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Info:
Vieux RP, où Cristòl, jeune mendiant tout juste arrivé dans la bonne ville de Carcassonne, scelle la rencontre de sa vie avec un bon homme qui accordait l'aumône le même jour : Rekkared de Sìarr, Baron de Saint-Félix.

[RP] Un fils enfin retrouvé : un flageolet dans la nuit

Rekkared
Un fils enfin retrouvé : un flageolet dans la nuit

Prologue

Il y a bien longtemps, je fis un pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle, au cours duquel je connus Carmen. Nous nous mariâmes et demeurâmes en Galice. Nous y fûmes heureux jusqu'au jour où le chantier sur lequel je travaillais ferma. Ma femme était le point de donner naissance au fruit de notre amour. Ne pouvant subvenir plus avant aux besoins de notre famille, nous prîmes une grave décision : avant d'avoir pu lui donner prénom, nous offrîmes notre nouveau né, un fils, à un monastère local pour qu'il y soit élevé - oblat (oblatus) - et nous nous nous séparâmes, ma tendre épouse rentrant dans les ordres, non sans que nous nous jurions de nous retrouver dès que ma situation le permettrait.

Dès lors je vagabondais sur les routes d'Espagne puis de France où je servis dans quelques osts en la guerre qui nous opposa aux Anglais. La paix venue, je m'installais d'abord à Cambrai où je fus paysan, puis à La Rochelle où je devins maître de forge, avant de m'établir à Carcassonne où je fus anobli et devint Baron de Saint-Félix.

Ma situation devenue confortable, ma femme quitta les ordres pour retrouver notre fils avant de me rejoindre.

Depuis, ma femme m'a rejoint sans qu'elle ait pu retrouver notre fils, et nous restons sans nouvelles de lui depuis qu'il a quitté son monastère pour je ne sais quelle entreprise.

Je serais donc reconnaissant à quiconque aurait des nouvelles de lui - son nom, sa vie depuis - de me les communiquer.

Peut-être que certains d'entre vous prétendront être ce fils, en ce cas j'examinerai toutes les candidatures qui se présenteront - en accouchant ma femme a relevé un signe distinctif du corps de mon fils qui ne trompe pas.
Rekkared
Cristòl a écrit:
Le soleil déclinait sur la plaine dans laquelle coulait l'Aude. Au Nord, les montagnes, les collines, les troupeaux bêlant ; parfois un loup emportant une, deux agnelles avant que les fourches n'aient raison de lui ; le murmure de quelques sauterelles téméraires alors que le printemps n'est même pas là ; l'eau claire des ruisseaux des montagnes glougloutant faiblement jusqu'à l'Aude.
Au Sud, la basse ville de Carcassonne, le cimetière, les vergers du Razès ; quelques paysans regagnant leur demeure ; les volutes des cheminées flottant dans le ciel sans nuages au-dessus des logis ; une fragrance mêlée des fumets des daubes, ragoûts, bouillies, soupes, cassoulets mijotant ; la silhouette, enfin, sur la colline, de la fière cité tutoyant les premières étoiles.
A cette heure à cheval entre le jour et la nuit, le silence se fit finalement dans la campagne. Les bruits de la journée s'achevaient, les insectes, les diurnes, s'étaient tus ; les nocturnes n'étaient pas encore en éveil. On retiendrait son souffle de peur de briser cet instant magique.
Alors la lente mélodie d’un flageolet s’éleva vers les nues. C’était une musique de pâtre, celle qui calme les bêtes les nuits d’orage, qui endort les sens et remplit les ventres. C’était un air de terroir, occitan dans ses moindres accords, un air de nostalgie, de souvenir. Il arrivait des collines du sud, tandis que la nature entamait son chant nocturne pour l’accompagner. Au loin, un chat sauvage hurla, tout près un hibou hulula. Dame Lune revêtit le paysage d’ombres bleues et fit briller deux yeux sur le chemin au sud du Pont Vieux. Le flageolet s’arrêta soudain. Il disparut dans une besace.
L’homme qui en avait joué était fort maigre. Il portait sur ses épaules une peau de mouton. Sa ceinture – un cordon – retenait des pantes de grosse laine. Il avait une chemise de la même mauvaise étoffe. Ses cheveux sombres étaient tressés à la hâte et tombaient dans son dos. Il avait une barbe de plusieurs semaines, dont l’état semblait peu le préoccuper. Son visage, surtout, était émacié, ses joues creusées, ses pommettes saillantes, ses yeux enfoncés sous un haut front qui, en d’autres circonstances, l’aurait fait passer pour intelligent. Il semblait bien plus vieux qu’il ne l’était réellement. On lui donnerait trente ans, il en avait à peine vingt.
De ses origines, il savait peu de choses... Il avait, lui semblait-il, passé quelques années au début de sa vie dans un monastère, puis était retourné avec sa mère. Enfin, c'était ce qu'on lui disait, et qu'il croyait. Il croyait dur comme fer que cette paysanne était sa génitrice. Il avait toujours, pour autant qu’il s’en souvienne, gardé les moutons de la paysanne. Berger, telle avait été son occupation. Il avait souvenir des soirées dans le giron de sa mère qui, résignée et les yeux embués, lui parlait souvent de celui qu’elle disait être son père.


-« C’était un érudit, un savant. Je ne savais pas grand-chose de lui, si ce n’est la lueur de ses yeux. Lui, sans doute, a été comme d’autres attiré par ma fraîcheur juvénile… Je ne pense pas qu’il ait jamais songé à m’épouser. Peut-être même avait-il déjà une épouse, ce ne serait pas improbable ; il ne m’en disait jamais rien. Mais il a toujours été bon et doux avec moi, pendant les quelques mois durant lesquels il m’a aimée. »

Et cette dernière phrase montrait bien l’illusion que la pauvre femme se faisait d’avoir été sincèrement aimée par l’homme qui l’avait engrossée - disait-elle. C’était par ce doux rêve que la femme avait réussi à se maintenir, à aimer cet enfant dont le visage lui rappelait le père, pendant dix longues années. C'était un tissu de mensonges qu'elle avait tant interiorisé qu'elle-même ne savait plus trop en distinguer le vrai du faux. Le vrai, c'était la qualité du père - qui d'autre aurait pu laisser son enfant dans un monastère ? Le faux, c'était qu'elle l'avait connu et qu'elle avait été aimée.
Le rêve s'acheva lorsque la femme mourut de la grippe. On l’enterra avec ses souvenirs tous mêlés, le souvenir d'un moine qui était venu lui remettre l'enfant, avançant qu'il avait besoin de l'amour d'une mère, ce souvenir qui aurait résolu beaucoup de choses si l'enfant l'avait connu, et qui dormait désormais à jamais sous la terre, les pierres et les lichens.
Le fils était resté seul, avec les brebis, les béliers, les agneaux et agnelles. Il avait vendu les rares effets de sa mère que lui-même ne pourrait porter. Pendant neuf ans cette vie lui convint et suffit à sa subsistance. C’était un enfant calme, rêveur, mais pragmatique. Il ne s’imaginait pas partir un jour en quête de son père tel qu'on le lui avait décrit : si cet homme, sachant qu’il existait, ne l’avait jamais cherché, il ne fallait pas s’attendre à ce que cela change.

L’été il grimpait avec son troupeau dans les montagnes, dans une petite bergerie perdue dans les gravats et les genêts. L’hiver il redescendait au village. Mais chaque an voyait le troupeau se réduire, et perché sur sa colline, avec ses yeux de rapace, le jeune homme contemplait la poussière soulevée par ces chariots, ces fourmis dans la plaine. Il voyait la cité de Carcassonne et pensait qu’une grande ville devait être à la fois grisante et dangereuse.
La dernière brebis rendit l’âme. Il récupéra sa tonsure, rassembla tout le peu de bien qu’il avait, et avec pour tout pain de route la moitié d’une miche et un fromage sec, il s’était mis en chemin.

Et le voilà, au pied des murailles de la cité, côté sud, fronçant déjà les narines à cause de l’odeur de la ville à laquelle les habitants devaient être habitués mais qui ne pouvait pas ne pas incommoder un nez qui n’avait connu que la pureté des montagnes.
Les portes de la ville étaient closes. Le jeune homme au galoubet se résolut à prendre un peu de repos, enveloppé dans sa peau de laine, blotti dans un recoin contre la Tour de Vade.
Il s’appelait Cristòl.
Rekkared
Chapitre I - La rencontre

Rekkared repensait parfois à ce fils, ce fils à peine né qu'il n'avait pu lui donner de prénom avant de se résoudre à l'offrir à un monastère local de Galice pour qu'il y soit élevé - oblat (oblatus). Ce fils dont il n'avait jamais eu de nouvelles. Ce fils qu'il n'espérait plus maintenant revoir un jour... Mais un signe corporel, que sa femme Carmen [n'existe pas IG] et lui même avaient eu le temps de remarquer, le rendait reconnaissable entre tous : bien que les yeux du nourrisson fussent sombres, il était déjà possible de prévoir qu'il aurait les yeux vairons, avec des iris de couleurs différentes [1] ! C'est en partie pour cette marque, qui pouvait passer pour diabolique, qu'ils l'avaient laissé à un monastère.

Cristòl a écrit:
Cristòl frissonna. Il ouvrit les yeux, le jour était là. Il chercha quelques miettes au fond de sa besace, les derniers restes de ses provisions, puis compta ses pièces. Enfin, compter… Autant qu’il était possible pour un jeune berger illettré de compter. Il lui semblait bien, dans un lointain passé, avoir appris à compter, il lui semblait même connaître les lettres de l’alphabet. Mais ce n’était qu’un souvenir opaque, recouvert de plusieurs années de solitude et de paysannerie.
Il joua un air avec son flageolet pour se mettre de bonne humeur, et l’air passa par-dessus les murailles de Carcassonne pour retomber sur les toits de la ville.
Bondissant sur ses jambes, il regarda face à lui les montagnes d’où il venait. Où plus rien ne l’attendait. Puis, pivotant, il se mit en route, longea les murailles inégales car reconstruites à plusieurs reprises sur les anciennes, millénaires. Il arriva à la route de Narbonne, et une porte de la ville. Un fin sourire s’afficha sur son visage.
D’un pas volontaire, il s’avança entre les deux battants de bois cloutés, mais une main forte l’arrêta. Un garde le questionna :


-« Eh, toi là ! Contrôle de douane. Qui es-tu ? D’où viens-tu ? Que viens-tu faire ici ? »

Cristòl posa sur le garde un regard étrange. Très étrange. Et dérangeant. Puis répondit, peu assuré :

-« Je suis Cristòl, je viens des monts Pyrénées, j’ai plus rien. Je… J’viens pour trouver du travail. »

Le garde grommela, dévisagea le jeune homme à l’aspect vraiment misérable puis lâcha son bras et lui fit signe de passer. Tout au long de la journée, ce regard persistera dans sa tête alors qu’il contrôlera les entrées et sorties de la ville. Il n’aimait pas le regard de cet homme.


Ce matin-là, comme parfois cela lui arrivait, Rekkared revenait de la boulangerie. Non point la boulangerie la plus proche, chez Meloun, rue de la venelle des Soudards (parcelle 30 du plan ci-joint **Le Cadastre de Carcassonne** ), mais pour faire un petit tour à pied bien matinal, celle qui est à l'autre bout de la cité par rapport à sa demeure, la boulangerie des Lices, chez Morzy (parcelle 125), à l'angle de la rue des Echoppes et de la place du Grand Puits. Il avait emprunté à l'allée ladite venelle des Soudards et maintenant il comptait passer au retour par la rue Lou Ravi qui débouche sur la Porte Narbonnaise. Et dans ces jours-là, il lui arrivait d'acheter du pain supplémentaire pour en donner à quelques vagabonds demandant l'obole.

Cristòl a écrit:
Le jeune homme en guenilles, découvrant une rue grouillante de monde et de vendeurs à la criée - « Viande de chat ! Tout fourré, pâte à miel ! » - ouvrit de grands yeux sur la vie urbaine. Il resta un moment campé sur ses deux pieds, sans bouger, à contempler. Puis la faim se refit sentir, maintenant que les notes de la flûte étaient loin, et il eut l'idée lumineuse de supplier les bourgeois et autres notables qui passaient.

-« L'aumône pour un pauvre ! Je n'ai rien mangé depuis deux jours, l'aumône grands seigneurs ! »

Et il posait sur eux ses yeux implorants. Un homme le rabroua, un autre lui donna une toute petite pièce, un denier, mais qui n'était pas rien comparé au trop faible butin qu'il possédait déjà de la vente des biens de sa mère.

-« Dieu vous le rendra ! »


Rekkared passa devant l'homme en guenilles qui demandait l'aumône, et comme ce jour-là il avait acheté du pain en supplément à cette intention, il lui en donna un bout. Il contempla, juste l'instant de ce don, l'homme, ses laines qu'il revêtait, son cordon formant ceinture, ses cheveux sombres tressés à la hâte et tombant dans son dos, son visage dont la barbe cachait mal ses joues creusées, ses pommettes saillantes, son visage dont on cherchait les yeux enfoncés sous un haut front, ses yeux, qui lorsqu'il les croisèrent, le firent frisonner. Des yeux des plus étranges : ils étaient vairons ! Comme, comme... Comme il en avait vu une fois, il y a bien longtemps, trop longtemps même pour qu'il puisse se souvenir de leurs couleurs. Mais un espoir, un faible espoir le saisi, et il osa demander :

-« Brave homme, d'où venez-vous ? »

Cristòl a écrit:
Le jeune homme avait remercié pour le morceau de pain et en avait mis immédiatement un bout dans sa bouche avant de sourire béatement. Il avala avant de répondre au charitable noble, en s'efforçant de parler sans manger la moitié des mots :

-« Je viens des Monts Pyrénées, généreux seigneur... J'y gardais les moutons, mais y sont morts. »

Et disant cela, avec un bonheur enfantin, le jeune homme mit un autre petit morceau de pain entre ses dents, un tout petit morceau moelleux qu'il savoura en regardant l'homme qu'il avait devant lui, et qui n'était pas parti.


Rekkared fût étonné qu'un homme démuni de tout puisse venir de si loin pour mendier :

-« Excusez ma curiosité, qui n'est point malsaine, mais n'avez-vous pas de famille, de proches, d'amis qui puissent vous aider ? Foix, Limoux ou Perpignan sont bien plus proches des Monts Pyrénées pour aller quémander, non ? Pourquoi venir si loin ? »

Rekkared regardait l'homme manger le pain avec compassion.
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[1] Allophtalmie (du grec allos, "autre" et ophtalmos, "œil") ou hétérochromie (du grec heteros, "autre" et khrôma, "couleur") : anomalie de coloration dans l'iris d'un seul œil ou des deux yeux (yeux vairons). Les gens aux yeux vairons ont les deux iris de couleurs différentes [http://georges.dolisi.free.fr/Terminologie/A/allo.htm ; http://fr.wikipedia.org/wiki/Iris].
Rekkared
Chapitre II - Une discussion s'engage

Cristòl a écrit:
Le jeune homme se gratta la tête, perplexe.

-« Vous savez, généreux seigneur, quand on est berger on est ben seul. Pis la mère est morte, et le père, je ne l'ai jamais connu. M'a dit que c'était un érudit. Les amis avec mes yeux, croyez-moi, ça fuit vite. »

Quant à répondre de sa présence à Carcassonne, il sembla à nouveau désemparé.

-« Pourquoi Carcassonne ? Eh... On m'a dit que le comté a une mine pas loin. Qu'ils ont besoin de bras. C'est que je compte pas rester mendiant, vous savez, c'est pas très glorieux. Là je viens d'arriver et j'ai faim, c'est pour ça... »

Rekkared voyait ses espoirs s'amenuiser mais tenta une dernière question :

-« Et ce père que vous dites n'avoir jamais connu, est-il mort lui aussi ? »

Cristòl a écrit:
Cristòl regarda le baron presque comme s'il avait dit une énormité. Puis il baissa les yeux et répondit :

-« J'en sais trop rien, moi, il l'est peut-être, ou peut-être pas. J'ai pas le souvenir de l'avoir connu... Il m'a laissé, alors. »

Il semblait affecté par ce sujet, plus qu'il ne l'aurait pensé.

-« La mère elle a jamais su me dire comment elle m'avait eu... Alors me dire ce qu'était devenu mon père, généreux seigneur... Comme j'vous ai dit, je sais juste qu'il est érudit. »

Et comme il se grattait la barbe, il songea à son aspect peu éloquent quant à son âge, et jugea utile de préciser :

-« J'ai dix-neuf printemps, sire... Parce que, je ne sais plus pourquoi, je sais compter, un peu. »

Rekkared était gêné d'avoir embarrassé son interlocuteur :

-« Excusez-moi de vous avoir posé toutes ces questions, mais voyez-vous, il y a une vingtaine d'années, en Galice, ma mie accouchait d'un garçon, dont les yeux, même encore sombres, laissaient présagés qu'il seraient vairons, comme les vôtres. Ceci nous fît peur, nous étions jeunes, crédules et croyons alors en une quelconque diablerie. Et étant sans le sou, nous décidâmes de confier le nouveau-né à un monastère, celui San Felix de Visonia [HRP : aujourd'hui Visuña, près de Villafranca, au confluent des rivières Burbia y Valcárcel, sur les contreforts de la sierra de Aguiar, aux limites du Leon et de la Galice]. Nous ne lui avions pas donné de prénom. Je me rappelle juste du lieu où nous l'avions laissé, San Felix, nom qui est aussi celui de mon domaine, Saint-Félix, près de Vinassan, en Narbonnais. Et depuis, je ne sais ce qu'il est devenu et j'ai presque perdu espoir de le retrouver un jour. »

Cristòl a écrit:
Le jeune homme releva les yeux et fixa intensément ceux du baron de Saint Félix. Lui qui croyait dur comme fer que la paysanne qui l'avait élevé était sa génitrice, se mit à douter.
Il doutait de tout, en cet instant. Il se rappelait ce que sa mère lui disait, qu'il ressemblait en tous points à son père - et en effet, surtout, il ne ressemblait pas du tout à la paysanne. Mais quel vague souvenir que celui qui reste neuf ans plus tard...
Il se rappelait la confusion de sa mère lorsqu'elle racontait son histoire, et les égarements et les incohérences du récit. Mais encore une fois, neuf ans plus tard, n'a-t-on pas déformé la réalité ?
Il se rappela surtout ce que sa mère lui radotait, qu'elle venait de loin, parce qu'elle craignait qu'on la traite de fille mère là où elle habitait. La raison pour laquelle même dans le petit village des Pyrénées, elle n'avait pas tant d'amis, à cause de son accent qu'après toutes ces années, Cristòl avait perdu pour prendre celui des pyrénéens...

Et un homme que le matin encore il ne connaissait pas, qui l'avait nourri avec charité et qui lui lançait des regards emplis d'espoir, venait lui dire que, peut-être, il était son père.

Cristòl regardait avec attention le baron, tordant ses doigts par nervosité, pensant beaucoup, ne sachant que répondre. Dans toute cette histoire, tout pourrait se tenir, c'était un puzzle auquel il avait joué toute sa vie alors qu'il manquait la moitié des pièces, qu'on lui apportait sur un plateau.

Seul l'amour infini qu'il portait à cette paysanne l'empêchait de bondir dans les bras du baron en criant « Père ! ».
Alors, au lieu de cela, il entrouvrit la bouche, et dans un mumure à demi couvert par la rumeur de la rue, de la vie qui continuait autour de ce couple pour qui le temps semblait figé, voire même sembler régresser, il répéta pour lui-même les arguments qui pourraient le convaincre que son père se trouvait devant lui.
Il observait ses traits, il essayait de se souvenir des siens, pour les fois où il s'était vu dans une rivière ou un morceau de fer poli. San Felix... Cristòl se surprit à penser que, ces deux mots, il saurait les écrire. Mal, mais il saurait. L'avait-il déjà écrit ? Sa pensée était trop confuse, et il avait mal au ventre. Il n'avait plus faim.

Il se redressa et regarda le baron de Saint Félix. Combien de temps avait passé sans qu'il ne lui dise rien ? Quelques secondes, quelques minutes, plus ?
Il hocha lentement la tête et dit :


-« C'est possible. »

Mais il ajouta :

-« Si nous trouvons un endroit calme, je vous raconterai tout ce que je sais de moi... C'est pas à moi de vous dire si vous êtes mon père, vous le saurez mieux que moi. »


Une lueur d'espoir rejaillit dans les yeux de Rekkared :

-« Volontiers. Je vous propose de venir vous restaurer en mon logis de Carcassonne. Ce n'est pas très loin, nous pourrons discuter en chemin et nous y serons plus au calme qu'en taverne. »

Rekkared hésita un instant, puis osa faire aussi la proposition suivante :

-« Excusez-moi encore, mais je n'ai de cesse d'observer votre visage, et il me semble y reconnaître certains traits de celui de ma femme, Carmen. Or seul un rassage pourrait le confirmer. Accepteriez-vous que je vous offre le barbier ? »

Toute ces propositions généreuses étaient d'ailleurs de mise en pareille situation, d'autant plus que l'éthique chevaleresque préconisait la largesse sans rien demander en retour.

Cristòl a écrit:
A cette dernière proposition, ce furent les yeux vairons du jeune homme qui s'embrasèrent. Quel luxe que toutes ces propositions, et quel plus grand luxe encore que de retrouver peut-être, après tant d'années, quelqu'un qui l'aimera.

-« Vous êtes trop bon pour moi, seigneur... J'accepte volontiers. Merci. »

Le jeune homme s'assura que sa besace était bien à son côté, puis suivit le baron de Saint-Felix jusque chez le barbier, un homme un peu bourru mais très attentif lorsqu'il s'agissait de mettre un couteau sous la gorge de l'un de ses clients - il n'aurait pas fallu les égorger par maladresse.
Rekkared
Chapitre III - Chez le barbier

Après que le barbier eut rasé la barbe du jeune homme, Rekkared regarda la face maintenant imberbe de celui-ci, eut un sourire et osa demanda au barbier :

-« Monsieur, remarquez-vous quelque chose entre ce jeune homme et moi-même ? »

Le barbier, quelque peu interloqué par une si étrange interrogation, réfléchit un moment en regardant les deux compères, et dit :

-« Ben, lui est habillé de guenilles, vous non... euh... Et pis, à y regarder de plus près, vous vous r'semblez ben un peu aussi, pourquoi ? »

-« Pour rien ! »

Rekkared dégaina son épée en acier poli, ce qui fît peur au barbier, mais qui le rassura tout de suite, lorsqu'il comprit que ce fût pour se mirer dedans. La longueur et le polissage de la lame permettant de se voir dedans à plus d'une personne à la fois, et ce malgré les déformations dûes à la gouttière centrale, le baron invita le jeune homme à le faire en même temps que lui.

Certaines ressemblances étaient frappantes...


Cristòl a écrit:
Le jeune homme, troublé par son propre reflet qu'il n'avait pas eu l'heur de voir depuis bien longtemps aussi propre et rasé de près, tenta un sourire.
Puis ses yeux croisèrent le reflet de ceux du baron dans l'épée, et il soutint un instant ce mirage de regard. Son coeur était un tambour-major. Pour la première fois, il osa prendre la main de Rekkared, et la serra presque sans y penser.
Il avala avec difficulté, et demanda d'une voix rauque :


-« Qu'en pensez-vous ... ? »

Rekkared regarda aussi son propre reflet répondit tout aussi ému :

-« Et bien... Je pense qu'il y a quelques ressemblances, et vous, qu'en pensez-vous ? »

Cristòl a écrit:
Cristòl cessa de regarder l'épée et tourna ses yeux vers Rekkared, puis répondit lentement :

-« Je pense... Je pense qu'il est poignant de sentir que je parle à quelqu'un que... que j'ai espéré toute ma vie. »

Et une larme s'allongea mollement sur sa joue lisse.

Rekkared regarda la larme du jeune homme couler, jeune homme qui n'était autre que son fils. Il rengaina son épée et dit :

-« Fils ! Dans mes bras ! »

Et Rekkared d'ouvrir ses bras au jeune homme.

Cristòl a écrit:
...qui ne manqua pas de s'y presser. Dieu que la vie était belle ! Le matin si misérable, le midi si bienheureux... Que lui réservait le soir ? Sa vie était changée à jamais. Jamais plus sans doute ne garderait-il des moutons, ne sentirait-il leur chaleur les nuits d'automne dans la bergerie. Il en fut un instant attristé... Peut-on sans douleur oublier dix-neuf ans d'une existence, pour une autre ? Mais cette pensée bien vite s'éloigna, et en quelques minutes il avait oublié qu'il s'était posé cette question.
Quoi qu'il devienne, il garderait toujours sa flûte, seul souvenir d'un temps révolu de sa vie, et quand il en jouerait il se retrouverait dans les montagnes. C'était tout ce qui comptait.

Cristòl tremblait, il ne pouvait s'arrêter, mais ne le tentait même pas. Il resta là, à pleurer en silence sur l'épaule de son père, car désormais tous les mots étaient vains. Jamais plus il n'appellerait "mère" la paysanne qui l'avait élevé, car elle ne l'était pas, et que la sienne, il la verrait bientôt, et la serrerait aussi contre lui, et lui demanderait pardon.

Rekkared se retint de pleurer, même si l'envie ne lui en manquait pas, mais pour la première fois de sa vie, il faisait son devoir de père : serrer son fils dans ses bras et le consoler.

Dès que Cristòl eut retrouvé son calme, il osa lui demander :


-« Fils, quel est ton prénom, car maintenant, il faudra que je te nomme par celui-ci. Le mien est Rekkared, Rekkared de Síarr, baron de Saint-Félix. »

Le barbier vaquait à ses occupations, préparant ses affaires pour le client suivant. Il ne faisait pas trop attention à la scène qui se déroulait à côté de lui, car il n'y comprenait pas grand chose et il se disait que ces nobles étaient parfois bien particuliers.

Cristòl a écrit:
Cristòl tâcha de sourire, comme un petit sourire désolé, avant de répondre :

-« On m'appelle Cristòl, père... juste Cristòl. »

Et prononcer ce mot, "père", le fit frissonner d'un plaisir bien compréhensible.

Rekkared répondit :

-« Eh bien, fils, désormais, tu te nommeras, Cristòl, Cristòl de Síarr, fils du Baron de Saint-Félix par la grâce de Dieu ! Puisses-tu porter longtemps et fièrement le nom de ton père ! »

Et Rekkared invite Cristòl à quitter l'échoppe du barbier pour rejoindre son logis de Carcassonne.

Cristòl a écrit:
Cristòl eut un sourire timide, et murmura un remerciement à Dieu du bout des lèvres. Jamais plus, sans doute, n'aurait-il faim.

Il suivit son père hors de l'échoppe, puis dans le dédale des ruelles de la ville, bien différente des villages qu'il avait jusqu'alors fréquentés. L'odeur, bien sûr, mais aussi l'agitation, les cris, une explosion pour la vue, pour l'ouïe, pour l'odorat... Les fours dela boulange qu'en campagne on n'allumait qu'une fois le mois, et qui en ville répandaient tout le jour leur odeur. Les coups secs des hachettes qui découpent la viande sur les lourdes tables en bois du boucher. Le bruit régulier des rouets et des encouragements des dirigeants des ateliers de tissage... Tout, tout, revêtait pour lui un nouveau visage.

Les cheveux grisonnants, enfin, de son père devant lui, son profil, son allure, ce qui devrait lui être familier bientôt, et sur lequel il posait un regard timide, comme s'il violait quelque secret ancestral... Ce n'était que le secret de ses origines.

Ils arrivèrent finalement chez Rekkared.
Rekkared
Chapitre IV - Chez Rekkared

Cristòl a écrit:
Rekkared et son fils arrivèrent, ce jour mémorable dans leurs deux vies, au 74 rue d'Alaric.
Cristòl leva les yeux, pensifs, sur la façade de la bâtisse.

Rekkared invita son fils à accéder au logis par la porte de gauche. Ils empruntèrent un escalier droit en bois et débouchèrent sur la Grande Salle dont les fenêtres donnaient sur la rue.

Là, Rekkared appela son écuyer servant et lui demanda de préparer à manger, ainsi qu'un bain chaud et des affaires propres pour son hôte & fils Cristòl.


-« En attendant un repas un peu plus consistant que ton morceau de pain, nous allons dresser la table, si tu veux bien. »

Rekkared lui indiqua ce qu'il fallait faire : ils dressèrent donc, au sens propre, la table, c'est-à-dire, qu'ils posèrent une planche de bois sur deux tréteaux, installation qui serait démontée une fois le repas terminé. Puis, ils recouvrirent la table du "doublier", nappe pliée en deux, à laquelle ils rajoutèrent une "longière", pièce de tissu aux pans de laquelle ils pourraient s'essuyer les mains et la bouche.

Après, ils disposèrent deux "tailloirs" pour les aliments solides, plaque ronde sur laquelle était posée une tranche de pain appelée "tranchoir" qui servait de support aux aliments en sauces, puis imprégné de jus, il pouvait être offert en aumône aux pauvres ou laissé aux chiens. Puis, deux écuelles pour les soupes et purées, deux gobelets pour le vin et l'eau et enfin autant de couteaux et de cuillers, mais pas de fourchettes, car ils allaient manger avec les doigts.
[2]

Cristòl a écrit:
Le fils participa à tous ces préparatifs avec une joie et une application enfantines : lui qui avait l'habitude de poser son séant sur une pierre ou un rondin de bois pour manger sur ses genoux...
Il faudrait sans nul doute un long temps avant qu'il ne se familiarise avec la vie urbaine.

Il mimait avec sérieux les gestes de son père, pour les apprendre, les mémoriser, et pouvait paraître aux yeux de certains gauche et maladroit, ridicule même, à agir ainsi.

Maintenant qu'il se trouvait chez son père, il se posa la question de savoir où pouvait bien être sa mère. Car sans nulle doute ne mangerait-elle pas avec eux, puisqu'il n'y avait des couverts que pour deux. Néanmoins, il n'osa pas parler de cette préoccupation à son père, estimant qu'il saurait mieux que lui quand faire advenir cette rencontre.

Le temps de dresser la table, et le repas était prêt. L'écuyer servant vint apporter l'unique plat préparé en vitesse en l'annonçant :

-« La soupe dépourvue, aux persil et aux épices ! »

L'écuyer servant posa le plat sur la table afin que chacun puisse se servir. Rekkared confia à son fils :

-« C'est une soupe improvisée très riche, composée d'eau, d'un peu de persil, d'une noix de beurre, de quelques tranches de pain frais - que je viens de rapporter -, de deux œufs - un chacun - d'un filet de vinaigre et relevé avec quelques épices : une pointe de gingembre, de muscade et de clou de girofle.

Cela va bien nous réchauffer et nous rassasier, tu vas voir ! » [3]
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[2] "Dans les cuisines du Moyen Age : manières de faire", Histoire médiévale, hors série n°8, nov. 2004-janv. 2005, p. 48-55 ; LAURIOUX Bruno, Manger au Moyen Age. Pratiques et discours alimentaires en Europe aux XIVe et XVe siècles, "La Vie Quotidienne", Hachette Littérature, Paris, 2002, p. 218-221.
[3] Il s'agit d'une recette tirée du Le Mesnagier de Paris, texte éd. par Georgine Elizabeth BRERETON et Janet Mackay FERRIER en français ancien avec la traduction en français moderne en regard et notes par Karin UELTSCHI, "Le Livre de poche - Lettres gothiques", Librairie générale française, Paris, 1994, 859 p. ; Dont une adaptation à notre cuisine moderne se trouve dans REDON Odile et alii (préface de Georges Duby, de l'Académie française), La gastronomie au Moyen Age, 150 recettes de France et d'Italie, Stock, Paris, 1995, recette n°10, p. 89-90. Le Mesnagier de Paris est aussi en ligne sur ce site anglais, mais en français ancien : http://www.pbm.com/~lindahl/menagier/. Il s'agit d'un traité de morale et d'économie domestique composé vers 1393 par un bourgeois parisien. Il contient des préceptes moraux, quelques faits historiques, des instructions sur l'art de diriger une maison, des renseignements sur la consommation du Roi, des Princes et de la ville de Paris, à la fin du XIVe siècle, des conseils sur le jardinage et sur le choix des chevaux, un traité de cuisine fort étendu et un autre non moins complet sur la chasse à l'épervier.
Rekkared
Chapitre V - Le repas

Cristòl a écrit:
Cristòl resta sans voix. Des épices ? Voilà quelque chose qu'il n'avait, de sa vie, jamais pensé goûter.
Il prit place à table, puis sa cuiller, et porta à ses lèvres la soupe dépourvue. Il sentit le bouillon glisser sur sa langue, écrasa contre son palais un morceau détrempé de pain, et avala. Son coeur, déjà tout chaud de bonheur, se trouva doucement embrasé par la soupe. Il sourit et releva la tête vers son père. Hésitant avant chaque phrase, car il prenait soin de les construire correctement et qu'il n'en avait pas l'habitude, il dit :


-« C'est vrai, père, que cette soupe est très bonne. Je vous remercie, vraiment. »

Et il ne savait quoi dire d'autre que merci, merci à Rekkared, merci à Dieu, au divin hasard... Il se souvint, alors qu'il avalait la deuxième cuiller, qu'il avait promis au baron le récit de son enfance.

-« Père, avec votre permission, je vais vous raconter comment j'ai vécu pendant dix-neuf ans... »

Et il partit dans son récit, s'évada une fois encore de ces murs étrangers, raconta sa vie avec la paysanne - il se reprenait quand par erreur il l'appelait encore sa "mère" - , sa vie avec les moutons, la faim qui le prenait parfois, le plaisir qu'il a à jouer du flageolet, ce qu'on lui avait dit de sa famille... Il avait commencé le récit avec la même application qu'il avait depuis qu'il avait rencontré Rekkared de parler bien, mais plus il racontait, plus il s'emballait, s'enflammait, et moins sa syntaxe et sa grammaire étaient soignés.

-«... C'pour ça que chuis parti d'là bas. J'savais pas, j'voulais pas vous chercher, mais vous m'avez trouvé, père. 'Voyez tout c'que ça change dans ma vie, pour la paysanne aussi... petite mère... Dieu la garde. »

Rekkared écouta avec attention le récit de Cristòl puis fît remarquer :

-« Oui, votre bonne mère Carmen se trouve être à deux journées de marche d'ici, au domaine de Saint-Félix en Vinassan au Languedoc [4], qu'elle gère lorsque je suis à Carcassonne. Nous irons la rejoindre dès que faire se pourra. Mais maintenant plus rien ne presse. Vous aurez le temps de prendre un bon bain et de choisir des habits propres avant de partir.

Donc, c'est sur le chemin de pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle que je recontrais Carmen, à Pampelune. Là, nous fîmes le voyage ensemble jusqu'à Compostelle... »

Et Rekkared de raconter à son fils la rencontre avec sa mère, la venue au monde de Cristòl, sa séparation forcée avec ses parents. L'entrée provisoirement dans les ordres de sa mère jusqu'à ce qu'une meilleure situation permette les retrouvailles de ses parents. Le vagabondage de son père de la Galice à Carcassonne, avec un détour par l'Artois puis le Poitou. Et enfin la bonne fortune avec la fondation des archives et un poste de Porte-parole provisoire du Languedoc, qui lui valu l'annoblissement. Les retrouvailles avec sa mère, et enfin la possibilité de lancer des recherches plus conséquentes sur son fils.

« ...et c'est ainsi que nous nous retrouvâmes, toi et moi. »

Cristòl a écrit:
Cristòl écouta le plaisant récit de sa famille... Et sourit lorsque son père attribua leurs retrouvailles à des recherches lancées.

-« Père, je pense que c'est plus Dieu que quiconque qui a permis que vous me retrouviez, car rien d'autre que le divin hasard a pu me faire venir à Carcassonne, et vous, vos faire venir à la porte, ce jour d'hui, précisément. »

Rekkared acquiesca d'un air coupable :

- « Oui, vous avez raison, c'est grâce à Dieu, mais je m'en veux et m'en voudrais toujours de n'avoir pu vous garder avec moi... »

Rekkared préféra changer de sujet :

« Je crois que votre bain est prêt, car j'en sens déjà l'odeur parfumée. »

L'écuyer servant avait préparé une barrique d'eau chaude dans la cuisine où Cristòl pourrait se laver les cheveux avec des feuilles de noyer et le corps avec du vin associé à de l'eau de rose et du jus de casseligne tandis que l'écuyer servant lui verserait de l'eau avec un pichet pour le rincer. [5]
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[4] Saint-Félix en Vinassan au Languedoc est distant de deux journées de marche (soixante-dix de kilomètres) de Carcassonne (la longueur de l'étape n'est pas considérable, au maximum, une trentaine de kilomètres par jour, quel que soit le mode de locomotion adopté (DELORT Robert, La vie au Moyen Age, 1982, p. 233).
[5] BOISSEUIL Didier, « Espaces et pratiques du bain au Moyen Age », Medievales, Nº 43, 2002, p. 5-12 ; CLOSSON Monique, Propre comme au Moyen Age, Historama N°40, juin 1987.
Rekkared
Chapitre VI - Le bain

Cristòl a écrit:
Un bain ! Cristòl n'avait jamais expérimenté cela, tout au mieux avait-il, aux temps chauds de l'été, profité de la fraîcheur de torents montagnards. Mais un bain, dans une maison, s'il savait que cela existait, jamais il n'aurait pensé en jouir un jour.

Depuis le matin tant de choses nouvelles et belles lui arrivaient qu'il se demanda un instant si tout cela n'était qu'un rêve. Mais il hocha la tête en se rappelant ce qu'il avait ressenti lorsque son père l'avait serré contre lui. Non, ce ne pouvait être un rêve.

Il remercia son père, se dirigea vers la cuisine et s'y dévêtit lentement, les yeux fixés sur la barrique d'eau. Après avoir dénatté ses cheveux, il appréhenda les feuilles qui lui étaient tendues, rentra dans la barrique avec précaution et se frictionna. Se laver à l'eau chaude, quelle singulière sensation... Un bien-être diffus l'envahit.

Quand il eut finit de se laver, il sortit de la barrique, prêt à s'habiller.

L'écuyer-servant lui présenta alors de nouveaux habits : des hauts-de-chausses en guise de caleçon, des heuses en guise de bottes couvrant aussi les jambes, un pourpoint pour couvrir le corps ainsi qu'un fond-de-cuve, sorte de pardessus doublé de fourrure, pour lutter contre le froid. [6]

Cristòl a écrit:
Lorsque Cristòl fut vêtu comme jamais auparavant, il se pencha en avant pour voir quel effet cela faisait sur lui, et il trouva cela seyant, quoiqu'inhabituel.

Il se tourna vers Rekkared.


-« Merci, père, pour tout. »

Pendant Cristòl était occupé à se laver, Rekkared s'était retiré dans sa chambre pour rédiger une lettre. Il revint au moment du sortir du bain de son fils, et il lui répondit :

-« Mon fils, je considère cela comme quelque chose qui vous est dû, et non comme un don. »

Puis il regarda Cristòl avec un amour paternel qui ne s'était encore jamais manifesté et restait coi devant la métamorphose opérée :

-« Cristòl, cela vous va à ravir ! Et votre mère Carmen... Oui, allons sans plus tarder la voir maitenant à Saint-Félix ! Si elle sera heureuse de me voir revenir plus tôt, elle le sera d'autant plus en vous voyant et en apprenant qui vous êtes... Mon fils ! »
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[6] VIOLLET-LE-DUC Eugène, Dictionnaire raisonné du mobilier, t. 3, Le costume médiéval, HEIMDAL, Bayeux, 2005 (réédition de certaines parties des volumes du XIXe s.).
Rekkared
Epilogue

Et Rekkared de serrer Cristòl dans ses bras, puis de se reprendre et de dire :

-« Qu'en dites-vous ? Savez-vous chevaucher ? »

Rekkared était comme un enfant à la simple idée de présenter le fils retrouvé à sa femme Carmen. Puis il confia la lettre à l'écuyer-servant en lui disant :

-« Il s'agit d'un acte par lequel j'informe l'Hérauderie de France que mon fils a été retrouvé. C'est une missve des plus importantes. Confiez-là à un maître de poste ou à un coursier que vous savez sûr ! Cette lettre doit arriver à Paris dans les plus brefs délais ! »

Cristòl a écrit:
Cristòl aimait quand son père le serrait dans ses bras. Un sentiment de fierté l'envahit peu à peu, mais il ne put s'empêcher de baisser les yeux pour répondre :

-« Je n'ai jamais monté qu'un âne, il y a quelques années. J'espère ne pas trop vous faire honte, père, mais j'ai beaucoup à apprendre. »

Entendant ce que son père disait à l'écuyer-servant, Cristòl s'interrogea en lui-même sur ce que pouvait être la "Hérauderie". Sans doute aurait-il des réponses dans l'apprentissage de sa nouvelle vie.

L'écuyer-servant s'exécuta aussitôt et Rekkared, se voulant rassurant, répondit à Cristòl :

-« Ce n'est point grave, fils, en vous plaçant devant moi, nous pourrons chevaucher la même bête et je pourrai vous en montrer quelques rudiments durant le voyage. »

Cristòl a écrit:
-« D'accord, père. Je tâcherai de suivre vos conseils. »

Tout pouvait commencer. Cristòl allait voir sa mère. Dans quelques jours seulement, le temps de ce voyage... Son ventre se serra. Il suivit Rekkared qui le conduisait où ils allaient prendre monture.

Rekkared et Cristòl descendirent donc l'escalier emprunté il y a quelques heures, puis prirent le couloir menant à la cour où paissait tranquillement la monture de Rekkared. Rekkared prit son destrier par le mors et le conduisit, via le couloir, à l'extérieur du logis, dans la rue. Là, s'adressant à Cristòl, Rekkared dit :

-« Alors, tu es prêt ? »

Cristòl a écrit:
Le fils hocha la tête et s'approcha de son père à qui il ne put s'empêcher de sourire.

-« Oui, père, je le suis. »

Comme Cristòl devait monter devant Rekkared, il devait monter le premier. Cela, il savait faire, sinon parfaitement, du moins assez bien. Il passa la pointe de son pied dans l'étrier droit et lança sa jambe gauche par dessus la croupe de la monture en prenant appui sur le garot du cheval.
Une fois en selle, tant bien que mal, Cristòl réalisa que les nouveaux vêtements qu'il portaient l'avaient empêché de se mouvoir avec toute l'aisance dont il disposait dans ses haillons - mais au moins, il était "beau", et espérait que sa mère, la vraie, Carment, aimerait le voir ainsi.

Rekkared monta à son tour sur le dos de son destrier. Point besoin de bagages autres que du pain de route et une gourde d'eau fraîche, et une lame pour se défendre. Il donna une dague effilée à Cristòl, qui lui servira autant à couper son pain qu'à se défendre tandis que lui-même attacha son épée mise au fourreau à son baudrier et celui-ci à sa ceinture. Puis il dit :

-« Mon écuyer-servant m'a confié qu'une compagnie de marchands louant les services de mercenaires s'apprêtait à quitter Carcassonne et passerait par Narbonne pour quelques foires en pays d'oïl. Pour plus de sécurité, nous nous joindrons à eux, ferons halte avec eux pour la nuit dans une auberge, mais nous les quitterons près de Narbonne, afin de prendre le chemin de Saint-Félix. »

Cristòl a écrit:
Le jeune homme remercia son père pour la dague et la rangea soigneusement à sa ceinture. Puis le voyage commença...
Ils rejoignirent la compagnie de marchands et leurs mercenaires, que Cristòl ne sut comment saluer : en égaux, avec un certain respect, ou avec un respect certain ?
Il prit le parti de sourire maladroitement comme presque tout le temps, un peu pour s'excuser d'être si étrangers encore à la vie qu'il menait - depuis le matin seulement.

Monter devant son père se révéla assez vite inconfortable, et sans doute aussi très inconfortable pour le baron de Saint-Félix, mais au moins Cristòl était-il assuré de ne point déchausser les étriers.

Ainsi Rekkared & Cristòl voyagèrent-ils sans embuches pendant deux jours jusqu'à la baronnie de Saint-Félix.

La suite ici : Arrivée de Rekkared et Cristòl au domaine de Saint-Félix.
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