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[RP] En quête d'espoir

Kernos
Seules errances d'amour Sont dignes d'un pardon*

Bourgogne... Il y a plus d'une année, c'était en homme comblé qu'il se tenait ici. Un homme nouveau, libre, amoureux, vivant, aux côté de celle qui avait redonné au monde une saveur, des couleurs... Terwagne. Aujourd'hui, c'était un homme usé, en proie au doute et solitaire qui arpentait la route reliant Lyon à Mâcon sur son cheval gris, à la poursuite d'un espoir, d'un parfum de giroflée que la poussière des chemins avait effacé depuis longtemps, d'un éclat de Lune depuis trop longtemps éclipsé... bref de la femme qui un an plutôt avait franchi avec lui les portes du Lyonnais-Dauphiné.

Autour de lui s'étendaient les champs où, jadis, ils s'étaient aimés la première fois au grand jour. Sur cette terre où personne ne les connaissait, ils n'avaient plus été des amants des ruelles sombres et des jardins endormis, plus eu à cacher leur passion, libres de crier leur amour à la face du monde, libres de se tenir la main, de mêler leurs lèvres et leurs souffles sans craindre les regards accusateurs, les insultes et les jugements, de n'être que deux amoureux anonymes, non l'adultère et sa maîtresse, juste eux-mêmes. Lors de ce voyage, ils avaient connu pour la première fois la sincérité à l'état pur, le partage plein et entier d'une vie qu'ils avaient croquer à pleines dents, en savourant le fruit sans retenu ni pudeur, sans faux semblants... Les masques étaient tombés, emportés au loin par le vent doux et chaud de la liberté qui avait soulevé leurs poitrines et embrassé leurs âmes. Mais le vent s'était épuisé pour se faire murmure lointain et fugitif, un murmure qu'il tentait désespérément de saisir et qui l'avait ramené jusqu'ici, dans le creuset d'un passé où naîtrait peut être l'avenir, à moins que celui-ci ne s'enfuit comme son présent.

Il fit faire halte à sa monture... c'était par ici, l'ombre d'un éclat de rire lui avait remis le souvenir du chemin en tête, Kernos fit prendre à son cheval un sentier courant à travers les blés. Ses cheveux noirs se soulevant comme volute de fumée déchirant le rideau de pluie venant s'écraser sur son épaule nue alors qu'elle galopait devant lui en souriant, surgissaient de sa mémoire pour le guider à travers la campagne mâconnaise. Il la reconnut aussitôt, branlante, misérable, plus ruinée encore que l'année dernière mais c'était bien elle la grange où ils s'étaient donnés l'un à l'autre pour la première fois en Bourgogne. Abri de fortune contre l'orage devenu nid d'amour d'une nuit, de la paille humide, un toit percé, cela leur avait paru un palais alors et aujourd'hui, c'était à la fois une étincelle et un crève-coeur pour le Rouvray.... le premier lieu saint de sa quête où il déposa une prière sur l'autel de cet amour enfui, sur les traces duquel il s'était jeté, comme on prend la croix.

La route était encore longue jusqu'à Mâcon, il ne pouvait s'attarder outre mesure, la paille avait de toute manière perdue l'odeur de Terwagne depuis bien longtemps, il se remit donc en selle.



*Miguel de Cervantes
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Kernos
"Il y a un but, mais pas de chemin ; ce que nous nommons chemin est hésitation"*

Et il est sûr qu'à ce carrefour qu'était Chalon, les hésitations ne manquaient pas, tout comme les chemins pour Kernos. Assis au pied d'un arbre à l'extérieur de l'enceinte, les pieds nus dans l'herbe fraîche et son menton reposant entre le pouce et l'index, le Rouvray étudiait la carte étalée sur le sol devant lui. D'abord, il y avait la route menant à Dijon, ensuite celle passant par Autun, et enfin celle de Poligny qui conduisait en Franche-Comté. Trois voies possibles, trois destinations envisageables... non, deux, il était convaincu qu'elle ne quitterait pas le Royaume de France.

Ses doigts glissèrent sur le parchemin usé, suivant les courbes tracées à l'encre qui représentaient les routes. De Dijon, il serait bien placé pour gagner la Champagne en une journée ou bien couper vers Sémur pour rallier la route du Berry selon les informations qu'il pourrait dénicher dans la capitale des Ducs de Bourgogne. S'il choisissait Autun, la route vers Nevers le conduirait en terre berrichonne, celle de Sémur vers Tonnerre et la Champagne. C'était ça qu'il y avait de merveilleux avec la Bourgogne, toutes ses routes finissaient par se rejoindre, que l'on fasse route dans la mauvaise direction, on avait tôt fait de se remettre sur le droit chemin... restait juste à se décider vers où avancer.

Jusqu'alors, les choix avaient été simples, la piste de Terwagne commençait à Die et s'achevait à Lyon, les informations qu'il avait obtenu de la prévôté lyonnais-dauphinoise étaient formelles à ce sujet, elle avait quitté la capitale vers le nord, vers la Bourgogne... mais après? Il n'avait que des suppositions comme guide, un flot d'hypothèses et d'incertitudes pour le conduire vers d'avantage de doutes et de chimères. Le seul élément qui lui aurait été indispensable pour avancer sur la bonne voie, il l'ignorait: le but de Terwagne.

Il porta sa main à la gourde posée à ses côtés et bu une gorgée de calva.

Son but, elle le lui avait écrit: s'enfuir, loin de lui, mais surtout loin d'eux, rejoindre l'oubli; ce qui lui manquait vraiment s'était la destination "physique" et non spirituelle de la Tempête. Qu'aurait-il fait à sa place? Non, ce n'était pas ainsi qu'il lui fallait raisonner, car lui ne se serait jamais exilé, il se serait isolé derrière les montagnes servant de remparts naturels à ses castels, aurait fait levé les pont-levis et cloîtré dans ses appartements, son mutisme comme harnois contre le monde. Ce qu'il fallait, s'était penser comme elle, s'imprégner de sa personnalité, de son essence... Il ne fallait pas réfléchir mais agir, ressentir et se laisser conduire par ses sentiments et ses pulsions... pénétrer au plus profond d'elle... devenir elle... Ne plus être Chêne, mais Tempête. Difficile à faire, surtout pour lui qui n'était pas d'un tempérament aussi spontané et libre que Terwagne.

Pour l'heure, ses suppositions sur ce qu'auraient été les actes de sa Lune l'avaient conduites jusqu'ici. Elle aimait s'étendre aux pieds des arbres, leur confier ses pensées, ses secrets, et elle aimait le calva. Il ferma les yeux quelques instants, laissant la chaleur du breuvage se répandre dans sa bouche lentement avant de le faire couler dans sa gorge. Il sentait l'écorce rugueuse dans son dos, la caresse de l'herbe dansant sous la brise contre ses pieds nus... L'oubli... la fuite en avant... des concepts qui n'étaient pas siens mais qu'il devait s'approprier. Ils avaient vécu côte à côte durant une année entière, apprenant à se connaître, partageant leurs passés, leurs doutes, leurs craintes, leurs espoirs, leurs rêves... Ils avaient ri, pleuré, crié ensemble... Ils s'étaient fâchés, réconciliés, aimés, n'avaient formé qu'un seul et même être, unissant leurs corps et leurs âmes pour atteindre un absolu qui n'était qu'eux... qui était Tout. Plusieurs fois il s'était fondu en elle, plusieurs fois ils avaient mêlé leur essence mais là... quelque chose lui échappait... tout était bancal... tout... il n'y avait pas de Tout...

Un noir absolu... vertigineux... l'appel d'un vide sans fin... vers le néant... vers un silence total qui mettrait fin une fois pour toute à tout ce vacarme, à tous ces choix. Il était là, il lui tendait les bras en lui offrant un point final et définitif à la souffrance et au bonheur, à l'espoir et au désespoir, à l'attente. Plonger... chuter... toujours plus vite, toujours plus profond, en se laissant emporter, entraîner inexorablement dans ce non-être... non, en le provoquant soi-même. Accélérer la course vers l'achèvement, que s'éteigne à jamais le grand incendie qui coulait en lui, que se tarissent ses veines, que s'essouffle enfin le tourbillon de souffrances qu'était l'existence... Trop de questions... pas assez de réponses... L'oubli devait être si doux... Plus besoin de ramper sous le soleil, de se mentir à soi-même, il suffisait de se dresser une dernière fois à l'ombre de la lune, de refuser tout compris, de lever un poing rageur et défiant face à la vie, face au Destin... de trancher lui-même ses propres fils pour ne plus être une marionnette... Tout sauf subir! Oui, cela devait être ça... Tout sauf subir!

Kernos se souvint, l'éclat d'acier d'un croissant de lune fendant la nuit pour se teinter de rouge... le souvenir de la morsure de la lame... de cette entaille béante dans sa peau pâle où s'étaient mêlés leurs deux sangs... Fuir pour ne pas choisir entre le bonheur de l'un et celui de l'autre... Fuir l'impuissance, l'indécision... Fuir ce qui pourrait être ou ne pas être... L'ultime recours, le dernier espoir: la fuite en avant...

Il émergea violemment. Ouvrant grand la bouche pour reprendre son souffle, comme s'il venait de plonger la tête dans l'eau, ouvrant grand les yeux pour reprendre pied dans la réalité. Kernos se laissa basculer en arrière contre le tronc de l'arbre... L'écorce dur irritant son dos, l'air emplissant ses poumons, les battements sourds et affolés de son coeur, le bruit de sa propre respiration... Il passa ses mains sur son visage où la sueur avait commencé à perler, son regard tomba presque aussitôt sur la cicatrice barrant sa paume. Il reprit haleine et s'envoya une rasade de calva pour se remettre de cette immersion dans les pensées de Terwagne avant de se pencher à nouveau sur sa carte.

La fuite en avant, c'était ce qui avait guidé ses pas hors du Lyonnais-Dauphiné, et ce qui devait encore commander à sa destination. Elle lui avait dit un jour que pour cesser de souffrir d'une blessure présente, elle plongeait à la recherche d'une blessure plus ancienne qui lui ferait oublier celle d'aujourd'hui. Le passé de Terwagne, s'était le Berry, plus loin encore l'Orléans. Deux histoires d'amour, deux histoires d'hommes qui l'avaient abandonné, l'un contraint par la mort, l'autre par choix. Peut être était elle partie se noyer dans les vapeurs d'opium de son passé, mais ce n'était pas la seule voie possible, elle avait peut être choisi de s'immerger dans le travail ou de goûter à nouveau à l'ivresse de l'anamour, ou bien celle de se jeter dans l'inconnu, dans les bras d'un autre qui lui ferait oublier ce qu'elle fuyait jusqu'alors... Pincement au coeur, après tout il serait présomptueux de croire qu'il était irremplaçable, qu'elle ne pouvait pas l'oublier dans le regard et le souffle d'un autre... Ou peut être qu'elle était juste aller se consoler dans l'amitié, du moins il essayait de s'en convaincre, mais la graine de la jalousie était déjà plantée dans son coeur, moins profondément que l'espoir, mais présente tout de même.

Que ferait-il si jamais il la retrouvait avec un autre? Kernos secoua la tête pour chasser cette pensée, il y avait plus important, la retrouver tout simplement, quelque soit le dénouement de cette quête, c'était tout ce qui importait vraiment. Il se concentra à nouveau sur la carte où le monde se résumait à des lignes figées, imperméables aux sentiments et aux doutes, insensibles à la mort des Roys et des Reynes, à la guerre qui faisait rage non loin... lui ne pouvait se permettre de l'ignorer hélas.

Les portes du Berry lui seraient fermés à cause de la lutte contre le félon Georges... Il craignait que Terwagne se trouve là-bas, exposée aux dangers d'un pays envahi mais, à moins de s'engager lui-même dans les troupes en partance pour ce Duché, il aurait bien du mal à franchir la frontière sans risquer la mort, et si elle ne se trouvait pas là-bas, il se retrouverait bloquer jusqu'à ce que la guerre prenne fin. Restaient l'Orléans et la Champagne... Feu Zeltraveller ou le bien vif Aimelin... De toute manière, puisque le Berry était inaccessible, il lui faudrait passer par la Champagne pour rejoindre l'Orléans puis Paris si jamais ces deux provinces ne lui servaient pas de refuge. Il ne lui restait qu'à choisir la route à prendre, le nord ou l'ouest, Dijon ou Autun. Il fouilla dans sa bourse et en tira un écu.


Face, Dijon. Pile, Autun.

La pièce tournoya quelques instants au-dessus de sa tête, avant de venir s'écraser dans sa main tendue. Confier son chemin au hasard, ce n'était pas son genre, mais justement, ce n'était pas lui qu'il poursuivait. Il écarta les doigts lentement pour y lire sa prochaine étape... Fort bien. Il remis la pièce dans sa bourse et se redressa pour récupérer ses affaires. Son dos et ses jambes le faisaient quelque peu souffrir, il n'était plus habitué aux longues chevauchées, les mois de fièvre mais aussi l'âge avançant avaient entamé son endurance. De plus, son cheval aussi avait été éprouvé par le train qu'ils avaient mené depuis Die, prendre du repos s'avérait plus que nécessaire malgré l'impatience qui était sienne.

Le Rouvray quitta l'abri de l'arbre. Il partirait dans quelques jours de Chalon, le temps de recouvrer des forces et de se ravitailler. Il prit le chemin du monastère où il logeait pour éviter de faire fondre trop vite sa bourse tandis que ses pensées volaient vers son but à lui, espérant que son corps ne tarderait pas à les rejoindre.






*Franz Kafka
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Kernos
"Aimer jusqu'à la déchirure. Aimer, même trop, même mal. Tenter, sans force et sans armure d'atteindre l'inaccessible étoile"*

Qu'est-ce qui différencie une capitale d'une autre capitale? Les détails. L'accent des passants, la couleur des pierres, celle des toits, les armes flottant au sommet des tours, les produits reposant sur les étales, le tracé des rues, le goût du vin ... mais au delà de ça, une ville reste une ville: les mêmes effluves de sueur et de poussière dans les grandes artères, la puanteur d'urine et d'excrément dans les venelles, que cela s'appelle la Saône ou l'Ouche on y balançait les mêmes merdes de toute manière. Dijon, comme les autres. Ses maisons, ses échoppes, ses hôtels particuliers. Dijon, un nom différent, une même réalité. Celle d'un coeur battant de plusieurs centaines de souffles. La grande cacophonie humaine, dégoulinante de vie jusqu'à s'en faire éclater. Ҫa gueule, ça pleure, ça aime, ça hait, ça existe, ça vous empêche de l'oublier, l'humanité. Qu'il soit à Lyon ou ici à Dijon, le malaise était le même: il demeurait un étranger dans la Cité. Quoi qu'à la rigueur, ce sentiment d'exclusion était plus supportable ici. Après tout, ce n'était pas son Duché. Ce n'était pas sa terre, il n'était qu'un voyageur de passage. Cette ville ne représentait rien pour lui, il ne représentait rien pour elle... et c'était mieux ainsi.

Cela faisait près d'une semaine qu'il errait, solitaire, dans les rues de la capitale bourguignonne. Une semaine depuis qu'il avait quitté le refuge de l'abbaye chalonnaise sur un coup de pièce pour se jeter dans la gueule de Dijon à la recherche de... de ... à la recherche du courage de pousser la porte d'une taverne à dire vrai. Et pour l'heure, sa quête demeurait infructueuse. Pourtant ce n'était pas les occasions qui manquaient, la ville était riche en débit de boissons et en auberge, mais, dès qu'il s'approchait d'une enseigne, la lumière du feu brûlant dans l'âtre, le son des conversations se mêlant à celui de la vaisselle s'entrechoquant le repoussaient plus loin dans l'ombre des maisons silencieuses et endormies. A travers les fenêtres, Kernos regardait les gens assis autour d'une choppe, discuter, rire, boire, si proches et à la fois si lointains, comme des rêves inaccessibles et éphémères qui s'évanouiraient s'il avait le malheur d'à peine les effleurer du bout des doigts. Alors il restait là, à les épier de loin. Craignant de se brûler s'il approchait trop près de toute cette vie qui coulait à flot comme la bière et le vin sur les pavés des tripots.

Pourtant... Pourtant il lui faudrait affronter les flammes, retrouver la force de se lancer dans l'inconnu pour se mêler à ses semblables. Il n'avait pas le choix. C'était la seule voie pour retrouver Terwagne, du moins le raccourci le plus alléchant. Plus alléchant que de continuer à avancer à coup de pile ou face. Plus alléchant que de retourner toutes les provinces de la Couronne car à ce train là, il serait un vieil homme à la chevelure grisonnante quand il parviendrait enfin à la retrouver mariée, mère et heureuse sans lui. Il palpa le fond de sa poche, sentit la rondeur lisse et rassurante de l'argent qu'il fit glisser quelques instants entre ses doigts. C'était tout ce qui lui restait à faire. C'était tout ce qu'il pouvait faire et espérait bien que personne ne le ferait avant lui. Cette pensée raffermit sa résolution. S'il ne voulait pas que l'on ravisse son bonheur, ni oublier ses rêves, il devait se hâter d'agir, avant qu'un fa ou un sol vienne construire avec elle une nouvelle mélodie pour disperser aux quatre vents celle qu'ils avaient bâtie ensemble.

Kernos prit une bouffée lourde d'humanité pour se racler la gorge et avaler cette boule qui lui restait en travers. Courage. La lame au poing, il avait goûté le sel du sang d'autrui mais là, il avait les jambes molles.

Courage. Jadis sur le rocher entre Bretagne et Normandie, attablé au milieu de têtes plus couronnées qu'il ne le serait jamais, il avait fait résonner la voix du Lyonnais-Dauphiné, de ses frères d'armes tombés sous les murs de Fougères pour le Lys de France et maintenant, le simple fait de partager un banc avec des inconnus le rendait fébrile au point de lui couper la chique.

Courage. A la pointe de la lance, entouré de ses compagnons dauphinois, il avait arraché la couronne de la victoire aux jouteurs flamands, et là il n'avait pas assez de force pour pousser une porte et porter une chopine à sa bouche.

Courage. Autrefois, il avait brandit haut les couleurs rouge et or de sa garnison, portant un harnois étincelant sous le regard admiratif et respectueux des soldats diois attendant ses ordres, aujourd'hui il n'était qu'une ombre hésitante dans une ruelle sombre, un inconnu sans nom.

Courage. Il avait sentit la douceur et les rondeurs de la chair des femmes, sentit sur sa peau le parfum suave de leur sueur, avait tenu entre ses bras la vie à deux enfants, à présent il craignait de se frotter à ses semblables, de croiser leurs regards, de leur poser qu'une seule question.

Cherchez la femme!...Oui... Cherchez la femme derrière laquelle il s'était élancé comme on part en croisade pour y trouver une réponse, pour y chercher l'absolution. Cherchez la femme, c'était pour cela qu'il se trouvait là, pour y débusquer ne serait-ce qu'une trace de celle qui, en partant, lui avait ôté toute sa force et sa raison. La femme sans qui il était réduit à être cette créature pitoyable, indécise et imbécile... La femme qui lui avait donné l'absolu et l'avait laissé néant. Il avait brisé les idéaux de noblesse et de chevalerie, jeté à bas l'image du héros courtois chevauchant à la recherche de sa Dame, tableaux séduisants mais illusoires. Il était lucide. Ce n'était pas une aventure dont on fait les épopées, les chansons de geste. C'était une quête bassement humaine, égoïste. Il y était bien question d'amour, mais pas celui des romans courtois. Une histoire de chair et de sang, de cris et de larmes, de tendresse et de passion. Un amour des sens, aussi bien physique que spirituel. Le genre d'amour que l'on ne fait entrer à l'Eglise que pour le confesser ou le sacrer.

Il poussa la porte.



*"La Quête", Jacques Brel, in L'Homme de la Mancha
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Kernos
Quand le destin frappe à votre porte, mieux vaut sortir par la fenêtre.

Rien... plus d'un mois à errer de ruelles en avenues, de tavernes en auberges, pas la moindre piste, même pas une miette de l'ombre d'un soupçon de rumeur... Rien, nada, nothing, nichts, niente, rin,... Bref, Kernos était bredouille et, fort logiquement, quelque peu déprimé.

Si Terwagne avait poursuivi sa route en Bourgogne, elle n'avait point mis une botte à Dijon, ou du moins personne ne s'en souvenait, ni les aubergistes, ni les taverniers, ni les boulangers, ni les tanneurs, ni les orfèvres, ni les bouchers, ni les camelots, personne n'avait semblé la reconnaître dans ses descriptions.

Abattu, épuisé, les yeux perdus dans la contemplation profonde des solives ornant le plafond et la main sur le goulot d'une bouteille de la cuvée locale (seule bonne découverte pour le moment de ce voyage), le Rouvray était étendu de tout son long sur le lit qu'il louait dans une auberge à quelques rues de la grand place de Dijon. Il ruminait tranquillement ses échecs, les arrosant de temps à autre par une louchée de remords et une lampée de vin, quand il entendit le frottement caractéristique d'une lettre glissée sous la porte.

Il se redressa sur les coudes tout en faisant glisser prudemment la bouteille au sol pour éviter de renverser la moindre goutte de ce précieux breuvage sur les draps blancs, tourna sur son séant pour poser ses pieds nus sur le planché et se leva pour quérir le morceau de parchemin. De nouveau assis sur le lit, il observa quelques instants le contenant avant de s'attaquer au contenu. Il laissa la missive tomber sur ses genoux. Ainsi la guerre était venue le rattraper dans sa chambre d'auberge, le branle-bas s'était intensifié en Bourgogne et voilà que les frontières se fermaient, et qu'on le priait de bien vouloir quitter Dijon, peut être même la Bourgogne... Un coup de pouce du Destin alors qu'il s'enlisait ici? Peut être bien...

Le Rouvray se redressa, alla quérir quelques ustensiles utiles pour la besogne qu'il allait accomplir et se mit à table. Une dizaine de minutes après, il appuya sa bague sur la cire molle et chaude qu'il venait de faire couler pour sceller sa lettre. Il confia le parchemin au tavernier en échange d'une belle pièce pour qu'il le porte au Prévôt.


Citation:
Kernos Rouvray, Baron de Mévouillon & Sire de Glandage,
A Dame Edwen de Blanc-Combaz, Prévôt de Bourgogne, salut & paix!


Par la présente, j'accuse avoir connaissance de votre courrier concernant la fermeture des frontières du Duché de Bourgogne, et vais m'employer à répondre aux questions qui y figurent, en espérant qu'elles vous satisfassent pleinement.

Mes parents - paix à leurs âmes - m'ont baptisé Kernos, Rouvray pour nom de famille. Je réside en la ville de Die depuis maintes années et suis vassal de votre voisin du Lyonnais-Dauphiné que j'ai quitté il y a plus de trois mois pour me rendre sur vos terres de Bourgogne, sur les traces d'une femme qui serait passée elle aussi par votre Duché vers le mois de mai de cette année. Voilà ce qui m'amène ici, chevauchant seul à mon arrivée et n'ayant toujours aucun compagnon de route, mes recherches m'ont conduit en votre capitale, espérant y glaner quelques informations sur la route que la demoiselle aurait emprunté, ayant perdu sa piste à son entrée à Mâcon, j'erre depuis plus d'un moins dans les rues de Dijon en quête de réponse mais demeure bredouille, ce qui me laisse supposer qu'elle n'a point mis les pieds dans cette ville et m'obligera donc à reprendre la route vers une autre de vos cités si, toutefois, vous m'autorisez à continuer ma route sur vos terres.

Je pense commencer par cheminer vers Tonnerre, le nom de cette ville l'ayant toujours fasciné sans doute a-t-elle séjourné là-bas, en passant par Sémur puis, si je ne trouve pas d'informations là-bas, je poursuivrai vers Cosne puisque cette ville est frontalière avec le Berry et tout proche de Sancerre où elle résida autrefois, même si je doute qu'elle s'y trouve à l'heure actuelle étant donné la guerre qui y fait rage. Ensuite, si de nouveau je ne trouve rien de concret, je descendrait sur Nevers afin de prier pour la suite de ma quête et dans ce cas, je ne sais qu'elle route j'emprunterai ensuite. Je ne puis hélas savoir combien de temps cela me prendra, tout dépendra des renseignements que je recevrai en chemin.

A ce propos, si jamais vous déteniez des informations concernant la Demoiselle que je recherche, je vous serai infiniment reconnaissant de me les faire parvenir, même si ce n'est qu'une rumeur, un murmure ou un bruissement, je suis preneur et prêt à me reconnaître votre débiteur. La Demoiselle en question se nomme Terwagne Méricourt, une jeune femme d'une vingtaine d'années, la silhouette frêle et le teint opalin, des yeux profonds et sombres comme la voûte céleste qui se plonge dans la nuit étoilée, s'égarant parfois dans les voiles d'un rêve lointain ou parfois aussi ardent que si vous contempliez le soleil en face, une chevelure tout aussi noirs qu'elle ramène souvent en arrière afin de laisser sa nuque délicate apparaître aux vents, à l'exception d'une mèche rebelle qu'elle doit constamment remettre derrière son oreille gauche sauf quand elle laisse ses cheveux libres, flottant autour de son visage fin. Elle porte un parfum de giroflée, elle affectionne les couleurs rouge et noire, aime la pluie, le vent et la route, la musique, les chansons et la poésie, elle a des manières de troubadour, la voix légère mais qu'elle sait faire portée, elle aime la simplicité, le naturel, la franchise et la passion... accessoirement, elle est Officier royale de la Cour d'Appel de France, Vicomtesse d'Orpierre et Dame de Taulignan en Lyonnais-Dauphiné, mais ceux ne sont pas des choses qui se devinent ou qu'elle met en avant. Si au moins je savais qu'elle direction elle a prise, sans doute mon voyage à travers votre Duché serait moins long et hasardeux.

Je vous demande donc humblement de bien vouloir m'accorder un laissez-passer sur vos terres de Bourgogne, aussi longtemps qu'il me sera nécessaire pour trouver une nouvelle piste dans mon enquête. Je m'engage sur l'honneur à respecter vos lois et coutumes, et à ne point créer de troubles dans votre Duché durant mon séjour, j'en fais serment devant le Très-Haut et saint Georges de Lydda. Si vous voulez d'avantage de gage sur me bonne foi et mon honnêteté, vous pouvez vous adresser à mon suzerain le Duc du Lyonnais-Dauphiné, actuellement Sa Grâce Thiberian Baccard qui me connaît depuis plusieurs années, ou encore au Maréchal d'Armes Nynaève de Gaudemar, héraut du Lyonnais-Dauphiné, à l'évêque du diocèse de Die, Monseigneur Oiselier, et au Commandeur de l'Ordre de Sainct Georges, ordre du mérite ducal dont je suis l'un des titulaires, Sa Grâce Ka Devirieux. Vous pouvez également prendre renseignement ici en Bourgogne, où j'ai exercé il y a quelques années la charge d'ambassadeur pour le Lyonnais-Dauphiné, peut être quelques personnes se souviendront de moi à Saint André ou que quelques parchemins portent encore mon nom, ou bien demandez à Dame Lenada qui fut ma belle-soeur par alliance par le passé.

Dans l'espoir d'une réponse, que je souhaite de tout coeur favorable, soyez assurée Dame de mes sentiments les plus pieux à votre égard.

Faict à Dijon, le 30e jour du mois de septembre de l'an MCCCCLIX,



Puis il remonte, préparer ses bagages en attendant la réponse.
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Kernos
Un coup de Tonnerre par une froide journée d'Automne

La Bourgogne avait revêtu son écarlate manteau d'Automne pour se protéger du froid glacial qui s'était levé depuis quelques jours. Par mimétisme ou bien est-ce par le fruit du hasard, Kernos en avait fait de même, resserrant le col de son manteau rouge tandis que sa monture poursuivait son chemin au pas.

Ils avaient laissé Sémur derrière eux dans la matinée, se dirigeant plus au Nord, vers la marche champenoise en direction de Tonnerre... Tonnerre, un nom qui roulait et raisonnait dans sa tête à chaque fois qu'il pensait à elle - c'est-à-dire au moindre moment d'éveil ou de sommeil depuis plus d'un an- et à leurs conversations passées. Tonnerre, un nom qui avait toujours séduit et intrigué Terwagne depuis sa plus tendre enfance, un nom trouvé sur une carte par une curiosité infantile et qui avait nourri une imagination déjà fertile. Tonnerre, un nom qui allait bien à la Tempête qu'elle était devenue plus tard... un nom qui déchirait les voiles du souvenir pour rebondir et dégringoler, puis enfler en une conviction que s'il avait du passer par une ville en Bourgogne, cela serait certainement celle-là.

On lui avait laissé un peu plus d'une semaine pour parcourir le Duché en toute liberté, il n'avait donc pas une minute à perdre pour réfléchir à sa prochaine destination, il fallait qui se hâte pour avancer dans sa quête et ne pas avoir à affronter l'ire bourguignonne s'il venait à dépasser ce délai... Tonnerre était sa meilleure probabilité: quand on a tendance à fuir son présent, on plonge bien souvent vers son passé, et ce lieu se rattachait aux rêveries de la fillette passée devenue la femme qu'il aimait au présent.

Les gouttes commencèrent à tomber, fines, glacées, il effleura du talon le flanc de Grayswandir qui pressa l'allure. Autour de lui, un tableau aux contours flous s'étalait, gris sur rouge, à moins que cela ne soit l'inverse, l'allure de son cheval et les bonds à chaque enjambée perturbaient légèrement sa perception du monde, mêlant les cieux sombres avec la terre roussie. De temps à autre, un coup de pinceau venait ajoutée une touche éphémère, une teinte inattendue, l'esquisse d'une ombre, humaine ou pas, cela importait peu car sitôt soupçonnée elle était distancée ou bien diluée dans le manteau de bruine. Il fit se hâter un peu plus sa monture: la pluie s'est bien seulement quand on est deux, quand on peux se réchauffer l'un contre l'autre et qu'un abri de fortune se fait nid douillet pour quelques heures... Seul, on prend l'eau, on grelotte, on choppe la crève et puis c'est tout.

Pourtant, malgré son humeur encore plus grise que les nuages qui lui pissaient dessus, et l'inconfort physique de ses chausses trempées ne le faisaient rêver que d'un toit et d'un bon feu de bois, le Rouvray décida de faire contre mauvaise fortune bon coeur: avec toute cette flotte et ce froid, il allait certainement attraper la mort alors autant ne pas la hâter en se rompant le cou si son palefroi dérapait sur la route. Il tira sur la bride pour gagner le pas et au bout de quelques temps, il se prit à chanter.


Toute la pluie tombe sur moi
Et comme pour quelqu'un dont les souliers
Sont trop étroits,
Tout va de guingois, car...
Toute la pluie tombe sur moi
De tous les toits
A chaque instant, je me demande vraiment
Ce qui m'arrive et ce que j'ai fait au Bon Dieu
Ou à mes aïeux pour
Qu'autant de pluie tombe, soudain comme ça... sur moi


Et c'est ainsi, dégoulinant et sifflotant, qu'il franchit quelques heures après les portes de Tonnerre.
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Kernos
Tentation... Hésitation... Un nouveau carrefour aux frontières de la guerre

Tonnerre se releva aussi décevante que les autres villes bourguignonnes... pas de traces de Terwagne ici non plus. A croire qu'elle avait chevauchée sans s'arrêter depuis Lyon, battant la campagne, dormant à la belle étoile, sans se mêler aux autres pour disparaître comme elle était arrivée, pareille à une brise se glissant en catimini sans troubler le paysage, sans faire de bruit... une ombre parmi les ombres. C'était envisageable, elle avait fuit le Lyonnais-Dauphiné bouleversée, torturée, brisée, essoufflée, cherche-t-on la lumière dans ces conditions? Non, on s'évanouit dans la nuit, on se drape de ténèbres et de brouillard, on part sans laisser de trace, on s'enfonce dans l'oubli, le plus loin possible pour effleurer l'abysse, le néant jusqu'à ne devenir qu'un souvenir évanescent, jusqu'à perdre sa substance aux yeux du monde.

Traverser la Bourgogne le lui avait fait comprendre: il poursuivait un fantôme et un fantôme ne se laisse pas attraper facilement, il ne sème pas d'indice dans son sillon... Restait seulement l'espoir, le hasard, la destinée et un brin de chance. Marche ou oubli en quelque sorte. Soit il continuait à errer au fil de l'inspiration et des routes en se laissant guider par l'espérance chenue de la retrouver un jour hypothétique, soit il pliait bagage et retournait se murer dans son castel pour pleurer son amour perdu et le sens de l'existence qui s'était envolé avec elle, dans l'attente que le Très-Haut l'achève pour mettre fin à ses souffrances. Le choix était là, facile à définir, ce qui était difficile s'était de s'y tenir.

Assis sur son lit d'auberge, le pied allant et venant sur le roulis de la bouteille vide se trouvant en dessous, Kernos réfléchissait à tout ça. Les aléas de la vie, la trame du Destin et autres blablas existentiels et métaphysiques. Qui suis-je? Kernos Rouvray. D'où viens-je? Du Lyonnais-Dauphiné, à moins que l'on aille plus loin dans le passé, la Normandie... Rouvray... Le ventre de ma mère... L'inconscience... l'étincelle divine... Où vais-je? Vers la mort, comme tout à chacun, mais dans l'immédiat... Le sauf-conduit accordé par le Prévôt de Bourgogne allait prendre fin demain, et nulle piste tangible n'était venue l'orienter quand à sa destination future. Où vais-je? Tout était question de choix, de son choix. Où vais-je? Il fallait s'y coller encore une fois, choisir à nouveau, décider et agir... choisir et s'y tenir...

La décision était simple: partir ou rester, dévier de sa quête ou la mener jusqu'au bout. Où vais-je? Plutôt se demander où il était à présent... à Tonnerre, aux confins de la Bourgogne, toujours à poursuivre l'ombre de sa Lune. Tonnerre, à des lieues et des jours de Die, de Mévouillon et de Glandage, de ce qui avait été sa vie durant quinze ans, sur les pas de cette femme qui avait bouleversé son monde. Où vais-je? Vers le Lyonnais-Dauphiné pour assumer une vie de regrets et d'amertumes, ou bien vers l'inconnu, vers un fol espoir qui se transformera peut être en intense désespoir au bout du chemin, en une errance perpétuelle jusqu'à ce que le poids des ans, la maladie ou le fer y mettent fin? Renoncer ou persévérer...

Où vais-je? La réponse était déjà toute trouvée: aux quatre vents pardi! Il envoya le cadavre rouler à l'autre bout de la pièce et se redressa sur ses jambes pour gagner le bureau où trônait son nécessaire d'écriture. Il s'installa sur le siège, prit sa plume, la trempa dans l'encre noire et commença à écrire.


Citation:
Kernos Rouvray, Baron de Mévouillon & Sire de Glandage,
A Dame Edwen de Blanc-Combaz, Prévôt de Bourgogne, salut & paix!


Tout d'abord je tenais à m'excuser de ne pas vous avoir répondu plus tôt mais, ayant quitté Dijon le plus rapidement possible pour me conformer aux indications du laissé-passer que vous m'avez accordé et ayant chevauché promptement vers la ville de Tonnerre, la fatigue a eu raison de moi, et ce n'est que maintenant que je trouve la force et le repos nécessaire pour vous écrire et vous remercier de votre aide.

Sans doute vous me trouverez quelque peu cavalier, mais je dois malgré tout vous présenter une requête. Mes recherches en la cité de Tonnerre sont hélas au point mort pour l'heure, nul témoignage pour l'instant de son passage par ici et mon sauf-conduit expire demain. Ne sachant si je dois poursuivre mon enquête à Tonnerre ou bien tenter ma chance ailleurs, je souhaiterai humblement que vous prolongiez de quelques jours mon autorisation de séjour en votre Duché, le temps pour moi de me renseigner auprès des autorités de vos voisins du Nord si mon passage sur leurs terres est autorisé et de creuser un peu plus la piste tonnerroise.

Je sais que ma demande intervient un peu sur le fil, mais je n'ai pu hélas vous la faire parvenir auparavant et je prie de bien vouloir m'en excuser.

Dans l'espoir d'une réponse, que j'espère favorable, soyez assurée Dame de mon respect à votre égard.

Faict à Dijon, le 14e jour du mois d'octobre de l'an MCCCCLIX,



Quelques gouttes de cire perlèrent sur le parchemin qu'il acheva par l'apposition de son sceau. Une bonne chose de faite. Il se laissa retomber sur le dossier de la chaise. Si le Prévôt ne lui offrait pas le répit escompté, vers où diriger sa monture? Au Nord, la Champagne s'offrait à une journée de chevauchée. A l'Ouest s'ouvrait le Berry rebelle, deux jours plus loin. Le ban royal était levé, le Domaine Royal était en guerre et assiégé quand au Berry, les partisans ponantais avaient été renversés et un conseil de régence loyaliste était en place... Deux chemins possibles, tous deux traversés par la guerre, tout deux sentant le danger et le sang... La Grande Faucheuse se tenait à chaque carrefour, il fallait être fou pour la tenter... mais fou, il l'était déjà. Fou d'elle, fou de son absence, fou de cet espoir... Un danger en valait un autre de toute façon, il risquerait sa vie dans les deux cas mais sa vie, sans elle à face à lui, elle ne valait pas grand chose. Restait juste à choisir quelles épées risquaient de le tuer. Présent, passé, avenir... encore un carrefour à explorer.

Le présent de Terwagne, il l'ignorait, son futur également. Ne restait donc que son passé qui lui, par chance, ne lui était pas inconnu. Ce serait donc le Berry qu'il gagnerait, ou Sancerre pour être plus exact. Là, Terwagne n'était pas une inconnue, elle y avait vécu, ils y étaient allés ensemble, elles y avaient des liens, des amis... sans doute avaient eu des nouvelles d'elle, peut être même qu'ils l'avaient vu récemment ou mieux encore: peut être qu'elle y demeurait actuellement.

La nuit était déjà bien avancée. La Lune flottait dans le ciel glacé, Kernos la regarda quelques instants à travers la fenêtre. Il attendrait la réponse du Prévôt avant de faire ses bagages. En attendant, puisqu'il risquait de croiser la route de la Mort durant son périple, il lui fallait s'y préparer. Le Rouvray se pencha à nouveau pour écrire.


Citation:
Au nom du Très-Haut, d'Aristote et Christos.

Moi, Kernos Rouvray, par la grâce des Gouverneurs anciens du Lyonnais-Dauphiné Baron de Mévouillon et Sire de Glandage, Officier et Croix de l'Ordre de Sainct Georges,
A tous ceux, présents et à venir, qui liront ces lignes, salut et paix!


Puisque nous vivons une période troublée où la guerre se propage comme une traînée de poudre à travers le Royaume, où le sang arrose les champs plus sûrement que ne le fait la pluie, où le fracas des armes et les cris d'agonie couvrent le souffle du vent, puisque nous sommes dans un âge d'airain où la mort peut se rencontrer à chaque tournant, j'ai décidé de coucher par écrit mes dernières volontés s'il arrivait que je croise son chemin par mégarde. Les présentes dispositions remplacent les décisions que j'ai prises en la matière par le passé, en présence de feu Sa Grâce Hardryan Devirieux, Sa Grâce Bastien d'Amilly, Monseigneur Oiselier et feue Laura di Constantini...

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Kernos
On the road again: sentier de la perdition ou sentier de la gloire, seul l'avenir nous le dira

La réponse du Prévôt Edwen de Blanc-Combaz était arrivée ce matin, juste le temps de lui écrire ses remerciement, de régler sa note, d'envoyer à Paris son testament, et Kernos avait plié bagage. Adieu Tonnerre, je te tourne le dos et t'envoie la poussière des routes.

Juché sur la selle de son palefroi, le Rouvray avait franchi les portes de la cité sans jeter un oeil derrière lui, pour emprunter la route qui descendait vers le Sud-Ouest, vers Cosne, vers le Berry, vers le passé de Terwagne et ce qu'il pourrait en tirer. La voie était peu fréquentée, il faut dire que le froid qui s'était jeté sur le pays en même temps que l'Automne n'inspirait pas l'envie de voyager, seule la nécessité pouvait pousser à affronter le froid, la pluie et le vent, et c'était son cas: la nécessité de retrouver cette femme qu'il aimait, pour qu'elle cesse enfin de hanter ses rêves et ses pensées par son absence et vienne plutôt les combler de sa présence... Du moins c'était son espoir à lui, si après l'avoir retrouvé elle le repoussait définitivement, au moins la souffrance de l'incertitude cesserait, est-ce que la souffrance de la certitude d'être rejeté par celle qu'il 'aimait serait pour autant plus supportable? Non, mais quitte à endurer la douleur, autant connaître ses raisons.

Humeur grise sur fond de ciel gris monté sur un cheval à la robe grise... baste! Il s'y était habitué depuis le temps à cet état de fait, il s'amusait même à penser qu'il était devenu un expert dans la navigation en plein brouillard. De toute manière, lorsqu'il avait entrepris cette quête, il avait déjà conscience qu'il ne s'agirait pas d'une voie royale où les gens s'arrêteraient sur son passage pour lui jeter des pétales de rose en criant des hourras sous un tonnerre d'applaudissement, tandis que des faunes sautilleraient devant lui pour ouvrir la marche de leurs cabrioles en jouant de leurs luths, flûtes et tambourins accompagnés du gazouillis des oiseaux qui voletteraient dans un ciel d'azur où rayonnerait de mille feux un soleil d'or pur. Non, il savait que ce ne serait pas un voyage d'agrément, ni un de ces périples dont on fait des chansons de geste, pleins de chevaliers qui pourfendent des dragons pour sauver de blondes princesses. Ce serait long, dur, incertain, sans gloires et sans exploits, il n'y récolterait aucune louange, ni ne banquetterait avec les héros et les dieux des temps anciens. Une route jalonnée de doutes et de tourments, un chemin solitaire, froid, sombre et même dangereux... Une descente aux enfers plutôt. Sauf que lui n'avaient rien d'un Orphée capable d'envouter de sa musique les fauves infernaux et d'émouvoir la Mort elle-même, il n'avait même pas de lyre et même s'il en avait eu une, de toute façon, il n'aurait su quoi en faire. C'était ainsi, c'était son destin et il s'y était résignait.

Après plusieurs heures à chevaucher au milieu de ce paysage sang et cendre, Kernos vit enfin apparaître sa dernière étape bourguignonne. Jamais encore il n'avait été aussi proche de la guerre qui se livrait entre Couronne et Ponant, jusqu'alors il avait évolué sur des terres en alerte certes, mais qui n'avait pas encore connue le passage des armées alors qu'à quelques lieues d'ici, par delà la Loire qui se profilait au loin, s'étendait le Berry occupé. Cela faisait réfléchir et surtout l'incita à d'avantage de prudence. Il fit donc faire un détour à sa monture pour couper à travers champs et gagner l'un des reliefs alentours pour observer la cité de Cosne. Il fut surpris de ne pas apercevoir les traces d'un campement aux abords de la ville, mais sans doute les hommes de la milice urbaine ainsi que la garnison du coin montaient la garde depuis les murailles. Pas de toits en ruine, pas de fumées suspectes, l'enceinte semblait intacte... Tout paressait calme vu d'ici, il ramena donc son cheval sur la route menant aux portes de Cosne afin de gagner l'abri des murs et de trouver au plus vite une auberge pour prendre du repos.

Une fois ses quartiers pris, un gobelet ou deux de vin vidé et une demi tourte engloutie, Kernos s'attela aux préparatifs de son voyage futur à Sancerre. Pour commencer, il lui fallait s'assurer que la route soit ouverte et dégagée pour éviter de se retrouver nez à nez avec une armée loyaliste sans s'être annoncé, les forces d'occupation ayant la fâcheuse tendance de charger puis de discuter ensuite si on entre sans frapper, mieux fallait éviter de les chatouiller. Il prit donc sa plume et commença à écrire.


Citation:
Kernos Rouvray, Baron de Mévouillon & Sire de Glandage,
A Sa Grâce Pierre du Val de Loire, Régent du Berry, Duc de Montlouis & Baron de Saint-Cyr,
A Dame Estainoise, Capitaine du Berry,
A Dame Lily-es, Prévôt des Maréchaux du Berry,
A Messire Falco de Cartel, Connétable du Berry, salut & paix!


Ignorant l'état de vos frontières ou le traitement que vous réservez aux voyageurs foulant le sol berrichon récemment "pacifié", je vous demande par la présente sauf-conduit pour me rendre en la ville de Sancerre qui se trouve sous votre protection.

Le but de mon voyage n'a nul rapport avec la présente guerre entre loyalistes et partisans du Ponant, je ne compte point ravitailler les rebelles berrichons ni causer de troubles lors de mon passage, je suis prêt à en faire serment sur l'honneur et sur le Livre des Vertus, si besoin. Je suis juste à la recherche d'informations sur une personne qui m'est chère et qui est fort probablement passée par la ville de Sancerre avant le début des hostilités armées en Berry.Je suis même prêt à offrir temporairement mes bras ou mon épée à votre service le temps de mon séjour en gage d'honnêteté.

Dans l'espoir d'une réponse, que je souhaite favorable, soyez assurés Votre Grâce, Mes Dames et Messire, de mes sentiments les plus aristotéliciens.

Faict à Cosne, le 16e jour du mois d'octobre de l'an MCCCCLIX,


Ceci fait et une fois les coursiers mandatés, il alla se détendre dans un bon bain chaud. Maintenant, il fallait attendre.
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Kernos
«En quittant ton pays, détourne les yeux de la frontière.»*

De nouveaux horizons s'ouvraient devant lui. Assis sur les bords de la Loire, dans sa main un courrier du Prévôt du Berry, Kernos contemplait la rive opposée à la sienne, perdu dans ses pensées. Ainsi, les portes du Berry s'offraient à lui, avec quelques réserves pour sa sécurité personnelle mais soit, c'était un risque qu'il avait accepter de courir, l'important c'était qu'il avait son laissé passer, le temps était donc venu de reprendre la route et de plier bagage vers cet avenir incertain. Pourtant, alors que son regard se noyait dans le cours de la Loire, ce n'était pas vers le futur que ses pensées dérivées, mais vers le passé... vers le Lyonnais-Dauphiné et cette invitation écrite d'une main inconnue qu'on lui avait apporté.

Un mariage... ironie du sort ou hasard fortuit? Peu importait au fond, c'était une épreuve de plus que l'on déposait sur son chemin, un sursaut de cette existence qu'il avait abandonné pour tracer la route, une corde qui lui faudrait rompre ou bien ployer sous son joug. Il ferma les yeux un instant. Les titans grisâtres à la chevelure immaculée qui dominaient depuis des millénaires ce Duché lui apparurent aussi nettement que s'il se tenait à leurs pieds. Pendant quinze années, il avait baigné dans leur ombre, pas un minutes ne s'étaient écoulées sans qu'il ne ressente leur présence impérieuse, leurs regards sur son existence. En ce moment même, alors qu'il se trouvait à des lieues et des lieues de distance, dans cette terre étrangère, il pouvait entendre leurs longues plaintes dévalant les peintes rocheuses pour inonder la vallée, caressant de leur haleine les vignobles dont les fruits s'entrechoquaient comme un millier de grelots muets, ployant les tiges de lavande pour transformer la plaine du Diois en une mer paresseuse agitée du lent remous des vagues mauves et violettes...

Ce pays, il le sentait en lui, dans son coeur, dans ses tripes... Ce pays... Bon Dieu! Qu'est-ce qu'il l'avait aimé, au point de lui consacré près de la moitié de sa vie, par le fer et la plume, au point de s'éloigner de sa descendance... Le Lyonnais-Dauphiné était une part de lui-même, il avait fait de lui l'homme qu'il était. D'un jeune vagabond normand fuyant la famine, il en avait fait un Baron... Lyonnais-Dauphiné, terre nourricière qui l'avait couvé en son sein pour en faire un homme nouveau... Lyonnais-Dauphiné... Ô Lyonnais-Dauphiné... Tu étais la mère et le père que la mort lui avait arraché, le foyer qu'il avait du abandonner... Tu lui avais tout donner alors qu'il n'avait rien, tu l'avais nourri alors qu'il était affamé, tu avais été le feu par une nuit d'hiver, le phare dans la brume... puis tu l'avais trahi. Les vipères que tu couvais en ton sein avaient répandu leur venin autour de lui, chassant celle qui était devenue sa raison d'être, détruisant son nom, son engagement et sa renommée. Et à présent, tu revenais le tenter alors qui t'avais quitté, tu te jouais de lui et de ses sentiments en essayant de ramener vers toi, car tu sais que même la rancoeur des jours présents ne pouvaient effacer totalement l'amour profond du passé qui le liait à toi... seule une passion plus grande le pouvait, et celle-ci avait un nom: Terwagne Méricourt.

Profonds soupirs. Les vieux démons étaient les plus difficiles à chasser, et si son âme et son dessein étaient moins fermes, sans doute aurait il était tenté de les écouter pour chevaucher vers l'abbaye de Saint-Antoine pour célébrer les noces de son ami Tenshikuroi, pour sentir ne serait-ce qu'un instant la chaleur humaine qui lui faisait cruellement défaut... mais tout cela n'aurait été qu'illusion, perdition, un chant de sirènes. A peine se serait-il détourné de sa voie pour revenir sur ses pas que ses chances de retrouver Terwagne s'envoleraient en fumée. Sa résolution, son serment, ses sacrifices... tout cela comptait plus pour lui, même s'il aurait été doux de revoir ses amis, sa décision était prise depuis le jour où il avait quitté Die sur le dos de Grayswandir. Avancer, toujours plus loin, avancer encore et encore, sans accorder un coup d'oeil à ce qu'on laissé derrière soi, voilà ce qu'était son lot.

Kernos se redressa et s'étira. Il lui restait encore de nombreuses choses à faire avant de partir, à commencer par écrire au Vicomte de Montmaur et à sa promise pour décliner leur invitation et leur présenter ses voeux ainsi que ses excuses, puis il lui faudrait faire des emplettes en ville, l'histoire de s'équiper un peu mieux pour traverser le Berry "pacifié". Il partirait aujourd'hui.


* Pythagore
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Kernos
Résumé des épisodes précédents:

A la recherche de la femme qu'il aime, disparue des mois, Kernos Rouvray, noble dauphinois, chevauche sur les routes de France sur les traces de sa Dame. En quête d'espoir et de rédemption, il traverse le pays en proie à la guerre avec pour seule compagnie sa monture, ses doutes et ses espérances.

Parti depuis quatre mois de ses terres, il laisse derrière lui le Duché de Bourgogne où ses recherches l'ont conduit à une impasse, pour se rendre dans celui du Berry, terre où son amour vivait avant leur rencontre, habitée par les souvenirs et les fantômes de son ancienne vie et par le spectre, bien présent lui, de la guerre que se livrent l'Alliance du Ponant et les fidèles de la Couronne royale de France.

Franchissant la Loire, il ignore encore ce qu'il trouvera en Berry, ombres du passé ou bien le fil d'une lame...


Chevauché au milieu des fantômes de ton passée et de la campagne désolée

Un halo argenté flottait au sommet des eaux sombres, dansant, ondulant au rythme des clapotis qui résonnaient tout autour de lui, s'accordant avec le claquement régulier des sabots de Grayswandir sur les pavés, le bruissement de leurs souffles et le tintement du métal. Kernos leva les yeux quelques instants, abandonnant le reflet trouble pour contempler l'astre directement et sans intermédiaire trompeur. Pleine, lointaine, étincelante, la Lune était encore présente dans le ciel obscur, son règne ne s'achèverait que dans une pincée d'heures, et c'était ce qu'il avait escompté en abandonnant Cosne bien avant que les laudes ne soient chantées. Voyager de nuit était une arme à double tranchant qu'il fallait utiliser avec précaution: certes le voile des ténèbres vous rend plus difficile à repérer mais la réciproque est valable également, les ombres pouvant accueillir vos ennemis embusqués aussi bien que vous maquer... un risque à courir, mais le jeu en valait la chandelle pour traverser cette région occupée sans trop de dégâts et, dans le cas inverse, c'était une belle nuit pour mourir.

Une foulée de plus. Quelques toises encore et il aurait atteint l'autre rive. Une foulée de plus. Pas de feu de camp aux alentours, ni de torches à l'autre bout du pont, sans doute les armées tourangelles d'occupation préféraient assurer le contrôle des routes menant à Bourges, n'est-ce pas ce qu'ils avaient fait durant la dernière guerre berrichonne? Une foulée de plus. Peut être que la position de Sancerre, entre Domaine Royale et Bourgogne loyale, leur permettait cette liberté, les deux duchés voisins garantissant la stabilité de cette marche pendant que le Conseil de Régence s'occupait de celle du centre de la province. Une foulée encore. Le pont était presque franchi, dans quelques instants il serait sur le sol berrichon, et dans moins de deux heures à Sancerre si tout se passait sans anicroche. Encore une autre foulée. Par sécurité, il vérifia que son épée jouait librement dans son fourreau, même avec un laissé passer de la Régence, on lui avait conseillé d'être prudent, ce qu'il avait fait avant de quitter Cosne en amenuisant sa bourse pour se procurer un gambison neuf et une dague supplémentaire, pas de quoi faire face à une armée mais utile face aux brigands de grand chemin. Une foulée de plus...le sabot avant de Grayswandir résonna d'un son plus mat, ça y est: ils étaient en Berry.

Kernos tira légèrement sur les rênes et tendit l'oreille pour étudier le silence environnant. Pas d'autres bruissements que celui du vent glacial dans les hautes herbes, pas de cris d'alarmes, ni de cliquetis métalliques, pas de flèches s'abattant des cieux pour le clouer à sa monture... rien que le silence de la nature endormie. Le Rouvray se surprit à soupirer de soulagement. Il remit son palefroi au pas et poursuivit son chemin, mieux ne valait pas s'endormir sur ses lauriers, une cible mouvante est plus difficile à atteindre.

Il chevaucha ainsi sur plusieurs arpents. Observant les ténèbres environnantes dans l'espoir de ne rien y déceler d'anormal. Epiant le moindre bruit perçant le silence la main sur la poignée de son épée mais, rien ne se produisit. Tout n'était qu'ombres et quiétude. La voie était déserte et, mis à part le hululement d'une chouette, le ronflement d'un sanglier et les hurlements lointains de quelques prédateurs nocturnes, rien ne venait troubler son avancée. Ce n'était pas pour autant qu'il fallait baisser sa garde, Sancerre était encore loin devant lui et il n'avait emprunté cette route qu'une fois par le passé, de jour qui plus est. La vigilance s'imposait donc pour éviter de se perdre et/ou de tomber dans un traquenard.

Kernos resserra le col de sa cape, un vent glaciale s'était engouffré dans le val qu'il traversait, charriant avec lui quelques nuages qui vinrent voiler l'oeil d'argent. Les ombres s'allongèrent et dansèrent tout autour de lui, tandis que sa perception du monde et la route s'étendant devant lui rétrécissaient à mesure que les nuées se faisaient plus nombreuses à la noce. En quelques minutes, on y voyait comme dans le fondement d'un taureau, le monde n'était plus qu'un vaste brouillard ténébreux, sans haut ni bas, seul subsistaient lui et sa monture, ilot solitaire d'existence au sein du chaos. Le chemin n'existait qu'au moment où Grayswandir posait le sabot dessus, sitôt franchi, il disparaissait derrière eux comme englouti dans l'obscurité qui les suivait à la trace. C'était comme chevaucher à travers l'Ether ... l'Infini... le Néant ou l'Absolu (selon vos convictions du moment).

C'était l'année passée. Ils venaient de parcourir la Bourgogne main dans la main. Comme deux amants nouveaux pour qui le monde existe seulement pour accueillir leur amour. Partageant le même souffle, la même vie, faisant de deux corps et de deux âmes un même Tout, ils avaient laissé l'empreinte de leur passion dans chaque lit d'auberge qu'ils avaient rencontré, parfois sur le sol même de cette terre nourricière et étrangère qu'ils foulaient... La Création était à eux et ils l'emplissaient de leur "Nous", La peignaient à leurs couleurs, L'animaient de leur propre musique. C'était il y a plus d'un an, ils se tenaient tous les deux non loin d'ici, la Lune et le Chêne, Terwagne et Kernos, à la frontière jouxtant le Berry et la Bourgogne. Elle se tenait debout, la main dans la sienne, le visage contemplant les terres de son passé s'étendant face à eux. Si proche et à la fois si lointaine, perdue dans les fantômes anciens de son existence, dans les méandres de cette vie où lui n'existait pas encore, où un autre homme se tenait à sa place... Amour perdu, amour abandonné, vestige d'un conditionnel à jamais révolu... Ils étaient venus pour qu'elle puisse enfin tourner la page, pour fondre ses tourments passés en un présent et un avenir nouveau, plein de promesses et rien qu'à eux. Il fit un pas auprès d'elle, l'enveloppa de ses bras et lui murmura quelques mots ... Tomber... relever... Noyer... plonger... Ses yeux dans les siens, ses lèvres , son souffle et ses mots au creux de son oreille... Ut... La... S'envoler... Sa chaleur, son corps contre le sien, ses bras... Un nouvel horizon s'ouvrait à eux.

Des hommes, il y en avait eu dans sa vie avant qu'ils ne se rencontrent au coeur de l'hiver et de la nuit, dans cette auberge briançonnaise au fin fond des montagnes. Certains ne lui étaient pas inconnu, d'autres que des noms, des ombres sans visage et sans autre consistance que les mots qu'elle avait pu prononcer à leur sujet. Tous ces fantômes qui tournoyaient autour de lui, glissant à la surface des ténèbres. Figures blafardes et fugitives venant se rire de lui, le hanter, le tourmenter, le décourager... Etait-il devenu comme eux? Un souvenir parmi d'autres? Un de ces hommes en qui elle avait cru et qui l'avait abandonné? Etait-il devenu un de ces hommes qu'il avait maudit pour l'avoir brisé? Une source de larmes en plus pour elle?

Etait-ce la fatigue ou la tension engendrées par une vigilance prolongée, ou bien le fait d'errer au travers de l'Abîme enveloppé dans les vapeurs de leurs respirations? Kernos n'en avait pas conscience, mais son esprit s'était égaré dans la nuit, au milieu de ses souvenirs - dont une partie ne lui appartenait pas d'ailleurs- et de ses doutes. Le froid ambiant avait engourdi son corps et sa tête dodelinait au rythme lent du pas de son cheval sur la route droite, l'entraînant inexorablement dans les brumes du sommeil.

Ce n'est qu'une heure plus tard, quand les rayons du soleil naissant vinrent disperser les ombres, que les paupières du Rouvray s'ouvrirent pour découvrir les murailles de Sancerre qui se profilaient au loin, au sommet de leur promontoire.

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Kernos
La réalité est pareille au mauvais vin.

Quelle heure était-il?
La lumière filtrait à travers les fentes du bois obstruant la fenêtre, perçant la pénombre ambiante par un bouquet de rais pâles, il cligna des paupières plusieurs fois... Le décor lui apparaissait à l'horizontal. Le haut de ses bottes traînant au pied du lit non défait sur lequel il était étendu, un bureau sur lequel étaient jetées nonchalamment ses fontes, visions à moitié obstruée par l'angle de l'oreiller. Il se retourna sur lui-même, portant ses yeux sur le plafond lui faisant face.

Où était-il déjà?
Ah oui... le Berry... Sancerre... l'auberge où il s'était traîné, épuisé par sa chevauchée et l'esprit encore embrumé par les cauchemars de cette nuit, à moins que cela ne soit la précédente, il ignorait encore combien de temps il avait pu dormir. Il se revoyait commander une chambre à l'aubergiste, gravir les escaliers d'un pas lourd. Ses doigts s'étaient refermés sur le goulot d'une bouteille de Poire de Sancerre qu'il avait porté à ses lèvres pour tenter d'effacer les visages, de noyer les pensées qui lui étaient venues alors... Il se sentait lourd, vaseux. Ses membres étaient courbaturés et la faible clarté du jour lui brûlait les yeux.C'était peut être la gueule de bois. Il se souvint de s'être écroulé sur le matelas puis après... rien, le noir complet, immuable et silencieux, jusqu'à maintenant tout du moins. Il avait sombré dans un sommeil sans rêves, il en avait eu suffisamment sa dose dernièrement, entre ceux délirants de la fièvre et le dernier en date, un peu d'oubli était reposant.

Etait-ce le soleil qui l'avait tiré des brumes de son ivresse ensommeillée?
Non. Il avait le sentiment que c'était autre chose, mais il n'arrivait pas encore à mettre le doigt dessus. Kernos bailla et se redressa sur son séant pour se masser les tempes. Son crâne bourdonnait, il avait l'impression qu'une barre de fer lui traversait le front de part en part tandis que le sommeil se retirait lentement, vague après vague, pour le laisser échouer sur les rives de la réalité, naufragé tentant de rassembler ses souvenirs éparpillés ça et là autour de lui, comme les débris d'une épave. Il se rappelait sa montée vers la ville, le paysage morne sous le ciel pourpre, les vignes désertes qui couraient tout autour, se balançant au rythme du vent glacée qui s'engouffrait sous sa cape. Plus proche encore, le son des sabots de Grayswandir sur les pavés résonnant contre les façades et les murs... Il se rappela avoir noté que les murailles de Sancerre semblaient intactes et qu'il n'y avait pas de traces de campement à leurs pieds. Visiblement la ville n'avait pas connu ni siège ni combat dernièrement. Pourtant, le spectre de la guerre et de l'occupation se ressentait profondément à travers ses rues solitaires et désolées. Il avait été frappé par la différence avec la cité qu'il avait visité l'année précédente, Sancerre semblait aujourd'hui grise, austère, alors que la dernière fois... mais peut être était-ce la présence de Terwagne et son état d'esprit à ce moment qui avait peint la ville de couleurs qu'elle n'avait jamais possédé? Peut être un peu des deux.

Il posa ses pieds sur le sol, se leva tout en s'étirant et s'avança vers la fenêtre pour en avoir le coeur net. Dehors, le soleil blanc perçait à travers les nuages grisâtres, vu sa position l'office de sexte ne devrait pas tarder à sonner. Cela fit "tilt" immédiatement dans son esprit. Voilà ce qui avait perturbé son repos de plomb, pourquoi n'y avait-il pas songé plutôt? Sans doute les séquelles de l'alcool local et ses tourments récents, ajoutés au chaos de ses pensées y étaient pour quelque chose, masquant de leur cacophonie la simple et essentielle vérité: il avait faim. Une faim de loup qui lui faisait grogner les entrailles et lui emmêler les tripes... ce n'était donc pas les libations de la veille, il avait enregistré les manifestations de son estomac mais s'était embourbé dans l'interprétation de leurs origines.

Manger, pisser, dormir... Les trois besoins vitaux de l'Homme avec l'Amour. Si le quatrième était mis entre parenthèses pour l'heure, il lui restait les deux premiers à combler. Il alla donc se rincer le visage et enfiler ses bottes pour descendre dans la salle commune afin de s'occuper du premier. Au passage, il satisfit le deuxième dans un coin de la cour, avant de rejoindre la pièce principale où il commanda une bonne miche de pain, un pâté indigène, du ragout de mouton, quelques beugnons et un cruchon du cru local pour arroser le tout. Tout en entamant le pâté de son couteau, il se dit qu'il lui faudrait peut être se rendre à l'église pour prier, comme il l'avait promis dans sa lettre, pour les épousailles de Tenshikuroi. Après, il serait libre de parcourir les tavernes de la ville pour tenter de glaner quelques informations sur l'objet de sa quête et de son désir... Parce qu'une fois les trois besoins premiers rassasiés, le quatrième demeurait et celui-ci était hélas bien plus dur à étancher car, contrairement à ses comparses qui, une fois satisfaits, vous laissent en paix pour un bon moment, celui-ci, même une fois comblé, continuait à vous obséder le corps et l'âme.

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Kernos
Clealan a écrit:
Installé dans la plus animée des tavernes de Sancerre, il se retaurait avec appétit, les nuits étaient parfois longues sur les remparts, et malgré la besace préparée par sa Douce, il avait peur d'avoir grand faim, il commencait à peine son repas quand il remarqua attablé à deux tables plus loin un homme , il l'obersait , il mangeait seul lui aussi, attaquant une tranche de terrine, il fit un effort, pas très grand à vrai dire pour se rappeler où il avait vu cet homme là, et tout à coup ..mais oui c'était à Thauvenay!! Il se souvenait parfaitement, le retour de Terry, elle avait invité ceux qui le voulaient à un repas de retrouvailles pour son passage en Berry. Kernos..; oui c'était Kernos le compagnon de Terry!

Il se leva et s'approcha alors de la table qu'occupait celui-ci.



Bonsoir....Excusez moi...n'êtes vous pas Kernos?

Il préférait tout de même s'assurer que sa mémoire n'était pas défaillante, car elle lui jouait souvent de pendables tours.


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Kernos
Ysabeau a écrit:
Elle s'était assise à côté de son ami Clealan et d'Ary, fallait pas manquer une minute de leur présence à Sancerre à ces deux-là.
Quel plaisir de se retrouver, au Havre qui plus est, avec Vulcaine...
Et voilà que Cle s'approchait d'un convive, semblant le reconnaître...
Elle le regarda. Mais oui, son visage lui disait quelque chose ! Il était venu à son mariage, avec Terry.
A son tour elle s'approcha, un godet à la main.


Mais oui ! je vous reconnais ! Vous étiez avec Terry à mon mariage, au mois de mai dernier... Joli mois de mai, nous n'étions pas encore en guerre. Que nous vaut le plaisir de vous voir à Sancerre ? Terry est-elle avec vous ?
Bienvenue, acceptez ce godet de poire !


Elle posa le godet plein devant le jeune homme.


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Kernos
D'une rencontre impromptue autour d'un bon pâté... une pincée d'espoir ou un soupçon de jalousie?

La croûte craqua sous sa dent, laissant échapper un léger filet de jus de viande... Savoureux, parfumé, la farce était excellente, du porc très certainement, accompagné de quelques notes d'oeuf. Kernos avala le reste du pâté et s'empressa de couper une nouvelle tranche. Le vin non plus n'était pas en reste, beau à l'oeil et encore meilleur en bouche, il avait du caractère, pas étonnant qu'il fasse parti des crus les plus renommés de France. Sans être un fin gourmet, ni même un simple gourmand, le Rouvray aimait bien faire bonne chaire, et cette table faisait honneur au Berry.

Alors qu'il allait faire son affaire à la deuxième part, il se sentit comme observé... que diantre! Quoi de plus normal après tout? L'établissement avait sans aucun doute ses habitués parmi les autochtones, un étranger au milieu des visages connus suscite toujours la curiosité, voir la méfiance, ce qui se justifiait amplement vu la situation politique actuelle du Duché. Fallait-il s'en alarmer outre mesure? Certes non toutefois, des années passées au service d'une compagnie d'ordonnance vous inculquaient des réflexes de prudence élémentaire... question de survie. Voilà pourquoi, reposant son pâté sur le tranchoir, il prit son gobelet de vin et le porta à ses lèvres avec une nonchalance feinte pour étudier les lieux: mieux valait un excès de vigilance inutile, plutôt que de périr dans une rixe par inadvertance.

Il se tenait non loin de lui... une... deux, deux tables les séparaient. Un homme, aux cheveux blonds, attablé tout comme lui. Visiblement, il ne se cachait pas pour l'étudier, cela pouvait laisser supposer qu'il n'y avait pas de coup fourré dans l'air ou tout son contraire. Kernos glissa donc le plus naturellement sa main libre sous la table pour feindre se gratter la cuisse. A la vérité, ce fut sur le manche de sa dague que ses doigts se glissèrent au cas où, comme assurance vie si l'observateur observé avait des attentions à son égard dépassant la simple curiosité. Il fit couler une nouvelle gorgée de vin rouge dans sa bouche et c'est alors qu'un petit je ne sais quoi vint perturber le fil de ses pensées...Tudieu! C'est que les traits du bonhomme ne lui étaient pas inconnus, où donc avait-il bien pu le croiser? Lors de son arrivée en ville? C'était peu probable, les rues étaient désertes à ce moment et il ne se souvenait pas d'avoir vu quelqu'un en dehors de l'aubergiste...Où alors? En Bourgogne? En Lyonnais-Dauphiné?

L'homme se leva et s'avança vers lui. Kernos reposa son verre, jetant un coup d'oeil furtif à la table qu'il quittait, une femme s'y tenait également... Bon sang! Elle aussi lui disait quelque chose... serai-ce lors de sa dernière visite ici? Des amis de... pas le temps d'hésiter, le presque pas inconnu lui faisait face. On cause? On se cogne? On sourit et on reste poli... avec une sécurité à la ceinture tout de même.


Bonsoir....Excusez moi...n'êtes vous pas Kernos?

Clic! Un an plus tôt, dans la grand salle de Thauvenay, le ciel était légèrement couvert. Elle se tenait devant la fenêtre, lui la tenait contre lui... Il se souvenait du goût des deux baisers qu'elle avait déposé sur ses lèvres, de sa nuque qu'elle venait de dégager de sa main... Ils étaient alors rentrés, un homme blond précédée d'une dame qui l'avait qualifié de jeune homme... Kernos hocha la tête et laissa ses doigts glisser loin de la dague.

Oui, c'est bien moi. Et vous vous êtes Messire Cle... excusez-moi, la mémoire me fait défaut, je ne me souviens que du surnom que ces dames employaient ce jour là, j'espère que vous me pardonnerez.

Le Rouvray se leva et tendit la main, vernis de civilité pour contenir la question qui bouillait en lui: "Où est Terwagne, bon sang!!!?"... Cela faisait trop longtemps qu'il n'avait pas goûté à la compagnie des Hommes, et bien que le désir ardent de retrouver sa Lune emplissait chaque goutte de son sang, le besoin de se rappeler qu'il était un Homme parmi les autres était également bien présent en lui. La Dame les rejoignit à son tour.

Mais oui ! je vous reconnais !

Cela commençait bien, comment avait-il pu ne pas reconnaître Ysabeau, l'une des meilleures amies berrichonnes de Terwagne? L'océan de ces petits tracas amoureux et existentiels certainement.

Vous étiez avec Terry à mon mariage, au mois de mai dernier...

Hon-hon, là par contre, cela filait en quenouille... Trop de choses en même temps, tant sur le plan organique que psychologique. Chaleur...Palpitations... Le sang bourdonnait à ses tempes... son coeur s'était figé ou plutôt resserré sur lui-même, comme une pierre, un bout de ferraille... c'était lourd, ça faisait mal: la jalousie, l'angoisse... Qui? Qui était avec elle? Qui était le porc immonde, le freluquet, le bougre, le... le ... le ... celui qui avait osé prendre sa place à ses côtés, l'homme comblé qui pouvait se gorger de sa présence, sentir sa chaleur, caresser sa peau, échanger des regards, des souffles et des mots avec elle. Peu importait au fond, il le tuerait s'il en avait l'occasion, par pur égoïsme... pour prendre sa place.

Mais il y avait autre chose aussi, un mince filet de lumière dans l'obscurité, un souffle léger, à peine une demi brise dans le désert... L'espoir, fou, dérisoire mais présent malgré tout: Terwagne était passée ici il y a quelques mois. Sa première piste sérieuse depuis qu'il avait quitté le Lyonnais-Dauphiné, il n'allait pas la gâcher ainsi. Ravalant donc ses soupçons, ses craintes et son amour propre, il s'inclina poliment devant la Dame, avec une certaine rigidité malgré tout.


Dame Ysabeau, c'est un plaisir de vous revoir mais, je dois hélas vous contredire car je ne suis pas revenu en Berry depuis l'année passée. Ce n'était donc pas moi qui était aux côtés de Terwagne pour vos épousailles, puisqu'elle avait déjà disparu sans laisser d'adresse à ce moment... C'est d'ailleurs la raison de ma présence ici, j'avais caressé l'espoir qu'elle se trouvait à Sancerre, ou du moins que ses amis savaient où je pourrais la retrouver.

Foutue impatience! Il en avait trop dit, trop vite et en avait oublié la politesse. C'était le moment de se rattraper aux branches.

Mais veuillez me pardonner et accepter mes félicitations, ainsi que mes voeux pour votre mariage. Je vous en prie, partager donc ma table, nous pourrions parler plus confortablement et c'est avec joie que je gouterez également au verre que vous m'avez proposé, Dame.


Il joignit la parole au geste en désignant de la main la tablée aux deux Berrichons.
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Kernos
Clealan a écrit:
Conscient de sa hardiesse, et il fut soulagé d'entendre Kernos lui répondre,

Citation:
Oui, c'est bien moi. Et vous vous êtes Messire Cle... excusez-moi, la mémoire me fait défaut, je ne me souviens que du surnom que ces dames employaient ce jour là, j'espère que vous me pardonnerez.


Il attrapa la main tendue en souriant et la serra chaleureusement,

Vous êtes tout pardonné et vraiment désolé de déranger vos agapes, je suis effectivement Cléalan, mais tout le monde m'appelle Clé!

Puis avec un sursaut il entendit Ysa,


Citation:
Vous étiez avec Terry à mon mariage, au mois de mai dernier...



Il vit le visage de Kernos prendre différentes couleurs, du rouge au blanc.
Après avoir présenté une chaise à Ysa , pris verres et pichet et s'être assis lui même à la table de Kernos acceptant avec plaisir l'invitation, il précisa



Humm Ysa, mon amie, tu te trompes je crois, Terry était seule à votre mariage, je m'en souviens car j'étais seul moi même, et rappelles toi Ana m'a servi de cavalière, nous étions bien amusés d'ailleurs, j'aurai volontiers invité Terry, mais elle est partie juste après le vin d'honneur, il me semble qu'elle avait marmonné qu'elle serait de bien piètre compagnie, qu'elle était de nouveau seule, et qu'elle voulait repartir en lyonnais, enfin oui je crois que c'est la destination qu'elle avait donnée! je n'ai pas eu vent d'une autre visite de sa part dans notre Berry, mais j'avais remarqué qu'elle était triste et j'en étais marri pour Elle.

Tout en parlant il avait servit du vin et prit un verre pour trinquer, il but une longue gorgée,

Ainsi voilà pourquoi Terry était si triste, elle ne vous voyait plus... malheureusement avec la guerre qui sévit beaucoup de nos amis sont éparpillés! Quelle misère!


Il s'aperçut soudain que son ange avait disparu..encore une blague de Saturnin il allait la lui faire payer au prix fort!

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Kernos
Je vais bien tout va bien...

On se ressaisit, on lâche la main, on sourit et on s'assoit. Soulagement relatif d'ailleurs, car ses jambes manquaient de faire lui défaut sous le coup de l'émotion violente qui s'était emparée de lui aux dires de la Dame Ysabeau. Il fit tout de même un effort pour ne pas s'écrouler sur le dossier comme un sac, mais ne put retenir un soupir quand son séant toucha sa destination... de toute manière il n'était plus à un faux pas près, et ce n'était pas lui qui avait piétiné le plat le premier en éclaboussant allégrement les convives, honneur au Dame!

Enfin bon, le sieur Cléalan semblait tout à fait disposé à tendre une serviette à tout le monde ainsi qu'à sortir quelques écus de sa bourse pour payer les pots cassés, et surtout - au bonheur!- de disposer d'une bien meilleure mémoire. Grande et profonde inspiration intérieur. On maîtrise l'ébullition, on desserre les dents et on évite de tapoter du pied ou de se dandiner sur son siège, on se tait et on écoute.


Humm Ysa, mon amie, tu te trompes je crois, Terry était seule à votre mariage,... soulagement, on se contient, on évite de danser sur la table de joie... je m'en souviens car j'étais seul moi même, et rappelles toi Ana m'a servi de cavalière, nous étions bien amusés d'ailleurs, j'aurai volontiers invité Terry, mais elle est partie juste après le vin d'honneur, il me semble qu'elle avait marmonné qu'elle serait de bien piètre compagnie, qu'elle était de nouveau seule, et qu'elle voulait repartir en lyonnais... haussement de sourcil, surprise, incrédulité, chuuuut! pas tout de suite..., enfin oui je crois que c'est la destination qu'elle avait donnée! je n'ai pas eu vent d'une autre visite de sa part dans notre Berry, mais j'avais remarqué qu'elle était triste et j'en étais marri pour Elle.

Les verres étaient pleins. Kernos imita Cléalan et en prit un, Bon Dieu! il en avait bien besoin. Tout en vidant lentement le liquide écarlate dans son gosier- un moyen comme un autre de s'empêcher de parler- il mit de l'ordre dans ce qu'il venait d'entendre. Terwagne s'était donc bien rendue à Sancerre, au mois de Mai, sans doute directement après avoir quitté le Lyonnais-Dauphiné. Sa certitude, devant ce récit, était qu'elle n'avait certainement pas fait demi-tour, il la connaissait trop pour savoir qu'elle ne reculait jamais une fois sa décision prise, sa lettre était sans équivoque, elle continuerait à avancer, encore et encore, jusqu'à ce qu'elle s'essouffle et retombe... une Tempête, c'est comme ça. Restait à savoir quel vent elle avait suivi après Sancerre.

Le vin tournoyait légèrement dans son gobelet, Cléalan avait continuait à parler mais Kernos était trop pris dans ses pensées pour saisir ses mots au vol. Ils glissaient sur lui et autour, comme les vagues sur un rocher solitaire. Où était-elle allée après ce retour au Berry? Si elle suivait les routes de son passé, l'Orléanais avait du être la seconde étape, là où tout avait commencé, le premier acte de sa tragédie amoureuse qui s'était conclu à Sancerre dans les larmes et les flammes... Zeltraveller, le troubadour, l'errant, son premier amour immolé au sens propre comme figuré. Quoi que... Sancerre était la conclusion fumeuse de cette histoire, Montargis que le point de départ, avait-elle voulu un complet retour aux sources? Ou bien seulement là où sa vie d'errance avait pris fin pour mieux la retrouver? Trop de questions et d'hypothèses, trop de choses en tête, il avait besoin de calme pour faire le point.


... Quelle misère!


La réalité revient parfois de façon abrupte. Kernos reprit soudainement conscience du monde qui l'entourait, de l'auberge, du vin, de Ysabeau et de Cléalan... mais pas de ce que dernier venait de dire... quelques bribes tout au plus, une histoire de guerre, d'amitié, d'éparpillement. Il reposa son gobelet et déglutit.

La guerre est une plaie, avant tout pour les peuples, mais je suis mal placé pour en parler ou la juger, puisqu'elle a été mon gagne pain durant seize années. En tout cas, elle ne facilite pas mes recherches... Frontières fermées, troupes armées sur les routes... tant d'obstacles qui se placent sur mon chemins, en plus de la faim et du froid, les gens sont moins accueillant et les marchands plus rares en ces temps sanglants. Voilà pourquoi il est savoureux de pouvoir trouver bonne compagnie pour trinquer et parler, la chaleur humaine est devenue une denrée aussi rare que le pain.

Il releva son verre.


A l'Amitié! Qui demeure malgré tout!
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