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[RP] Allons marcher, mais pas sur mes pieds.

Quiou
[Pandémonium deswaardien]

Où se trouve-t-on ?
Nulle part. Ou ailleurs.

Chez la Terreur, nouvellement installée à même la plus luxueuse auberge, le plus mirobolant tripot de celui qu’on nomme Archiduché.
Elle est assise, elle est penchée, fredonnant allègrement un contrepoint à voix basse, oscillant légèrement la tête d’avant en arrière, suivant le rythme de la mélodie fantasque.
Pas de musique, en vérité, ni de chants d’oiseaux.
Peut être des hurlements. Oui, des hurlements d’égo, voila ce qu’elle entend, ce qu’elle imagine doucement.
Et c’est le staccato des cœurs déchainés qui animent les fugaces éclairs de lucidité de la Vicomtesse, aux prises pour le moment avec quelques réflexions et autres compliments d’affliction par trop obscures, par trop écervelés pour être décemment partagés.

Car, le lecteur averti qui connait un tant soit peu notre chère amie se doute de la teneur de ses lubies et, quant aux autres, libre à eux de découvrir peu à peu l’ampleur de monstruosité de cette figure à jamais stoïque et – oserai-je le dire - dérangée ?

Les mains blanchâtres, blafardes, restent donc raidies et serrées, puis se détendent sous la force de l’épuisement, tandis que les ongles voraces, véritables rapaces, se retirent de la hyaline chair marquée à vif, comme soudain tatouée par quelques fers.

Dès lors la Deswaard se redresse-t-elle de la couche jolie sur laquelle elle a échoué il y a de cela quelques temps, que l’on ne saurait précisément déterminer.
Elle tâtonne prestement sa coiffe pas même dérangée et très certainement sertie de sombres joliesses qu’elle n’est guère en mesure de réellement apprécier, pour finir par s’aventurer jusqu’à la porte même de sa chambre, porte qu’elle ouvre, qu’elle traverse en passant sous le chambranle pour rejoindre quelques membres de sa société qui s’attroupent là, en bas, se réfugiant aux abords des tonnelets de bière qu’ils ne consomment qu’avec parcimonie par peur d’être pris, fuyant les parages du noir plumage de la Chancelière trop souvent aigrie.
Maldeghem a infesté cet endroit bourgeois, prête à corrompre la stabilité, le calme et la volupté de Saumur la condamnée.

Adoncques, eux sont attablés, rajustant leur mise à son arrivée, tandis qu’elle, elle ne s’attarde pas et prend le parti de la liberté en murmurant lentement un bref et discret
« Il me faut respirer ».
Comme si tu avais besoin de justification, comme s’il fallait mettre quelques maux sur ta présente situation.

Elle sort.
Elle a un but, elle a été invitée.
Ou du moins, s’est-elle imposée.
Elle est dès lors suivie de près, marchant parmi la fange bouillonnante, le bourbillon d’émotion, la lie suppurante d’une décadence décatie, sans même se retourner pour que lui soit dévoilée l’identité des quelques courageux, des moins frileux, des peu enviés et des tristes malheureux.
C’est qu’elle s’en moque, toute tournée qu’elle est vers une Kermorial patientant certainement de-ci de-là, trépidant surement d’émoi, rageant, grondant tel le pire animal blessé, meurtri, humilié et à jamais abasourdi des turpitudes qu’elle se sera attardée à lui infliger.



Où es-tu, Kermorial, que je te fasse passer l’envie de rire, l’envie de croire, l’envie de vivre dans l’espoir, que j’use ta volonté, que je t’enfonce dans le plus pire des déboires, que je t’admire patauger, que je me gausse de te voir médusée, que je t’impose la douleur, que tu plonges dans la plus horrible torpeur.
Que tu souffres de me savoir plus Terreur que jamais.

_________________
Else
Et pourtant, la Kermorial est là. A quelques rues de l’auberge, attendant sur la place, devant l’auberge où elle a scellé son destin. Que dis-je ? Il est scellé depuis longtemps. Et par une autre qu’elle, encore ! Le comble, pour une orgueilleuse. Voilà peut-être ce qu’elle ressasse, debout, stoïque, plantée au beau milieu du passage, attendant sans même guetter la figure honnie de la Deswaard. A quoi bon chercher d’apercevoir ce qu’on abhorre ? Ce qui viendra toujours assez tôt ? La Vicomtesse est de ces êtres qu’on ne peut pas manquer. Où qu’elle apparaisse, les regards se rivent aussitôt à sa sombre silhouette, à sa figure blême, à ses lèvres de métal.

« Vous me ferez visiter, Kermorial. »

Il eut été si facile de s’en tirer. Une pirouette, une réplique assassine… L’Innommable n’aurait pas même été surprise, c’était même la réaction qu’elle attendait – du moins Elsa essaie-t-elle de s’en convaincre, sans parvenir à se défaire de l’effroyable soupçon : et si Quiou Deswaard en savait sur elle davantage qu’elle-même ?

« Vicomtesse. A votre disposition. »

Les mots étaient venus tout seul. Et pas même en réponse ! Vous le croyez, ça ? Si encore elle avait rétorqué du tac au tac, on aurait pu plaider l’inconscience passagère, le feu de l’immédiateté, que sais-je encore ? Elsa est une fieffée raisonneuse, on lui aurait pardonné ces vices mineurs.
Mais non. Ce n’est que plus tard, au moment de prendre congé, que la jeune femme avait rappelé la provocation au bon souvenir de la Flamande. Qui en avait tout oublié ? Ou qui n’avait pas perdu une miette de la débandade intérieure de son adversaire ? Les paris sont ouverts. Votre serviteur a déjà misé sa (maigre) paye de narrateur. La Kermorial, quant à elle, ne joue plus : à chaque fois qu’elle parvient à déchiffrer Quiou Deswaard, elle se sent plus souillée que victorieuse.

Ne joue plus, ai-je dit ? A d’autres ! Comme si elle pouvait lutter contre l’insatiable désir de comprendre… Tout au plus a-t-elle accepté l’idée que sa quête n’aura pas de fin. Que certains problèmes n’ont pas de solution. C’est une partie de l’insidieux poison que la Flamande a instillé dans son esprit : parfois, il n’y a que le désert. Moins encore que la mort : la vaste étendue blanchâtre, l’après-cataclysme, la poussière de sel. Oanylone anéantie.
Quiou Deswaard, prophétesse d’une révélation inversée… Elisabeth repousse cette idée avec un mouvement de terreur.

Seigneur, pourquoi m’as-tu abandonné ?

Soudain, interrompant fort à propos les tergiversations sous le crâne blond, voici que paraît l’Insupportable, noire sur blanc, l’œil fou et la bouche torve, trainant derrière ses somptueux jupons des flots de miséreux.
Déjà ?
Enfin ?
Elisabeth s’incline à demi, sans un regard pour les mendiants. Ils le lui rendent bien, du reste : car il est clair qu’elle n’est pas la plus riche des deux.


- Vicomtesse.

Pas de vœux, pas de protestations. Qui tromperaient-elles ? Ni l’une ni l’autre ne se souhaitent aucun bien. S’impose un salut sobre, en forme d’attestation. D’acceptation.
Elle pourrait opter pour autre chose, bien sûr. Ce n’est pas qu’elle mente mal, ni même qu’elle se refuse à mentir par principe. Régulièrement, elle accorde ce cadeau. Aux autres, parfois. A elle-même, souvent, et pour se débarrasser des autres. Mais en toute honnêteté, sa préférence va au vrai.
Ironie du sort : la personne qu’elle juge la mieux capable de le supporter… est aussi celle qu’elle hait le mieux.

Un signe de tête, pour inviter la Deswaard à la suivre. Si on lui avait dit qu'un jour, elle jouerait les guides touristiques...
Quiou
[Un, deux, trois…Réprime ton effroi]

S’avançant pesamment, elle aperçoit la Kermorial si gentiment détestable, si proprement haïssable, si suavement amicale.
Elle la voit frêle, docile, maline, il lui semble même qu’elle chancèle, elle, la proprette fille aux tourments qui harcèlent.
Elle aurait pu sourire, la Vicomtesse, à cette vue qui mettrait quiconque en liesse.
Elle aurait pu rire de la savoir enlisée en de telles bassesses, de la voir usée, abattue, médusée, fourbue.
Pourtant…Pourtant elle n’en restait pas moins aussi flegmatique que d’accoutumée, éternelle stoïque, à contempler, sans mot dire, sans plaisir.
Plus terrible que jamais.

Mais cessons de tergiverser, cessons d’enjoliver, et venons-en au fait.

La Deswaard ne salue pas, ou à peine, d’un imperceptible hochement de tête, avant d’emboiter le pas de la blafarde aristotélicienne.
Elle se tait, mais pas pour longtemps, car pour une fois, elle a envie de parler, de brusquer, de gêner et d’entourlouper l’interlocutrice de cette bien triste journée.


Savez-vous qu’une fois que l’homme s’est avili par des excès, qu’il s’est complaisamment dégradé, il a fait prendre à son âme une espèce de tournure vicieuse dont rien ne peut plus la sortir de ces tristes mânes ?
Elle n’attend pas de réelle réponse, toute enclavée qu’elle est à terminer sa semonce délictueuse.
Dans tout autre cas, la honte servirait de contrepoids aux vices où son esprit lui conseillerait de se livrer non sans délice, mais ici cela ne se peut pas : c'est le premier sentiment qu'il a éteint, c'est le premier qu'il a banni loin de lui. Tout ce qui affectait et torturait désagréablement se métamorphose alors en plaisir inné.
Elle continue son avancée, marchant tranquillement sans même se soucier de réellement contempler la ville qu’elle se devait initialement de visiter.
Quel chemin il faut avoir fait dans l’immoralité pour en être arrivé là…Cependant, je crois que cette route se fait graduellement, on ne la suit que sur un parterre amusant d’aigreur.
Un excès amène l'autre, encore et encore, jusqu’à la mort. L'imagination, toujours insatiable, nous emmène bientôt au dernier terme indubitable, et comme elle n'a parcouru sa carrière qu'en endurcissant le cœur, celui-ci, qui contenait jadis quelques vertus, n'en reconnaît plus une seule.
Et il n’aime plus, pas même son orgueil.


Les lames d’obsidiennes viennent soudainement à croiser les prunelles de la Kermorial, semblant dire « Je sais. Je sais tout. Tout ce qui est. ». Puis, sur un ersatz de ton badin, bien qu’aucune sonorité ne vienne à changer, qu’elle sauvegarde et maintient sa voix aussi neutre, aussi vide, aussi perfide, elle continue, insinuant une atmosphère plus rieuse, bien que rien ne l’ancre concrètement à même la réalité.

Quelle énigme que l'homme, n’est-il ?
Voila ce qui a fait dire à un individu de beaucoup d’esprit qu’il était préférable de le haïr plutôt que de tenter vainement de le cerner.
Moi-même, l’on m’honnit, vous savez.
Et je pense cela préférable à l’idée détestable d’une vérité qui s’étale et qui se trouve être vulgairement crachée à même la face abominable d’un monde désemparé.


Elles poursuivent leur chemin, secouant la fange, marquant le sol de leurs empreintes, tandis que la Deswaard regarde au loin, guettant la moindre réaction d’émoi, le plus grand effroi de la douce blonde qu’il est aisé de malmener.
Pourtant…Pourtant, cela ne fait que commencer.

_________________
Else
Ne discutez jamais, jamais, avec un psychopathe. Règle élémentaire de prudence – que dis-je ? de survie. Mais la Kermorial, dans son ardeur à en apprendre plus sur sa vis-à-vis, semblait avoir oublié son manuel de Robinson. La terrible Vicomtesse tissait ses filets autour d’une victime étrangement consentante, et trop têtue pour se faire la belle.

Descendant la grande rue, elles contournèrent les contreforts du donjon qui surplombait la ville. Des petites maisons s’alignaient tranquilles, peu concernées par les états d’âme de l’une comme de l’autre, et encore moins par le délicat système de balance et contrepoids par lequel l’esprit se maintient à flots. Innocentes et guillerettes dans leur indifférence de pierre, elles offraient leurs faces roides à la lumière de ce début de journée. Passant le seuil de la Montée du Petit-Genève et, du même coup, les chemins de l’immoralité, elles s’engouffrèrent dans les rues mal pavées du vieux faubourg, évitant l’odeur aigre d’une tannerie. La rue Miguaël, étendant ses rangées de demeures jusqu’au port du même nom, tomba à point nommé pour croiser le fer, discrètement, avec l’orgueil et le désamour. A gauche, le quai des trois Mores leur ouvrit les bras ; et ramant ainsi au bord du ruisseau, la Deswaard lâcha son monde désemparé sous les roues d’un poissonnier qui venait de débarquer la pèche d’un associé.

Après un périple pareil, comment voulez-vous que la blonde ait encore toute sa tête ? Car au lieu de laisser la Flamande débiter son petit boniment sans y prêter attention, comme l’aurait fait toute personne normalement constituée, cette pauvre insensée s’était torturée la tête à suivre, ou à tenter de suivre, les digressions sans queue ni tête de cet esprit dérangé. Que dit-elle ? Que veut-elle dire ?


- En somme, vous êtes généreuse, grinça-t-elle, ironique. Vous préférez vous épargner aux autres, quitte à subir leur haine ?

Elle haussa les épaules, avançant encore de quelques pas.

- Vous vous doutez bien que je n’en crois rien. Quant à la vérité, la seule qui vous intéresse, c’est la vôtre, voilà tout. Dites-moi plutôt – parce que moi, je préfère la vérité, avec ou sans haine… mais peut-être faut-il un peu de courage, pour cela.

De courage ? Quelle réflexion stupide. Tu sais, Blondie, tu sais bien que ce n’est pas le courage qui fait défaut à la Deswaard. C’est tout autre chose. Un genre d’amour des choses telles qu’elles sont. Mais tu n’y trouves pas de nom, et tu ne veux pas laisser un pouce de terrain à l’ennemi : pas question. Alors tant pis, tant pis pour l'entorse... à la vérité.
Sensation terrible que la Flamande a remporté une petite victoire. Parce qu'elle rend les gens paranoïaques
à ce point.

- Dites-moi, donc… cet être pétri d’immoralité, jusqu’à quel point lui ressemblez-vous ?
Quiou
[Quatre cinq six…Avant que je ne t’avilisse]


Non.


A ceux qui ne connaissent pas le personnage, il est important de révéler que la négation est un art hautement maitrisé par la Deswaard. Bref, concis, abrupte, parfois, qui ne souffre pas de tergiversions, souvent, ce simple son casse, s’abat, raisonne aussi surement que les plus puissants entrechocs d’affrontements et autres combats.
Il vient pernicieusement révéler à l’interlocuteur principal qu’il serait préférable de revoir sa position.
Il vient méticuleusement s’assurer que nullement son autorité ne soit remise en question.

Répondant dès lors à la prime interrogation, la Flamande ralentit le pas, sans rien révéler des diverses ingéniosités et bassesses qui cernent ses pensées, sans que rien ne transparaisse à même son visage marmoréen, de glace, d’airain.
Comme si nul sentiment, hormis la haine et la colère, ne pouvait animer cet être de chair frigorifiée.


Point ne suis-je pourvue d’une grande magnanimité, comme vous l’énoncez si bien, car seul le Très Aristotélicien Seigneur peut s’en targuer.
J’en viendrais même, par ailleurs, à vous assurer qu’il m’est possible de n’offrir que dans le but premier d’avilir, ou du moins d’agencer au mieux ce qui est selon quelques détestables désirs.
Mais la vérité, cruelle et délictueuse, se trouve par trop effroyable pour être seulement crue et acceptée. Adoncques ne vous sera-t-il possible de comprendre, car ce n’est pas ce que vos esgourdes aspirent à entendre. A moins qu’au contraire, je vous serve présentement ce que vous tendez à connaitre et qui ne contient pas une once de vérité, si ce n’est celle de quelques imaginations perverties…


Elle avait lâché cela comme on largue complaisamment le cadavre lesté d’un condamné à rencontrer Neptune et ses myriades de démons marins parmi l’abyme et l’âcreté d’un monde salin. Tandis que par ailleurs, elle s’offrait à la contemplation par trop poussée d’une lugubre devanture du quartier, crevassée, ne portant que les signes de moisissures et autres ordures, songeant peut être à voir avec les yeux de la fraiche Kermorial.
A se voir, elle.
Comment l’imaginait-elle ? Pensait-elle un instant, comme bon nombre de margoulins, qu’il lui soit possible de s’enferrer, elle et une quelconque sensibilité, derrière une carapace de glace ? Croyait-elle, elle, la fervente désespérée, que la flamande puisse être aussi fragile à l’abri de ses monts de rigidités, que tout son être s’était construit sur une faiblesse qu’il fallait alors camoufler par quelques joliesses d’acier ?
Ou qu’elle était un diable d’infamie, révélateur des pires ignominies.


Deuxième réponse, toujours sur le même ton, à savoir fade, neutre, déplorable.

Mais nous ne dissertons guère de moi, car je ne suis nullement ce monstre là. Vous l’auriez comprise si vous aviez seulement fait attention à mes digressions.
Regardez plutôt cette maison
.

Et, comme si elle s’adressait à quelques ânes ou autres âmes niaises à souhait, elle prit le parti de lui indiquer lentement, par quelques signes d’une main gantée de daim, les divers éléments qui viendront à composer son allocution.

L’on ne doute pas de sa potentielle bonne qualité quant aux fondations, qui furent très certainement saines, stables et versées dans l’harmonie que le créateur aura voulu lui octroyer. Pourtant, l’emprise du temps aura fait son effet, lui accordant ainsi perversion et dépravation, craquelures et fissures.

Conclusion.

Elle vous ressemble en bien des aspects.
_________________
Else
Imitant la Flamande, Élisabeth se posta face à la bâtisse délabrée. Un soupçon de frustration s’était peint sur son visage fermé. Non pas qu’elle ait attendu de vraies réponses de la part de son interlocutrice, non, mais… enfin…
Si ?

Incorrigible blondine… Même de la Deswaard, cette anguille rhétorique, ce monstre d’obscurité, toqué d’énigmes et d’abstrusion, elle ne pouvait s’empêcher d’attendre une conversation digne de ce nom. Comme si l’Intolérable allait soudain se piquer de discuter. Comme si les mots échangés pouvaient être autre chose qu’une guerre ouverte. Comme si les trésors d’intelligence (c’est du moins ce qu’elle s’imaginait) renfermés par cette tête d’airain pouvait être employés à autre chose qu’à détruire.
Mouchée comme une enfant que l’on renvoie d’un indolent
« tu ne peux pas comprendre », Elsa ne fut pas seulement vexée : elle sentit très nettement qu’on l’avait trompée sur la marchandise. Dupée. Flouée. Sûrement, cette réponse fuyante, cette métaphore banale n’étaient pas le fait d’un esprit supérieur ? Allons.

Le verdict claqua, sobre et sans appel, et peut-être plus honnête qu’elle ne l’aurait voulu :


- Décevant.

Les yeux orage suivirent le tracé d’une fissure qui défigurait la façade jusqu’au faîte. Corruption du corps, corruption de l’âme… Choses bien différentes. Jusqu’à quel point son âme s’était-elle ternie ? Elsa songea à ces doutes qui lui tordaient les entrailles. A ce poing levé contre le ciel, en désespoir. A La Louveterie, aussi. Tous sujets qui attisaient ordinairement sa culpabilité. De là à se déclarer perdue ? Pire : à s’entendre déclarer perdue par Quiou Deswaard ? Ridicule.

- Vraiment décevant. Vous m’aviez habituée à plus de profondeur. Le temps abîme la matière, cette maison est matière, moi aussi, vous aussi – la belle affaire ! Mais ma foi, si vous préférez détourner le sujet de votre théorie fumeuse, et faire semblant de tout confondre… ajouta-t-elle avec une touche de condescendance dans la voix, vissant son regard dans le sien. Ca, Vicomtesse, c’est pour m’avoir balayée d’un revers de main. Votre monstre n’existe pas. Ce qui n’existe pas m’indiffère. J’aime encore mieux causer de vous – c’est dire. Ou de moi, si ça vous amuse. Mais tentez de taper juste, cette fois.

Calcul risqué, même pour une coriace dans son genre. C'est officiel, Attila perd la boule.

Apparemment décidée à jouer les appâts (Dieu sait ce qu'elle espérait en retirer...), elle fit un pas en direction de la façade, et pianota sur le bois vermoulu de la porte. Une pression suffit pour la faire tourner sur ses gonds, ouvrant l'accès aux entrailles sombres et poussiéreuses de la bâtisse.


- Vous venez ? Il paraît qu'elle me ressemble, cette ruine. Vous m'expliquerez.

Qui la connait bien aura reconnu un zeste de moquerie dans le ton de sa voix.
Quiou
Et elle suit.
Elle suit sans mot dire, sans dire maux, avide qu’elle est surement de pénétrer plus avant les tréfonds palpitants de la Kermorial, de son nouveau petit animal qu’il est piquant d’entortiller, d’endormir, de brusquer, d’abrutir, de balloter.

Car il faut l’avouer - et je me dois de le faire - , puisqu’à défaut de toujours tout cacher, il est important de disséminer de-ci de-là, tel le Petit Poucet, des gravillons d’information sur cet être déplorable, disons-le tout net au jour d’aujourd’hui : les rares à éveiller son intérêt ou sa bien triste curiosité ont dès lors l’infime honneur de se voir soudain dans la ligne de mire de la Terreur, et elle attend, elle attend l’aubaine, elle patiente après ce qui sera peut être une sorte d’investissement, et ce, toujours aux dépends de cette âme en peine.

Pour l’instant, c’est donc la belle bretonnante aux profonds tourments qui ensorcelle, celle qui s’est jusqu’au bout battue pour l’infante, celle qui se sera vue abruptement rejetée par la juvénile protégée, celle qui croit dur comme fer posséder un bout de la vaporeuse Immaculée.
Comme il doit être dur de se voir sur le bas côté d’un chemin sans fin, sur lequel s’aventure la petite Wolback, au bout duquel l’on retrouve cette créature vile et froide.
Comme il doit être dur de s’escrimer à rien, de pourtant différencier le mal du bien, sans réussir cependant à faire comprendre sans que l’autre ne puisse se méprendre.
Comme il est vain de chaque nuit rêvasser d’un visage poupon défiguré, souffrant, implorant, et pourtant engoncé jusqu’au cou dans ce cercle vicieux.
Comme c’est malheureux.


Un pas, deux pas, trois pas et la voila sur le seuil, abandonnant plus loin sa compagnie, soudain arrêtée, à croire qu’elle hésitait présentement à entrer dans la bicoque même de l’imprudente.


Ce monstre existe, libre à nous que de le ferrer. Je le retrouve un peu, pour exemple, dans mon Neveu, quoiqu’il soit par trop nuancé. Nullement de par chez vous, vous êtes trop vertueuse, bien qu’il vous soit possible de vous enliser en une perpétuelle hésitation, une inconstance, une indécision qui vous ronge et vous appelle, vous enlise insidieusement jusqu’à causer votre perte. Notre Montfort n’est pas cela non plus, ce n’est guère ce que je lui souhaite.
Non…Non.
Ce démon…Il ne peut être qu’homme, pour être aussi miséreux.


De là où elle est, à savoir exactement au niveau du chambranle branlant de la porte, la Reyne Noire, observe, soupèse l’atmosphère délétère de l’endroit, calcule, jauge, voit.
Puis, braquant ses prunelles d’obsidiennes sur le joli minois qui transcende l’opacité ambiante en un plaisant clair-obscur, elle énonce sévèrement :


N’oubliez jamais que VOUS m’avez invitée à entrer.

Elle fait un pas.
_________________
Else
Vous n’avez émis aucune objection. Je n’oublierai pas cela non plus.

Je t’intéresse, Deswaard – car tu n’es pas femme à perdre ton temps pour n’importe qui. Si peu que cela me plaise, c’est toujours une victoire sur toi. Et forte de cette petite certitude, la blonde s’engouffra à l’intérieur de la ruine.

D’abord elle ne vit rien, comme si les flots du jour hésitaient à franchir le seuil de la demeure sans y avoir été invités. Peu à peu, ses yeux s’habituèrent à l’obscurité. La pièce était basse de plafond ; une lumière chiche filtrait par les carreaux aveugles, éclairant à peine les poutres lourdes de poussière, les murs tendus de toiles d’araignées et la croûte noirâtre formant comme un tapis sur le sol en terre battue. Il régnait là-dedans une odeur de rance et de vieillerie, de suranné et d’abandon.

La Kermorial avança, laissant de nettes empreintes dans son sillage. Elle passa les doigts sur le rebord d’une table de bois mal dégrossie. Qu'était-il advenu de ceux qui, un jour, avaient logé entre ces murs ? Quel étrange coup du sort les avait arraché à leur maison ? Quel maléfice avait empêché qu'on se l'appropriât, ne voyant pas revenir les locataires légitimes ? Et surtout, surtout... Qu'était-elle venu faire dans cette galère ?

Sous l'effet de l'intrusion, quelques poutres craquèrent au plafond, libérant une pluie de poussière. Else toussa et porta une main devant ses yeux.


- Gottverdammte... commença-t-elle ; mais on ne saura jamais ce qu'elle s'apprêtait à invectiver, car la suite mourut avant d'avoir atteint ses lèvres asséchées.

Lorsque le nuage grisâtre se fut un peu dissipé, la Kermorial découvrit qu'elle s'était appuyée sur un buffet patiné, et plus précisément sur la couverture tâchée de moisissure d'un vieux Livre des Vertus.


- Ben voyons... murmura-t-elle, mi-amusée, mi-agacée. L'ouvrage se retrouva bientôt ouvert entre ses mains. Des lambeaux de vielles pages s'envolaient en poussière fine, érodant peu à peu les paroles familières. Du pain béni pour la Deswaard et ses billevesées, jugea Elisabeth avec humeur ; et le petit pincement au coeur qu'elle ressentit alors fut bien vite mis sur le compte de la contrariété.
Quiou
La Deswaard subit les mêmes aléas que sa comparse de la journée, traversant dès lors les rideaux et voiles noirâtres de suffocation, jaugeant les boiseries vermoulues de dépravation tandis que la poussière semble avoir fait un sort de cette ambiance délétère, que la crasse s’enlise à condamner et la vie, et l’espoir, et l’envie de faire renaître ce qui fut et ce qui était.

Cependant, à l’inverse de la Kermorial, notre sociopathe Vicomtesse transcende cela sans subir trop de désagrément, sans émoi, stoïque qu’elle est.
Se campant là, ou ici, comme vous voulez, elle parait faire rapidement le tour de la question, de l’interrogation que peut être la maison, comme s’il ne restait plus qu’à clamer la sentence, à bannir, à désavouer, à proscrire, à censurer.

Mais n’ayez crainte, le jugement va se faire en une envolée qui risque de ne guère plaire.


Vous fautez souvent, si ce n’est toujours.

Et le lendemain, ce sont ces irréfutables remords, et ce sentiment de culpabilité torturant votre corps et accablant votre esprit sans qu’on puisse jamais les identifier clairement parce que vous les refoulez…ce sont tout ceci que vous rejetez en les obscures tréfonds de vos entrailles pour qu’ils s’y noient, qu’ils se perdent là, ou plus loin.
Vous êtes prête à n’importe quoi pourvu que vous n’ayez guère à les regarder en face, à les reconnaitre et à les accepter pour ce qu’ils sont.
Sainte Illinda, vous vous dites alors, faites que cela n’arrive pas. Ne me laissez nullement seule face à la vérité. Au nom du ciel,
tout en prenant une voix apeurée dans un souci de bien imiter, qu’en ferais-je ? Qu’y ferais-je ?
Que ces sentiments m’agitent, me bouleversent et me déchirent, mais qu’ils restent à tout jamais sans le moindre nom, pour qu’il ne soit nul besoin d’en rechercher les causes et autres effets. Ou faites juste qu’ils répondent au nom de souffrance. Cela suffirait tellement. Qu’il m’est difficile de les exposer au grand jour pour trouver la vérité.
Je vous en prie, je ne saurais qu’en faire. Je ne saurais vraiment pas…


Reprenant une voix aussi neutre que d’accoutumée.

Alors, vous effectuez laborieusement la longue marche qui vous mène jusqu’en ce sanctuaire sacré de votre âme, vous vous prenez le crane entre les mains, vous crispez les poings, serrez les dents, et faites dès lors un effort surhumain, désespéré, pour vous mettre à penser à autre chose, à autre chose que ce qui vous submerge et vous éteint. Jusqu’à ce qu’enfin le soulagement éphémère mais tant souhaité envahisse presque l’intégralité de votre être, jusqu’aux replis les plus profonds de votre conscience.
La journée reprend…presque normalement.
Et puis soudain, le silence vous entoure et vous force à lever la tête, et vous vous apercevez que votre monde se trouve déserté. Adoncques tentez-vous de trouver quelques joliesses à réaliser, quelques petites choses qui ne peuvent attendre. Après quoi, il n’est plus question de jouer à cache-cache avec le temps et de se leurrer complaisamment.
Le sommeil miséricordieux vient finalement, et l’oubli avec.
Vous concluez en vous assurant vainement que ce n'est plus qu'une histoire ancienne…


La botte de droite s’en va lisser le parquet, mine de rien, comme pour y dessiner quelques enluminures à même la saleté, la crasse démesure. Il n’y a plus grand chose à voir ici, tout est déjà vu, dit, analysé. Tout hormis le couperet final, que l’on pourrait qualifier de gentillet, d’admirable.

Une histoire supplémentaire qui vous pèse durement, vous fait vous enliser, vous engraisse de boniments.
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Else
Vous fautez souvent, si ce n’est toujours.
D’abord, ce fut une lueur d’étonnement. Un brin de peur – que peut-être, la Flamande sache vraiment ses désarrois. Ses fautes. Ses faiblesses. Ô fardeau insupportable des âmes orgueilleuses, qui croient que le monde dépend de leur maigre pouvoir : car si tout s’écroule autour d’Elsa, elle s’en pense responsable, et c’est sans doute son plus grand péché. Le seul qu'elle ne comprenne qu'à moitié. Je lui expliquerais bien, moi, foi de narrateur ! mais c'est pas écrit dans le contrat.

Vous êtes prête à n’importe quoi pourvu que vous n’ayez guère à les regarder en face.
Puis ce fut la colère. Une étincelle au fond des yeux métalliques, prélude au combat, comme quand le fer du forgeron s’abat sur l’enclume. Les imbéciles prétendent que seule la vérité blesse. Ils n'ont rien compris. Pour blesser un adversaire, donnez un bon coup de savate dans celle de ces qualités qui lui est la plus chère. Celle pour laquelle il sacrifierait tout – même sa tranquillité d’esprit.

Que ces sentiments m’agitent, me bouleversent et me déchirent, mais qu’ils restent à tout jamais sans le moindre nom, pour qu’il ne soit nul besoin d’en rechercher les causes et autres effets.
Le jeu terrifié de la Flamande ne fit qu’ajouter de l’huile sur le feu. Attaquez une orgueilleuse sur le chapitre de son intelligence, attaquez-la sur le terrain de son courage – vous verrez. Elsa tient à sa lucidité comme d’autres tiennent à leur liberté, à leurs rêves, à un amour ; et elle n'a rien de commun avec les créatures craintives qui n'osent pas regarder le soleil.

Jusqu’à ce qu’enfin le soulagement éphémère mais tant souhaité envahisse presque l’intégralité de votre être, jusqu’aux replis les plus profonds de votre conscience.
Pour toucher votre adversaire, présentez-lui le tableau de tout ce qu’il hait, et dites-lui que c’est un miroir. Vous verrez comme sa haine viscérale affleure sur son visage, comme la fureur sourde qui naquit dans son regard enflamme peu à peu ses traits, les tord, sculpte un masque de haine.
Essayez sur votre meilleur ennemi, vraiment : c'est jouissif.


Une histoire supplémentaire qui vous pèse durement, vous fait vous enliser, vous engraisse de boniments.
Ton histoire, Deswaard. Ton boniment. A nouveau, Lisa comprend – mais un peu tard. Que ce n’est qu’une démonstration. Que la Deswaard ne se méprend pas sur son compte – du tout. Qu’à dire vrai, elle se moque de ce qui est vrai ou faux, bon ou mauvais, courageux ou lâche. Non : le long trait qu’elle vient de décocher n’est pas un blâme. Ce n’est que cela : un trait, en plein milieu de son orgueil. Encore un point pour l'Intolérable.

Bien joué, lâcha-t-elle d’une voix rauque. Vos sornettes sont admirablement bien lancées. Mais ce ne sont que cela. Des sornettes. Sachez-le, si vous ne le savez pas déjà – et si la vérité vous est, à vous, d’un quelconque intérêt. J’en doute, voyez-vous.

Elsbeth releva un front sur lequel la colère avait pesé, dans un mouvement de mépris.

Quel gâchis. Avoir une si belle tête, et préférez de sordides fumeroles à la vérité… Qu’êtes-vous, Deswaard ? Un pantin grotesque qui grimace aux passants ? Vous savez y faire, c’est certain, mieux que certains de vos cousins qu’on pend aux murs des cathédrales.

Jamais plus, m’entends-tu ? Jamais plus ne m’accuse de faiblesse. J’ai trop souffert de garder les yeux ouverts.

Dites-moi, Vicomtesse… Pourquoi vous donnez-vous cette peine ? Me feriez-vous le pénible honneur de vous intéresser à ce point à ma petite personne ?

Car bien sûr, Quiou Deswaard a réussi son coup... mais pourquoi tient-elle tant à se faire les crocs sur elle ? Voilà ce qui intrigue la blonde, envers et contre toute l'horreur que lui inspire cette créature. Est-elle un genre de parasite sadique, qui tire sa substance de la souffrance des autres, et condamné par là-même à vampiriser son prochain ? Ou bien choisit-elle ses proies sur le volet ? Si vous penchez pour la première réponse, tapez 1. Si vous penchez pour la seconde, tapez 42.

Quant à votre mégalomane préférée... Si vous suiviez, bande de tire-au-flanc, vous sauriez qu'elle a déjà joué depuis longtemps, et qu'elle a une réponse favorite.
Quiou
Elle tourne le dos à la tirade pleine de charmes de la fragile Kermorial, elle se détourne comme pour mieux démontrer que les ricochets ne sont tout au plus que d’écumantes giclures froissées ne venant qu’à peine étioler le flegme et les dorures, les trépidantes passivités.
Elle se met en quête d’autre chose, peut être lassée, probablement l’esprit ailleurs, déjà loin, si loin, trop loin. Elle ne fait qu’aller les yeux ici et là, un peu trop vivement, non pas par détresse, ni par excès d’allégresse, juste parce que rien d’autre n’est à effectuer quand on se lance à même la danse endiablée du kaléidoscope de ses pensées en transe.

Jusqu’à ce qu’elle daigne enfin formuler réponse, car il le faut bien en ce jour, car se dresse là la fille médusée se drapant dans ses plus beaux atours de pseudo pureté, de volonté et de fierté dont le décompte funeste se fait à rebours, jusqu’à ce que le couperet dantesque vienne à effacer les illusions et les barrages contre la dépravation.


Il n’y a d’intérêt à la vérité uniquement lorsqu’elle vous est méconnue et qu’il vous faut alors la révéler dans un prime souci de se croire rassuré, ou uniquement pour mieux se gorger de savoir.

Mais quand on la possède en le creux même de ses serres affermies, de ses mains étriquée et aguerries, son âcreté et pire, son gout insipide, fade et sublimissime vous transportent et vous invitent à ne machiner que sur le reste, sur l’inexistant, sur la tromperie et le dérangeant, sur le non-dit, les fumeroles, les menteries, les farandoles de mystification, l’aliénation des indécis.
Aux facéties de sublimer ce qui est, aux attrape-nigauds de déniaiser les gageures, aux leurres d’enclaver les sots.
A la Terreur de jouer sur les maux.
Sans même par trop s’y amuser.


Du reste, il est à se demander laquelle de nous deux et la plus intéressée par l’autre.

Elle laisse planer là un « Moi je sais » qui empuanti l’espace, qui se délecte de prendre place entre les deux, tandis que la Deswaard se retrouve face à un sommaire coffret, mangé par ce qu’il y a de plus délétère, ce qu’il y a de plus dépravé dans la misère.
Elle l’ouvre, faisant fi de ce qui se fait sale, de ce qui est empli de souillure et autres raclures.
Elle l’ouvre.


Dépouillé…

Il n’y reste plus rien, plus rien que vacuité et errance, plus rien qu’un bracelet en herbe tressé dans un coin, symbole même de l’innocence.
Elle s’en saisit, mettant face à ses prunelles d’obsidiennes l’ignorance de ce passé : a-t-il été confectionné par une juvénile petite fille qui glousotte et qui tressaute, réincarnation de la fraicheur et de l’ingénieuse candeur ? Ou bien par un amoureux transi d’effroi l’ayant offert à la belle, à celle qui se fait aimer et qui rougit, qui se pâme et qui ensorcelle ?

A la sociopathe Vicomtesse de ne voir en cela que l’horreur de la bassesse et de ce qu’elle abhorre, des travers de la jeunesse, des aurores de la gageure.
Elle se redresse, se dirige vers l’Elsbeth et, aussi lestement qu’elle peut se faire lente, aussi fluide et habile qu’elle peut se faire dur, elle passe la trouvaille entre l’émaille des doigts de la frêle Kermorial, sans plus agripper que sa vêture et ses échancrures, en ne faisant que frôler de sa peau de glace la chair qu’elle rend soudain vorace.


Soyons assurées qu’il vous ira mieux qu’à moi.
Maintenant partons, j’en ai assez.

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Else
Un éclair… puis la nuit. Juste devant la Kermorial, l’air sembla se contracter de douleur, comme empoisonné, incapable de reconquérir la plaie béante que la Flamande a percée dans le réel. Ou est-ce Elisabeth qui a cessé de respirer, et commence à souffrir du manque d’oxygène ?

Lorsqu’elle reprend ses esprits, l’innocent bijou crisse entre ses doigts. Il est trop tard pour retirer violemment sa main de celles de Quiou Deswaard, trop tard pour saisir le poignet glacé, trop tard bien sûr pour agripper la gorge qu’elle voudrait soudain déchirer. Oui. Déchirer. Venger ce coup de plus dans son orgueil. Et que les poings pallient les insuffisances de la tête.

Alors qu’elle allait contre-attaquer, encore, une petite voix familière s’éleva dans son crâne.


Car dans le Livre de la Pré-Histoire, Chapitre IV, verset 6, Spyosu a écrit:
La Créature Sans Nom vint à nouveau près de ceux qui l’écoutaient et leur dit que la violence et la haine leur permettraient dorénavant de dominer leur prochain.

Était-ce un vieux fond de vertu, trop bien ancré en Elsa, qui la rappelait à l’ordre ? Ou le besoin désespéré de se raccrocher à quelque chose, de tromper sa colère, de nier son impuissance ? Qui sait. De deux choses néanmoins on peut être assuré : c’est que l’orgueilleuse était loin de tirer tous les enseignements qu’édicte sa maxime, et que ce souvenir d’enfance la doucha sérieusement.

Sans un mot, elle emboita le pas à la Flamande, comme un fantôme, et toutes deux entamèrent le chemin du retour. Plus tard, elle se demandera si elle n’aurait pas mieux fait de le jeter au sol, pour agacer la Flamande. Plus tard encore, elle comprendra que la Flamande s’en moque. Et, accessoirement, qu’elle développe une tendance fâcheuse à tout calculer en fonction d’elle. Alors, dans un mouvement de colère, elle enverra pourrir au fond d’un caniveau ce ridicule tissage de brindilles qui ne lui est rien.
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