qui savent qu'ils ont gagné. La surprise était bonne. Excellente. Elle avait attendu ce genre de lettre des années durant. Elle s'était mise, même, à ne plus l'espérer, elle s'était résignée à l'idée de ne jamais pouvoir remédier à sa colère et à ses peurs.

Au pas de course, elle parcourait les couloirs de sa demeure de Decize, le fameux vélin à la main. Il fallait réagir. Vite. Avant qu'il ne s'échappe à nouveau. La lettre disait « peut-être ». Mais jamais on ne lui avait servi de « peut-être », jamais encore on ne lui avait dit qu'un homme du même nom que celui qu'elle recherchait avait été repéré. Jamais il n'y avait eu autant de détails concrets. C'était forcément lui. Enfin.

Arrivée à ses appartements, elle en claqua la porte derrière elle. Un instant, elle resta le dos appuyé contre le battant, tâchant de contrôler le tapage de son cœur et de se refroidir les sens. Une erreur, et c'était fini. Elle pourrait le perdre, ou se perdre elle-même, ou les deux à la fois. Prudemment, elle gagna sa table d'écriture, surveillant ses gestes, s'attachant à mesurer ses pensées, à contrôler le tremblement de ses mains, à rassembler posément toutes ses pensées.



Deux heures plus tard, elle en était toujours à réfléchir. Les paumes à plat sur le bois brûlant – où était-ce la peau de ses mains, qui suintait de chaleur – elle avait les yeux rivés sur la table, perdue dans des réflexions qui lui courbaient les sourcils et lui martelaient le front. Enfin, elle releva la nuque, poussa un soupir, attrapa plume et encrier et coucha quelques mots insipides et quelconques sur le vélin.


Citation:
Monsieur,

J'ai entendu parler de vous. Votre aide me serait précieuse pour une affaire qui requiert les services d'une personne de votre trempe.

Pouvez-vous vous rendre à Paris ? A mes frais, cela s'entend.

Cela s'entend, également, que je saurai me montrer reconnaissant : pour répondre à mon appel, et pour réussir dans ce que je vous demanderai.

Comprenez mon anonymat.

A vous voir.

Nobles salutations.



Pas de scel, rien qui puisse la trahir, même son écriture, involontairement, n'était pas la même : elle y avait mis une espèce d'application attentive qui arrondissait ses lettres d'ordinaires tranchantes et modelées à la hâte. Elle appela l'intendant, homme de confiance, et lui donna le pli, ainsi que de l'or.

Donne ceci à quelqu'un en qui tu crois. Qui la donnera à quelqu'un en qui il croit mais que tu ne connais pas. Il ne lui donnera que le nom du destinataire de la lettre et le lieu où il peut le trouver. Donne au premier assez pour qu'il t'écoute et t'obéisse. Donne-lui aussi assez pour le dernier, mais moins, pour que le premier ne se sente pas lésé. Assez, pourtant, pour que ce dernier puisse aller, revenir, et se sentir gagnant de l'histoire. Cela fait beaucoup d'argent.

Elle s'arrêta un instant pour réfléchir.

Promets-leur en davantage s'ils me ramènent une réponse. De la même façon, mais à l'envers. Et si je n'ai pas de réponse et que je me sens moi-même lésée, c'est toi qui devras me rendre des comptes.

Elle sourit, hocha la tête. Il fallait que tout se déroule normalement.

Sinon, c'est elle qui irait en Guyenne le sortir de son trou. Elle était prête à le faire. La colère, et la haine, autorisaient bien des choses.

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Iban
La bonne ville de Montauban était tombée aux mains du Duc. La nouvelle était sur toutes les lèvres à la Teste en ce pâle matin d’octobre. Iban, seul dans la chambre d’une modeste auberge, faisait les cent pas comme un fauve en cage. Il était peut être temps pour lui de reconsidérer le camp auquel il prêterait ses armes à l’avenir. L’argent et la survie, il le savait, se trouvait du côté des vainqueurs. Sans doute était-il temps de se compromettre plus avant pour la cause de sa grâce Archybald. Néanmoins, la lenteur de la guerre, la fatigue des belligérants et la pénurie de vivres et d’or qui ne tarderait pas à se faire cruellement ressentir de part et d’autre du vaste champ de bataille français lui faisaient présager que la paix menaçait d’arriver. S’il trahissait les Réformés et que la paix venait imposer la fin des combats avant que ces derniers aient été bel et bien anéantis, il aurait à ses trousses bien plus d’ennemis qu’auparavant. Le Basque était indécis et abhorrait cette indécision autant qu’il la redoutait. Il fallait s’engager. Son escarcelle serait bientôt vide. Certes, mais aux cotés de qui ? et avec quelle audace ? N’y avait-il point quelque autre voie pour ménager tant Montauban que Bordeaux.

Il était onze heures moins le quart lorsque le salut se présenta enfin. L’on toqua et une voix qui lui était tout à fait familière retentit derrière la porte :


« Hé ! Vieux greffier, du courrier pour ta pomme. »

Etxegorry fit tourner le loquet de sa chambre et entrer Bordebaste, l’irrévérencieux marmot de douze printemps à peine qui lui servait d’écuyer de fortune. Bordebaste, le regard plein de malice et le sourire insolent, lui tendit ledit message en singeant une révérence:

« Votre Grandeur… »

Iban lui arracha des mains avec impatience et le parcourut des yeux. Il tenait enfin entre ses mains la solution de son dilemme. Feindre la disparition et revenir lorsque l’avenir politique de Montauban et de sa clique s’avèrerait plus clair. Que n’y avait-il pensé plus tôt ? Entre temps, quelque ouvrage de la part d’un généreux commanditaire ne manquerait pas de subvenir à sa faim. Sans plus tarder, il se mit à son bureau et traça quelques mots de sa plume émoussée sur un vieux morceau de parchemin :

Citation:
Retrouvez-moi le 10 de novembre, rue de la Vieille-Boucherie, Caveau de la Harpe, dix heures du soir sonnantes. Seul et avec une avance. J’espère que vous ne me faites point déplacer pour rien.
Votre dévoué serviteur,
I. E.



Puis, se levant brusquement de son siège, il tendit sa missive au garçon.

« Cours porter cela à celui qui t’as donné cette lettre et retrouve moi dans une heure à la porte nord avec de quoi manger pour ce jour. » lui dit-il en poussant fermement sa tignasse rousse et grasse vers la porte.

« Bien, bien, vot’Seigneurie de mes deux… » rétorqua l’autre

« Déguerpis, putakume* ! »

La navaja du Basque vint siffler au dessus de la tête insolente tandis que celle-ci se déformait en d’obscènes grimaces à l’adresse du mercenaire. Le gamin s’en fut bientôt et le Basque alla récupérer sa lame, plantée dans le bois de la porte.

Ne restait plus qu’à faire ses adieux à la Guyenne, avant que de partir profiter des plaisirs de Paris. Si ce mystérieux commanditaire ne s’avérait qu'un fieffé coquin, Etxegorry trouverait bien quelqu'autre vache à lait en la vaste capitale.




* "rejeton de femme de mauvaise vie" mais en basque...
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Clemence.de.lepine
[Auberge du Chêne Royal, Paris]
Soirée du 7 novembre


Trois jours. Il ne lui restait plus que trois jours pleins pour finir de songer au déroulement des prochains évènements. C'était court, et il n'était pas question de laisser place à une improvisation quelconque. Alors le jour, elle réfléchissait, et la nuit, elle faisait des rencontres.

La rencontre de ce soir était la plus importante. Tout, ou presque, dépendrait de celle-ci.

C'était ce à quoi elle pensait, attablée dans un coin de la salle principale de l'auberge. Seule, sans vraiment l'être, car deux de ses hommes se trouvaient ensemble à une table à proximité, tandis qu'un troisième était assis près de l'entrée. Elle ne se trouvait pas dans un de ces lieux mal famés dont Paris pouvait regorger. L'auberge était bien tenue, et la clientèle, si elle était avinée et bruyante, n'en était pas moins convenable. Mais elle avait appris à se montrer prudente, peu importait l'endroit et les circonstances.

Clémence attendait. Elle était arrivée en avance, non par habitude - pas vraiment pas habitude d'ailleurs - mais afin de pouvoir étudier de loin la personne qu'elle guettait, lorsque celle-ci franchirait les portes. Les nerfs à vif, elle lisait et relisait la réponse du mercenaire. Elle aurait préféré dicter elle-même ses conditions. Mais elle s'arrangerait de ces dispositions.

Elle tenta de noyer une quinte de toux dans quelques gorgées de vin chauffé aux épices. La boisson lui brûla la gorge et un spasme cuisant lui souleva le coeur. Une main devant la bouche, elle ne parvint à maîtriser sa toux qu'au bout de longues et douloureuses secondes. Les insomnies de ses dernières nuits lui donnaient de la fièvre et des sueurs aigres, mais pas une fois elle ne venait à regretter les décisions prises récemment. Elle se contentait de masquer son teint blafard et de consommer ses décoctions de coquelicot qui lui apaisaient les poumons et l'esprit.

Relevant son regard brillant vers l'entrée, elle pensa qu'elle ne tarderait plus. Et cette pensée lui arracha un doux sourire.

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Anaon
[ Auberge du Chêne Royal, Paris ]
    - Soirée du 7 Novembre -

    L’enseigne tangue doucement dans la brise nocturne. L’automne est bien décidé à reprendre ses droits. Déversant averses et bourrasques qui sifflent sur les places en un tourbillon de feuilles mortes, il a repeint le pays en gris et en rubis. Paris n’est pas en reste et Elle, d’originaire peu frileuse, ne manque pas de se les cailler dignement. D’une main elle redresse le col de son manteau pour se couvrir le bas du visage. Luttant contre le vent qui lui souffle dans le dos, au croisement d’une ruelle, elle observe l’écriteau qui se balance.

    Nouvelle auberge, nouvelle aubaine.
    La missive qui lui fut apportée eu bien du mal à la déloger de sa chambre. D’une humeur inqualifiable, perdue dans des états complètement contradictoires, rien ne semblait pourvoir la sortir de son mutisme macabre. Après mainte relecture, l’appât du gain et l’envie de changement à fait son travail… Tout comme cette attirance malsaine pour le danger. L’envie de jouer avec le feu dans l’espoir inavouable de s’y bruler, une bonne fois pour toute.

    L’alcool qu’elle avait arrêté de boire à de nouveau fait ses ravages, marquant un peu plus les traits spartiates de cette femme au visage sans âge. A l’ombre des ruelles, c’est ce même visage qu’elle traine, glacial, lui sur lequel ce lit toute son histoire. D’une dignité passée à une décadence présente, passant par la cicatrice d’une hérésie chèrement payée. L’Anaon est pareille à ruine qui s’effrite sous l’assaut des âges, mais gravée à même la montagne elle demeure, vigoureuse et implacable.

    Le poing résolument fermée contre son ventre se détend. La balafrée se décolle de son appui et d’une démarche mesurée, saccadée par une boiterie subtile, elle traverse la rue qui la sépare de l’auberge. Une main se pose sur le boise et la porte s’ouvre avec la langueur d’un soupir.

    Choc des rires qu’elle se prend en pleine tête. Claque du bruit qui contraste avec le silence des ruelles vides. Elle laisse la porte se refermer doucement derrière elle. Les azurites s’empressent de balayer la salle d’un regard calme. A elle d’avancer lentement, les mains s’afférant à défaire un à un les boutons de son manteau, révélant un gilet de cuir parfaitement ciré et le col d’une chemise impeccablement blanche. Elle prend l’air anodin d’une femme cherchant simplement une table, mais dans çà tête s’en est tout autre. Elle cherche une table bien précise à laquelle sera assise une personne complètement inconnue, mais toute particulière.

    Déambulant entre les tables avec une nonchalance toute feinte, elle guette l’indice, le signe, le regard qui voudra tout lui dire.

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Images originales: Victoria Francès, Concept Art Diablo III ----[Clik]
Clemence.de.lepine
Et enfin, elle entra. Fidèle à ce qu'on lui en avait décrit. Rien ne lui échappa, de l'impassibilité de son regard, à la désinvolture de sa démarche. Du coin de l’œil, elle regarda la cicatrice qui balayait son visage anguleux. Elle l'observa frôlant les tables, indifférente, presque superbe, s'il n'était cette légère boiterie qui cassait l'assurance de son allure. Cette femme avait vécu, on ne pouvait dire quoi, on n'avait pas envie de le savoir, importait simplement le fait qu'elle semblait traîner un passé, l'arborant avec une dignité qui ravissait l’Épine. Elle avait envie d'applaudir, de la héler, de complimenter tout fort le personnage et de lui demander comment elle faisait pour porter sur son visage déchiré une telle intemporalité, qui la rendait impénétrable... et fascinante.

Elle reprit une gorgée de vin, attendit que l'étrangère passe à sa hauteur pour la retenir délicatement par le poignet. Levant vers elle ses prunelles claires et paisibles, elle lui sourit, d'un sourire pur et inoffensif. Sans autre dessein que de se montrer aimable.


Je recherche quelqu'un qui aimerait jouer pour de l'argent.
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Anaon
    La mercenaire continue de déambuler entre les tablées, en quête de son commanditaire. Elle scrute chaque visage cherchant à déchiffrer le moindre sourire, le moindre battement de cil. Le manteau est ôter, dévoilant nonchalamment la dague solidement fixée contre sa cuisse droite, puis il est posé sur son avant-bras, même bras qu’une poigne douce vient saisir.

    Je recherche quelqu'un qui aimerait jouer pour de l'argent.


    Le visage de la femme se tourne pour poser son regard sur une toute jeune noble. Elle plonge un instant ses pupilles insondables dans celles qui la fixent. D’azur à azur. L’ombre d’un sourire vient lui faire frémir les lèvres.

    _ Je crois que Ma Dame à trouver une joueuse toute désignée.

    Avec la même délicatesse dont il fut saisit, le poignet se dégage de la main féminine. La balafrée vient prendre place sur la chaise qui fait face à son employeuse. Manteau abandonné sur le dossier, l’Anaon s’empresse de chercher discrètement du regard les chaperons de la demoiselles avant même de s’intéresser à elle. Peut être lui là, qui la surveille du coin de l’œil. Son repérage rapide effectué, la balafrée prend alors soin de détailler la jeune femme qui lui fait face. Et de jeune femme il est question car elle ne semble pas bien âgée. Une certaine tension semble tirer les traits de son visage qu’elle croirait paisible en temps normal, et au vue de son allure, elle semble être de très bonne extraction.

    _ En quoi puis-je être utile Ma Dame ? On a été parfaitement capable de me trouver, mais bien peu à me répondre…

    Dans le monde des mercenaires on fait fi des politesses et la conversation commence toujours par la description du bourbier dans lequel on est censé foutre les pieds. Pour la peine, voilà une affaire dont elle ne connait encore rien. Le regard de la balafrée s’accroche aux lèvres de son interlocutrices tandis que sa dextre vient se poser sur son gilet férocement serré.

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Clemence.de.lepine
La regardant s'installer, Clémence lève une main et réclame un godet pour la nouvelle arrivante. Elle esquisse un sourire aux paroles d'Anaon, ses doigts fins tambourinant le bois de la table avec une nervosité non dissimulée. Elle ne sait pas vraiment par où commencer, alors qu'elle s'est des dizaines de fois répéter cette entrevue. Ce qu'elle aurait à lui dire, ce qu'elle lui cacherait pour le moment. Les réactions qu'elle pourrait escompter et celles qu'il lui faudrait éviter de provoquer. Ses yeux se plantent dans ceux de celle qui lui fait face et elle arrête la danse de ses doigts. Les paumes bien à plat, elle se penche très légèrement en avant, de sorte que, malgré le brouhaha ambiant, elle n'ait pas besoin de trop élever la voix.

Avant toute chose, pouvez-vous me dire si vous connaissez un certain Iban Etxegorry ? Elle ne bute pas sur le nom pourtant basque : l'écrire et le dire, elle le sait parfaitement. Des années, qu'elle se le répète, qu'elle en rêve, même. D'un geste saccadé, elle attrape la missive, épave lamentable échouée à proximité de son bras droit. Le vélin est taché, froissé, et l'encre, barbouillée de vin, a si bien coulé que parfois les lettres se confondent, obligeant le lecteur à deviner le mot plutôt qu'à le lire véritablement.

Si non, s'il vous est inconnu, je vous embauche définitivement et vous irez à sa rencontre. C'est lui qui a écrit cela. Elle s'interrompt, tourne un moment la tête vers la salle, la parcourt du regard, alerte, et puis revient à son interlocutrice. Si vous avez besoin que je vous la lise, dites-le moi. Je la connais par cœur. ajoute-t-elle précipitamment.

Et puis elle se recule, se laisse tomber contre le dossier de sa chaise et enfoui ses mains dans son giron. Elle garde un petit sourire au coin des lèvres. Ça n'est pas tout, elle n'a pas fini, elle a encore des consignes à donner. Mais il faut d'abord qu'elle sache que jamais, Anaon n'a eu à côtoyer l'auteur de la lettre.

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Anaon
    Iban Etxegorry. Le nom laisse la balafrée pensive et elle cherche dans le moindre recoin de sa mémoire le souvenir d’un nom semblable. Voilà qu’elle n’a pas le temps de répondre à la négative qu’un bout de vélin lui est tendu. Un regard pour la jeune femme et le suivant vient se poser sur le morceaux de papier qu’elle fait glisser sur la table pour le ramener à elle. Les azurites décryptent - plus qu’elle ne lisent - l’écriture masculine. Rue de la Vieille-Boucherie. Caveau de la Harpe. Un plan de Paris se dessine à l’intérieur de son crâne.

    Si vous avez besoin que je vous la lise, dites-le moi. Je la connais par cœur.

    L’Anaon relève sur la noble un regard inexpressif. Non merci jeunette, on dirait peut être pas comme çà, mais j’suis pas une tanche, loin de là. A l’instar de son interlocutrice, la femme prend appuie contre le dossier de sa chaise, le bout de vélin toujours coincé entre son pouce et son index. Silence. Les azurites viennent une fois de plus trouver le visage auréolé de blond qu’elle détaille sans aucune pudeur. Bien que rien ne la trahisse, elle s’amuse du constat. Dans le monde des commanditaires, il y a deux classes. Les premiers sont ceux qui sont galvanisés par leur vengeance, haranguant les foules de cupides sans aucune prudence, près à hurler le nom de leur victimes sur tous les toits sans précaution aucune. Puis il y a ceux qui sont qui ont l’angoisse qui leur ronge le visage, fébrile, presque hésitant et timide dans leur demande. On entendrait presque trembler leur entrailles. Sourire pensé, mais qui ne s’affiche pas sur les joues éventrées. Elle se penche légèrement pour se faire entendre.

    _ Je n’ai jamais entendu parler de cet homme, Dame. Ni même de vous. Je comprend parfaitement votre anonymat originel, mais sachez que si je venais à accepter votre offre je voudrais en premier lieu pourvoir placer un nom sur votre visage. Comprenez que j’aimerais savoir à qui devrais-je porter réclamation s’il y a un quelconque problème avec ma solde.

    L’Anaon n’est pas mercenaire pour rien, que les choses soit clair dès le départ. Sa motivation première: l’argent et elle veut s’assurer que la jeune noble sera prête à la payer et lui donner son nom sera déjà un premier engagement. Il suffit d’un nom pour détruire une vie. Rouler une mercenaire et les représailles seront sévères. Faut il encore qu’elle ne lui mente pas sur son identité.

    Le godet mandé arrive sur la table et l’Anaon s’en saisit dans un mouvement de tête pour remercie la jeune femme. D’un geste mécaniques elle fait rouler le verre entre ses doigts.

    _ Vous voulez que j’aille à la rencontre de cet homme? Soit. Il va bien entendu falloir m’en dire bien plus sur ce que vous attendez de moi. Mais avant tout, qui est cet Iban?

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Clemence.de.lepine
Sourcils froncés et lippe narquoise, elle se laisse observer. Elle apprécie son franc parler, hochant la tête quand elle évoque son anonymat et lui retournant un regard mordant. Elle laisse un moment le silence s'installer entre elles, croise les bras, se mordille la lèvre, jauge l'Anaon et finalement, sourit. Ici, elle abandonne ses manières de Marquise, son ton méprisant et son regard hautain. Ici, elle n'en a pas besoin car pour obtenir ce qu'elle veut, il lui suffit de montrer bourse pleine. Les mots ne servent pas à grand chose.

Je me contrefiche de vous donner mon nom. Je peux même vous donner ma généalogie entière et les prénoms de mes futurs enfants, si vous le souhaitez. Car votre solde, vous l'aurez. Travail bien fait, vous serez gâtée, travail bâclé, vous me rendrez la monnaie.

Clémence se redresse, écarte légèrement les mains en signe de paix : il ne s'agit pas d'une menace. Car la mercenaire sait déjà à quoi s'en tenir. Si elle craint d'être dupée, il en va de même pour la commanditaire. Il n'y a pas de confiance, dans ce genre de relation. Simplement de l'instinct. Et en parlant de confiance...

La seule chose que vous aurez à faire sera de raconter une histoire, et de la vivre. Dit-elle. Et, effectuant un geste vague de l'index en direction de la balafre, elle ajoute. Cela nous servira grandement.

Posant les coudes sur la table, elle lime d'un coup de dent un ongle rebelle.

Il faudra que vous lui donniez assez confiance, qu'il ne voit que votre fragilité, votre douleur et votre désir de vengeance. Ou plutôt de justice... cela ira mieux. Et conviendra davantage à l'image de cette noble vulnérable et sensible que vous incarnerez. On ne se venge pas, on fait justice. C'est pure hypocrisie. Bref. Pour être claire, vous irez à ses devants et interprèterez mon propre rôle. Vous lui confierez une affaire. Vous le suivrez pendant toute la durée de sa progression, lui donnant quelques pistes, le semonçant. Le piégeant. Le but n'étant pas de le prendre ou de le tuer, cela serait trop facile... Le but étant de jouer, donc, et de le forcer à se souvenir.

Elle boit une gorgée de vin, tiède maintenant, fait la grimace, et une fois le gosier hydraté, reprend la parole en haussant les épaules.


Qui il est... Peu importe. Il ne mérite pas que l'on s'y attarde. Gardez simplement à l'esprit qu'être découverte trop tôt - que ce soit vous, ou moi - anéantirait mes plans. Cela me coûte de l'admettre, mais il est malin, et il a la main leste. Je ne vous dirai pas, donc, que le danger est inexistant mais cela, sans aucun doute, ne vous effraiera pas.

Elle se replace contre le dossier et désigne du menton les deux hommes attablés à proximité.

Ces deux-là travaillent pour la Marquise de Nemours. Moi-même. Lâche-t-elle d'un ton léger. Combien réclamez-vous pour vos services ?
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Anaon
    La mercenaire écoute, attentive, lèvres trempées dans son godet. C’est que mine de rien, elle semble avoir du caractère la donzelle. Pas un tempérament sanguin prompt à s’emporter, non, mais elle semble nimbée d’un calme autoritaire qui force l’écoute. Au final, ce sont toujours ceux qui braille le plus que l’on écoute le moins.

    La seule chose que vous aurez à faire sera de raconter une histoire, et de la vivre


    Perplexe les sourcils se froncent et quand le doigt se tend vers son visage ses lèvres arrêtent de boire pour s’alanguir sur le rebord du godet. Vient alors l’explication des ses desseins. Au début l’Anaon ne fait preuve que d’un intérêt professionnel , attentive au discours sans le comprendre réellement, mais au bout d’un instant une lueur tout autre s’éclaire dans ses prunelles. Le gobet retrouve la table tandis que les coudes s’y posent et que le visage se love contre les mains croisées. Elles boit chaque parole, tissent les informations dans son esprit et déjà la toile se profile à l‘horizon.

    Parfaitement immobile, azurites figées dans le regard azurée de la noble, elle ne scille pas quand elle boit, ni quand elle lui désigne deux de ses hommes, ni même lorsqu’elle lui donne son nom.

    Après le discours vient le silence.

    Expression figée dans une concentration absolue l’Anaon ne répond pas immédiatement tandis que derrière les barrières de son crâne l’esprit s’emballe.

    _ Vous voulez que je le dupe en prenant une fausse identité…

    La phrase sort dans un murmure plus destiné à elle-même qu’à la commanditaire.
    Le plan est des plus vicelard. Fourbe. Subtile. Splendide. Il ne s’agit pas de meurtre, ni même de torture, mais d’une vengeance plus raffiné et malsaine: l‘humiliation qui suit la manipulation. Qui a-t-il de pire qu’une blessure à l’âme? La mort n’a pas d’impact et les plaies du corps au final ne laisse qu’une trace bien futile. Ce qui nous hante, c’est la raison qui leur a donné naissance. Ce qui torture, c’est l’erreur, pas la punition. Anaon ne sera pas celle qui en dira le contraire. A cet instant la femme voudrait complimenter la noble pour son plan, en toute innocence, telle une joueuse de carte qui féliciterait sa comparse pour un coup bien joué. La mercenaire se garde pourtant de tout commentaire.

    Lentement, les mains se délient et la senestre vient trouver le plat de la table alors que la dextre s’empare du gobet de vin.

    _ Si je comprend bien, vous voulez vous venger de cet homme en le tourmentant psychologiquement et ce, en l’incitant à se remémorer un certain souvenir. Pour cela vous voulez que je me fasse passer pour la commanditaire qui est à l’origine de cette réponse.

    Une gorgée vient rincer son palet.

    _ «Votre dévoué serviteur », se sont ses mots. Qu’est-il? Un mercenaire lui aussi ? Je veux bien vous croire lorsque vous dîtes qu’il ne mérite aucun intérêt, mais je dois absolument savoir à qui j’aurais à faire. Il en va de la réussite de cette mission. D’où vient il? Où être vous aller le chercher? Est-il de Paris? Pour que ce mensonge fonctionne parfaitement je ne dois rien laisser au hasard. J’aurais aussi besoin de savoir ce dont il doit se souvenir. Est-ce votre seul nom ou bien quelque chose de bien précis? Tout cela vous pouvez me le transmettre par écrits, demain, si vous le souhaitez. Mine de rien dans une taverne, les oreilles, çà trainent.

    L’Anaon se tait, quelque seconde le temps de laisser la Marquise ingurgiter son pavé de phrase avant de reprendre de sa voix placide.

    _ Pour l’argent… ce sera 30 écus par jour à votre service ainsi qu’une prime première de 70 écus et celle-ci est pour ce soir. C’est une véritable filature que vous me demander. Jour et nuit je serais à votre service. A chaque rapport que je vous transmettrais je veux voir la couleur de l’argent qui me sera du. Cela vous convient-il?

    Regard perçant de la balafrée qui ne lâche pas la marquise. Aucune insulte, aucune provocation. Un simple regard qui témoigne de sa détermination à la satisfaire mais qui trahit aussi sa rudesse en affaire.

    _ Dernière chose, lui avez-vous déjà décrit une mission dont il devra s’acquitter? Ou ai-je carte blanche de ce coter là?

    Inventer une vie. Inventer une histoire. Inventer? Peut être pas entièrement…
    Tu veux un mensonge? Je lui raconterais le mensonge le plus vrai. Je lui conterais la douce histoire de ma vie.

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Images originales: Victoria Francès, Concept Art Diablo III ----[Clik]
Clemence.de.lepine
Le tourmenter psychologiquement ? Elle prit une moue songeuse. Etait-il homme à se laisser tourmenter ? Sans doute que non. Le terme n'était pas exact. Elle aimait mieux celui de "jouer". Elle aimait mieux se dire que loin de le tourmenter, la chose l'intriguerait, l'embarrasserait, le rendrait colère. Elle aurait aimé, oui, lui faire subir les peurs qu'il lui avait fait subir mais un homme fait et de son acabit ne pouvait, impossible, ressentir ce qu'une enfant de douze ou treize ans avait pu ressentir.

On ne s'en prend pas aux enfants. fit-elle, entre ses dents, après s'être un instant délectée du vin qu'on venait de leur resservir, et des paroles de la mercenaire.

Elle se souvenait d'Aléanore, du soin qu'elle avait pris à entourer tous ces enfants de son affection. Elle-même parvenait de moins en moins, à mesure que le temps passait, à les ignorer et à les mésestimer. Car non, on ne pouvait s'en prendre aux enfants. Et elle avait beau se dire que l'autre n'était qu'un mercenaire, que ce jour là, il avait sûrement obéi aux ordres d'un plus puissant, personne, personne n'avait pu lui dicter sa conduite envers elle. Il aurait pu juste fuir. Il aurait pu mourir. Au lieu de se faire prendre.

C'est un mercenaire. acquiesça-t-elle à regret. Comment pouvait-elle s'intéresser à une bête de son espèce ? Elle l'avait dit, il ne méritait pas qu'on s'attarde sur lui, il ne méritait donc pas qu'on s'amuse avec. Il était chien, il devrait mourir en chien, abattu, noyé, qu'importe. Pourquoi tant d'argent, à dépenser pour lui ? Qu'en retirerait-elle ? C'était son goût du jeu, de la farce, et rien d'autre. Car à la fin, elle le savait, il la toiserait de haut, insoumis, et pas l'ombre d'un remords ne viendrait s'attarder dans son regard.

Il lui donnerait l'occasion de matérialiser sa colère.

Elle lui ferait bouffer sa langue, ses yeux, s'il s'avisait de mal s'en servir.


Ecoutez son nom. Iban Etxegorry. C'est un basque. On me l'a déterré à Montauban. Vous avez dû en entendre parler. Elle haussa le sourcil. Patrie d'hérétiques.

Elle poussa un soupir et se recala sur son assise. Les paupières lourdes, elle s'efforça de garder l'esprit ouvert. Que pouvait-elle lui dire d'autre.

Il doit connaître Paris, pour pouvoir nous préciser ainsi le lieu du rendez-vous. Je n'en sais à vrai dire pas beaucoup sur lui. Pour tout vous avouer... je ne suis pas même encore certaine qu'il soit bien celui que je cherche. Il en a le nom, certes, mais qui nous dit qu'ils ne sont pas plusieurs à porter le même ? La coïncidence serait étrange, en effet. Mais pour être sûre du fait... Elle se rapprocha de l'Anaon et lui souffla la suite. Je vous accompagnerai le dix novembre. Nous serons d'abord cachées à l'angle du Petit-Pont. Peut-être viendra-t-il par ici, du nord, en ce cas nous le verrons et tout sera bien. S'il ne vient pas par ici et que le temps passe, vous irez là où il a dit et vous vous arrangerez pour l'amener vers moi. Dites, par exemple, que vous voulez lui montrer un endroit important de votre histoire. Il ne me verra pas, moi je le verrai, à la faveur de la lune - si Dieu daigne nous accorder un ciel clair - car l'endroit est assez découvert pour que je le reconnaisse - ou non. Inventez l'histoire qui vous plaira, il suffit qu'elle soit logique et assez affreuse pour que cela mérite votre vengeance.

La jeune Marquise eut un geste sans équivoque en direction de ses deux hommes. L'un d'eux se leva et vint jeter une bourse clinquante entre elles deux.


Cinquante écus maintenant. Vingt par jour car vous n'aurez pas à le filer trop souvent. Si vous me trouvez un ou deux complices d'ici demain, forts et malins, j'augmente les revenus journaliers à vint-cinq. Trente pour chacun des complices pour la manoeuvre que nous lui ou leur donnerons. Soixante autre écus pour vous à la fin plus 20 autres selon les risques que vous aurez dû prendre, éventuellement. Et je m'occupe de vos obsèques, le cas échéant. Conclut-elle d'un sourire amusé.

Pas d'écrit, rien de ce genre. Le dix novembre, vous lui direz qu'il peut trouver quelqu'un qui pourrait le renseigner, le lendemain, ou surlendemain. Là où vous pensez qu'il est facile de lui jouer un tour. Une rue, un taudis, peu importe. Pas de description de l'informateur en question. Dites lui qu'on viendra à lui. Vous vous y connaissez mieux que moi. Ensuite, je vous ferai appeler, et nous discuterons de la poursuite de tout cela. Il est préférable de ne pas tout planifier trop tôt. Les évènements sont changeants, nous pourrions avoir quelques déconvenues, devoir revoir certaines choses... J'attendrai vos conseils, que j'espère judicieux. Nous ne dormirons pas beaucoup.
Ajouta-t-elle dans un demi soupir.

A nouveau, elle fit un signe à l'homme qui était resté posté à quelques menus pas de leur table. Il revint, et y déposa un petit paquet. Jetant un coup d'oeil derrière son épaule pour apercevoir le tenancier et anticiper un mouvement d'inquiétude de sa part, elle dévoila la lame que cachait le tissu noir. Elle l'avait affutée presque chaque jour pendant des années, ce poignard. L'avait délaissé un moment pour le reprendre quelques jours plus tôt.


Si vous aviez à vous défendre, faites-le avec ceci. C'est un symbole. lui murmura-t-elle au plus près du visage.

Et pour cause, c'était la lame avec laquelle ce chien de malheur lui avait agressé la gorge.

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Anaon
    La marquise répond à ses questions avec une précision que la mercenaire apprécie à juste titre. Une pâle crispation la fige quand la noble lâche le mot hérétique. Du reste, elle acquiesce jusqu’à ce que le poignard arrive sur la table. Les azurites le contemplent d’un air presque grave. Il est troublant de constater avec qu’elle hargne nous cherchons toujours à conserver les reliques de nos souffrance. Une lame coupable. Une lettre qui trahit. Il suffirait de les jeter, de les oublier pour enfin tourner la page. Mais oublier, on ne veut jamais.

    _ Je pourrais vous laisser le plaisir d’en user vous-même… mais de cela nous verrons bien.

    D’un geste empreint de respect, elle recouvre le poignard de son tissu et le fait glisser doucement vers elle.

    _ Je marche avec vous. Pas de complice pour l‘heure, mais j’aviserais selon l’avancé des choses et notre besoin.

    Travailler en groupe, voilà une chose que la mercenaire abhorre plus que tout. Une personne de plus, c’est un problème de trop. Le regard de la balafrée vient se poser calmement sur la bourse qui s’est échoué sur leur table.

    _ Néanmoins je ne travail pas pour si peu. Seize écus. C’est ce que je peux me faire par jour à la mine. Vingt écus, pour labourer un champ. Pour une somme pareille, autant que j’aille pailler les boxes d’une écurie plutôt que de m’enfoncer dans une telle histoire. C’est trente écus. Sinon c’est vingt par jour, mais avec une prime de deux cents écus une fois le contrat achevé.
    Pour mes obsèques? Bien que je ne comptes pas mourir, je vous demanderais juste de ne pas me coller dans une tombe d’Aristote. Je me contenterais de la fosse commune… mais si vous prenez soin de me brûler je vous en serais vraiment reconnaissante.


    Ombre d’un sourire amusé. Implacable Anaon.

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Images originales: Victoria Francès, Concept Art Diablo III ----[Clik]
Clemence.de.lepine
Certes oui, elle pourrait en user elle-même. Mais avant d'en arriver là, il y avait du chemin à faire. A cette heure-ci, le Basque devait se reposer dans une quelconque auberge de province. En Orléanais, peut-être. Ou bien avait-il déjà pris ses quartiers à Paris, mais il aurait dû pour cela galoper trop vite et trop bien. Elle espéra que la gueusaille, pilleurs, brigands, déserteurs et voleurs de petits ou grands chemins, toute cette sale engeance que la guerre pouvait faire proliférer, ne lui avaient pas avant l'heure causé grand mal. Elle le voulait vivant et entier, alerte, jusqu'au bout.

Avec un soupir, elle dénoue agilement la bourse, trônant au centre de la table telle une relique qu'on ne pourrait effleurer que du regard. Qu'importait quelques écus de plus, ou de moins, il y avait là plus qu'assez pour satisfaire l'Anaon.


Comptez. Il y a à l'intérieur cent écus. Soixante-dix, comme vous le désiriez, plus une avance de trente écus sur votre salaire de demain. Si vous en voulez trente par jour, vous les aurez. Concernant votre solde... Permettez-moi d'attendre de juger par moi-même de la qualité de votre travail. Deux-cents écus... C'est une somme qu'on ne donne pas à n'importe qui. Vous aurez, sûr, les quatre-vingts écus que je vous promettais tout à l'heure. Pour le reste... nous verrons en temps voulu.

Elle se lève, et c'est à ce moment là qu'elle se souvient de sa fièvre. L'entrevue le lui avait fait oublier, toute à son attention de ne rien omettre et de jauger la mercenaire sans en avoir l'air. Et cette volonté, cette détermination dont elle avait voulu faire preuve, pour se convaincre elle-même du bien-fondé et de l'intelligence de l'affaire, tout cela lui avait coûté plus d'efforts qu'elle ne l'avait escompté. Elle ne rêvait que de rentrer, s'échouer entre les oreillers et dormir, dormir jusqu'à l'aube au moins, si ce n'était la matinée entière, ou tout le jour, même. Mais quand elle parvenait à trouver le temps de se reposer l'esprit, c'était ce même esprit qui l'empêchait de s'assoupir. Toujours à réfléchir, à programmer, tant et si bien qu'elle se relevait une heure après le crâne encore plus douloureux, les tempes encore plus chaudes.

A demain, donc. Avec le nom de votre homme, mais sans lui. Ici même, même heure.

Et d'un sourire, elle prend congé, ses hommes sur les talons, droite et sereine, malgré les coups de tambours qui lui martèlent le front.
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Iban
Il avait traversé les campagnes de France à bride abattue. Les bocages roux et or succédaient aux villages embrasés par la guerre. Sur les routes jaunies par l’automne, des colonnes lassées et miséreuses de paysans tirant charrettes et familles, s’enfuyaient à pas lourds vers de plus cléments horizons, laissant derrière elles leurs chaumes fumantes et leurs charniers nauséabonds. Etxegorry tachait d’emprunter tant qu’il le pouvait les sentiers les moins fréquentés, évitant ainsi les troupes armées et peu amènes. Le corbeau était roi en cette saison morbide. Souvent on en voyait tournoyer bruyamment autour de quelque hameau moribond, attendant patiemment que les carnages cessent pour pouvoir se repaître, sans crainte du chasseur. La nature même, comme affectée par les désordres haineux des hommes, semblait ne plus être féconde qu’en présages funestes. Les cadavres nourrissaient les blés et les champs s’abreuvaient de sang. Des pendus fleurissaient aux arbres. Chaque matin, à l’heure de remonter en selle, le Basque se demandait s’il n’avait pas pris trop de risque en laissant Bordebaste s’occuper seul d’accompagner son « hôte » jusqu’à Paris. Le gamin était sans doute le plus malicieux de son âge mais cette guerre-ci était sans précédent. L’heure étant néanmoins trop tardive pour se laisser bercer par ses scrupules, le Gascon n’en remettait pas moins le pied à l’étrier et poursuivait sa route à vive allure.

On était le dix novembre aux environs de quatre heures de l’après-midi lorsque, juché sur le flanc du Mont Rouge, le Basque aperçut enfin les tours de Notre-Dame. Une fois entre les murs de la capitale, le Basque s’en alla déposer ses effets à la Cour des Miracles, au bordel dit « des filles de Loth », établissement relativement coquet pour ce quartier et dont il connaissait fort bien la matrone, Hauviette- Beau-Têstins. S’y étant reposé et lavé, il s’en fut de par les rues parisiennes, songeur quant à son rendez-vous du soir.


Et voila que dix heures approchaient à grand pas. Diligentement, le Basque se rendit au Caveau de la Harpe.

« Gauthier, j’ai de la visite ce soir, il me faut du calme. J’occupe la salle basse. Si l’on vient pour moi, tu sais quoi faire. »

Gauthier, affable tavernier, hocha la tête d’un air entendu. Le Basque traversa la salle principale pour atteindre l'accès à l’arrière-salle que ne protégeait qu’un rideau. Dans l’arrière-salle se trouvait le Maure, un colosse des Barbaresques, à la peau plus noir que la nuit, ancien esclave auquel on avait coupé la langue et les oreilles et que Gauthier entretenait en échange de son service comme homme de main. Nul n'aurait su dire si c'était sa carrure imposante ou son regard meurtrier, dont la dureté n'était qu'aggravée par ce silence impénétrable, qui rendait le Maure effrayant.

« Bien le bonsoir, l’Ami. Je vais recevoir du monde en salle basse. Je compte sur tes bon soins pour que personne ne vienne nous déranger. »

Le colosse, muet, souleva la lourde trappe qui menait à la salle basse. Le Basque lui donnant une piécette, disparut alors dans le sous-sol du caveau.
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Clemence.de.lepine
[Paris, Petit-Pont, Côté Sud]
Nuit du dix Novembre


Abritée à l'ombre du Petit-Pont, Clémence épiait, aux côtés d'Anaon, les allées et venues des uns et des autres. Comme elle s'y était attendue, il lui était impossible de repérer parmi tous ces encapuchonnés le visage qu'elle espérait – et redoutait à la fois. L'adage qui prêtait le même gris à tous les chats une fois la nuit tombée était fondé, et si cela n'entravait pas vraiment ses plans, il fallait bien avouer qu'elle s'en trouvait contrariée. Elle aurait voulu, dès avant dix heures, être fixée, certaine, et sentir l'adrénaline lui gagner doucement le sang en captant le regard félin, aperçu de trop près il y avait quelques années. Seulement, ces fameux chats, en plus d'être tous gris, se faufilaient partout, souples et imprévisibles. Son chat à elle pouvait fort bien être passé par le Pont Saint-Michel. Il pouvait tout aussi bien être arrivé directement du sud, et de la rue du Foin*, ou de l'ouest, par la rue Saint-Séverin, avoir gagné la rue de la Vieille-Boucherie**.

Sur l'Ile de la Cité, dont elles étaient séparées par un bras de la Seine, les cloches de Notre-Dame sonnaient langoureusement les dix heures et elle n'avait rien vu venir de probant. Quelques silhouettes alertes, plus ou moins louches, plus ou moins ivres, plus ou moins riches. Rien de plus. Pourtant, elle s'était convaincue de pouvoir, au premier coup d'oeil, de dos et même à plus de vingt pas, le reconnaître. S'il était effectivement passé par ici, alors, elle s'était surestimée.

De ses lèvres entrouvertes, elle expira un bruyant soupir, matérialisant sa furieuse déception par de volatiles et éphémères volutes de fumée blanche. L'air était presque aussi glacial que l'attente était insupportable. Elle jeta un œil en direction de la mercenaire et s'autorisa un menu sourire. La tenue dont elle était vêtue avait été empruntée à la garde-robe de sa mère, toujours intacte. Rien de trop ostentatoire : une robe de velours de soie d'un bleu profond, soulignée à la taille par une large ceinture ornée de broderies argentés et partiellement dissimulée sous un grand Mantel gris, attaché par un fermail d'argent délicatement ouvragé, doublé de fourrure de menu-vair – preuve la plus évidente de la richesse supposée de la Dame. Cette robe ne lui rappelait aucun souvenir, et cela aussi la frustrait. Quand elle avait cherché de quoi vêtir noblement l'Anaon, elle s'était attendue à ce qu'une foule d'images issues du passé lui reviennent en mémoire. Mais non. Pas tant que cela. Ce n'était qu'un vêtement.


Il va falloir y aller. Murmura-t-elle pour la balafrée. Elle fit un geste en direction d'un homme parmi trois autres, tout aussi cachés qu'elles, mais plus en arrière encore. Celui-ci vous servira d'escorte. N'oubliez pas : je vous attends ici. Essayez de me l'amener au plus près, sans pour autant me mettre en danger. N'insistez pas si cela vous semble trop délicat : il faut à tout prix qu'il vous fasse assez confiance pour la suite. Ne le brusquez pas, ne le faites pas déjà se poser de questions. Vous me le décrirez, si vous ne parvenez pas à me le montrer.

Elle ne savait combien de temps la rencontre durerait, et elle pouvait s'attendre à passer beaucoup de temps ici, à patienter, patienter encore, avec ce froid qui lui mordait la poitrine et réveillait ses douleurs pulmonaires. Mais qu'était-ce, attendre une heure, ou deux, ou trois, glacée jusqu'aux os, quand on avait attendu plus de six ans, l'âme en feu, se consumant de la rage de ne pouvoir se venger ?


*Court tronçon du boulevard Saint-Germain actuel, entre la rue Saint-Jacques et le boulevard Saint-Michel. Si la Wiki-source est correcte.
**Rue de la Harpe (ou peu s'en faut)

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