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[RP] Je t'ai fait danser... Pars avant que je ne recommence

Judas


Bourgogne est troublée. Des jours que Judas a quitté l'armée, faisant mine d'y être encore lorsqu'il croise ses soldats. Rosalinde est restée quelques temps de plus, observant et écoutant, se fondant dans la masse... Et ce même si la besogne exige quelques sacrifices. Le Von Frayner se méfie de tout homme qui la frôle, de tout regard qui croise le sien, de tout mot qui sort du cadre qu'il s'est forgé, là dans un recoin de sa tête. Rose travaille pour lui, par conséquent, elle est sa possession directe. Lorsqu'il la quitte, après ses rapports détaillés et leur conversations tout ce qu'il y a de plus sérieuses, Judas s'apaise, imaginant laisser son limier dans un écrin de confiance. La confiance est une interprétation toute personnelle dans l'esprit du Frayner, un sentiment a sens unique qui se moque bien d'accepter une réciprocité. La barrière de la confiance donc, fut franchie, au fil du temps et d'une absence de plus en plus pesante. Rose accédait au titre de confidente lorsque Judas s'appesantissait sur l'absence de la Roide, soupirant comme un enfant capricieux dans ses coupes de vin.
Mais n'était-ce pas la guerre? Un jeu d'hommes, parait-il. L'Irlandais rencontré a Dijon prit un nouveau visage, un nom surtout. Finn de Pommières. Entre notre seigneur et son homologue c'est une franche camaraderie et même quelques familiarités qui naquirent, Judas justifiant publiquement que c'était seulement " parce que lui au moins était un bon aristotélicien ". Frayner était mauvais comédien, son gros égo et son repli personnel avérés ne dupaient personne. Entre deux séance de cautérisation et de jeux de mots aussi graveleux que peuvent faire les mâles en taverne, le brun a pris l'habitude de la promiscuité qu'offrent les veillées de combats.

Une nuit, c'est une Rose avinée qui se présenta au seigneur de Courceriers. Vêtue d'un robe à nouette qui avait semé la discorde entre la coquette et l'exigeant, la rousse semblait habitée d'une docilité toute inhabituelle. Celle qui ne buvait que du lait se laissa sermonner et déshabiller à la fois, nouettes dénouées une à une. Il est des instants si fugaces et si inattendus qu'on ne peut les regarder passer sans les saisir fermement. Et quand il s'agit de fermeté, Judas répondait présent. Au lendemain, rousse à nouette retournée à besogne, une missive des plus banales, un rapport. Un nouveau jour s'est levé, et chacun se remet à ses préoccupations.

Nuit encore, nuit toujours, Judas s'amourracherai presque de son acolyte, complice des heures tardives... Ha la fraternité! ça fleure bon la naïveté. Car pour la première fois de sa vie, Judas faute. Il prend pour acquis ce qui ne l'est pas. L'attente pèse sur le système parfois... Associée à de légères spéculations quant à la possesion d'autrui, elle engendre de légers contretemps.

Judas est assis en taverne, faciès fermé à double tour. Dans sa main une bourse pleine qu'il malaxe avec raideur, échauffant depuis de longues minutes le cuir de ses gants. Ses lèvres semblent avoir disparues, ravalées entre ses dents. Son regard fixe la porte, il pourrait passer pour vague, pourtant... Il est le terrible support d'images insupportables. Le satrape est pétrifié de haine, depuis combien de temps n'a-t-il pas déglutit? C'est cette crinière rousse entre des mains qui ne sont pas les siennes, et cette lippe volage qui soupire l'indécence. C'est son limier, en plein après midi à la discutable discrétion d'une taverne et l'Irlandais. S'offrir à Judas est un pacte vicieux et dissimulé. C'est coucher au lit du plus despote des possessifs. C'est une erreur, que l'on ait une excuse ou pas. Une stupide erreur. Il n'aime personne, ou presque, et pourtant exige qu'on le désire. Lui, et lui seul. Les prunelles sombres ne décrochent pas du chambranle. Quel étrange sentiment que celui de la trahison... Il est bien plus tendre quand on le donne. Les pensées s'éparpillent...


Oh Rose, j'ai envie de te voir danser. Danser, danser, gracile et volubile, les bras battant l'air avec légèreté, les pieds tendus et mutins .

Danser au bout d'une corde.

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Nous sommes les folles plumes des inspirations sans règles... Entrez dans la danse.
Rosalinde
Le soir tombe.

Le plus silencieusement possible, la rousse fait tourner la clef à travers les rouages de la serrure. Doucement, poignée est appuyée, elle respire enfin alors que la porte s'est refermée derrière elle. Derrière le battant, l'Irlandais encore endormi qu'elle quitte presque à regrets, mais elle s'était promis d'écrire à Anne avant le coucher du Soleil, elle pourra annoncer à sa cousine et confidente qu'elle vient d'ajouter un nouveau et bon amant à une liste déjà fort longue, pour une si jeune personne.

Redescendant dans la salle commune de la Sémuroise, elle recoiffe ses boucles rousses désordonnées, et se frotte les bras alors qu'un frisson vient malgré la douce chaleur de fin mai. Elle était bien, blottie contre lui, mais ces instants de grâce ne durent jamais. La première nouette est correctement renouée, et les jupes, remises en place. Elle sourit, s'estimant présentable, et quitte les lieux.

Oh, elle n'eut pas bien loin à aller, car au détour d'une rue c'est la silhouette de Judas qu'elle aperçoit au travers de la croisée. Nouvelle porte poussée et Rose change de taverne, naturellement. Bien sûr, elle ignore qu'elle a la mine réjouie, que ses joues sont plus roses qu'à l'ordinaire, et ses yeux, plus brillants ; elle se sent simplement plus heureuse et sereine. Qui plus est, elle n'ignore pas que le von Frayner fut un poil jaloux autrefois, mais imagine que cela lui aura passé. Elle était ivre, il y a quelques jours ; il l'a prise, elle n'a pas opposé de résistance, bien au contraire. Mais elle s'imaginait qu'à présent qu'il l'avait possédée il ne la désirait plus, que leurs relations étaient retournées à ce qu'elles étaient au départ. Ce en quoi elle se trompait.

Elle ignorait une autre chose encore, c'est qu'il les avait surpris. Si, une présence qui entre dans la taverne, elle lui ordonne de sortir, la présence obtempère. Ni elle ni Finn n'ont vu de qui il s'agissait, les paupières de la première étaient closes, le second avait le nez dans son décolleté. Ce n'était qu'à l'importun suivant qu'ils étaient montés en chambre, la Rose s'étant après coup félicitée de ne pas s'être laissé si facilement déranger.

Confiante donc, elle entre, et ne remarque même pas de prime abord le visage sombre du seigneur de Courceriers, qui avait choisi une place à l'ombre. Et Rosalinde de saluer son employeur, toujours égale à elle-même, avant de prendre place sur la première chaise à portée de son voluptueux séant. Et enfin, de remarquer la contrariété de Judas.


- Quelque chose ne va pas ?

La belle innocence.
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Judas
Si tout va bien... Tout va pour le mieux, voyons. Vous vous faites joyeusement baiser dans l'auberge d'à coté, ordonnez l'ordre de claquer la porte et d'aller voir ailleurs si nous y sommes. Bien sûr que tout va pour le mieux! Judas est furieux, toute violence contenue dans un regard qui ne permet pas ce genre de question. Son limier écarte les cuisses, et tant que c'est pour lui il le permet. Mais le libre arbitre, le droit de séduire, l'envie de plaire d'autres... Impensable. Rose est à lui, même sans l'aimer, même sans la réclamer, elle est sienne, c'est ainsi. D'ailleurs, ce n'est pas vers Finn que s'est axée toute la rage de Judas, non! C'est vers elle, elle qui salit toute la prestance froide qu'il s'évertue à tenir et qui fait sa réputation. Etre désirable pour le chaland ou le passant, n'a-t-on pas idée de désirer ailleurs? Et lorsqu'il jette ses yeux sur elle, c'est un coup de hache rouillée. Dans l'esprit tout a éclaté en mille sinistres manoeuvres. La voix cassée du Frayner s'est contenue, presque trop sage. D'un geste vif il lance la bourse à la rousse, non sans rater tous les détails qui rendent une femme belle après l'amour. Ces lèvres au rouge dilué et ces boucles froissées, et cette langueur naturelle dont elles se séparent lentement, l'homme ne les connait que trop. La petite garce.

J'ai besoin que vous confiiez cette bourse à un homme qui m'a rendu un service. Je l'ai aperçu tout à l'heure dans les rues de la ville à l'heure où la place gronde de ces fervents crieurs ducaux sans réussir à l'approcher. C'est étrange, la foule l'a engloutit comme une vague...

Il marqua un léger temps de pause. L'image qui se dessinait dans sa tête était laide, ce n'était pas une vague qui gobait Rose et sa robe légère... La main allégée de son aumonière sonnante vint tendre deux de ses doigts sur sa tempe, retenant sa lourde tête.

Vous êtes douée pour retrouver les gens, aussi faites moi plaisir. Donnez-lui sa rente.


Et de forcer un sourire démonté, son vilain dessein au bout des lèvres. Pourquoi régler sa solde et la chasser comme la dernière des putains quand il peut s'offrir une vengeance dissipant toutes sa contrariété? Pourquoi lui dire "adieu, sortez de ma vie" alors qu'elle mérite mieux encore qu'une défection. Judas a tous les droits, pas ceux qui le côtoient. Il trahit, on ne le trahit pas. Il déserte, on ne le déserte pas. Et Rose joue, insouciante au bout des doigts d'hommes, Frayner lui ne joue pas.


Il porte un bliaut bleu et un ceinturon à la boucle d'aigle.

Et de la chasser d'un geste, retournant à sa sinistre réflexion marmoréenne. Elle est belle Rosalinde... Belle comme le tendron le permet. Port de tête altier, mais tête bien trop remplie. L'oeil de petit Bolchen jouit d'une liberté que Judas jalouse, elle est trop similaire à la sienne. Judas a envie d'attraper sa main, de ceindre sa taille de sa senestre de cuir et de valser ... Une longue et langoureuse valse. Il imagine ses mains glisser dans son dos, courir sur son cou, ses doigts se saisir de sa nuque... Et la serrer. Serrer autant qu'il a pu l'empoigner et la posséder, avec la vigueur d'un amant en colère, d'un despote qu'on a éveillé.

Ho tu danseras ma douce amie... Et lorsque tu trébucheras dans la traine de ta tenue de lumière ou dans l'énormité de ton erreur... Je serai là pour te rattraper. Car notre imprudence nous rattrape toujours.

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Nous sommes les folles plumes des inspirations sans règles... Entrez dans la danse.
Rosalinde
    Tu veux danser ?
    Get on your dancing shoes, you sexy little swine.

    [Mets tes chaussures de danse, toi, beau petit salaud.]


Un regard polaire. Il est chargé de haine et de ressentiment, bien mal dissimulés pour qu'elle se trompe une seconde à l'ouïe de sa voix trop calme. Il n'est pas fâché contre le destinataire de cette bourse, non, sinon ses prunelles auraient sans doute simplement trahi de l'agacement. A présent ses yeux féroces la transpercent de part en part. Qu'imagine-t-il ? L'intimider en empruntant le masque de la froide sévérité ? Tu te fais glace, Judas, mais tu ne l'effraies pas. L'appréhension que font naître en elle ce regard empli de fiel et cette colère qui joue en sourdine ravivent la flamme du défi. Elle est joueuse, aime agacer. Qu'a-t-elle à perdre ? Pas grand chose en vérité. La vie, et quoi ? Il n'y aura que sa chère Anne pour la regretter.

L'instinct. Sans le vouloir, elle met dans le mille, s'amusant à faire rouler l'aumônière rondelette entre ses doigts diaphanes. Le sourire énigmatique et insolent, lui, est voulu, s'étire sur ses lèvres rougies et vient faire saillir ses pommettes. Une réponse, car il en faut une, est faite. Voix suave, tango.


- Soit, à votre guise.

Talons se tournent, marquent le pas contre le plancher, elle quitte la piste sans chalouper, on est pas au cabaret, là où les courtisanes sont reconverties en danseuses. Elle sait se tenir, raideur du corps de ballet.

Chassée de la main, elle quitte les lieux. Il va falloir le trouver, cet inconnu à la ceinture. Et avant la tombée de la nuit, demain il aura sans doute changé ses oripeaux. Mais elle a beau écumer les tavernes, les places et les ruelles, il n'est point de trace de cet homme. Ô rage, ô désespoir ! De guerre lasse, elle entreprend encore un tour des tripots sémurois. La Sémuroise, tiens, le coupable revient toujours sur les lieux de son crime. Porte franchie, elle se demande si l'Irlandais dort toujours là-haut, mais apparemment le reste de la salle est toujours désert.

A moins que dans l'ombre... ?

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--Jacque_
Je vous paierai […] avant l’oût

A moins que dans l’ombre…
Dans l’ombre une ombre demeure. Patiente. Attend simplement. Il a une tâche à accomplir… La nuit est sombre, l’air est chaud, le silence est pesant. L’ombre est absorbante. Sans bouger, il est assis, dans le coin le plus reculé de la taverne, effacé. La taverne la plus bruyante et charnelle de la soirée, selon les rumeurs du soir. Bonsoir. Absorbé dans ses pensées, il attend que le temps passe. Impatient mais passif. Pour le moment. Il a un but, il l’atteindra.

La porte s’ouvre, un mince courant d’air vient effleurer notre homme. Un sourire légèrement sardonique étire ses lèvres, avant de disparaître aussi rapidement qu’il était venu. Il détaille l’entrante. Rousse, robe bleue à nouettes. Impossible de se tromper. C’était bien elle. Mais il aurait très rapidement un moyen de le vérifier sans doute. Sans bruit il l’observe, cacher dans l’ombre. Un peu pervers. Autant en profiter un peu… Finalement, elle semble le remarquer. Son regard se dirige droit sur l’ombre. Sans bouger, notre homme lâche en un murmure, qui résonne fortement dans le silence nocturne, un :


Bonsoir…

Il attend quelques instants, pour suivre les événements. Observer, voir comment tout se déroule. Comment la jeune femme se met à la tâche. Il la voit bouger un peu, et décide de se lever enfin, toujours aussi silencieux. Car il n’aimait que le bruit sonore des cris de souffrance, de douleur, de désespoir, de chagrin. Il était loin d’être manichéen, cet homme. Tout dans la démesure, dans l’excès, dans le sombre. Et il était payé pour être naturel. La vie était parfois vraiment bien faite. Il aimait le silence, en dehors des cris. Car le silence permettait de se concentrer sur tous les autres détails, qui pouvaient paraître insignifiants aux yeux de tout un chacun… Lui voyait toujours les lueurs dans les yeux des gens. La peur, l’indifférence, le mépris, la douleur. Tout passait par le regard. Cette petite lueur sublime… Il aimait le silence qui permettait d’établir une sorte d’atmosphère latente, angoissante, tendue. Qui permettait de créer une sorte de barrière entre lui et les autres. On ne l’atteignait pas. Il touchait les autres. Au propre comme au figuré. Son métier était tel. Humilier, blesser, parfois au-delà. Et il aimait tellement ça…

Il se leva se rapprocha de la zone de lumière. Restant à la frontière entre le sombre et le lumineux. Le noir et le blanc. Il regarda la jeune femme, de haut en bas. Perversité poussée au plus haut point. Il veut faire peur, il aime faire peur. Une voix suave franchit ses lèvres pour venir murmurer, en un second sourire sardonique, visible cette fois :


Il est peu prudent pour une femme, de se promener seule, à de telles heures… On ne sait jamais sur qui on tombe, de nos jours… Ou de nos nuits…

Il sait pourtant, à qui il a à faire. Il porte un bliaut bleu. Reconnaissable. Peu pratique pour se tapir sans être vu, il permettait justement qu’on le reconnaisse quand on avait quelque chose à lui apporter. Comme c’était le cas. Il avait ses ordres déjà. Il serait sans doute payé d’avance. Il n'attendait que cela. Cupidité quand tu nous tiens. Et le devoir de réussir. L’employeur ne plaisantait pas. Il fit quelques pas de danse pour se diriger plus près de la jeune femme. Et attendre de nouveau. Qu’elle fasse un geste, dise un mot. Son regard ne quitte guère plus le sien. La sondant. Et toujours ce sourire satanique flottant sur ses lèvres. Il est laid à faire peur, l’homme au bliaut bleu. Il s’incline lui attrapant une main qu’il baise en douceur. Il fallait commencer tranquillement. Et parfois, la bonté poussée à l’extrême effrayait bien plus que la cruauté ou les menaces… Mais il ne connaissait que très peu cette femme… Peut-être pourrait-elle le surprendre, l’agacer, l’énerver. Peut-être serait-ce une cible facile, à moins qu’elle ne lui donne un peu de fil à retordre… La nuit le dirait. Il se relève, la regarde, attendant sa bourse, pour pouvoir se mettre réellement au travail… La nuit s’annonçait longue, mais plaisante. Elle commençait, pour lui, en charmante compagnie.

* Jean de La Fontaine
L’oût : la récolte, moisson des blés.
Judas
- J'ai simplement besoin de savoir qui, pour vous, est le plus vil et le plus fourbe des Ducs, Duchesses, Vicomtes ou Vicomtesses de Bourgogne.
- Mafoy, le plus vil, c'est moy.


[ Premier Echange épistolaire Rosalinde - Judas ]



Ce n'était pas comme si Rose n'avait jamais été mise au courant. Il faut noter la perversité de la machination qui avait éclos dans l'esprit de Judas. Il avait envoyé sciemment son limier payer l'homme qui devait l'humilier, la blesser, l'effrayer... Du fond de son baquet d'eau chaude rempli par les petites mains de Nyam et Eleonore, le brun se laissait évaporer à mesure que se décrispaient ses muscles secs. Le fil de l'eau ne frémissait plus depuis quelques minutes, laissant sa surface hyaline aussi lisse que du verre. Il énumérait en silence comme après avoir fait abattre son maure d'esclave toutes les situations où la rousse audacieuse avait apporté solution , toutes celles qu'elle avait menées a bien. Il parvint à la conclusion qu'elle n'avait pour le moment jamais failli... Nonobstant ce regrettable écart de conduite.

Et si Judas est si intraitable, implacable à l'égard de rose alors qu'il ne s'épanche pas du cas de Finn, c'est parce que sa misogynie est sans borne. Une femme est toujours l'instigatrice de tout, un homme lui n'est jamais qu'un homme. L'irlandais a fait ce que tout mâle isolé dans un camp aurait fait, ce que Judas même a fait! Ce ne sont pas les trahisons des femmes qui nous apprennent le plus à nous défier d'elles. Ce sont les nôtres. Triste constat.

Le corps nu de Frayner émergea enfin, paré d'une fine chair de poule que l'on attribuera à l'eau refroidie. Où peut-être étais-ce le frisson de l'assouvissement vengeur. En frottant lentement ses cuisses, les asséchant méthodiquement, il imagina la scène qui devait se jouer non loin de Petit Bolchen, en ville. Si ses lèvres restèrent imperméable à la démonstration de tout sentiment, en dessous de la ceinture l'idée d'une dernière danse toute cinglante soit-elle inspira une réaction des plus primaires. Petit à petit, il passa des dessous d'apparat, comme s'il célébrait un évènement cher à son coeur - ou ce qu'il désignait ainsi. La vilaine protubérance fut matée par des braies ajustées et recouverte par la noble chute d'un mantel gris. La main gauche pinça les lacets de son catogan pour s'assurer que ses crins sombres étaient sous contrôle. Notre homme était de sortie ce soir.

Le terrible de toute cette histoire repose tout de même sur une discordance notoire: Judas avait monté cette "trahison" de toute pièce. Dans les faits, Rosalinde ne lui devait rien, mais quelle ignominie... Cette idée était si inenvisageable, si grotesque , que le seigneur fut absolument incapable de la laisser l'effleurer. On fait parfois des efforts considérables pour souffrir d'une trahison ; et l'on y parvient.*


*de Etienne Rey
Extrait de la préface de De l'Amour de Stendhal

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Nous sommes les folles plumes des inspirations sans règles... Entrez dans la danse.
Finn
Lentement, l’Irlandais s’échappait du brouillard vaporeux dans lequel l’avait plongé l’âpre bataille l’opposant à des forces méphistophéliques. Celles-ci avaient vaincu, et laissé le prêcheur sur le carreau. Les doigts filandreux d’une main encore fébrile partirent en éclaireurs et s’aventurèrent sur le feutre fin du matelas bourré de feuilles de fougères. Ils en revinrent bredouilles. La colombe s’était envolée, sans doute pour rendre son rapport à l’Innommable.

Le corps repu du trentenaire se contorsionna dans un soupir las. Une fois encore, il s’était détourné de la voie tracée depuis l’éther par le Divin. Et ce, pour mieux se vautrer dans l’erreur avec cet être aux courbes taillées pour les pires bacchanales. Une telle insolence dans la suggestion de ses désirs viendrait à bout du plus pieu des hommes, de l'inverti le plus convaincu. Tenter de nier des charmes aussi criants, aussi scandaleusement assumés frisait l’absurde. Là était la véritable hérésie.

Dieu qu’elle était belle !
Et persuasive avec ça.

Tant et si bien, que le cuir couturé de son dos subirait les lacérations devenues rituelles de la corde ceignant sa taille. Il lui fallait châtier cette chair trop veule et il ne connaissait qu’une seule façon de corriger cet égarement de l’esprit : la souffrance. La sacro-sainte culpabilité de l’Irlandais, alliée à une fâcheuse tendance au vice, le poussait à bien des extrémités.
Mais plus tard. La discutable intimité que permettait la chambrée d’auberge ne lui plaisait guère. La foy la plus fervente se pratique dans l’ombre.

Courbé sur le bord du pageot, il examina avec soin le devenir de sa plaie au flanc, celle qui l’avait mis à bas de sa selle et immobilisé en Ces Murs durant de douloureux jours. Les folies de tantôt ne laissaient planer aucun doute sur sa capacité à chevaucher avec zèle. Le séjour forcé se terminait ici. Quelques personnes à récupérer en ville et il gagnerait la discrétion des chemins de traverse avant la pique du jour. Avec l’indolence du dur retour à la réalité, il se mit en quête de ses frusques, éparses dans la pièce. L’épais gambison retrouva le contact velu de son porteur, cuissards et braguette suivirent la même consigne. En enfonçant sa médaille de baptême derrière le col de son vêtement, l’Irlandais eut une petite pensée pour le Von Frayner. Lui qui convoitait ce petit bijou sans autre valeur que spirituelle se verrait peut-être récompensé pour le mérite de sa jeune protégée. Jusqu’ici, ils avaient tous deux rechigné à se céder ces deux précieuses possessions. C'était sans compter que l'une puisse s'offrir sans le consentement de son propriétaire.

L’équilibre était à rétablir.

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Rosalinde
Dans l'ombre, une voix caverneuse lui souhaite le bonsoir. Deux pas ou pas de deux, elle s'avance, un brin, laissant à ses yeux le temps de s'habituer à l'obscurité. Il se lève à son tour, l'avancée est reculée, retour au point de départ. Mieux vaut ne pas trop s'approcher, cet homme dégage une aura malfaisante, elle n'aime pas cela, se méfie. Regard inquisiteur qui pèse sur elle, la détaille. Elle a l'habitude des hommes cherchant à voir au travers de ses vêtements, et pourtant ce coup d’œil là la glace, bien qu'elle n'en laissât rien paraitre. La Rousse avait appris à ce que les battements effrénés de son cœur ne trahissent l'impassibilité de son masque.

Peu prudent de se promener... Cette fois elle s'agace, mêle-toi donc de tes affaires. Et finalement... Ce lieu commun du petit malfrat la fait sourire. Qu'espère-t-il ? Il veut jouer ? Encore ? Elle en serait presque lasse, de se payer la tête de son prochain. Puis elle ne le connait pas, mais vu le gabarit, vu les sensations qu'il lui inspire, il ne doit pas avoir la punition aussi gentille que Judas. En pensant à la nuit passée dehors, s'imagine-t-elle cela. Si seulement ! Mais l'effronterie à ses limites. Elle se laisse baiser la main, sans broncher, et ne détourne pas son regard du sien quand elle dit :


- Judas von Frayner m'envoie te porter ceci.

Son bras se soulève, main ouverte sur la bourse replète. Dieu qu'il est laid. Si sa voix n'avait pas pas réussi à le rendre tout à fait effrayant, son apparence, elle parlait d'elle même. L'homme semblait taillé pour le crime et le vice. A présent elle se demandait, avec insistance même, ce pour quoi Judas le payait. Liaison faite avec sa colère de tout à l'heure...
Était-ce ... Était-ce pour elle ?

Prends donc cette bourse, et laisse-moi.

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--Jacque_
Vous chantiez ? [...] Et bien dansez maintenant...*

Un baise-main, un regard en biais. Il aime joué le pervers. A moins qu'il ne le soit réellement. La nuance est large. La frontière est faible. Surtout avec lui... Il parle. Et sans doute trop. Mais le jeu, son jeu, passe aussi par les paroles. Rassuré faussement. Ou terrifié davantage. Dans tous les cas ses mots atteignent un but qui n'est pas négligeable pour la chute finale. Elle ne paraît pas effrayée de prime abord, de le voir si laid, si pervers, si... jacques. Jacques... Un jacques. Un nom passe partout. Un nom paysan. Un nom qui ne laissait aucune trace. C'était pour cette raison qu'il se présentait toujours ainsi. Jacques, l'homme au bliaut bleu. Pour un soir. Demain il serait Jacques l'homme au bliaut vert. Ou autre.

Elle le regarde en lâchant ses quelques mots, puis tire sa bourse. A nouveau, un sourire sardonique, plus effrayant que les autres vient étirer en un seul coin, ses lèvres. Laid pour laid. Autant viser l'innomable. L'hideux. Ses doigts de rapaces viennent prendre la bourse, qu'il soupèse un instant avant de la déposer sur la table, presque négligemment. A cette heure ci, personne ne risque de la lui voler. Et si tel était le cas, au risques et périles du voleur. L'argent était sacré à ses yeux. Le fruit d'un dur labeur. Faire mal. Si sa stature, et son regard pouvait laisser paraître qu'elle n'avait pas peur, sa voix témoignait l'empressement. La hâte de se débarasser de lui, de retrouver le calme nocturne, la beauté lunaire et le silence apaisant. Dans sa tête, un mince discours prend place. Il imagine un dialogue, qu'il ne dira jamais à haute voix. Criant de vérité. Si chanter était s'offrir, la cigale avait tout gagné... ou perdu. Avec pareil maître.

" Que faisiez vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse.
- Nuit et jour à tout venant
Je chantais ne vous déplaise.
Vous chantiez ? j'en suis fort aise.
Eh bien, dansez maintenant. "


Il lui fallait préserver le secret de son employeur. Brouiller les cartes. Il saurait aisément lui dire lui-même s'il voulait que la chose se sache. Son regard détaille sa gorge gracile pour remonter sur son beau visage. Un visage à ne pas toucher, ne pas marquer. Les décisions avaient été sans appel. La faire danser comme une poupée de chiffon. Et à voir une pareille beauté, il s'en ferait un immense plaisir. Et il danserait avec elle. Une danse se partage après tout. Hum... douce générosité. Sans faille. Quand tu nous tiens... ! Il sourit de voir qu'elle regarde son manège, reculant imperceptiblement. Mais il voit tout. Il ressent tout. L'habitude des crimes. La soirée était facile et gentille. Et pourtant pour brouiller les pistes, il lâcha tout de même, en guise de réponse :


Merci bien damoiselle. Et tendit qu'il lâche la bourse sur la table, de rajouter : La soirée s'annonce longue. Je m'occuperais du cas du Von Frayner, plus tard. J'ai quelque chose à faire avant...

Parler trop permettait de faciliter l'acceptation et la croyance en ses mensonges. Il savait mal mentir. Pourtant, à trop parler ainsi, on avait souvent l'impression qu'il lâchait des informations importantes sans s'en rendre compte. C'était tout un art. Il ne restait plus qu'à espérer qu'il marche. Ou non. Après tout, il était payé... pour lui faire payé. Pas pour mentir. Mais on cherche toujours à atteindre la perfection. Même si elle ne semblait pas si bête pour tomber dans le piège, dans la peur voir l'effroi, tout devient possible... Ses lèvres vinrent se pincer doucement, et il commença à émettre un sifflement sur un rythme régulier, doux. En temps normal il n'aurait pas été angoissant, mais son sifflement l'était sans aucun doute...

Alors seulement il se met en action. Il commence sa mission. Faire peur était amusant quelques instants. Une fois l'effet provoqué, on s'ennuyait vite, même si l'angoisse persistait un peu dans le coeur de la victime. Il lui saisit vivement la main droite, en un nouveau baise-main. Lorsqu'il relève le visage, il est transfiguré. L'homme est vraiment devenu atroce. Transfiguré par son travail, et l'idée - oh combien plaisante - de le faire, et de le faire à merveille. Ses yeux pétillent d'une lueur étrange qui terrifierait n'importe quelle femme. Alors sa main glisse sur son poignet, qu'il sert d'une douce étreinte. Son autre main vient chercher le poignet encore libre, pour provoquer une étreinte similaire. Douce prison que la poigne d'un homme. Parfois, elle fait plus de peur que de bien. Chaque homme à ses valeurs propres. Il la force alors à reculer et la plaque, assez brutalement contre le mur. Quelques secondes. Cela ne dura quelques secondes. Et bien souvent, le temps semblait s'allonger pour lui qui prenait plaisir, et se raccourcir pour ses victimes. Ou peut-être était-ce l'inverse ?! Plaquée contre le mur, son sourire satanique flotte sur ses lèvres sans disparaître. Il y restera sans doute jusqu'à la fin de la scène. Et sa voix caverneuse, et mielleusement menaçante de chuchotter à son oreille :


M'accordez-vous cette danse, damoiselle ?

Ironie mordante. Elle n'a guère le choix. Et même si elle se débat un peu. La poigne est solide. A peine a-t-il le temps d'esquiver un coup de genoux dangereux que la danse commencera. Sa danse à lui. Cruelle. Douloureuse. Coupant le souffle au plus émérite des danseurs. Une giffle violente s'abbat sur son visage. De quoi la sonner quelque peu, sans marquer. Car l'employeur ne veut pas de marques sur le visage. Il lui serre alors les deux poignets dans la même main. Il serre, à s'en faire blanchir les phalanges. Aussi douloureusement pour elle que pour lui. Mais il ne craint plus tant la douleur. Et alors il l'envoie valser contre la table. Il la regarde perdre un peu l'équilibre, tituber, s'affaler quelque peu sur la table. Il lit l'angoisse dans son visage. L'incompréhension aussi peut-être. Ce n'est plus une lueur mais une flamme dans les yeux du malfaisant pêcheur. Une flamme de plaisir. Enfin il peut donner libre cours à ses coups. Une flamme d'amusement. De la voir, comme toutes les victimes le font plus ou moins longtemps se démener, parfois crier, parfois se mordre les lèvres à en saigner, ou d'autres tenter de se battre. Il la regarde faire, amusée. Rien ne l'arrêtera. Il mènera sa mission à bien. C'était sans doute pour cela qu'on le payait autant.

Danse beauté. Danse poupée que tu es. Danse, virevolte, tourbillone sous mes coups. Tu n'y échapperas pas. Tu es faible. Bientôt tu retrouveras ton statut de poupée. Inanimée. Allongée sur le sol, comme un vulgaire morceau de chiffon. Aucune blessures graves. Aucunes blessures mortelles. Seulement des bleus. Tu seras un arc-en-ciel poupée. Es-tu contente ?! C'est beau un arc-en ciel. Tu seras verte, bleue, jaune, peut-être noir à certains endroits, voir violette. On ne comptera plus tes hématomes. Danse beauté. Il est l'heure d'être la plus belle. De danser jusqu'au petit jour. Danse donc. Pousse les chaises et la table pour te faire de la place. Je t'aide, tu vois. Danse, comme jamais tu n'as dansé. Comme jamais tu ne danseras plus. Valse. Trémousse toi. Montre moi chaque parcelle de ton corps. Vêtu. Et pourtant si douloureux sous mes poings. Danse. Je te rosse avec bonheur tu vois. Tu me rends heureux. Sois en fière. Danse. Avant de finir allonger, inerte sur le sol. Assomée. Humiliée. Comme il se doit. C'est beau la vie d'artiste. C'est si beau et reposant...


* Jean de La Fontaine : Livre 1 Fable 1 : La cigale et la fourmi
Rosalinde


C'est ce qui s'appelait "se fourrer dans la gueule du loup". Elle savait à quoi s'attendre, en travaillant pour Judas, "le plus vil c'est moy". Mais elle ne comprenait pas ce qu'elle avait mal fait ; quel ordre n'avait-elle pas exécuté ? Il parle du cas von Frayner, mais elle n'est pas dupe. Elle voit cette horrible lueur de pure méchanceté allumée dans les yeux de Jacques. L'infâme, elle sait qu'il ne fera d'elle qu'une bouchée. Il la cassera, poupée de cire, la tordra, poupée de son. L'angoisse lui vrille les entrailles.

Un pas esquissé en direction de la retraite salvatrice, mais le poignet est rattrapé. Main de nouveau baisée, et malgré ses tentatives de dérobade, la voilà plaquée contre le mur. Mille et une pensée se bousculent dans l'esprit vif de la rousse espionne. Elle sentirait presque déjà ces sales mains déchirer ses vêtements, meurtrir ses chairs ; ce souffle puant et âpre qu'elle sent sur son visage la révulse. Partir, partir loin d'ici, c'est tout ce qu'elle voulait. Prier, inutile, si elle admettait l'existence d'un Dieu, elle ne le pensait pas se préoccuper de la destinée des hommes, encore moins intervenir dans celles-ci. Et même si cela était le cas, il ne bougerait pas son petit doigt pour une pêcheuse adepte du blasphème, ayant à son actif la perversion et la mort d'un prêtre. Non, elle ne pouvait compter que sur elle-même. Là était le but du coup de genou, arme salvatrice de toutes les femmes en détresse. Malheureusement, celui-là est un échec.


- Lâchez-moi.

Elle ordonne quand il demande la danse, tout en sachant que ses paroles étaient vaines. Perdue, elle l'était. Jacques ferait d'elle ce qu'il voulait, son erreur avait été de penser cette "mission" comme sûre, et de ne pas emporter son précieux poignard avec elle.

La gifle cingle, mais le gémissement de douleur, lui, est avorté. Hurler, supplier ? Perdre la face. L'orgueilleuse Rose se devait de souffrir en silence. Le silence, et le mépris, voilà tout ce qu'elle offrirait à l'homme au bliaut bleu. Il ne méritait pas mieux. Il serre, serre les poignets fins et délicats, si fort qu'elle craint de les voir se briser sous la puissance de sa poigne, tandis que ses blanches mains s'engourdissent petit à petit... Pas longtemps. Le cygne prend son envol, mais l'atterrissage est douloureux. Fracas des chopes d'étain qui tombent au sol, bois qui grince contre le dallage, cette fois le son de la souffrance franchit ses lèvres, bref.

Il pleut des coups, et rien n'échappe à cette grêle, sauf son visage. Peut-être garde-t-il le meilleur pour la fin... Pliés, entrechats, arabesques, son corps se tord sous la pression de tous ces exercices, exercice de son pouvoir, de sa puissance. La lâcheté de s'en prendre à plus faible que soi... Faiblesse, il est faible, c'est ce qu'elle se dit pour retenir sa langue. Imperméable à sa douleur, pire, s'en délectant. Elle ne s'était jamais délectée de la souffrance. Elle faisait parce que c'était nécessaire, ou du moins, utile. Sans déplaisir, mais sans plaisir.

Elle danse, Rose, sans pouvoir se défaire de son cavalier qui conduit ses pas. A gauche, à droite, en avant, en arrière, elle est ballotée au gré de ses sadiques envies. Elle danse, mais plus pour longtemps. Poussée avec une violence sans pareille contre le comptoir solidement ancré dans le sol, un craquement d'os, et un cri de souffrance, perçant, désespéré. Équilibre perdu, elle tombe, rebondit contre un coin de table, s'ouvrant l'arcade du sourcil.

Et elle gît, au sol, inconsciente, le sang ruisselant sur le blanc neigeux de sa tempe.

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Finn
Le soleil avait tiré sa révérence depuis un bon moment, plongeant sous un ciel d’encre les bretèches de Sémur. A la lueur vacillante d’une mèche d’étoupe inlassablement rongée, l’Irlandais amarrait les dernières sangles de son barda. Celui-ci renfermait les plates dont il ne souhaitait s’encombrer durant la chevauchée nocturne, ainsi que quelques vivres et le reste de l’attirail hétéroclite qu’il avait amassé au gré de ses virées. La sortie devait se faire dans le feutré. L’anonyme roncin, logé aux frais du contribuable bourguignon dans l’écurie de l’auberge, n’attendait que son bon vouloir pour détaler au grand galop. Pour autant, il restait à Finn quelques affaires à diligenter.

Un fil ténu, maigre survivance de plaisants pourparlers avec la créature qu’il avait besognée plus tôt, résistait à la corrosion d’une mémoire en sérieuse décrépitude. La conversation avait débuté en synode pour accoucher des plaisirs solitaires de chacun. Le bon malt distillé sur la verte Érin pour l’un, les atours seyant pour l’autre. La pingrerie légendaire de l’Irlandais se trouva apaisée par la présence d’une cassette fortunée renfermant l’impôt frondeur sur les caisses ducales. La tâche la plus ardue restait maintenant de convaincre tailleur de rouvrir échoppe à la brune sans s’attirer les foudres du guet local. La courtoisie du Gaélique, tout comme sa générosité, étaient de celles qui ne souffrent qu’on leurs fasse mauvais accueil.

Chatouilleux ? Si peu.

L’étude méticuleuse des sentiers champêtres sur la carte fut contrariée par le bastringue d’en bas. A croire qu’il n’était pas le seul à célébrer le retour du printemps en docile compagnie. Tout ce qu'on pouvait en dire, c'est qu'à ouïr valser vaisselle et mobilier, l’un des protagonistes faisait preuve de pugnacité dans l’expression de son refus. Finn, qui n’était pas homme à fourrer son museau dans les déboires de ménages turbulents, entreprit de reconsidérer l’urgence d’une intervention. D’autant qu’il n’avait aucun intérêt à attirer l’attention de la sorte. Le monde était ainsi fait de lâches obnubilés par leur petit nombril, occultant ce qui sortait du champ de leurs perspectives toutes personnelles. En sus d’entrer la triste catégorie précédemment nommée, l’Irlandais se montrait soucieux face à l’évaluation des risques de son expédition. Les choses allaient de mal en pis à en lire les plis dont il avait repoussé la lecture jusqu’à ce fameux soir.

Mais soudain, un cri déchirant. Un cri d’épouvante. Un cri à en faire frémir les gargouilles.

Le vélin strié de vallées retraçant avec une fidélité mitigée le Pays d’Auxois fut aussitôt relâché. L’effroyable supplique qui résonnait encore entre les quatre murs de la pièce unique ébranla le pronostic de l’Irlandais quant au dénouement d’une querelle qu’il devinait passagère. Qu’il espérait, surtout. Par le coccyx fourchu du Sans Nom ! Il lui fallait descendre et s’assurer que l’on ne rameuterait pas ces braves forces de l’ordre pour une quelconque empoignade de comptoir. Les sacs de jutes furent empaquetés à la va-vite, envoyés se balancer sur l’épaule alors qu’il dévalait les marches de l’escalier quatre à quatre, fourreau en main.

Regard prompt en direction des acteurs de l’esclandre et de la situation chaotique dans laquelle se trouvait la salle commune. Le spectacle était bel et bien à la hauteur des clameurs. Certains étaient doués pour identifier les chants d’oiseaux, lui pouvait reconnaître sans peine le cri douloureux d’un être sur le seuil de son trépas, sans le confondre avec les derniers glapissements d’un vulgaire bâtard errant. Un sinistre ballet se jouait ici, de ceux dont on aurait préféré ne pas ne pas se faire le témoin.

Les jutes tombèrent lourdement à ses pieds bottés qui ne tardèrent pas à se frayer un chemin entre les décombres pour approcher de cette scène dont il aurait mieux valu qu’il ignore tout. L’homme, ou plutôt l’enfant de salaud, dévisagé froidement, se vit prestement tenu en joue de la pointe d’une bâtarde qui, même enrobée dans son écrin, ne semblait point porter atteinte à l’assurance de son bretteur. Le visage de porcelaine encadré de ses boucles rousses était entaché d’un carmin lui seyant peu. Un de ces rouges qu’elle affirmait jurer avec la rouille de sa toison. Finn n’eût pas de mal à la reconnaître lorsqu’il se risqua à dresser un bref état des lieux chez la jeune personne étendue sur l’imperturbable dallage.

Etrange situation que de se trouver dans la position du chevalier servant...
Il faudrait s’y pencher, plus tard, lorsqu’il n’aurait plus l’autre diable à maintenir à distance. Ne sachant pas de quoi celui-ci était capable, il l’envisageait sans faillir avec les traits austères de la colère froide. L’Irlandais jaugeait l’animal comme s’il s’était reconnu, l’espace d’un fragile instant, de la même meute.


- « Je ne sais pas ce qui t’amène, mais ta besogne s’achève ici, Pendard. », lui cracha-t-il d’un ton péremptoire.

Un meurtre n’arrangerait pas ses affaires et il priait pour que l’affreux file sans faire d’histoire. Car pour sûr, s’il objectait, le vieux briscard ne manquerait pas de saisir l’opportunité de rompre les digues maintenant à flot le discernement qu’il était prêt à troquer contre une vengeance en bonne et due forme.
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Judas
Judas avait regagné la ville et sa nuit bruyante qui vibrait l'esgourde au travers des fenêtres des tavernes, des tripots, des auberges... Sciemment ses pas ne s'étaient pas arrêtés devant la Sémuroise et ses lumières ténues filtrant des carreaux de papier. Sciemment il n'avait pas tendu l'oreille et avait continué jusqu'à l'établissement voisin.

Il pénétra dans la maison de jeu et s'attabla juste à coté de la porte en ôtant ses précieux gants cuirassés, l'oeil cherchant déjà le secours du taulier pour une bonne cruche de Bourgogne. L'instant d'après, Frayner étalait son jeu de cartes sur le bois aplani par la crasse et les ans, sillons étouffés par une poussière sans âge. Le corps fin s'enfonça dans le siège, une vieille habitude de matou, et les mains firent le tri dans les Epée, Bastons, et autres Ecus cartonnés. Il refit trois fois son meilleur score avant de se laisser de nouveau attirer par le souvenir d'une Rose, fraiche et curieuse, qui tentait d'apprendre l'art de jouer aux cartes en solitaire. En retournant un baston il sourit presque béatement, non pas pour ses points mais pour la plaisante image de l'entêtement de la rousse, et de sa curiosité innée. Celle qui lui avait fait cruellement défaut plus tôt dans la journée.

Le temps fila comme les coupes de vin entre les doigts de Judas, jusqu'à ce que l'agitation ou le pressentiment que l'exécutant ait achevé besogne sortit Frayner de sa concentration relative. Le jeu fut rassemblé, de maigres écus abandonnés puis la silhouette brune se faufila à l'extérieur où, après quelques pas pressés en direction du lieu de la discorde, le calme semblait être revenu. Dans le doute, le seigneur poussa la porte, appréhendant presque de revivre la terrible vision à l'origine de toute cette mise en scène.

Et lorsque les gonds pivotèrent... Il resta là, au seuil, figé devant le spectacle qui s'offrait à lui. Quelque chose avait comme qui dirait... Merdé. Le bliaut bleu était tenu en joue de l'estoc menaçant d'un Irlandais qui n'avait rien à foutre là. Vite, l'esprit de Frayner cogita a toute allure et c'est en adoptant son air le plus désemparé qu'il fondit dans le dos de son sbire pour l'étrangler fallacieusement d'une clé de bras. Les lèvres fourbes persiflèrent à ses oreilles d'une voix cassée qu'il reconnaitrait immédiatement et l'empêcheraient de riposter.


Maudit sois tu maroufle, je te ferais pendre avec tes couilles!

Il ajouta bien plus bas, audible d'eux seuls un persuasif: " Tais-toi, je te laisserai la vie et te paierais le double" avant de renforcer son étreinte. Il en allait de la réussite de sa machination après tout. Le croquefedouille ne devait pas être entendu sur le pourquoi de son geste et compromettre son commanditaire, Judas avait déjà son lot de mauvaises surprises. Il reprit cet air toujours plus inquiet, presque trop, en regardant de derrière le col du maraud le corps de l'inerte. Ha Rose! Pauvre de toi...! Elle avait eut tort de se laisser déconcentrer même brièvement d'un gagne pain confortable offrant connaissances multiples et robes à nouettes... Le carnet d'adresse de Florie de Clairval, de R ou de Rosalinde - selon l'humeur - croissait au fil du temps, sa garde robe aussi. La rousse pouvait profiter de la réputation de son seigneur et des avantages que la vie à ses cotés lui proféraient... Sa tâche, son rôle aux yeux du satrape n'étaient pas laborieux, ni même dégradant, savait-elle la chance qu'elle avait comparée à une Nyam ou à une Iris? Et pourtant, tout ayant son revers, Judas avait sous les prunelles fascinées...

Les risques du métier...

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Nous sommes les folles plumes des inspirations sans règles... Entrez dans la danse.
--Jacque_
Danse à ton tour. La roue tourne

Elle était faible. Faible. Autant que les autres femmes. Que toutes les autres. Même si elle paraissait plus obstinée, plus fière... Elle criait tout autant. Il ne referrait plus la même erreur. Plus jamais. Bayonné. Pour plus de sureté. Pour être tranquille. Il était temps d'en finir. Il la poussa brutalement contre le comptoir. Chiffon. Elle était chiffon. Plus aucune résistance. Plus rien. C'était finit. Son travail touchait à sa fin. Sauf que... La table était là. La tête s'y cogne. Elle est inerte sur le sol. Froncement de sourcil, grognement de mécontentement. Et voilà le Jacques qui lâche sourdement :

Pauvre idiote !!!

Il la retourne pour voir... espérant qu'elle ne s'est pas blessée toute seule. Remettre la faute sur les autres est tellement plus facile. Voyant son arcade sourcilière en sang, il grogne puissamment, et se dirige derrière le comptoir pour trouver de quoi nettoyer ça. Violent, et sombre, oui. Mais il aimait le travail bien fait. Et on lui avait demandé de ne pas marquer le visage. Cette petite garce allait tout faire râter. Il voulait laisser une image belle de son travail. Bien fait. Sans tâche. Sans sang. Sans preuve. Il râtera tout ce soir là. Derrière son comptoir, il entend juste à temps des pas dans l'escalier. Il a à peine le temps de sortir de derrière le meuble, de retourner d'un coup de botte le corps de la rousse, de saisir sa bourse et de l'accrocher à sa ceinture, sans que ledit homme ne le voit, avant d'être pris en joue. Une batarde. Tenu par un bat... un homme. Quelle soirée compliquée.

Le regard de Jacques reste de glace. Il cache sa peur le mieux possible. On ne la voit pas. Il laisse même un sourire un peu narquois flotter sur ses lèvres. Mais l'homme semble inquiet du sort de la rousse. Il lâche une phrase pleine de mépris, qui plaît beaucoup à notre homme. Les plus beaux compliments sont pour lui les insultes. Elles reflètent son métier. Sa véritable nature. Elles lui ressemblent. C'est pour cela qu'il les aime tant. Jacques commençait à reculer lentement, sans le quitter des yeux, commençant à lâcher une phrase qu'il vaudrait mieux qu'il évite de dire :


J'avais ter... miné de toute façon.

La phrase ne s'achève pas. Ne s'achèvera jamais. On le tient. On l'a pris par derrière. On... Il reconnaît la voix. Son employeur en soit. Il comprend ce qu'il veut faire. Pourtant il ne peut s'empêcher de penser que l'action de Judas est une erreur. Jacques aurait réussi à s'en sortir seul. Un manque de confiance en soit. Judas n'avait pas confiance en lui. Au fond, il pouvait le comprendre. Jacques n'était pas homme à qui on accorde facilement confiance. Mais son travail, c'était tout ce qu'il avait dans la vie. Sa seule source de fierté. Si tant est qu'on puisse être fier de ce qu'il faisait de ses journées, ou plutôt de ses nuits... Il n'aurait pas trahi le Von Frayner. Néanmoins, il s'en sortirait peut-être plus facilement ainsi... L'avenir le dirait.

Les mots chuchottés rassurent tout en faisant peur. Il ne dira rien. Bien évidemment. Il est peut-être gueux mais pas stupide. Ils rassurent, car ils évoquent l'argent. L'argent... Pourtant ils effraient un peu aussi. Fausse promesse ou réelle parole ? Pour avoir été payé par lui plusieurs fois pour des tâches plus que sombres, le fourbe craignait un peu Judas. Aussi n'eût-il pas beaucoup de mal à jouer l'homme surpris, puis quelque peu horrifié. Quelque peu. Comme l'homme terrifié, qui tente de retenir sa peur, de la cacher. Finalement cela rendait bien. Il arrêta un instant sa respiration, pour rendre encore plus crédible l'étranglement fallacieux. Sans pour autant mimer de suite la perte de conscience dût au manque d'oxygène. L'homme en face ne serait propablement pas assez crédible... A moins que dans l'inquiétude et la surprise de la découverte du corps endoloris et inerte de Rose... La chose se tentait...
Rosalinde


Face contre terre, elle se réveille. Quelques secondes à peine depuis qu'elle a perdu connaissance, et pourtant elle a l'impression que cela a duré une éternité. Les sens sont petit à petit recouvrés. D'un bourdonnement entêtant, elle entend des voix, plus distinctement. Doucement elle soulève son buste, prend appui sur son coude droit, malgré la douleur lancinante qui lui vrille le poignet. Le regard passe du noir brouillard aux quelques couleurs distinguées, étoiles qui pétillent devant elle, et finalement la vision redevient normale. Elle ne perd pas une miette de la scène qui se joue devant elle, sans être en faculté de l'analyser. Senestre indemne qui se soulève, et vient prendre le pouls de son arcade ouverte, le sang coule encore mais commence déjà à coaguler. Rosalinde écarte ensuite les mèches poisseuses qui lui obstruent la vue, et, la main dans la flaque écarlate, se redresse à la force de son seul poignet gauche.

Assise à présent, elle repose son dos contre une table renversée. La main ensanglantée est essuyée sur le bleu nuit de la robe et de ses nouettes, de toute façon elle est fichue. Judas est arrivé. Il étrangle. A présent la Rousse ne comprend plus. Pourquoi ? Un instant, elle doute de la bonne tenue de son raisonnement, l'esprit encore embrumé du voile jeté par la syncope. Si Judas avait demandé à l'homme au bliaut bleu de lui refaire le portrait, pourquoi à présent la défendait-il ? Doute installé dans son esprit, elle, se tromper ? Oui, après tout, elle n'était pas à l'abri d'une erreur, la mort de sa mère ne l'avait que trop bien prouvé... Alors, Judas n'avait fomenté aucun noir dessein à son encontre. Notez, cela se tenait, elle ne comprenait pas ce qu'il aurait eu à lui reprocher, ignorant qu'il avait été témoin d'une scène préliminaire...

Alors elle se relève. Cramponnée à la table comme à son radeau, membres flageolants, mais ils s'articulent, la soulèvent. Sa volonté la guide, renforcée par la colère. Cette colère qui assombrit ses yeux et meut son bras. La maigre distance qui la sépare du trio masculin est franchie, et son regard chargé de haine transperce Jacques de part en part. Il a osé lever la main sur elle, sans raison tangible. Profaner ce qui, chez Rose, était l'une des choses les plus sacrées au monde, elle-même. Qui était-il pour s'octroyer le droit de la punir, de laisser ces atroces marques sur sa peau de velours et d'albâtre, de meurtrir dans sa chair ? Rien, il n'était rien. Et il paierait, elle se le promit.

Rose profite. Les mains de Judas sont prises, elle dégaine l'épée pendue à la taille du noble Seigneur de Courceriers. Lourde épée, surtout tenue à une main. Peu lui importe. La lame est levée, posée contre le bliaut bleu, au niveau de la poitrine. Elle sourit, faussement calme. Et demande, en direction des deux autres assaillants :


- Puis-je à mon tour m'en prendre à plus faible que moi ?

On se reverra en enfer.

* Me voici et je ne sais pas pourquoi
Je tourne sans cesse
Jusqu'à ce que je perde mon sens de la gravité

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Judas
Elle reprend ses esprits. Son arcade est ouverte, ce qui contrarie l'homme à la voix éraillée. Tenant toujours fermement le bliaut bleu il l'observe se déplier, sonnée, meurtrie. Elle est belle. Justice est rendue, c'est peut-être ce qui l'encense. Ho jacques a oeuvré avec brio, mais il a fait du zèle, et c'est une erreur. On ne sait que trop bien comment l'esprit psycho-rigide de Judas s'accommodait des erreurs, des faiblesses et des ratés des autres... Surtout lorsqu'il alignait les écus pour un parcours sans faute.


Il frisonne lorsque l'épée glisse de son fourreau, c'est un geste d'audace qui lui en rappelait un autre, plus érotique. Pourtant il ne l'arête pas, gardant son col de chair fermement vissé à son captif. Judas exerce une pression de la main sur les flancs de Jacques, signe que ce n'est que de la comédie, qu'il ne le laissera pas tuer . Mais derrière, ses yeux mentent et ses lèvres restent closes, il ne suspendra pas le geste vengeur de Rose, et Jacques pourra bien crever dans ses bras. Rose a été justement corrigée, et son agresseur n'est que le jouet de ses représailles, un jouet qui n'est pas sans failles et tant pis.

Sa vie coûte bien peu face à la réussite de sa manigance. Judas regarde Finn, puis son regard s'évapore sur le fil de la lame.

Jacques, nous avons un problème... Moi, je suis déjà parti.

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