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[RP] Non, tu n’as pas de nom

Gabrielle_blackney
[Non, non tu n'as pas de nom
Non tu n'as pas d'existence
Tu n'es que ce qu'on en pense
Non, non tu n'as pas de nom*]


Gabrielle était assise dans sa chambre d’auberge, dans le Languedoc. Elle avait devant elle un parchemin vierge, de l’encre, une plume et s’apprêtait à écrire une lettre. Elle avait également, posée sur la table, une petite fiole. C’était cet objet qu’elle fixait. Une petite bouteille en verre contenant un liquide verdâtre et dont elle ignorait précisément la composition. Une petite bouteille en verre qui lui posait un énorme problème moral. D’abord parce qu’elle pouvait mourir d’en avaler le contenu. Et que même si sa vie était parfois compliquée, se donner la mort n’était nullement dans ses projets, du moins, pas dans ses projets immédiats.
Ensuite, parce que si cela ne la tuait pas elle, cela tuerait tout de même. Et si Gabrielle n’est pas très vertueuse, on atteignait là les limites de son immoralité.

Tuer pour se défendre était parfaitement concevable pour la jeune femme, mais tuer juste par commodité, pour se simplifier l’existence, c’était mal. Alors elle regardait cette fiole, fixement, comme si le liquide allait lui souffler la réponse. Elle n’avait parlé de sa possible situation qu’à trois personnes. Oui, possible car elle n’avait aucune certitude sur la chose. Mais si elle devait agir, c’était maintenant, elle n’avait pas le temps d’attendre. Enzo était absent, parti à un mariage en Bretagne, elle pouvait donc se permettre de souffrir durant une nuit et de saigner plus que de raison quelques jours sans attirer ses soupçons. Si elle en croyait le médicastre, en une semaine il n’y paraitrait plus. En revanche la femme du médicastre, elle, l’avait mise en garde, c’était dangereux et c’était un péché. Enfin, Mordric ne lui avait rien dit si ce n’est qu’il l’aiderait et ne la laisserait pas seule.

Seule, c’était pourtant précisément comme ça que se sentait Gabrielle. Seule face à une décision qui ne la laisserait de toute façon pas en paix, quoiqu’elle choisisse.
Avant de décider, elle écrivit une lettre rapide, une lettre sans intérêt et pleine d’omissions, voire de mensonges, une lettre qui ne disait rien et surtout pas ce qu’elle aurait voulu être capable de dire.

Citation:
A toi, Enzo
De moi, Gabrielle


Enzo,

J’espère que tout se passe bien sur les chemins et que tu arrives bientôt en Bretagne. Je sais comme tu aimes cette région et ses habitants. Mais au moins, y seras-tu plus en sécurité que sur les routes. Sauf si tu t’obstines à cracher sur le sol et à exposer tes armoiries normandes.Mais j’ose espérer que tu n’infliges pas ce genre de provocation à ta comtesse.

Ici, rien ne bouge. Il fait chaud et sec, l’air sent la lavande, je prendrais presque goût à la promenade et à la sieste.
Le climat du Languedoc n’incite vraiment pas à l’action.

Je vais mieux, je ne bois plus, comme j’avais commencé à le faire avant ton départ, et plus de révolte stomacale. Ca se confirme et je me sens revivre. Je finis presque par aimer les infusions à l’anis et à la menthe. Je continue, ceci dit, à piquer une petite gorgée de whisky à Mordric de temps et en temps et à boire un bouchon de calvados quand le cœur m’en dit. Il ne faut pas trop m’en demander non plus.

Je te laisse à ta bretonne. Fais en sorte qu’elle ne te garde pas.

Prends soin de toi,
Tu ne me manques pas encore tout à fait, mais presque,


Gab.


Une fois la lettre terminée et cachetée, elle fixa de nouveau la fiole.

Tout le drame de la condition féminine dans ce liquide glauque. Toute la liberté et la supériorité des hommes aussi, eux qui n’avaient pas à se poser ce genre de questions. Les paroles du médicastre résonnaient « que vous mourriez en prenant cette potion ou le jour de l’accouchement, il y a toujours un risque », de sa femme « ne tuez pas un innocent, j’adopterai cet enfant avec joie », d’Enzo – qui bien que n’étant pas au courant de la situation actuelle – l’avais mise en garde « si un jour ça t’arrive, ne tente surtout pas de prendre quelque chose ». Tout cela tournait dans sa tête. Et si elle mourrait ? Est-ce que cela valait le coup ? Est-ce qu’il ne serait pas plus raisonnable de faire ce qu’Aristote avait prévu et devenir mère ? Est-ce qu’elle n’aurait pas du prévenir Enzo ?

Et surtout, surtout, comment se regarder en face après avoir commis un tel acte.
Et pourtant ça n’était rien. Juste quelques gorgées. Une nuit atroce. Une semaine difficile. Et la vie reprendrait son cours. Et elle n’y penserait plus.
Oui, Ca n’était rien. A peine plus qu’un animalcule qui avait trouvé sa place dans une matrice qui ne voulait pas de lui.
Gabrielle soupira. Qu’Aristote lui pardonne. S’il était une femme, il comprendrait, et s’il était un homme, alors elle aurait bien des choses à lui dire. Elle prit la fiole, la devissa et en avala le contenu cul sec. C’était épouvantablement amer et elle sentit son cœur se soulever.

Elle se tourna alors vers celui qui était là. Pas celui qui devrait. Pas celui dont c’était le rôle. Mais il était là.
Et si le regard que Gabrielle posa sur lui ne semblait pas différer de l’ordinaire, elle avait pour lui une reconnaissance immense. Parce qu’il avait proposé son soutien et sa présence le plus naturellement du monde, parce qu’il n’avait posé aucune question, parce qu’il n’avait eu aucune remarque déplacée.
Il était juste là. Et c’était tout ce qui importait.


Mordric ? Tu veux bien t’assurer que cette lettre parte ce soir ? Tu peux y aller maintenant… Je te promets de ne pas mourir en ton absence.

Et un sourire, habituel rempart à la difficulté du monde. Même si elle savait qu’il ne serait pas dupe, lui qu’elle n’avait même pas appelé à l’aide et qui était pourtant venu.


*Anne Sylvestre
_________________
Mordric
La chambre n'avait pas été trop difficile à trouver.
Dans ce genre d'endroit, une bourse bien garnie offrait tout ce qu'on voulait.
Une piaule avec confort, dans une auberge lugubre où les cris d'une femme n'amènerait aucun questionnement. Aucun garde zélé s'imaginant piquer la tête d'un violeur au petit matin sur les remparts n'enfoncerait la porte au cours de la nuit.
Et puis qui en Languedoc aurait refusé un peu de discrétion au Chapeauté ?
Personne.
L'ami des Comtes et des Pairs, le patron des magouilleurs ou autre coupes-jarrets de Montpellier et accessoirement l'un des hommes les plus riches de la capitale.

Alors certes, l'auberge était miteuse, la vue de la fenêtre était obstruée et de la rue montait une odeur nauséabonde. Mais cette nuit et les prochaines, Gabrielle pourrait hurler autant qu'elle le souhaitait, personne ne viendrait les emmerder. Ils seraient seuls, deux assassins oeuvrant derrière le secret d'une porte close, commettant ce que beaucoup considéraient comme le pire des crimes.
Car le Chapeauté ne se voyait pas comme un simple complice.
Sous ses airs détachés et son mutisme, perlait parfois un regard grave sur la situation.
A aucun moment il n'avait poussé Gabrielle à choisir; il n'avait soufflé aucun conseil, aucun ordre. Il avait simplement dit "Je t'aiderai. Quoique tu choisisses". Tout cela au nom de l'amitié qui s'était liée entre eux. Tout cela pour cette complicité qui se tissait lentement au gré d'une vie qu'ils subissaient l'un et l'autre. Gabrielle, accrochée aux talons d'un Normand égoïste, Mordric suivant les pas d'un Pair altruiste.
Tous les deux avaient confié leur libre-arbitre à d'autres. Jusqu'à ce jour.

Allongé sur le lit, le mantel et les cheveux étalés sous lui, mains jointes sous la nuque, il regardait le plafond tout en surveillant sa comparse du coin de l'oeil.
Elle écrivait depuis un moment déjà. Surement quelques mensonges destinés à contenter Enzo, l'égoïste petit con Normand qui n'avait à aucun instant associé les nausées de Gabrielle à une éventuelle grossesse. Le père qui s'était barré au bras d'une comtesse pour jouer au faire-valoir, sans se rendre compte que ce rôle n'avait rien de glorieux. Il était devenu temporairement un courtisan... Voilà qui ferait bien rire une tavernière montpellieraine .
Cette pensée arracha un sourire au Chapeauté. Juste avant que son regard ne capte le geste de Gabrielle.
C'était officiel maintenant. Leurs âmes brûleraient bien en enfer. Plus de doutes à avoir. La damnation pour l'amitié d'une femme. Mordric, tu vieillis, tu faiblis.


"Mordric ? Tu veux bien t’assurer que cette lettre parte ce soir ? Tu peux y aller maintenant… Je te promets de ne pas mourir en ton absence. "

Un sourire en réponse et il se leva, ramassant son chapeau qu'il reposa négligemment sur sa tête, tenant d'offrir un air joyeux à Gabrielle.

Me voilà devenu coursier. Beaucoup de femmes t'envieraient Gabrielle Blackney.

Son regard balaya rapidement la pièce.
Bougies, linges et draps en quantité, whisky... Il rapporterait de quoi manger. Pour le moment, il se doutait qu'elle ne voudrait rien avaler. Et qu'il devrait la forcer à le faire. Mais ça, ça serait plus tard.


Besoin de rien d'autre ? Aucun regret ?

La question ne portait que sur la lettre qu'il désignait du regard et qu'il venait de prendre sur la table alors qu'il était encore près d'elle. Il se doutait qu'elle n'avouerait jamais rien à Enzo. Qu'elle préférerait la mort que de révéler ce qu'ils venaient d'entamer. Mais il avait promis son aide.
Et à cet instant, il estimait qu'il devait s'assurer qu'elle irait jusqu'au bout.

Un sourire plus tard, il se pencha sur elle et déposa un baiser sur son front. Un geste fraternel, empli d'un amour qu'eux seuls auraient pu définir. Puis, il se redressa et lui tournant le dos gagna la porte de la chambre, lançant d'une voix enjouée alors que ses yeux qu'elle ne pouvait s'embuèrent un instant:


Je rentre vite chérie ! Ne t'endors pas trop tôt je ne voudrais pas te réveiller !

La porte franchit, il soupira.
Oui, la nounou des Blackney avait besoin de vacances. Et vite.

_________________
Gabrielle_blackney
[Oh non, tu n'es pas un être
Tu le deviendrais peut-être
Si je te donnais asile
Si c'était moins difficile
S'il me suffisait d'attendre
De voir mon ventre se tendre
Si ce n'était pas un piège
Ou quel douteux sortilège*]


Besoin de rien d'autre ? Aucun regret ?


Si des tas. Mais comment faire autrement ? On est obligé de se taire quand on ne peut pas dire l’indicible, alors…

Et Mordric avait raison, elle préfèrerait crever que d’avouer son geste à Enzo. Et elle savait que le Chapeauté ne dirait rien non plus. Un funeste secret qui les lierait tous les deux. Un funeste secret pour un funeste dessein. Un pacte sombre que le baiser sur le front de Mordric venait sceller, à tout jamais et quoi qu’il arrive, ils auront vécu ça. Ensemble.

Gabrielle le regarda s’éloigner et sitôt la porte refermée, elle chercha du regard l’objet de sa délivrance. La potion amère faisait son effet, le haut de cœur ne tarda pas à se transformer en nausée, nausée qui s’acheva en un jet chaud et visqueux, répugnant magma rejeté par un estomac révolté. Elle repoussa le seau, dont l’usage prévu était tout autre. Quelle imbécilité de faire avaler un liquide aussi répugnant à des femmes enceintes qui se levaient tous les matins avec le coeur au bord des lèvres.
Elle fut néammoins contente que Mordric ne soit plus là. Il y a certaines choses qu’elle n’avait pas envie de montrer, même à un ami. Et le spectacle d’elle-même vomissant tripes et boyaux en faisait partie.

Elle resta là, assise sur la chaise, légèrement penchée en avant, les bras posés sur les genoux, le ventre vrillé par de fortes crampes, la gorge brûlée et acide. Le temps se dilatait, elle avait l'impression que les minutes s'écoulaient plus lentement que jamais, qu'avant n'avait jamais vraiment existé et que demain n'arriverait pas.
Elle eut cette pensée, fugace mais bien présente, pour la petite vie qui s’achèverait ici, dans cette chambre miteuse. Ca n’était rien encore, à peine un battement de coeur, mais elle ne pouvait s’empêcher de songer que ça n’était pas bien digne de ce qui aurait pu devenir son enfant et le sien à Lui aussi.
Alors en attendant le retour de Mordric, elle enleva son chapelet d’autour de son cou, elle le regarda et le posa sur la table. Tant qu’à pécher, autant ne pas porter les artifices de la piété.

Confiteor Deo omnipotenti
Omnibus Sanctis, et tibi, pater.
Quia peccavi nimis cogitatione
Verbo et opere
Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa**

Oui, elle avait péché. Plus que jamais. Et elle avait peur. Elle crevait de trouille même. Pas de brûler en enfer, elle n’espérait plus le salut de son âme depuis quelques temps déjà.
Non, elle avait une peur bien plus banale, bien plus primale, bien moins avouable finalement. Elle avait peur de mourir. Oui, elle avait beaucoup péché et elle péchait plus encore en ayant l’orgueil de penser que sa vie avait encore un peu de valeur. Même après avoir commis un acte aussi ignoble. Un acte impardonnable qui certainement condamnait celle qui le commettait à une vie maudite. Mais l’instinct de survie de Gabrielle était là. Elle voulait vivre. Et elle osait même penser qu’elle n’était pas vraiment coupable, pas plus en tout cas que la vie qui obligeait des femmes à tuer en leur sein le fruit de leurs amours que la société disaient coupables.


Quia peccavi nimis cogitatione. Verbo et opere . Mea culpa, mea culpa, mea max…

Un coup d’épée en plein ventre la fit se plier en deux et stopper son murmure. Une douleur atroce qui la saisit sans prévenir.
Et Gabrielle sentit la panique la gagner, elle allait mourir ici cette nuit.
Et Il n’en saurait rien.
Et Il ne serait pas là.


*Anne Sylvestre
** Je confesse à Dieu tout puissant.
A tous les Saints,et à vous, mon Père.
Que j’ai beaucoup péché, par pensées.
Par paroles et par actions.
C’est ma faute, c’est ma faute, c’est ma très grande faute. (confiteor version tridentine)

_________________
Mordric
[Quand les hommes choisissent de tuer des innocents pour parvenir à leurs fins, il s’agit toujours de meurtre.*]


Le pas rapide, la tête baissée, il revenait vers l'auberge.
La lettre était déjà partie, quelques écus avaient suffit à s'assurer qu'on la porterait avec diligence au destinataire.
Le soucis réglé, le Chapeauté se hâtait de regagner la chambre, traversant la ville, persuadé que des heures s'étaient écoulées depuis qu'il s'était adossé en soupirant à la porte qu'il venait de fermer.
Il savait les prochaines difficiles, il savait que la nuit se passerait dans la douleur et dans la peur. Cela perturbait quelque peu sa notion du temps et étirait son pas en une foulée rapide, il ne voulait pas laisser Gabrielle trop longtemps.

Depuis la décision de la soutenir prise, il avait pris conscience de ce qu'il faudrait faire, de la limite qui serait franchie.
Sa vie durant il en avait pourtant déjà dépassé quelques unes, sans jamais se poser de questions, sans jamais réfléchir à ses actes, aux répercussions.
De vols en meurtres, d'adultère en fornication, il avait mené une vie loin des préceptes aristotéliciens, riant lorsque l'on évoquait son âme immortelle... Mais cette fois, l'acte le perturbait.

Peut-être avait-il atteint ses limites cette fois ?
Tuer un enfant dans le ventre de sa mère, le pire des crimes ? Etait-ce vraiment ce qu'il avait commis de pire ? Il ne lui semblait pourtant pas.
Alors pourquoi se sentait-il si mal face à cette situation ? Mentir, il le faisait si bien; dissimuler, c'était sa marque de fabrique; tuer, il avait déjà eu l'occasion de pratiquer. Etait-ce parce que c'était d'un enfant qu'on tentait de se débarrasser ? Ça aussi il l'avait déjà fait.
Peut-être que tout simplement, il partageait la peur de Gabrielle. Oui, ça ne devait être que ça... Simplement. Que ça. Il l'espérait.

Mais bientôt, il aurait l'esprit occupé à autre chose.
Il venait de passer la porte de l'auberge et d'un pas toujours aussi pressé se dirigeait vers le tenancier, avant de remonter vers elle, il avait une commande à passer.


Du pain, du fromage, une terrine du vin et un seau d'eau supplémentaire.
Quelques fruits peut-être aussi. Ce que vous trouverez. Et grouillez.
Ensuite qu'on ne me dérange pas.


Ton impérial, visage fermé... Le Chapeauté n'avait plus le goût au sourire.
Il tourna les talons, il du se contenir pour ne pas monter les escaliers au pas de course.
La panique de trouver Gabrielle morte venait de le saisir. Qu'elle conne de l'avoir envoyé s'occuper de ce tissu de connerie qu'elle avait appelé lettre. Il était sûr qu'elle s'était écroulée au moment même où il avait quitté l'auberge.

Mais non. La porte ouverte lui offrit le spectacle d'une Gabrielle courbée en deux, grimaçante de douleur.
La souffrance... Ce qui était la certitude qu'elle vivait. Il n'y a que les morts pour être libérés des maux du corps. Les veinards.
La porte claqua et en deux pas il se tenait près d'elle, mantel et chapeau jetés au sol.
Deux mains fébriles écartaient les cheveux retombés sur le visage de Gabrielle, deux mains tremblantes qui la forçait à relever quelque peu le visage. Une vois mal assurée qui franchissait ses lèvres.


Gab, déconne pas... Reste avec moi. C'est pas l'heure.
J'ai encore besoin de toi.

Et d'un sourire jeté par désespoir.





*Elizabeth Anscombe
_________________
Gabrielle_blackney
[Savent-ils que ça transforme
L'esprit autant que la forme ?
Qu'on te porte dans la tête ?
Que jamais ça ne s'arrête ?
Tu ne seras pas mon centre
Que savent-ils de mon ventre ?
Pensent-ils qu'on en dispose
Quand je suis tant d'autres choses ?*]


Douleur. Peur.
Juste ça.
Ca faisait mal. Et c’était terrifiant.
Rien d’autre à dire, à ressentir, à analyser.

Gabrielle entendit la porte s’ouvrir. Elle savait que ça ne serait pas Lui. Et pourtant elle l’espérait. Mais non. Il était en Bretagne, loin. Et il ne savait pas, parce qu’elle ne lui avait rien dit.
Il n’était pas là, Il ne viendrait pas, et elle ne pouvait pas lui en vouloir. C’est à elle qu’elle en voulait en cet instant. Idiote qu’elle était de ne rien avoir dit, d’avoir tu l’important juste par peur de le perdre.

Il n’était pas là, mais Mordric oui. Qui lui enlevait les mèches qui lui tombaient sur les yeux, qui lui relevait le visage et qui lui disait les mots qu’elle rêvait d’entendre de la bouche d’un autre.
Alors elle lui sourit, un sourire un peu crispé, un sourire peu assuré, un sourire qui suintait la peur, mais un sourire tout de même.


Je ne mourrai pas… Pas cette nuit en tout cas. Et pas ici…

Et de se redresser un peu. Ca ne faisait plus si mal. Juste une douleur sourde qui lui rappelle un peu la fois où petite fille elle avait mangé des pommes encore vertes sans écouter les mises en garde de sa mère. Cette pensée la fit sourire plus franchement.

Tu sais, Mord…

Bloody Hell** ! Ca revenait. Gabrielle ferma les yeux et agrippa l’avant bras de Mordric en tentant de résister à la douleur. Son ventre se tordait, ses tripes vrillaient, elle avait l’impression que ses organes voulaient se faire la malle, que quelqu’un s’amusait à faire des nœuds avec ses boyaux.
C’était atrocement douloureux et Gabrielle ne put retenir un gémissement. Elle en était maintenant certaine, même si elle venait de dire le contraire, sa fin était proche. Elle allait se vider de toutes ses humeurs et de toutes ses tripes au milieu de cette chambre sordide. Elle allait crever, et on retrouverait son corps exsangue au milieu d’une marre sanglante.

Elle resserra son étreinte sur le bras.
Même dans la douleur, même en train de mourir, elle ne put s’empêcher de penser que ça n’était pas ce bras qu’elle aurait voulu tenir. Et elle s’en voulu de ne pas pouvoir être simplement reconnaissante envers celui qui était là, sans penser à un autre. Reconnaissante, elle l’était pourtant, profondément et sincèrement.
Toujours pliée sous le coup de la douleur, elle sentit une substance chaude s’échapper d’entre ses jambes.
Elle porta la main dans ses braies et la ramena devant ses yeux.
Une main rouge.
Une main ensanglantée.
Une main criminelle.

* Anne Sylvestre
** Bordel de m*erde

_________________
Mordric
[Der Mutter die mich nie geboren
hab ich heute Nacht geschworen
ich werd ihr eine Krankheit schenken *]



Aucun mot ne franchit les lèvres du Chapeauté alors qu'elle emprisonnait son bras de sa main. Cette main aux doigts pâles.
Aucun mot ne franchit les lèvres du Chapeauté alors qu'elle portait à leurs regards une main criminelle. Cette main aux doigts ensanglanté.

Sa seule réaction fut sa propre main qui vint se saisir doucement du poignet de Gabrielle pour écarter de leurs vues la preuve de leur crime et la forçant à le regarder dans les yeux.


Tu vas venir t'allonger. Tu pourras hurler si tu le veux et demain, une fois que ça sera passé, tu casseras une chaise ou deux.
Mais tu ne crèveras pas, tu l'as dis toi même. Alors garde bien ça en tête.


Un sourire étira doucement ses lèvres alors qu'il gardait les yeux rivés aux siens. A cet instant, son affection pour la jeune Blackney aurait presque pu se faire tangible. Son regard trahissait une douceur dont il ne faisait jamais preuve et il s'en rendait compte.
Mais c'était Gabrielle et il s'en foutait. Ils venaient de basculer dans l'intimité la plus profonde en tuant cet enfant ensemble, jamais plus rien ne serait pareil entre eux.
Pour le meilleur, comme et surtout pour le pire.

Lentement, il retira la main qui retenait toujours son avant-bras et se leva pour récupérer l'un des linges propres déposés sur une commode. Quelques secondes plus tard, il l'avait trempé dans le seau d'eau qu'il avait mandé à leur arrivée quelques heures plutôt. Quelques secondes encore plus tard, il s'était agenouillé devant Gabrielle et nettoyait méthodiquement la main souillée. Absolution temporaire. Il jouait à merveille son rôle de complice en maquillant leurs traces.


Viens maintenant.

Aucune invitation dans cette phrase car il venait de la saisir. Un bras sous les genoux, l'autre sous les bras, il la soulevait de sa chaise, la portant contre lui.

Je crois que tu es la première femme que je porte dans un lit sans avoir l'intention de la toucher...
C'est vraiment l'expérience de la journée !


Une boutade, une habitude. De quoi essayer de dédramatiser la situation alors qu'il la déposait délicatement sur le lit, alors que derrière lui on frappait à la porte.

Posez tout sur le pallier et barrez vous.

Un aboiement, sans politesse et agacé. Ce n'était pas le moment qu'une servante zélée entre et voit Gab dans cet état. Ni le linge devenu écarlate et reposant sur le sol, ni quoi que ce soit qui se trouvait dans cette pièce.
Tout se jouerait à huis-clos.
Trois étaient rentrés, deux en sortiraient.
Si Dieu leur pardonnait.




* Rammstein - Mutter.
Trad:
A la mère qui ne m'a jamais fait naître
J'ai juré cette nuit
De la rendre malade

_________________
Gabrielle_blackney
[A supposer que tu vives
Tu n'es rien sans ta captive
Mais as-tu plus d'importance
Plus de poids qu'une semence ?
Oh, ce n'est pas une fête
C'est plutôt une défaite
Mais c'est la mienne et j'estime
Qu'il y a bien deux victimes*]


Gabrielle n’arrivait pas à détacher son regard de cette main. Est-ce que c’était fini ? Est-ce ainsi qu’on tuait un innocent ? Est-ce qu’elle pourrait se le pardonner ? Est-ce qu’elle regrettait ? Est-ce… ?
Elle regarda Mordric qui éloigna cette main, la nettoya, enlevant toute trace de sang, toute trace du crime. Mais elle le sentait encore ce sang. Il lui semblait que jusqu’à la fin de ces jours, si elle survivait, tout ce qu’elle regarderait serait souillé de ce rouge impur et infâme.
Elle ne bougeait pas, laissant Mordric faire, elle ne disait rien, elle n’avait rien à dire.
Il n’y avait rien à dire.

C’était fini.

Il y avait toujours cette douleur, lancinante crampe qui semblait vouloir faire éclater son ventre. Elle sourit donc quand Mordric la prit dans ses bras, comme un chevalier porte sa princesse, ou un mari sa femme le soir de ses noces. Elle sourit parce qu’elle aurait pu marcher, faire les quelques pas qui la séparaient du lit. Mais ce geste était terriblement touchant, surtout venant de lui.
Et elle sourit aussi à son mot d’esprit. Il ne la toucherait pas, non, mais il verrait d’elle bien plus que tous les autres jusqu’à maintenant. Il y a plusieurs façons de se mettre à nu et de partager son intimité.
Elle n’entendit pas frapper quand il la déposait sur le lit, et elle n’entendit qu’à peine la réponse de Mordric. Elle était épuisée, elle voulait dormir. Oui c’est ça, fermer les yeux et dormir. Et puis le noir. Elle sombra dans le noir accueillant. Une minute ? Une heure ? Elle n’en su rien. Mais elle rouvrit les yeux sous le coup d’une douleur fulgurante.

Ca n’était pas fini.

Et la nuit se passa. Alternance de douleurs atroces, de saignements, de moments de répit. Une nuit longue et angoissante. Une nuit de peur et de culpabilité. Une nuit dont Gabrielle espérait la fin.
Elle s’épuisait sous la douleur, elle s’épuisait sous le sang et les humeurs qui quittaient son corps, elle s’épuisait sous le remords.
Elle s’épuisait en prières silencieuses, à vouloir se racheter de sa faute, de son crime.
Elle s’épuisait à penser à Lui qui était si loin, à se demander ce qu’il faisait, ce qu’il pensait, à se demander ce qu’il dirait s’il savait.
Elle s’épuisait en questions inutiles et vaines. Il n’était pas là, il ne viendrait pas, il ne saurait pas.

Oui, la nuit se passa et le petit matin finit par avoir raison d’elle et la trouva endormie.
Epuisée mais vivante.


*Anne Sylvestre (oui, vous avez compris, vous allez vous taper tous les couplets ou presque)
_________________
Mordric
Oui la nuit se passa et le matin les cueillit. Mais elle fut éprouvante. Pour l'un, comme pour l'autre.
Si Gabrielle ne fut pas consciente de tout, le Chapeauté n'oublierait jamais rien de tout cela.
Il se souviendrait longtemps avoir vu sa complice s'endormir, presque apaisée. Cet instant de répis, le premier de ceux qui viendraient durant la nuit.
Il se souviendrait longtemps avoir observé Gabrielle, allongée sur le lit, livide du sang perdu au nom de leur crime.
Il se souviendrait longtemps de la façon dont il avait nettoyé la sueur de son visage avec un linge humide.
Il se souviendrait longtemps de tout cela, même s'il ne le savait pas encore.

Mais revenons à cet instant là, alors que linge à la main il venait de lui apporter un confort qu'elle ne remarquerait pas.
Il était à genoux au pied du lit, le seau à côté de lui et il contemplait cette tâche sombre et humide qui maculait l'entrejambe de Gabrielle.
Il ne pouvait détacher ses yeux de la marque de leur infamie.
Ce soir, cette nuit ils avaient enfin donné raison à leur entourage.
Tout le monde autour d'eux, s'accordait à penser qu'ils avaient déjà commis quelques péchés ensemble mais si presque tous les situaient entre les cuisses de la jeune Blackney, aucun n'aurait sûrement imaginé un tel acte.
Mais cette tâche... Cette auréole sombre qui s'agrandissait... Le dessin d'une fleur du mal, qui ne pouvait s'épanouir que dans la mort. Cette preuve de leur culpabilité... Cette horreur mourante.

Alors, sombre, automatique, il se redressa et s'assit sur le lit. Ses mains, d'un geste maintes fois répétés delacèrent les braies de l'endormie.
Ses mains, d'un geste neutre les retirèrent alors que ses yeux ne quittaient pas le visage de son amie.
Ses mains, d'un geste tremblant, glissèrent un linge entre les cuisses de l'infanticide et le meurtrier, toujours aussi machinalement recouvrit la jeune Blackney du drap.
Puis il se laissa glisser au pied du lit, soupirant, s'adossant à la couche.
À tâtons, car il avait clos ses paupières et ne voulait plus jamais les ouvrir, il attrapa une bouteille de whisky qu'il entama au goulot.

Quelques gorgées brûlantes et acides.
Quelques gorgées qui appelaient depuis quelques jours une autre dépendance.
Mais non... Il ne voulait y penser. Pas maintenant.
Cette nuit il s'oublierait entièrement. Cette nuit la nounou ne vivait que pour les Blackney. Pour en tuer un et sauver les deux autres.

Nouvelles gorgées et quelques mots s'évadèrent de ses lèvres. Un murmure...


Tu dois mourir petit bâtard.
Je le regrette mais il le faut. Pour que ta mère vive... Ton existence même est sa perte.
Tu dois mourir car ton père ne la choisira jamais.
Tu es le fruit de leurs folies, mais c'est toi qui payera la note.
Je t'en prie meurs. Sauve ta mère...


Son ton était doux, sa voix affectueuse. La seule oraison funèbre que l'on prononcerait pour un gosse qui n'existerait pas, venait de son meurtrier...

J'aime ta mère comme une soeur. J'aime ton père... Comme on peut aimer un petit con qui nous déteste. Mais je l'aime.
Parce que je sais qu'il est indispensable pour elle.
Mais toi...
Toi, personne ne doit t'aimer...
Parce que tu n'existe pas.


Nouvelles gorgées. Nouvelles brûlures. Et une toute nouvelle amertume.

Mais je me souviendrai de toi.
À jamais. Pour ceux qui, à cause de moi, ne te connaîtront jamais.


Oui la nuit se passa.
Mais elle fut longue... Rythmée par la douleur et la peur de Gabrielle, le Chapeauté s'oubliait.
De linges humides sur un front brûlant aux linges propres glissés sous les draps. Du goulot de la bouteille de vin qu'il glissait de force entre les lèvres de la brune à ceux des bouteilles de whisky qu'il accueillait avec délivrance entre les siennes.

Au matin, elle s'endormit.
Lui resta éveillé, immobile. Attablé, les yeux fixés sur le tas de linges souillés...


Pardon.

Un dernier mot prononcé, qui jusqu'alors n'avait franchi les lèvres d'aucun d'eux deux.
_________________
Gabrielle_blackney
[Ils en ont bien de la chance
Ceux qui croient que ça se pense
Ça se hurle, ça se souffre
C'est la mort et c'est le gouffre
C'est la solitude blanche
C'est la chute, l'avalanche
C'est le désert qui s'égrène
Larme à larme, peine à peine*]

Le soleil ne pénêtrait pas dans la chambre qui donnait sur une ruelle tellement étroite qu’en tendant le bras par la fenêtre l’on pouvait certainement toucher le bâtiment d’à côté, mais le peu de lumière qui rentrait fit penser à Gab qu’on devait être en milieu de journée. Elle avait ouvert les yeux depuis quelques minutes et restait là, en chien de fusil, immobile. Elle entendait la respiration régulière de Mordric dont elle sentait la présence dans la chambre. Elle n’aurait pu dire en revanche s’il était éveillé ou endormi.
Elle restait là donc, le regard fixé sur un point invisible du mur, l’esprit aussi vide que le corps. Elle se sentait salie et coupable comme jamais dans sa vie. Criminelle. Elle avait tué ce qui aurait du vivre. Elle avait caché la vérité à celui qu’elle aimait en dépit de tout. Et elle avait entrainé avec elle celui qu’elle considérait comme son ami.
Criminelle et maudite, elle ne semait que le désordre et la désolation, rien de bon n’arrivait aux gens qui la fréquentait de trop près. Gabrielle soupira légèrement, elle sentait ses jambes nues sous les draps et un linge entre ses jambes, mais elle ne voulait pas regarder, elle ne voulait pas voir la marque sanglante de son infamie.

Elle ne pouvait s’empêcher de penser à celui à qui elle ne donnerait pas la vie. Elle ne voulait pas être mère, elle ne l’avait jamais voulu… Mais cet enfant qu’elle venait de tuer était aussi le sien, et elle n’avait pas plus de droit sur lui que son géniteur. La maternité était le fardeau des femmes, personne ne condamnait un homme pour les conséquences d’un coup de rein malheureux, c’était affaire de femmes, et elles devaient se débrouiller avec. C’est ce qu’elle avait fait, de manière radicale. Et elle s’en voulait, elle regrettait tout en sachant qu’elle n’avait guère le choix. Elle voulait vivre, elle, alors tant pis si pour cela, elle avait du tuer.
Mais elle revoyait sa main rouge du sang de son crime et elle pensait au bébé qu’ils n’auraient jamais ensemble, parce qu’elle avait été trop lâche pour assumer le fruit de ses actes incestueux.

Alors Gabrielle fit une chose qu’elle s’interdisait de faire quelle que soit la circonstance, une chose qui n’arrivait jamais, une chose qu’aucun être encore vivant n’avait vu, une chose que pourtant, là, dans cette chambre, elle ne pu empêcher. Elle se mit à pleurer. Des larmes salées et amères, des larmes de tristesse, des larmes de culpabilité, des larmes de colère. Des larmes pour le petit être qui ne vivrait pas, des larmes pour Lui qu’elle finirait par perdre, des larmes pour elle qui était si impie. Sans sanglots, sans bruit, elle pleurait. Des larmes qui se perdaient sur un drap déjà souillé de son sang. Des larmes qui ne la laveraient pas de son péché mais des larmes qui soulageaient. Momentanément du moins. Et puis la source se tarit. Il fallait avancer, la chose était faite et l’on n’y pouvait rien changer. La vie devait reprendre ses droit. Gabrielle n’oublierait pas, non. Elle ne se le pardonnerait pas non plus. Mais elle devrait vivre avec.

Elle s’essuya les yeux dans le drap. Elle savait que Mordric verrait mais elle savait aussi qu’il ne dirait rien.
Les douleurs étaient là toujours mais rien d’aussi violent que durant la nuit. Elle se sentait faible et lasse, perdue et inquiète. Elle avait hâte de le retrouver, Lui, et de faire comme si tout allait bien, comme s’il ne s’était rien passé. Elle avait hâte de retourner à la vie normale, hâte de profiter de sa liberté retrouvée, même si le prix à payer avait été bien trop lourd et si elle se doutait qu'elle allait trainer ce fardeau jusqu'à la fin de ses jours.

Elle bougea dans le lit, tentant de s’asseoir.


Mordric ? J’ai faim…

*Anne Sylvestre (encore et toujours)

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