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[RP]Solitudes et multitudes, quand un triangle devient carré

Terwagne_mericourt
I. Introduction et contexte :

[7 janvier 1460, Bureau privé du Président de la Cour d'Appel Royale :]

Dernier petit coup de rangement sur le tableau des accès fait, dernière prise de parole à l'ensemble de ses confrères pour leur annoncer le nom de son successeur faite également...

Dans quelques secondes, minutes, elle rendrait définitivement son trousseau de clés, les épaules quelques peu voutées par le poids des souvenirs et l'émotion, mais avant cela elle avait encore une dernière chose à faire... Emballer ces quelques effets personnels, et dire "au revoir" au bureau qui avait abrité toutes ses nuits de réflexion sur diverses audiences ou verdicts.

Ce ne fut pas une vague de souvenirs qui l'assaillit quand elle poussa la porte, ce fut pire! Une déferlante! Un ras de marée!

Elle s'adossa au mur, ferma un instant les paupières, et se laissa submerger, couler pour mieux remonter à la fin. Chez elle, on dit que lorsque l'on touche le fond, on ne peut qu'y rebondir, et c'est sans doute vrai.

Elle se laissa donc engloutir, jusqu'au bout, et lentement remonta à la surface, quelques goutes salées posées sur la barrière de ses cils.

Hugoruth... Forcément, il était là, encore et toujours!
Hugo... Hugo... Hugo...

Elle avait beau avoir écrit de nombreuses pages avec d'autres, avant lui, après lui, il était derrière chacun de ses pas en cet office.

Dans la vie de tous les jours, il n'avait plus aucune importance, depuis longtemps, d'autres l'ayant aimée bien plus, blessée bien plus aussi, et elle-même avait sans doute aimé bien plus que durant ces jeunes années à ses côtés, mais ici, à la CA, elle ne parvenait jamais à le chasser totalement.

Comme si chacune de ses victoires à elle lui était dédiée, dans une sorte de pied de nez. A chaque défi relevé, elle s'était dit "Tu vois? Tu avais tord! Je valais bien mieux que cette petite troubadour que tu voulais exhiber à ton bras en l'obligeant à rester idiote pour être certain qu'elle continue à t'admirer sans rien comprendre à ton monde".

Parfois, elle s'en voulait... Elle s'arrêtait en se disant "M'enfin, Terry! Même après tout le mal qu'il t'a fait il continue à te dicter tes choix! Fais-tu tout cela pour toi, ou juste pour lui donner tord?"

Dans ces cas-là, elle prenait quelque recul, quelques heures ou jours de repos, remettait tout et surtout elle en question, puis revenait, certaine que là n'était pas sa seule raison de vouloir avancer, construire, prouver, oeuvrer pour la justice surtout et avant tout.

Non, ça n'était pas uniquement motivé par sa revanche sur lui!
C'était avant tout motivé par la foi et l'amour en la justice!

Quittant le mur, elle décrocha les quelques portraits suspendus ça et là dans la pièce, et les glissa dans une caisse : Pl@$m... Adrienne... Lafred... et puis Kernos... Kernos qui n'avait jamais vu ces locaux, ne les verrait sans doute jamais, qu'elle ne reverrai sans doute plus jamais non plus, qu'elle avait abandonné en Lyonnais-Dauphiné mais près duquel elle avait laissé une grande partie d'elle-même... Kernos, son "Ut", son "Tout",...

Elle caressa un instant son image du bout des doigts, se demandant si il était au courant de sa nomination à la Chancellerie, si quelques fois il pensait encore à elle, si un jour il lui pardonnerait d'avoir choisi pour lui entre l'amour de ses enfants et leur amour à tous deux.

Elle fini par glisser la toile avec les autres, puis décrocha le dernier tableau, celui de Hugoruth, et s'approcha de l'âtre où elle avait fait allumer un feu.

Lorsque quelques instants plus tard elle se retrouva dans le couloir en train de tourner la clé dans la serrure, ce n'était pas ses doigts qui caressaient les traits du portrait, mais bien les flammes. Puissent-elles être celles de l'oubli...


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[7 janvier 1460 toujours, Salle de travail de la Chancellerie :]

Après avoir passé de nombreuses heures à débarrasser le plancher des choses "en ordre", déplacé les choses plus confidentielles, trié les dossiers attendant un avis de ceux ayant déjà reçu un avis,... Bref, après avoir mis de l'ordre et rendu la salle un peu moins propice aux éternuements, la nouvelle occupante des lieux avait décidé de les rendre un rien moins austère.

Pas de décoration rococo, elle détestait cela, pas d'objets luxueux non plus, elle aimait la simplicité, mais malgré tout une petite touche personnelle. Elle avait donc commencé par accrocher au mur une toile, immense, représentant une mer en furie et un ciel orageux.

Si quelqu'un lui avait demandé pourquoi cette toile, elle serait sans doute partie dans un long monologue, expliquant qu'à ses yeux la mer n'était jamais aussi belle que lorsqu'elle débordait de vie. Qu'une mer plate, c'était comme un être parfait fait de porcelaine, cela n'avait pas d'intérêt. C'était lisse, morne, endormi, et qu'un caillou n'était jamais aussi beau que lorsqu'il était rempli d'imperfections dues aux chocs reçus, aux pentes dévalées, aux distances traversées.

Si d'aventure elle avait été d'humeur poétique au moment de parler de cette toile, elle aurait également comparé la mer à une maîtresse en colère, et le ciel à son amant. La femme grondant, alternant les moments où elle se déchainait et les moments où elle ondulait, caressante... L'amant élevant la voix pour tenter de la calmer, ou encore de la faire se surpasser... Et puis, l'accalmie! Ce moment où enfin elle baisse les armes et le laisse se poser sur elle, où leurs souffles se mélangent, où leurs corps ne semblent plus faire qu'un, et où l'horizon s'unissant à la mer donne cette sensation d'infini, d'éternité.

La tempête, c'était le titre de cette toile. Et pour elle, c'était tout un symbole.

Ensuite? Ensuite elle avait pris les portraits décrochés le jour même de son bureau de Présidente de la Cour d'Appel, juste avant de rendre ses clés au nouveau Président, et les avait suspendus sur le mur faisant face au tableau. Il y avait là les visages de gens qu'elle avait admirés, pour diverses raisons, à différents niveaux, à commencer par celui qui le premier lui avait accordé sa confiance : Pl@$m. Deux des trois autres portraits représentaient deux femmes, deux amies avec qui elle avait longtemps composé le trio surnommé "Les trois drôles de Dames de la CA".

Le dernier portrait emporté irait dans son bureau, non dans cette salle de travail. Il s'agissait de celui de l'homme qu'elle avait quitté pour le protéger, pour lui permettre de retrouver l'amour de ses enfants, mais qu'elle n'avait jamais cessé d'aimer, sauf les soirs où elle lui en voulait de ne même pas avoir cherché à la retrouver.

Quatre portraits apportés en ces lieux, cinq décrochés de son bureau à la Cour d'Appel pourtant. Celui qui n'avait pas fait la route jusqu'ici terminait sans doute de consumer dans l'âtre dudit bureau. Hugo... De leur amour fou ne resterait que des cendres (clin d'oeil à Birkin^^).


Quoi qu'il en soit, une fois cette décoration fort sommaire mais très importante pour elle mise en place, elle alla donner consigne pour qu'on laisse pénétrer dans cette salle de travail ceux qu'elle y avait invités : le Procureur Général, le nouveau Président de la Cour d'Appel, et la Grande Audiencière.


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[14 janvier 1460, sur la route la ramenant en Champagne :]

Si le sentiment d'angoisse et de peur de ne pas être à la hauteur qui l'avait assaillie dans les heures qui avaient suivi sa nomination commençait à présent à s'estomper, lentement mais sûrement, un tout autre sentiment qui était né en même temps ne faisait, lui en revanche, que s'accentuer.

La solitude! Cette solitude sans nom qui était sienne, sans famille, sans compagnon, avec trop de doigts sur la main pour compter ses amis... Personne avec qui fêter l'annonce de sa nomination, mais surtout personne à qui s'ouvrir de son ressenti, si ce n'était Alienor et ses missives.

Alienor... Celle que la vie aurait pu la faire détester, et réciproquement... Celle devant qui elle s'était effacée par amitié, par respect, et par amour d'un même homme. Cet amour qui au lieu de les faire se détester, les avait fait s'apprécier, se respecter, et plus encore s'admirer l'une l'autre. Le mot amitié prenait entre elles deux tout son sens.

Aimelin, Alienor, Terwagne... Triangle quelconque, au fond, dont la base devenait malgré tout bien plus stable au fil du temps.

Jamais son amitié et son respect pour la jeune femme n'avaient été aussi forts, et elle était réellement et profondément heureuse pour les tourtereaux de les voir écrire ensemble de nouvelles pages à leur histoire, mais il fallait bien avouer que certaines nuits elle se surprenait à repenser à certaines phrases qu'il lui avait dites lors de son séjour à Etampes, des regrets dont il lui avait fait part... Alors une fois de plus elle le fuyait, évitait les têtes-à-têtes, les courriers personnels, et se contentait de banalités dans leurs rares échanges, qui il faut bien l'admettre se faisaient de plus en plus rares, de plus en plus brefs.

De fil en aiguille, elle avait fini par trouver un certain équilibre dans ce triangle qui un jour ou l'autre se résumerait à une paire, puisqu'elle-même, lentement mais sûrement, s'en éloignait, sereine, sans même en avoir vraiment conscience. La flamme dévorante et le vertige avaient finalement fait place au doux crépitement agréable et rassurant mais aussi à la stabilité de l'amitié.

Aimelin en avait-il conscience? En était-il heureux ou au contraire déçu? Elle n'en avait aucune idée et ne se posait même pas la question. Les choses changeaient, c'était ainsi, et si il n'y avait plus de fièvre ni de passion, il n'y avait plus non plus de larmes, plus de culpabilité, plus de sensation de danger, plus de hauts et de bas, juste un mouvement régulier comme celui d'un métronome.

Tellement régulier qu'il avait laissé plus d'espace qu'il n'en fallait au deuil de son histoire avec Kernos pour se frayer à nouveau un chemin jusqu'à sa conscience, puisque son inconscience il ne l'avait jamais quitté.

Si Aimelin et le sentiment de vertige qu'il avait provoqué en elle à de si nombreuses reprises lui avaient jadis fait occulter cette partie d'elle-même qu'elle avait abandonnée en Lyonnais-Dauphiné, la distance qu'elle prenait de plus en plus vis-à-vis de lui - auprès de qui elle était venue chercher une épaule mais l'avait trouvée occupée par une autre - remettait en pleine lumière cette souffrance et ce déchirement qu'elle avait provoqués par amour.

Pourquoi n'avait-il même pas cherché à la joindre, à comprendre, à la retrouver?

C'est débordante de ces questions auxquelles elle ne trouvait pas de réponse qu'elle décida d'aller chercher conseil auprès de celui qui quoi qu'il advienne resterait son plus cher ami malgré tout : le connétable champenois.

Demain, une fois reposée et un peu moins larmoyante, elle irait frapper à la porte de son bureau...


[Cheffe modo Aldraien
Merci de baliser votre RP, et bon jeu.]


[LJD Terwagne : Désolée, un oubli.]
_________________

Je voudrais que la terre s'arrête pour descendre.(Gainsbourg)
Aimelin
[Retour arrière - Château de Reims le 3 décembre]


La plume qui crissait sur les parchemins n’était pas celle habituelle qui laissait couler les mots destinés à ses amies ou à la blondinette. D’ailleurs, en songeant aux amies, il était peut être temps de leur donner des nouvelles. La plume qui s’appliquait était celle qui avait pour tâche de répondre aux demandes de LP et autorisations en tout genre qui arrivaient continuellement dans la boite du jeune Connétable qu'il était devenu, comme si quelque part, là-haut quelqu'un avait décidé que quoi qu'il fasse, il occuperait sans cesse cette place.

Un dernier courrier remis par le prévôt attira son attention, et un petit haussement de sourcils accompagna la lecture du nom du demandeur… Kernos… Kernos… il était certain d’avoir entendu ce nom quelque part.

Sans lâcher la missive qu’il parcourut du regard il s’appuya contre le dossier du fauteuil, avant de lever les yeux vers la porte. Mais ce nom bien sûr, c’était l’homme qu’avait quitté Terwagne avant qu’elle ne parte sur les chemins. Sa main libre se porta sur sa joue, geste habituel du jeune homme tandis qu’il se remémorait les discussions avec son amie la Vicomtesse, laissant un sourire éclairer son visage avant de s’assombrir légèrement.

Depuis le dernier soir où elle était venue dans son bureau prendre les consignes et où avait suivi une discussion entre les deux jeunes gens, les mots de la jeune Présidente de la Cour d’Appel résonnaient dans sa tête tandis qu’il revoyait son visage fatigué et son sourire triste. Toute l’affection qu’il avait pour elle n’avait pas suffit à lui faire naitre son si joli sourire. Elle l’inquiétait et il se maudissait souvent de ne pouvoir lui donner ce qu’elle aurait voulu, et tout deux vivaient leur tendre amitié avec toute la force de l’attachement qu’ils avaient l’un pour l’autre.
Et puis cette phrase... "je veux dire que si d'aventure un bras armé se tendait dans ma direction, je ne ferrai rien pour l'éviter, voila".
A son retour près d'Aliénor, il avait évoqué cette discussion et il lui avait fait part de son inquiétude. Alors il veillait dans l’ombre, comme l’on pouvait veiller sur quelqu’un de cher à qui l’on tenait comme à la prunelle de ses yeux.

Abandonnant ses pensées il se mit à rédiger la réponse, un LP comme un autre. Puis il appela le garde pour faire partir les documents. Pourquoi était il persuadé qu’il allait recevoir une réponse qui lui parlerait de Terry.



[Château de Reims le lendemain]

La réponse était arrivée, comme il s’en doutait. Lecture avant de lever les yeux et prendre la chope de liquide chaud que lui tendait le jeune soldat.

mmm.. qu’est ce que je vais bien pouvoir lui répondre moi.
Je n’ai pas envie de raconter sa vie. Et puis elle lui aurait écrit si elle en avait eu envie non ?


Bien sûr qu’il comprenait l’homme, et savait ce que l’on ressentait lorsque l’abandon était là, souvent sans vraiment d’explications, juste parce que c’était un fait, un besoin ou une évidence pour l’autre. Avait il le droit de lui dire où était Terwagne ? Peut être qu’elle lui en voudrait de parler de sa vie et il n’aimait pas le faire. Leurs discussions à Etampes revenaient sans cesse, leurs promesses. Elle avait confiance en lui et leurs confidences n’appartenaient qu’à eux. En serait il autrement si Aliénor ne lui avait dit dès le début qu’elle n’envisageait aucun engagement. Elle était jeune, et même s’il n’avait que vingt et un printemps, il se disait qu’il faisait peut être une erreur d'être avec quelqu'un de si jeune. La passion qui l’avait liée à Dance l’avait laissé anéanti à sa mort et lui qui avait besoin de se sentir exister pour quelqu’un et de lui appartenir ne savait plus ce qu’il voulait. Alors il avait répondu à la facilité … oui… sans promesses de demain.

Il soupira regardant un instant le ciel qui se chargeait doucement de ces nuages qui se font malin plaisir à déverser leur eau quand ce n’est pas leur neige. Où était elle ? elle devait se cloitrer dans l’attente de ce que le destin déciderait pour elle, et lui n’avait pas envie d’aller la déranger dans ce mur de silence qu’elle bâtissait autour d’elle pour se protéger. Non, il ne pouvait pas lui dire où elle se trouvait, du moins pas avant de l’avoir vue et de lui avoir parlé de cette lettre, chose qui n’allait pas être facile pour lui, même si le bonheur de la jeune femme était primordial à ses yeux. "Un jour je viendrai vers vous et je serais heureux de vous voir heureuse… " … serait il vraiment heureux.

Il jeta un œil sur Ernest et abandonna ses réflexions à haute voix pour prendre la plume
.
Citation:
Reims, le 5 décembre

Baron Kernos,

Je ne sais pourquoi j’attendais votre réponse et vous avoue ne savoir trop quoi vous dire. Toutefois je puis déjà vous rassurer sur le fait que Terwagne est en vie et qu’elle est quelque part en Champagne. Ne me demandez pas où, ce serait la trahir que de dire telle chose sans savoir si elle le souhaiterait.

Je sais ce que c’est que de chercher quelqu’un pendant des semaines et des mois, de sentir le vide tout autour, et le sol qui s’effondre lorsqu’au bout du voyage, il y a ce vide encore et toujours.

C’est pourquoi je vais essayer de la joindre afin de lui faire part de votre missive. Elle m’a bien sûr parlé de vous également, et vous ne vous trompez point en disant que nous sommes chers l'un à l'autre. C’est une jeune femme que j'aime sincèrement, et je veille sur elle du mieux que je le peux, lorsqu’elle m’en laisse l’occasion.

Mais j’ai bien trop de tendresse ou d’amour, appelez ce sentiment comme vous le voudrez, mais ne dit on pas que l'amitié est l'amour du coeur, et de respect pour elle, pour me permettre de dire ce que peut être elle souhaite taire. Je connais ses colères et ses tempêtes et ne veux en aucun cas les provoquer, comme je connais ses douleurs et ses doutes et ses rares sourires ou l’on devine tant de choses qui la blessent.

Mais je vous promets d’essayer de la trouver afin de lui porter votre pli.
La Bourgogne n’est pas bien loin, et nos frontières sont encore fermées, mais quoi qu’il en soit, soyez assuré que je vous écrirai aussitôt des nouvelles reçues, à moins qu’elle ne le fasse elle-même.

Qu’Aristote vous garde.


Aimelin de Millelieues
Seigneur d’Etampes sur Marne


Lecture et relecture, il n'avait pas de sceau, mais sa signature suffirait. Le courrier déposé sur la pile qu'il donna au garde avec moultes recommandations, il se leva et posa sa cape sur ses épaules, la mine soucieuse tout en crochetant le fermoir. Sa blondinette serait de bon conseil et bien qu'elle ne lui posait jamais de questions elle savait l'importance de la Vicomtesse pour lui, et chose qui l'étonnait, elles s'appréciaient toutes les deux. Un salut de la tête aux gardes et il s'éloigna dans le couloir tout en repensant à une phrase qu'il avait dite à Terry, ce jour de juillet à Sainte... "s'il revient je suis certain que vous oublierez votre ébouriffé".


[Janvier - Reims, encore et toujours]


Si ma chute durait trop longtemps
Déploies tes ailes
Et sauves moi.....

Se noyer dans son travail, des jours et des nuits à s'investir, à répondre aux demandes, à aider, à s'inquiéter. Des gardes un soir sur deux sur les remparts. Depuis combien de temps défendait il le DR et la Champagne ? l'année qui venait de finir l'avait vu sans cesse mobilisé pour la levée de ban.

Terwagne... il ne l'avait pas revue, elle ne sortait pas, sauf pour leurs patrouilles qu'ils faisaient avec Aliénor et Yunab. Au fil des semaines il se persuadait qu'elle était une amie, une amie chère, de celles qui vous connaissaient par coeur. Le peu qu'il passait en taverne le soir afin de retrouver Alie et Yunab il ne la voyait pas. Et puis ce soir de fin décembre où elle était passée le voir au château pour lui parler de sa candidature en tant que Chancelière. Il avait lu avec attention sa demande, avait sourit en voyant ce côté humble et humain, ses doutes, ses peurs. Il l'avait encouragée et poussée, persuadé de sa valeur. Le Grand Maitre de France n'était autre que la suzeraine de l'ébouriffé et il connaissait trop la Comtesse d'Armentières pour savoir qu'elle choisirait avec objectivité en voulant le meilleur pour le Royaume.
La noël était passée, le voyant seul à Reims, travaillant pour ne pas trop penser. Et puis les premiers jours de janvier, était elle passée lui dire son succès et sa peur de mal faire, de ne pas savoir. Avait il sorti deux gobelets et de quoi boire pour cette occasion ? il ne savait plus. Peut être devenait il fou à ne plus se souvenir de ce qu'il avait fait des jours avant.

Il avait en mémoire néanmoins cet autre soir où elle était venue le trouver à nouveau. Une vipère la salissait, salissait par la même occasion Dotch, sous entendant de quelconques manoeuvres. Cette femme... qu'il avait vu aux joutes des Grandes Ecuries, méprisante et tant indifférente qu'elle n'était même pas venu féliciter le vainqueur qu'il était. Il se souvenait des paroles de Terry, blessée par une missive et des propos. Calomnies, ragots et messes basses étaient hélas les seules armes de certains pour exister. Et puis la discussion avait dévié vers Aliénor et sa noblesse et le jeune Etampes avait souri, étonné des propos de son amie, touché de ses intentions survolées à l’ égard de la blondinette.

"Ne donne pas trop de ta personne pour cette province, ne laisse pas ta vie te glisser entre les doigts, erreur que j'ai faite et que je regrette amèrement.... " lui avait dit la Duchesse de Brienne.
Qu'était il en train de faire ? Faisait il la même erreur ? Etait il en train de se tromper de route et de foncer droit dans un mirage qui une fois atteint s'évaporerait et fondrait comme neige au soleil ? Elle ne voulait pas de demain, et lorsqu'il la voyait rire avec des inconnus il se sentait de trop, comme elle se sentait de trop entre Terry et lui qui pourtant ne se voyaient que rarement. L'absence de tant de mots si importants, ce vide le bouffait.

Et les mots de Malt résonnaient. Personne à qui se confier, à qui parler de tout cela. Il écoutait les autres, il essayait d'aider, de conseiller, ne demandait jamais rien. Et cette rencontre, ce jour là avec la petite Marine, petit rayon de soleil. Et cette jeune femme Kawa, qu'il regardait comme s'il la connaissait, ses yeux, cette petite chose imperceptible qui l'avait troublé sans qu'il en comprenne la raison. Non pas une attirance, c'était autre chose, quelque chose de bien plus fort. Il fallait qu'il passe à Etampes farfouiller dans les missives et documents que lui avait remis sa tante. Et puis château Thierry n'était pas bien loin d'Etampes, il profiterait de sa journée de repos pour aller rendre visite à la Duchesse de Saint Florentin.

Et sans le savoir, lui qui s'inquiétait sans cesse pour elle, oubliait quelque chose, quelque chose d'important qu'il s'était pourtant promis de faire, et bien au chaud dans le tiroir de son bureau, une lettre attendait d'être parcourue, sans doute entre des mains tremblantes.

_________________

Merci aux merveilleuses rpistes avec qui je joue
Terwagne_mericourt
[15 janvier, Reims, bureau du Connétable :]

Si tu sais compter dis-moi Combien pèse mon âme
N'oublies pas mon passé et le poids de mes drames
Si tu sais compter dis-moi combien pèse mon âme
A la virgule près, ça doit faire 21 grammes
Ca doit faire 21 grammes

J'ai tiré des traits quelques ratures sur ma page
Tant pis s'il n'y a plus de place
Car de nature je suis dans la marge

(Jali - 21 grammes)

Comme toujours, ou presque, elle avait commencé leur entretien sur un ton enjoué, léger, rieur, trop pour être le reflet de ses états d'âme. D'autres auraient été dupes de tout cela, mais pas lui, il la connaissait trop bien pour se laisser prendre au piège du "Je vais bien, tout va bien", et elle le savait. Elle ne pouvait cependant s'en empêcher.

Quand la "Tempête" virevolte, c'est juste pour cacher ses doutes sous une pluie de feuilles colorées...

Au bout d'un moment, le silence pourtant s'était installé, la "Tempête" avait laissé tomber au sol les feuilles mortes, et les mots enfin s'étaient mêlés à son souffle.


Je ne comprends pas !
J'imagine que chacun de nous est remplaçable, oubliable, moi autant que les autres, mais...

Puis-je vous parler franchement?

Au départ, je me suis dit qu'il devait m'en vouloir tellement qu'il n'avait pas envie de chercher à me retrouver...
Ensuite je me suis dit que si il ne m'avait pas cherchée à la Cour d'Appel c'est qu'il devait penser que de là aussi j'avais disparu.

Seulement là, avec toutes les annonces royales transmises partout dans le royaume, il ne peut pas ignorer que je vis toujours, que je suis à Paris...

Il m'a oubliée, remplacée !
Et aujourd'hui ça m'apparait comme une évidence.


L'avait-il interrompu durant ce premier monologue-aveu? Peut-être, mais elle n'en eut pas conscience avant de l'entendre prononcer le nom de sa maladie. Ce nom qui suffisait à lui seul à lui donner envie de hurler sa douleur, de libérer les cris muets qui nouaient sa gorge nuit et jour.

Vous parlez de kernos ?

Bien sûr qu'elle parlait de Kernos! Quelle question! De qui aurait-elle pu parler d'autre?

Je sais que je lui ai fait beaucoup de mal, mais il connait mes raisons.
Et bêtement, naïvement, idiotement, je pensais que...

Je l'ai quitté par amour, Aimelin, pas pour une autre raison !
Par amour !!!

Pour que ses enfants reviennent vers lui...


Le teint du connétable avait alors blêmit, grandement blêmit, il s'était mis à farfouiller dans ses tiroirs, à prononcer des mots qu'elle ne comprenait pas tant le discours était haché, décousu.

Il s'était dit impardonnable, avait parlé de sa fatigue à elle début décembre, de leur manque de temps à tous deux, du fait qu'ils ne s'étaient plus vus qu'entre deux portes, que les retraites spirituelles n'avaient rien arrangé à tout cela, que lui avait été débordé de travail suite aux nombreuses demandes de laisser-passer, avait marmonné des excuses dont elle n'avait pas compris le sens ni les raisons, jusqu'à ce qu'il lui glisse dans la main une lettre de... Kernos!

Blême à son tour, tremblante, elle avait parcouru le parchemin, à plusieurs reprises, muette, incapable de comprendre et démêler elle-même tous les sentiments qui soudain venaient exploser dans ses veines et dans sa tête, dans son coeur surtout.


Citation:
Kernos Rouvray, Baron de Mévouillon & Sire de Glandage,
Au Sire Aimelin de Millelieues, Connétable de Champagne, Sire d'Etampes sur Marne, salut & paix!


En premier lieu, je vous remercie pour votre autorisation de traverser votre Duché. Voilà pour ce qui est de l'officiel, à présent, passons au personnel.

Je n'ai qu'une question à vous poser, une simple question qui pour moi m'importe plus que tout le reste, sauf votre réponse. Savez-vous où se trouve Terwagne Méricourt en ce moment même?

Je sais que vous êtes son ami, que vous comptiez énormément à ses yeux et comment vous vous êtes rencontrés, aussi je vais être franc avec vous. J'aime Terwagne. Elle a disparu sans laisser ni trace, ni adresse, seulement une lettre et voilà six mois que je chevauche à sa recherche. J'ai traversé deux fois la Bourgogne, le Berry et si je n'étais pas convoqué au ban du Lyonnais-Dauphiné, je serai en Orléans, ou peut être plus loin encore dans l'espoir de trouver ne serait-ce qu'un soupçon d'indice sur le lieu où elle séjourne. Six mois que j'affronte le froid, la faim, mes doutes et les périls de la route dans ce royaume en guerre, abandonnant tout le reste juste pour entrevoir une étincelle, un rayon de Lune. Six mois d'errance et de perdition qui pourraient trouver leur dénouement - bon ou mauvais ce n'est pas à moi que cela appartient - sur un mot de vous.

Puisque vous êtes son ami, et que je gage que son bien être ou plutôt son existence-même compte à votre âme, je vous confie mes intentions en toute sincérité. J'ai une bague accrochée à mon cou depuis Lyon, que je compte lui offrir en même temps que ma vie, libre à elle de les accepter ou de les rejeter, l'une comme l'autre... quelque soit sa décision, je m'y plierai car je n'ai plus rien à perdre, sinon de ne plus jamais entendre la mélodie qui était notre et qui résonne dans chacun de mes souffles, mais au moins je saurai qu'elle est en vie, peut être heureuse, même sans Nous.

Je vous prie de bien considérer ce que je viens de vous révéler et vous supplie d'apporter réponse à l'homme usé qu'un seul espoir tient encore debout.

Je serai à Langres dans la matinée, j'y attendrai votre réponse.

Que le Très-Haut vous garde.

Faict à Joinville, le 4e jour du mois de décembre de l'an MCCCCLIX,


Ensuite, il lui avait tendu une autre missive, une copie de la réponse adressée par lui à Kernos, qu'elle avait lu avec autant d'attention, autant d'incompréhension, autant de questions muettes incapables de franchir ses lèvres tremblantes.

Il avait répété encore et encore qu'il était désolé, que son surcroit de travail était responsable de son oubli depuis lors, qu'il avait surtout voulu lui rester fidèle à elle, ne pas la trahir en disant à Kernos où elle se trouvait, qu'il se souvenait aussi de toutes ces fois en juillet où elle lui avait interdit de prononcer le nom de Kernos devant elle, refusant de parler de son chagrin, de sa douleur, des raisons de sa fuite du Lyonnais-Dauphiné.

Bien sûr elle aurait du comprendre tout cela, mais là sur le coup, elle était incapable de laisser arriver à sa conscience quoi que ce soit d'autre que la date des deux missives... Début décembre 1459... Plus d'un mois!


Depuis un mois vous avez ce message pour moi!?
Ce message qui si je l'avais reçu m'aurait évité tant de larmes!

Je...

Savez-vous que depuis cette date j'ai failli plus de dix fois attenter à mes jours, de désespoir ?
Ma retraite chez les moines était déjà à cause de cela, et depuis ma nomination c'est pire !!!

Savez-vous ce que c'est, d'arriver là où on a toujours rêvé d'arriver et de n'avoir personne avec qui le partager?

Je me suis retrouvée à fêter ma nomination seule, en larmes, avec pour seule compagnie une lettre...
Une lettre de celle que vous aimez !!!

Comble du destin !
Une lettre de celle que vous aimez et devant qui je me suis effacée!

Vous vous étiez occupé, et puis je ne m'estimais pas en droit de vous "voler" à elle pour fêter cela.

Enfin, vous comprenez, n'est-ce pas? Vous êtes mon ami, un ami très cher à mon coeur, vraiment, mais dans les faits je suis seule, Aimelin...


La suite? Elle n'aurait su la décrire avec exactitude, se souvenant seulement qu'une fois de plus ils étaient tous deux "montés dans les tours", parlant sans écouter l'autre, élevant la voix pour mieux la laisser s'étouffer ensuite, mêlant les mots aux soupirs, les reproches aux regrets et remords, leur dialogue devenant monologues s'entrechoquant, où aucun des deux ne contrôlait plus rien.

Toujours il en avait été ainsi, au fond... En face de lui, elle s'était bien souvent surprise elle-même à toujours parvenir - sans jamais faillir totalement - à maîtriser son corps qui pourtant si souvent l'avait brûlée, à reculer devant le précipice parfois pourtant tellement proche qu'elle en avait retenu son souffle et fermés les yeux, à contrôler son corps, ses faits, ses gestes... Mais lors de leurs discussions tendues, elle n'avait jamais été capable de garder le moindre contrôle sur les mots qu'elle prononçait, à écouter et entendre les siens, à garder mesure et tempérance.

Non, jamais! Toujours cela avait fini en ras de marée, en déluge les laissant au final chacun échoués à des lieues l'un de l'autre, essoufflés, sans plus de voix, remplis d'incompréhensions et de détresse.

De cette discussion-ci, elle se souviendrait uniquement de certains passages, comme des morceaux de pages déchirés, où elle pourrait relire à loisirs certaines phrases échangées malgré tout.


J'ai failli être au milieu comme un idiot, entre vous deux.

Ces mots, au milieu de tant d'autres, elle les avait entendus, oui, tout comme elle avait entendu cet aveu qu'il avait fait de ne pas apprécier Kernos, sans même savoir pourquoi. Et cela l'avait fait jaillir encore plus hors d'elle-même.

N'est-ce pas la place que j'occupe depuis des mois? Au milieu...
Et vous le savez !

Je ne vous en fait pas reproche, mais vous savez que c'est la vérité !
Je suis au milieu de vous deux, malgré tout, et même si toujours j'ai refusé de franchir certains pas par respect pour Alienor!

Mais vous, vous ne pouvez juger Kernos!
Vous ne pouvez pas ne pas aimer quelqu'un sans le connaitre!

A moins que ça ne soit la jalousie qui vous fasse ne pas l'aimer

J'ai longtemps été jalouse d'Ali, et je le suis encore parfois, vous savez?
Mais je l'apprécie, parce que dire le contraire serait mentir

J'aime Alienor, même si elle est avec vous, parce que je souhaite votre bonheur.
Ce bonheur que je ne peux pas vous donner, je suis heureuse de savoir qu'une autre vous le procure... C'est aussi simple que cela!

Elle n'est pas responsable du fait de vous aimer ni de celui que vous la préfériez à moi, et je ne peux donc pas lui en vouloir.

Vous, vous n'aimez pas un homme au seul motif qu'il m'aime !
C'est injuste!

Quand moi je me suis effacée pour vous permettre à vous et Ali de vivre ce que vous aviez à vivre, vous vous mettez en travers de ce que j'ai à vivre avec Kernos en taisant ce courrier...
Auriez-vous aimer que je me comporte de la sorte?


Tentant de la calmer sans doute, il avait alors parler de la peur qui l'avait étreint en recevant la lettre dont question, mais elle ne l'avait pas laissé poursuivre, se déchaînant de plus belle.

Mais la peur de quoi ? Que je sois enfin heureuse un peu ?
De me savoir en train de vivre quelque chose de bien?


"La peur que vous m'oubliiez, d'avoir été là pour combler un vide" avait-il répondu, entre deux coups de tonnerre de sa part à elle.

Aimelin vous m'oubliez, lorsque vous êtes dans ses bras?
Non! Je sais que non!

Alors pourquoi est-ce que moi je vous oublierai?

Je parlais de vous à Kernos, avant.
Il sait que vous êtes important pour moi, depuis toujours
Alors non, moi non plus je ne vais pas vous oublier du jour au lendemain... Je suis plus fidèle que vous ne le pensez !

Les deux cas de figures sont les mêmes...
Vous partagez votre vie avec Alienor, sans m'oublier, et sans lui cacher l'importance que j'ai pour vous, et je pourrais partager ma vie avec un autre dans les mêmes conditions, non?

Vous avais-je oublié lorsque j'étais avec lui jadis?
Bien sûr que non, et il vous le dit dans sa lettre il me semble... Je lui parlais souvent de nous deux, de notre lien indescriptible...

Là... et bien... Un mois!
Un mois qu'il attend!


Contre toute attente, elle avait ensuite fini par se calmer, étrangement, brutalement, manquant soudainement de souffle.

Je ne sais comment vous avez pu oublier que vous teniez entre vos mains, dans le fond d'un tiroir, une lettre qui aurait pu empêcher de nombreuses larmes de couler sur mes joues, mais peu importe au final...

J'imagine que vous avez surtout voulu me protéger, et que vous avez été débordé, et moi peu présente, voila tout.

Pour le reste, rien ne dit que les choses s'arrangeront aussi facilement que cela entre Kernos et moi, après tout !

Il y a ce dont on rêve, et ce qui se produit réellement, et vous et moi sommes bien placés pour le savoir...
Ma réalité champenoise fut bien différente de mes rêves de Champagne.

Parfois je me dis que même sans la présence de Alienor je n'aurais pas été heureuse au fond... J'ai besoin de mots d'amours, de promesses, et vous vous voulez du au jour le jour.

Vous voulez une relation sans promesses, vous n'avez eu de cesse de me le dire, et moi j'ai besoin d'être l'unique, de construire des projets.

Je vous aurai sans doute trop demandé... J'ai une vision à l'antipode de votre "au jour le jour, sans promesses et sans attache".

Alors je me suis dit que même si j'évinçais Alienor je ne serai pas heureuse, et j'ai laissé tomber les armes, je vous l'avoue aujourd'hui.

Enfin.... Nous ne saurons jamais, de toute façon !
Mais l'avantage des histoires non vécues, c'est qu'elles gardent un goût d'éternité incomparable.


Ensuite elle s'était levée et dirigée vers la porte, confiant au vent quelques derniers mots adressés au Connétable.

Je vous garde dans mon coeur et dans mes rêves, soyez en assuré.

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Je voudrais que la terre s'arrête pour descendre.(Gainsbourg)
Terwagne_mericourt
[Paris, 27 janvier 1460, Aile Sud du Palais des Offices de la Couronne de France :]


Citation:
Vous pouvez convier deux invités personnels, pourriez vous me communiquer leurs noms également ?


Pour la centième fois au moins en deux jours ses yeux parcouraient à nouveau ce passage bien précis de la missive posée sur son bureau. Deux invités personnels.... Deux... C'était sans doute fort peu pour certaines personnes, mais pour elle ce nombre était énorme, mais pire encore problématique.

Les seules personnes qu'elle avait envie de voir assister à cette cérémonie y seraient conviées de par leur fonction, puisqu'il s'agissait des membres de la Cour d'Appel et d'Alienor qui faisait à présent partie des membres de la Grande Chancellerie. Pour le reste, elle n'avait pas de réels amis sincères, si ce n'était Aimelin, mais Aimelin était bien plus qu'un ami, même si dans les faits le réel sentiment qui les unissait restait à l'état d'embryon.

Aimelin, oui !
Aimelin, Alienor, Terwagne...
Le trio, encore et toujours !

Un soupir s'échappa de ses lèvres à cette pensée.

La seconde personne, à moins que ça ne soit la première - elle ne savait pas, elle ne savait plus - qu'elle avait envie de voir être témoin de son intronisation, c'était Kernos, forcément.

Kernos, oui !
Kernos, Terwagne, Aimelin...
Un autre trio !

Un second soupir s'échappa de ses lèvres. Elle imaginait déjà bien la scène... Deux triangles amoureux, ça donne quoi au juste, quand les deux bases sont composées des mêmes points? Un carré imparfait! Un carré dont la base - Aimelin et elle - devient tangente.

Dieu que l'envie lui avait pris jadis de la prendre cette satanée tangente!
De la suivre jusqu'au point de non-retour!

Mais cela c'était avant... Avant d'apprendre que Kernos ne l'avait pas oubliée, qu'il la cherchait, qu'il voulait l'épouser, qu'il lui avait pardonné d'être partie avec pour seul adieu une lettre, en avril dernier.

Neuf mois... Neuf mois de silence enfin rompu, du moins de son côté à lui.
Neuf mois, c'est le temps qu'il faut pour donner la vie. Cette chose si simple que tant de femmes faisaient chaque jour et dont elle-même ne connaitrait jamais les joies.

Neuf mois faits de larmes, de noyades dans le travail pour s'accorder le répit de l'oubli en surface, pour essayer de faire taire l'écho des derniers mots écrits mais dont elle se souvenait malgré tout parfaitement, à la virgule près.


Citation:
"Adieu à ce qui fut nous deux, à la passion du verbe aimer" :

Mon "Tu",
Mon "Ut",

Déteste-moi, je le mérite!

Déteste-moi pour les mots que tu t'apprêtes à lire.
Déteste-moi pour ce qu'ils signifient.
Déteste-moi de les avoir écrit sans avoir le courage de les dire.
Déteste-moi de leur avoir donné vie...

Déteste-moi pour tout le mal qu'ils te feront.
Déteste-moi pour tout le mal que je t'ai fait bien malgré moi en t'aimant.
Déteste-moi pour tout le mal que je te ferrai encore sans doute longtemps en hantant tes souvenirs.
Déteste-moi d'être moi, celle qui t'aimait, celle qui t'aime, celle qui t'aimera encore, mais qui s'en va.

Déteste-moi de choisir aujourd'hui de faire de ma vie un requiem.
Déteste-moi de choisir de laisser s'évanouir la mélodie qui était" Nous".

Déteste-moi de te sauver de moi...


Ta Lune.


Neuf mois durant lesquels elle avait cru que lui avait définitivement tourné la page, voir l'avait déchirée, et depuis plus de dix jours à présent elle savait qu'il n'en était rien, qu'il n'avait eu de cesse de la chercher.

Dix jours durant lesquels elle n'avait pas réussi à trouver comment réagir, comment renouer le contact avec Kernos, pas plus qu'elle n'avait réussi à trouver le courage d'écrire à Aimelin, pour lui dire que non elle ne lui en voulait pas, que non elle ne l'oubliait pas déjà, que ce qu'il lui avait appris en lui donnant ce courrier de Kernos l'avait bien entendu rendue heureuse, mais aussi et surtout l'avait fait se sentir encore plus perdue que ce qu'elle ne l'était déjà.

Elle ne se voyait pas écrire à Kernos "Si tu n'as pas changé d'avis depuis ta missive au Connétable champenois, je me trouve actuellement à Paris et je t'attends."

Pour tout dire, elle ne se voyait même pas le tutoyer dans un courrier comme si ils s'étaient quittés la veille et que rien ne s'était produit dans leurs vies respectives depuis! Elle ne savait même pas comment commencer sa missive... "Mon Ut" ? "Baron de Mevouillon"?

Tous ces mois écoulés!
La reconnaitrait-il seulement?
Elle n'était plus la même femme!

Physiquement, elle avait horriblement maigri, vieilli aussi! Mentalement non plus elle n'était plus la même... La femme si peu sûre d'elle-même qu'il avait aimée était devenue une femme s'affirmant, capable d'imposer ses idées et certitudes, certaine de ses capacités, cachant mieux que jamais ses blessures et ses doutes, ses angoisses, sa fragilité et ses démons.

Peut-être ne retrouverait-il même pas en elle l'ombre de celle qu'il avait aimée, désirée, voulue ? Peut-être valait-il mieux lui laisser le souvenir de ce qu'elle avait été que de lui révéler celle qu'elle était devenue ?

Pourtant, comme elle avait besoin de le voir, de lui parler, de s'excuser de vive voix, mais plus encore de voir de ses propres yeux ce qu'il restait d'eux! Restait-il quelque chose? Elle ne savait même plus si elle devait l'espérer ou pas.

Si elle l'avait eu en face d'elle, tout aurait été tellement plus simple! Les mots seraient sortis seuls de sa bouche, bien plus simplement que de sa plume... Un "tu" ou un "vous" se serait imposé de lui-même...


Elle hésita un instant sur la solution de facilité qui venait de naître dans son esprit : provoquer les retrouvailles sans lui écrire! Donner son nom à la personne qui attendait de connaître ses deux invités personnels. Ainsi, pas besoin de trouver les mots à coucher sur le papier, pas besoin d'opter sur une en-tête, pas besoin de... Besoin de rien! Juste jouer la carte de la lâcheté!

La lâcheté?!
Non, ça n'était pas elle de se comporter de la sorte!

Elle se leva, fit quelques pas dans la pièce, puis se lança à l'eau, enfin à l'encre plutôt, même si les mots qu'elle adressa à Kernos furent ceux d'un autre, ceux d'un troubadour qu'elle affectionnait pour ses textes, des mots où il n'y avait ni "tu" ni "vous", juste le symbole de leur histoire à eux.

Elle ne signa pas et ne scella pas, il reconnaitrait dès les premiers mots... Il comprendrait qu'elle n'avait rien oublié, mais qu'elle n'avait plus de clé pour lire la partition, et surtout qu'elle manquait de souffle.




Elle confia la missive à un messager, puis répondit à celle qui attendait toujours le nom de ses deux invités. Libre à eux de répondre à l'invitation ou non. Pour le premier, il aurait reçu sa lettre à elle avant l'invitation, pour le second elle irait le voir rapidement dans son bureau.
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Je voudrais que la terre s'arrête pour descendre.(Gainsbourg)
Kernos
[Mévouillon, 15 Janvier 1460, Chambre baronniale du Logis du Chêne]

"J’ai fait ce qu’un homme devait faire pour mériter ce nom
Mais le doute et la folie marchaient à tes cotés
Tu oses parler de ton retour et de nos souvenirs
Avec une voix qui grince comme un 45 tours usé
Chaque mot est un mensonge à travers un sourire

[...]

Je crois que je vais rester sourd pendant très longtemps
Avec le sourire de la vengeance sur les lèvres
Les bras croisés sur le cœur qui bat de tout son sang
Les yeux tournés vers l’horizon d’où sortent les rêves
Demain tu hurleras tes mensonges dans le vent

Nous n’avons plus rien à nous dire
Je suis plus dur que tu ne crois
Ne te sers pas de souvenirs
Joue pas de rock’n’roll pour moi, oh non!
"

Johnny Hallyday, Joue pas de rock'n'roll pour moi.


La bouteille vide roulait sur le parquet comme tanguait un navire dans la tempête, oscillant de gauche à droite selon le roulis imprimer par la botte du Baron de Mévouillon. Les yeux perdus dans la contemplation du feu qui crépitait dans l'âtre, dessinant de nouvelles ombres sur son visage sec, Kernos naviguait sur les flots houleux de son esprit et c'était soir de tempête.

Un mois qu'il était revenu sur ces terres qu'il avait tant chéri par le passé, ce Lyonnais-Dauphiné qui l'avait vu devenir homme, ce Lyonnais-Dauphiné auquel il avait été fier d'appartenir et pour qui il s'était battu durant des années, ce rêve auquel il avait cru et avait espéré d'y participer à son tour. Y avait-il un chemin qu'il n'avait pas foulé ici? Y avait-il une ville qu'il n'avait point visité ici? Une montagne qu'il n'avait point admiré? Un ruisseau dont il n'avait point encore bu l'eau? Ce Duché entier raisonnait de souvenirs dans son coeur et dans sa tête.

Grande et superbe matrice qui l'avait abreuvé et nourri en son sein, le polissant et le modelant pour faire de l'argile dont il était alors fait un homme nouveau, jaillissant de son terreau fertile dans la douleur et l'effort afin qu'il puisse en arpenter la chair, y imprimer son sillon et l'ensemencer à son tour, comme tant d'autres l'avaient fait avant lui et d'autres encore le feraient un jour. Et c'est ce qu'il avait fait. Il l'avait prise, tantôt avec force, avec la passion dévorante de l'orphelin, de l'affamé, du mendiant, avec la douleur de l'exilé; tantôt avec tendresse et soin, la courtisant comme l'amant envers sa Dame, comme un enfant aimant sa propre mère, il l'avait contemplé, caressé avec la foi et la dévotion du pèlerin. Il s'était couché en elle, prenant puis donnant à son tour, mêlant sa sueur et son sang aux siens, lui dédiant ses souffles et ses frissons, remettant son existence, l'inavouable comme les triomphes, entre ses mains.

Mais voilà... le temps avait passé, les amours et les haines aussi, laissant de larges cicatrices en lui. Le rayonnement aveuglant du premier amour s'était éteint à jamais dans son regard. Sans doute l'éloignement y avait ajouté aux trahisons et aux déceptions, à moins que cela soit la découverte de nouveaux horizons, l'apparition d'un nouvel astre qui éclipsait de son éclat cette idylle adolescente, en chassant jusqu'à l'ombre de sa mémoire. Peut être les mensonges maintenant éventés avaient finis par user les derniers lambeaux du linceul pourpre dans lequel elle reposait au fond de son coeur, lui laissant apercevoir avec lucidité la charogne qu'elle était devenue... Toujours était qu'il ne reconnaissait plus cette terre dont il était tombé en amour dans sa jeunesse vagabonde.

Elle lui faisait l'effet de ces ribaudes fardées à outrance pour combler les crevasse laissées par les années. Enrubanner d'étoffes criardes et gonflées pour camoufler leurs charmes surannés d'avoir été trop offerts, dissimuler leur poitrine creuse et leur corps desséché, rongé de l'intérieur par quelques honteuses vermines bénéfices de leur commerce. Où étaient passée l'abondante couronne de boucles blondes à l'éclat pareil aux blés sous le soleil estival qui ornait son majestueux visage? Elle avait pourri sur pied, et ses rares restes se vendaient à prix d'or sur les marchés... Où était passé le bleu de ce regard si profond, à la surface duquel scintillaient mille flamboiements? Il s'était tari également, et les quelques flaques subsistantes, éparpillées au milieu de la fange, ne reflétaient qu'un ciel gris et morne vous incitant à détourner les yeux quand vous aviez connu sa splendeur envolée. Même sa peau rose et charnue avait été dévorée par l'avidité lubrique des maquereaux, ne laissant que chair grise et rassise ballotant sur ses membres grêles. Elle avait beau minauder, aguicher ça et là les passants, elle n'était plus qu'une carcasse grotesque et efflanquée. Trompée par les cajoleries et les compliments fadement suaves que lui adressaient ceux là même qui l'avaient conduite au bordel et l'y laisser pourrir, se payant sur ses restes quand un passant en mal d'amour ou un puceau innocent se laissaient prendre par ces belles promesses.

Comme le marin revenant à son port d'attache pour n'y trouver que ruines abandonnées après avoir parcouru les océans où il avait découvert maux et merveilles , Kernos avait versé un torrent de larmes devant ce spectacle macabre qu'il contemplait avec cette lucidité gagné dans la souffrance des routes de France.

Aujourd'hui, il avait fait son deuil, laissé ses espoirs anciens dans le cimetière que ce pays était devenu à ces yeux. Une lettre avait fait souffler un vent nouveau sur les braises de son coeur, mettant le feu à sa mémoire, consumant ce qui restait des chaînes lui restant en Lyonnais-Dauphiné. Et il enflait, enflait encore, alimenté par l'impatience de l'attente, n'attendant qu'une nouvelle missive champenoise pour se propager en incendie... La bouteille roula d'un coup de talon au milieu des flammes. Kernos quitta son siège pour la fenêtre.

Dehors, il neigeait. Et toi Terwagne, où que tu sois en Champagne, est-ce que tu voyais la neige aussi? Est-ce que Aimelin t'a parlé de ma lettre? Est-ce que tu penses encore à moi quelque fois?

_________________
Alienor_vastel
[Reims, le 7 février 1460]

"Où le vent me pousse, je vais
Où le vent me porte, c’est vrai
Jusqu’à ce que le vent tombe
Ou qu’il me fasse tomber
Jusqu’à ce que le vent tombe
Il pousse mon voilier
Jusqu’à ce que la pluie m’inonde
Elle ruisselle sur mes bras"
J.L. Aubert - "Jusqu'à ce que le vent tombe"



Les doigts fouillaient dans le petit coffret de bois marqueté dans lequel la blondinette rangeait précieusement ses correspondances, à la recherche d'une missive pour laquelle elle venait de se souvenir qu'elle n'avait pas encore donné réponse. Maugréant in petto de n'avoir pris la plume de suite, de ne plus se rappeler où elle l'avait posée, Aliénor cherchait, avant de finalement retourner la boite, en éparpillant le contenu sur le bureau.
Un soupir en même temps que les pervenches balayaient les missives étalées, et ne s'arrêtent sur une, reçue vers la mi juin de l'an précédent. Cette missive de Terwagne dont elle n'avait su alors comprendre les points de suspension.

Les mois avaient passé, et elle avait fini par les comprendre, ces points de suspension. Comprendre cette "relation trouble" entre Aimelin et Terwagne comme l'avait écrit cette dernière, et pourtant si nécessaire pour eux. Et durant ces mois, elle s'était mise en retrait. Parce qu'aucun d'eux ne parvenait à être naturel lors de ces quelques soirées partagées dans ces tavernes troyennes, comme gêné, mal à l'aise face aux deux autres.
Elle aurait pu continuer à écrire à l'époque, elle aurait aimé le faire même, mais pour dire quoi au final, si ce n'était, par ces lettres, rappeler concrètement sa présence. Elle se doutait qu'ils continuaient de correspondre, qu'ils se voyaient peut-être, sans doute, mais elle ne posait pas de questions. Pas par indifférence, non, ou parce qu'elle ne se sentait pas concernée, après tout elle l'était, du fait même qu'elle était finalement une des parties de ce curieux triangle.

Non, c'était parce qu'elle ne voulait pas interférer entre eux, parce qu'elle savait combien Terwagne comptait pour Aimelin, et l'inverse aussi, et qu'elle se faisait discrète pour préserver ce lien entre eux. Et sans jalousie aucune, mais avec le malaise, parfois, d'être celle qui les empêchait par sa présence de vivre ce qu'ils avaient à vivre, au delà de la complicité, de la tendresse, et peut-être davantage, qui les liait, même si le jeune homme avait tenté de la rassurer à ce sujet lorsqu'elle le lui avait dit. Elle avait hésité, partir et disparaître, mais en auraient-ils été tous trois plus heureux pour autant ? Alors elle était restée, profiter de ce que la vie lui offrait et de ces moments de bonheur.

Elle avait finalement écrit, au début de janvier. Lorsqu'elle avait pris connaissance de cette annonce, au milieu d'autres, la nomination de Terwagne à la charge de Grand Chancelier de France. Une charge, oui, dans toute l'acception du terme, celle qui fut la fille d'un Grand Officier de la Couronne et la petite protégée d'un autre était bien placée pour savoir, pour l'avoir vu et vécu auprès de ceux qui lui avaient été chers, combien cette fonction pouvait paraître lourde à ceux qui la remplissaient dès lors qu'ils la menaient avec coeur et courage.

Alors elle avait pris la plume, pour la féliciter. Elle n'était pas douée à un tel exercice, trouver les mots justes, mais sa démarche était sincère, lui dire combien elle était fière et heureuse pour elle de voir ses compétences et ses qualités enfin reconnues, et lui souhaiter du courage dans sa nouvelle charge.

Un sourire sur les lèvres à la réponse qui lui était parvenue, étonnée malgré tout de la confiance que Terwagne lui témoignait en lui faisant part de ses doutes et de ses peurs de ne pas être à la hauteur. Ces doutes et ses peurs qui lui avaient remis en mémoire une discussion entre sa mère et Pisan, qui venait d'être nommée Grand Prévôt de France, et dans laquelle cette dernière faisait part à sa vassale et amie des mêmes doutes, des mêmes peurs.

Pourquoi cette image était-elle revenue dans son esprit, à ce moment précis ? Sans doute parce qu'elle avait entendu, ressenti, au cours de ces conversations entre ces deux femmes qui avaient tant compté pour elle, combien même si l'on est entouré, l'on peut être seul, "là-haut".
Qu'était-elle, qui était-elle, pour penser que parfois il suffisait de quelques mots, l'assurance d'une compréhension, d'une écoute, d'une présence, pour justement se sentir moins seul, après tout il y avait sans nul doute, auprès de Terwagne, d'autres personnes bien plus proches pour la rassurer, l'encourager, mais elle avait senti au fond d'elle ce besoin de dire ces mots, en raison de l'amitié et de l'affection qu'elle avait pour elle, une amitié faite de distance apparente mais qui n'était au fond que de la pudeur, de la discrétion et du respect.

Et ces mots, elle les avait couchés sur le vélin, d'une traite, comme ils lui venaient à l'esprit. Avec un léger sourire en songeant qu'il serait temps qu'elle applique à elle même certaines des phrases qu'elle avait notées, et lève les doutes et les hésitations concernant une envie qui lui trottait dans la tête depuis quelques temps.
"Il n'y a qu'une façon d'avoir réponse à cette question que vous vous posez, c'est d'y aller..." avait-elle écrit. La Grande Chancellerie recrutait, et pour Aliénor qui venait de commencer des cours de droit, qui voulait oeuvrer dans le domaine de la justice, c'était l'opportunité rêvée. Mais n'était-ce pas brûler les étapes que de prétendre à travailler directement au sein d'un Grand Office sans passer préalablement par la case expérience ?... Il n'y avait qu'une façon d'avoir réponse à cette question, c'était d'y aller !
Non sans relever l'ironie du destin qui faisait que, si sa candidature était acceptée, la blondinette serait amenée à côtoyer quotidiennement celle à qui la liait une amitié particulière, cette amitié forgée par ce triangle, ce fragile équilibre qui semblait avoir trouvé une certaine stabilité et dans lequel chacun se gardait bien d'intervenir dans le lien qui unissait les deux autres.

Un dernier regard à la missive aux points de suspension qu'elle tenait toujours dans les mains, avant de la replier et de la ranger avec les autres. Et les pervenches qui s'éclairèrent lorsqu'elle trouva enfin ce qu'elle cherchait. L'invitation pour la cérémonie d'intronisation du Grand Chancelier de France.

Elle n'avait pas été surprise lorsqu'elle l'avait reçue. D'abord parce qu'elle avait finalement rejoint les rangs du personnel de la Chancellerie, puisque sa candidature avait porté ses fruits. Et surtout parce que Terwagne lui en avait touché mot, quelques jours auparavant, lorsqu'ils s'étaient retrouvés tous les trois pour la première fois depuis longtemps, dans l'auberge d'Aimelin à Sainte-Ménéhould.

Pensées qui s'égarent vers cette soirée, au cours de laquelle la blonde adolescente n'avait pas ressenti immédiatement ce malaise qui la prenait autrefois lorsqu'ils étaient tous trois réunis, à Troyes.
Non, la discussion avait été légère, au début. "Savez-vous garder un secret, Aliénor ?" Elle avait sourit en répondant que oui, elle savait faire ça. La conversation s'était alors tournée vers cette cérémonie, avant que Terwagne ne confie qu'elle pouvait convier deux invités personnels. Elle s'était adressée à Aimelin, l'informant qu'il était l'un des deux, et l'échange avait pris un caractère plus personnel et privé lorsqu'elle avait annoncé au jeune homme à qui elle avait songé pour être le second.

Et là, le malaise était revenu, cette impression de s'immiscer dans ce qu'ils avaient à se dire tous les deux. Aliénor avait alors prétexté un inventaire à faire à la cave, et s'était éclipsée pour les laisser parler seul à seul, discrétion, pudeur.
Combien de temps y était-elle restée, assise le dos contre le mur froid de la cave, ses bras entourant ses jambes repliées, à compter machinalement les pierres du mur, jusqu'à ce que le son étouffé des voix ne disparaisse et que le bruit de la porte ne la sorte de sa quasi torpeur, elle ne s'en souvenait plus. Ce dont elle se souvenait, en revanche, c'était que, quand elle était enfin remontée, le jeune homme était là, pensif, plongé dans ses pensées. Ne pas lui poser de questions, comme d'habitude, ce qu'ils s'étaient dit ne regardaient qu'eux. Juste quelques phrases, entrecoupées de longs silences. Et ce sentiment, une fois de plus, d'être celle de trop, mais de rester, égoïstement, même s'il lui avait alors assuré le contraire.

Rester, pour profiter de chaque moment de ce qu'ils partageaient et vivaient ensemble, malgré la peur insidieuse qui s'insinuait en elle lorsqu'il lui arrivait d'avoir envie de voir plus loin qu'aujourd'hui. Cette peur qui s'était faite jour peu à peu à mesure que s'écrivait le livre de leur histoire, et qui lui faisait retenir certains mots qui plus d'une fois avaient failli franchir ses lèvres. Comme si les dire pouvait donner vie à ce qu'elle tentait de se persuader encore de ne pas vouloir, envisager demain...

Retour au présent, et à cette invitation à laquelle la politesse imposait qu'elle réponde, pour confirmer sa venue. Plume saisie et trempée dans l'encrier avant de couvrir un vélin de pleins et de déliés.
Une formalité, il était évident qu'elle y serait.

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"Vis comme si tu devais mourir demain, apprends comme si tu devais vivre toujours" (Gandhi)
Kernos
[Mévouillon, début février, Chambre baronniale du Logis du Chêne]

"Le temps n’est plus où passaient les violons quand tu étais dans la maison
Il a tant plu depuis tant de saisons, le temps n’est plus aux violons.

[...]

Je me souviens, moi, de ce musicien un soir d’adieu à la maison
Je me souviens, moi, de ce musicien et de l’adieu sur son violon
Et chaque année lorsque l’année finit, j’entends le violon de septembre
Et le passé comme une symphonie fait son entrée dans cette chambre.

Moi dans la maison vide, dans la chambre vide, je passe la nuit à écouter
Cette symphonie, aujourd’hui finie et qui me rappelle que tu étais belle."


Michel Polnareff, Dans la maison vide.

Dehors, la neige toujours, silencieuse, implacable, omniprésente dans son manteau d'une immaculée perfection d'anéantissement, parant les pierres et les carreaux du Fort d'un collier de givre scintillant. Dedans, les flammes. Crépitantes, insaisissables, dansant sur les bûches qu'elles emportaient dans leur tourbillon éclatant, caressant l'âtre de leurs formes innombrables et fugitives avant de s'envoler et de retomber encore et encore dans cette farandole d'ébats éphémères, inconstants. Et au milieu, toujours et encore, Kernos, prit entre feu et glace.

Au dehors de lui-même, la solitude glacée dont il était drapé, dans cette chambre trop grande de vide qui ne lui renvoyait que l'écho de ses propres pas, de son propre silence. Au dedans de lui-même, la multitude des sentiments s'entrechoquant dans une immense cacophonie qui enflait, gonflait, se soulevait, comme un coeur battant de trop d'ardeurs.

Solitude et multitude ... feu et glace... voilà le jeu constant d'équilibriste auquel il se livrait bien malgré lui entre ces extrêmes. Lui, être insignifiant perché sur ce fil ténu et tendu à se rompre au-dessus du gouffre abyssal séparant ces pics antipodiques, tentant maladroitement de conserver raison et stabilité pour ne point sombrer dans la folie... quoique... n'était-ce pas folie que de rester ainsi figé entre ces extrémités? Peut être qu'il aurait été plus sage de courir d'un côté ou de l'autre, ou même de se laisser choir dans le néant qui s'ouvrait sous ses pieds? Ou bien non? D'où venait cette inspiration? Etait-ce la part destructrice de son être qui venait de lui souffler cela à l'esprit, ou son opposée? Où était la raison, où était la folie? Encore une foule d'interrogations qui se précipitaient à ses pensées, et de nouveau il se tenait sur ce cordeau d'hésitations tendu à travers son cerveau.

Ses doigts gravirent le col entrouvert de sa chemise. Ils rencontrèrent un objet dur et légèrement froid qu'ils tirèrent à la vue du Rouvray. Un simple petit bout d'argent, dont la courbure reflétait la lueur rougeoyante des flammes, pas plus large que les doigts menus d'une femme. Un simple anneau, vierge de toute inscription ou ciselure, dans lequel il perdit son regard. Fol... c'était cela, il devait être fol.

Fol d'espérer au creux du silence... Fol de croire à travers l'obscurité... Fol d'aimer à s'en fendre l'âme... Sa raison avait du rester accrochée à son amour, sur cette lettre écrite il y a plus d'un mois au Connétable de Champagne, à cet Aimelin auquel il avait donné sa confiance, comme un naufragé sombrant se jette sur la dernière branche flottant à la surface. Pourquoi s'était-il fié à lui d'ailleurs? Seulement parce que Terwagne lui avait parlé de sa confiance en lui, mais peut être se fourvoyait-elle? Après tout, peut être que cet Aimelin avait d'autres visées? Peut être que ces paroles n'étaient qu'un moyen d'endormir sa confiance, pour s'accaparer Terwagne? Peut être avait-il gardé silence sur sa demande, peut être l'avait-il tourné autrement pour servir ses desseins?

Il était aisé de rejeter la faute sur une tierce personne... Kernos le savait, et ne pouvait se bercer de cette réconfortante illusion... Fol certainement, mais point encore aveugle sur les mouvements du coeur. Terwagne pouvait elle aussi être la raison de son propre silence. Les mois s'étaient écoulés, et si lui n'avait eu de cesse de la chercher, d'entretenir les braises de leur amour interrompu, Terwagne avait peut être enterré leurs souvenirs pour en bâtir de nouveaux où il n'avait plus place.

Il laissa retomber la chaîne gardant l'anneau de son espérance sur son torse. Les lueurs de l'aube apparaîtraient bientôt à sa fenêtre.

Encore une nuit sans sommeil. Une nuit perdue dans ses incertitudes. Une nuit d'errances immobiles, prisonnier entre la glaciale solitude de son présent et les feux d'un passé embrasant son devenir. Une nuit sacrifiée sur l'autel de ces "pourquoi?" incessants pour la levée d'un jour nouveau, morne et désolé, comme chaque journée pour qui faisaient place ses nuits immolées. Il se leva et fit quelques pas, se retrouvant malgré lui face à son propre reflet dans le miroir trônant dans un coin de la pièce. A quoi tout cela rimait au fond? A rien, car toute rime était orpheline depuis qu'elle était partie. Ne restait qu'une mélodie bancale, dénaturée, dissonante sans la moindre résolution. Une symphonie brisée qui sonnait faux depuis qu'on lui avait arraché ses clefs et son harmonie, l'empêchant à jamais de s'envoler à nouveau ... Lui.

Les premiers instants avant que le soleil n'enflamme les derniers lambeaux d'obscurité étaient les plus durs à passer. Kernos regardait son reflet qui le lui rendait bien. Et si jamais Terwagne lui répondait, pensait-il, qu'aurait-il à lui rendre en retour? De l'homme qu'elle avait quitté, ne restait qu'ombre. Son regard plus acerbe envers lui-même que pour le reste du monde, lui offrait la vision d'un corps rongé par la fatigue de ces derniers mois d'errance, de l'amertume qu'il nourrissait envers ce pays dans lequel il croupissait et du temps qui l'avait rattrapé en chemin. Elle avait connu autrefois un corps plein de fougue et de vie, celui d'un homme robuste dans la fleur de l'âge, généreux et fertile, n'en restait plus que pays ravagé et désolé... Le chêne était devenu olivier. Ce n'était plus un printemps, mais un automne tirant sur l'hiver qu'il lui apporterait. Il voyait le creux dessiné sur ses joues barbues, les sillons au coin de sa bouche, de ses yeux, sur son front et entre ses sourcils. Il voyait les fils d'argent dans sa chevelure sombre... Non, ce n'était plus l'homme qu'elle avait aimé qui se présenterait à elle... Aimerait-elle autant ce nouvel homme, ce vieillard en devenir?

Et d'ailleurs, que lui dirait-il? Tant de choses lui venaient au coeur, se bousculaient à ses lèvres pour mourir dans un souffle muet d'émotion. Tant de voix, d'envies, de peurs, de doutes et de souffrances qui se pressaient... Par quoi commencer? Et s'ils n'avaient plus rien à se dire? Deux corps devenus étrangers se faisant face dans le mutisme obsédant de leurs âmes désaccordées pour toujours et toutes nuits... C'était ça qui le maintenait éveillé à chaque fois, cette angoisse qui le prenait aux tripes, que le temps et la distance les aient rendu trop différents pour se retrouver.

Son visage gagna ses mains. Il étouffa quelques larmes tandis que les premiers rayons de soleil frappaient aux carreaux, suivis bientôt d'un serviteur qui en fit de même contre l'huis de la chambre.


Messire, un courrier vient d'arriver pour vous.

Une lettre? Pour lui? Certainement encore l'une de ces lettres insipides et officiels qui alimentait les cheminées du Fort après un bref coup d'oeil et un long soupir. Il prit la missive et congédia le serviteur avant d'aller rejoindre son fauteuil. Etrange... elle n'avait point la forme des courriers ducaux. Il l'étudia plus en avant. Elle était légèrement passée, quelque peu froissée par endroit, une ou deux tâches sombres d'humidité, comme si elle avait voyagé longuement... Depuis combien de temps n'avait-il point reçu lettre lointaine? La curiosité l'emporta pour une fois sur les spéculations intellectuelles, il l'ouvrit.

Dès le premier mot, il compris, il la reconnu... Cette manière qu'elle avait de tracer ses lettres avec une simplicité élégante, les déposant sur le vélin comme une caresse, laissant les mots onduler légèrement sur eux-mêmes. Ces courbes discrètes, sans fioritures, lui ressemblait tant qu'il avait l'impression de la voir elle, couchée sur le parchemin... Ses doigts fébriles se tendirent pour suivre à son tour le chemin de sa plume, comme s'il pouvait ainsi la toucher elle à son tour.

D'un coup, ces mois d'errances, de solitudes, d'absence et de larmes avaient un sens. D'un coup, toutes ces questions, ses doutes, ses craintes, ses espoirs, trouvaient un début de réponse... Elle ne l'avait pas oublié... mieux! Elle pensait encore à ce "Nous" après lequel il courrait sans relâche, à cette mélodie dont il était le "Ut" comme elle aimait à le dire... son Ut... Et le même tourbillon qui l'avait emporté, broyé, en Champagne quand il avait appris que Terwagne était vivante et qu'elle se trouvait dans ce Duché, éclata à nouveau.

Lacérant son corps meurtri et usé...
Fracassant l'un contre l'autre le feu et la glace, solitude et multitudes, les réduisant au néant avant d'y jeter sa carcasse désarticulée...
La chute...
Sans limite, sans retenue...
Sans doutes ni raison...
Calcinant ce qui restait de lui, le purifiant pour le reconstituer en son sein...
Alors la chute devenait envol...
Il émergeait neuf, nu de l'écume des extrêmes apaisés, de nouveau unis.

Parmi le flot d'émotions, de pleurs et de cris, il parvint malgré tout à se saisir d'une plume et d'un morceau de parchemin. Grattant quelques mots sans hésitation aucune. Quelques phrases simples qu'elle reconnaîtrait peut être, qu'elle comprendrait surement.




Lui non plus ne signa, ni ne scella point. Il confia la lettre au même serviteur qui alla la porter au messager qui attendait dans les communs. Kernos regarda sa silhouette s'éloigner dans la plaine, minuscule tâche noire dans l'immensité de blanc. Le lendemain, une autre lettre arriverait pour lui, une invitation à Paris, mais pour l'heure il n'en était pas question, seul comptait le nouveau souffle qui s'élevait. Cette brise d'hiver et d'espérance qui permettrait peut être aux deux amants de se retrouver, et peut être au chêne de refleurir sous un nouveau printemps.




* Gérard Lenorman, De toi.

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Aimelin
[15 janvier, Reims, bureau du Connétable ]

"Aux malentendus, aux mensonges, à nos silences
A tous ces moments que j'avais cru partager
Aux phrases qu'on dit trop vite et sans qu'on les pense
A celles que je n'ai pas osées
A nos actes manqués"
(Goldman - A nos actes manqués)



Le dossier vola au milieu de la pièce, les parchemins s’envolèrent et finirent leur course éparpillés sur le sol, lamentablement seuls, tandis que le jeune connétable pestait.

nom d’une none ! mais pourquoi les femmes sont elles ainsi.
Rien ne leur convient ! ni le respect, ni le doute, ni le fait qu’on puisse être partagé !


Qu'elle était difficile, et qu'il était idiot ! Il pensait souvent que ce serait si simple s'il était comme la plupart de ces hommes qui trompaient allègrement et n'en ressentaient aucune gêne, aucun déshonneur. La plume qu’il avait entre les doigts termina sa course cassée en deux et vola à son tour tandis qu’il se levait d’un geste énergique, une étincelle de colère au fond des yeux. De la colère mais aussi de l’incompréhension, et cette lueur imperceptible qui s'y affichait lorsqu'il avait été blessé et déstabilisé.

Pourquoi mais pourquoi est ce que tu m’infliges ça !

Aristote avait bon dos lorsque le jeune Etampes n’était plus maitre de ces réactions et de ce qui l’entourait. A trop vouloir ménager les autres, il finissait par se faire du mal et personne ne s’en rendait compte. Alors il se refermait, il replongeait dans ces moments où peu arrivaient à lui soutirer quelques paroles et quelques sourires, même pas la blonde Aliénor.

Il se planta devant la fenêtre en murmurant
.. foutaises !!!

Ca lui apprendrait à vouloir aider, à vouloir ne pas laisser quelqu’un dans le doute tout en protégeant une amie. Une amie ? ... depuis des mois il savait qu’il se mentait à lui même, et il savait qu’il n’aurait jamais le courage de se l’avouer. Elle était bien plus qu’une amie, c’était là tout le problème depuis ce jour de juin où il avait revu son visage et son sourire.

Il balaya l’air de sa main et se retourna pour s’appuyer contre la fenêtre, les toits de la capitale champenoise dans son dos, comme l’avaient été devant leurs yeux, ceux enneigés de la capitale du royaume ce jour là dans cette salle d’archives.

Des mots d'amours, des serments.. combien en avait il prononcé, combien de fois avait il pleuré devant ses amours disparus. Et elle le pensait indifférent, incapable d'en prononcer, incapable de demain. Il avait dû lui dire que s'il n'en prononçait pas c'était qu'Aliénor n'en voulait pas et qu'il s'était fait prendre à son propre piège de ne plus promettre par peur que tout s'écroule. Il avait senti Terwagne déstabilisée après son aveux. Elle ne le connaissait pas encore vraiment, elle connaissait juste ce qu'il voulait bien qu'elle voit où qu'elle découvre au fil des mois.
Parfois il brûlait de lui parler à coeur ouvert mais il renonçait. A quoi bon faire du mal, dire qu'on aime lorsqu'on sait que l'on ne pourra pas aimer parce que son coeur est partagé et que quelque part, on est heureux.

Disparaitre, il y avait pensé, il 'avait même dit à la blondinette, un soir où il était las et où il lui semblait qu'il n'arriverait jamais à profiter du présent. Il était heureux avec elle, mais ses sentiments pour la furie qui venait de sortir de son bureau étaient là, ramassés en boule au fond de lui sans qu'il puisse rien faire pour les chasser. Il faisait tout ce qu'il pouvait pour les transformer pour les adoucir et faire que leur relation coule sereinement. Mais elle était difficile, si difficile, et il s'en voulait. Tout ça était de sa faute. Et puis ses reproches, sa nomination. Encore une faute qui venait s'ajouter à d'autres, encore une erreur, un oubli que sa vie agitée des derniers mois lui faisait accumuler.

Son regard se posa sur les parchemins étalés sur le sol et un soupir s'échappa de ses lèvres. Ce soir là il rentra et ne prononça plus un mot, emmuré dans cette solitude qu'il se créait à chaque fois que ça n'allait pas.



[Fin janvier, Sainte Ménéhould, Aubege "Les petits cailloux"]

"Ces liens que l'on sécrète et qui joignent les êtres
Ces désirs évadés qui nous feront aimer
Ces raisons-là qui font que nos raisons sont vaines
Ces choses au fond de nous qui nous font Veiller tard"
(Goldman -Veiller tard)



Ce jour là il n'était pas dans son bureau, il n'avait pas rencontré Terwagne. Peut être que c'était mieux ainsi.
Elle était avec Aliénor, dans leur auberge des Petits Cailloux à Sainte. Lorsqu'il les avait rejoint, elle lui avait dit vouloir lui parler et avait annoncé la cérémonie et puis son désir de l'inviter. Un peu étonné il avait bien sûr promis et n'avait pas été surpris du deuxième nom qu'elle lui avait cité. Aliénor s'était alors éclipsée prétextant quelques petits travaux à faire, mais le jeune homme n'avait pas été dupe. La conversation avec la Vicomtesse prenait des allures de confidences et Alie n'aimait pas être au milieu.

La Chancelière lui avait parlé de ses peurs, de ses doutes, et comme à son habitude, oubliant qu'elle l'avait blessée quelques jours avant il l'avait poussée doucement, lui avait assuré qu'il serait là malgré que peut être Kernos ne devait pas beaucoup l'aimer de le savoir si proche d'elle et il avait avoué que peut être il regretterait de lui avoir répondu, ce à quoi elle avait répondu elle même qu'il n'aurait pas supporté d'avoir menti. Et c'était vrai. Il n'aurait pas pu répondre qu'il ne savait pas où était Terwagne. Il ne savait pas mentir, il n'aimait pas. Il taisait juste certaines choses par moment et puis les laissait deviner par la suite.


- Il sait que vous comptez énormément pour moi, et rien que pour ça il ne peut pas vous détester

Comme il ne pouvait pas le détester s'il la rendait heureuse, où s'il lui arrachait quelques sourires.

- tout va forcément changer... et si je me trompais en reprenant contact

Comme réponse il avait juste passé son bras autour de ses épaules et elle avait appuyé sa tête. Que lui dire ? que ce qu'il voulait c'était la voir vivre ? il le lui avait dit déja. Bien sûr qu'il avait peur de la perdre totalement mais il l'aimait suffisamment pour savoir que son bonheur le rendrait heureux. Elle doutait de ses choix et puis cette question, plutôt cette affirmation sur le fait qu'il soit heureux avec Alie.
Ne pas la faire culpabiliser, lui dire ce qu'il en était. Oui il était heureux, même si heureux ne veut pas dire qu'on ai renoncé à des rêves. Ils sont là en nous, parfois ils nous font sourire parfois douter mais ils nous font vivre. Lui dire qu'il était heureux l'avait semble t il décidée. Et puis elle lui avait fait cet aveu qu'il faisait parti du rêve, de l'inconnu, du fantasme et qu'elle était venue à son bureau dans un but précis. Et il n'y était pas, et maintenant elle avait remercié Aristote de cette absence. Vivre pour ne pas regretter plus tard. Tandis qu'il l'écoutait il ne pouvait s'empêchait de penser lui aussi à ce qui n'avait pas été. Et puis cet autre aveux sur l'éventuelle absence d'Alie qui aurait fait voler en poussière ce présent et ces doutes. Ce triangle qui était né à ce moment précis où tous les trois s'étaient trouvés en présence, et qui depuis gardait jalousement ses secrets, ses non dits, ses doutes et ses bonheurs.

Il l'avait regardé sortir et n'avait pas bougé lorsque Aliénor était revenue s'asseoir à ses côtés. Il avait juste murmuré.


- tout est de ma faute c'est moi qui devrait peut etre partir pour ne plus faire souffrir personne
- si tu pars, tu nous feras souffrir toutes les deux. C'est bizarre, on aurait du se détester et c'est l'inverse, c'est aussi pour ça que c'est difficile
- moi qui ne voulait rien je me retrouve à désirer deux femmes opposées une blonde une brune et je suis heureux avec la blondinette
- et sans doute serais-tu heureux avec la brune si je n'étais pas là


Elle s'était renfrognée, il avait souri. Peut être que si la vie était facile et les sentiments trop plats, serait elle ennuyeuse, et c'était peut être pour ça que certains allaient voir ailleurs. Oui, c'était sûrement pour ça.

Quelques jours plus tard il avait répondu à l'invitation à laquelle il se rendrait, non sans une certaine anxiété, même s'il espérait revoir enfin au bout de nombreux mois, sa suzeraine et amie.

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Merci aux merveilleuses rpistes avec qui je joue
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