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[RP] Et la nuit descend sur les sapins (bientôt) blancs…

Theolenn
Vers 18h la lumière commença à manquer. Theolenn posa le livre sur le bras du gros fauteuil où elle était installée et se leva. Tout dans l'âtre était prêt pour débuter un feu et les bûches rangées sur le côté de la cheminée lui permettraient de ne plus devoir sortir avant le lendemain.
Le briquet qu'elle frappa produisit une belle étincelle, du premier coup, et la pièce s'anima en quelques minutes. Puis ce fut le tour des deux lampes à huile et de quelques bougies.

Un bruit de grattage sur la porte, discret mais efficace, la fit sourire.
Toujours à l'heure, Dharma attendait patiemment de l'autre côté. Joyeuse, elle faisait aller la queue. C'était un de ses moments préférés dans ces journées savoyardes, celui d'aller s'étendre sur une couverture placée spécialement pour elle tout à côté du foyer. La vieille chienne grise aimait la chaleur.
Leur rencontre s'était faite pendant l'été, entre Foix et Carcassonne. Des journées de marche en parallèle avaient eu l'effet d'un apprivoisement mutuel. Un soir, un déclic avait scellé leur amitié qui avait toutes les chances d'être éternelle.

Le chalet était fait de gros rondins assemblés en une sorte de puzzle géant. Aucun clou n'avait servi à sa construction.
Il n'était pas grand mais comprenait quand même une agréable chambre sous le toit, dotée d'une terrasse avec panorama sur la vallée de Chambéry, et d'une armoire basse semi-circulaire qui permettait de nombreux rangements. Au rez-de-chaussée, une pièce à vivre qui contenait deux fauteuils, l'un devant la cheminée et l'autre dos à la fenêtre, une table massive entourée de 4 chaises totalement différentes entr'elles mais dont la facture était également à son goût, un gros buffet, un plus petit d'angle et cette monumentale cheminée centrale en grosses pierres grises et inégales, qui lui plaisait tant et avait énormément contribué à l'achat compulsif des lieux. Dans un coin, cachés par un mur plus fin en trompe l'œil, une bassine en bois et quelques contenants transformaient l'endroit en une petite salle d'eau rudimentaire.

En réchauffant un reste de ragoût de la veille, elle se remémora les quelques semaines qui venaient de s'écouler. Cette soudaine décision de retour dans la vie sociale après deux ans d'abstinence complète. Les anecdotes liées aux premiers contacts autochtones, un peu maladroits mais si sympathiques. Les journées passées à enseigner ou à suivre des cours aussi passionnants que variés et surtout, surtout, la gentillesse de toutes celles et ceux qui avaient croisé son chemin, sans aucune exception. Tout cela l'avait grandement aidée à prendre enfin le chemin de la guérison, le chemin d'un futur dont les contours, quoiqu'encore très flous, lui redonnaient le goût de survivre aux troubles du passé.

Et tout ça parce que la Savoie avait une bibliothèque qui possédait un livre d'Aristote, rédigé en grec, intitulé: "Métaphysique Alpha".
Comme quoi, on n'est jamais au bout des surprises que la vie nous réserve
...

_________________
Angel_de_chevelu
La journée fut laborieuse et appliquée. C'était juste terriblement long. Pour sa première journée de tailleur-tisserand improvisé, Angel avait du poncer les rectangles de cuir bouilli découpés qui feraient semelles ainsi que les pièces plus souples, poinçonnées, qui feraient le dessus des chausses. Et tout ce temps là son esprit battait la campagne.
La lumière tombait et désormais il finissait de lier par de fines cordelettes les différentes pièces. La couture était difficile et méticuleuse. Le fil devait rester solide et ne pas s'user par les passages répétés sur le cuir. On en maniait pas l'aiguille comme une épée, le jeune héritier l'apprenait à ses dépends. Les aiguilles cassaient souvent.




Il observa finalement la paire de chausses à la lumière de la chandelle d'un air victorieux mais éreinté et se mit à passer son doigt sur toutes les coutures. Le discret "W" calligraphié et poinçonné sur chaque le talon était du plus bel effet.
Les chausses étaient souples et sur le dessus du pied et au dessus de la cheville, un morceau de cuir bouilli les semellait et renforçait le talon. Il y enfila la main, tirant sur la pièce de cuir qui remonterait jusqu'au mollet, afin de couvrir le départ des éventuelles guêtres qui seraient portées avec. Amusé, il constata que sa main était trop large pour toucher la pointe de la chausse. Elle avait de petits pieds...

Dès le lendemain matin, avant même l'heure de la messe, il faisait les cents pas devant le chalet de dame Theolenn pour lui porter sa commande et en récolter le juste prix.
Theolenn
Une lueur bleutée s'insinuait par la petite découpe en forme de lune du volet de la chambre. Elle annonçait le tout début du jour. Theolenn se retourna entre ses draps, faisant instinctivement bien attention à ne pas faire tomber la grosse couverture de laine qu'elle emmenait dans chacun de ses voyages. Il était trop tôt, il faisait encore trop frais, elle ne cèderait qu'à l'invitation du soleil et si celui-ci ne se montrait pas, elle passerait la journée au lit…

Ses pensées vagabondes la replongèrent dans le sommeil.
Dans sa scène onirique, un albatros démesuré volait à tire d'ailes. Il portait un paquet minuscule et qui brillait.
Non, c'était des flammes !!! Le colis lui brûlait le bec qui se mettait à fondre peu à peu !
L'oiseau devenait soudain tout noir et perdait une plume.
La plume grandissait à son tour, tout en tombant au ralenti, avant de venir se poser tout en douceur devant son… nez!

L'endormie changea d'état en moins de temps qu'il ne faut pour le relater.
Devant son nez nulle plume, mais une truffe des plus humides ornée de deux yeux suppliants… Dharma voulait sortir et ce genre de demande ne pouvait attendre.

Theolenn enfila des chaussons de laine et passa un châle sur la vieille chemise d'homme qui lui servait de vêtement de nuit. Elle se tendit à la va-vite puis descendit avec précaution l'escalier un peu raide qui menait à l'étage du bas. En ouvrant la porte au chien, elle estima qu'il devait être 7 ou 8h à peine et pesta mentalement contre le manque de notion canine quant aux bienfaits d'une grasse matinée…

Dimanche… jour de farniente.
Ah zut ! Non !

Elle se souvint brusquement que c'était le jour du cours de la semaine où elle devait se rendre à l'Université. Un cours collectif de Stratégie Avancée et elle n'avait rien révisé ! Finalement, ce temps matinal qui lui était donné bien malgré elle, ne serait pas si improductif.

Il y avait autre chose de prévu aussi, non?… mais quoi?
Une promesse? … mais impossible de s'en souvenir…soit, elle se débarbouilla à l'eau glacée du baquet préparé la veille et "sauta" dans des habits propres.

Quelques braises lui permirent de rallumer de quoi faire chauffer un peu d'eau pour son breuvage revigorant du matin. D'un pot de grès, elle prit une mesure d'un mélange de chicorée, froment, orge maltée, figues et glands torréfiés, le tout finement moulu, qu'elle emballa dans un petit carré de linge très fin avant de le poser au fond du récipient d'eau. Ça n'avait plus qu'à mijoter gentiment et la pièce en serait embaumée pour la journée. Elle sortit son dernier pot de miel de lavande, made in Languedoc, et s'apprêtait à aller chercher du lait à la ferme voisine quand elle entendit Dharma qui aboyait avec cette insistance qu'elle avait quand elle voulait la prévenir d'un danger immédiat.

Intriguée, elle se rua sur la porte pour savoir de quoi il retournait et ce qui méritait un tel tapage de si bon matin, quand la teneur de la promesse dont elle tentait de se souvenir lui revint en mémoire: le tisserand !
C'était aujourd'hui même qu'il devait lui vendre une nouvelle paire de chausses! …et il était là, l'air un peu hagard, à piétiner devant sa porte, un colis sous le bras.

Aurait-elle mal auguré de l'heure? N'avait-il pas dit "Juste après la messe"?
La messe… à laquelle, soit dit en passant, elle avait promis d'assister… hum…^^

Et puis, comment savait-il qu'elle habitait ce hameau perdu?
Décidément, ou il connaissait vraiment tout le monde ou les savoyards étaient de vraies pipelettes… les deux, probablement…
Elle balaya toutes ses interrogations qui ne servaient à rien et lui sourit.


- Incroyable! Vous faites aussi la livraison… Vous n'auriez pas apporté le lait par hasard?

Devant sa mine totalement déconfite, elle prit pitié et ajouta:

- Pardon, je vous taquine… entrez vite, les matins d'Octobre sont frisquets dans votre région ... mais j'ai de quoi y résister, vous m'en direz des nouvelles.

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Angel_de_chevelu
Et Angel, qui se demandait comment il pourrait bien tirer du lait de son cheval, resta un moment planté comme un sapin devant la porte du chalet, avant de tendre devant lui benoitement le résultat de son travail de la veille.

- Je... vous... vos chausses !

Mais déjà elle l'invitait à entrer sous prétexte de matins frisquets, alors qu'il trouvait l'automne si doux cette année. La pauvre Theolenn allait certainement déguster quand le cœur de l'hiver savoyard serait là, mais cela lui ferait à coup sûr du travail: cols, bonnets, châles et couvertures se vendraient comme des titres de bannerets cet hiver. Et puis, cela lui ferait aussi prétexte à d'autres visites en ce chalet.

Il franchit donc le seuil à la suite de sa "cliente".


- Diantre... comme c'est charmant. Je ne soupçonnais pas qu'il y ait telles demeures sur les hauts de Chambéry ! C'est le vieux Grégoire qui m'a dirigé jusqu'ici, ce vieux est une gazette vivante, il sait tout sur tout le monde de Montmélian à Maché et du Reclus à Montjay. L'installation vostre ne lui aura pas échappé.

Voulez-vous bien essayer vos nouvelles chausses, ma dame ? Il y aura peut-être quelques ajustements à faire, et j'ai là en ma besace tout le matériel nécessaire.
Theolenn
Elle était encore en chaussons !!!
Il lui suffirait de baisser le regard pour le remarquer. Surtout de dos. La honte…
Dans ce genre de situation, une seule parade: faire comme si de rien n'était.
Lui montrant le siège devant l'âtre, elle l'invita le plus naturellement du monde à s'y asseoir:


- Prenez place, je vous en prie Ang… Messire de Chevelu, j'en ai pour une seconde à peine.

Par chance, elle avait rangé vaguement la pièce dix minutes auparavant. Seul un livre ouvert et qui traitait de teintures aux colorants naturels et quelques manuscrits où elle préparait son prochain cours traînaient encore sur la grande table qui lui servait aussi de bureau. Avec le miel…

Elle grimpa à l'étage avec une célérité étonnante.
Des bas propres? … Misère, où les avait-elle rangés?
Le premier tiroir de la commode fut gagnant, ouf, ouf, ouf…
Elle les enfila en deux temps trois mouvements et remit machinalement un peu d'ordre dans ses cheveux qu'elle n'avait pas eu le temps d'attacher et qui lui donnaient un air sauvageon. Tant pis, on ne peut pas toujours aller contre sa nature.

Exactement deux minutes plus tard, elle reparaissait à sa vue.


- J'ai hâte de découvrir votre talent…

Elle se remettait à peine de l'effet qu'avait produit leur première rencontre en taverne quant après avoir demandé un tisserand, il s'était proposé de le devenir à l'instant. C'était hallucinant et si peu probable que ça l'avait marquée. Sûrement une coïncidence avec des projets déjà mûrement réfléchis mais quand même, c'était bluffant en diable.

Elle s'installa sur une chaise face à lui et soupira de cette manière très particulière qui trahit un trop plein d'appréhension, d'excitation et d'attente mêlées. A cet instant, on pouvait aisément l'imaginer petite fille devant l'arbre de Noël, au moment d'ouvrir les cadeaux.

Dénouant la ficelle, elle ouvrit le paquet.
La surprise fut à la hauteur de ses espoirs.

Elle lui avait donné deux directives: le "W" discret et un "Étonnez-moi…" digne de son esprit d'aventure. La moindre des choses à dire sur son travail est qu'en apparence, les deux défis étaient plus que réussis !


- Magnifiques !!!!… Elles sont magnifiques… et vous êtes un menteur! … *ou un génie?* ajouta-t-elle pour elle-même
J'ai peine à croire que ceci est votre première paire de chausses !

En connaisseuse, ses doigts parcouraient les coutures, cherchaient l'emplacement des nœuds qu'un débutant aurait eu du mal à cacher entre les couches de cuir de la semelle. Mais rien, on ne sentait aucune irrégularité et les points étaient si semblables les uns aux autres qu'on eut pu croire au travail d'une machine.

Et que dire du modèle?
Simple, solide et original… tout ce qu'elle aimait.
Le système de lacets, qui permettaient de refermer la chausse à l'aide d'un nœud de côté si étonnant, lui plaisait tout particulièrement.
Le cuir était doux au toucher et il avait su choisir dans les peaux les endroits les plus propices aux différentes pièces à assembler. Le "W" était parfait, l'endroit le rendait présent et dissimulé en même temps. C'était un travail de professionnel et non de débutant comme il le prétendait.
Elle se pencherait sur cette énigme plus tard, pour l'heure, l'essayage s'imposait.

Elle défit le nœud du lacet et tenant la languette avant, fit glisser son pied gauche dans la chausse idoine. Elle tendit la jambe pour juger de l'effet en souriant béatement.
C'est alors que les choses se corsèrent…

Comment refaire le nœud magique ?

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Angel_de_chevelu
- Permettez-moi, Theolenn...

Et sans attendre Angel s'agenouilla et laça la chausse sur le côté.
Puis il prit la deuxième chausse et la frappa doucement sur son genou, priant sa cliente d'y placer le second pied afin qu'il le chaussa.


- C'est acte charitable que d'entrer en chaussure, madame, car il faut tendre la main pour y mettre le pied.
Allons, soyez-le doncques et ne faites point attendre la deuxième !


Et tout en souriant, il ouvrit bien grand la seconde chausse, tirant sur la languette, pliant et dépliant la semelle pour l'assouplir, tant et si bien qu'on aurait cru la chausse dotée de sa vie propre.

- Voyez comme la chaussure n’est pas indifférente à l'idée que vostre pied s’y glisse et qu’il y a comme une tension subtile dans le cuir...
Theolenn
… une tension subtile dans le cuir...
Quelques degrés volés à quelque phénomène inexpliqué firent légèrement rosir son légendaire teint d'albâtre.
Diable … il ne manquait que ce frisson qui, en traître, lui parcourut l'échine.

*Et voilà ce qu'on récolte à avoir trop d'imagination ! Reprend-toi, vite !*

Pour pallier les mots qui temporairement lui manquaient, elle s'exécuta derechef et tendit l'autre pied vers la chausse qui, ouverte par des mains expertes, s'offrait à l'envie d'être essayée.

Le luxe, elle l'avait refusé, le calme, elle l'avait subi, mais la volupté … ?
Se pouvait-il que le Sieur Griffes ait raison et qu'on puisse la trouver dans des actes aussi dérisoires que l'essayage d'une paire de chaussures?

Il fallait faire taire cette petite voix intérieure qui analysait en permanence et profiter de l'instant présent, simplement.
Et puis… il allait lacer la seconde chausse et pour ne pas perdre la face, il était impératif qu'elle soit attentive et enregistre les gestes adéquats.


… tendre la main pour y mettre le pied…
*Chuuut… tu recommences déjà !*
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Angel_de_chevelu
Dire que l'enfilage de cette seconde chausse ne troubla pas Angel aurait été nier l'évidence même et faire preuve d'autant de mauvaise foi qu'un duc présentant son bilan de fin de mandat.

Ce pied Theolennien était de proportions étroites, légèrement recourbé, large de deux doigts et long comme un moineau franc, compris la queue, petit du bout, vrai pied de délices, pied féminin qui aurait mérité un baiser comme un larron le gibet ; pied lutin, pied lascif à damner un archange, pied augural, pied agaçant en diable et qui donnait désir d’en faire deux neufs tout pareils, pour perpétuer en ce bas monde les beaux ouvrages de Dieu.

Le débutant-chausseur fut bien tenté de déchausser ce pied persuasif sitôt chaussé. Pour ce faire, ses yeux, allumés de tout le feu de son jeune âge, allaient vitement, comme battant de cloche, de ce dict pied de délectation au visage rêveur de sa cliente, et de rechef, ne savant lequel serait plus doux à dé-lacer.

Mais il n'était point venu en chalet avec de telles intentions, et se rappelèrent à sa souvenance les mots de feu sa mère Shera qui lui inculquait qu'en affaires, sentiments n'étaient point les bienvenus. Et à faire il y avait en perspective, puisqu'après les pieds c'est au décolleté de la dame qu'il comptait bien s'attaquer.


- Et... et on me dit que cet hiver sera rude, ma dame. En nos terres arides le rhume de pardonne guère. Et celui de poitrine encore moins. Vous devriez songer à acquérir de quoi couvrir vos... votre... enfin, votre cou et ce qui s'y attache. Un col.

A cette pensée il desserra le sien et reposa délicatement le pied chaussé sur le sol. Puis, se relevant:

- Je viens d'acquérir auprès de dame Méline quelques écheveaux de laine de première qualité. De la laine d'automne... aussi chaude que la laine d'hiver, le gras en moins. Si vous le vouliez... pour le col... vous n'avez qu'à commander.
Theolenn
Angel, ainsi agenouillé devant elle, n'aida pas son trouble à lâcher prise. Accaparé par sa tâche, il l'aidait à chausser son second pied et elle, au lieu de s'attacher à apprendre comment fermer pareil ouvrage, ne pouvait détourner son regard de ses cheveux, là, si proches, à la portée de sa main. Juste pour une simple caresse comme… comme un gage de… comme une reconnaissance pour… ou comme ça…
Il suffisait de tendre les doigts pour effleurer cette masse ondulante qui semblait souple et si soyeuse, et d'un noir de geai si profond qu'il aurait été si facile de s'y perdre.
La seule façon de résister à une tentation est d'y céder, Oscar eut approuvé.

Pourtant, Theolenn qui avait toujours privilégié son cœur au dépend de sa raison, laissa cette dernière triompher, persuadée qu'il se méprendrait sur le geste.
Sûrement pas autant qu'elle sur sa propre intention…

Soumise au flot de ses sentiments contradictoires, elle ne perçut plus que le son de la voix d'Angel. Seules quelques bribes parvinrent à son entendement; il parlait de l'hiver, de laine grasse… de choses qui se rattachaient à son cou, de col… de col?… à gravir?… mais en réalité, elle ne s'arrêta à aucun de ses propos.
Chaussée de rêve, elle se leva à sa suite et fit ses premiers pas… une semelle faite de nuages n'aurait pas été plus confortable, elle flottait littéralement.

Elle marcha de l'âtre à la fenêtre puis de la fenêtre à l'escalier, fit le tour de la cheminée en variant les allures pour revenir enfin vers l'artisan, le tout, les yeux rivés sur sa nouvelle acquisition. Enfin …presque, parce qu'il ne fallait tout de même pas oublier de le payer.
D'un récipient posé sur le linteau de la cheminée, elle retira une petite bourse et se retournant, l'interrogea du regard… avant de prendre deux godets grands comme des dés à coudre et une petite flasque en verre renfermant un liquide ambré.


- Là d'où je viens, il est d'usage de sceller une première vente en partageant l'ADN …mentit-elle sans sourciller.
C'est une variante angoumoisine de l'Alcool De Noix.

Joignant le geste à la parole, elle emplit les récipients à ras bord sans même lui demander son accord… Un remontant s'imposait et elle n'envisageait absolument pas de le prendre seule.

L'idée du col lui revint en mémoire. Bon sang… elle venait de comprendre ce qu'il lui avait proposé cinq minutes auparavant !!!…
*Un col à gravir, mais quelle ahurie!*
Souriant de sa propre étourderie, elle ajouta en remarquant la somme ridicule qu'il venait d'inscrire sur un coin de l'emballage pour le règlement des chausses:

- Un col, pourquoi pas?… peut-être le mois prochain...
Mais à la seule condition de pouvoir en choisir le montant. Il n'est absolument pas question que votre talent soit bradé de la sorte… je ne pourrais le souffrir.

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Angel_de_chevelu
Angel se saisit alors de son godet, le leva devant la dame:

– Buvons ça, et qu'affaire nostre soit scellée à l'Angoumoise !

Joignant le geste à la parole, le jeune homme, une main sur la hanche, arqua le dos, rejeta la tête en arrière et, le coude à l’équerre, s’enfila le contenu du godet sans respirer.

La réaction ne se fit pas attendre. Ses traits se contractèrent, faisant apparaître réseaux de rides dont l’existence était incompatible avec son jeune âge. Son visage passa d’un blanc verdâtre inquiétant au violet, puis au cramoisi profond. Sa bouche bée et ses yeux exorbités manquèrent alors de lui choir sur les joues. Il prit appui des deux mains sur le dossier d'une chaise pour ne point s’écrouler.

Il haletait comme qui a couru 30 lieues sans respirer, en maugréant ça et là quelques jurons admiratifs. Puis, la voix éteinte comme venue d’outre tombe, il réussit à articuler d’un ton de profond respect :


– Par le soc en fonte de Saint Maurice! Même la gnôle à pépé est pipi de nourrisson comparée à ça. J’ai cru un instant téter un volcan. Les noix ne manquent pas dans la combe de Savoie, il faudra que vous nous appreniez...
Theolenn
Theolenn, dans un premier temps, sourit, avec cet air d'innocence qui lui allait si bien… mais devant la collection nourrie de borborygmes divers et variés qui suivit et à laquelle elle ne s'attendait guère, elle ne put contenir davantage le rire qui couvait. Par saccades, reprenant un peu d'air entre deux crises d'hilarité, elle se libéra de toute la tension accumulée. Puis, calmée, elle osa le regarder, ses yeux rieurs emplis de larmes qu'elle essuya promptement du revers de la main avant de bégayer, un peu honteuse, mais si peu…

- Pardon… je… suis désolée, j'aurais dû… J'aurais dû vous prévenir…

Elle but le sien en deux phases; la première, une lampée justement dosée pour anesthésier la bouche et la gorge en douceur, puis la seconde, d'un trait, comme il se devait pour respecter la tradition. Le feu passé, elle rouvrit les yeux, apaisée.

- Maintenant si je vous dis que je suis née en Auvergne, dans la célèbre ville de Bourbon, vous comprendrez mieux, je suppose… ma tolérance aux … dopants.

Lui vint l'idée saugrenue qu'il avait beaucoup de chance de ne pas être une mule de concours, échappant ainsi à la petite dose de piment qu'on y ajoutait juste avant le départ de chaque course. La mule lui fit penser au cheval et, allez savoir pourquoi, le cheval à la messe… qui allait avoir lieu dans peu de temps.

- J'ai une confession à vous faire …et si c'était possible, s'il vous plaît, ne vous moquez pas de moi.
Je… l'autre jour, vous m'avez… enfin, j'avais dit que…mais en fait…


Progressivement, l'effet de l'alcool facilita l'aveu:

- Angel… aussi étonnant que cela paraisse, je n'ai jamais assisté à la moindre messe de toute ma vie.



- Vous comprenez… J'ignore ce qu'on y dit, ce qu'on est censé y faire, s'il faut s'habiller d'une certaine façon, emmener des offrandes ou autre chose… peut-être qu'il faut être baptisé aussi… toutes ces conventions … elles m'échappent la plupart du temps…
J'ai peur d'y être ridicule… ou déplacée… ou les deux…


Pourquoi lui confiait-elle ce premier secret?
Je n'en ai pas la moindre idée, seulement voilà, c'était dit.
Soit il était profondément choqué et il disparaissait subitement, peut-être même la dénoncerait-il à quelque parent dans l'inquisition, soit…

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Angel_de_chevelu
Le fond de la gorge encore brûlant du cordial partagé, Angel accueillit la "confession" de Theolenn avec étonnement mais sans aucun parti pris.

- Jamais allé à la messe ? Mais... croyez-vous, seulement ? Car vous savez, aller en Église, c'est comme aller à l'université. M'est avis que peu chaut au professeur votre tenue, vos gestes, ou même vos paroles. C'est votre attention à ses paroles et votre écoute qui comptent. Et c'est le cœur, et rien que votre cœur, qu'il vous faut habiller de grâce pour aller en cérémonie dans la maison d'Aristote. Savez-vous vous habiller le cœur, ma dame ? Vous m'avez confessé l'autre soir n'en avoir point; mais à cela, je ne peux croire...

A lui qui de part sa jeunesse et son éducation isolée était plus souvent élève que professeur lors de nouvelles rencontres, il lui plut cette fois-ci d'avoir quelque chose à enseigner, et surtout à cette femme qui semblait pourtant en avoir tant vu... alors il ne se priva point.

- Je ne suis point Théologue, Theolenn, le père Synesios vous l'expliquera sans doute mieux que je ne saurais le faire. Toutefois souffrez que je vous confie ma vue sur le sujet. Bien des gens s'imaginent que le Très-Haut n'apparaît que d'une façon dans la vie. Et qu'on ne lui parle qu'en sa maison, et à voix basse, lors des messes.

C'est une idée très dangereuse à mon sens. Cela empêche de voir Dieu partout. Si vous croyez que le Créateur ne regarde que dans une direction, n'a qu'une voix, qu'une oreille ou n'existe que d'une façon, vous Le croiserez jour et nuit sans Le voir. Vous passerez toute votre vie à Le chercher sans Le trouver. Parce que vous cherchez un Dieu masculin, par exemple.

Je crois que si vous ne voyez pas Dieu partout, même dans le profane et le profond, vous ne voyez que la moitié du tableau. C'est une grande Vérité. Le Très-Haut est dans la tristesse et le rire, dans l'amer et le doux. Il y a un but divin derrière chaque chose et, par conséquent, une présence divine en tout. Même dans notre rencontre présentement. Comprenez-vous cela ?
Theolenn
Theolenn l'écouta attentivement (religieusement?) et resta pensive un bon moment…
Quel que soit le phénomène qui avait permis leur rencontre, elle l'en remerciait de tout son cœur.
Elle ne s'était pas trompée sur son ouverture d'esprit. Une envie irrépressible la poussa à se livrer davantage…


- Je vous comprends bien Angel… et votre foi est si sincère et vos dires si … "allant de soi" que vos paroles m'ébranlent.

La jeune femme au passé composé inspira profondément…

- Est-ce que je crois?

De son regard clair, peut-être un peu trop brillant, ses yeux fixèrent les siens sans vraiment le regarder.

- Je crois à l'incroyable complexité de la vie… pas de notre parcours sur terre, non, mais plutôt de notre consistance même. La nôtre et celle de tout ce qui nous entoure.

- Je crois qu'à des échelles différentes, avec des modes différents, un escargot n'a rien à envier à un homme, en admettant que le gastéropode ait une conscience de notre existence, évidemment.

- Je crois à mon émerveillement constant devant la diversité que je découvre et qui sont autant de surprises pour ma nature curieuse.

- Je crois que tout a sa place… mais que l'homme abuse de la sienne… et en même temps, je pense que c'est dans la nature même du vivant d'imaginer qu'il faille détruire l'autre pour survivre… et ceci me fait penser qu'en cela, l'humain ne vaut guère mieux que la fourmi…

Ce qui me dérange un peu, c'est ce rassemblement de convictions sous une seule bannière, c'est que le guide, quels que soient ceux qui le prient, porte un nom précis. Qui choisit? Qui décide de l'histoire à croire?

- Il y a quelques années, j'ai rencontré un soir, dans une auberge, totalement fortuitement, un homme d'église qui portait le nom de Père Lorgol.
Au bout de la nuit et d'un long débat passionné, il m'a offert son unique exemplaire du "Livre des Vertus", me convainquant de le lire puis de l'offrir à un autre … à quelqu'un comme moi, dans le doute…
Je l'ai lu en une seule fois…. Mais je n'y ai vu qu'un joli conte, avec une hiérarchie par trop humaine…

- Pensez-vous que la limace ait besoin de croire en un dieu pour se donner du courage et avancer en terre inconnue?


Baissant la tête devant le paradoxe qu'elle s'apprêtait à commettre…

- Pourtant, tout là où mes pas m'ont guidée, l'éternelle voyageuse que j'étais autrefois ne pouvait s'empêcher de visiter la moindre chapelle, les églises et même les cathédrales, toutes bâties par des hommes qui ont des convictions profondes ressemblant aux vôtres. Chaque fois, bien au-delà du génie de l'architecture qui pourtant, à elle seule, est des plus remarquables, je me suis extasiée devant l'immense l'effort accompli, devant les sacrifices endurés par des peuples dont la ferveur me fascine… Je me suis bien souvent demandée ce qui poussait de pauvres gens à donner tout ce qu'ils avaient pour construire la maison d'un Dieu dont, en vérité, personne n'a une idée précise…

L'espoir? Est-ce cela? Est-ce que Dieu est une sécurité? Une assurance… ce qui permet de résister, de vivre en acceptant notre ignorance?

- Vous savez, quand on marche en solitaire des heures durant et par tous les temps, on a le temps de penser… trop, bien souvent…

Dans deux ou trois semaines, j'aurai terminé toutes les voies enseignées à l'Université et cependant, au lieu d'avoir des certitudes, chaque connaissance a généré davantage de questions… c'est sans fin. Parfois je me dis que nous choisissons notre drogue, notre potion utile pour accepter le monde comme il est…

- Et pourtant, quand la situation était critique, il m'est arrivé de prier… à ma façon, et toujours la nuit, le frais et l'ombre d'une église la nuit, son silence…

Je n'ai jamais pensé que qui que ce soit m'écoutait mais plutôt…
Oui, vous avez raison, c'est moi que j'écoutais, je m'octroyais de l'opportunité, comprenant, à travers mes demandes, la nature de mes erreurs, de mes doutes, de mes envies… et entrevoyant, par je ne sais quelle … entremise, le début d'un chemin possible.

- Mais de qui, de quoi, me venait cette subite clairvoyance? Me l'a-t-on insufflée à mon insu? Est-elle remontée du plus profond de mon être où elle se cachait parmi des souvenirs trop enfouis? Comment savoir? Quel humain peut certifier la réponse à l'hypothèse?

Je risque de vous paraître bien midinette si je vous avoue que je crois… tout simplement à l'amour, celui qui va au-delà du corps, au-delà de la séduction, l'amour-communication bien au-delà du paraître… celui qui donne le désir de vie au-delà de tout.


Redressant la tête, elle lui montra son visage, comme éclairé d'un feu intérieur...

Est-ce Dieu, cela?

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Angel_de_chevelu
L'effet de l'ADN était dissipé, et ce sont les mots de Theolenn qui maintenant alimentaient la flamme du jeune homme, sa propre foi naïve et pourtant si profonde qu'il prenait plaisir à partager avec elle, bien loin des raisons qui l'avaient amené au chalet.

Oui, Theolenn... je pense que tout cela c'est Dieu, mais qu'Il est bien plus encore. Il est la vie, car Il est l'étoffe de la vie. Chacun de ses aspects a un but divin. Rien n'existe sans qu'il y ait une raison comprise et approuvée par Dieu.

Bien sûr, le dogme artistotélicien que vous verrez si vous m'accompagnez à la messe pourra parfois vous sembler un peu rigide, voir même étriqué. Mais il est fait des valeurs de nos parents, des parents de nos parents, de nos amis et de notre société. Icelles forment la structure de notre vie, et les perdre serait défaire le tissu de notre expérience. Il n'est point péché que de les examiner une à une. Voir les réviser à la pièce. Ne démantelons pas la maison, comme le prônent les réformés, mais regardons chaque brique et remplaçons seulement celles qui semblent brisées, celles qui ne soutiennent plus la structure.

Le Très-Haut ne nous demande rien. Parce qu'il est Dieu, il n'a aucun besoin. Il est tout ce qui est. Par conséquent, Il ne veut rien et ne manque de rien - par définition. Si vous choisissez de croire en un Dieu qui, d'une façon ou d'une autre, a besoin de quelque chose (et qui est si contrarié, s'il ne l'obtient pas, qu'il punit ceux dont Il s'attendait à le recevoir), alors vous choisissez de croire en un Dieu beaucoup plus petit que le Très-Haut. C'est pour ça que ces cathédrales que vous avez vu sont si belles. Dieu n'en avait pas besoin, mais l'homme les lui a offertes. Pour rien, par amour.

Cela ne veut pas dire qu'Il soit sans désirs. Les désirs et les besoins ne sont pas la même chose. Le désir est le commencement de toute création. C'est d'abord une pensée. C'est un grand sentiment de l'âme. C'est Dieu qui choisit ce qu'il créera ensuite.

Connaître les désirs du Très-Haut, afin d'accéder à chacun d'entre eux, pas comme un devoir mais comme autant de preuves d'amour. C'est à cela que sert la messe.

Alors, nous y allons ?
Theolenn
Ses lèvres furent plus rapides que sa pensée et déjà formaient-elles un O silencieux que La question qui virevoltait dans son âme troublée, la rattrapa en vol…

Savez-vous vous habiller le cœur, ma dame ?

Savait-elle faire cela, le parer de cette grâce évoquée?
Qu'était la grâce à ses yeux?
Elle paniqua…


Le Très-Haut ne nous demande rien.

… et elle reprit son souffle pour achever sa réponse.

- Oui… oui, ce sera un honneur pour moi de vous avoir pour guide.

Réalisant mentalement un tri rapide de ce qu'elle devait emporter, elle ajouta avant que de s'élancer une nouvelle fois dans l'escalier étroit qui menait à sa chambre:

- Attendez-moi, je n'en ai que pour quelques secondes…

La houppelande atterrit sur son lit et toujours chaussée de ses nouvelles merveilles, elle enfila braies et chemise de lin gris, attrapa une cape mi-saison d'un vert d'eau profond accrochée à la patère et redescendit, le tout presque dans un même mouvement tant il n'était pas dans ses intentions de le faire attendre. En bas, elle ouvrit le grand coffre dont la charnière grinça légèrement, en retira un mince livret intitulé "Stratégie Avancée", le fourra dans la vieille besace de cuir souple qui traînait sous la table. Elle en fit passer la sangle, large, par-dessus sa tête afin de la porter en bandoulière croisée.

Comme elle avait l'estomac vide et qu'elle soupçonnait que celui d'Angel l'était aussi, elle choisit les deux plus belles pommes du compotier et, à cent mille lieues d'imaginer le symbole originel que ce geste pouvait évoquer, lui en tendit une.


- Je suis prête, advienne que pourra…

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