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Info:
C'est l'histoire de deux baisers... l'un futur, pour renouer avec le passé, entre une Brune et une future Dame. L'autre présent, pour envisager l'avenir, pourtant orageux, entre un Grand Ecuyer et une Maitre d'arme.

[RP] Retour...

Karyaan
Le devoir nous tient lieu d'épouse
L'honneur de maitresse


[S'effacer...]

C'était une belle journée
De celle qu'on aime à partager. De ces rayons de soleil qui bercent au lieu de bruler. Emprunte de ce silence solennel parce qu'on savoure les heures qui défilent. La vie reprend ses droits, après un hiver où tout sommeillait. L'été écrasant n'est pas encore là. C'est dans ces journées, bien trop rares, qu'on se rend compte que le bonheur est simple, tellement simple.
C'était une belle journée...*


---

[Le Mans - presque un an plus tard]

Ça c'est acquis, y'a pas de souci avec ce fief

Et le temps se figea, alors qu'un poids énorme glissait de ses épaules.
Elle avait réussi. Elle avait réussi...
Voilà les seuls mots qui traversèrent son esprit à ce moment là. Ces mots et ce visage, ce cri abominable en ce matin de printemps il y a quelques mois de ça. Le cri d'un deuil, le cri d'un désespoir, parce qu'encore une fois la mort frappait cette femme qu'elle respectait plus que tout.
Le couperet était tombé juste après. Parce que perdre un être cher ne suffisait pas, il fallait en prime être dépossédé de tout jusqu'à ses racines.
Alors, la petite chose qu'elle était encore à cette époque là, resta spectatrice d'une famille qui s'étiolait encore, d'une famille qui perdait son bastion, ses terres, son histoire. Elle même n'avait rien, plus de parents, aucune terre, et pourtant, cette douleur qui n'était pas sienne, elle la prenait en plein cœur. Ce cri résonnant inexorablement dans son âme. Le cri d'une femme qu'elle servait depuis des années et qu'elle considérait un peu comme sa mère.

Elle restait en retrait, les regardant plier bagage, vendre ce qui pouvait être vendu.
Elle n'avait croisé ses yeux sinoples qu'une seule fois et le vide qui s'y trouvait en devenait abyssal. Cet être si fort, si puissant, si déterminé, cet être pliait sous les coups de butoir d'une vie assassine.
C'est à cet instant là, où ses yeux couleur de brume croisèrent les émeraudes de celle qui était à présent résignée, c'est à cet instant là, que la Sorcière lui fit une promesse silencieuse.
Elle ne les croisa plus ces yeux là. Plus durant des mois. Parce qu'elle était partie sans dire où ni jusqu'à quand. Mais la Brindille grimpa sur cette colline, fixant ce domaine à présent endormi. Tous les jours que ses Dieux faisaient, elle était là, se rappelant pourquoi elle avançait. Pourquoi elle avait fait fit de ses préceptes, de ses interdits.
Pour une promesse. Pour elle.

Et les jours devinrent des semaines, les semaines des mois.
Une décision avait été prise, au début de l'été. Parce que ça n'était pas possible. Parce qu'elle ne pouvait pas abandonner. Faire face pour elle, porter ces blessures et se battre à sa place. Elle qui a tant donné, elle qui a tant sacrifié. Il est grand temps que quelqu'un le fasse pour elle, pour une fois.
Elle lui a déjà donne sa vie. Elle lui donnera aussi plus que ça...
Parce qu'il y a des noms qui ne doivent pas tomber dans l'oublie.
Une décision a été prise, et fin aout la première étape était franchis.
Il fallait tenir, il fallait réussir. Pour elle...
Une décision a été prise et la seconde était passée, dans la douleur des âmes qui se déchirent, parce que si elle n'avait pu poursuivre, elle aurait perdu bien plus que certains pouvaient l'imaginer.

Et elle a tenu la Brindille. Elle a tenu grâce à eux, grâce à lui.
A tel point qu'on lui demanda de continuer. Alors elle continua...

Une décision avait été prise, et elle était devenue Comtesse.
La Sorcière qui rarement sourit.


Ça c'est acquis, y'a pas de souci avec ce fief

Ces mots résonnaient encore dans sa tête en ce matin de fin février.
Comme à chaque fois qu'elle avait un peu de temps, elle allait à son appartement du Mans, voir comment elle allait. Celle qu'elle servait était revenue dans un triste état.
Aucune explication, aucune question n'était posée.
Ne croisant jamais son regard, celle qui était devenue Comtesse, prenait sur le peu de temps qu'elle avait de libre pour soigner ce corps meurtri par des années de sacrifices.
S'échangeant des banalités, l'essentiel était dit. Rien de plus.
Aucune question, aucun sourire.
Deux fantômes qui se croisent, poursuivant une vie en parallèle.
En apparence...

Car jamais elle ne lui a dit.
Jamais elle ne lui a expliqué pourquoi.
Quel était son unique but.
Sait-on jamais qu'elle n'y arrive pas...
Pourquoi donner de faux espoirs à quelqu'un qui a tout perdu ?
Alors elle portera seule le poids de ce choix, de cette décision. Elle avancera seule pour arriver à lui rendre ses racines, ses terres.

En ce matin donc, elle passa comme tous les jours.
En silence, en errance.
Mais ce matin, elle déposa une lettre qui sera découverte bien après son départ.
Une simple lettre sur papier tissé...


Citation:
Rejoignez moi en haut de la colline

S'il vous plait...


Elle savait que ça sera dur pour elle de revenir là. Sur cette colline qui surplombe tout le domaine qu'elle a perdu. Ces terres où reposent bon nombre de sa famille.
Laissant le message, elle était sortie en silence, comme à l'accoutumé.
La Comtesse, ce jour, n'était plus régnante et la veille on lui avait assuré que le fief auquel elle prétendait lui était acquis.
Même si elle le savait, rien était jamais sur en hérauderie.

Depuis son second mandat, elle avait récupéré les clés du domaine.
Elle l'avait ré-ouvert, elle avait recontacté tous les employés qui n'attendaient qu'une chose... revenir un jour.
Ensemble, ils avaient tout remis en état. Ils n'attendaient que deux choses, le retour du beau temps pour retourner aux champs, mais surtout, le retour de celle qu'ils considéraient comme l'unique maitresse des lieux.

Elle se rendit aux cuisines, réinvesties par l'intendante qui n'était plus si bougon que ça. La prévenant, l'angoisse d'un jour J envahie tout le domaine. Allait-elle venir ? Allait-elle revenir ?
Elle leur sourit tour à tour et se rendit en haut de la colline.

C'était une belle journée.
Elle commençait tout juste, la brume glaciale de la nuit se dissipait lentement.
Celle qui n'était plus Régnante du Maine se tenait à présent debout, en haut de cette colline, enveloppée dans sa lourde cape noire, capuche sur le visage, ses yeux rivés sur ce domaine qui à présent lui appartenait.

C'était une belle journée.
Elle avait réussi, la petite chose qu'on surnomme la Brindille.
Elle avait réussi, à présent elle allait devenir Comtesse de Beaumont sur Sarthe.
Elle avait réussi à tenir sa promesse, cette promesse... Rendre le domaine de Léard à la Pivoine, coute que coute !


* Once again...
_________________

"La parole est l'arme du faible, l'épée l'arme du sot, j'ai choisi d'être faible et de m'entourer de sots."
Cerridween
[ Le retour de l'enfant prodigue ]

Où était-elle…

Quelque part.
Guérit-elle ?
Lentement.
Elle a laissé les routes, les missions. Elle a posé ses fontes.
Le retour d’Anjou avait été difficile. Le mot est galvaudé. Elle était revenue épuisée. Les côtes saillantes, la peau sur les os…. La cuisse encore entaillée d’une plaie purulente. Elle avait passé la porte de la petite maison du Mans avant de s’effondrer sur le sol de pierre. Seul le cri de Laïs avait passé ses oreilles.
Elle avait dormi… longtemps.
D’un sommeil de plomb, sans rêve. Elle avait hiberné dans des draps, la journée rythmée par des visages qui passaient quand ses paupières s’ouvraient. Les jours avaient ressemblé aux nuits et les nuits aux jours, dans un temps monocorde, monotone.
Petit à petit, les yeux se sont ouverts plus longtemps… petit à petit, la vie a repris son cours dans les veines, sur les joues qui se sont teinté petit à petit de carmin. Elle a refait un pas dans la vie, lorsqu’elle a pu remarcher.

Tout lui a semblé long.
Mais elle est toujours là. Doucement. Lentement.
Les lignes ont repris leur place… presque frénétiquement. Elle écrit beaucoup. Les souvenirs, des traités, comme si tout était si ténu, si mince et en sursis. Laisser une trace est devenu un devoir. Pour la suite, pour les autres, pour la petite brune qu’elle voit tous les jours et qui s’allie aux rayons du soleil de printemps, pour réchauffer doucement sa vie.

Elle a remis la main sur la garde d’une épée aussi.
Retrouver… les sensations… les douleurs des muscles qui se réveillent… retrouver la transpiration… la mesure… sans démesure. Loin des tracas et du fracas des armes et de la politique, des serments et des alarmes. Elle prend le temps… encore à temps ? La suite le lui dira peut être…

La capitale est devenu le théâtre de son retour feutré. On l’a vu déambuler, de plus en plus souvent, sur la place du marché, silencieuse, sur les remparts, scrutant l’horizon. Secrète et discrète. Son nom s’efface petit à petit des mémoires, et cela sans regret. Le forgeron a reçu une commande récemment, couchée sur un parchemin avec le sceau aux quintefeuilles barré. On cherche depuis peu dans les marchés aux bêtes, un shire qui ferait l’affaire d’un chevalier. Parfois à la lueur descendante du soleil, un troubadour de passage vient toquer à l’huis. Et les notes emportent le jour pendant qu’elle regarde par la fenêtre, les yeux perdus dans un ailleurs.

Et ce jour… est une belle journée. Elle s’annonce d’un bout de rayons qui pointent et viennent lécher les vitres. Elle annonce la tiédeur d’une après midi, qui viendra réveiller la sève des arbres, les pépiements des oiseaux, le début des travaux, les cris du marché qui ne craint plus les frimas et la glace.

Elle annonce…. Trois coups à la porte.
La Pivoine noire se dirige, une chope fumante à la main pour voir qui vient de si bon matin. Il n’est pas connu et à une lettre.

« De la part de Karyaan Lómàlas »

Elle sourit doucement. Elle a suivi la petite devenue Grande, de loin. Quelques visites, des discussions, toujours beaucoup de tendresse.

Le mot est déplié après que le messager soit congédié… et le cœur se perce.


Citation:
Rejoignez moi en haut de la colline

S'il vous plait...

La colline… elle n’y est pas retournée. Elle surplombe tout son passé, tout ce qu’elle a perdu. Un instant la main tremble. Puis la raison revient. Si elle la demande, c’est que l’affaire est grave. Elle sait sa réticence à la mêler à quoi que ce soit « dans son état »… même si l’état est bien meilleur. Elle continue, cette tête de bourrique, à la protéger toujours et si elle demande, supplie même…

La cape est liée sur les épaules, dont l’une a toujours une gangue de cuir, les bottes se lacent et le cheval de sa fille sellé.
Un galop, retenu, l’emporte.
Le rendez vous s’approche.
Elle est là.

Elle met pied à terre et fait une révérence, main gauche sur le cœur, tête baissée et buste droit avec un petit sourire qui garde toujours cette pointe de taquinerie qu’elle lui réserve.


« Votre Grandeur… »

Les yeux gardent obstinément en ligne de mire leur cible. En contrebas, il y a trop de souffrance endormie à regarder.
Elle s’approche vers la brune et demande :


« C’est si grave que tu m’appelles ? »
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Karyaan
[L'ombre d'un espoir posthume... ]

Un galop...
Ses yeux de brume quittèrent le domaine faussement en sommeil, impatient de retrouver celle pour qui, ils étaient tous là et attendaient, fébrilement qu'elle ouvre la lourde grille et s'avance dans la cours.
Dire qu'elle avait rêvé de ce moment là pendant plus de huit mois, était un doux euphémisme.
De galop, l'animal passa au pas pour gravir la colline surplombant toute une vie et plus encore. De pas, il se stoppa et doucement, elle mit pieds à terre. La Brindille reporta alors son attention sur le domaine, comme pour éviter son regard. Ce regard qu'elle ne supporte plus depuis qu'elle l'avait vu si vide et qu'elle lui avait fait cette promesse qu'aujourd'hui, elle pourra tenir.

Doute atroce lui nouant les entrailles.
Comment va-t-elle réagir ?
Acceptera-t-elle ?
Tant de questions, et tous ces souvenirs revenant comme une vague déferlante. Tant de risques pris, tant de sacrifices, tant de mépris encaissés, encore aujourd'hui. Mais tout ça n'est rien à coté de ce regard où le néant se mêle à la résignation de ceux qui ont tout perdu et plus encore.

Elle sourit légèrement à la petite taquinerie. Il n'y a bien qu'elles qui peuvent savoir ce qu'il y a dessous. Tournant son visage de trois quart, toujours incapable de la regarder, elle parla, murmurant presque, d'une voix teintée d'une émotion qu'elle n'arrivait, cette fois-ci, plus à feindre.


Je me suis souvent imaginé cet instant... en fait... à chaque fois que je venais ici pour me rappeler... pourquoi... ?

Silence

Voilà qu'aujourd'hui les mots me manquent...

Léger sourire embarrassé, tant de journées à venir ici, les yeux rivés sur ces terres qui étaient devenues son unique but.
Quand elle doutait.
Quand, épuisée, elle venait pour se souvenir la raison de toutes ses folies.
Quand elle avait du faire un choix... entre elle... et lui... c'est sa promesse qui prit le dessus. Même si ça avait fait mal à s'en déchirer l'âme.
Elle inspira profondément et se retourna, faisant face à celle à qui elle a donné sa vie, un jour de pluie dans un hôtel à Limoges.
Et le silence dura, s'installant confortablement comme une chape de plomb qui s'affale sur terre meuble.
Et pour la première fois depuis presque un an, la brume se noya dans les émeraudes.

Les choses avaient tellement changé depuis ce soir de pluie, où tel un fantôme, celle qu'on surnommera la Brindille, s'était réfugiée sans trop savoir pourquoi dans l'ombre d'un Chevalier qu'elle ne connaissait pas. La vie avait pris des chemins tortueux, marchant en parallèle. Les choses avaient beaucoup changé, mais restaient malgré tout, inexorablement les même. Une promesse, une fidélité sans faille.

Les choses avaient changé, à commencer par la Brindille qui, machinalement passa sa main gauche sur ce ventre qui doucement s'arrondissait. Ouvrant cette lourde cape noire qui cachait le mantel gris d'un Ordre qu'elle n'aurait jamais cru un jour rejoindre.
Les choses avaient changé, mais une chose demeurait toujours ancrée, comme marqué au fer rouge sur peau diaphane. Ce respect, cet estime, cet amour pour cet être meurtri qui à présent lui faisait face.
Comment lui dire ?
Quels mots choisir ?
Elle s'était passée la scène un million de fois dans la tête et à chaque fois c'était différent. Sauf que là, on ne pourrait pas revenir en arrière. On ne pourrait pas rembobiner pour reformuler correctement ces mots si souvent répétés, ces mots qui malgré leur portée, restent abominablement maladroits.

Le silence s'éternisait, le tableau en devenait presque risible. Se lancer était la seule manière logique de toute manière.
Se lancer et... espérer...
Son visage se ferma légèrement, alors que ses yeux se voilèrent d'une peur presque panique. Elle inspira de nouveau profondément, comme pour se donner un courage qu'elle n'a de toute manière pas. Ses yeux rivés aux siens, elle fini par claquer froidement... un peu trop peut-être. Mais bon, l'est pas habituée non plus la Sorcière a tant d'émotion.


Moi, Karyaan Lómàlas, future Comtesse de Beaumont-sur-Sarthe, vous demande à vous, Cerridween de Vergy, si vous accepteriez de devenir Dame de Léard, dès que mon prime hommage sera scellé...

Plus formel que ça, tu crèves. Et elle en grimaça la Brindille. De visage fermé, la voilà devenue petite fille ayant fait une bêtise, gênée à s'en vouloir à crever, d'avoir été si maladroite.

Je... enfin...

Elle fit un pas en avant et lui tendit ces fameuses clés qu'un jour la Pivoine avait du rendre.
Si proche, elle lui sourit tendrement, luttant avec elle-même pour ne pas fondre en larmes de trop de fatigue, de stress, d'émotion.
Murmurant.


Ils vous attendent...
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"La parole est l'arme du faible, l'épée l'arme du sot, j'ai choisi d'être faible et de m'entourer de sots."
Cerridween
Le temps vient de se suspendre...

Les clefs, là tendues…
Elle les regarde.

Il y a quelque chose d’irréel.
Quelque chose qui ne veut pas s’imprimer dans son esprit.
Comme une erreur. Comme une aberration.
Les rétines refusent de voir ce qu’elles regardent.
C'est comme voir un disparu depuis tant d'années, des siècles...
Comme se persuader de ce qui n'existe pas ou ne peut exister.

Elle a fait le deuil de ce coin de Royaume, pas bien grand, qui était à elle et à elle seule.
Ce petit bout de Manoir, de terre, d’une ou deux lieues de long, ce petit havre de paix.
Elle a fait le deuil de tout ce qui était attaché. Les souvenirs depuis ces jeunes printemps. Les souvenirs au-delà. Beaumont. Le soleil. Le temps des contes au coin du feu. Sans fracas. Juste rien que simplement, une vie sans embûche.
Elle avait accepté. Tout ce qui en avait découlé. La mort de celui qui l’avait protégée. Le serment qui avait été fait pour le suivre. Les cicatrices qui s’étaient gravées dans sa chair et bien plus profond. Le rôle qu’elle avait du prendre dans la mesnie. Celui de la détestée, de l’honnie, de la loi. Les pierres tombales qui s’étaient alignées. Et puis le départ…

Et là… là…


Moi, Karyaan Lómàlas, future Comtesse de Beaumont-sur-Sarthe, vous demande à vous, Cerridween de Vergy, si vous accepteriez de devenir Dame de Léard, dès que mon prime hommage sera scellé...

Elle a l’impression d’étouffer. De perdre pied.
Les mots repassent et repassent, comme un murmure de l’au-delà.
Le vertige… le vide sous ses bottes qui s’étend. L’impression que l’univers n’existe plus ou qu’il est trop présent. Tout est si sensible d’un coup. Et ces clefs…
Tout devient clair comme un ciel couvert qui se perce.
Elle a fait tout ça pour… ça…
Elle la connaît trop bien, l’a trop bien suivie, de loin, sans rien dire, avec ce sourire en coin qui traduisait ce « je te l’avais bien dit » qu’elle n’a pas besoin de dire. Elle résout les inconnues, évacue les incompréhension notamment le fait de la voir s’accrocher à ce qui n’était pas son monde. Elle voit comme un temps, lorsque devant elle, elle n’avait que des lettres aux arabesques perdues, l’échiquier en entier qui se révèle.

Les yeux se relèvent alors que la bouche reste ouverte.
Personne ne lui a jamais rien offert de si beau. Personne. Ce sont pourtant des clefs fatiguées, centenaires, qui rouillent un peu. Mais elle tient dans sa main tremblante… une vie.
Le cœur s’emballe et elle tombe à genou.
Elle tombe à genou sur la terre qui a été la sienne.
Elle ne voit plus rien.
Une larme a pointé sur le coin de l’œil. Rejointe par une jumelle.
Et puis une armée… une armée faite de gouttes qui se déverse sans cri.
Elles se déversent. Celles contenues si longtemps. Elles mêlent tout. Les morts, les chagrins, les absences, les douleurs, les sacrifices et les rancœurs. Elles sont aussi pour celle qui est là, agenouillée, amoindrie, amaigrie et diminuée, une revanche, une victoire, celle d’être encore là. Le baptême du renouveau qui mêle la joie et la peine. Elles expriment sans retenue et sans mots pour celle qui s’est toujours tenue au contrôle dans sa vie, la gratitude qu’on ne peut pas dire. Ils ne seraient jamais à la hauteur de ce qu’elle vient de lui donner…

Il faut du temps… du temps avant que les lèvres arrêtent de trembler et endigue le flot qui les couvrent. Mais elles arrivent à s’ouvrir enfin. Et dans un souffle elle peut entendre… ce qu’elle s’était pourtant jurée de ne jamais répéter.


Moi… Cerridween de Vergy… chevalier de l’ordre royal de la Licorne… rendons allégeance à Karyaan Lomalas… nous lui jurons entière fidélité… francs conseils sans ambages ni dissimulation et aide… armée ou non, quel que soit le combat, quelle que soit l'issue et par tous les moyens à notre disposition, pour sa vie ou celle de ceux qui lui sont chers …

Les mains calleuses se sont avancées pour se mettre entre les siennes et attrapent difficilement les clefs dont l’acier froid vient presque brûler les paumes.

Les autres mots, celle qu’elle voudrait pouvoir énoncer… elle lui dira plus tard… un jour… sûrement…

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Karyaan
[L'apnéiste reprend son souffle...]

Tout se met au ralenti, se suspend dans un vole, un battement de cœur.
Les sinoples se posant sur les clés rouillées, un voile d'éternité effleurant une vie qui reprenait une saveur oubliée. Émeraudes qui retrouvent la brume qui n'osait plus se perdre en elles depuis tant de mois. Et doucement une larme perle, puis une autre, et une autre.
Et c'est le cœur de la Brindille qui s'effrite implosant en milles poussières d'une culpabilité qui la fusille quand le corps meurtri et résigné tombe à genoux à ses pieds. Bloquée, incapable de bougée, le souffle coupée. Froid, il fait si froid. Bouche bée, les larmes brulants ses joues diaphanes. Non... non elle ne veut pas, elle ne veut pas, elle n'a pas fait ça pour ça. Et le doute soudain d'un cœur usé, fatigué qui se déchire et s'arrête d'avoir trop donné. Non... tout, tout mais pas ça.
Et ce silence, ce silence si lourd et sinueux comme un serpent qui glisse dans la moiteur putride d'une vie perclus de sacrifices et qui s'en repait, en redemandant encore et encore. Savourant la douleur incandescente qu'il provoque à parcourir les plaies ouvertes qui ne se refermeront jamais. Immonde charognard, jouissant de l'ombre qui ronge, et dévore tout espoir et toute raison.

Silence, alors qu'elle est là la Brindille, fantôme aux yeux de brume, debout devant celle à qui elle a donné sa vie et plus encore. Se noyant dans le vert intense de son regard où le vide a fait place à tant et tant de choses.
Silence, entre deux souffles, passage d'une vie à une autre, comme au sortir d'un tunnel tortueux et froid. Aveuglé par la lumière de ce qui vous arrive en pleine face. Soufflé par le trop plein des émotions.
Tout est ralenti et les secondes en deviennent infinie, les larmes coulent dans une lenteur sublime et pourtant insupportable. Le silence s'affaisse, en devient chape de plombe empêchant toute respiration, comprimant cette poitrine au bord de l'implosion.

Il faut du temps... mais le temps est étirable à l'indicible. En apnée, en attente, en suspend à ces lèvres qui tremblent, à ces yeux où tout s'illumine, comprenant le pourquoi du comment des choix qui ont été fait et des batailles menées. Des coups de gueule parfois, de l'impatience souvent. Ce besoin de soutien qu'elle n'a pas vraiment eu mais tant pis. Si c'était à refaire, elle le referait sans hésiter, juste, juste pour ces mots qui alors sont prononcés, mais surtout pour ceux qui ne le sont pas et qu'elle lit dans ce regard qui reprend vie.

Et comme des milliers de tonnes de fer qui se transforment en courant d'air, tout le poids de ce qu'elle a porté jusqu'à ce jour, s’évanouit quand tremblante, elle prend ces clés, symbole dans tant de choses.
L'apnéiste reprend son souffle...

Doucement, elle s'agenouilla, fouilla dans une de ses poches et en sorti un tissu de lin propre.
A d'autres, elle leur aurait sans aucun doute effleurée le visage pour sécher leurs larmes.
A Elle, la pudeur, la retenue, ce sentiment de n'être peut-être pas grand chose. A Elle, elle lui tend timidement, et lui sourit tendrement. Comme pour la rassurer, calmer ce trop plein de trop.
En silence, toujours, jeu de regards qui sont bien plus parlant que tout autre mot bien fade au regard de ce qu'elle aimerait lui dire. Bien peu de gens pourraient comprendre ce qui la lie à elle. Est-ce important ? non...

Elle posa ses mains sur les siennes, les recouvrant, cocon protecteur de cette clé devenue bien plus qu'un simple sésame ouvrant une grille. Sans quitter ses yeux, les joues inondées de tout ce qui se déverse enfin après tant de retenue, lui souriant toujours tendrement. Elle lui murmura alors, comme dans un souffle.


Par ma vie et celles de ceux qui me suivront, je fais le serment que ces terres resteront votre, à vous, ainsi qu'à ceux qui vous succéderont.
Plus personne ne vous les arrachera. Plus personne...


Elle se leva lentement, gardant ses mains dans les siennes, l'aidant à se relever aussi. Lui souriant d'avantage, un de ces sourires qui éclaire toute une vie, rendant les choses tellement simples. Elle reporta alors son regard sur le domaine, puis de nouveau sur celle qui en redeviendra la Dame dès que tout sera fait dans les règles. Murmurant de nouveau.

Venez... ils vous attendent...

N'attendant pas de réponse, elle l'entraina vers la descente de la colline, attrapant les rênes du cheval au passage. Arrivée à la grille déjà ouverte, elle croisa de nouveau son regard et lui sourit.
La laissant alors franchir le seuil de ses terres, au fur et à mesure que la nouvelle Dame des lieux avançait dans la cours, tous les employés, commis, serviteurs, intendante, cuisiniers, palefreniers, paysans, familles de... sortaient de la bâtisse et venaient à sa rencontre.
Comme le retour de l'enfant prodigue, celui qui n'aurait jamais du partir, celui qui réuni, celui qui veille, celui qui leur donne le goût de vivre. Comme une marée humaine qui se déverse des quatre coins de la cours, les voilà qui la rejoignent pour l'accueillir.
Un garçonnet vint récupérer le cheval et laissa la Comtesse à la grille.
Les choses étaient comme avant ou presque. L'ombre redevenait une ombre et c'était mieux ainsi.
Une dernière fois la brume croisa les sinoples. Plus de néant, plus de vide, plus de résignation. C'était la seule chose qui comptait.
Une dernière fois elle lui sourit et lentement, la Brindille tourna les talons. Laissant la Dame de Léard rentrer chez elle, retrouver sa vie, ses racines, son histoire, sa... famille...

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"La parole est l'arme du faible, l'épée l'arme du sot, j'ai choisi d'être faible et de m'entourer de sots."
Guillaume_de_jeneffe
[Non cogito ergo sum]*

Combien de temps lui avait-il fallu pour prendre sa décision ? Des heures ou des minutes ? Le temps long de la réflexion ou l’instantanéité du coup de tête ? Et pourquoi, surtout ? Il savait qu’il avait encore moins de chance de réussir que de faire vivant le tour de la Bretagne sous un étendard à fleur de lys. Et pourtant, le voici qui le faisait, ce geste déraisonné, si pas déraisonnable. L’Alençonnais était à portée de vue qu’il avait obliqué, prétextant quelque raison plu sou moins crédible à ses compagnons de route. Il avait l’avantage d’être leur supérieur à tous. Grand Escuyer pour l’un, père pour l’autre, patron pour le dernier. Ils n’avaient pas émis de réelle protestation, malgré le dernier accroc au travers duquel ils venaient de passer, non sans douleur. Mais il n’y avait pas eu à bargouiner.

Il s’était senti las, ce matin-là, en apprenant l’affichage de ce monceau d’insanités. Il avait vu les derniers mois se reproduire, et lui promettre à nouveau les mêmes peines et douleurs. Pas de celles que l’on fuyait, pas de celles même auxquelles il voulait échapper, non. De celles qui légitimaient son existence même et lui donnaient encore une raison de s’accrocher à son existence. De celles qui réjouissaient ses fournisseurs en spallières, lames et gambison. De celles qui emplissaient d’aise ses intendants flamands qui n’en demandaient pas temps pour arrondir leurs propriétés, à défaut de leurs fins de mois. Il les sanctionnait, certes, mais en son absence, c’était un véritable travail de Sisyphe entrepris encore et encore. Mais malgré cela, il en avait son saoul. Fallait-il donc que cela n’ait jamais de fin ? Pour une des premières fois de son existence, il s’était senti las et découragé, peut-être. Certes ses échanges tout emplis d’une aigreur à moitié feinte avec la Sombre lui avaient mis quelque baume au cœur, mais ça n’avait eu qu’un temps. Trop court. Il était en représentation, encore et toujours. Et même si la moral de sa dignité refusait et proscrivait la dissimulation, les longues années de son existence lui avaient fait voir combien ce commandement devait souffrir des exceptions. Il s’y entendait à merveille, aujourd’hui, à faire voir sur sa face le contraire de ce qu’il pensait vraiment, ou parfois ce qu’il pensait vraiment, tout en convaincant ses interlocuteurs que ce qu’il pensait était le contraire de ce qu’il montrait. Mais cela n’était plus possible aujourd’hui. Il lui fallait baisser la garde, une fois. Et il n’avait pu le faire, comme à son habitude, sur quelque muraille éloignée de l’agitation urbaine.

Le frison avait été éperonné et envoyé sur la route du sud-ouest. Oh, un petit sud-ouest, de ceux qui ne vous font pas franchir ce marquer de l’équateur qu’était la Loire. De ceux qui, de plus, vous ramenait sur le lieu de vos guerres, sur des lieux que vous fréquentiez plus que vos légitimes possessions. Sur des lieux où, bizarrement ou non, il se sentait chez lui. Un comté qui de terre méprisée par beaucoup était devenu une province que l’on considérait désormais à toute autre enseigne. Preuve que joindre politique et chevalerie ne pouvait être entièrement mauvais. Armé très légèrement, sa fille avait dit trop, il ne portait qu’une brigandine cloutée, la tête nue se faisait fouetté par le vent pendant que ses gants enserraient les rênes de sa monture. La pauvre bête giclait de la bave à chaque foulée mais le chevalier ne baissait pas la cadence, n’entendait d’ailleurs pas la baisser. Il connaissait ses routes, et ne craignait plus s’y perdre, désormais. Et il savait que l’étalon n’en aurait plus pour longtemps à souffler. Aussi négligea-t-il de faire une halte au ruisseau pour piquer une dernière fois, plus vigoureusement encore.

Le manoir se dessinait à ses yeux toujours bleus malgré les années de guerre et de veille. Tapotant l’encolure de l’animal, il lui glissa quelques mots à l’oreille, de cette étrange langue du nord qu’il maniait avec une certaine aisance.
« Ga, ga, twee minuten. En water »**. Inutile d’en dire plus, de toute façon le cheval ne parlait pas flamand. Mais le son de la langue semblait le rasséréner et il franchit les dernières encablures du chemin comme une flèche, arrachant un sourire au cavalier qui le ralentit alors qu’ils étaient à portée de voix de la ferme fortifiée nouvellement reçue par la Rousse. Il l’avait su avant elle, d’ailleurs, qu’elle retrouverait Léard. Mais n’en avait pipé mot. Cela ne le regardait pas, avait-il pensé, à l’époque. Il n’avait pas pour autant oublié et aujourd’hui, il en trouvait l’usage, de cette information. Sortant son collier de ses fontes, il l’exhiba à la face de l’homme qui l’empêchait d’entrer dans la cour. Non qu’il s’agisse là d’un garde particulièrement farouche mais plutôt que la charrette qu’il dirigeait se trouvait bien dans le chemin. La courtoisie vis-à-vis des plus humbles, dont il avait été, en somme.

« Guillaume de Jeneffe, Chevalier de la Licorne. Ta maîtresse est là, je crois ».

Tout ça lancé d’un ton qui semblait ne pas souffrir l’incertitude. Alors que c’était bien une question qu’il se posait en lui-même. Il avait fait le chemin sans être certain que ce ne soit pas en vain. Dissimulation, une fois de plus.

- Ouais.

Ca avait marché. Et déjà le gars accélérait la manœuvre pour ouvrir la voie au « grand du royaume » ainsi qu’on l’avait récemment nommé. Au pas, le couple homme-cheval entra dans la cour vaguement pavée. Ou plutôt qui le fut un jour. Mais il ne se souciait pas de cela. Il glissa de cheval, héla un jeune homme et lui confia sa monture, non sans lui demander comment rencontrer la dame de Léard. On lui désigna, non sans hausser le sourcil au terme « dame de Léard », l’une des ailes, à l’étage. En quelques pas, il fut à la dite aile, pénétra dans une salle qui cumulait visiblement les utilisations puisque l’on y voyait pêle-mêle gros in-folio et parures de cuir clouté. « Des trucs d’herbe » songea-t-il dans un sourire, avant de prendre le chemin de l’étage. Normalement, il devrait trouver une porte et il y toquerait…

* Je ne pense pas donc je suis.
** Va, va, deux minutes. Et de l'eau.

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Cerridween
Mais foutredieu c’est pas possible ! Qui a tenu ce registre ?

Droit comme un piquet sur le plancher de la chambrée dont le vaste bureau est rempli de parchemins, le contremaître, arborant toujours son ventre proéminent et sa barbe poivre et sel, ses grosses paluches de forçat de la hache dans le dos, essaie de ne pas rire.

Non mais, sincèrement Alfred, sincèrement, regardez… ça a été aussi bien écrit que Feu Nebisa était chaste !

Le contremaitre, le sourire sous barbe, de prendre un air outré… sachant qu’il va sciemment déclencher un orage.

Ma dame, voyons, c’était la Reyne…

La Pivoine se retourne de sa chaise d’un trait en fusillant Alfred du regard et en le menaçant sa plume.

Ah non hein… je vous ai déjà dit... celui qui m'appelle "Ma Dame", je le fais pendre par les ... au mat de cocagne ! Quant à la défendre, vous risquez gros ! Reyne ou pas, je peux vous dire que ses cuisses étaient aussi visitées que Notre Dame. Tous les marmots, bâtards ou pas, vous pensez qu'elle les a eu comment ? Grâce à l'Immaculée Conception ??

Le contremaitre de partir d’un grand rire, en mettant ses mains sur sa large taille.

Ca fait du bien de vous revoir, Chevalier.


Le sourire en coin se peint sur les lèvres de la Pivoine qui le regarde avec un air faussement boudeur.

Vous… vous ne perdez rien pour attendre… d’ailleurs….


Elle le regarde un instant…

Vu que vous avez tenu ces registres de la plus odieuses des façons, je vais vous donner des cours d’écriture… ça me fera moins perdre de temps par la suite !

Le contremaitre vient de la regarder avec une tête d’une bonne toise…

Non…

Sourire qui se veut encore plus taquin.

Oh si… et surtout parce que je compte bien un jour repartir en mission… et qu’il me faut un intendant… et vous avez toutes les qualités pour ça… sauf l’art de former des lettres visibles !

En plus de la tête qui s’était allongée, le contremaître a maintenant les yeux agrandissant version assiette (la soucoupe,étant à ce stade, largement dépassée).

Mais euh… c’est…
- reprenant contenance – pas tout de suite, chevalier, pas tout de suite. D’abord vous êtes encore pas bien épaisse et puis votre jambe aussi, hein oui, votre jambe, elle vient juste de se remettre, le médicastre l’a bien dit… donc les chemins pas pour tout de suite parce que…

Trois coups, qui ne se savent pas salvateurs encore, frappent à la porte.

ENTREZ !

Après avoir hurler son ordre et rit à devant l’embarras de son contremaitre, la Pivoine se repenche sur son registre en continuant, ne tenant pas compte de l’identité du visiteur, qu’elle pense un des paysans ou un des ouvriers qui vient demander quelque chose ou rendre un rapport sur une tâche (non je ne parlais pas de Guillaume).

Evitez donc de me faire réprimandes, mon cher contremaitre, car j’ai déjà la cuisinière pour ça qui veut m’engraisser comme les oies du poulailler… ah oui, faites attention de bien couper l’arpent que nous avions repérer… le temps que le bois soit sec, on en a jusqu’au calandes et évitons les dépenses inutiles en en faisant importer… et pensez aussi à faire commande de nouvelles scies, la trésorerie bien que laissée un temps à l’abandon, devrait nous le permettre, si on prend en compte la laine que nous iront vendre au Mans… et …

Elle relève la tête pour regarder l’entrant et s’arrête, bouche bée.

Diantre…

Elle reste là, à regarder le Grand Ecuyer, comme voyant une apparition. Alfred regarde avec un étonnement certain, celui qui a coupé la chique à la presque maîtresse des lieux, en faisant une simple mais respectueuse révérence.

Mais que faites-vous ici ? Mais…

Elle essuie ses mains sur son doublet, qui semble plus que vieillissant, qui lui sert en ce moment pour tous les travaux réveillant Léard, et qui trahit l'activité, par la poussière, la paille et autres copeaux, ouvert sur une chemise qui en a vu des vertes et des pas mures. Elle se lève lentement. Cette fois, c’est elle qui est prise au dépourvu. A Alfred de sourire en coin et de prendre congés en disant qu’il reviendra, hein.

Elle tire une chaise pour le Grand Ecuyer et se dirige dans un coffre pour en tirer une bouteille.


Vous savez bien que je déteste les surprises…


Elle débouche et sert deux verres qu’elle a préalablement été cherché en inspectant le chevalier.

Mais on dirait que vous arrivez d'une traite des Flandres ma parole… c’est si grave que ça ?


Le sourire se veut railleur.... les pensées qui lui viennent, elles, ne le sont pas.
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Guillaume_de_jeneffe
Normalement, il aurait souri devant cette scène. En aurait conçu quelques saillies pour les resservir ensuite, à l’occasion. Là, il s’est contenté de simplement étirer une fine grimace en coin qui peut passer pour un sourire auprès de ceux qui ne le connaissent pas. Même auprès de ceux qui le connaissent, peut-être. S’y joint simplement une légère dose de fatigue. Comme s’il était trop dur de réellement rire de la situation. Entendre la Tyran s’occuper d’arpents, de registres et autres joyeusetés si éloignées de la parade en quarte et de la quintaine, voila qui aurait fait s’esbaudir pendant des lunes tout ce que Ryes comptait de sœurs et de frères impressionnables. Et Dieu sait que devant elle nombre le sont. Mais lui n’y prête pas réellement attention. Peut-être pour être déjà venu à Léard il y a plusieurs mois. Peut-être pour lui-même pratiquer ces tâches lorsqu’on le laisse en paix.

Il salue le contremaître sans réellement lui prêter attention. C’est tout au plus une ombre qui lui passe devant, pour mieux disparaître ensuite. Peut-être, plus tard, aura-t-il autre attitude. Pour l’instant, c’est au chevalier de Vergy qu’il s’adresse, uniquement. Il laisse le silence s’installer entre eux, un moment, un long moment. Il prend le temps d’écouter sa respiration. Non, celle-ci ne trahit rien. Son apparence, c’est autre chose, elle le lui indique elle-même, avec le même aplomb qu’autrefois. Directe et sans chichi, à cent lieues de nombre des femmes qu’il fréquente d’habitude. Le silence le repose, aussi. Même si ce n’est pas lui qu’il est venu chercher ici. Pour avoir du silence, un monastère eut fait l’affaire. Non, il allait devoir parler.

Le sourire à l’arrivée de l’alcoolisé récipient est plus sincère, lui.


- Le merci, chevalier.

À cent lieues des courtisaneries, on vous a dit. Il le contemple un instant, le fait rouler, plus par réflexe que pour réellement le jauger, et en avale une longue gorgée. Repose le verre ensuite. Laisse échapper un soupir.

« Ils veulent recommencer. La guerre. À nouveau. Bouillon. Il se dit roi de France. Il appelle à la révolte. On a pas encore de paix. Les félons la repoussent. On propose et ils nous moquent. Ils n’ont peut-être pas tort. Mais lui. Que veut-il ? Ne peut-il accepter sa défaite ? Veut-il vraiment tout abattre ? Et qui la fera ? Qui combattra encore pour un Royaume que tous conchient. On les aide, c’est de l’ingérence. On leur fait confiance, ils se disent abandonnés. Et. La guerre. Qui ? Pourquoi ? Où ? ».

Toutes les phrases avaient été entrecoupées de silence. Elles ne sortaient pas avec sa faconde habituelle. Tout était différent. Il ne l’avait même pas regardée vraiment, laissant ses prunelles errer dans le vide. Mais le silence se fait trop lourd pour lui. Alors il la regarde, remontant de ses genoux à sa tête. Non pour la détailler comme un prédateur qu’il savait et pouvait être – ses sœurs n’avaient jamais vraiment eu de sexe à ses yeux – mais bien parce qu’il voulait se raccrocher à quelque chose.

Mais ce quelque chose était brisé. Pour le moins. Amaigrie, fatiguée, même si certainement moins que lui. Et que savait-il encore ?

Il eut un petit rire triste.


« Quelle triste figure nous avons, n’est-ce pas, chevalier ? »
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Cerridween
Elle l’a su.

A la minute où elle s’est assise.

Parce qu’elle a prit le temps de le regarder, en délaissant sa réaction de protection devant l'intrusion surprise. Le vieux chevalier, cet ami maintenant, même si une part de lui restait maître, de ces maitres dont on a le respect simple mais sincère, à vie… il est... il a ... La mine grave, le port lourd, la fatigue palpable. Mais ce n’est pas la chevauchée, non. Il y a autre chose. Quelque chose qui transpire dans le silence qui plombe lentement la pièce qui, quelques instants auparavant, était agitée de rire et d’entrain.

Elle retient son souffle comme pour ne rien briser. La paix du moment semble si précaire… si ténue… Il a les yeux dans le vide. Et elle ne dit rien. Elle sait que la confession va venir. Elle n’en connait juste pas la teneur, la couleur. Mais elle la sent aigre. Acide. Sa phrase dite avec presque humour, devient d’un coup douloureusement prémonitoire. Elle attend. Comme on attend le couperet. Égoïstement, dans un coin de sa tête, elle voudrait que ce silence ne finisse jamais. Parce qu’elle sait que s’il est là, après tous ces mois de solitude, sans visite, c’est que l’heure du devoir, comme un funeste glas, a sonné. Mais le visage de Guillaume est en train de lui pétrifier le cœur.

Il avait dans les yeux, ce pétillement endormi parfois, jamais éteint, ce quelque chose qui brillait sous la cendre. Ce quelque chose était brisé. Pour le moins. Désabusé, fatigué, même si certainement moins qu’elle. Elle ne sait pas encore. Et elle se demande, là, dans le silence qui se fait oppressant, si elle veut savoir vraiment, tellement ce changement la perturbe… ce n’est pas… plus… le Guillaume qu’elle a toujours connu.

Son soupir rompt la trêve précaire et le temps, un instant suspendu, reprend son cours.

Difficilement.

Il annonce… comme on rentre à pas feutré dans une pièce de peur de déranger… il annonce l’ampleur du désastre. Le ton, la façon, est en train de lui faire mal. Car maintenant elle perçoit les cicatrices, seulement devinées. Elle entend, elle entend cette détresse, cachée par cette pudeur qui n’appartient qu’à lui. Mais elle sent ce vide sous ces pieds. Un vide insondable qui est en train de s’étirer. Il dit le vide de sens … le vide de sens qu’elle perçoit ces dernières années sans le nommer. La fin des chimères telles qu’il les ont connues.

Ils sont en train de les amputer. De les amputer de tout. Car le devoir leur tient lieu d’épouse et l’honneur de maîtresse, et qu’ils ont à toutes deux, donner leur vie, leur sang, leur sueur et beaucoup de larmes cachés au creux des nuits. Ils sont en train de les détruire, sans ménagement. Car il ne dit pas ce qu’elle l’entend pourtant hurler. Il faudra, tôt ou tard choisir. Et cela, cela est impossible. Il faudra en sus, se battre contre ceux qu’ils ont connus, avec qui ils ont tirés la lame, sur des remparts, sur des champs de batailles ou des lices. Il allait falloir devenir fratricides surement. Sans équivoque. Et se battre pour une cause qui n’est pas la leur, qui ne l’a jamais été. La leur, le bien du Royaume, l’équilibre, va être foulé au pied, dans une lutte qui parait absurde. Elle voudrait croire à une mauvaise blague, elle voudrait penser que ce foutu crétin d’Eusaias a prit cette décision un peu trop tourmenté par le vin de Bourgogne . Mais tout chez cet ancien Grand Maître est trop tout, trop poignant, trop chagrin, trop affecté pour laisser l’ombre d’un doute.

Il se tait… il la regarde. Et le rire qui fuse, trahissant tout le désespoir du monde, finit de l’achever.


Quelle triste figure nous avons, n’est-ce pas, chevalier ?

Elle ne peut pas sourire. Elle ne peut rien dire. Il y a juste son corps qui s’avance et ses mains qui prennent entre leurs paumes, la main fatiguée et abimée par le poids d’un devoir assassiné et piétiné. Et elle la serre.

Elle ne peut avoir de mots rassurants. Ce serait presque une insulte. Ce serait nier, se serait se dérober. Elle ne peut pas. Pas pour lui, pas devant lui. Elle honnit le mensonge de manière générale, alors pour un de ceux qu’elle considère Grand, non au regard du titre, mais des faits d’armes, de l’engagement et de la droiture, non… Non. Jamais elle ne se permettrait.

La pièce reste silencieuse et figée alors que dehors le bruit des outils, le grincement des charettes et les cris contrastent de vie et d’allégresse. Elle s’entend penser que peut être… ils ne dureront pas.

Rester pragmatique. Elle ne peut faire que ça. Pour l’instant, sombrer avec lui ne lui serait d’aucun secours. Elle lui doit. Pour toutes les fois où il a été une épaule secourable et attentive.


Je sais le Blanc Combaz impulsif… mais il n’est pas idiot… pourquoi cette décision ? cette folie ? … Ce ne peut être son seul ego... quoi que je sais que le pouvoir fait tourner bien souvent la tête des hommes... a-t-il des arguments pour revendiquer la Couronne ?


Elle reste un instant silencieuse, les yeux trahissant les pensées qui passent et qui échaffaudent… les théories, les stratégies…

Nous ne pouvons prendre de décisions sans tout connaître… les tenants et les aboutissants… les arguments et les doléances d’Eusaias…. Ce que fera la Couronne aussi… parce que la défendre ne se fera pas à tout prix… comme on ne pourra s'engager dans un camps de toute façon sans conséquences... si nous mettons un pied dans un engrenage pourri, Guillaume, le peu de chances qu’il nous reste d’en sortir sera broyé jusqu’à la lie…

Elle remonte ses yeux vers le visage triste. Elle soupire à son tour. C'est la fin Pivoine... la fin de la tranquilité... la fin des journées sans heurts, ni décisions douloureuses à prendre. C'est ainsi. Cela allait bien finir par arriver... tu n'avais presque plus de cicatrices...

Elle serre les doigts encore une fois avant de murmurer.


Dites moi juste, chevalier, comment je puis vous être utile… vous me l’avez demandé jadis. Vous l’avez fait. A moi de vous rendre de votre pièce, la monnaie. Et prenez la sans mégoter, je sais que le prix que vous y avez mis, fut lourd à porter…
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Guillaume_de_jeneffe
Il n’avait pas tremblé, quand elle lui avait saisi la main. Tout au plus s’était-il senti les sens quelque peu réchauffés, plus qu’échauffés. Quelqu’un à qui se confier. Quelqu’un qui ne chercherait pas à le ménager mais qui lui parlerait comme il pourrait le faire, lui, si d’autres venaient à le voir. Mais le faire pour lui, il n’en était plus capable, cette fois. Pourquoi elle se demandait-il alors qu’il gardait le silence et devinait les pulsations de son cœur au travers des mains qui se voulaient réconfortantes ? Pourquoi une jeunette ? Pourquoi une de celles qu’il avait créées écuyères, il y a des années de cela ? Pourquoi pas de plus vieux, de plus expérimentés ? Les réponses n’étaient qu’une seule, au fond. Elle se balançait le long d’une chaîne d’or et de gueules et brillait d’argent. Il ne pourrait en parler à d’autres, ils ne comprendraient pas. Et ses mentors, et ses amis qui avec lui avait été adoubés, tous étaient tombés. Elle portait ces quintefeuilles, enfin. Ces fameuses quintefeuilles qui même barrées de sable resplendissaient de leur or séculaire. Il en avait toujours été proche, peut-être plus que de toutes les autres armes dont se paraient ses frères. Et elle l’avait perdu sur un chemin d’hiver… Plus rien n’avait été pareil depuis. Elle avait été brisée comme lui l’avait été. Par la perte de cette famille découverte à l’ombre des créneaux, d’une forteresse ou d’une ville d’Oc. Deux êtres brisés, portant tous deux la barre de bâtardise.

Ç’avait été une évidence lorsque la décision fut prise de chevaucher une fois ce texte découvert et ses conséquences devinées. Elle. Simplement.

Et elle tente de le conforter, comme il l’avait désiré, certainement. Mais elle applique le mauvais remède. Celui de la raison, celui qu’il pratique toujours, ou presque. Comprendre l’Autre, le raisonner ou savoir comment le combattre, voire le vaincre. Il avait déjà répondu à ces questions. Et c’étaient ses réponses, aussi, qui l’avaient navré de plusieurs morsures.

C’est vivement qu’il retire sa main et se lève. Elle a versé le sel sur les plaies encore saignantes des serres du corbeau. Il est autre. Colère brille en ses prunelles quand il tempête.


- Pourquoi ? Mais parce qu’il a perdu. Il n’a aucune raison. Il se dit le légitime roi de France. Accuse VonAfred d’usurper. Mais en vertu de quoi ? De qui ? Rien. Pas un mot. Les voix ont été comptées. Partout. Et le résultat est celui-là. Il n’est pas roi. Il reste duc de Bouillon et seigneur d’une flopée de terres. Plus que ce que je n’en aurais jamais. Rien. Aucune logique. Il veut le trône. Voila tout. Pour peupler le Louvre des brigands vassaux de sa femme je suppose.

Et il s’était laissé retombé sur la chaise qu’elle lui avait offerte. Comme si son énergie avait disparu, pour un temps. Il était mouvement, et ne cesserait de l’être que quand son corps serait froid comme la pierre sous laquelle il reposerait pour l’éternité. Mais en ce moment, le mouvement se reconstruisait. Et c’est presque immobile, ses lèvres seules s’agitant pour parler, qu’il poursuivit.

« L’engrenage est pourri depuis… Que sais-je depuis quand ? Depuis que les Champenois ont voulu jeter le roi à bas de son trône et qu’il a fallu le conduire, les armes à la main, se faire sacrer à Reims ? » raccourci sémantique certain, certes, comme quoi la rhétorique ne disparaissait jamais vraiment « Depuis que les Bretons ont voulu se donner un autre souverain que Paris ? Depuis qu’il a résigné son trône pour en faire l’enjeu d’un jeu qui nous a déjà ravi deux reines en moins d’un an ? Nous sommes déjà broyés, chevalier. Regardez-vous. Regardez-nous. Vous pourriez être encore souriante, courant au travers des blés votre fille à la main. Vous pourriez faire prospérer votre domaine et rendre la justice à l’ombre de votre tour. Je pourrais faire venir jongleurs et montreurs d’ours à Marchiennes, une épouse à mes côtés et une fille riante pour nous égayer les oreilles. Nous n’avons pas le choix, car nous l’avons refusé, ce choix ».

Le mot était lâché, la sanction tombée. Il venait de mettre le doigt là où il se refusait à appuyer.

« Nous allons servir, encore, je gage. Servir ou mourir deviendra servir et mourir. Je ne sais même trop si vous pouvez encore m’aider. Il est trop tard pour cela. S’il avait fallu m’aider, c’était en me repoussant de France, en m’obligeant à rester en Liège et à y vivre la vie de mes aïeux. Une ferme ou un atelier, dans la riante campagne, et j’eus fini heureux. Médiocre en regard des ors dont s’ornent les châteaux où je suis convié, mais loin de ce chaos ».

Une nouvelle fois, il se relève. Mais il n’a plus la colère qui l’animait quelques instants plus tôt. Envolée. Disparue. Il n’en pose pas moins le regard sur elle, sur cette petite sœur qu’un jour on lui interdit d’approcher, par crainte pour sa vertu. Il en aurait souri, s’il y avait pensé en ce moment. Mais il était bien loin de cela, maintenant.

« Il est trop tard. Pour moi. Non. Pensez à elle. Protégez la. La Couronne, même foulée aux pieds, demeurera, tant certains lorgnent le prestige avec plus d’avidité qu’un Flamand une bière. Elle se relèvera toujours, si Dieu le veut. Votre fille, elle, court d’autres risques ».

Il la surplombe, maintenant, de ses six pieds, mais n’a pas quitté son regard au long de cette dernière phrase.

« La monnaie. Rien. Je ne cherche pas remboursement. Ce que j’ai donné, je le redonnerai, dès qu’il le faudra. Non. Un sourire de vous, simplement. Comme jadis le chevalier errant le demandait à sa Dame. Qu’un peu de ce monde survive encore… un peu… »
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Cerridween
Sa réaction est un soufflet… un soufflet glacial…

Elle était à moitié séparée en deux.
Comme toujours. Une part qui est présente, une part qui cherche. Ils sont plusieurs à lui avoir appris à faire une chose et en penser d’autres tout en analysant la situation, à réagir vite, à savoir jouer aux échecs, car la terre du Royaume y ressemblait souvent. Savoir lire le jeu, le style, les attaques, prévoir celles à venir, les changements de camps. Il y en a même un qui a joué avec elle.
Blanc et Noir. Il semble maintenant, une illusion, un rêve…

Et le discours se dévide… elle le sait… Il ne lui apprend rien… mais des mots lui écorchent les oreilles…

Une des mains se serre pour essayer d’endiguer ce qui monte en elle.

Et il continue… il continue… le rouge commence à monter sur les joues. Elle batifolant dans les champs… penser à sa fille… faire attention… ne plus rien faire pour lui… trop tard… et…


La monnaie. Rien. Je ne cherche pas remboursement. Ce que j’ai donné, je le redonnerai, dès qu’il le faudra. Non. Un sourire de vous, simplement. Comme jadis le chevalier errant le demandait à sa Dame. Qu’un peu de ce monde survive encore… un peu…

Elle s’est levée d’un trait à en renverser la chaise.

Les émeraudes sont devenues vipère. Au tréfonds de ses entrailles, là, elle boue. Cette force noire… elle ne sortira pas, pas contre lui, mais elle tambourine à ses tempes. La respiration est presque sifflante et les yeux ne quitteront pas les siens.

L’aplomb du chevalier existe encore un peu de part la différence de carrure. Mais elle vient de grandir de fureur et de révolte.


Je ne vous... permets pas…

Les mots sont hachés, le ton n’est pas avenant… bien au contraire.

Vous rendez vous compte de ce que vous me demandez ?

La phrase a tonné dans la pièce.

Un sourire ??! Un sourire alors que vous me demandez de vous abandonner en quittant le navire et le regarder sombrer ? Et cette suffisance, carrez vous la où bon vous semble, mais n’en usez pas avec moi. Si j’ai proposé mon aide, ce n’est pas qu’une question de dette… c’est à un ami que je croyais parler. A celui qui a été là, quand j’étais au plus mal et qui a pris sur lui de faire ce que je ne pouvais pas faire… alors je n’ai que faire de votre pitié déguisée en bon sentiment…


Elle reprend un instant son souffle.


Car si vous voulez vous donnez bon sentiment, vous frappez à la mauvaise porte. Que croyez-vous, Guillaume ? Que je ne sais pas que j’ai perdu beaucoup de chose quand le matin mon visage croise un miroir ? Ne croyez vous pas que je sais dans ma chair, mes os et mon âme combien j’ai subi de fracas ?

Elle arrache le pan de chemise sur son épaule droite pour dévoiler le maintien de cuir d’où s’échappe, lézardant la peau, le début d’une cicatrice.

J’ai eu mal, j’ai mal et j’aurai encore mal…. Plus que la plupart, surement moins que quelques uns. Si j’ai fait le choix de prêter ce serment, à genoux et devant vous en sus, c’est que j’en acceptais les risques et les conséquences. La Licorne n’est pas une jolie garde endimanchée qui se pavane en cours du Louvre. Mais diantre, quelle découverte !

Le petit rire est urticant…

Et vous pensez sincèrement que ma fille n’occupe pas chacune de mes pensées à chaque jour et chaque heure que le Très-Haut m’octroie ? Je pourrai être avec elle, oui… mais qu’ai-je à lui offrir hormis mon tortil ? Je n’ai pas le luxe de la vie oisive. Je suis fille mère et bâtarde par-dessus le marché. Ce que vous prenez pour un serment de conte de fée est ma réalité et aussi mon gagne pain Guillaume. De façon pragmatique. Et même au-delà…. J’ai promis de défendre le Royaume et c’est elle que je protège aussi… comme tous ceux qui sont ici !


Elle le tire par le bras pour l’approcher de la fenêtre ouverte et le forcer à voir… elle est devenu silencieuse et les regards sont tournés vers la fenêtre, gênés pour la plupart… elle lui murmure à l’oreille.

Allez y, Guillaume… dites leur… dites leur que pour ma sécurité et votre tranquillité d'esprit, je vais rester ici les bras croisés. Ils seront en ligne de mire… nous sommes à la croisée de la Bretagne et de l’Anjou en domaine royal, ils n’ont rien à craindre d’armées qui pourraient se déverser… et surtout, si des armées rebelles revendiquent les terres de la Couronne, ils seront les premiers visés… mais ce n’est pas grave, le Chevalier de Vergy se sera reposé. Dites leur que parce que je suis fatiguée, je ne lèverai pas le poing et que je regarderai les flammes détruire Léard … nous ne sommes pas dans un castel ici, Grand Ecuyer… si une armée arrive, elle engloutira ces terres en une bouchée… et ce n’est pas moi qui vais vous expliquer ce que les soudards font aux jeunes filles… des jeunes filles d’une quinzaine d’années…

Elle lui lâche le bras et fait quelques pas rageurs avant de se retourner.


Vous n’avez pas le droit ! Pas le droit de me demander de rester immobile, après tout ce que j’ai fait, tous ceux que j’ai vu tomber et de me demander de vous laisser mourir parce que vous avez décidé qu’il était trop tard pour sauver quoi que ce soit…

Elle se rapproche d’un pas ferme pour se porter devant lui.


Si vous vouliez m’épargner, comme vous me suggériez que le meilleur moyen de vous préserver était de vous envoyer en Flandres en temps imparti, et bien il ne fallait pas me laisser entrer à Ryes ! Car vous saviez plus que quiconque ce que j'allais endurer !

L’ire se mêle au chagrin et des larmes rageuses coulent... seule la voix s'est un peu apaisée et murmure avec conviction...

Alors avec ou sans votre permission… il est hors de question… que je renonce à ce que tant d’autres et moi-même avons mis une vie à construire et sauver… ni que je vous abandonne…
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Guillaume_de_jeneffe
Il l’avait vue se lever et tempêter. Il l’avait vue crier, le crier et lui reprocher ses dires. Il l’avait compris, au fond même de son âme. Dès qu’elle lui avait répondu, il voyait combien ses propres paroles pouvaient sonner faux. Pourquoi donc se montrait-il si médiocre avec ses véritables proches ? Pourquoi donc leur offrait-il un flanc prêt à être déchiqueté par leurs justes critiques ? Et les mots de la Mainoise avaient eu raison de ses dernières espérances. Avait-il frappé faux ? Avait-elle mécompris ? Il ne le savait guère et ne cherchait pas à comprendre, cette fois. Il avait fait fausse route, voila tout ce qui importait. Elle ne comprenait pas ce qu’il lui disait, lui qui pourtant ne voulait qu’abandonner les circonvolutions locutoires.

Il quitta son regard, aussi, car il voulait voir autre chose. Un regard cerné de boucles d’ébène. Ce regard qui lui souriait, avant. Il l’avait jetée vers la tombe, sa fille le lui rappelait assez. Il l’avait abandonnée comme il avait délaissé la France. Pour quoi ? Pour rien. Pour rembourser ce que personne ne voulait le voir payer. Pour ces raisons, il avait passé des années loin de sa vie, comme un autre. Et ce fut cet autre qui jeta le malheur sur sa maison. Cet autre qu’il était devenu en pleine connaissance de cause. Et aujourd’hui, alors qu’il était redevenu le chevalier de Jeneffe, il parvenait à faire aussi mal à la Pivoine qui ne fleurit plus qu’à la Rose noyée dans le gris de sa folie. Que faisait-il à ainsi l’humilier ? Il se laissa conduire, alors, là où la Dame de Léard entendait le mener et l’exhiber à la société de ses sujets. Il regarda, et devina ce qui avait encore été tu, pour l’instant. Il la vit s’éloigner, et revenir. Il s’entendit lui répondre, aussi. Mais il avait vacillé en son for intérieur.
« Ni que je vous abandonne », avait-elle conclu.

- Chevalier, vous ne comprenez pas, judicieux, ça, tiens, d’envoyer à la face d’un femme en colère qu’elle entravait rien à rien, vous n’entendez pas ce que je vous dis. Vous ne reculerez pas, je le sais. Dus-je en être fier que je le suis, malgré les écueils que cela vous fait affronter chaque jour que Dieu fait. Eus-je pensé que vous ne saviez pas comment défendre une terre ou une famille que je ne serais certainement pas ici. Je ne me veux pas sacrifier sans raison. Ni vous contraindre à abandonner ce qui nous fait.

Elle pleure. Pas lui. Il en faudrait plus. Bien plus. Mais il essuie ces perles de pluie venues d’un pays où il ne pleut plus guère, renforcé, immunisé contre l’émotion. Ses pouces se collent à chaque fois à ce visage qui pourrait séduire des hordes de courtisans s’il n’était marqué d’une large balafre, s’il n’avait été sculpté par les heures de garde sous la neige, la pluie, le vent, le soleil, l’hiver et l’été. S’il ne s’était éloigné, progressivement, des canons de la beauté du temps. Elle n’est pas laide pour autant. Loin s’en faut. Mais qui le remarque encore quand elle va ornée de plates sur un robuste Shire ?

« Je ne vous demande pas le renoncement, chevalier. Je ne vous demande pas d’abandonner les armes pour votre confort personnel et de vous isoler loin de la fureur et des larmes. Le ferais-je que je ne vaudrais guère mieux que ces nobles de pacotille qui se plaignent dès qu’ils ne mangent pas du cochon de lait tous les soirs lorsqu’ils sont en guerre. Mais je ne veux que vous vous sacrifiiez pour moi. Je ne vous abandonnerai pas. Je ne vous abandonnerai plus. Ce n’est pas de la suffisance que de vous dire que vous ne pouvez rien pour moi. C’est une crainte. Vous comprenez cela ? Je crains vous attirer là où… Je crains de vous briser à nouveau. Nous avons vu des existences se briser autour de nous. Par douzaines. Vous avez perdu certainement autant que moi. Peut-être même plus. »

Mais encore et toujours résonnaient ces cinq derniers mots, ses cinq derniers mots. L’abandonner, lui. Dans son cerveau en absolue surchauffe, dans son esprit embrouillé entre le devoir et la crainte, entre ses prédictions et ce qu’il sait, il suffit de ces quelques lettres pour lui rappeler qu’elle est femme et qu’il est homme. Qu’elle est plus qu’une sœur. Même s’il ne sait dire ce qu’elle lui est véritablement.

« Je n’entends pas aller à la mort pour simplement faire de mes craintes des prédictions et de ces prédictions des réalités. Je n’entends pas chercher le grand sommeil pour enfin abandonner tout ceci. Cet Ordre, ce royaume, ce… vous ».

Dedieu ! Qu’est-ce qui lui prenait ? Ses pouces n’effacent plus les pleurs de la Mainoise. Ils restent suspendus un instant devant ses pommettes. Et le Flamand se retourne. Porte son regard à nouveau par la fenêtre. Mais non en direction de l’agitation domestique. Non. Vers le ciel bleu où l’hiver a déjà disparu et dont l’azur annonce une nouvelle floraison. Il poursuit pourtant, même si ce n’est plus sur elle que se posent ses prunelles.

« C’est à vous que j’offre ce spectacle, chevalier. À vous seule. Tous, dehors, semblent me voir comme un roc insubmersible. Personne ne parvient à creuser assez. Vous. Vous, vous savez. Vous savez. Vous le voyez douter, ce roc. Il m’est inutile de jouer, avec vous. En fait, ce que je venais chercher, ce que vous vouliez me donner, vous l’avez offert depuis bien longtemps. Cette compréhension. Pas cette simple écoute. Mais la certitude, en moi, que vous savez ce dont je parle, sans même avoir pénétré les salles du Louvre ».

Il se retourne à nouveau vers elle.

« C’est cette compagn… ie que je venais chercher ici. C’est égoïste, certes. Vous lâcher au visage mes craintes pour ne pas les assumer seul. Qui suis-je pour faire cela ? Le dernier des pleutres, peut-être. C’est pour cela que je vous mandais ce seul sourire. Car il me ressasse. Voila tout. Il me fait penser que, peut-être, tout n’est pas si noir… Mais c’est encore égoïste. Car je vous demande de cacher, de me celler ce que provoque chez vous ce flot de paroles. Est-ce vraiment cet être que vous ne voulez pas abandonner ? »

Le sourire est triste, à nouveau…
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Cerridween
Elle a presque eu un mouvement de recul. Les doigts se sont approchés de son visage.
Et dans le tremblement de la fureur, de cette peur viscérale… la douceur contraste. Elle sent la chaleur se dégager des doigts qui se sont délicatement posés. Elle reste là, à bout de souffle, la respiration retenue. Interrompue et prise au dépourvu.

Il parle bas, lentement… comme pour calmer un cheval trop furieux, inquiet. Elle sent fondre toute la colère qu’elle avait contre lui, colère de rempart, illusion pour masquer cette crainte, profonde de devoir perdre encore. Perdre contre la vie, le destin, la mort. Pas lui. Pas encore. Il est tout ce qu’il reste de son monde d’avant, de ses illusions, de ses rêves.

Et les pouces lentement effacent sur les joues ce qu’il semble avoir créé avec quelques mots. Elle voudrait disparaitre. Car elle ne peut détourner le regard des deux yeux aciers qui fixent doucement les siens. Car elle sent la tendresse dans l’effleurement de sa peau, une tendresse dont elle avait fait le deuil, et qui avait été si douloureux.

La même sensation… que sur ce banc à Ryes. Cette impression qu’elle ne maîtrise pas, quand une seule de ces deux mains, forgée par les armes et les chevauchées, avait passé la bienséance, les grades et les ans pour se faire protectrice, rassurante, amie, tendre. Il est ton Maitre, Pivoine… il est ton maitre. Mais cette inquiétude que tu as là, dans le cœur…

Cet Ordre, ce royaume, ce… vous.

Le dernier mot lui arrache un battement de coeur. Ce vous. Qu'est-elle ? Juste un petit chevalier et pourtant... accolée au Royaume et à un ordre... le piedestal où elle est propulsée, vient de lui donner le vertige... comme une équilibriste sur une corde qu'on lui a tendu sous les pieds avec pour seul balancier, pour seul équilibre... ces deux mains qui l'enveloppent et ce regard qui est encré.

La chaleur reste là, un instant, encore sur sa peau avant de la quitter. Pourquoi ce sentiment qu’elle voudrait encore y gouter. Juste un peu… elle voudrait se dire qu’elle est forte. Elle l’a toujours fait croire. Le pouvoir et la force sont là où les hommes les croient. Alors elle a fait croire qu’elle était d’acier, elle, la frêle, la fille mère, la bâtarde. Au jeu de l’illusion, elle s’est enfermée. Mais on n’oublie pas l’opium quand on y a gouté. L’instant, l’instant, où on peut rendre les armes, ne plus user de masque, l’instant béni, où on se défait de son armure et on se sent léger…


C’est à vous que j’offre ce spectacle, chevalier. À vous seule. Tous, dehors, semblent me voir comme un roc insubmersible. Personne ne parvient à creuser assez. Vous. Vous, vous savez. Vous savez.

Elle aurait pu dire ces mots. Ses mots. Dehors, tous croient qu’elle est indestructible. Celle qui a survécu à une montagne, à plusieurs guerres, à plusieurs deuils. Elle n’est plus vraiment humaine. Elle n’est définitivement plus femme. Elle est un Lieutenant-Commandeur, un Corbeau Noir, l’épée de la Licorne. Peut être ébréchée parfois, mais toujours acérée quand elle se déplace. Elle est la pierre de Ryes, froide, rompue aux vents et aux froids. Elle est le phare, le refuge, celle qui survit malgré tout. Oui elle sait… elle sait… elle ne sait que trop bien… et elle se rend compte, là, qu’il n’y a que lui aussi pour savoir. Et pour écouter et la comprendre.

Elle le regarde alors qu’il s’est retourné. Et les yeux recroisent les siens. Le monde semble ne plus exister, là bas. Comme la fureur s’est effacée. Comme elle flanche là, sur le plancher. Comme un papillon de nuit attirée par une flamme de lampe.


Est-ce vraiment cet être que vous ne voulez pas abandonner ?

Taisez-vous…


Elle a murmuré… c’est une remontrance. Une douce remontrance. Une simple supplique. Car elle se sent si idiote, si déroutée, si petite. Si présomptueuse aussi. Pourquoi avoir hurlé, alors qu'il demandait juste... la paix.

Elle a changé. Elle a perdu ses traits durs, comme lavés par les flots qui ont cessé de couler. Pivoine… tu vas te mettre encore en danger. Tu sais bien ce qui se passe quand tu quittes ton armure. Mais il l’a détachée du bout des doigts encore une fois…


Que vaudrai-je, Guillaume, si je vous jugeais ? Vous avez…

Comme il est dur de parler… comme il est dur de lui dire… quand on ne parle depuis des années que d’arme et de complots, d’ombres et d’échiquier… quand s’attacher est une souffrance, à chaque fois trahie, à chaque fois rompue, quand elle a dit… et cette envie encore…

Ne soyez pas dur envers vous-même… ou vous me jugeriez aussi…

Les yeux sont baissés… elle ne peut affronter ça… elle se sent si… fragile…

Je ne suis pas… je ne suis pas forte, Guillaume… je suis plus qu’une ombre, un avatar de ce que j’étais… et j’ai… peur, Guillaume… si peur… je… je sais… vous êtes…

Un tapis sur sa course n’aurait pas mis entravé son pied que l’embarras ses paroles.

Je n’ai plus que vous… que vous Guillaume… pour savoir les peines… la difficulté… parce que vous savez aussi… je vous admire pour ce sourire que vous savez avoir alors que vous avez souffert. Alors que vous portez un poids indicible sur les épaules… si vous êtes égoïstes, alors je le suis encore plus, de vouloir vous garder… juste pour l’apaisement que j’ai d’être… là… avec vous… car avec vous, je ne saurai jouer… car vous avez fait fie de tout ce que je suis… et que vous m’avez acceptée… malgré tout…

Ses doigts s’avancent vers la main et se retirent un peu précipitamment… le rouge lui monte aux joues… ce n’est que le froid qui s’engouffre par la fenêtre.

Alors à la condition d’être toujours sans peur de venir ici, comme celui que j’ai toujours aimé ainsi, pour l’honneur d’être… un peu votre amie…. je resterai, celle qui peut vous apporter un peu de paix, si vous le voulez. Si vous le voulez toujours…
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Guillaume_de_jeneffe
Chez ces gens là, Monsieur, chez ces gens là. On ne dit rien... on ne dit rien... on murmure du bout des yeux. En temps normal, du moins. Car pour une des rares fois de leurs existences, les deux chevaliers en sont venus à abandonner ce qui faisait leurs dialogues, en temps normal. Un regard, un clin d’œil, un léger geste de la main et tout était dit, réglé, enregistré, exécuté. On partait à la guerre en silence, sur un simple hochement de tête. On entrait dans quelque castel avec un simple sourire comme laisser-passer et on jugeait de nombre d’affaires par un sourcil haussé ou un soupir plus appuyé. Quant aux affaires du cœur, quelle que soit la façon dont on les nommait, elles étaient l’occasion d’un peu de plastronnade plus ou moins bien sentie, de deux-trois rires, pour disparaître presque aussi rapidement, chassées par l’arrivée d’une nouvelle en provenance de Rome, Paris ou Rennes.

Léard, cependant, n’était pas Ryes, et ce bureau pas le donjon du Haut Conseil. Les plattes avaient été baissées et plus rien ne protégeait les deux êtres qui se faisaient face. Il s’était senti navré de bien étranges blessures à chacune de ses phrases. Qui toutes lui apprenaient, lui faisaient voir autre chose que ce à quoi il était, il s’était habitué. Le silence aurait suffi, à lui rendre le calme qu’il était venu chercher en ces murs modestes et bien bas au regard du Louvre ou de Bruges. Mais les paroles l’amenaient où rarement encore il s’était aventuré. Il songea, l’espace d’un instant, à son aisance coutumière dans les jeux de langue avec les dames, qui lui avaient valu sa réputation, bonne ou mauvaise. Amusé presque, de se voir ainsi défaussé de ses atouts avec une de celle qu’elles n’auraient qu’à peine effleuré du regard. Elle que lui n’effleurait plus du tout, depuis longtemps maintenant. Et plus encore depuis que ses pouces étaient venus se déposer sur le visage marqué par la vie de chevalier.

Et qu’il lui passe l’index replié sous le menton, pour ramener son regard dans le sien. Parler à ceux qui détournent les yeux, non merci. Il fait cela depuis trop longtemps pour encore en avoir envie aujourd’hui. Pas avec elle.


- Toujours et à jamais, amie.

Un instant le temps semble arrêter, et ses pensées se chamboulent en son esprit. Que sont-ils en train de se dire, là ? Le pacte lui sera plus cher que celui scellé par le serment de chevalier. À jamais. Il avait déjà fait ce serment, une fois. Et il en était né tant de mal. Pour Elles et pour lui. Mais lui ne comptait pas, et Elle espérait autre chose. Tandis qu’elle sait, la chevalier.

« Vous le savez, le poids de ce que vous m’offrez. Non pour moi, mais pour vous. Vous le savez et vous le faites tout de même. C’est là ce que vous êtes, et je ne saurais en faire fi. Jamais. La chevalerie est belle quand elle a vos traits, chevalier. Je vous l’ai déjà dit et je le dis encore aujourd’hui ».

De son autre main, il va pour dégager ce visage des longs cheveux roux qui la signalent partout où elle se rend. Il les lui glisse derrière les oreilles, dégageant ainsi une cicatrice qui semblait ne vouloir que se cacher aux yeux du monde. Il ne la frôle pas, toutefois. Se contente de la regarder un instant. Reporte son regard vers les deux sinoples qui brillent toujours sous ses sourcils de feu.

« Je le répète et le maintiens. Et le maintiendrai jusqu’au terme que l’on donnera à nos existences. Au moins aurais-je vécu la mienne à vos côtés, un temps ».

Oui, la chevalerie était belle aussi loin des ors exhibés en lice. Loin des victoires conquises sur le haut de murailles qui cèdent sous le coup de vos béliers. Loin des paroles courtoises offertes à une dame de haut parage. La chevalerie est belle aussi quand elle ne se montre pas, quand elle ne fait qu’exister, simplement. Mais la chevalerie n’a jamais su écrire les fins. Jamais on ne lut vraiment qu’ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. Toujours un nouveau géant, félon, griffon vient ravager vos terres et vous ramener à la guerre. Or, en cet instant, il ne l’entendrait pas… Il cherche l’avant. Le moment où le jongleur simule une conclusion heureuse pour vous endormir avant l’explosion finale. Ce faux calme. Ce calme qu’il veut vrai, cette fois.

Comment pourrait-il le trouver ? Il sait que dehors tout sera fureur, sang et guerre. Que la pauvre bête qui l’a porté jusqu’ici sera vite remplacée par un vigoureux frison tout bardé de fer. Le calme mourra avec ton départ, chevalier de Jeneffe. Léard peut-être mourra avec ton départ.

Il l’embrasse.

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Cerridween
Tout est si simple…

Dehors la vie coule lentement. Quelques bruits de roues, de marteaux et de scies. Un rayon de soleil qui illumine un instant la pièce avant de s’éteindre lentement quand passe un nuage. Il a juste un souffle de vent qui fait bouger ses mèches. Elle est juste là devant un Grand Ecuyer de France qui ne l’est plus vraiment.

Il y a juste un silence quand il passe ses doigts sous son menton et qu’il la regarde. Il y a juste… tout ce qu’elle peut lire dans ses yeux. Du calme, un sourire. Un savoir… celui qu’elle partage. Dans les iris, il y a une vie. Une vie de sacrifice qui marque jusqu’aux pupilles. Une vie de silences, de sentiments tus, qu’ils soient colère, vengeance, chagrin, inquiétude ou amour. Il y a la profondeur des vieilles âmes, de celles qui sont sans âge, car elles ont vécus bien plus que la plupart de celles qui sont en train de vivre en dessous d’eux.


La chevalerie est belle quand elle a vos traits, chevalier.

Elle aurait souri en temps normal, de ce sourire en coin, qui se loge au coin de ses lèvres en rempart et en bouclier, aux attaques, aux insultes, à la flatterie parfois. Elle n’arrive pas à sourire. Même si elle le sait orateur hors pair, celui qui sait par quelques tournures, survivre au panier de crabe qu’est le Louvre, celui qui a la Diplomatie pour maitresse, il n’y a pas dans ces mots les intonations qu’elle connait. Le ton n’est paré d’aucun accent, d’aucune dorure, d’aucun masque. Il est à la simple tournure de la sincérité.

Les doigts se lèvent et écartent la mèche qu’elle prend soin de placer le matin, sur la large entaille qui la défigure. Elle sent le danger… ce qui pour elle l’est, tout du moins. Comme on sait quand on vit longtemps dans un même pays, juste en voyant le ciel et le vent, que le temps va changer. Elle sent le vent tourner… cette douceur qu’elle a connu, qu’elle pressent. Elle n’a jamais été heureuse pour elle… à chaque fois, a suivi l’abandon… toujours… le dernier en date lui a brisé encore une fois les morceaux de cœur qu’elle avait pu réussir à sauver. Il était là pourtant, quelque part, peut être à quelques lieues, en Anjou, mais rien… pas une lettre, pas un mot, ces présents qu’il lui avait offert jadis. Elle semblait avoir été effacée… effacée à jamais. Comme un pion qu’on évacue d’un revers de main du plateau car il ne servait plus… ce plateau où elle avait tellement rêvé, joué, aimé… la partie n’avait plus lieu.


Je le répète et le maintiens. Et le maintiendrai jusqu’au terme que l’on donnera à nos existences. Au moins aurais-je vécu la mienne à vos côtés, un temps.

Il y a un serment dans les mots murmurés. Il n’y a pas de fioritures, pas de grandes envolées, pas de passion dévastatrice. Chez ces gens là, Monsieur, chez ces gens là… on dit les choses du bout des lèvres, de peur qu’une fois dites, elles soient emportées.

Il l’embrasse.

C’est simple. Doux. Presque précautionneux, comme s’il avait peur qu’elle se casse. Les lèvres se sont posées sur les siennes. Elle se sent enveloppée… d’une protection simple, d’une douceur sans violence. Et si c’était ça Pivoine… tout simplement… en fait tout ce que tu cherches… aucun heurt, aucun battement qui fait mal tant tout emporte tout, aucune tempête, aucune fureur…. Juste la tendre chaleur d’une complicité, d’une caresse…

Ses lèvres répondent…

Lentement s’estompent… les derniers mois. La nouvelle blessure… les nouvelles blessures. La solitude. L’attente. Les tensions. Les incertitudes. La nouvelle de temps incertain, qu’il a apporté avec lui…

Lorsqu’il se finit, ce baiser… elle ne sait plus vraiment ce qu’elle doit faire. Tout vient de changer. Il était son Maitre… le voilà… quoi donc d’ailleurs ? Les émeraudes interrogent un instant, avant qu’elle ne pose sa tête contre lui.

Un silence.

Trois coups se font entendre à la porte.


Plus tard.

Elle a juste jeté l’ordre. Sans bouger. Les pas repartent dans l’escalier. Laissez moi juste… un peu de paix. Elle relève la tête pour le regarder. Et maintenant ? La tête a repris ses volutes de pensées. Mais elle les garde.

Vous allez devoir repartir…


La phrase est idiote, voir abrupte pour qui ne porte pas mantel encorné. Mais ils ne s’appartiennent pas tout à fait. Le temps est compté, elle le sait. Les respirations qu’ils s’offrent sont toujours de courtes durées. Le ton exprime juste un profond regret.Elle ne le met pas dehors... comme elle n'a pas le pouvoir de le retenir. Elle n'a pas le pouvoir d'effacer les couronnes, les charges et les évènements qui se profilent. Elle n’a pas le pouvoir d’aller contre le temps… par contre… elle a le pouvoir de le ménager…

Elle se détache de lui un instant, pour aller ouvrir un tiroir de son bureau. Dans sa main une clé. Elle ouvre la main du Grand Ecuyer et l’y dépose avant de refermer les doigts dessus. Ses doigts restent sur les siens comme s'ils ne pouvaient se détacher... elle sait que quand il passera la porte, les questions resteront encore... veut-elle vraiment les poser...

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