Afficher le menu
Information and comments (0)
<<   1, 2   >   >>

Info:
Unfortunately no additional information has been added for this RP.

[RP fermé] Vokuhila!*

Ingeburge
[Bureaux de la Maison Royale – début mars 1459]


Suite à une certaine annonce signée et scellée par la Reine Béatrice, le Grand Maître des Cérémonies de France déprimait sec, il se retrouvait comme Stone sans Charden, comme un vieux sans son déambulateur, comme Rudi Völler sans son Vokuhila – vorne-kurz-hinten-lang –, le Milan AC sans Paolo Maldini : seul, tout seul puisqu'on osait lui prendre son cher assistant. Fort heureusement, Ingeburge n'avait pas entretenu de folles chimères durant les quelques jours d'attente pendant lesquels la nomination d'Actarius se verrait être infirmée ou confirmée, elle avait jugé dès le début qu'elle ne pouvait qu'être maintenue, et puis c'est tout.

Pour autant, le temps n'était pas aux lamentations et aux démonstrations de désespoir, il fallait garder le cap et c'était d'autant plus facile que pour le monde, Ingeburge ne pouvait que garder le cap, était-elle en effet capable du moindre sentiment? C'est donc Ingeburgesque en diable qu'elle attendit la venue de son chef flambant neuf, reliure contenant quelques parchemins à portée de main, prête à poser les questions incontournables. Il y avait fort à faire, notamment concernant les vassaux d'Ile-de-France et peut-être aussi les personnes nouvellement promues, que ce soit à la Pairie ou à la Curia. Et, surtout, il y avait une interrogation, une qui conditionnerait tout le reste car sans réponse à celle-ci, le reste n'aurait pas lieu d'être.


L'attente donc, afin de savoir enfin si c'en était fini ou pas de l'avventura.



----
* Et ça, c'est cadeau camarade!^^

_________________
Actarius
Et le premier concerné vit enfin son attente prendre fin par la confirmation de sa nomination. Nous nous étendrons pas sur le fait que son marionnettiste n'aurait jamais cru être rejoint dans le club aussi select que fermé des connaisseurs du fameux vokuhila, nous le pourrions bien sûr en évoquant Chris Waddle ou le plus bel exemple Mike Werner du Hansa Rostock, mais nous nous abstiendrons faute de temps et revenons sans plus attendre sur un Actarius, dont le principal sentiment actuel relevait à la fois d'une terrible oppression et d'une forme d'abattement. Il y avait tant à faire qu'il ne savait ni par où commencer, ni toute l'étendue de ce qu'il avait à faire.

Paniqué sous un masque de sérénité qu'accentuaient sa démarche assurée et son regard fier, il en vint à croiser la route du Grand Maître des Cérémonies. Il se fendit d'une courtoise courbette, d'un regard Barry White et d'un sourire George Clooney.


Madame...
_________________
Ingeburge
Toute en mélancolie intérieure, Ingeburge observa Actarius venir à elle, la saluer avec courtoisie et lui décocher un regard qui ne pouvait que lui paraître bizarroïde et un sourire de cher George donc, mais une fois les dents brossées, parce que le café, ça tache les dents. Adieu, pour un temps, la nostalgie qu'elle sentait envahir son cœur et quelque peu effarée, l'Auxerroise servit un :
— Votre Seigneurie.
Aussi ferme que possible en réponse au salut charmeur du Languedocien, alors qu'elle se reculait légèrement sur son siège, car cette tête-là, ça l'effrayait un tantinet, n'étant pas elle-même du genre expansif. Tout aussi lointaine, elle ajouta :
— Recevez mes félicitations pour votre nomination ainsi que mes vœux de réussite et de courage. J'ose espérer que votre armurier est des plus compétents.

Sur cette conclusion sibylline qui aurait pu prouver, si besoin était, que son effroi avait cédé le pas à son comportement habituel, elle marqua une pause, le temps de rassembler ses idées. Mais en avait-elle vraiment besoin elle qui savait exactement ce qu'elle devrait dire? Effet de style donc, mais surtout, elle ne se l'avouait pas vraiment, moyen de rester encore un peu comme avant, quand ils évoluaient côte à côte au sein de l'Office des Cérémonies et qu'ils mettaient à exécution les directives et les demandes transmises. Maintenant, il donnerait les ordres. Elle n'avait aucun mal avec cela, c'est juste que maintenant, une fois la consigne reçue, elle ne pourrait plus vraiment se tourner vers lui pour accomplir sa tâche.

Encore fallait-il qu'elle ait quelque chose à faire, aussi, se lança-t-elle, fermant définitivement un chapitre qu'elle avait grandement apprécié. C'est ainsi qu'elle déclara :

— Je ne connais point vos intentions quant à l'Office des Cérémonies dont je fais partie mais, si vous deviez me maintenir en fonction, je puis vous assurer que vous pourrez compter sur ma disponibilité et mon plein engagement.
Vous me trouverez peut-être formelle, mais je préfère à tout prendre savoir à quoi m'en tenir. Je me le dois et je le dois à cet office et au-delà, à la Maison Royale. Il y a fort à faire et je ne souhaite pas compromettre le bon fonctionnement de cette institution que vous dirigez désormais en n'étant pas renseignée sur mon avenir. L'hommage des vassaux d'Ile-de-France doit ainsi être organisé et j'aimerais savoir si vous me gardez parmi vos officiers, afin de me mettre sans tarder à l'ouvrage sur cette question et toutes celles que vous jugerez bon me communiquer. Je suis également désireuse de connaître votre vision de cet office et de mon rôle en particulier, je ne vous cacherai pas que quelques incertitudes demeurent quant à celui-ci, notamment sur ma place lors des apparitions publiques et protocolaires de la Reine. Et si une autre personne doit me succéder, et bien ma foi, je ne mourrai pas en restant dans l'ignorance.


Durant son intervention, les yeux pâles d'Ingeburge étaient demeurés fichés dans ceux d'Actarius et c'est toujours aussi attentive qu'elle attendit la réponse qui allait lui être faite.
_________________
Actarius
Le Vicomte écouta avec attention, puis se résigna à une attitude un peu moins expansive. Il était un fait que son plus grand regret dans cette histoire était d'abandonner son travail commun avec la Prinzessin. Car cette femme, il la tenait dans le plus grand respect et... s'ils ne se connaissaient pas encore si bien, il nourrissait une amitié naissante pour cette grande dame de France. Voilà les sentiments qui se bousculaient en son sein tandis qu'il prêtait de scrupuleuses oreilles. Voilà aussi pourquoi, il revint rapidement à une attitude plus expansive et plus en adéquation avec ce qu'il était. Ainsi décocha-t-il un sourire, moins charmeur évidemment, mais tout aussi amical.

Je vous remercie pour vos félicitations. Je vais me montrer direct et sincère. J'ai le plus grand respect pour ce qui a été accompli ici. Il y a évidemment des choses à changer, mais cet office a été bien tenu et j'espère poursuivre sur cette voie. Il ne faut pas attendre de moi des grands bouleversements, du moins pas tant qu'on ne m'aura pas convaincu de leur nécessité. Une première approche assurée, digne d'un meneur d'homme et offerte sur un ton qui reflétait une idée plutôt précise de son projet global pour son office. Mais le naturel le rattrapa bientôt et une première nuance se fit jour. Pour l'instant, je vous avoue nager quelque peu en eaux troubles, il y a passablement de choses à faire et je m'y perds rapidement. Vous faites néanmoins partie des rares certitudes que je peux avoir. C'est un privilège de travailler à vos côtés, un privilège dont je ne veux me passer pour rien au monde. Une déclaration ? Non, le Vicomte était un époux fidèle et demeurait l'homme d'une seule femme. Il parlait simplement avec sincérité et sans avoir peur d'utiliser des morts, qui, aussi lourds de sens fussent-ils, lui semblaient les plus enclins à dévoiler le fond de sa pensée.

Cependant, la confiance que j'ai en vous va rapidement se traduire par une augmentation de vos responsabilités, si cela vous sied. Le nouvellement nommé grand officier savait bien que son interlocutrice ne serait pas effrayé par plus d'exigences, au contraire même. Il développa sa réflexion de son oïl irrémédiablement parfumé d'oc. Jusqu'ici, le Grand Chambellan organisait encore des cérémonies à l'image de celle du Lys, mais désormais, vous aurez l'entière charge de toutes les cérémonies. Je vous aiderai bien entendu et m'impliquerait autant qu'il le faudra, mais aucune cérémonie importante ne verra le jour sans que vous ayez pu y apporter votre sens aigu de l'organisation. Tandis qu'il parlait ses iris de Sienne demeuraient fixées sur la Bourguignonne. Celles-ci se dérobaient parfois sous l'impulsion d'une réflexion soudaine. Car cette discussion, il ne l'avait pas véritablement préparée. Il abordait des points qui lui semblaient importants et tâchait d'organiser dans le même temps. Si son "discours" avait tous les symptômes de la fluidité, sa pensée, elle, restait encore un peu confuse. Ceci étant dit, nous allons nous tourner vers le futur en portant un regard critique sur ce que nous pouvons améliorer du passé. Nous laisserons ainsi tomber les cérémonies qui auraient dû être faites, il y a longtemps. Je pense à l'intronisation du Grand Maître. Pour ce qui est de ma nomination à la Pairie, ce sera sans doute la dernière qui se passera sans cérémonie propre. De fait j'ai entendu que les Pairs seront bientôt amenés à prêter serment. Ce sera l'occasion d'en faire une cérémonie particulière dont nous pouvons d'ores et déjà lancer la réflexion. Par la suite, à chaque nouvelle arrivée au sein de la Pairie, nous organiserons une cérémonie propre.

A cet instant, celui qu'on surnommait le Phénix marqua une courte pause, une petite bougie venait de s'allumer en son esprit. Et à sa lueur apparut un élément par lequel il aurait dû commencer. Il convient également de préparer une cérémonie pour ma nomination en tant que Grand Chambellan. Cette petite cérémonie sera d'autant plus pertinente que nous pourrons la conjuguer avec la future nomination d'un nouveau Premier secrétaire d'Etat et celle passée du Surintendant des finances. C'est la priorité numéro une, puisque cette cérémonie pour avoir du sens, devra être lancée peu de temps après la nomination du Premier Secrétaire d'Etat. Pour celle-ci, la réflexion doit être lancée rapidement. Enfin, il nous faudra commencer à préparer une nouvelle cérémonie des Hommages pour les nobles d'Ile de France. Celle-ci n'est pas imminente, mais il faut commencer à s'y préparer. S'il vous plaît vous pouvez d'ores et déjà contacter et la Reine et le Roy d'Arme pour en discuter les modalités. Je peux également le faire si vous manquez de temps. Le Phénix ponctua sa longue tirade d'un franc sourire. Il fouilla quelques instants en son esprit sans se rendre vraiment compte qu'il avait abordé un programme, un calendrier plus qu'une réflexion de fond sur la fonction de Grand Maître des Cérémonies. Ceci expliqua sans doute les paroles qu'il prononça par la suite.

J'espère avoir répondu à vos questions et vos incertitudes. Il reste enfin un point d'ombre. J'ai déjà reçu plusieurs dossiers pour le poste désormais vacant de Maître des Cérémonies. Je vais donc ouvrir officiellement les candidatures pour une durée de 12 jours. Nous choisirons ensuite ensemble les deux meilleurs dossiers et rencontrerons les personnes concernées afin de faire un choix commun. Votre avis sera fondamental et je ne nommerai personne sans votre assentiment. Je me plais à penser que notre collaboration s'est bien déroulée et j'aimerai sincèrement qu'un nouveau duo aussi soudé puisse voir le jour. Nouvelle pause, plus longue cette fois. Avait-il oublié des points ? Non, il ne lui semblait pas. Aussi conclut-il d'une voix légèrement plus douce. Vous avez des remarques, questions ?
_________________
Ingeburge
Ce serait comme avant.

C'était ça, juste ça qu'elle avait eu peur de perdre en apprenant la nomination d'Actarius à la charge de Grand Chambellan de France, cette complicité et cette bonne entente qui étaient nées entre eux alors qu'ils étaient de parfaits inconnus l'un pour l'autre et que, dans une certaine mesure, ils demeuraient, cette compréhension mutuelle qui était la leur sans qu'il y eût besoin de trop parler, cette même convergence d'idées et de goûts sans qu'ils fussent les mêmes personnes, cette affection pour l'organisation et le travail bien fait, cette franchise dans leurs rapports sans qu'ils éprouvassent le besoin de louvoyer. Et alors qu'il lui détaillait le menu des événements à venir, elle avait le sentiment que ce serait comme avant, que c'était comme avant, et que peut-être, les craintes qu'elle avait conçues quand elle avait appris la promotion du vicomte du Tournel étaient en partie infondées. Rassérénée par cette perspective de ce que leur collaboration ne s'écrirait pas qu'au passé et revigorée par la confiance qu'il plaçait en elle en la maintenant en fonction et en la chargeant de nouvelles responsabilités, elle prit bonne note de ce qui lui était indiqué.

Abandon des anciens projets. Prestation de serment des nouveaux Pairs. Cérémonie autour des Grands Officiers nouvellement désignés. Hommages des vassaux d'Ile-de-France. Priorité aux nouveaux membres de la Curia Regis, mise au travail immédiate. La plume qu'elle avait saisie courait rapidement sur le vélin, consignant avec soin les premières directives transmises, comme elle le faisait avant. Déjà, les idées apparaissaient, prêtes à fuser une fois qu'elles seraient totalement appréhendées. L'instrument d'écriture fut mis de côté et elle déclara :

— Votre confiance, soyez-en assuré, m'honore et je mettrai toutes mes forces et toute ma volonté dans l'accomplissement de ma tâche en général et des cérémonies que vous souhaitez voir organisées en particulier. Je vais donc m'atteler sans tarder à la réalisation des premiers points que vous avez soulevés et je vous présenterai sous peu une première ébauche autour de laquelle nous pourrons discuter.

Se dégelant un peu, elle ajouta :
— Merci à vous, mille fois merci.

Oui, merci, car ce serait comme avant même si lui, il aurait bien d'autres choses à superviser. Mais dans la solitude de ses fonctions accrues, seule, elle ne le serait pas vraiment, il ne serait pas loin, ils parleraient, débattraient, confronteraient leur point de vue, comme avant. Et seule, elle le serait d'autant moins qu'un nouveau Maître des Cérémonies serait nommé, sous peu. L'annonce lui fit quitter son parchemin des yeux et regarder à nouveau le Languedocien. Et, ce fut tout, elle ne répondit pas immédiatement, essayant d'assimiler la nouvelle et de ne pas trop montrer son désappointement alors qu'une partie de ses certitudes était en train de voler en éclat. Le remplacement d'Actarius allait de soi mais c'était quelque chose, elle s'en rendait compte présentement, qu'elle avait occulté. La perspective d'avoir son mot à dire sur les candidatures qui seraient envoyées? Pas une consolation pour un sou quand on savait qu'Actarius, elle ne l'avait pas choisi et que c'était le hasard qui les avait amenés à travailler ensemble. En quoi l'assurance de pouvoir prendre connaissance des candidatures et de rencontrer les postulants constituerait-elle une garantie de réussite et de connivence? Et il souriait en plus, comme avant, alors qu'il lui faisait part de sa volonté et qu'il appelait de ses vœux la mise en place d'un nouveau tandem aussi harmonieux que le leur.

Elle, ne sourit pas quand elle indiqua :

— Il sera fait selon vos désirs.
Elle ne sourit pas, non, et cela lui était d'autant plus facile qu'elle n'en avait pas envie et cela paraîtrait d'autant plus normal que cela ne lui arrivait quasi jamais.

Et ce dont elle ne se rendait pas compte la Froide, dans son entêtement à ne voir que le négatif, c'était que lui rieur, elle glaciale, c'était tout juste... Comme avant.

_________________
Actarius
Le Vicomte laissa échapper un "fort bien". Mais durant ce court laps de temps, une évidence lui traversa l'esprit. Sortie de nulle part, elle s'était soudainement manifestée. Non, il n'avait pas vraiment répondu au questionnement du Grand Maître des Cérémonies... Comment rebondir ? Si à cet instant, il avait eu un verre à proximité, il y aurait trempé les lèvres, le temps de préparer une nouvelle amorce. Mais ce verre, il ne l'avait pas et le silence, dans un tel face-à-face pouvait devenir rapidement pesant, aussi oppressant qu'incommode. Il improvisa pour éviter à ce fameux ange de passer.

Mais peut-être devrions-nous commencer par l'essentiel avant de lancer cet appel à candidature. Je pense à la définition de votre rôle et de celui du Maître des Cérémonies. A ce jour, c'est encore un peu vague. Son regard s'absenta à nouveau, l'instant d'une éphémère réflexion. Que fait le Grand Maître des Cérémonies, quelles sont ses obligations, ses privilèges ? Voilà quelques questions par lesquelles nous pourrions commencer. Une fois que nous aurons préciser cette fonction, nous verrons ce qu'il en est du Maître des Cérémonies. Nous écoutons votre vision.

Un nouveau sourire ponctua ce faux-fuyant, ce stratagème plutôt habile, cette volonté subtile d'amener l'autre à dévoiler son jeu, à parler. En d'autres termes, se laisser le temps d'organiser sa pensée tout en prêtant une oreille attentive. Cela lui éviterait de s'engager dans une position complètement à l'opposé de celle de la Prinzessin et lui offrait l'avantage de pouvoir s'appuyer sur les idées de celle-ci pour amener les siennes. Pensa-t-il vraiment à tout cela en parlant ? Pas tout à fait. Le Vicomte avait une certaine érudition et connaissait quelques stratégies de langage héritées des Byzantins et de quelques vieux manuscrits qu'il avait eu l'occasion de parcourir. Il pesait certes ses mots, mais demeurait encore trop empressé pour bien évaluer la portée, l'effet de ses paroles. Il s'en rendait compte pendant ou peu après qu'elles s'échappaient de ses lèvres. Il n'en avait pas le génie, loin de là, il en avait une intuition à demi-consciente.
_________________
Actarius
[Quelques temps plus tard]

La discussion avait suivi son cours, mais rien de concret n'en avait résulté au grand dam du Languedocien. A vrai dire, sa relation avec la Prinzessin portait tous les symptômes d'une tension incurable. Rarement en adéquation avec les pensées qu'il s'efforçait de deviner sous la froide carapace bourguignonne, le Vicomte se sentait piégé, oppressé même. Il ignorait comment s'y prendre, il était profondément déstabilisé par le mur qui lui faisait face et il commençait même d'avoir peur.

Oui, le féroce guerrier, l'ancien Comte du Languedoc n'était pas à son aise au devant de cette énigme. Il demeurait tenaillé par une forme d'appréhension à chaque fois qu'il se devait de lui présenter une idée, un projet. Il ne tremblait pas d'essuyer un refus, mais d'avoir une réponse docile ou fraîche comme les Alpes tandis qu'ils sont balayés par les tempêtes hivernales.

Se retrouver dans ce cabinet face à elle, offrir un visage assuré ne lui inspirait bien moins de confiance que s'il avait eu à affronter une centaines d'homme à la Porte de Nesle. A la vérité, il aurait même préféré ce combat à cette confrontation, lui, le chaleureux Languedocien, face à cette frigorifique interlocutrice. Oh ! il l'avait préparée cette entrevue, il en avait mesuré le dessein, en avait caressé le déroulement au point d'en embrasser passionnément quelques stratégies.

Mais diable ! Que pouvait bien être la rhétorique au moment de se lancer - tac ! - dans ce qui s'apparenterait vraisemblablement à un monologue tout juste entrecoupé de réponses cadavériques ? Où pouvait bien se dissimuler le projet soigneusement conspiré à la vue de ce visage si angéliquement glacial ? Comment pouvait se développer la toile d'un siège à l'instant d'essayer de déceler un indice, une émotion dans cet impénétrable et si abyssal regard ?

Un soupir aussi subtil qu'un souffle de papillon et la main de déposer quelques manuscrits sur la table du Maîtres des Cérémonies.

Amical...


Votre Altesse...

Prévenant...

... que penseriez-vous...

Pratique...

... si nous adoptions le modèle utilisé pour les guides de la Chambre et des Huissiers ?

Tout cela pour proposer un modèle pour le guide descriptif des rôles au sein des offices ? Oui, le Mendois, désemparé bien que de confiante apparence, en était réduit là.
_________________
Ingeburge
Quelque temps plus tard... il y avait eu du changement, et pas en mieux, bien au contraire. De la frustration, l'exaspération, de l'irritation, s'étaient accumulées, et le Grand Maître des Cérémonies de France ne cherchait pas, plus, à le dissimuler. Aussi, au piège tendu par le prédateur, elle répondit tout simplement :
— Rien du tout.
Fallait tout, sauf qu'elle pense, sinon, y'a des trucs qui finiraient par valser et ça lui ferait mal au cœur de voir voler son caducée, il était profondément noir, il était indéfiniment classe, il était outrageusement ingesque et il n'avait pas vocation à aller fracasser le carreau d'une croisée.

Le traquenard imaginé par Actarius le rusé pour lui présenter sa demande n'avait pas fonctionné : quand l'on chasse, il faut une proie, et Ingeburge, en ce jour, était tout sauf une victime.

_________________
Actarius
Le Vicomte ouvrit de grands yeux. Il s'attendait à bien des réponses, mais certainement pas à celle qui lui fut donnée. La Prinzessin était une véritable énigme, impossible de l'atteindre, impossible de la "piéger". Il était visible que quelque chose lui pesait, mais pas vraiment facile d'en déterminer la cause. Si bien qu'un profond sentiment de malaise, saupoudré de culpabilité, vint envahir le Mendois. Il sentait un mur face à lui, un mur dont il contribuait au renforcement sans aucun doute par ses initiatives. Il n'était pas le Grand Chambellan espéré par beaucoup, cela lui devenait de plus en plus évident. Sa vision peinait à s'affirmer, les projets eux-mêmes traînaient. En clair, jusqu'à présent sa prise de fonction s'apparentait à une véritable catastrophe.

Les portes se fermaient les unes après les autres et le claquement de celle du Grand Maître des Cérémonies résonna un peu comme un glas. Le glas de son enthousiasme pour cette fonction qu'il regrettait chaque jour un peu plus d'avoir briguée.


Bien, dans ce cas, je vous propose de nous baser sur ce modèle. Maintenant, si vous le voulez, vous pourrez vous-même présenter votre vision par écrit. Ou si vous préférez, présentez-moi directement votre vision de cet office, nous en parlerons et je m'occuperai d'en transcrire les idées.
_________________
Ingeburge
[Bureaux de la Maison Royale – peu avant la mi-avril 1459]


La proposition formulée par le Grand Chambellan de France était demeurée lettre morte tant la duchesse d'Auxerre était peu disposée à écouter ce que son supérieur lui servait et tant son irritation était grande; cette dernière était uniquement fixée sur son courroux et rien, que ce fût la surprise du Phœnix ou ses tentatives diplomatiques pour désamorcer la situation, ne réussit à la désarmer. Le vicomte du Tournel n'était certes pas entièrement responsable de cette colère rentrée qui ne demandait qu'à déborder mais la position, la prééminence de celui-ci faisait qu'il était le réceptacle des humeurs et du désarroi de ses officiers et de son Grand Maître des Cérémonies de France en particulier, qu'il fût directement l'auteur de ce qui agaçait tant la Prinzessin, qu'il ne le fût qu'à moitié ou de loin et qu'il ne fût en rien la cause de ce ressentiment. Et les choses suite à cet échange ne s'étaient guère améliorées, pis, elles s'étaient même franchement détériorées.



— Non, Montjoie.
Désolée mais j'ai attendu, j'ai attendu et franchement, moi, alors que je suis prête depuis des lustres, gérer au final des cérémonies la veille : plus jamais. Parce que sur qui ça retombe? Sur moi, et sur personne d'autre.
Je refuse d'organiser une cérémonie pour dans trois jours, pas dans ces conditions. Donc...

Le vocabulaire s'était tout à coup appauvri et les phrases étaient devenaient plates et banales; le ton lui, avait été outré suite à la demande de Thomas de Clérel qui suite aux nombreux appels et billets adressés daignait enfin se montrer. Et pour quoi? Demander si les convocations pour la cérémonie d'hommage des vassaux franciliens pouvaient être mandées. Cette question qu'elle ne pouvait que juger nonchalante avait tout simplement fait craquer une Ingeburge qui ne demandait qu'à déborder, à exploser. Durant des jours et des jours, elle s'était contenue malgré l'absence de réponses, le retard accumulé et les vexations qu'elle jugeait recevoir, se forçant à tenir sa langue et cette interrogation venait de faire sauter le verrou de ses résolutions. Elle ne cachait plus rien, ne cacherait plus rien, les conséquences et les personnes présentes – le Roi d'Armes de France donc mais aussi le Premier Huissier qui avait tenté, avant l'arrivée du duc de Dun-le-Roy, d'apaiser sa consœur de la Maison Royale, la duchesse de Touraine qui se trouvait là en sa qualité de Maître enlumineur et enfin le Grand Chambellan – importaient peu. Le roi d'Armes de France demandait? Et bien non, ce serait non, quelle que fût la position de celui-ci et et elle avait fait savoir pourquoi, sans détour.

Qu'ajouter après cette sortie qu'elle n'avait pu retenir? Sa paume droite la démangea, pour la brûler tout à fait, cette paume droite qui entourait habituellement et amoureusement le caducée habillé de velours noir qui symbolisait sa charge et ses prérogatives et elle y perçut un signe. Le précieux bâton fut délaissé et la sentence tomba, nette :

— L'office continuera sans moi.

Puis à Camille d'Anclair qui était venue lui présenter un magnifique vélin armorié destiné à devenir le carton d'invitation suite à la commande qu'elle-même avait passée :
— Je suis désolée.

Car elle l'était désolée, désolée de ne pas pouvoir donner son avis à la Tourangelle, désolée de laisser là l'organisation de la cérémonie, désolée de tout au final et ce fut le seul moment où elle trahit son désarroi. Et puisqu'il n'y avait rien de plus à déclarer, puisqu'elle ne désirait pas débattre de l'étendue de la débâcle et puisqu'elle estimait que rester n'apporterait rien de bon, elle se retira.
_________________
Actarius
Ayant parlé, le Vicomte ramassa le caducée ténébreux et sortit à la suite de la Bourguignonne.

Votre Altesse, un instant je vous prie, lança-t-il avec conviction mais sans aucune forme d'agressivité. Le ton était plutôt à la douceur. Il perdait ses officiers les uns après les autres et à force il en venait à se demander si ce ne serait pas à lui de renoncer à sa charge. S'il n'était pas capable de tenir un office, d'y maintenir les meilleurs éléments, alors seule l'évidence devrait prévaloir. Il ne méritait d'occuper pareille fonction.
_________________
Ingeburge
Argh, non, pas ce timbre de voix, pas lui, pas cet homme, pas lui, elle n'avait aucune envie de l'affronter et d'être obligée de l'écouter, de le regarder, de se sentir concernée; elle avait déjà refusé de lui répondre auparavant, se sentant prête à rompre à tout moment, pourquoi n'en serait-il pas de même aujourd'hui? Et surtout pas maintenant qu'une décision qu'elle n'avait fait que repousser et qu'elle avait enfin eu le courage de prendre et de faire connaître avait été formulée. Elle ne put donc que se crisper quand elle l'entendit l'appeler et elle s'immobilisa là où son esprit lui disait de fuir. Hésitante, elle continua de lui présenter son dos, son éducation se disputant à sa volonté de partir, ses principes s'opposant à cette peine mâtinée de fureur qui l'habitait depuis quelques jours déjà, si ce n'est plus et, avec réticence, elle se tourna, parce qu'on ne peut opposer que son visage à la personne qui s'adresse à vous, c'était là l'une des choses qu'on lui avait inculquée. Elle se retourna donc mais gardant les yeux vers le sol, obstinée, ne voulant pas croiser son regard, sachant bien qu'en apercevant son visage franc, elle ne pourrait que laisser ses défenses céder et cela, elle ne le pouvait pas, elle ne le pouvait plus et parce qu'aussi, il aurait pu voir que ses prunelles habituellement éteintes s'obscurcissaient de colère. Et, parce qu'elle n'avait surtout pas envie de l'entendre, pressentant que cette voix bien connue, aux aimables inflexions et à la sincérité redoutable, ne pourrait que la faire fléchir, elle prit la parole, glacée, irradiant d'une exaspération contenue à grand peine.

— Mes notes sont à votre disposition, elles sont à vous, je n'ai rien oublié. Rien du tout.

Le silence revint, il ne fallait pas qu'elle en dise plus car elle ne pourrait pas retenir plus longtemps l'expression de son découragement et, s'il lui importait peu d'être revêche et de faire montre de dureté avec d'autres, elle savait qu'il lui coûterait d'être atrabilaire avec lui.

— Et vous n'avez rien à dire. Surtout pas.

Qu'il se taise et la laisse s'en aller.
_________________
Actarius
Le regard aux teintes de cette si belle terre de Sienne se posa sur cette altesse. Il ne cilla pas aux froides paroles. Non, car aussi conciliant que pouvait être le Languedocien, il était farouchement têtu. Et en la circonstance, conserver le joyau des Cérémonies ne relevait même plus de l'obstination, mais de l'obsession.

Oh si vous avez oublié quelque chose votre Altesse, rétorqua-t-il de son oïl ensoleillé et bienveillant. Il tendit le caducée et poursuivit. Je comprends votre lassitude et je sais ne pas y être étranger. Mais il est hors de question que je vous laisse partir ainsi, sans même tenter de vous retenir, vous m'êtes bien trop précieuse et vous l'êtes surtout pour notre office...

Plus de calculs, plus de stratégies, les paroles coulaient insouciantes et sincères. Il n'était plus question de dissimuler son attachement non seulement à l'officier, mais aussi à la personne. Car cette froide roche, à laquelle il faisait face, avait revêtu le costume de la constance. Elle était un repère, un phare dans l'horizon trouble du Vicomte, car elle ne variait pas. Elle était pilier à l'office et sans elle... Oui, le Mendois avait besoin de sa présence rassurante simplement, égoïstement. Et dans cette bataille qui s'ouvrait pour la conserver, il se jeta à corps perdu.

Jusqu'à présent vous avez fonctionné de manière autonome et avec brio, mais il faut reconnaître que vous vous êtes trop souvent retrouvée isolée, que ce soit par manque de réactivité ou de soutien de ma part ou par des exigences irréalistes qui vous ont obligée à fonctionner dans l'urgence. Cela a été tant et si bien que vous vous retrouvez à exaucer au mieux et dans des conditions difficiles les souhaits de Sa Majesté. Un léger sourire apparut alors sur le rude minois du Mendois. Ce rictus se voulait rassurant, presque paternel. Quiconque le connaissait, savait l'homme fier et orgueilleux, savait l'homme plus enclin à s'emporter qu'à faire des concessions. S'il en faisait, cela trahissait immanquablement une nécessité absolue. Il s'imposait alors volontiers des reproches, plus que de raisons. Non pas pour jouer à la victime, mais sans doute parce qu'il espérait ainsi montrer que le changement demeurait possible, qu'il n'était pas homme fermé et borné, mais un être capable de prendre conscience de ses errements et d'y remédier. Il fallait bien admettre également que la lassitude avait pris le pas sur sa force de caractère, peut-être était-ce là aussi une des raisons pour laquelle il s'abandonnait ainsi à offrir l'image d'une certaine faiblesse. Ces conditions de travail déplorables, je vais faire en sorte de les améliorer. Désormais, je vous propose que nous fixions ensemble la date des cérémonies ensemble selon un délai qui vous semblera nécessaire pour que tout se fasse au mieux.

Sa main se crispa sur le caducée tandis qu'il poursuivait avec une ferveur renouvelé, avec dans l'oeil l'étincelle de l'inébranlable résolution. Je me montrerai bien plus présent en votre office pour répondre à vos demandes et éviter de vous laisser trop longtemps dans une expectative incompatible avec la rigueur qu'exige votre charge. Et j'irai chaque jour voir la Reine si son avis est nécessaire s'il le faut pour obtenir une réponse. Soudain, ses muscles se relâchèrent, il se détendit. La tirade l'avait vidé de sa sève, ou plus précisément toute la conviction, tout l'espoir qu'il y avait placé l'avait asséché. Un sourire las apparut alors. Le sourire de l'être exténué qui venait de tout donner et qui dans un dernier sursaut irait s'offrir en sacrifice. La voix se fit plus douce, devint presque un murmure, un aveu. Celui de son profond sentiment d'impuissance.

Voilà ce que je vous propose. Si vous voulez plus, autre chose pour travailler dans de meilleures conditions, je ferai tout pour vous l'obtenir. Et s'il faut que je démissionne pour que vous demeuriez, alors je le ferais. Cet office a besoin de vous, Votre Altesse, bien plus qu'elle a besoin de moi. Un soupir ponctua ces paroles. Variable semblait l'humeur du Grand Chambellan passant de l'exaltation, de la conviction à la lassitude, du sourire au soupir. Qui pouvait savoir l'humeur qui le dominerait dans quelques instant ? Lui-même l'ignorait, il n'était pas dans la rhétorique, mais dans le passionnel et la passion se montrait sous bien des aspects...
_________________
Ingeburge
Son regard obstinément posé partout sauf sur le visage de celui qu'on appelait le Magnifique papillonna jusqu'au caducée qui lui était tendu – le sien il y a encore quelques minutes... – et elle resta là, à le contempler, à l'admirer, prise d'un frisson qu'elle connaissait bien; c'était celui de l'envie, du désir, de la convoitise et ô, elle le convoitait, elle avait envie de le reprendre, elle désirait s'en saisir, l'avoir à nouveau en sa possession ce bâton de charge qui lui était si semblable, ce bâton de charge, qu'un jour, elle avait fait déshabiller pour mieux le faire revêtir, et qui, alors que ses extrémités d'or brillaient de mille feux sous la cajolerie des bougies, paraissait plus beau que jamais maintenant qu'il était recouvert d'un morceau profondément sombre de velours plain de Gênes, de ce velours dans lequel on coupait les houppelandes de la Prinzessin, de ce velours dont le prix affolait, régulièrement, les gens d'argent de celle-ci, de ce velours si agréable au toucher, si doux à la caresse, de ce velours que peu savaient reconnaître à sa juste valeur, à ses justes valeurs – pécuniaire, esthétique, artistique. La tentation était là, lancinante, elle la sentait sourdre en elle, l'envahir tout à fait et la bouche mi-ouverte, la respiration rendue plus dure, l'échine frémissante, elle l'observait, elle le scrutait ce caducée qui ne pouvait qu'être sien tant en nombre de choses il lui était semblable, identique – éclat de l'or, préciosité du velours, rectitude de ses lignes, fantaisie de sa couronne – et s'il y a des choses qui sont nôtres que l'on rejette sans que cela nous coûte, d'autres, au contraire sont difficiles à repousser. Ce caducée, pour ce qu'il était, pour ce qu'il représentait, pour ce qu'il symbolisait, il ne lui était pas aisé de l'abandonner, de le délaisser; il lui faudrait lutter. Et, pour ce que cela pouvait valoir, elle combattit son envie, son désir et dans un geste désespéré, elle croisa ses mains dans son dos et recula d'un pas, tâchant de réfréner le tressaillement de ses paumes convoiteuses et de mettre de la distance entre ce caducée et elle, entre Actarius et elle.
— Non.

Il y eut ce mot, incisif. Non car accepter le bâton tendu, c'était accepter à nouveau d'être asservie et déçue, d'être enchaînée et peinée, de se débattre là où elle voulait être sereine. L'entendit-il? Si ce ne fut pas le cas, le mouvement qu'elle avait effectué le renseigna.


Et le calvaire se poursuivit car refuser le caducée ne suffirait pas, ne suffisait pas puisqu'il parlait et c'était là un plus grand supplice que de devoir rejeter le précieux objet. Elle avait espéré que ce qu'elle avait dit pour couperait court à la conversation mais il n'en fit rien. Elle fut donc contrainte de l'écouter là où elle avait besoin de silence, elle dut subir ce qu'il lui dit là où elle voulait être seule. Et il parla, il parla, et pas un des mots qui tombèrent de sa bouche n'apaisa une Ingeburge qui se figeait davantage à chaque seconde. Elle ne l'interrompit pas, peu désireuse de s'exprimer sous le coup de cette ire qui ne faisait que s'accroître et la piéger tout à fait, elle le sentait et elle le ressentit totalement, pleinement quand il conclut par quelque chose qu'elle n'attendait pas et qui fit céder les barrages retenant sa fureur. Pour autant, elle ne s'énerva pas, elle ne céda pas à la facilité de parler plus fort, elle garda des traits indifférents; seules la raucité plus marquée de son timbre et ses prunelles manifestement et visiblement furibondes maintenant qu'elle les plantait dans celles, aimables du Languedocien, marquèrent son état d'esprit. Glacée, elle rétorqua :

— Je n'ai pas, sciemment, répondu à la lettre que vous me fîtes porter il y a deux semaines de cela car j'avais déjà des raisons de me sentir outragée et que je ne voulais pas, de ce fait, faire expression de mon mécontentement. J'ai pris sur moi et ai tâché de continuer mon ouvrage en mettant sous silence les sentiments qui m'habitaient à ce moment-là. Ce que vous me servez là ne fait que me mettre dans les mêmes dispositions que tantôt mais cette fois-ci, je ne tairai pas tout ce que je pense de vos propos, non je ne me tairai pas, je m'y refuse, car il en va de mon honneur et de ma probité. Je n'ai jamais, à aucun moment, cherché vos compliments et vos flatteries, je n'ai jamais voulu, de quelque manière que ce fût, exciter votre reconnaissance et votre gratitude qui me sont, je le dis tout net, autant de coups que de vexations. Je ne quitte pas mes fonctions pour entendre que l'on a besoin de moi, je ne m'en vais pas pour qu'on m'indique que je suis précieuse; je ne suis pas une poseuse, Monsieur, et ce que vous déclarez là ne m'apaisera pas. Nul, sur cette terre, n'est indispensable, et je tâche depuis toujours d'agir en gardant constamment à l'esprit l'étendue de mon insignifiance. Y suis-je parvenue à chaque fois? Que non pas, mais aujourd'hui que je me tiens devant vous, je fais totalement mienne l'idée selon laquelle nul n'est irremplaçable. Si je désire partir, ce n'est pas parce que j'aime à être louangée mais bien parce que cette situation dans laquelle je me suis retrouvée, à quelques reprises, devait être dénoncée.

Oh non, elle ne voulait pas de cela, surtout pas, elle n'avait jamais été vaniteuse; orgueilleuse, peut-être, mais vaniteuse, définitivement pas, son orgueil ne se plaçait que dans la conscience qu'elle avait de son rang et non de ses qualités. Alors non, cela ne passait pas. Toujours froidement, elle ajouta :
— J'entends bien vos propositions, vos résolutions, et il me plairait d'y être sensible car j'aime grandement cette fonction qui a été la mienne et parce que l'office que vous dirigez a pris une grande place dans ma vie. J'avoue aussi, puisque nous en sommes rendus à faire fi de toute dissimulation et à livrer ce que nous avons sur le cœur, qu'il m'a plu de travailler à vos côtés aux cérémonies et que les craintes que j'ai pu concevoir au moment de votre promotion ont été vite balayées par la certitude que j'ai pu obtenir de ce que, désormais vous Grand Chambellan, nous pourrions toujours collaborer en bonne intelligence. C'est pourquoi, à nouveau, vous me blessez Monsieur car rien dans mon attitude et dans mes décisions ne vise à remettre en cause vos fonctions et votre prééminence, rien n'indique que je considère que vous n'êtes pas à votre place, rien ne vous autorise à formuler pareille conclusion. Je ne sais ce qui a motivé le choix de Sa Majesté et à vrai dire, je ne veux pas le savoir car j'estime que la charge ne pouvait que vous revenir; elle aurait été remise à un autre que je ne serais certainement pas restée. Alors, oui, je l'affirme, vous me blessez Monsieur, en osant en arriver à une telle extrémité.
Et plus pour elle-même que pour lui, elle dit encore :
— Comment, après ce que je viens de vous confier, pourrais-je demeurer ici si vous n'êtes plus là?

Il soupira? Elle aussi.
_________________
Actarius
Non, il ne soupira pas. Tel un roc immuable sous l'assaut incessant du vent de la colère, il demeura. Le sourire lui avait succombé à la froideur des paroles. Les sourcils s'étaient froncés tandis que le bras tendu était revenu épousé son flanc. Il écoutait, il écoutait encore et encore. Certains mots résonnaient, non aiguisés ils pénétraient sa chaire avec la froideur de l'acier, ils le mutilaient avec une ferveur à peine soutenable pour un homme de cour. Mais pour un guerrier... pour ce phénix des champs ensanglantés cette souffrance ne faisait qu'attiser l'excitation, la colère naissante.

Le bonhomme Languedocien n'était plus. Son regard était devenu farouche, sa mine orageuse, la tempête, l'"auristre" était née. Le ton devint ferme.


Que croyez-vous Votre Altesse ? Je ne m'abaisserai pas à vous complimenter, si j'estimais que cela n'était pas mérité. Ce que j'ai dit, je l'ai pensé, je le pense encore et je le maintiens. Vous faites de l'excellent travail et vous êtes un maillon essentiel de cet office. Et oui, je suis profondément convaincu qu'aucun successeur que je pourrais trouver ne vous arriverait à la cheville. Vous y voyez de la flatterie, j'y vois une vérité. Et quoique vous puissiez croire, il est effectivement des êtres qui ne sont pas remplaçables.

Il n'avait pas haussé la voix, malgré l'amertume qui le consumait. Oui, ses enfants, sa femme n'étaient pas remplaçables. Ce jour-là plus que jamais, il avait besoin de point d'appui, le guerrier, il avait besoin de se raccrocher à des certitudes. Que ce fut dans le cadre de ses fonctions ou ailleurs. Et là, il venait de supporter une nouvelle leçon que sa volonté de bien faire ne lui apportait que des ennuis. Partout où il était passé, dans tout ce qu'il avait fait, il avait pris le temps de remercier et de souligner le bon travail ou l'investissement. Il ne s'adonnait certainement pas aux compliments pour se faire bien voir et il savait lui aussi se montrer sans aucune forme de pitié et d'une sévérité terrible.

En somme, l'affaire est très simple, poursuivit-il avec un détachement qui ne lui ressemblait franchement pas. Votre caducée vous attendra dans votre cabinet. Soit vous considérez que je suis en mesure d'améliorer votre situation et vous le reprenez. Mais dans ce cas, si vous faites du bon travail vous serez louée. C'est ainsi que je fonctionne et que je continuerai de fonctionner. Soit vous maintenez votre position et quittez cet office.

Il se tut. Son regard demeurait plongé dans celui du Grand Maître des Cérémonies. Etrange femme que celle-ci... Blessée pour un compliment, froide et glaciale comme le souffle hivernal qui balayait le Castel du Tournel en fin d'année. Susceptible encore, mais ce défaut-là, il le partageait lui aussi. Il ne savait comme s'y prendre avec elle, il ne savait que dire, comment agir pour ne pas provoquer d'ire. Il ignorait tout bonnement comment lui faire comprendre son profond attachement, son profond respect sans créer de situations aussi inconfortables. Mais surtout, il ne parvenait pas à lui faire comprendre qu'alors que tout s'effondrait autour de lui, il avait éperdument besoin d'elle. Ni par amour, ni même par amitié, ou alors se refusait-il à l'admettre, mais simplement parce que sa seule présence le rassurait. Aussi "insupportable" pouvait-elle lui paraître en ce moment, elle résistait à son soleil d'apparat comme les neiges éternelles, elle ne variait pas fidèle dans sa cristalline froideur à elle-même. Et cette certitude-là, le Languedocien s'en nourrissait pour continuer malgré tout.

J'ai besoin de vous... Ces paroles s'échappèrent malgré lui, moins sèches, moins froides sans pour autant être accompagnées d'un sanglot ou ne serait-ce que d'un début de spasme trahissant sa profonde désespérance. Il se retourna et puisqu'il sentait, impuissant, que tout ce qu'il pourrait ajouter ne serait qu'une nouvelle semence de discorde, et conclut. J'ai dit ce que j'avais à dire, je vous laisse réfléchir.

Et il s'éloigna... la démarche toujours assurée. Mais dans son oeil désormais invisible à la Prinzessin scintilla une inhabituelle lueur, celle de l'abattement.
_________________
See the RP information <<   1, 2   >   >>
Copyright © JDWorks, Corbeaunoir & Elissa Ka | Update notes | Support us | 2008 - 2024
Special thanks to our amazing translators : Dunpeal (EN, PT), Eriti (IT), Azureus (FI)