75 Quai PetitCed... Du nom de l'avoyer tué par Yohann65 alors qu'il sortait de Genève assiégée pour négocier la paix il y a... pfiou ! Une éternité, au moins.
Elle avait remarqué sur le plan cadastral de la ville, ce matin là, une allée du Corsaire Cendres, elle avait logiquement pensé qu'elle trouverait le repère des Ambuleurs dans ce coin là, mais pensez vous ! Seulement trois habitations, et pas l'ombre d'un Ambuleur. Si c'est pas malheureux hein. Quoique dans le genre, Aurea a le même problème : sa rue à Sion ne porte même pas son nom ! C'est t'honteux ! C'est un scandale !
Bref, 75 Quai PetitCed, du nom d'un mort, c'est là qu'elle se trouve ce jour, figée, à observer la bâtisse.
A la surprise de l'édifice -parce que faut dire que c'est cossue quand même, c'est bien loin de ce qu'on peut imaginer, même si elle ne s'était rien imaginé de l'habitation des Ambuleurs- s'ajoute celle de l'agitation ambiante. Ça passe, ça repart, ça va... Ca n'en finit pas. C'est qu'il y a du pipole dans le coin. Mais parmi tous ces gens, pas l'ombre d'une tête connue, à moins que là bas... penchage de tête pour mieux voir, mais déjà la personne s'est envolée. Enfin pas littéralement, mais elle est rentrée et y a pu. C'est magique.
De toute façon elle ne cherche pas forcément quelqu'un qu'elle connait, elle s'était juste déplacée déposer une lettre pour économiser un pigeon.
Quinze jours qu'elle était à Genève, et c'est seulement ce matin, en rangeant ses affaires en vue du départ prévu le soir même, qu'elle avait retrouvé sa liste des trucs à faire impérativement sous peine d'avoir une liste encore plus longue le lendemain ! Rien que le nom de la liste, ça pousse pas à se dépêcher d'en rayer chaque ligne. Si elle avait appelé ça la Liste des trucs à faire sous peine de mourir dans d'atroces souffrances, là tout de suite ça motive beaucoup plus.
Bref, elle a retrouvé cette liste , et en première ligne elle avait noté "Écrire à Aelig pour le prévenir que je suis à G'nève". Aie. Ça c'est raté, donc. Mais on peut toujours rattraper le coup, écrire pour dire qu'on est dans l'coin mais qu'on repart le jour même, ça le fait quand même un peu mieux qu'écrire trois semaines plus tard pour dire qu'on est passé. Laissant donc ses bagages en plan, elle s'était installée pour l'écrire, cette lettre. Et quitte à être dans le même patelin que le destinataire, autant lui porter la lettre directement, ça évite aussi de devoir chercher un pigeon, un canard, une mouette ou toute autre bestiole.
Voila donc pourquoi on la trouve maintenant là, devant le 75 Quai PetitCed (on va finir par le savoir), à prendre racine.
C'est qu'en fait, là, elle hésitait à s'avancer ou à appeler.
Déjà, elle avait tellement remis au lendemain l'écriture d'une lettre à Aelig, qu'à force de lendemain on se retrouve vite avec des semaines, et les semaines se transforment en mois. C'est magique ça aussi. De là à ce que ça se transforme en année, il n'y a que quelques remises au lendemain -qui se transforment en semaines, qui se transforment en mois- à passer. Et depuis le début de l'hiver, ça se transformait à vitesse grand V.
Et puis aujourd'hui elle n'était pas sure d'avoir envie de voir du monde. Y a des jours comme ça ou on a envie de rien. En général on s'enferme chez soi, on va parler avec Dieu, le Très Haut ou Déos, selon le nom qu'on lui donne, ou on va se saouler. Pas de bol pour Aurea, elle n'a pas de chez elle ou s'enfermer ici, elle est fâchée avec l'habitant de Là Haut ("c'est Lui qu'à cherché la guerre d'abord !"), et la dernière fois qu'elle a trop bu elle a failli se noyer et a perdu une botte (pensez donc si c'est pas un bon souvenir !).
C'est qu'elle l'avait tellement prévu et attendu ce séjour à Genève, et c'était tellement différent de de ce qu'elle avait espéré, imaginé... Mais qu'est ce qu'elle s'était imaginé hein ?! Elle est bien difficile à entrer dans sa tête, la leçon retenue de sa rencontre avec le blond saltimbanque, un brin brigand sur les bords... Vivre le présent. Mais son présent c'est d'être campée devant le 75 Quai PetitCed, un zeste de déception, un soupçon de mélancolie saupoudré d'une pincée de solitude, deux mains glacées qui tiennent une lettre, une volonté qui tourne au ralenti et juste l'envie de retourner dormir pour ne pas voir passer cette journée qui allait être longue, interminable même.
Au bout d'un moment, quand elle se surprend à trembler de froid, elle finit par se décider de bouger. Un pas devant l'autre, c'est comme ça qu'on marche le mieux. Un pas devant l'autre, donc -parce que c'est comme ça qu'on marche le mieux, oui on l'a d'jà dit mais c'est important ça comme leçon- elle finit par arriver devant la porte. Et profitant d'un moment de calme dans l'agitation ambiante -peut être l'heure du casse-croute (mais que même si c'est pas ça j'm'en fous c'est moi qu'écrit qu'est-ce que j'veux)- elle coince sa lettre entre deux planches de la lourde porte.
Et hop, emballé c'est pesé ! Et zou, demi tour droite toute ! Un pas devant l'autre, une... deux... une... deux... une... deux... C'est comme ça qu'on marche le mieux...