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[RP] Puisque rien ne dure.

Aldraien
« Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu. » *

Troisième ou quatrième jour devant les remparts de Poitiers, on finit par s’y perdre tant les journées à la guerre semblent être les mêmes. Le siège est bel et bien installé, les forces royalistes harcèlent chaque jour un peu plus les défenses de la Capitale Poitevine, les enfonçant à chaque nouvel assaut pour les forcer à sortir de leur trou.
Parmi les hommes et les femmes qui se battent, ils sont là, les Limousins. Une grosse dizaine d’hommes et de femmes menés par un Capitaine et un Connétable n’ayant pas hésités à quitter leur Province pour mener la guerre là où elle avait lieu, malgré les grincements de dents qui avaient été provoqués au Conseil Comtal. L’engagement pour la Couronne est toujours passé avant tous les autres, avant elle-même surtout.
Elle savait que partir se battre en étant enceinte était pure folie, elle savait que les ennemis ne retiendraient pas leurs coups pour autant, elle savait qu’elle mettait deux vies en danger en faisant cela. Elle était partie malgré tout. Malgré les remontrances des personnes qui tenaient à elle.

Pourtant elle a su montrer qu’elle n’avait pas peur et que rien ne l’empêchait de se battre aussi bien voir mieux que les autres. Le premier soir des combats, elle a mis à terre deux ennemis sans recevoir la moindre égratignure. Si elle avait pu être angoissée et tendue avant cette nuit, tout ou presque était dissipé après cette première victoire.
Le deuxième soir l’avait vu gagner en puissance, son épée était passée au travers de trois Ponantais pour se nourrir de leur sang et s’en imprégner. C’est qu’elle se serait presque crue immortelle, la rousse, à passer ainsi entre les lames ennemies sans jamais recevoir le moindre coup. Mais ne dit on pas que rien ne dure jamais ? Trop sûre d’elle, certainement, elle avait passé la journée à compter les dents et les oreilles qu’elle avait pu récupérer pour sa collection personnelle, ses soldats lui en fournissant d’autres. Un Capitaine qui allaient porter de si beaux colliers d’ivoire humain, ça donnait un petit quelque chose en plus qui finissait bien l’allure de meneuse de la Carsenac. Enfin, elle gardait ces trophées bien au chaud dans une petite bourse de cuir pour le moment, elle s’occuperait de les nettoyer et d’en faire un collier lorsque les remparts de Poitiers seraient tombés.

Le troisième soir se profilait devant eux, et comme à son habitude, la rousse s’était retirée dans sa tente pour lire quelques rapports, écrire quelques lettres et surtout, se préparer dans sa tête pour la nuit à venir. Cette fois, pas d’angoisse à faire taire, elle est en confiance après le déroulement des nuits précédentes. Trop, peut-être, sûrement même. Elle est convaincue que cette nuit encore tout se passera bien. De toute façon certains de ses soldats ont été affectés à sa protection personnelle, il ne pouvait donc pas lui arriver quoi que ce soit.
Les cris commencent à retentir de part et d’autre du campement, et la Carsenac sort son épée. Epée qui lui a été prêtée par Catherine en échange de la promesse de lui revenir en vie. Promesse bien risquée quand on ne sait jamais de quoi sera fait le lendemain, mais elle a promis malgré tout, pour se convaincre elle-même autant que pour convaincre la jeune femme. A son cou, la croix de Toulouse que la même demoiselle lui a confié, comme une protection dérisoire contre les attaques. Elle avait presque fini par croire que celui-ci fonctionnait réellement.

Le champ de bataille est là, tout proche, et elle le rejoint avec ses soldats. Les combats sont brouillons, on ne voit pas bien qui est qui, qui est avec qui, mais la rousse n’est pas du genre à hésiter. Elle les a repéré, les Ponantais. Des mots d’encouragement aux soldats qui la suivent, un rappel de leur devise, nulle défaite quand on se bat avec Honneur, c’est ainsi qu’ils se sont toujours battus, et c’est ainsi qu’ils se battront ce soir encore. Ils se dispersent, la Carsenac s’avance à travers les bruits de ferrailles, un de ses plus fidèles soldats juste derrière elle, celui-là même qui lui a promis de la protéger même au péril de sa vie.
Il n’y a plus rien dans son esprit, hormis la nécessité de faire le plus de dégâts dans les rangs adverses, des hommes et des femmes comme eux au final, qui se battaient eux aussi pour une cause qu’ils pensent juste. Premier échange, la rousse s’en sort, une simple égratignure au bras gauche, rien de bien méchant, mais elle n’a pas réussi à mettre cet adversaire hors d’état de combat, à se protéger ainsi. Elle voit son soldat à ses côtés, aux prises avec un autre homme, qu’elle est fière de lui à cet instant…

Cependant le moment d’inattention va lui coûter cher. Elle sent un mouvement dans son dos et se retourne vivement, épée prête à frapper l’imbécile qui aura osé se frotter à elle. Trop tard…
L’épée s’arrête nette, et tombe au sol, bientôt brisée par le sabot d’une monture passant sur elle. Pour l’heure, la Carsenac reste debout, les yeux écarquillées de voir son agresseur si proche. Elle l’a senti arriver trop tard. Du sang déjà s’échappe de la bouche déformée par la douleur tandis que des deux mains, elle tient l’épée qui vient de transpercer la protection de cuir qu’elle portait, pour aller se ficher directement dans son ventre légèrement arrondi. La lame n’a touché aucun organe, fort heureusement, mais elle a touché bien pire.
L’ennemi arrache son épée, repart au combat comme si de rien n’était, comme s’il ne venait pas de tuer. Comment lui en vouloir ? N’avait elle pas elle-même agi exactement de la même manière, les jours précédents ?
Les mains tremblantes et poisseuses de son sang rejoignent la blessure dont s’écoule le liquide de la vie, de sa vie, qui la quitte à petit feu. Elle s’écroule sur le côté, les larmes et le sang venant se mêler à la terre et à la boue du champ de bataille.


- Capitaine !

Pas de réponse. Le néant, l’instant présent qui n’a plus vraiment de consistance. Elle entend vaguement qu’on l’appelle de loin. De très loin. Elle sent son ventre dont continue de s’écouler le liquide carmin, elle sent la vie qui la quitte doucement, mais elle n’a plus mal. On la transporte, on la manipule, on essaie de la soigner.
La grossesse est découverte des médicastres, grossesse avortée par une lame infâme, grossesse qu’elle cachait encore aux yeux du monde pour préserver l’innocence de ce petit être qui grandissait en son sein. Même sa famille n’était pas encore au courant, seule une poignée de personnes savaient. Cet enfant qu’elle se voyait déjà élever et chérir avec son futur époux n’était plus qu’un souvenir douloureux à présent. Elle avait promis de prendre soin de eux deux, et elle avait failli, encore. Pourquoi se réveiller à présent, elle avait perdu son petit.
Pourtant elle se souvient des heures qui suivent. Elle se souvient, délirante, avoir écris à Elisa, juste avant d’avoir sombré à nouveau. Elle se souvient des noms balancés au médicastre près d’elle alors qu’elle délirait complétement. Elle se souvient de la fièvre qui lui martèle les tempes et des douleurs qui l’empêchent de bouger.

Puisque rien ne dure…



* Brecht
_________________
--Elric_lesang
["Rome de Rome est le seul monument,
Et Rome Rome a vaincu seulement."
Joachim du Bellay, Les Antiquités de Rome]


Sa cousine est prévenue ?

Affirmatif. Il l'a fait lui-même, lui apprend le soldat. Les nouvelles vont vite, et Elric n'a eu de cesse de galoper qu'il n'arrive à l'endroit où l'on soigne la Capitaine du Limousin. Il n'a pas été là pour la protéger pendant la bataille, croyant qu'une armée lui servirait plus que lui. Quand elle avait dit oui à son fiancé, il était même retourné aux Cars reprendre les rênes d'un domaine laissé pendant de longues semaines aux mains d'une jeunette. Quand la nouvelle lui était parvenue, il l'avait rappelée brusquement, partant avant même son retour dans la vicomté. Il avait à faire, immédiatement. Le meilleur coursier avait été sellé, il était parti sans se soucier de rien. Il n'avait pas le temps...

Et il était arrivé devant ce soldat, pataud de bonne volonté, avec peut-être même un brin de culpabilité. L'intendant le salue d'un signe de tête, ne se retourne même pas pour vérifier qu'il ne le suit pas. Son regard était assez clair. "Je veux être seul avec elle." Ce même regard écarte le médicastre quand il s'approche enfin de la paillasse qu'elle occupe. Un coup d'oeil suffit. Le ventre... Blessures toujours délicates, toujours traitres. Il s'éloigne un instant, échange quelques mots avec le médicastre. Peut-être sa figure est-elle assez connue aux côtés de la rousse pour qu'il accepte de lui décrire sans fard l'état de la Vice-Comtesse. Il lui parle des premières heures, des quelques lettres qu'elle a écrites, de son délire aussi. Il explique à Elric que, pour le moment, elle a sombré dans une inconscience dont il ne sait pas si elle sortira, même s'il s'acharnera à rendre au Comté une des membres de son Conseil. L'intendant encaisse mot après mot, et demande à rester seul quelques instants avec elle.

Demande acceptée. Un peu gêné au début, il se rapproche d'elle, se tient à côté du lit, comme la première fois qu'il l'a vue adulte, dans cette auberge de Limoges. Mais là... Là, c'est pire. Bien pire. Il faut bien qu'il finisse par tout lui dire, tout ce qu'il retient. Alors il commence, tout doucement, pas bien haut ni fort. De toute façon, elle ne peut probablement pas l'entendre.


Fillette... Tu as trop de courage pour une femme, t'es une tête brûlée... Enfin, si j'puis dire. Pourquoi il a fallu que tu t'entêtes, hein ? Pourquoi c'est pas ton Comte qui est venu avec toi, ou moi ? Et cet abruti de soldat... Il t'a laissé toucher.

Elle l'aurait étranglé si elle avait été consciente et pratiquement en pleine possession de ses moyens. Par jeu, il se serait laissé faire... Mais ce n'est pas dans cette situation qu'ils sont, même si Elric l'aurait largement préféré. Il ne sait pas pourquoi, mais il a besoin de parler. Beaucoup. Il en a jusqu'à la glotte, des mots contenus. A chaque fois qu'elle est partie au combat, ou du moins qu'il imaginait pareil départ, il a serré les dents, mais là... Là, c'est pire que tout. Pour la deuxième fois, la main d'Elric vient couvrir les cicatrice laissées par un incendie sur la joue de la rousse, et le vieil homme redécouvre avec émerveillement et terreur à la fois les traits que le temps n'a pas suffi à effacer de sa mémoire. Aristote, même ainsi elle parvient à conserver sa beauté... D'un coup, l'ancien mercenaire sent les larmes lui monter aux yeux. Mais les hommes ne pleurent pas. Ils ne peuvent pas. Un homme doit être fort, même si sa voix en est enrouée pour des jours entiers. Alors il reste debout, auprès d'elle, et ses mots ne sont que des grondements gutturaux quand il reprend, pour elle et elle seule :

Tu sais, tu es exactement comme ta mère. Quand tu t'accroches à quelque chose, tu vas jusqu'au bout. Elle, c'était son marchand, 'fin ton père, et toi... Toi, c'est servir des causes dont on ne sait pas trop si elles ont une chance de prendre le dessus. J'dis pas qu'elles sont pas justes et c'est pas mon problème, j'suis un peu vieux pour ce genre d'exercices et les idées ne m'ont jamais passionnées. Simplement, tu t'bats pour des choses compliquées à défendre. 'Fin bref, t'es comme Aliénor était, ça ne change rien, tu fonces dans le tas et ça finit par te faire du mal. Tellement de mal...

Tellement de mal que ça lui en fait aussi. La senestre passe rapidement dans les courts cheveux où le sel se fait désormais plus présent que le poivre, pour lui donner une contenance. Pourquoi y avait-il des moments comme celui-là ? Pourquoi était-on, parfois, si impuissant, tellement dépassé par ce qui se passait autour de soi ? L'intendant s'empêche de penser, et continue simplement :

J'ai demandé au médicastre ce qu'il pensait de ta blessure... Toi, tu peux t'en sortir, même si ton enfant, 'fin celui qui aurait été ton enfant, n'a même pas vu le jour. Faut que je te dise... Y'a quelque chose que j'oserais jamais te demander s'il ne devait pas t'abrutir pour te forcer à te reposer. D'ailleurs, comme tu as l'air toute... Toute endormie, j'vais te le demander quand même.

Les prunelles sombres de l'intendant, obscurcies encore par les douleurs que ce flot de paroles libère enfin, font rapidement le tour de ce qui les entoure. Il ne veut pas qu'on lui prenne cet instant, qu'on l'empêche d'aller au bout. Et surtout, il ne veut le dire qu'à elle. Alors sa dextre quitte la joue de la rousse, il s'agenouille à côté de la paillasse et ses mains viennent prendre celle qui est rangée, sagement, le long du flanc de la rousse. Entre eux, ça ne peut pas prêter à confusion, et il n'y a que tendresse et affection dans son geste. Comme si à lui seul il pouvait la retenir, maintenir la Faucheuse à distance... Et il reprend, plus bas encore, fixant le visage endormi :

J'voudrais que tu vives. J'veux pas voir mon Aliénor mourir une deuxième fois. J'veux pas que tu partes avant moi alors que j'suis même pas sûr de passer l'hiver. En fait, j'veux te voir sourire comme elle souriait. Quand t'as trouvé ton prince, tu t'souviens, j'ai préféré m'effacer, parce que le rôle que Sinda m'avait donné auprès de toi lui revenait, et plus encore. Et j'suis sûr que tu lui souris, à ton prince, hmm ? Eh bien, j'veux te voir encore sourire comme ça avec un bébé dans les bras, quand tu le présenteras à ma p'tiote.

Les imaginer, pleinement réconciliées, comme celles qu'elles étaient avant... Avant que la p'tiote tombe amoureuse sans espoir, que la rousse se rapproche d'une princesse trompée. Il ne lui a pas dit que la brune qu'il a élevée, à défaut d'être son père, a subi une blessure qui va l'obliger à se reposer un mois et demi, qu'elle boitera peut-être toute sa vie. Tout ce qu'il voit, ce sont la brune et la rousse, chacune avec l'homme qu'elle se sont choisi, heureuses, se présenter les cousins auxquels elles ont donné naissance. Vision calme, sereine, moment de paix dans un monde en guerre. En écho à un moment disparu depuis, combien ? Trente ans, un peu plus encore :

Comme mon Aliénor quand elle t'a présentée à Eleuthère... Et je voudrais que ce soit la dernière chose que je voie avant la Lune.

Les pognes de l'intendant se resserrent puis s'écartent sur la main si blanche, comme déjà vidée de toute vie, pour y chercher la trace d'une palpitation. Le pouls est encore là... C'est toujours ça. Sa tête s'incline, et ses lèvres viennent imprimer, doucement, sur le dos de cette main le baiser qu'il aurait voulu déposer sur celle de sa mère sans jamais oser le faire. Le mouvement ne s'arrête pas avant que le front d'Elric repose sur la paillasse, entre ses deux avant-bras, le long du flanc bandé. Un dernier murmure, un dernier souffle, une dernière prière :

J't'en prie, fais ça pour moi, et pour lui, et pour elle, et pour tous ceux qui tiennent à toi.

Et il ne bouge plus. Il ne bougera plus avant que quelqu'un le déloge de là, et encore ! Il faudra le vouloir pour le remettre sur ses pieds. Pour le moment, il n'aspire qu'à une chose. Rester auprès de la rousse, et faire enfin son deuil. Avec, enfin, une larme qui vient se perdre dans le drap, libératrice. Soudain, il sanglote comme l'enfant qu'il était encore un peu quand il a perdu la mère de la gisante à côté de laquelle il est agenouillé.
Kasia
[«On dit d'un fleuve emportant tout qu'il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l'enserrent.»*]


Depuis ses blessures et son réveil à Chinon, elle n'avait plus qu'un seul rythme... Elle comptait les jours, non pas comme on compte ceux qui restent avant un évènement, mais comme on les compte pour tuer le temps, pour lui faire rendre gorge et tenir au loin le spectre des instants perdus.
Elle avait eu mal au point de croire mourir, et avait ouvert les yeux sur la réalité d'une fin toujours possible, sur la tangibilité de la perte et du néant.
Et même si elle voulait vivre et même si elle s'en voulait de perdre son temps à se morfondre, quelque part, elle n'arrivait pas bien à rire, ou même rien qu'à sourire vraiment, dans un Chinon devenu dispensaire de la taille d'une ville, et bien trop loin à son goût de ceux qu'elle voulait revoir.
Alors elle patientait, laissait filer le temps, dans l'espoir de voir venir une lettre, un courrier..
Parfois il arrivait, et il suffisait à égayer sa journée.
Parfois il n'y avait rien, et c'était comme un jour de grisaille en hiver.
Puis vint le jour où elle se maudit d'avoir voulu l'avoir, cette lettre.

Des nouvelles de la rousse, mais pas de sa main.
Une lettre d'elle, mais sans son sceau, qui n'avait rien de sa marque ou de son empreinte. Dès les premières lignes, elle avait l'impression de savoir de quoi il retournait, et parvenir à la fin lui parut prendre des années, tout ça pour perdre ces quelques lignes dans un tremblement vivement réprimé en crispation.

Aldraien à terre, touchée, ça lui était impensable, à cet instant. Ce devait être une erreur, ce n'était pas elle. Et pourtant, si ce n'était elle, alors elle n'était plus... Et il y avait l'enfant.
Elle se moquait bien de l'enfant, en fait, n'y pensait même pas autrement qu'en donnée factuelle. Mais à envisager la mort de la Carsenac.. Un goût âcre lui prenait la gorge et la nausée s'emparait d'elle.
Incapable de se relever, abattue, les lèvres béantes sur une plainte silencieuse parce qu'il n'y avait rien d'assez violent en elle pour se révolter contre cette fatalité. Elle l'avait souhaitée, elle même, elle l'avait voulue, cette mort, elle avait du l'attirer sur la rousse, c'était inévitable, c'était sa faute, forcément..

A l'accablement succéda la rage.
La rage contre un Dieu qui n'écoute jamais rien de ce qu'il faudrait, qui ne sert à rien, qui ne fait pas la différence entre la colère d'une enfant et ce que son coeur pouvait vraiment dire.
La rage contre elle même, aussi, pour s'être emportée sans penser à plus tard, parce qu'elle veut toujours tout, sur l'instant, sans attendre, et que ça ne peut jamais arriver.
La rage d'avoir tout fait pour l'esquiver, la dernière fois qu'elles se sont vues, alors que maintenant, elle donnerait tout pour la revoir, et qu'elle ne peut rien. Rien n'y fera, elle est coincée à Chinon, blessée, inutile, lamentable, à sangloter comme une môme, sans aucun pouvoir pour la sauver.

Dans les heures qui suivent, c'est une succession de phases de colère, de désespoir qui confine à l'apitoiement sur elle même, d'égarement parfois ou même des instants d'absence, qui s'alternent. Et plus elle se rend compte qu'elle n'y pourra rien, plus la panique la guette, l'invite à céder, à perdre toute contenance, alors qu'elle n'en n'a déjà plus beaucoup.
Il n'y aura personne pour l'aider, elle, pour comprendre ce qui la lie à un membre de la Licorne de vingt ans son aînée.
Personne ne peut l'aider, parce qu'elle même, elle ne sait plus bien ce qui l'attache à Aldraien, après l'avoir détestée comme elle a cru le faire, jusqu'à l'affliction qui l'atteint ce jour ci.

Comme elle n'y peut strictement rien, elle se monte des films, se jure que si la rousse s'en sort, elle ne lui créera plus aucune contrariété, elle évite encore ceux où elle décède, tourne autour, y revient pour se promettre de demander des comptes à tous ceux qui étaient autour d'elle, à tous ceux qui auraient du la protéger, quite à les tuer elle même si elle juge qu'ils ont failli..
Envahie par cette idée, elle se met à écrire, elle même, d'une main gauche malhabile, pour mettre en balance la vie de la rousse et celle des ineptes qui l'accompagnent, et finalement abandonne ces velléités en détruisant toute trace de l'idée même.
Les débris de phrases maladroitement alignées s'empilent, jusqu'à accoucher d'un hybride, de quelque chose d'odieux, qu'elle n'a pas le courage de retoucher.


Citation:

A Aldraien Carsenac.

    Qui que vous soyez sauvez là, dites lui de se battre, parce que vous n'avez rien de mieux à faire, de toute manière.
    Si vous n'avez rien fait pour la protéger, sauvez là maintenant.
    Rachetez vous !

    Ald', si tu meurs.. Je ne sais pas où je vais.
    Tout ça pour quoi ?
    Ne serait-ce que moi, j'ai besoin de toi. Reste !


Kasia.


C'est à peine parti qu'elle s'en veut déjà. Elle est puérile, inconstante, indécise, elle est égoïste, seule dans son monde pour elle seule, et elle ne la vaut pas. Elle ne vaut rien... Elle se délite.. Sombre dans un sommeil chaotique, où elle ne différencie plus la réalité, et les songeries sombres et violentes qu'elle accueille.
Demain peut-être, elle pensera aux autres.


*Brecht aussi.
Elisa.
[« Pour elle, j’oublierai même qui je suis »]


Se faire à l’idée de son départ… Voilà la dernière épreuve que la Malemort avait dû supporter. La voir partir, de nouveau, loin d’elle. La voir partir se mettre en danger pour un Comte n’ayant aucune gratitude, ni aucun respect pour ses conseillers… Voilà qu’elle partait les mettre en danger toutes les deux… Elle… et cet enfant qu’elle portait en elle… Cette future Catherine Alienor Elisa… Cette future merveille… Cette future Malemort… SA future nièce. Car oui, cela serait une fille, la jeune princesse en était persuadée, elle le savait au fond elle-même… Une troisième tête qui viendrait agrandir leur duo vital. Oh ça oui, cet enfant serait la prunelle de leurs yeux… oh ça oui… Son passé, leur passé, ce souvenir… Tout cela aurait fait de cet enfant celui du miracle, de leur miracle… de leur avenir…

Mais pour l’heure, la Malemort est seule… Seule à Limoges, sans elle. Et son cœur déjà pourtant si fragile, vient se briser un peu plus, tandis que la Carsenac et la Malemort se disputent en cette dernière soirée ensemble. Des mots durs, des mots sorties pourtant du cœur, des mots avec sûrement trop de valeur pour les deux.
Brune et Rouquine qui se brisent. Et la Capitaine qui s’en va.

Le départ fut dur. Mais comment la retenir ? Comment lui dire qu’elle ne veut pas qu’elle parte ? Qu’elle ne veut surtout pas qu’elle parte alors qu’elles se sont disputées ? Qu’elle ne veut surtout pas qu’elle parte, car sans elle la vie devient peur, ses angoisses revenant à la surface. Comment lui dire ?
La princesse Malemort ne put…
Pour Elle… Pour Elle… Pour Elle…

Elle devait se battre la Malemort, se battre contre ses peurs, se battre contre ses angoisses, et contre toutes les personnes qui viendraient l’affaiblir… Elle devait se battre pour ELLE… comme Elle s’était battu pour la Malemort, avec honneur et bravoure. Mais comment réussir alors qu’elle n’est pas là, alors qu’Elle se bat chaque nuit contre des soldats assoiffés de sang… Contre des soldats affamés de victoire…
Un matin, tôt, le soleil commençant tout juste à se lever, le ciel orangé, comme la Malemort le préférait, annonciateur d’une sublime journée, elle partie.
Visage caché par sa capuche, robe remplaçait par une paire de braies, une cape simplement noire. Elle voulait passer inaperçue la princesse car elle voyagerait seule jusqu’en Poitou… Seule pour la retrouver…
Deux journées et une nuit plus tard, la Malemort arriva en galopant dans le campement. Trouvant la tente de la Capitaine, s’offrant aux soldats comme le fruit du Ponant, le fruit du mal… Elle ne voulait plus… Elle ne voulait plus si ELLE n’était pas là, près d’elle.
Les heures passèrent à son côté, les soldats l’avaient épargnée aux ordres de la Capitaine jusqu’à ce que celle-ci lui demande de repartir… la nuit approchait et les combats aussi… Il était l’heure de rentrer, sa capuche replacée sur son visage, un au revoir déchirant, une promesse entre Brune et Rouquine. La princesse reprend la route, à toute vitesse.

Le retour à Limoges fut accompagné d’un sentiment mélangé. Entre la joie de l’avoir retrouvé et la peine de l’avoir si vite abandonnée, les laissant là bas, en danger perpétuellement, ELLES.
La routine reprit, ses habitudes, son travail, la campagne, le Pavillon… Et un beau matin, alors que le ciel était semblable à celui où la Malemort était partie rejoindre sa Carsenac… Un ciel inondé par la beauté du levé de cet astre solaire, si magique et spectaculaire. Un ciel orangé qui annonçait bonne, belle et chaude journée… Mais qui aurait cru que ce fut le contraire… L’oiseau du malheur arriva à ce même moment… Un pli, des taches… trop de tâches, et cette écriture si imparfaite… La princesse Malemort se mit à frémir… Ses yeux se mirent à parcourir les lignes, entre larmes et sang d’une rouquine.
Les larmes princières virent se mêler à celles d’une mère en deuil. Le tutoiement avait été employé, le tutoiement qu’elles se permettaient dans leur moment si dur où l’une comptait toujours sur l’autre.
La rouquine avait été présente durant la période où la Malemort avait perdu son enfant, ELLE l’avait soutenu dans cette épreuve où les autres l’avaient abandonnés… Et aujourd’hui, la situation s’échangeait… C’était au tour de la Rouquine ne perdre cet être qu’elle portait dans son ventre… La chair de sa chair… Son enfant… Son enfant… Sa fille !

La main fébrile, la mort au cœur, la Malemort se leva et alla rejoindre son secrétaire dans un coin de son appartement. Prenant place, parchemin, plume, encre… Ses larmes ravalées, elle devait être forte pour Son Tout… Elle devait être forte pour ELLE.


Citation:

A Aldraien Carsenac,

Par où commencer cette lettre ? Comment t’écrire les mots que j’aimerais te dire en te serrant contre moi ? Comment t’écrire ces mots déjà si durs à entendre ?
Je me maudis d’être loin de toi, je me maudis de t’avoir laissé partir, je me maudis de t’avoir laissé là bas.
Comment ai-je pu être une si mauvaise sœur ? Comment ai-je pu être si mauvaise de te laisser vous mettre en danger ?
Oh si tu savais comme je m’en veux de savoir la souffrance que tu dois ressentir à cause de mon incompétence. Rien ne vaudra jamais ta vie. Rien ne valait la sienne.

Oh ma sœur, comme j’aimerais être tout près de toi. J’aimerais pouvoir te serrer contre mon corps et mon coeur pour te donner toutes cette force et ce courage que tu m’as autrefois donné. Comme j’aimerais pouvoir prendre tes maux pour te laisser être enfin heureuse. Comme je voudrais souffrir à ta place pour te revoir sourire.

Ma sœur, ne faibli pas. Tu es une femme au cœur grand, tu es une femme forte. Tu dois le rester, tu dois te laisser soigner, tu dois être forte ma sœur. Forte pour ta famille, forte pour ton fiancé, forte pour moi.
Oh oui ma sœur soit forte, s’il devait t’arriver quelque chose je ne pourrais me relever, je ne pourrais vivre si tu n’es plus là.
Je serais forte pour deux si tu me promets de nous revenir. Je serais forte pour deux si tu me promets de revenir ma sœur.

Je serais forte pour deux…
« Deux âmes pour un Tout ».

Elisa.

_________________
Titca
Citation:


    A Aldraien Sybell Carsenac,

    J'ai reçu le courrier de ce soldat, ce qu'il raconte est donc vrai ? Tu es tombée au Combat, je me sens légèrement obligée de préciser ''encore''. Petit bout de femme quand te décideras-tu à prendre soin de toi avant de te battre pour tous les autres ? Ces charognards qui s'en contre fichent de la vie d'autrui, ces haut placés qui dirigent le peuple et la noblesse sur leurs chaises d'or ... Ceux-la prennent-ils le temps de t'écrire pour accompagner ton sommeil, prieront-ils pour que ta vie soit sauvée ?

    Ô ma rousse, pourquoi tu n'es pas restée auprès de nous, pourquoi décides-tu toujours de prendre le choix le moins raisonnable ? Quand arrêteras-tu les sacrifices de ton corps pour t'occuper de ta vie ? Tu n'en as qu'une ma jolie et elle est tellement précieuse et belle... Aldraien tu n'es qu'une enfant dans un corps d'adulte, une gamine à fort caractère qui ne mérite pas de vivre ce que tu vis, d'endurer ce que tu endures.

    Je ne peux point venir te retrouver, je ne peux point te prendre dans mes bras, je ne saurais parcourir la distance qui nous sépare pour te bercer, alors j'espère que mes mots te berceront à ma place, je prie pour que le Créateur te garde auprès de nous et ne rappelle pas ce petit bout de femme rousse au minois de Capitaine.

    Ainsi donc tu en as tué cinq ? Je hais cette guerre, je ne peux plus recevoir de nouvelle du front, mon cœur ne supporte plus l'angoisse de perdre les miens, ermite ou folle je ne sais point comme je vais finir, mais certainement pas en grande forme mentale...

    Je suis navrée pour ton enfant, je ne sais que dire... Un mort de plus dans ce Royaume qui n'en mérite pas tant finalement.

    Ma chérie, je t'embrasse et t'envoie mes prières, reviens rapidement parmi-nous ma rousse,

    Je t'aime tant,

    Tit.



Ceci était le pigeon qui fut envoyé à un soldat parmi des millions d'autres, à un homme qui un soir d'Octobre avait écrit à la Vipère pour lui annoncer une bien triste nouvelle. Elle avait eu du mal à tenir sa plume, les larmes aux yeux d'apprendre pareil drame, la peur au ventre de savoir que d'autres de ses amis étaient loin, en guerre et surement dans un état proche de la rousse.

Alors, elle avait fuit la foule, le monde, les nouvelles, avait beaucoup pleurée, souvent hurler et à présent à l'aube d'un jour nouveau écrivait ce pigeon avant d'affronter la vie... encore.

_________________
Hema
[Destins liés ou déliés]

Un certain temps s'était écoulé depuis leur première et unique rencontre.
Mais le message que la petite avait reçu en réponse à sa lettre avait été une preuve.
Une preuve que sa proposition n'avait pas été juste des mots en l'air.
Une preuve qu'elle avait une importance, même infime, mais une importance quand même pour cette femme.
Et il n'en fallait pas plus à la jeune fille pour lui donner un but, faute de mieux, ou même faute de quoi que ce soit d'autres.

Le voyage jusqu'à Limoges avait donc été entrepris rapidement, dans l'espoir d'y avoir une vie plus animée et plus utile.
Dès son tout premier champ labouré et semé, elle avait eu la chance de rencontrer un groupe qui l'avait acceptée parmi eux.

La déception avait été au rendez vous.
Dès son arrivée, un tour au marché l'avait refrénée dans ses espoirs : ça allait pas être facile de se nourrir correctement ici.
Après une nuit passée dans une auberge presque de luxe, même s'il fallait payer le prix pour dormir, elle s'était empressée d'écrire à Aldraien.



Le bonjour à vous !
Ca y ai ! je suis arrivé à Limoges hier ! C'est... chère ici... Je sais pas tro si je pourais atendre lontemps... Vous pensé revenir biento ?
Hema.


Oui, savoir écrire ne voulait pas dire être une lumière en orthographe... Mais c'était compréhensible, court et précis. L'essentiel y était et elle voulait économiser les vélins et l'encre offerts.
Contre un écu, le message s'était envolé accroché à la patte d'un pigeon municipal.
--Elric_lesang
["Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l'heure."
Evangile de Matthieu]


La routine s'était rapidement installée, une fois les premiers - et seuls - épanchements de l'intendant passés. Il se tenait au chevet de la rousse chaque jour, plus ou moins somnolent en fonction de la nuit qu'il avait passé. Il la quittait à la tombée de la nuit. Puis il retrouvait les soldats, s'entrainait avec eux ou seul, dans un curieux revirement de destinée et par un phénomène de compensation indéniable. Il restait plus ou moins réveillé jusqu'à l'aube, pour avoir les nouvelles d'éventuels combats. Il perdait la notion du temps. Combien de temps s'était-il tenu auprès d'Aldraien inconsciente, ne s'en éloignant dans la journée que lorsqu'un médicastre venait se pencher sur son cas. Le reste du temps, il la regardait, ruminait, et lui lisait les lettres qui arrivaient pour elle. Ca commençait en général par :

T'as du courrier, fillette. Faudra que tu répondes à tout ça quand tu te réveilleras.

Et, une fois les plis décachetés, il se mettait à lire, hormis ceux de Sindanarie, qu'il gardait pour lui, pour plus tard. A haute voix, bien sûr, car il ne lisait pas pour lui ni pour ceux qui les entouraient, mais pour elle. Des phrases plus ou moins décousues, des lettres plus ou moins dégoulinantes de désespoir, qui parfois portaient une lumière assez intéressante sur ce qu'il n'observait que de loin jusqu'alors. La manière dont cette femme avait fait son trou, malgré des circonstances contraires à ses débuts en politique limousine. La manière dont elle avait su se lier à la famille royale. D'ailleurs, l'absence de réaction de son fiancé surprenait vaguement le vieil homme, dans une certaine mesure. Et cette manière dont chacun - chacune, en fait - protestait d'une amitié ferme et indissoluble, reportant éventuellement sa hargne sur quiconque n'avait pas su la protéger.

Parfois, quand il arrivait au bout des lettres, qu'il achevait toujours par respect pour la blessée, il avait besoin d'aller prendre l'air. L'une, il le savait par la Carsenac brune, venait d'une Dame Blanche, la suzeraine était Licorne, probablement mobilisées toutes deux par la guerre. Mais les autres, hein ? Ils regrettaient de ne pas avoir été à ses côtés ? Qu'est-ce qui les avait empêché de prendre une épée et d'aller se battre ? La raison ? Mais qu'était la raison face à une conviction, sinon un moyen de se garder à l'abri sous prétexte d'une prudence qui confinait à la lâcheté ? Parfois, donc, les réflexions sur l'engagement de la rousse restaient en travers du gosier et sur l'estomac de l'intendant. Ca l'agaçait, oui, ça le mettait même en rage, et il ne fallait pas qu'Aldraien le sente, parce que ce ne serait probablement pas bon pour elle. Alors il sortait pour ne pas froisser ces feuillets qui le révulsaient, il reprenait une épée, il s'entrainait de nouveau. Les gestes revenaient sans peine, le souffle et le corps suivaient moins bien, mais qu'importe ! Quand on aime, on ne ménage pas sa peine.

Il ne la ménageait plus. Il était fini, le temps où il était seulement gestionnaire. Il reprenait ses anciennes habitudes. Retrouvait les lames logées tout le long de son corps. Les deux couteaux de lancer passés à sa ceinture. La lame dans sa botte, habitude transmise à sa petiote. Le harnais qui lui permettait de tenir une arme dans son dos. La bâtarde, arme de prédilection également léguée à la femme qu'il avait élevée, pouvait rejoindre son flanc à la première rumeur d'alerte. Pour l'heure, elle dormait le long du lit de l'ainée des Carsenac, avec l'épée courte destinée à se loger entre ses omoplates. S'il y avait la moindre alerte, il vendrait chèrement leurs peaux, il l'affirmait par sa seule attitude. Mine de rien, il se fermait toujours davantage. Il redevenait l'ancien Elric, celui qui ne parlait guère qu'à sa protégée et préférait l'action à la réflexion. Un seul objectif, maintenant, tenir la rousse en vie, coûte que coûte, même s'il fallait aller botter le train à la Faucheuse en personne. Naméo ! aurait gueulé Sindanarie. Si on lui avait demandé son avis, il aurait dit la même chose.

Pour l'heure, entre sa veille, les lettres qu'il écrivait à la Carsenac brune, et la reprise en main de son corps, il ne sentait pas le temps passer et en perdait la notion. Jusqu'au jour où il y eut un réveil.
Aldraien
« La vie n’a de valeur que si elle est un feu sans cesse renaissant. »*

Il n’y a plus de douleur dans l’inconscience, mais qui dirait qu’il n’y a plus rien s’y tromperait lourdement. L’inconscience -du moins celle dans laquelle est plongée l’ainée des Carsenac- ressemble à tout sauf à l’absence de conscience. Si la douleur physique n’est pas là, tout le reste l’est néanmoins, et torture inlassablement son esprit comme une blessure qui refuse de cicatriser. Elle le sent, ce vide béant à l’intérieur de son corps, ce vide laissé par le petit être qui grandissait en elle mais qui n’ est plus là à présent. Comme elle souffre, comme elle aimerait revenir en arrière ! Pour se retourner à temps et éviter cette lame qui lui a fait perdre son espérance, son renouveau, qui lui a arraché celle qui devait devenir sa fille. Car oui, la rousse en était tout aussi certaine que sa Princesse : C’était une fille. Ou ça aurait pu l’être, si elle avait pu grandir. Elle n’aura pas cette chance…
Son cœur souffre, souffre affreusement, tant qu’elle aimerait que tout s’arrête une fois pour toute pour en finir avec tout ça, qu’elle rejoigne la Lune donc, pour faire face à ses erreurs et devoir en répondre; puisqu’elle est persuadée que jamais on ne lui autorisera le Paradis Solaire. Elle ne peut pas le mériter, pas après tout le mal qu’elle a fait, même si elle pensait bien faire.
Mais c’était sans compter sur toutes les personnes qui étaient là pour elle.

Elle entend malgré tout, elle ressent les choses de très loin, comme si elle observait la scène d’un autre point de vue que celui qui aurait dû être le sien si elle avait été éveillée. Elle a l’impression que c’est le corps sans vie d’une femme qui aurait peut être pu être sa mère qu’elle observe. Était-ce à cela que ressemblait Aliénor, le jour où elle a perdu la vie ? Dieu, comme ses joues étaient creusées, comme elle était pâle ! Ses cheveux semblaient avoir perdu leur éclat. Était-ce à cela que ressemblait une Carsenac ayant perdu la vie ?
On s’approche d’elle, elle connait cette présence, l’aura sécurisante qu’il dégage. Elle sait de qui il s’agit, elle l’a forcément déjà rencontré. Et cette voix, sa voix…Elle se souvient. Elle l’a déjà entendu, alors qu’elle était plus ou moins dans le même état, à quelques détails près. Si tu savais Elric…Je n’ai eu que ce que je méritais, après tout…C’est moi qui ai voulu partir défendre les intérêts de la Couronne, je n’ai pas le droit de me plaindre de mon sort. Le soldat n’y est pour rien…Il voulait me protéger, il l’a fait d’ailleurs, sans lui je serais sans doute morte. Mais tu ne peux pas l’entendre ça, hein ? Je n’ai pas su me protéger toute seule, et c’est entièrement ma faute…Tu cherches un coupable, je le vois. Il n’y a rien, que la vie.

Elle sent la main du vieil homme sur sa joue, vaguement, comme si quelque part, quelque chose avait tenté une percée dans son cocon, bien en vain. Ca ne suffit pas à la réveiller, même si les paroles concernant sa mère lui réchauffent le cœur. Sa cause, que certains croient démesurée, que d’autres croient utopique, elle y a toujours cru dur comme fer. Elle n’a jamais hésité à verser le sang pour elle. Elle ne l’avait jamais remise en doute, car faire cela, ce serait comme remettre sa vie toute entière en cause.
Comme elle aimerait pouvoir croire à ce qu’il dit. Mais pourra-t-elle seulement encore enfanter après le coup reçu ? Est-ce que le lien qu’elle entretenait avec sa cousine, et qui avait toujours résisté à toutes les tempêtes, résisterait encore aux épreuves qui les attendaient l’une comme l’autre ? Si elle avait pu, elle aurait certainement pleurer avec lui alors qu’il s’effondrait, sanglotant comme un gamin, mais ce sont les larmes de l’âme qui coulent…
Se battre…Elle avait toujours entendu ce mot, toute sa vie, on lui avait toujours demandé de se battre. Mais si elle n’en avait plus envie, elle ? Si elle était fatiguée de se battre sans arrêt, pour en revenir toujours au même point, meurtrie un peu plus ?
C’était sans compter sur une promesse faite quelques jours à peine avant de sombrer dans l’inconscience, lors de cette soirée dans un campement où régnait la tension d’une bataille à venir. Une vie pour une Vie…

Et le temps passa, indécis, indolore, inconstant. Et Elric veillait, et lui lisait ses lettres. Elle ne se souviendrait certainement pas de grand-chose, si elle se réveillait. Mais au moins, son cerveau continuait de fonctionner, elle continuait de réfléchir, de se repasser les divers événements qui avaient rythmé sa vie d’aussi loin que remontaient ses souvenirs. De revivre des moments forts avec ses proches. De le revoir, lui, son Prince, aux côtés de sa Princesse, ce fameux soir en taverne…
La plaie cicatrisait, finalement. Elle n’était pas forcément belle, ni très nette, mais elle cicatrisait.
Jusqu’au jour où il y eut un réveil.
Elle avait tant et tant songé, à ces lettres, aux paroles d’Elric. Qu’avait elle fait dans sa vie, pour qu’elle mérite d’avoir tant de personnes s’inquiétant pour elle ? Elle avait vécu pour eux. Pour une poignée d’entre eux en particulier. Elle les avait aimé…Non ! Elle les aimait encore. Et il y avait la Princesse…Elle lui avait promis de lui revenir. Comme elle avait promis de rester en vie à sa cousine, à Kasia et à Titca. Et puis il y avait Hema. Hema qu’elle avait pris sous son aile depuis peu, et qui avait encore tant et tant de choses à apprendre. Elle ne voulait pas que celle-ci pense que c’était une promesse en l’air qu’elle lui avait faite.

Le mouvement est infime, mais la Carsenac vient de bouger.
Sa main s’est mise en mouvement une fraction de seconde, engourdie par une immobilité de plusieurs jours. Elle essaie de serrer le poing, le résultat n’est pas très concluant. Il semblerait que les fils du marionnettiste se soient activés pour faire bouger ce pantin qui semble sans vie tant il est pâle. Et pourtant, les sensations reviennent peu à peu sur la peau glacée. Celle qui la frappe le plus, le contact de l’acier aussi froid que sa peau. La main tâtonne, les yeux toujours fermés, et finit par se saisir de l’épée bâtarde qui a été laissée sur son côté.
Elle se souvient.
Elle se souvient des raisons qui l’ont poussé à prendre un jour une épée en main, de celles qui l’ont poussé à rester en vie coûte que coûte pour continuer de la tenir, de celles qui l’ont poussé à vouloir se battre toujours.
Les yeux s’ouvrent sur le monde. Eblouie, la Carsenac mit quelques secondes à s’habituer à la lumière pourtant loin d’être vive. Une grimace lorsqu’elle se redressa, mais elle finit par réussir à tenir assise sur le lit, l’épée toujours solidement tenue par sa main, l’épée courte à côté d’elle. Elle leva la bâtarde devant elle, ses mains se souvenant lentement du contact familier, retrouvant leur vraie place. Elle s’apprêtait à poser un pied au sol pour se mettre debout, mais le vieil Intendant devait veiller bien mieux que ne pouvait imaginer l’ainée des Carsenac.


*Pierre Vallery-Radot
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--Elric_lesang
["Il n'y a personne à qui il ne reste assez de forces pour exécuter ce dont il est convaincu."
Goethe, Maximes et réflexions]


Un réveil, oui, mais un réveil à la Carsenc, à vouloir se remettre immédiatement d'aplomb, juste après le premier mouvement. Seul le froissement du drap posé sur la rousse avait alerté l'intendant, en train de se sangler pour un entrainement, dos à la blessée, du fait qu'elle se redressait. Sur un demi-tour mesuré, histoire de lui éviter une nouvelle peur ou de s'épargner une déception, Elric découvrit ce qu'il espérait. Des yeux ouverts. Un sourire passa sur ses lèvres en la voyant ranimée et se figea quand ses mains trouvèrent la bâtarde encore allongée contre elle. Un pas pour revenir à son chevet, alors qu'Aldraien essayait de mettre pied à terre, et une main simplement posée sur son épaule. Nul doute que cela suffirait à l'empêcher de bouger, elle devait être affaiblie... Alors il gronda affectueusement, pour la forme :

Oublie ça tout de suite.

De la main, il raccompagna la rousse jusqu'à ce qu'elle soit de nouveau étendue. Le sourire ne quitta pas ses traits, même s'il se fit plus discret à mesure qu'il prenait conscience de ce qu'il aurait à lui raconter, à lui transmettre, à lui faire savoir de ce qui avait marqué ses jours d'inconscience. Et pour entamer, il décida de faire simple. Tirade, alors que la bâtarde dégageait des mains vice-comtessales pour retrouver celles de leur propriétaire :

Tu n'es pas en état... Et rends-moi ça, je t'interdis d'en toucher une avant que les médicastres aient décidé que tu peux te remettre sur pied. D'ailleurs, faut que tu boives quelque chose. Tu t'souviens, ce que t'avais ingurgité à Limoges ? Bah tu ne vas pas y couper, cette fois non plus.

Et, ramassant donc ses lames pour éviter de nouvelles tentations à la rousse, l'intendant réfréna celle qui était la sienne de hurler "Elle est vivante, elle est vivanteuh !" en plein milieu de l'endroit où d'autres blessés auraient sans doute moins de chance que la Carsenac. Au lieu de cela, il se cantonna à aller trouver un médicastre, celui qui avait le plus surveillé l'état de la rousse, pour lui annoncer son réveil, puis il se mit en quête du responsable de la tambouille du lieu, histoire de lui expliquer ce qu'il voulait exactement. Quitte à le payer une fortune, peu importait, Sindanarie ne regarderait pas à la dépense puisqu'il s'agissait d'Aldraien. Et au bout d'un temps qu'il n'arrivait pas à quantifier, bien qu'il ait été bien trop long à ses yeux, le vieillissant revint au chevet de la presque mariée un bol à la main et lui tendit, s'asseyant à son côté. Après tout, si elle pouvait lever une épée, elle devait pouvoir se nourrir... Et elle en perdrait moins ainsi. Il n'était pas très doué pour faire manger ses semblables, malgré l'entrainement donné par un bébé presque un quart de siècle plus tôt. Sur quoi Elric reprit, la couvant tout de même d'un oeil protecteur :

Bon, fillette, c'est pas tout ça, mais t'as du courrier en retard. Tu m'excuseras, l'est un peu froissé, mais j'pense que tu arriveras encore à le lire. Si t'as besoin, tu pourras me dicter les réponses.

Des profondeurs d'une besace posée au sol, l'intendant extirpait déjà les divers courriers. Ceux qui étaient ouverts, qu'il avait donc lus à haute voix à la blessée, et ceux qui, encore cachetés, émanaient d'une même main et n'étaient adressés qu'à une seule. A la cousine. Elric avait eu des plis séparés pour lui-même, mais ce qui était de l'ordre de la relation des deux cousines lui était strictement interdit. Question de principe. Par contre, quelque chose qu'elle n'apprécierait pas de ne pas savoir, c'était l'état global de l'autre Carsenac, qui n'était pas brillantissime... Encore qu'il s'était amélioré. Allez, une inspiration, deux, en avant marche. Tendant donc les plis décachetés et ceux au sceau encore intact, il finit par se lancer :

Faut que je te dise aussi... Sinda a été blessée. Elle se remet à Chinon, elle devrait être sur pied un de ces jours, même si elle risque de boiter pendant un certain temps.

Et de tenir la main prête à lâcher les lettres pour empêcher Aldraien de quelque geste brusque. Vu le réveil qu'elle venait de lui réserver, il n'en fallait sans doute pas moins.
Aldraien
« Les erreurs passent, il n'y a que le vrai qui reste. »*

Loupé, mais au moins avait elle essayé.
La vue de l’Intendant debout devant elle avait quelque chose de rassurant, quelque part, une présence paternelle comme elle n’en avait plus ressenti depuis longtemps. Un père, elle n’en avait pour ainsi dire jamais eu. Etienne l’avait pratiquement abandonné dans sa jeunesse, alors qu’il était occupé à courir les routes soi-disant pour son travail, s’affairant plutôt à faire quelques bâtards à sa femme; avant de se faire assassiner par quelques brigands avides de remplir leur bourse avec les pauvres écus d’une famille modeste, d’une famille qui gagnait à peine de quoi subvenir à ses propres besoins.
L’homme vieillissant qu’il avait pu être il y a quelques semaines semblait avoir bien changé en bien peu de temps, était-ce parce qu’elle était fatiguée et diminuée qu’elle le trouvait lui-même tellement en forme ? Non, il y avait autre chose. La dernière fois qu’elle l’avait vu, il n’avait pas cette allure martiale. Celle de l’ancien soldat à la retraite, peut-être, mais plus celle de l’homme d’armes encore actif.

A contrecœur la Rousse s’était rallongée, se laissant guider par la main protectrice d’Elric qui lui reprenait également la lame trouvée à son réveil. Ainsi donc, il s’agissait de la sienne. Peut-être lui demanderait-elle, à l’occasion, pourquoi est-ce qu’il avait décidé de laisser justement ses lames auprès d’elle. Était-ce par reflexe protecteur, un geste symbolique indiquant qu’il ne laisserait absolument personne s’approcher d’elle sans le découper en deux ? Elle l’avait rarement vu aussi bavard, c’était une grande promesse pour l’ainée des Carsenac, qui ne se souvenait pas grand-chose de la tirade qu’il lui avait assené alors qu’elle était encore inconsciente, si ce n’est quelques impressions, à défaut de paroles précises.
A mesure que les minutes s’égrenaient, elle comprenait de mieux en mieux l’affection que pouvait porter Sindanarie à cet homme. Elle grimace pour la forme, à l’idée de boire l’affreux liquide qui est censé l’aider à se rétablir, mais elle sait au fond que c’est pour son bien, même si elle ne l’admettra pas.

Il la laissa seule, oh pas longtemps certes, mais assez pour que la Carsenac puisse faire un léger point sur l’état de son corps. Les larmes menaçaient de s’échapper de la prison des prunelles grises alors que le constat le plus frappant était décidemment la perte de celle qui aurait dû devenir sa fille. Sa petite fille…Elle ne pourrait jamais se le pardonner, car si une faute avait été commise lors de cette bataille, c’était elle-même et uniquement elle-même qui en était responsable, en acceptant de mener ses troupes à la bataille, en refusant de suivre Elisa lorsqu’elle était partie rejoindre le Limousin & la Marche.
Mais déjà Elric revenait, et avec lui une espèce de tambouille qui ne lui faisait en rien envie, mais qu’elle se forçait néanmoins à avaler alors que le vieil Intendant lui faisait un résumé de ce qui l’attendait à présent. Du courrier en retard…Ce n’était pas étonnant, elle se souvenait vaguement avoir fait parvenir quelques lettres aux personnes qui lui étaient chères.
La mine de dégoût sur son visage s’accentue alors qu’elle continue d’avaler la mixture, elle n’avait décidemment pas faim du tout. Elle finit le tout, met le bol de côté et prend les lettres, avant de blanchir subitement et de prendre la main du vieil homme dans les siennes.


- Sindanarie…Blessée ? Elric…Je veux que tu me donnes le même entrainement que tu lui as donné pour lui apprendre à manier l’épée. A user de plusieurs lames comme elle le fait. Je n’ai pas sa dextérité, mais je veux l’acquérir, je ferais n’importe quoi. S’il te plait, Elric, je veux pouvoir la protéger…Ca me fait si mal, de la savoir blessée sans pouvoir rien faire. De savoir que les Carsenac subissent tant de blessures…S’il te plait.

Imploration, la rousse ne sait pas quoi faire d’autre. Si Elric est en mesure de lui fournir l’apprentissage dont elle a besoin pour s’améliorer et avoir une toute petite chance de protéger sa cousine à l’avenir lorsqu’elles seraient ensemble sur le champ de bataille, alors elle saisirait l’occasion sans hésiter. La rousse serre les lettres dans sa main, les larmes finissant par percer sa carapace et venir couler sur ses joues, silencieuses, alors que les aciers en détresse observent le vieil homme.

- S’il te plait…Apporte moi de quoi écrire, et de quoi sceller mes lettres, je vais répondre à toutes ce courrier.

Le s’il te plait final était peut-être plutôt destiné à la demande précédente, celle de lui apprendre tout ce qu’il savait tant que c’était encore possible, mais qu’importe. Sa demande est rapidement exaucée, et la Carsenac se met à relire tous les courriers qui lui avaient été lus alors qu’elle était inconsciente. Pour l’instant elle laisse les courriers de sa cousine de côté, elle n’a pas du tout la force de les lire sans être prise de sanglots incontrôlables, du moins pour le moment. Mais les différentes lettres lui arrachent les mêmes réactions, dont une en particulier…Ces lettres qui rappellent la douleur d’avoir perdu son enfant, qui font brûler la cicatrice à peine refermée de son ventre.
Pourtant elle fait face. Qu’importe le temps que cela prendra, elle répondra à toutes celles-ci elle-même, avant de s’autoriser un quelconque repos, et sans doute Elric comprendra-t-il. C’est quelques heures qu’elle passera à tout écrire, s’arrêtant parfois pendant plusieurs minutes pour se reposer, s’assoupir un instant, avant de reprendre la rédaction qu’elle essaie de faire la plus soignée possible, pour que personne ne se rende compte de sa faiblesse. Chacune des lettres est scellée puis confiée à l’Intendant, avant qu’elle ne se retrouve plus qu’avec une pile de lettres : celles de sa cousine. La suite à venir…


Citation:
Kasia,

    Pardonne cette lettre décousue, sans doute bien courte, et pas forcément bien écrite. J’ai beaucoup de courrier en retard, et je prends sur moi pour répondre à tout le monde, malgré la fatigue, la douleur, etc.
    Je me suis réveillée, tu t’en doutes, sinon je ne pourrais pas écrire cette missive. Je ne sais pas combien de temps je suis restée inconsciente, je n’ai pas encore demandé plus de précisions à Elric…Ce que je sais, c’est que j’ai reçu beaucoup de lettres; ça doit donc faire au moins quelques jours. J’ai perdu l’enfant que je portais, Kasia.

    L’enfant que je portais n’a pas survécu à la lame ponantaise qui m’a transpercé, et je suis encore entrain de me demander comment j’ai fais moi-même pour y survivre. Enfin il semblerait que je sois plus ou moins tirée d’affaire…Plus ou moins. Rassure-toi : on veille sur moi là où je suis, l’homme qui a élevé ma cousine s’est empressé de me rejoindre lorsqu’il a été mis au courant de mon état.
    Il va surveiller mes arrières, mon rétablissement, et tu peux compter sur lui pour me forcer à me nourrir correctement même si je n’en ai pas envie.

    J’en profite pour t’annoncer que mon mariage avec Hannibal de Cassel Malemort aura lieu le six novembre à Paris, en la Saincte Chapelle, et que tu es invitée bien sûr. Il parait que dans chaque malheur, il y a un peu d’espérance. Je pense que la mienne, mon salut, réside dans cette union; c’est ma seule échappatoire. Ma dernière chance de sortir de cette folie qui me guète, surtout après cette perte…
    Nous nous reverrons à Paris, Kasia.
A.




Citation:
Mon Autre, Elisa,

    Ce n’est pas ta faute. Tout ce qui s’est passé, tu ne pouvais rien y faire ma sœur. J’ai pris moi-même cette décision de me battre pour mes convictions en mettant tout ce que je possédais en jeu pour les mener à bien. Et à ce jeu dangereux, je me suis brulée les ailes. J’ai perdu cet enfant que je désirai ardemment, rien ne valait sa vie tu as raison, et je l’ai bêtement gâché, je n’en avais pas le droit.
    Ce n’est pas ta faute, c’est entièrement la mienne. J’ai été une mauvaise sœur, j’ai été une mauvaise mère, tout ça pour pouvoir être une bonne Capitaine, une bonne Licorne. Crois-tu qu’un jour je changerai ? Je ne pense pas réussir un jour à faire passer ma vie avant celles des autres, mais cette fois il y avait bien plus en jeu, tellement plus.

    Comme j’aimerais que tu sois là moi aussi…Mais si je t’ai demandé de repartir, ma sœur, c’est parce qu’ici personne n’est en sécurité, surtout pas toi. Et je refuse catégoriquement qu’il t’arrive quoi que ce soit, ta vie a bien trop de valeur à mes yeux, et jamais je ne pourrais survivre à ta perte.
    Nous nous reverrons très bientôt ma douce, et nous pourrons alors nous retrouver, et passer à nouveau du temps ensemble, je vais tout faire pour survivre, je te promets de me battre et de te revenir, pour honorer ces mots que j’ai eu avant ton départ du Poitou, même si une partie ne sera jamais réalisable.

    Avec toi ma sœur, je vais me relever. Pour Hannibal, pour toi, pour ma famille, notre Famille, je vais me laisser soigner. Elric s’occupe de moi et tu sais qu’il fait ça bien, je sais qu’il veillera sur moi jusqu’à ce que je sois complétement rétablie, et plus longtemps encore j’en suis certaine. Si cette blessure, cette perte, ne cicatrisera jamais; savoir que tu seras toujours là pour moi me permettra de me relever, encore et encore.
    Je me suis réveillée de plusieurs jours d’inconscience, durant lesquels je ne sais pas exactement ce qu’il s’est passé. Je sais en revanche que nous nous retrouverons bien.
    Je te promets de vous revenir, je te promets de te revenir ma sœur.


« Deux âmes pour un tout. »

A.




Citation:
Titca,

    Oui, je suis tombée, oui, je suis encore tombée.
    Après plusieurs jours d’inconscience je suis enfin revenue à moi, avec de nombreuses lettres auxquelles je dois à présent répondre. Remettre en doute ce pour quoi je me bats, Titca, cette cause qui est la mienne et que je défends, c’est remettre en doute ma vie toute entière, et mon utilité ici bas. C’est rendre inutile la perte de cet enfant, mon enfant, mon bébé…

    Ma vie ce sont les autres. Et ça le sera certainement toujours, c’est-ce qui fait que je suis toujours en vie, que je le suis restée si longtemps, que j’ai continué à me battre lorsque je n’avais plus de raison de le faire. Les autres, l’espoir de pouvoir améliorer quelque peu leur quotidien, de sauver des vies, d’apaiser les souffrances de chacun au maximum. Si pour cela je dois souffrir à leur place, et bien soit. Je suis prête à endurer cela, pour répondre à mes principes.

    Est-ce que c’est le fait du Très-Haut ou celui des lettres qui m’ont été écrites, des promesses que j’ai faites, je n’en sais trop rien; toujours est-il que je suis bien réveillée et que ma blessure semble avoir cicatrisée. Je pense avoir de la fièvre, mais des médicastres veillent sur moi, ainsi que l’Intendant de ma cousine qui s’y connait merveilleusement bien tant dans le domaine des armes que dans celui des plantes. Peut-être si j’arrive à me rétablir celui-ci pourra-t-il m’entrainer pour me remettre en forme.

    Merci pour tes prières, je te prie de les diriger vers mon enfant parti trop tôt, qui recevra les miennes également. Je suis certaine qu’il rejoindra les anges pour veiller sur les siens.
A.




Citation:
Hema,

    Excusez-moi pour le temps de réponse à votre lettre. Je suis tombée sous les coups ennemis lors d’un assaut à Poitiers. Je suis restée plusieurs jours inconsciente, mais me voilà réveillée, bien qu’en très piteux état. J’ai perdu l’enfant que je portais en défendant mes principes et la Couronne de France. Mais je suis en vie, et je n’ai pas oublié la promesse que je vous ai faite.
    Comment trouvez vous Limoges ? Le voyage s’est il bien passé ?

    Je suis heureuse que vous ayez trouvé le moyen de rejoindre la Capitale en tout cas.
    Je reviendrai aussitôt qu’il me sera possible, soyez en certaine. En attendant, je vais demander à mon futur époux de prendre contact avec vous afin de vous fournir de quoi vous nourrir à bas prix. Si vous avez besoin de quoi que ce soit lors de votre séjour, n’hésitez pas à vous adresser à lui, je gage qu’il fera tout ce qui est en son pouvoir pour aider celle que j’ai présenté comme étant sous ma protection.

    Encore une chose. Mon mariage aura lieu le six novembre, en la Saincte Chapelle, à Paris. Je serai heureuse que vous soyez présente pour ce fameux jour, je pense que plusieurs convois partiront du Limousin & de la Marche, auquel vous pourrez aisément vous joindre pour vous rendre en la Capitale du Royaume de France, bien sûr tous vos frais seront pris en charge si vous décidez de participer à cette belle cérémonie. Vous pourrez loger sur place dans une auberge proche du Louvre.
Faites attention à vous,

Aldraien.


*Diderot
_________________
Sindanarie
["Morgenstern ach scheine
Auf die Liebste meine
Wirf ein warmes Licht auf ihr Ungesicht
Sag ihr sie ist nicht alleine

Morgenstern ach scheine
Auf die Seele meine
Wirf ein warmes Licht
Auf ein Herz das bricht
Sag ihr daß ich weine" *
Rammstein, Morgenstern]


Les sceaux ne sont que de cire rouge, sans ornement. La matrice, trop précieuse pour que Sindanarie prenne le risque de la voir perdue, est soigneusement enfermée à Château-Renault. La Carsenac, elle, se partage entre la Vicomté de son fiancé et Chinon. Parce qu'elle ne veut pas s'éloigner de lui, parce qu'elle veut aussi rester un peu avec ses frères et soeurs d'armes. Et les lettres partent, selon les jours.

Citation:
Ma cousine,
    Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression que nous nous éloignons... Peu de nouvelles, et encore, par Elric interposé depuis ce jour où Pierre-Louis a quitté Limoges pour rentrer en Touraine et me rejoindre. M'en veux-tu ? M'en veux-tu parce que je l'aime et que, malgré l'estime que j'ai pour Elisa, je ne peux renoncer à lui ? Je suis désolée si c'est ça, mais... Je ne peux pas ne pas l'aimer. Comme tu ne pouvais pas ne pas aimer Aymeric. Il est des choses qui ne peuvent être autrement que ce qu'elles sont, n'est-ce pas ?

    Je ne te demande pas de m'approuver, juste de comprendre que je l'aime, qu'avant lui, même si j'ai eu des amants après la mort du dernier homme que j'avais aimé d'amour, je n'avais plus de coeur. J'avais une tête et un corps. Lui, il m'a redonné la vie. Il m'a fait mal à une époque, oui, je m'étais résignée à redevenir cette ombre, mais lui... Lui m'est revenu, contre tout espoir. Imagine à la fois le courage et les sentiments qu'il faut pour oser quitter une princesse de France... Surtout maintenant que tu connais sa mère, je pense. Alors oui, Elisa a souffert. Mais je te demande de considérer que pour une personne malheureuse, deux trouvent le bonheur l'une dans l'autre. Je suis à lui, quoi qu'il arrive et tant que le Très-Haut nous prêtera vie.

    Et toi, ma cousine, ma Soeur, tiers de ce qui reste de mon sang, je t'aime. Prends soin de toi dans les jours sombres qui viennent.

A Chinon, le 20 octobre 1459.

Sindanarie


Citation:
Aldraien, ma Rousse,
    Si tu savais à quoi ressemble Chinon... C'est horrible. La ville que je connaissais, où nous avons été stationnés si longtemps, se mue en ville assiégée, à ceci près que sous ses murailles n'attendent plus d'armées. Elles ont toutes convergé vers Tours, et chaque nuit nous les attaquons. Charge sur charge, sans répit. Les nôtres tombent un à un, blessés plus ou moins durement. Pour ma part, je suis encore passée entre les gouttes. J'ai bien été blessée quelques fois depuis le début des combats en Touraine, mais jusqu'ici on ne m'a préconisé que deux fois de prendre du repos. Et l'une de ces fois...

    Pardonne-moi, c'est décousu. La première fois où j'ai récolté une blessure ici, nous avions foncé sur une armée du Ponant. Le choc a été rude. Nous avons fini par reculer. Je me souviens d'assez peu de choses... Je vois encore la charge, les lances qui s'abaissent. Je crois que je chantais à ce moment-là. Ensuite, il y a eu le choc, et puis... Je ne sais plus exactement. Quelqu'un a donné un coup dans mon bouclier, qui a volé en éclats et m'a labouré le bras. Je ne me souviens pas de grand chose ensuite. J'ai juste vu quelqu'un que je connaissais à terre. J'ai eu peur. Pied à terre, pouls, elle vivait. Et ensuite... J'ai tiré mon bran d'arçon, et je ne me souviens plus de rien avant l'arrivée de quatre de nos Frères et Soeurs. Le noir, uniquement. Je ne sais pas ce qui s'est passé...

    C'est effrayant. Les blessés peuplent Chinon, et s'y nourrir commence à relever de l'exploit. L'on compte et décompte ses jours avant de pouvoir retourner au front. On espère, on essaie de rire, mais il y a comme un air de morosité dans tout. J'aime la guerre autant que je la hais. J'aime le combat, j'aime l'idée de donner mon sang et ma vie, quand le Très-Haut le décidera, pour notre Royaume. Mais je hais de voir ces amis, Frères et Soeurs tomber. Je hais ces moments où nous comptons nos pertes et essayons de dénombrer celles de l'ennemi. A ces instants-là, je me demande si nous ne défendons pas une cause perdue d'avance... Mais toujours je suis debout, en selle, prête pour le nouvel assaut. Même si, souvent, j'ai peur.

    En Maine, Semnos regardait les étoiles du haut des remparts. Aujourd'hui, je crains de les contempler, immuables, pendant que nous tombons, lentement, les uns après les autres. Et elles me font peur, alors qu'elles me semblaient si belles. Même rencontrer Nilas m'avait fait moins peur que l'idée de les regarder, si pures, scintiller dans le noir. J'ai l'impression de sentir le sang et la mort, je me fais horreur. Et pourtant je porte en moi une vie, une petite vie, nouvelle et pure encore. Et les peines de la guerre ne peuvent que céder le pas au bonheur quand je pense à cet enfant.

    Tu imagines ? Un tout petit moi mêlé à un tout petit Pierre-Louis. Un petit Carsenac-Villefort. Ca va lui donner un de ces caractères... J'ai hâte de le connaître, cet enfant, et j'espère pouvoir lui offrir la paix. Et qu'il connaisse son père, qu'il soit légitime ! Je voudrais lui donner ce qui n'a pas fait mon enfance. Et le voir grandir.

    Il me faut te quitter. Il y aura encore probablement un assaut ce soir. Il y a dans l'air cette fébrilité qui les précède. Je vais aller seller Orphée. On ne sait jamais.

    Je t'embrasse, ma Cousine, ma Soeur, comme si ce devait être la dernière fois. Veille sur toi...

A Chinon, le 25 octobre 1459.

Sindanarie


Citation:
Mon Aldraien,
Je suis tombée, il y a quelques jours. Excuse-moi, je ne peux pas t'écrire plus, le médicastre m'inflige dose d'opiat sur dose d'opiat. J'ai mal, toute ma jambe droite me vrille. Il va vouloir me faire dormir. Il a raison. J'ai tellement sommeil...
Prends soin de toi.
Chinon, le 28 octobre 1459.
S.C.


Citation:
Cousine, Soeur, Aldraien,
    J'ai appris... La lettre du soldat qui devait veiller sur toi m'est arrivée. Je l'ai depuis des jours, et depuis je ne peux que la relire, sans cesse. La seule manière de m'en échapper, c'est de passer en taverne, voir du monde, essayer d'oublier un instant, un seul, tout petit... Mais la nouvelle est arrivée à Kasia, et tu sais comme elle aime les tavernes.

    Je porte toujours, malgré ma blessure, son enfant, notre enfant, et je me sens coupable à l'idée que je connaitrai un bonheur qui t'a été arraché... D'avance, ma cousine, je te demande pardon de la peine que je te ferai quand mon ventre s'arrondira plus nettement. Le jour de ton mariage et le jour du mien, ce devrait encore être imperceptible, mais plus tard il me sera impossible de le celer. Ce qui m'inquiète, d'ailleurs, car avec cette guerre, me permettra-t-on seulement d'être mère ?

    Pardonne-moi. Puisse le Très-Haut veiller sur toi, te donner la vie qu'il me consent. Pour que les Carsenac puissent rester la tête droite, pour ton Prince, pour ceux qui t'aiment. Pour Elric, dont l'attachement transparait dans les lettres qu'il m'adresse. Pour moi, aussi, un peu.

    Je prie pour toi. Je prierai pour toi chaque jour, jusqu'à ce que je sache si ton état s'améliore et après encore.

A Chinon, le 2 novembre 1459.

Ta cousine, ta Soeur, quoi qu'il arrive.
Sindanarie


[* Traduction : "Ô Etoile du matin, brille sur celle que j'aime le plus, jette une douce lumière sur son non-visage, dis-lui qu'elle n'est pas seule... Ô Etoile du matin, brille sur mon âme, jette une douce lumière sur un coeur qui se brise, dis-lui que je pleure." Et en musique ici.
_________________
Elisa.
    « L'amour, une fois qu'il a germé, donne des racines qui ne finissent plus de croître. »
        Antoine De Saint-Exupéry




Les jours passaient et les nouvelles du front revenaient… Mais sa missive restait sans réponse. La Malemort s’inquiétait, demandant autour d’elle si d’autres avaient reçu une nouvelle, aussi maigre soit-elle… Mais rien… Strictement rien… Toujours rien…
La princesse devenait folle, ses nuits étaient agitées, son sommeil léger. Elle était fatiguée.
Et puis la réponse arriva enfin… Une lettre… Les tâches de la précédente avaient disparu… Mais l’écriture n’était toujours pas aussi assurée qu’habituellement.
Des nouvelles plus ou moins rassurantes… L’envie de la rejoindre encore au plus vite, mais se sentir attachée, privée de sa liberté par ses charges dans sa province. Voilà ce qu’était devenu le quotidien de la Malemort…

Elle la douce rêveuse de liberté et de voyage… Cantonnée à passer de son bureau de chancelière à celui de Vice Comtesse… Enfin de Première Conseillère… puisque le nouveau conseil avait décidé de renommer le poste.
Ainsi, c’est depuis son bureau de PC qu’elle pu répondre à sa rouquine. Sa lettre se voulant être courte au départ…


Citation:
Ô ma douce, Ô ma sœur,

Te rappelles-tu encore les mots que tu as eus envers moi lorsque je suis venue te rejoindre en Poitou ? T’en souviens-tu ? Chaque jour ils me hantent, chaque jour j’y songe.
Je sais que je t’ai fais du mal le jour de ton départ… Je sais que je t’ai fais du mal quand tu m’as vu avec lui, avec ton sang. Si tu savais comme je suis désolée de ne pas réussir à aller en arrière. Je t’ai fais du mal par cette situation alors que tu avais besoin de moi. Et je sais que je lui fais du mal à lui aussi. Je lui fais du mal car je ne pourrais jamais lui offrir ce qu’il veut de moi. Je ne pourrais jamais, cela me fait si mal rien que d’y penser, ma douce.
Suis-je une femme si méchante ? J’ai brisé ton cœur et ta confiance en moi. Et chaque jour qui passe un peu plus, je brise sa vie d’un grand rêve, je brise sa possibilité d’être heureux et de trouver une épouse qu’il pourra aimer et qui saura lui rendre ce sentiment qui parfois et si merveilleux.
Pourquoi suis-je si égoïste ? La raison n’est plus, le mal m’emporte petit à petit… Et pourtant je me bats tu sais… Je me bats pour ne pas tomber. Je travaille d’arrache pied… je travaille pour ne plus songer, je travaille pour ne plus avoir peur, je travaille pour ne pas arriver au soir et me retrouver seule dans ce grand château.

Oh reviens moi ma douce sœur, reviens moi car j’aimerai me blottir dans tes bras. J’aimerai pouvoir sentir de nouveau la chaleur de ton corps réchauffant le mien. La force de tes bras enserrant mon corps pour me consoler. J’aimerai pouvoir en faire de même aujourd’hui. J’aimerai pouvoir blottir mon corps frêle contre toi pour réchauffer ton cœur et ôter ta peine. J’aimerai pouvoir glisser mes bras autour de toi pour te donner mon restant de force et de courage.
J’aimerai juste pouvoir te rendre tout ce que tu m’as donné quand j’ai perdu mon enfant. Car tu étais là pour moi toi. Tu as été la seule à être près de moi et à me soutenir. Alors je veux te rendre cela, je veux te rendre toute cette force que tu m’as donnée. Car aujourd’hui c’est toi qui en à besoin.

Et puis, tu avais raison… Encore une fois tu avais raison… Il s’est joué de moi, il s’est joué de moi comme depuis plusieurs semaines déjà… Il sait que je l’aime encore, et il en profite. Suis-je si bête ? Ou peut-être aveuglée par l’amour que je lui porte encore.
Mais pourquoi ? Pourquoi l’aimer encore ? Des paroles en l’air, les hommes ne sont bons qu’à ça ? Tu sais, même si je la haïs, je ne souhaite pas son malheur… Même si je la haïs et que parfois je souhaite sa souffrance, je me repens le soir venu en pleurant dans ma couche.
Qui peut haïr quelqu’un jusqu’à souhaiter son malheur ? Il a fait son choix, il n’était pas tourné vers moi… Mais il est si dur de tourner la page... Si dur de tourner la page alors que lui continue ses belles paroles. Comment peut-il s’amuser à me faire ainsi souffrir et risquer également de la faire souffrir ? Je dois arrêter ce jeu… Je me dois de l’arrêter… Car la souffrance que je ressens, personne ne mérite d’avoir la même… Personne, et encore moins à cause de moi. J’en mourrais tu sais… j’en mourais.

Titca est prête à m’aider. Etonnement, j’ai trouvé en elle une épaule sur qui je peux me confier. Nous n’étions pas vraiment parti sur des bonnes bases toutes les deux. Et puis son arrivé au Conseil nous a donné la possibilité de recommencer.
Elle n’est pas celle que je croyais, et j’espère avoir réussit à lui donner une autre image de moi. Elle réussit à me faire rire de mon malheur, et surtout petit à petit elle m’aide à tourner la page sur ce malheur qui me hante.
Je tente de l’aider, même si je me sens impuissante face à ses déboires mais j’ai envie de l’aider, envie de pour une fois pouvoir rendre quelqu’un heureux ou du moins l’amener dans ce chemin.

Comme j’aimerai que tu sois là…
Rappelles toi notre promesse ma sœur… Rappelles toi notre promesse…
Tu trouveras joint à cette lettre un petit présent… Oh ne t’attends à rien de spectaculaire, juste un objet que tu tiendras dans ta poche. Il te rappellera que je serais toujours là pour toi et avec toi.

« Deux âmes pour un Tout. »

Elisa.




Et là, la missive fut scellée, rapidement, un valet parti, direction le Poitou afin de la retrouver… La Malemort aurait aimé y aller elle-même... Mais son devoir de Vice Comtesse l’empêchait de partir. L’empêchait de la rejoindre…
Ainsi, la princesse fit confiance au valet porteur de la lettre et du petit présent, cacher dans un morceau de tissu en soie. Rien de bien grand… Comme elle l’avait dit dans la lettre… Seul elle pourrait comprendre sa valeur et son sens… Juste elle… Juste un….

Bouchon…

_________________
Hema
[L'espoir des hommes, c'est leur raison de vivre et de mourir.*]
* André Malraux

Hema n'attendait plus. Elle s'était faite une raison : Aldraien devait avoir bien plus important à faire qu'une vague promesse faite à une gamine, un soir, dans une taverne quelconque.

Alors, malgré les tromperies, malgré la solitude, malgré le froid et malgré la faim, elle survivait.
Chaque jour, elle travaillait, jamais vraiment sûre de percevoir son salaire le lendemain depuis le manquement de la maréchaussée à la payer.
Chaque jour, elle se rendait au marché, jamais vraiment sûre de trouver quelque chose d'accessible à sa bourse, ne serait-ce qu'un peu de maïs, même vieux, ou bien une miche de pain, même rassi.
Chaque jour, elle trouvait refuge dans une étable, jamais vraiment sûre de pouvoir y passer la nuit sans en être jetée.
Chaque jour, elle allait s'occuper et se réchauffer dans la taverne municipale, jamais vraiment sûre d'y croiser quelqu'un.

Mais elle survivait. Allez savoir pourquoi. Heureusement, elle, ne se posait pas cette question.
Jusqu'au jour où un messager lui avait porté Le message. Celui d'Aldraien, elle en était sûre avant même d'avoir ouvert le pli. C'était son sceau.
A ce moment là, l'espoir avait été ravivé, et dans sa précipitation, le vélin avait été déchiré, ce qui ne lui ôtait un rien la possibilité de lire toutes les nouvelles.

Le sourire qui s'était installé sur son visage, tout comme les étoiles dans ses yeux s'étaient effacés lors des premiers mots sur lesquels son esprit s'était arrêtés.

Aldraien a écrit:
(...)Je suis tombée sous les coups ennemis lors d’un assaut à Poitiers. Je suis restée plusieurs jours inconsciente, mais me voilà réveillée, bien qu’en très piteux état. J’ai perdu l’enfant que je portais en défendant mes principes et la Couronne de France.(...)


La bouche entr'ouverte de suprise, ses yeux se mouillaient de tristesse, de crainte, d'inquiétude.
La suite aurait pu lui redonner le sourire. Elle était en vie, et en plus, elle n'avait pas oublié la promesse qu'elle lui avait faite.
Cependant, Hema se sentait d'un coup lourde du poids de la culpabilité. La culpabilité de n'avoir pensé qu'à elle, durant tous ces jours écoulés, alors que sa future éventuelle protectrice vivait dans la souffrance, surement autant physique que psychologique.

La larme avait fui son oeil. C'était pourtant pas faute de l'avoir retenue.
Puis une deuxième ; l'autre oeil était jaloux, sans doute.

La suite de la lecture avait été bien taciturne.
Peu importait qu'elle même ait réussi à rejoindre la capitale.
Peu importait, finalement, qu'elle survive ou non.
Elle n'était pas utile, elle. Elle ne représentait rien, en fin de compte, comparée à cette femme pleine de courage qui bravait les dangers, convaincue, et surement convaincante.

Puis vint le passage de l'annonce de son mariage.
Un léger sourire avait alors pris place au coin de ses lèvres, n'arrêtant en rien les larmes qui coulaient, chaudes, salées, piquantes.
Aldraien serait heureuse qu'elle soit présente... Elle déglutie en répétant à voix basse.

Paris...

Ses yeux parcourent la fin de la lettre, puis dans un soupir teint de tant d'émotions, elle referme le message et le place avec les autres qu'elle avait reçu d'elle.

Elle, aller à un mariage, à la Saincte Chapelle, à Paris, tous frais payés, et loger dans une auberge proche du Louvre.
Tout cela était bien trop pour la petite.
Elle ne pouvait pas lui répondre dans l'immédiat.
Elle avait besoin d'accepter toutes les nouvelles.
Elle avait besoin de réfléchir.
Elle avait besoin de... trouver quelque chose à se mettre pour un tel évènement. Et trouver un cadeau digne d'une femme comme elle. Et elle n'avait pour ça que... quelques jours...

Un nouveau soupir efface ses larmes.
Elle avait maintenant une raison de vivre, encore quelques jours au moins.
Hema
[Limoges, quelques jours avant le mariage]

Hema était dans tous ses états.
Quelques jours seulement pour économiser.
Il fallait qu'elle s'achète quelque chose de correct à porter pour le mariage.
Il fallait qu'elle fasse des réserves de provisions pour pendre la route plusieurs jours.
Il fallait qu'elle paye pour se joindre à un convoi pour se rendre à Paris, n'ayant rencontré personne qui s'y rendait.
Il fallait qu'elle trouve un cadeau pour les mariés.
Il fallait... plus de temps, tout simplement. Mais non, c'était pas si simple en fait.

Alors elle s'activait, et lorsqu'elle avait trouvé cette offre d'emploi d'une armée lui permettant d'avoir 16 écus en une seule journée de travail, elle avait hésité, mais s'était finalement précipitée pour postuler.
Et elle avait été acceptée. A regret, un peu, car on lui avait tout de suite fait comprendre qu'on l'employait pour faire bouclier. Bouclier vivant.
Elle avait tout essayé pour s'en faire jeter.
Elle avait mordu le chef de l'armée à la main.
Puis s'était enfuie à travers les soldats médusés.
Elle avait presque réussi à quitter la ville mais... que voulez vous.
Elle avait été rattrapée, à la risée de tous, des larmes de colère s'écoulant sur ses joues empourprées par son débat pour échapper aux mains puissantes qui la soulevaient du sol.

Pas le choix. Fallait rester. Mais encore une fois, bien qu'on lui avait déjà fourni une miche de pain, elle était sûre de ne recevoir aucun salaire, et elle l'était bien moins d'être libérée le lendemain pour aller chercher la robe qu'une tisserande de Limoges avait accepté de lui confectionner contre quelques menus travaux jusqu'à son départ pour la cérémonie.

La vie était injuste. La vie était dure. La vie était complexe.
Considérée comme une gamine, on ne lui donnait pourtant aucun privilège d'enfant.
Elle n'était même pas sûre de vivre après cette nuit.
Peut-être, tout compte fait, qu'elle n'aurait pas du quitter la Bourgogne.
Qu'elle aurait du épouser ce lointain cousin qu'elle n'avait vu qu'une fois.
Qu'elle aurait du jouer le rôle de la petite fille gentille et bien élevée que son père espérait tant.
Qu'elle aurait dû rester en Bretagne, lorsqu'elle y était passée, pour profiter de la gentillesses dont les gens avait fait preuve.

C'était dur d'assumer, d'accepter, de se résigner.
Elle voulait y aller à ce mariage. Mais rien, pour l'heure, ne lui indiquait qu'elle y réussirait.
Puisque rien ne dure, la chance tournerait peut-être ?
--Elric_lesang
["Le désir est signe de guérison ou d'amélioration."
Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain]


C'était rassurant, de la voir reprendre pied de la sorte. Marquée, oui, c'était une évidence. Et le simple fait qu'elle prenne sa main était signe que la nouvelle de la blessure faisait son chemin. Si l'intendant les avait crues comme mortes l'une pour l'autre, celle-là venait de lui prouver qu'il n'en était rien. Et il ne doutait pas, au vu des lettres qu'elle lui avait adressé, que sa petiote soit dans le même état d'esprit. Alors il sourit, presque béat, savourant au passage le compliment sur l'habileté de Sindanarie armes en main (et il savoure d'autant plus qu'il lui a enseigné sa manière de se battre), quand... La demande arrive. Elle veut apprendre également. Figé un instant, le sourire s'élargit encore. Même un genou, non, même deux genoux au sol, les Carsenac ont la manie de vouloir se relever et faire mieux encore qu'avant. Alors, tout doucement, il entame le début de la leçon, sur un hochement de tête marquant son accord :

T'apprendre ça ? Je suis moins bon, maintenant, beaucoup plus lent qu'avant, mais je pourrai te montrer, si tu veux. Pars juste du principe, pour t'y préparer, que c'est comme une danse. Ca doit siffler autour de toi sans te toucher, comme un partenaire, et ça ne doit laisser aucune chance à celui d'en face de se distinguer. Ca doit toujours rester léger. D'ailleurs, j'sais pas si t'as remarqué, mais la p'tiote préfère de loin les mailles à une armure et la brigandine au gambison. Plus souples... Et la seule vraie règle, c'est qu'il faut que tu aimes danser. Sinon, que tu aies une, deux ou dix lames ne change rien. On ne fait bien que ce qu'on aime.

Halte-là, vieil homme. Pas le moment de t'emballer, et si tu continues comme ça, elle va vouloir essayer avant d'être en état de le faire. Sourire de l'intendant, presque tendre, alors qu'il répond d'une pression à celle qu'elle exerce sur sa main et reprend :

Par contre... C'est plus dangereux que d'avoir un bouclier. Tu es plus exposée. Une flèche et, si tes protections ne suffisent pas, bam ! c'est mal barré pour toi. Mais je t'apprendrai. Quand les médicastres me diront que tu peux le supporter.

Et la suite, les missives, les réponses, la soirée, nuit et jour s'égrenèrent. Jusqu'à...


["I'm your eyes while you're away
I'm your pain while you repay" *
Metallica, Sad but true]


Le juron et l'insulte tonnent dans l'ambiance feutrée de l'endroit, d'un bloc l'intendant se lève, indifférent aux regards scandalisés des médicastres, un feuillet froissé dans le poing. Il vient d'ouvrir et de parcourir une lettre accompagnée d'un morceau de soie enroulant un petit objet. Le bouchon, il l'a déposé dans la main de la rousse qui se repose. La lettre, il l'a lue, par la force de l'habitude prise pendant son inconscience. Et il en est devenu pâle de rage à l'instant où ses yeux ont parcouru son troisième paragraphe. L'enflure... L'enflure, il avait osé ! Rejetant sur la paillasse de la Capitaine le pli décacheté, sans regarder s'il a réveillé la Carsenac qui dormait paisiblement quand il a rugi, il sort en trombe. Il a besoin de se défouler, là, tout de suite. Qu'importe le moyen. Bientôt, alors que de nouvelles insultes pleuvent, son poing s'abat sur un innocent tronc d'arbre, dont le seul tort était d'avoir eu l'épaisseur d'un corps d'homme. Un, deux, trois coups. Les jointures rougissent au premier, s'égratignent au deuxième, s'ouvrent au troisième. Le pin prend sa revanche...

La douleur le calme, paradoxalement, éclaircit les idées d'Elric, comme si elle le forçait à mettre de l'ordre dans son esprit. D'un pas mesuré, il retourne vers l'intérieur, laissant l'arbre tranquille. Maintenant, il va s'occuper des hommes... Et ca va saigner. Le regard assassin, il écarte d'un geste le médicastre qui est à présent au côté d'Aldraien. Il reprend la lettre, s'assied à la même place que quelques instants plus tôt, relit en silence le paragraphe qui l'a fait bondir. Alors qu'il reprend un peu contenance, il relève les yeux sur la rousse. Elle a peut-être lu, elle a peut-être déjà compris... Mais, par principe, il montre du doigt, sans prêter attention au pourpre qui sourd de ses articulations, le passage qui l'intéresse et gronde :


Pardonne-moi, mais... J'ai lu cette lettre, et je voudrais que tu m'autorises à copier ce paragraphe-là, mot pour mot. J'peux pas laisser ma petiote épouser un homme qui la trompe avant même leur mariage. J'peux pas.

Le ton, bas, à la haine sous-jacente, passe de la contrition à la neutralité, de la neutralité à la détresse, de la détresse à une froide détermination à mesure que la pensée de l'ancien intendant se précise. Il ne dit cependant pas à la rousse que si, après une trahison pareille, si manifeste, si éhontée, la brune n'ouvre pas les yeux, elle est plus idiote que femme amoureuse ne l'avait jamais été. Il ne lui dit pas que si elle s'entête, il ira s'occuper lui-même de cette affaire. Il ne dit rien de plus, mais la lueur carnassière qui luit au fond des prunelles sombres veut tout dire. Si Sindanarie n'est pas assez lucide pour quitter l'homme qui la trompe déjà avec son ancienne fiancée, il lui ouvrira les yeux. Quoi qu'il arrive, il empêchera qu'elle se lie à un traître. Il n'attend qu'une autorisation de l'une des prunelles de ses yeux pour écrire à l'autre.

[* Traduction : "Je suis tes yeux quand tu n'es pas là, je suis ta douleur quand tu souffres". Musique ici.]
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