[RP] Pectus est quod disertum facit

On dit souvent que c'est à l'approche de la mort que notre esprit est le plus clair.
Une feuille tombe négligement sur les couvertures de sinoples brodées, légère, évanescante, éphémère. Si fine... Cette finesse qui peut vous entailler un doigt. Ses bords, résolument en angle droit fendent l'air d'une multitude de petite ouvertures. Vers ou vont ces fentes ? Est-ce les minuscules et translucides portes d'un autre monde ? Un bruit de pas coupe le silence ambiant de l'aile ouest du château de Domfront, fief famillial des Varenne. Une femme, que l'on peut placer vers sa vingt-sixième année se déplace, ses pieds nus et pâles foulant la pierre glaciale du sol. Elle n'a pas froid... Elle sait. Une longue chemise blanche en lin couvre à peine un corps de petite taille, maigre et nerveux. La transparence à la lumière de ce bout de tissus dispraît au niveau des épaules ou une cascade de cheveux blonds tombe. Ces cheveux là qui ont fait son image, son signe distinctif parmis la masse identitque de gueux et de nobles, tous si ressemblant. Une telle couleur lui venait de sa mère lui avait-il dit, qui possédait une blondeur extrêmement pâle à la limite du blanc. Elle n'en sait rien. Chaque fois que les mirettes grises se posent sur le tableau ou sont représentés deux personnes, un homme et une femme définitvement blonds, hautains et avec ce port que l'on attribue à la noblesse, elle ne reconnaît pas. Rien, le vide, pas même un sentiment de regret ou de mélandcolie. Indifférente. Ses géniteurs sont des inconnus, seulement des êtres biologiques qui lui ont permis un jour de naître aux côtés de Richard, juste après lui, juste à ses côtés, si proches... Des morceaux de chair qui permettent d'en faire d'autres... Des enveloppes corporelles ridicules qui enfement égoistement des âmes qui, bien plus riches, peuvent s'élever jusqu'au zénith de la vie éternelle, des esprit qui peuvent un jour atteindre l'eldorado qu'est la sagesse. Sa main gauche qui affiche encore les marques des entailles faites à Ryes se tend pour s'emparer d'une bougie. Elle ne tremble pas, la flamme semble ne jamais pouvoir vasciller, perpétuellement droite et fière. Elle sait, elle est sûre. Dans l'autre main, le poignard...

On dit souvent que c'est à l'approche de la mort que notre esprit est le plus clair.
Les mirettes grises se posent un instant sur ce lit qui avait tantôt abrité un corps heureux et ces derniers jours un corps meurtri. Sur le drap de sinople brodé de fil d'or se trouvent quatres parchemins : un ou est rédigé son testament, un autre destiné à son frère, sa soeur et Rilliath, un autre pour sa fille et un à l'attention du comté du Béarn. Le testament, futilité administrative, dictait ses dernières volontés, ses derniers dons à ses proches. Elle qui avait su si peu aimer de son vivant comptait bien le prouver une fois morte à travers ses donations. Ce bout de papier lui permettait de partir d'une façon digne et organisée, celle qu'elle avait été avant, cette personne qui prévoyait tout... Ainsi, elle savait qu'elle pouvait prendre son ultime chemin en paix. Ce qu'elle souhaitait serait réalisé. Le second, qui est une lettre explique tout à la famille, toute son histoire du début à la fin, ces choses inavouables qu'elle ne pouvait confier de son vivant, ces excuses si simples pour ce qu'il allait advenir. Une lettre qui l'avait faite pleurer, qui l'avait faite reconsidérer ses projets... Mais la douleur, toujours si présente, cette douleur sourde qui vous assome était revenue, forte, insoutenable, pour martyriser le frêle corps de la Vicomtesse de Domfront. La troisième était une lettre destinée à sa fille, des excuses et des conseils, des souhaits et encore des excuses, des mots d'amours et des encouragements à lever le menton, fièrement, et à avancer. L'Estelle n'avait partagé ses sentiments à haute et intelligible voix qu'avec deux êtres : celui qu'elle pleure, et celle qui porte ses traits, son sang, sa Nolen. Et enfin, le quatrième parchemin était destiné à Valère d'Arezac, Coms do Béarn et indiquait le sous-sol de Monein ou étaient cachées les économies de la Blonde... Là-bas, il trouverait des écus pour le Béarn, qu'elle offrait à cette terre qui plus qu'une autre avait su la séduire, lui faire éprouver des sentiments profonds pour un Comté à qui vous vous êtes donnée, et qui a quant lui fait encore plus à son égard... Elle ne pouvait plus avoir peur maintenant. Tout était en ordre. Elle partait sereine, elle allait arpenter ce chemin difficile qui mène à d'autres sphères l'esprit clair.

On dit souvent que c'est à l'approche de la mort que notre esprit est le plus clair.
Le bruit d'une porte qui se ferme. Puis, ceux de pas foulés tantôt sur les tapis, tantôt sur le pierre rugueuse. Le calme est maître des lieux à cette heure tardive. Tout le monde doit dormir, du garde au palfrenier en passant par la servante. Peut-être rêvent-ils, peut-être tuent-ils dans leurs rêves, peut-êtres pleurent-ils les yeux fermés, le rêve libère souvent nos pulsions les plus secrètes ou nos peurs les plus enfouies. La Blonde s'en fiche, elle. Elle marche, résolue, laissant son odeur de mûre derrière elle, descend le grand escalier, passe la porte du château. A l'extérieur la lune joue son éternel jeu de séduction avec les nuages : ils se touchent, se frôlent, se mèlent puis elle triomphe une fois de plus, bien accrochée au plus haut du ciel. Les arbres, par leurs feuilles mutines applaudissent leurs instants d'osmose par des bruissements. Les pieds nus de la Blonde foulent la terre gelée. L'hiver est difficile en Alençon, la terre est comme paralysée, la vie semble avoir cessé ailleurs que dans son corps... Elle n'a pas froid. Elle ne ressent plus, il n'y a qu'une seule chose dans son esprit, qu'un seul objectif : le retrouver. La flamme de la bougie vascille dangereusement sous l'effet du vent. Au loin, on entend presque plus les gorges de la Varenne : elle s'est calmée elle aussi, en adéquation avec l'humeur de la maîtresse des lieux. La nature aussi l'a mise en sourdine, elle attend, patiente, le dénouement de tant de mois de souffrance. Un conte de fées de prépare t-il ? La fin sera t-elle heureuse ou bien... Tragique ? Une nuit étrangement calme... Quelques marches gravies, la bougie est posée tout près de la lourde porte de la chapelle. Avant de pousser cette dernière, notre Blonde se retourne pour embrasser une ultime fois ce paysage famillial, ce lieu qui avait abrité autant de joies que de peines, cet endroit ou elle était née, avait été chassée, puis était revenue dans un cocon d'amour aux côtés d'un frère chérrit. Et maintenant, il allait être théâtre de sa disparition...

La lourde porte est poussée et se referme dans un claquement. Elle n'entend pas, la Blonde. Les mirettes grises sont accrochées au fond de la petit chapelle, tout au bout de la nef, derrière l'autel, dans cette alcôve aux murs de vitraux par lesquels la lune innonde de sa lumière blanchâtre les lieux. Il est là... Les lèvres vermeils s'entrouvent, elle est fascinée. Enfin... Elle attendait cet instant depuis tant de temps ! Elle se presse, court presque jusqu'à lui, jusqu'à sa dernière demeure. L'austère cerceuil de bois avait été déposé sur une table de fortune alors qu'à même le sol trônait un moulage du corps du Duc. Quelques jours plus tard, la famille de Varenne s'apprêterait à enterrer Richard. Se doutaient-ils ? Certainement pas... Qui pourrait se douter qu'un être en apparence si fort allait se montrer en l'espace de quelques minutes si lâche ? Naturellement, elle se retrouve à genoux et ses mains, vides, caressent la scultupre. Puis dans un geste tout aussi vif et brusque elle se lève pour que ses mains parcourent le couvercle du cerceuil. Il est là... Ils sont à nouveau réunis... C'est une frénésie presque obsessionelle, une passion qu'ont donnerait plus à des amants qui animent les caresses de la Blonde sur le bois, et qui voilent ces yeux d'une couleur sombre. Voilà si longtemps qu'elle attendait d'être là, à ses côtés, à jamais... Comment pouvait-elle vivre sans lui ? Dans quels bras allait-elle se jetter après une énième crise ? Vers qui ses mirettes grises allaient se lever en quête d'une approbation ? Qui pourrait la connaître après qu'il l'ait apprise, amadouée, à un point que personne n'avait jamais atteint ? Il était son Tout... Ils étaient venus au monde ensemble, ils devaient le quitter ensemble. Cette obsession la fait trembler, dans un geste saccadé elle recule. Les yeux se lèvent vers la voute du petit édifice religieux. De la buée sort de sa bouche, il fait froid... Jamais Estelle de Varenne n'avait été aussi belle. Non pas d'une beauté commune faite de proportions harmonieuses, de traits fins, d'éclat de peau, de subtilité dans le regard, de formes subtiles. Non. Non. Loin de tout ceci. Elle semble... Evasnescante. Vêtue de blanc, la lune jouant de transparence avec le tissus, ses cheveux blonds brillant étrangement et le visage si... Déterminé. Jamais un individu n'est aussi beau que lorsqu'il sait ce qu'il veut, le chemin qu'il veut emprunter. Et à ce jour, elle qui avait si souvent fait la nique aux généralités se retrouve plongée dans une d'entre elles. Les mirettes grises brillent à nouveau mais ce n'est ni de pleurs, ni de tristesse, ni d'ibriété, juste de détermination.
La respiration s'accélère et gonfle sa poitrine de façon saccadée.

- Seigneur... Je ne peux plus. Je m'excuse. La vie n'est plus ce qu'elle était, elle ne mérite plus d'être vécue. Je ne suis pas assez forte... Je m'excuse.

Sa main droite se lève, presque tremblante.
Le regard se pose sur le poignard qui fermement coincé dans sa paume, brille à la lumière de la lune. Celui que Cerridween lui avait donné à Ryes, celui de Richard... Comme possédée. Omnibulée par ce qu'elle s'apprête à faire, omnibulée par cette lame si brillante qui va enfin l'arracher à ce corps si gênant pour lui permettre de le rejoindre... Un dernier regard vers le moulage au sol qui allait acceuillir, dessous, le cerceuil de son Tout. Et... Elle sourit. Un de ces sourires rares qu'on ne lui à jamais vu. Simple, extrêmement simple, mais qui exprime tant de bonheur... Le bonheur que tout le monde cherche à atteindre durant son passage sur terre, celui qui ne vous transporte pas mais qui innonde chaque partie de votre corps d'une sérénité et d'un calme exceptionnel. Une drogue douce. " J'arrive... ". Elle déglutit. Le regard se pose une dernière fois sur la lame. Puis son bras s'avance, doucement, dangereusement vers son coeur. La respiration s'accèlère, c'est la dernière fois, oui la dernière qu'elle peut sentir ses poumons se remplir, son coeur battre, son sang circuler.

La lame touche le lin. Puis le transperce pour caresser la peau. La pointe s'enfonce, doucement, du sang perle.Lancinante lenteur. La lame plonge un peu plus profond. Elle a mal mais ne grimace pas, c'est un mal qui vous fait du bien. Eternelle masochiste qui trouve un additif dans la douleur. Un mal qui vous libère... Elle sent le métal froid sous sa poitrine. Elle suffoque. Les mirettes grises se lèvent une dernière fois vers le ciel, emplies de larmes, alors que son corps se courbe sous cette douleur bienfaisant... Regard qui se voile. Elle tombe.

L'odeur du sang chaud se mêle à celle de la mûre.
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Co-fondatrice avec Apo du fan-club "Engue et Cerrid for ever"

Consumatum est(1).

Euh... Non. En fait, pas tant que ça.

Estelle de Varennes, couchée à terre, perdant beaucoup de sang, ne se rend probablement pas compte des enjeux galactiques de sa mort. D'ailleurs, nous rendons-nous jamais compte de ce qu'implique le passage de vie à trépas, pour nous ? Au-delà de la perte de l'être cher, c'est la plupart du temps la création de la vie, pour que l'équilibre universel soit respecté. Eh oui. Quand un ivrogne se découvre, un homme à jeun se construit. Quand un obèse se caresse l'embonpoint, c'est une anorexique compulsive qui vomit outrageusement sur le marbre rose étoilé de toilettes richissimes d'hôtels superlatifs fabuleux du 16e arrondissement. Auteuil-Neuilly-Passy, non, c'est vraiment pas du gâteau. Bref. Si Estelle de Varennes meurt, une âme doit se créer. Logique imparable de l'équilibre des forces au sein de la Géhenne primordiale, gonflée comme une outre prête à éclater. Au sein des logiques extraplanaires de la vie et de la mort existe une loi, mathématique et primordiale : celle de l'équilibre des concentrations. Or donc, si le monde perd des âmes, il en gagne forcément.

...

Hein ? Bouddha ? Et ma main dans la tronche, aussi ? On est pas là pour parler chiffons, alors laisse exprimer !

...

Estelle... Au centre d'une voie lactée qui n'a du colostrum que le nom, au centre du centre lumineux de la galaxie terrienne, de cette boule de matière fusionnelle et si lointaine pour nous, pauvres esprits, existe une pizza. Oui, une reine, en plus. Comme celle de chez Mario. Vous savez, celle avec les peperonnis sur le milieu, l'oeuf par-dessus, et l'huile pimentée prête à l'usage. Celle où, en fouillant bien, on peut espérer trouver (trésor caché!) un mégot rachitique, consumé et oublié là par ce fichu abruti de pizzaiolo fumeur anaphilactique. Oui, on tourne beaucoup autour du lait. Sur cette pizza, une plate-forme en bois. Sur cette plate forme en bois, des fils. Qui partent dans un nombre impressionnant de directions et de dimensions, de couleurs différentes, de textures différentes. Alors que certains paraissent des cordes de bite d'amarrage, graisseux et épais comme un poing fermé, alors que d'autres paraissent flexibles, souples, et agités, d'autres... d'autres... Paraissent aussi fragiles que des cheveux de bébés. Aussi fins que du duvet de blonde. Aussi disparate qu'une Shoah étatique. Entre ces fils virevoltent trois femmes. Les Parques.

Elles étaient trois sœurs, filles de Nyx (la Nuit) ou de l'Érèbe, ou bien de Jupiter et de Thémis, ou, selon quelques poètes, filles de la Nécessité et du Destin. Et après tout, qu'est ce que l'on peut bien en avoir à faire ? Elles se nomment Clotho, Lachésis et Atropos. Sur leurs têtes, des couronnes de laine épaisse écrue, entremêlées de narcisses éclatantes. Sur leur corps, des robes de velours noir épaisses, pour se protéger de la froideur du cosmos. Approchons nous, et observons-les...

Voilà Clotho. Elle est la plus jeune des Parques. Enfin, vu leur âge... estimer une différence tient plus du Juste Prix que de l'observation pure. Elle virevolte entre les fils, les observant, les tenant, les tissant. En sa couronne sont piquées sept étoiles, et elle parait gaie et joyeuse.
A côté, on voit Lachésis. Autour d'elles, on peut apercevoir un grand nombre de couteaux. C'est elle qui estime quand il faut couper.
Et te voilà, Atropos ! La plus vieille, la plus cruelle, la plus impitoyable. Du sang sur les mains, et sur la robe, et un éclatant sourire édenté aux lèvres. Tu as le couteau en main, et t'apprête à couper. Vu qu'elles respectent la vie humaine, les Parques sont toujours soucieuses d'énoncer le nom des vies qu'elles prennent. Et vu que leur destin à elles aussi est déjà écrit, bien sûr, elles coupent des fils, mais on ne compte pas leurs maladresses ! Epidémies, guerres, tremblements de terre sont souvent la chute de l'une de ces trois vieilles femmes sur un grand nombre de fils. La vie est ainsi faite, que toutes, même la mienne, ne sont que toiles d'araignée suspendues aux gestes de ces trois femmes. Leur péché mignon est le LSD. Apparait souvent alors les images de jeunes éphèbes puissants et musculeux, qui les satisfont. Ainsi, elles n'ont pas à se préoccuper des plaisirs terrestres. On ne parle pas, bien entendu, des accidents de la route, des chutes de pierre, des effondrements causés par leurs soubresauts d'alors.

Aujourd'hui, elles continuent leur travail. Elles filent, tiennent et coupent. Le cosmos tournent, elles s'agitent. La Voie lactée brille, elles engloutissent. Dans la pizza qui est sous leurs pieds, gravées en lettres de feu, se lisent les sorts funestes et bienveillants de chaque nation du monde. Et le croirez-vous ? Mais c'est celui du Bhoutan qui les fait toujours rire. Comme quoi...

Elles vont vite. Le taylorisme n'est qu'un concept rétrograde pour ces harassées de travail, qui transmettent leurs chiffres à Harry, le grand ordonnateur divin. Celui-ci les retransmet alors à la Géhenne, qui laisse s'échapper un certain nombre de "naissances". Et si les naissances augmentent, alors, on demande à la Géhenne de faire plus. Ainsi va la vie.

Aujourd'hui... Un problème se pose. Atropos, tranchant dans le vif un fil fin comme de la soie d'or, ne l'a... qu'entaillé. Elle le regarde. Elle rate si peu souvent son coup ! Pour un peu, les hautes instances l'enguirlanderaient si elle perdait trop de temps. Elle réitère son geste. Non. Comment... Quoi ? Le... fil ne se casse pas. Ben mon vieux... Et, hein ?

Atropos observe, regarde. Ses grandes orbites blanchâtres mirent le miracle qui, sous ses yeux, s'opère. Le fil s'est réparé. Il s'est réparé, comme on referait une corde coupée. Le fil ne se COUPE pas. Atropos insiste, persévère. Elle prend son couteau à deux mains, découpe dans le vide. BON DIEU, TU VAS ARRETER, OUI ? Si même les outils de travail ne sont plus fiables... Et la productivité, bordel ?
Elle tente de dissimuler. Bon Dieu, si on voit ça, on pourrait... Oui, couper SON fil à elle. La remplacer. La balancer aux oubliettes, la découper en chair à canon, l'incorporer à la pizza. Bon Dieu... Pour la première fois, la mort a PEUR. Peur de se faire remplacer. Clotho la reprend. Elle lui demande ce qui arrive. Atropos, honteuse, explique. Clotho ne comprend pas. Elle vient voir, bientôt suivie par Lachésis.
Eh oui, lecteur. Ce fil, c'est celui d'Estelle de Varennes. Et pensez-vous qu'elle sera jamais canonisée, la Blonde pimbêche, pour les vies à qui elle donne un sursis ? Pensez-vous... C'est pas un type en robe, qui décide de ça ? Et qui pense que ne pas faire digdig est la norme ? Autrement dit, Estelle... Désolé. Tu resteras à jamais qui tu as jamais été : une pimbêche qui a tenté de vivre sa vie, et a échoué. Mais tu accomplis un miracle : celui de la Morte, qui s'accroche encore à la vie. Et cela... C'est un précédent, pour les Parques. Du jamais vu. Une jurisprudence, messieurs-dames. Clotho informe les autres de la titulaire de ce fil. Atropos et Lachésis dodelinent de la tête, incrédules. Non, Estelle ne PART PAS. Les Parques sont ennuyées. Après quelque réflexion, l'action. Clotho quitte la pizza, marchant dans le vide, alors que ses soeurs frappent au hasard, pour rattraper le temps perdu. La mort, parfois, surprend n'importe qui, n'importe où, n'importe quand...

Avance rapide.

Une tour d'argent. Une GRANDE tour d'argent, hein. Décagonale. Blanche, aux murs réfléchissant en miroirs polis toute lumière la touchant. Là, se trouve le centre de la Voie lactée. Clotho monte les marches, de son petit pas trainant de mégère vieillotte, qui ne bouge jamais que sous LSD ou poppers, à la limite. Les petites marches sont avalées 4 à 4, et laissent passer la vieille rombière, qui arrive face à une porte. LA porte. Celle du désigné de Dieu. Elle est blanche, cette porte. Aux sculptures complexes de formes géométriques, cabalistiques, et autres tiques. Un heurtoir s'y trouve, en forme de paire de couilles. Plaisanterie du maître des lieux. Si ce n'était que la seule...
Clotho s'en approche. Hésitante, elle triture le heurtoir. Bien, fermes et pleines... Une envie de LSD la prend. Elle y satisfera plus tard. De la musique s'échappe, de sous la porte. On y parle de canards, et vivants, en plus...

Encore la dernière lubie de Harry. J'vous jure...

Elle prend la paire en main. La frappe contre le heurtoir. Au loin, un "AHOUWAAAAAHHHHHHH !" se fait entendre. Et des pas se font entendre. Lourds. Puissants. Clotho tremble sous les pas qui s'approchent de la porte. De la sueur coule sur ses rides. Ses lèvres et ses vieilles bajoues boufites de pizza ballottent. Ses genoux cagneux s'entrechoquent. Ses pieds fourchus claquettent. Ses yeux clignotent. Ses doigts se coincent les uns dans les autres, se craquent. Les dents se frottent, en un grincement effroyable. La porte s'entrouvre. Voilà... Harry.

- " Harry... J'crois qu'on a un problème. "

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(1) : Tout est consommé, bien entendu. M'enfin z'aurez compris, hein.

Saut spatiotemporel.

Oui, nous autres, narrateurs, avons ce pouvoir. Incroyable mais vrai, mais l'intérêt d'une histoire est de n'avoir de limites que celles que l'on veut bien y mettre. Et, vu ce cher narrateur, très chers, attendez-vous à avoir bien des surprises.

Combien de temps, Estelle ? Combien de temps as-tu attendu, te vidant de ton sang, le souffle de vie toujours en tes poumons, la vie ne lâchant pas tes fibres, tes prunelles toujours intactes ? Tu attendais probablement la mort, prostrée. Et... ce ne fut pas exactement la mort qui vint te chercher.

Un souffle d'air, dans la froide chapelle de Domfront. Une double porte qui s'ouvre, un rayon de lumière qui entre. Les poussières du sol voletant gaiement, au gré du hasard physique, alors que le dernier protagoniste de l'acte entrait enfin. Harry.
On l'avait appelé Harry. Harry Stote. Pas les noms grecs traditionnels, très plan-plans, très bateau. Il avait voulu un nom d'ailleurs. Un nom d'au-delà des mers. Un nom qui claque, qui en jette. Un nom dont on se souvienne, quoi. Petit, il avait eu plusieurs voies possibles : rock-barde, par exemple ! Comme Nana Mouskouri, quoi ! Ca, ça en jette. Mais... il n'avait pas une voix extra. Puis, il avait voulu devenir président. De quoi, me direz-vous ? En même temps, un enfant sait-il de quoi il veut être le roy ? Le sait-il réellement, s'entend? Pas Harry. Les cheveux aux épaules, des lunettes rondes sur le nez, une cicatrice bizarre... Non. Il n'y a pas plagiat. Mais Harry était un gamin comme les autres, avant de devenir philosophe et de faire son grand boom médiatique. Sa vie avait été sympa. Il ne s'était pas plaint. Et au moment de sa mort, plutôt que de tenter de multiplier les pains, comme un vis-à-vis qui le suivrait quelques siècles plus tard, Harry avait voulu faire un miracle, pour montrer sa nature divine. Pas de résurrection. Pas de truc tape-à l'oeil. Il avait voulu du sobre. Aussi, à sa mort, avait-il multiplié ses os, pour que le monde puisse avoir une copie de lui en plusieurs exemplaires. Il avait de même créé des copies de lui enfant. Ce qui permit à des monastères de pouvoir s'enorgueillir de détenir des reliques magiques de Harry, dont pas moins de 7 tibias, 3 fémurs, 2 crânes enfants et un adulte, ainsi que pas moins de 279 vertèbres, 14 omoplates, 70 rotules, sans même vous laisser imaginer le nombre de métacarpes disponibles. Oui, il avait été trop bon.
Ce brave Harry, après sa mort, avait donc été déclaré comme fils de Dieu. Donc bras droit, en quelque sorte. Et étant donné que la Mort, il faut le dire, est l'un des commerces principaux de Dieu et des religions, il paraissait donc logique que le plus gros travail à accomplir y soit. Dieu, pas fou, sachant bien qu'il pouvait mourir un jour, tôt ou tard, avait pris la décision de confier à Harry et à Jésus, son autre fils, deux tâches différentes. Aussi Jésus s'était-il vu confier tout ce qui a trait à l'amour, ce qui en soit représente un travail assez épais. Et Harry, dans sa chance normative, avait été choisi pour gérer la Mort. Pas pour ÊTRE la Mort, notez-bien. La mort vivait très bien toute seule, en patron implacable, dans un grand bureau, supervisant son service documentation, la partie action étant confiée aux Parques, qu'elle fouettait de temps à autre pour les garder productives. Non pas qu'elles soient gourmandes en RTTs. Mais la Mort aimait bien, parfois, se montrer tyrannique... Et la venue de Harry, pire qu'un morpion incrusté au fond du slip, pire qu'un représentant d'assurance, pire qu'une paire de témoins de Jéhovah sur un paillasson bi-chromatique, pire qu'un contrôleur fiscal zélé et boutonneux, avait chamboulé ses habitudes. Mais, devant la nonchalance de Harry, et sa consommation outrancière de haschich, la Mort avait-elle passé un accord avec lui : il se prélassait dans sa tour d'ivoire, ignorant des affaires de la Mort, et celle-ci faisait son boulot, sans rien cafter. Harry disait que tout était toujours normal, et tout l'était.

Jusqu'à aujourd'hui, et la non-mort d'Estelle de Varennes. Déjà que ce brave Dieu hésitait à délocaliser ses services mortuaires en les confiant à l'Ankou, plus jeune ouvrier, plus productif mais moins coûteux, ne consommant qu'un litre de chouchen par semaine, hésitait à confier à Lucifer la gestion des péchés et passions. S'il apprenait que les Parques se trompaient parfois... Sa colère serait terrible. Il ferait voler les mondes. Il créerait des mondes arides, sans alcool et drogue. Des endroits sans vie, ineptes. Et il les enfermerait dessus !
Harry avait trouvé la solution qui avancerait tout le monde. Il irait à Domfront, tuerait Estelle de Varennes lui-même, et puis banzai-club, quoi ! Il pourrait enfin finir son doux schillum de ganja, en compagnie de Bob Marley et alors qu'ils s'amuseraient à mettre Ray Charles sur le dos... Que du bon, en somme.

Il était venu, et il était là. Le dossier Estelle de Varennes sous le bras, sa boîte à malice en paume, il avançait désormais dans la chapelle familiale de Domfront, n'élevant aucune poussière, lui, sur son passage. Il portait simplement une grande robe de bure brune, pour changer de Jésus et son écru crème atroce. Des santiags étaient à ses pieds, et un stetson sur sa tête. Souvenir d'une partie de poker avec Larry Hagman. Avançant jusqu'à la hauteur d'Estelle, il s'agenouilla à ses pieds, sa robe de bure ne se tâchant évidemment pas avec le sang de la pauvre infortunée, qui devait souffrir le martyre, alors même qu'elle était toujours vivante. Chère créature... En d'autres temps, il aurait apprécié être nécrophile, tiens. Il ouvrit le dossier, et commença à lire.

- " Bon... Z'êtes bien Varennes, de, Estelle ? Soeur de Richard de Varennes, c'c'la? Moui... Foutral, et c'était vrai, en plus. Z'auriez dûe mourir voilà 2 minutes, ma petite dame... "

Est-il besoin de dire que la trame spatiotemporelle de Dieu n'a strictement rien à voir avec la nôtre ?

Harry, inspectant le corps, note le poignard dans la poitrine. Techniquement, ça ne devrait pas être très dur de finir le travail. Mais se permit-il un petit sermon, avant de le faire.

- " On peut pas dire que votre vie ait été un franc succès, ma p'tite... J'veux pas dire, mais c'est même limite la loose, là. Teush' ? Non ? 'Savez pas c'que vous loupez...

Alors... Z'avez laissé votre frère pendant un temps assez long sans sépulture. D'ailleurs, l'y est toujours pas... J'aimerais pas me taper la place du fossoyeur, pensez pas ? ... Alcoolique ! Tiens, ça c'est pas commun ! Une beauté alcoolique ! 'Croyez pas que vous aviez mieux à faire, non ? ... Volage. Ca, vu vos attributs, j'aurais du mal à vous en blâmer... Chieuse. Idem. ... Mmmm... Egoiste ! M'enfin, vu le reste de l'humanité, on peut pas dire que ça soit à se casser le c... par terre, hein. Et adultère, tiens ! Marrant ! Votre fille a été faite hors mariage ? Vilaine fille, tiens. M'enfin bon, l'immaculée conception, on évite de jouer dessus, au jugement dernier. ...Magouilleuse ! Tiens ! Au moins deux péchés, là ! Ca va pas être terrible dans la balance, mais c'est toujours ça. Vous vous taperez le grand délire du supplice de Tantale, plutôt orienté boisson, puis ils poursuivront par un arrachage de langue. Z'en faites pas, hein, vous connaissant, j'pense qu'en plus ça rendra service à tout l'monde.

Pas de quoi fouetter un chat, en somme. Vous passerez vite au Paradis. D'ailleurs, j'vais vous donner mon numéro d'bipper, j'pense que ça pourrait être sympa une petite bouffe, un soir. " Il parlait en fumant, et fumait en parlant. Il consultait le dossier d'Estelle, épluchant toute sa vie, notant les détails croustillants qu'elle n'aurait jamais avoué à un confesseur. Il mettait le doigt sur ce qui la gênait, la dérangeait, faisait d'elle quelqu'un de détestable. Et Harry, était-il besoin de le dire, s'en fichait éperdument. Il tendit un morceau de parchemin à la pogne d'Estelle, à cette pauvre menotte virginale et désespérée, et la mit dans sa main tremblante, alors qu'une bulle de sang venait crever à la surface de sa plaie déchirée et hagarde. On y lisait " 06 69 DTC ".

Puis, ceci fait, il fit avec son pouce et son auriculaire le signe de reconnaissance des surfeurs, et porta sa main à son oreille droite, comme un gamin de 5 ans l'aurait fait.

- " Atropos ? Wep ? Z'êtes en place ? On y va à trois. Parée ? "

- NON ! PAS LA PREMIERE FOIS ! CA FAIT TOUJOURS MAL LA PREMIERE FOIS !

Gro-tes-que.
Grotesque. Tout ceci était grotesque. Assise sur ses fesses bien vivantes, son torse vaporeux redressé, les paumes des mains a même le sol, un couteau enfoncé dans le cœur et un peu de sang chaud coulant par les recoins de sa bouche, mirettes grises exorbitées, la Blonde regardait l’homme en face d’elle. Harry. Foutu Harry. Qu’attendait-il pour agir celui-là ? Et pourquoi, pouuuuurquoi les employés de la mort étaient-ils aussi minables ? Non mais vraiment en plus d’être incompétent il était ridicule et impuissant… Elle qui pensait quitter en même temps que la vie les hommes impuissants… Bingo. Ah non, ça n’allait pas se passer comme ça ! Oh que non. Quand Estelle de Varenne voulait quelque chose elle l’avait ! Elle prit une profonde inspiration, faisant couler encore un peu plus de sang de sa plaie au cœur. Non seulement elle ne mourrait pas mais ce fichu sang salissait sa chemise. Jamais elle ne s’était sentie autant elle : aussi chiante, capricieuse, exigeante et en colère.

Mais retournons en arrière... D’abord elle avait attendu.
Sagement. Jamais elle n’avait été aussi patiente de sa vie – car oui elle suppose être encore en vie - et cette fois-ci, elle se dit que l’occasion méritait bien un peu de changement. Sa mort méritait bien qu’elle fasse des efforts. Alors les yeux fermés, elle regardait le néant – oui oui - espérant voir venir la bouche en cœur, presque en sautillant gaiement avec des coquelicots coincés derrière les oreilles son frère, ou LiHan, ou pourquoi pas une cohorte d’anges à l’air naïf et stupide nus comme des vers ou même qui sait, le bon vieux barbu a qui tous les gens faibles et peu sûrs d’eux vouaient un culte sur terre ; ce bon vieux Aristote. Mais nenni. Combien de temps venait de passer ? Elle n’en savait rien. Là, desuite, immédiatement ce qu’elle sait c’est que le couteau la dérange, qu’elle aimerait bien l’enfoncer d’un grand coup mais son corps semble comme paralysé. Et puis elle sait aussi qu’elle commence à avoir froid. Et que la pierre est sacrément inconfortable ; qui était donc le bougre de crétin qui a bâti cette chapelle ? Mais ça tout le monde s’en fiche. Tssss. Alors elle commence à compter. Un, deux, trois… Toux. Le couteau commence sérieusement à la gêner pour respirer. Peut-être faut-il qu’elle tousse encore un peu pour ne plus du tout respirer ? Quatre, cinq, six… Hi hi. Son gros orteil gratte. Estelle de Varenne, la femme qui a brillé en diplomatie et en complots échoués, la femme qui a fait tomber plus d’un mâle couronné dans sa couche, celle dont les tenues faisaient pâlir les stupides précieuses, a son gros orteil qui gratte lors de sa mort. Une atrooooce démangeaison. Sept, huit, neuf… Le peu de force qui lui reste sert à tenter de frotter son orteil contre la pierre rugueuse ce qui se conclu par, bien entendu, un échec. Bordel. Non seulement elle réalise qu’elle vient de lamentablement rater son suicide mais qu’elle n’est même plus en état de se gratter le gros orteil. La Blonde adorerait crier en cet instant, crier aux forces supérieures d’arrêter cette mascarade immédiatement. De la tuer une bonne fois pour toutes. Dieu n’était-il pas censé guider les humains comme un berger guide ses brebis ? Ben dans le cas échéant la brebis s’est plantée ( sans mauvais jeux de mot ) de chemin et il est plus que temps de lui fournir une petite carte, ou un grand coup de main, là, comme ça, dans le cœur.

Elle aurait pu, elle aurait poussé un long soupir.
Mais elle ne peut pas non, elle pense bien que si elle prend une grande inspiration la dose d’air rejetée sera proportionnelle au jet de sang qui salira sa chemise. Car elle ne veut pas non plus se présenter face à ses nouveaux amis morts avec une mise de gueuse. Certes le sang donne un petit côté animal, séduisant, attirant, carnivore, sanguinaire… D’ailleurs tiens, ça lui fait penser dans le Royaume des vivants certaines femmes aimaient bien être comme ça, toujours avec une petite tâche de sang avec des braies de cuir outrageusement moulantes et toute poitrine au vent, vulgairement proposée à des yeux caverneux et concupiscent. Et en plus elles parlaient mal, se tenaient mal et aimaient aussi cacher des dagues dans des endroits incongrus. On serait quelques années plus tard on aurait ou parier sur une influence de la fameuse Wonder Woman, d’une working-girl tribale et marginale en pleine rébellion contre le système ou de femmes ayant trop regardé Xéna la Guerrière… Mais ce n’est pas le sujet, hein ? Donc voilà l’esprit fin et désemparé de la Blonde qui pense a l’apparence qu’elle proposera à ses futurs copains du ciel… Il faut toujours faire bonne impression. Qui sait quel éphèbe pourra t-elle rencontrer là-haut ?

Et puis, malgré les yeux fermés elle sentit, par la caresse des rayons sur ses paupières qu'il y avait de la lumière.
Etrange lumière blanchâtre qui semble inonder les lieux. Puisant dans le reste de ses forces, elle en trouva une, surement un résidu de Jurançon, qui lui permit d’ouvrir les yeux sur… Un dossier. Froncement de sourcil. La mort avait donc cette couleur jaunie ? Elle avait fait tout ça pour retrouver la vulgaire paperasse humaine qui l’avait inondée ? Alors qu’elle se relève, elle s’étonne. Comment se fait-il qu’elle puisse bouger son buste vers le haut alors qu’un ridicule orteil lui avait causé tant de problèmes et de désirs inassouvis ? Les quelques fractions de secondes qui vont suivre sont terriblement choquantes pour la Varenne. Tout d’abord une différence… Etrange entre son buste, et ses jambes. Ces dernières étaient bien ancrées dans le sol et il était absolument impossible de les bouger, alors qu’elle pouvait aisément danser une petite macarena avec ses bras… Translucides. A peine un peu de couleur, comme délavé. Qui a dit que la mode du Tie and Die était née des orgies boueuses Woodstockiennes ? Et en même temps que la découverte d’un corps comme divisé en deux parties, l'une en chair et l'autre de lumière, un homme face à elle tout aussi étrange, et qui en plus se met à parler avant qu'elle n'ai pu prononcer un mot.

- Bon... Z'êtes bien Varennes, de, Estelle ? Soeur de Richard de Varennes, c'c'la? Moui... Foutral, et c'était vrai, en plus. Z'auriez dûe mourir voilà 2 minutes, ma petite dame...

Comme un automate, elle hoche la tête. A vrai dire il y a des instants ou l'esprit et les expressions du faciès qui découlent du premier sont vraiment à la traîne. Vraiment. Elle ne comprend pas qui est cet homme, elle ne comprend pas pourquoi elle a un buste transparent, ni pourquoi ses jambes semblent tellement humaines, ni... Bon sang, mais c'est ça la mort ? La partie d'elle typiquement Estellienne, la partie de son esprit encore bien consciente, se réveille, lentement, comme après un mauvais rêve. Et le visage pâle prend une expression bien connue : nez qui se plisse de désapprobation, sourcils qui se froncent dangereusement, lèvres qui se pincent.

- Attendez attendez... Qui êtes-vous...

Mais voila que l'immonde impoli la coupe. Comme ça.
Et pourquoi ? Pour lui faire, en face à face, de son haleine fétide et aux odeurs inconnues pour une pauvre moyenâgeuse, un déballage complet de sa vie. Bon d'accord il reste quelques petits détails sordides, comme l'acte charnel avec un gamin pré pubère, ou même sa cleptomanie aigue lors de la signature du traité de paix Béarn/Gascogne, ou encore le fait qu'elle ai dit n'avoir plus un écus alors qu'en bonne petite femme près de ses sous, les sous-sol de Domfront en étaient remplis mais... Comment sait-il ? Pourquoi sait-il ? Qui est-il ? Cette fois-ci le faciès se met en accord avec les pensées Estelliennes : la bouche s'ouvre de surprise, les yeux semblent paniqués. Puis la bouche se ferme, s'ouvre, se ferme, s'ouvre... Et la tête fait un mouvement de gauche à droite de négation et...

- Aaaaaaaaaaah !

Si son corps n'était pas comme divisé en deux elle aurait sauté puis couru le plus loin et rapidement possible de cette horreur.
Affreux. Immonde. Cauchemardesque. Réaliste. En tournant la tête de gauche à droite, elle a vu... Son corps. En réalité son corps d'humaine est bel et bien collé au sol, la partie d'elle coincée entre vie et mort n'est que l'ectoplasme d'une... Demi-morte. Et oui, notre Blonde vient de se voir gisante, un aperçut gratuit de sa tombe. Quelle affreuse sensation que de se voir, sang coulant par les recoins de la bouche, si pâle, si cernée si... Elle. Sous ses yeux, ce qu'elle avait détesté toute sa vie durant, ce qu'elle avait voulu cacher derrière des fonctions et des titres, ce qu'elle avait voulu améliorer grâce à des parures hors de prix : sa vulgaire et inutile enveloppe corporelle mais surtout, sa propre personne. Elle. La bouche s'ouvre à nouveau pour se refermer. Se calmer. Se calmer. Il faut se calmer. Ignorer le regard vitreux et éhontément lubrique posé sur elle. Comprendre. Car si notre Blonde était, il faut le dire, remplie de défauts, les forces qui nous gouvernent ont quand même eu la bonté de lui donner un esprit assez à la pensée claire et précise. Elle est... A demi-morte. Elle a raté sa mort. Comme vient de le dire l'égaré qui la fixe, elle a raté sa mort en plus de sa vie. Elle se hait. Se déteste. S'honni. Foule de pensées s'entrechoquent, se choquent, s'emmêlent sous les cheveux blonds puis, elle se décide enfin à ouvrir la bouche pour parler. Oui, la carpe ne l'habite plus.

- D'accord... Très bien... Je ne sais pas qui vous êtes. Vous êtes là pour mon cas. Je me suis ratée. Très bien. Mais que fait-on maintenant ? Et... C'est ça la mort ? Non car si ça ressemble à ça autant faire chemin inverse non ? Et ou est Richard ! Je veux voir Richard, je veux le voir ! Et LiHan ? Et tous les autres morts ? Ou ce fichu jugement dernier qui me mènera en enfer ? Dites-moi ! Et comment savez-vous tout ça sur moi ? Et quelle est cette fumée ? C'est la première fois que je meurs, je ne suis pas habituée vous savez... Petit rire nerveux qui s'interrompt rapidement. Et et non je ne suis pas parée, NON ! NON ! PAS LA PREMIERE FOIS ! CA FAIT TOUJOURS MAL LA PREMIERE FOIS ! Folle ? Si peu.

C'est dans ces instants là qu'elle voulait pleurer.
Se vider, laisser échapper à travers des perles d'eau salée tout l'accablement qui l'avait accompagnée sa vie durant. Enfin, pleurer pour tant d'échecs, pleurer un amant perdu par sa faute, pleurer ses goûts masculins toujours mauvais, pleurer sa propension à penser le mal sans cesse, pleurer d'être une mauvaise mère et mauvaise sœur de surcroit, pleurer le simple et consternant fiasco de sa personne... Pleurer tout ce qu'elle n'avait pas fait de sa vie. Pleurer toutes les larmes qui, restées cloîtrées dans sa gorge s'étaient mêlées au Jurançon pour la mener ici, morbide destination, à sa mort ratée. Quand on décide de se tuer suite à un échec, ici celui de son existence, imaginez comme il est difficile de se rendre compte que même sa propre mort est lamentable. Plus que jamais elle se sent humaine, trop humaine. Trop faible, trop fragile, trop hautaine, trop à l'étroit, trop honteuse, trop de prétentions pour son modeste être. L'ectoplasme qu'elle est se mord la lèvre inférieure. Et si elle ne mourrait pas... ? Si elle restée ainsi, un ectoplasme coupé en deux ? Que ferrait-elle ? Irait-elle voir sa soeur pleurer sa mort, lui crier que non, elle est toujours là ? Vouloir sécher les larmes de sa fille sans qu'elle ne voie sa présence ? Accompagner Cerridween sur les champs de bataille sans pouvoir panser ses blessures? Regarder les Béarnais faire n'importe quoi sans pouvoir pousser ses coup de gueule ? Voir le manoir de Monein enfin terminé sans pouvoir en profiter ? Non. Jamais. Comme il est difficile de devoir faire un nouveau choix aussi crucial, comme il est difficile de voir ses certitudes tomber à l'eau... Comme il est difficile de se rendre compte de son état. Toute sa vie se résumait dans cette expérience entre mort et vie, ce sentiment d'impuissance et d'échec.

Alors, elle prend une grande inspiration, et, tremblante, son visage dessine un signe du menton vers le couteau qui n'a pas percé son cœur. Sur son autre elle, celui bien en chair. Puis, les mirettes grises fixent l'inconnu en une ultime supplique : tue-moi.

Il est temps, Estelle de Varenne, de quitter ce monde ou tu as été le propre artisan de ton malheur.
Il est temps, Estelle de Varenne, de quitter ce corps, ce carcan ou tu t'es sentie à l'étroit.
Il est temps, Estelle de Varenne, de faire le premier geste digne de ton existence.
Il est temps, Estelle de Varenne, de soulager tes proches de l'ineptie de ta vie.
Il est temps, Estelle de Varenne, de d'implorer la fin de tes souffrances...
_________________
Co-fondatrice avec Apo du fan-club "Engue et Cerrid for ever"

- NON ! PAS LA PREMIERE FOIS ! CA FAIT TOUJOURS MAL LA PREMIERE FOIS !

Hein ? Quoi ? Non mais c'est quoi, ce numéro à la Audrey Hepburn devant son Bogart ? Se payerait-on ma divine trogne, nom d'un saint ? Nan mais qu'est ce que c'est que ce truc ? On veut mourir, et on se rétracte ? On veut goûter au grand nectar éternel émanant de la pointe turgescente du méat pressurisé de cette verge métallique, tréfouillant avec application et délectation ses entrailles (qu'elle avait d'ailleurs foutrement bien fournies, la drôlasse!), et on ne veut plus au dernier moment ? Nan mais à qui tu crois que tu causes, là, Zorro ?(1)

- Aaaaaaaaaaah !

Sursaut. La lame lui valse quasiment des doigts. Il faut un auriculaire agile pour empêcher la lame de se rétamer par terre. Nan mais..." ... C'est pas bientôt fini, c'merdier, oui ? "

Elle parle. La chieuse. Bordel, on n'a pas que ça à foutre ! Et si là-haut on découvre le paquet... Mais... Elle dit quoi, cette conne ?

- D'accord... Très bien... Je ne sais pas qui vous êtes. Vous êtes là pour mon cas. Je me suis ratée. Très bien. Mais que fait-on maintenant ? Et... C'est ça la mort ? Non car si ça ressemble à ça autant faire chemin inverse non ? Et ou est Richard ! Je veux voir Richard, je veux le voir ! Et LiHan ? Et tous les autres morts ? Ou ce fichu jugement dernier qui me mènera en enfer ? Dites-moi ! Et comment savez-vous tout ça sur moi ? Et quelle est cette fumée ? C'est la première fois que je meurs, je ne suis pas habituée vous savez... Et et non je ne suis pas parée, NON ! NON ! PAS LA PREMIERE FOIS ! CA FAIT TOUJOURS MAL LA PREMIERE FOIS ! Folle ? Si peu.

Soupir de celui qui en a vu pas mal, mais là se trouve brusquement sur le cul. Harry passe sa main sur son visage, agrippant violemment des doigts le rebord de celui-ci, tirant vers le bas, et s'arrêtant au menton. Bon... COmment te dire ?

- " Nan mais vous vous croyez où, bordel ? On n'est pas dans un palace monégasque, nom d'une bite ! Les autres, vous les verrez quand on aura réglé ce fichu emmerdement, pigé ? Quant au reste, vous en faites pas, vous aurez bien assez le temps d'vous y faire. L'intérêt, avec la Mort, c'est que c'est le seul truc au monde où on ne fait pas machine arrière, hinhin... "

Petit ricanement, avec reprise en main du coutel. Bon dieu, on va quand même pas y passer la soirée, non ? La mort lui avait dit que les mourant étaient fatiguants, qu'ils renâclaient, qu'ils ne voulaient pas... Mais là, il touchait le pompon ! Une gourgandine qui se croyait encore à Deauville, et imposait des désirs à la Mort. Non mais, on aura tout vu ! On offrait des montagnes d'or. On offrait des pays. Des maisons. Des châteaux. Des culs de belle-mère. Des scalps de gendres, d'aïeuls, de neveux, cousins. On promettait des cathédrales, des kaabas, des minarets à foisons, des troupeaux, des bouilloires Bodom, des Rolex, des Petit Bateau, et... Là... On exigeait des choses ? Nan mais faut quand même pas pousser mamie dans la fosse à cochons, surtout quand ils ont faim !

Reprise de sérieux. Bon, on n'a quand même pas que ça à faire, s'pas ? Heureusement, Harry prévoit. Harry mâche. Harry stide. Et autres jeux de mots douteux. Harry sort donc de la bure brune un énorme cône d'herbe, qu'il voulait se réserver. Il l'allume donc, et, devant les yeux incrédules de la Varenne, se tire une latte aussi épaisse qu'un dessous de lit. Puis, ayant exhalé la fumée, il le lui tend.

- " Tenez. Ca passe toujours bien avec ça. Vous aspirez, et une fois fait vous inspirez un grand coup, avant de relâcher la pression. "

Et ainsi Estelle de Varennes, fraiche suicidée, fut-elle la première occidentale, du moins connue, à goûter aux joies du Haschich. Ainsi soit-il. Et elle inspira. Et elle avala. Et elle toussa. Et les yeux devinrent rouges. Et la respiration, le pouls, se calmèrent. Et la tête se reposa-t-elle, attendant la suite. Harry, voyant cela, se contenta donc d'un simple : " Rooooooottttsss... "

Et ne pas oublier les prières rituelles, bon sang ! Le pater ne serait pas content, s'il voyait ça. Bon, comment ça fait ?

- " Le gnome il est pas triste, l'esprit l'est fou sans êt' pris, et Men. Quelque chose à rajouter ? Non ? Tant mieux, on a pas l'temps ! "Nouveau signe de surfer à son oreille. " Atropos ? Parée ? A trois. "

Profonde inspiration de sa part, alors qu'Estelle devient stone, stone à en pleurer. Ainsi finissent, parfois, les personnages les plus attachants.

" 1... " La lame monte et descend, devant la poitrine d'Estelle. C'est qu'il ne faudrait pas louper son coup, crédieu ! " 2 ... " Et la lame monte, une dernière fois. Et le monde bouge, observant la chute funeste du poignard morbide finisseur de vie. Et les anciens observent, dans cette chapelle de Domfront froide et humide, et... Et une mouche passe.

Bzzzzzzzzz.

- " ET TRRRR... "

Et ainsi finit cette histoire. Sur un simple battement d'aile de mouche. Sur un simple souffle d'air. Sur une minuscule brise, formée dans les mers de Vanuatu par un papillon des mers du sud. A l'image de la vie d'Estelle de Varennes. Petite, insignifiante. Mais parfois, même les battements d'ailes des papillons peuvent modifier le cours du monde.

Fin.

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(1): Toute personne trouvant la référence cinématographique suscitée aura droit de la part de nos sponsors à 100 balles et un Mars.

Il est des libertés que le narrateur peut se donner, en voici une de plus. L’instant qui suit est celui de la mort, la fumeuse et nébuleuse mort, réellement il ne dure pas longtemps dans le cas qui nous concerne, mais qu’est-ce-que la réalité ? Le temps est l’un des plus grands indomptables de ce qui nous entoure, élastique. Il semble parfois affreusement long, cinq minutes peuvent sembler des heures comme des heures 350 pauvres petites secondes. Mais face à la dimension de la vie, qu’est ce que le temps ?

Ainsi, l’ectoplasme d’Estelle se fondit dans son corps.
Et le supplice commença… Inexorablement long et pourtant, si court.

Estelle de Varenne s’est détruite à aimer.
L’amour, ce sentiment qui vous dépossède de votre cœur, qui vous enlève le caractère unique, celui qui vous fait changer. Mais aussi celui qui vous fait employer le « nous » ou le « on » à la place du « je » qui est pourtant l’essence de notre personne. Nos désirs ne sont plus les notre mais ceux de la personne que l’on prétend aimer, nos désirs passent à travers lui, on se fond en l’autre comme on se fondait avant, dans son reflet du miroir, simples et candides narcisses que nous étions. Qu’on le veuille ou non nous avons été je avant d’être nous. Il y a un avant mais le présent et l’après s’effacent souvent dès le premier emploi du nous affectif. On ne voit plus la vie de ses propres yeux mais de ceux de l’être qu’on chérit. C’est ceci qui a tué une part de notre Blonde. Elle a complètement, irrémédiablement et même mortellement perdu son unité en aimant. Le premier être qui lui avait fait oublier sa personne, qui était sa principale priorité, était sa fille. Oui, mettre au monde son enfant à tué Estelle. Car en lui donnant la vie, en regardant cette petite tête blonde évoluer elle s’était petit à petit oublié, effacée, perdue. Ses désirs ne lui étaient plus propres ils étaient liés à l’enfant, ses besoins n’étaient plus les siens mais ceux visant à satisfaire la fillette. Et puis elle avait aimé des hommes, bien des hommes. Elle les avait aimé physiquement, elle s’était donnée, tantôt refusée sourire narquois aux lèvres, elle avait plus d’une fois fais don de son corps autant dans la souffrance que dans l’extase. Mais de grâce, elle n’avait aimé qu’un homme hors du cercle familial, entièrement, de son apparence à sa personne, qu’une fois. Et encore, avait-elle aimé ? Au début, oui. Au milieu, un peu moins. A la fin, plus du tout. Délicieuse souffrance que d’entendre ses railleries… Exquis supplice que de l’entendre critiquer… Malsain plaisir qu’à être à ses côtés. Indécent sourire à voir le commun tenter, outré, de lui donner un zeste de raison. Une relation toxique, dévastatrice, dans laquelle elle s’était investie de façon tout à fait consciente. Oh non, elle n’oubliait pas sa petite personne mais aimait, adorait, lui faire du mal. Se punir d’être humaine ? Oui… Et le masochisme semble être un trait de caractère majeur de la Blonde. Puis elle avait aimé son frère, plus que tout au monde, plus qu’elle-même, envers et contre tout… Et même contre sa vie. Car ce couteau, qu’elle n’a pas réussi à planter ce n’est autre que l’amour démesuré de son frère qui a poussé l’acte. Oh oui, elle l’aimait… Jamais elle ne s’était sentie autant elle qu’à travers son regard, jamais elle n’avait usé de son apparence-carapace face à lui, jamais elle ne s’était sentie autant vivante que dans leur silence empli de non-dits. Son regard fier sur elle suffisait à la rendre heureuse, l’apercevoir au coin d’un couloir la rassurait, et les soirs, lors de ses crises c’était dans ses bras qu’elle courait comme une enfant, elle, Estelle de Varenne a l’air si fort. Avec lui, sa nature prenait le pas sur tout autre artifice, avec lui elle été née, avec lui elle serait allée au bout du bon, pour être avec lui elle avait refusé un mariage, pour lui elle s’était tuée… Lourd fardeau qu’est la vie lorsque l’on perd son Tout. Lourd fardeau qui pèse sur nos épaules en se réveillant, incroyable douleur qui nous tiraille, vie insipide que l’on contemple du haut de notre accablement. L’amour nous tue. L’amour nous achève dès qu’on perd l’être aimé. Les deux ont tué la vie en Estelle.

Enfonce-toi !
Enfonce-toi, lame… Transperce ce cœur chaviré, ouvre des portes jamais encore ouvertes… Permet lui de s’évader, loin, très loin de ce carcan qu’est son corps… Permet lui d’atteindre des firmaments qu’elle a toujours rêvé d’atteindre… Enfonce-toi ! Enfonce-la !

Estelle de Varenne s’est détruite par ses propres moyens… Piètre artisan de sa perte.
Certains attendent de la vie des événements qui les pousseront au fond ou bien vers le haut. La Blonde avait-elle choisi ? Oh, elle savait ce qu’elle faisait, elle a toujours su. Chaque acte était éperdument mais surtout tristement conscient. Il y a d’abord eu le travail. Estelle de Varenne a occupé de nombreuses charges et dans aucune, aucun, on ne lui a reproché de ne pas faire son travail. Car ses charges étaient un exutoire à plusieurs impasses : haine de soi, besoin de faire comme si tout allait bien. Elle a souvent dit, fière, qu’elle tirait des traits facilement. Jamais elle n’a tiré un trait. Jamais. Chaque épreuve, chaque blessure a causé une cicatrice invisible mais douloureuse sur son cœur… Ces cicatrices qui font de ce dernier un amas de lambeaux. Elle se noyait dans les charges, dans la diplomatie, dans le secrétariat d’Etat puis la hérauderie pour oublier, pour avoir autre chose à penser. Mais ce n’est pas la bonne solution, regardez donc ou ça l’a menée… Occulter les problèmes, les blessures, les peines ne fait que rendre leur douleur plus forte lorsqu’elles ressurgissent, vicieux polichinelles. Ils restent en vous, vous mangent petit à petit, vous brûlent au plus profond de vous-même et petit à petit, prennent de la place, la place du regret et du remord, la place prépondérante de choses non faites.
Puis, il y a eu l’alcool… Ah, l’alcool. Divine illusion, trompe l’œil exceptionnel… La Blonde, dévastée par un chagrin sans fin se sentait vide. Alors plutôt que de se remplir de foi, que de s’inonder de joies nouvelles, que de se sustenter d’expériences inédites et de sensations fortes à préféré, tout bêtement, se remplir d’alcool. On ne parle pas ici de petite addiction, mais de véritable maladie. Le stade ou la boisson est la seule solution pour que vous oubliiez qui vous êtes, le stade ou seule la boisson peut vous plonger dans le sommeil, la phase où les paradis artificiels sont des havres de paix. Lorsqu’elle buvait elle savait tout à coup pleurer, mais apprenait aussi à rire. Lorsqu’elle buvait elle arrivait à oublier, le temps d’une ivresse sa détresse intérieure, sa haine envers sa personne, sa stupide condition humaine, à elle, esprit à l’étroit qui ne rêvait que d’élévations.
Tout comme son frère il y a eu aussi les guerres… Véritables missions suicidaires. Au fond, soyons francs, il n’y avait aucune, aucune valeur royaliste, aucune attache assez puissante à ce roi pour qu’elle puisse risque sa vie. Juste une terrible et dangereuse attaque au risque. Une guerre lui servait à taquiner la mort, à la sentir rôder, à tenter de l’amadouer. Irrépressible plaisir que de narguer la fin de tout. Intenable pulsion qui la poussait à se mettre en danger. Elle voulait lui sourire, la séduire, la toucher… Les guerres n’ont été qu’une occasion de plus pour tenter d’échapper à sa gêne.
Chaque fois qu’il y avait un rempart dans les environs, souvenez-vous, il y avait l’Estelle, pieds dans le vide, regard rivé sur le sol, cheveux blonds en bataille. Attraction du vide ; attraction d’elle-même ? Là, en hauteur, le vent lui battant le visage, elle pouvait hurler dans le silence sa détresse.

Ca y est…
Elle commence à sentir le fer froid entrer lentement, de façon lancinante, dans l’organe qu’elle a souvent maudit. Chaque millimètre gagné est une souffrance, chaque millimètre gagné est un plaisir. Elle sent qu’il s’ouvre, qu’il souffre mais c’est surement la sensation la plus libératrice de son existence. Enfonce toi, encore… Quelle plus belle mort que celle ou on approche de l’extase ?

Estelle de Varenne s’est détruite… Par la haine de son humanité.
En 1651, un homme, brillant philosophe dit : « homo homini lupus », ou l’homme est un loup pour l’homme. Et notre Blonde si elle avait vécu du temps de cet esprit éclairé, aurait pour sûr adhéré à cette doctrine. Peut-être même en aurait-elle fait sa devise. Nous l’avons dit : la plus grande haine d’Estelle de Varenne était la haine de sa personne. Haine et peur, peur et crainte. C’est toujours les sourcils froncés qu’elle regardait les autres, leur condition et in extenso, la sienne. Peu importent les paroles, peu importe les démagogies, peut importe les airs que l’on se donne : nous ne sommes au fond que des animaux attirés par le matériel, attirés par le pouvoir. Dans notre foyer nous voulons tenir les rênes, dans nos discussions nous voulons nous faire entendre, dans nos rencontres nous voulons dominer, dans notre couple nous souhaitons être celui qui dirige. Même la personne la plus discrète nourri bien souvent de noires pensées. Ne dit-on pas qu'il faut se méfier de l'eau qui dort ? Et cet être minable, asservie à ses désirs secondaires, assoiffée d'opulence, elle l’avait été et dans les règles de l’art. Rarement elle avait fait confiance en ses pairs, toujours elle les avait fait endurer de multiples épreuves pour s’assurer de leur fiabilité gardant toujours, dans un coin sous ses boucles blondes, la crainte primaire d’un animal pour un autre. Nous sommes tous des animaux. Nous pouvons faire le bien, mais tôt ou tard nous ferrons un jour le mal, il est connu de tous le fait de blesser, il est pensé par tous d’affreuses souffrances envers un être qui nous a blessé, et il est éprouvé par tous ce plaisir à voir souffrir un individu que nous n'avons pas aimé. Jamais elle n'avait nié cette partie d'elle-même, cette composante de sa personne, l'essence de sa personne : un être humain faible. L'Homme, petit, cherche à donner une autre dimension à son existence en se vouant à des cultes diverses et variés. D'ailleurs n'avait-elle pas été aussi petite en embrassant l'Averroïsme, puis la religion d'Aristote ? Ridicule, les religieux sont des rois véreux et les fidèles, des bouffons aveugles. L'enveloppe corporelle n'est qu'un carcan empêchant les élévations de l'âme, n'est qu'une barrière vers les cimes du savoir, n'est qu'une prison pour un esprit ne souhaitant que liberté. Oui, elle s'est détestée. Oui son reflet l'a plus d'une fois effrayée. Oui, depuis que cette réalité à sauté à ses yeux elle ne rêve que d'une chose : en finir.

Gémissement.
Douleur ou plaisir ? Comment les reconnaître d'ailleurs ? En tout cas un gémissement dû à une pénétration : celle de la lame au plus profond de son cœur. Sa respiration se fait de plus en plus difficile, elle souhaite crier, sa tête tourne, tous ses membres se crispent, elle se sent tendue, elle se sent s'élever, une dose extraordinaire de plaisir se diffuse à travers ses veines, puis son corps se relâche, subitement, simplement, avec plaisir. Elle est entrée... Elle est enfoncée... Au plus profond d'elle même... A travers la bouche entrouverte d'ou coulait, quelques instants avant, du sang, s'échappe un dernier râle. Léger, ultime et éternel, il s'écrase dans l'air qui l'entoure. La dernière respiration d'Estelle de Varenne qui a travers cette mort aura connu le plaisir sous sa forme originelle.


**********************

Quelques instants plus tard, l'âme s'échappe du corps. Elle est une âme entière, un ectoplasme avec tous ses membres, sans poignard dans le cœur. Vêtue de sa chemise de lin blanche, évanescente, elle regarde une dernière fois son corps. Celui qui l'a abritée vingt-six années durant, celui qui l'a tant fait souffrir, dans lequel elle s'est sentie enfermée. Un sourire se dessine sur les joues de l'ectoplasme. Elle est morte. Elle regarde en bas son corps de petite taille, si mince. Ses genoux saillants et ses bras maigres. Elle voit ses cheveux blonds lui servant de funeste oreiller, elle voit son visage enfin serein. Elle se voit et pour la première fois, ne se déteste pas. Une grande inspiration, suivie d'un grand soupir. L'ectoplasme fait volte face et se dirige vers les lourdes portes de la Chapelle. Elle sait qu'à l'extérieur plus rien ne sera jamais pareil, à l'extérieur l'attend une nouvelle vie, à l'extérieur l'attendent sûrement Richard et LiHan. Juste avant de passer les portes, elle s'arrête et se penche à l'arrière d'un pilier : là devrait se trouver sa bouteille de Jurançon spéciale " messe ennuyantes à mourir ". La main translucide se tend... Pour traverser la bouteille. Froncement de sourcil. Elle tente une nouvelle fois, nouvel échec. Alors, digne et fière, elle se redresse, sans jeter un regard en arrière, ses longs cheveux blonds balançant au rythme de ses hanches, traverse les portes de la Chapelle. Une oreille attentive aurait peut-être entendu...

- Chienne de vie.

Et c'est ainsi, qu'Estelle de Varenne dont la devise est " Pectus est quod disertum facit ", soit une phrase prônant l'éloquence de l'âme, mais aussi une femme dont l'art de manier les mots avait été une carrière, quitta le monde des vivants.
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Co-fondatrice avec Apo du fan-club "Engue et Cerrid for ever"