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[RP] Quelques maux d'amour

Kernos
De mon village capital
Où l'air chaud peut être glacial
Où des millions de gens se connaissent si mal
Je t'envoie comme un papillon à une étoile
Quelques mots d'amour

Je t'envoie mes images
Je t'envoie mon décor
Je t'envoie mes sourires des jours où je me sens plus fort
Je t'envoie mes voyages


Quelques mots d'amour
, Michel Berger.


[Sur les routes du Lyonnais-Dauphiné.]


"Ma Chère Lune, ... Ma Lune, ... Terwagne,..."

A droite, le Rhône. A gauche, l'ombre lointaine des monts. Au milieu, lui et ses hésitations épistolaires.

Un vent chaud soufflait ce jour là, l'enveloppant de la poussière des chemins de traverse qu'il empruntait pour gagner Valence.

"Ma Douce Terwagne, ... Mon amour, ... "

Sa monture éternua. Kernos secoua la tête... Non, cela ne lui convenait pas du tout.

Le plus dur dans une lettre, c'est de commencer, de trouver l'accroche, la racine sur laquelle s'appuyer pour que les mots jaillissent comme source vive. C'était toujours cela qui lui posait difficulté.Trouver les bons mots, les mots justes qui n'exprimaient pas seulement ce qu'il voulait dire, mais seraient le manifeste de ses sentiments, leur essence-même.

Il ne voulait pas tracer des lettres figées qui emprisonneraient sur le vélin ses émotions, ses peurs et ses espérances, les rendraient banales, vides à lire. Des mots que les yeux voient, mais pas le coeur. Or, lui voulait aller au-delà, dans un langage qui aurait du geste, une présence physique, une sorte de pureté et d'essentiel qui transcenderaient les écrits pour toucher l'âme de celle qui le lirait.

Il voulait une lettre vivante. Pas seulement un reflet, un instantané statufié. Quelque chose qu'elle pourrait sentir, toucher comme s'il s'agissait de lui-même. Il ne voulait pas écrire une lettre, il voulait s'écrire, lui.

S'il avait été poète ou troubadour, sans doute cela aurait été plus simple. Mais il n'était qu'un vieil homme d'armes, un peu diplomate, un peu politicien, un cavalier solitaire errant sur les chemins de terre bordant le Rhône, aussi gris que l'était sa monture. Il soupira.

Comment dire je t'aime avec des mots?
Comment exprimer la déchirure de l'absence et de l'éloignement?
Comment traduire ce débordant besoin de l'autre, de sa simple présence charnelle?
Cette destructrice envie d'être au complet à nouveau?

Il fit faire un écart à son palefroi et gagna les rives du fleuve. Ses bottes s'enfoncèrent légèrement dans la terre humide tandis qu'il guidait Grayswandir de quelques pas dans les eaux turbulentes. Le cheval commença à s'abreuver et le cavalier ôta son gambison poussiéreux puis sa chemise avant d'aller s'immerger un peu plus profondément.

Il se laissa remonter, flottant légèrement à la surface, les yeux perdus dans les nuages, comme lorsqu'il était enfant. Le ciel était plus bleu et l'eau moins fraîche que celle de la Seine. Il était bien et resta quelques instants ainsi, à dériver lentement dans ses pensées où se mêlaient souvenirs et présents. Qu'il aurait été doux de s'abandonner ainsi au fil de l'eau, de se laisser entraîner par les caprices du courant, loin de ses tourments, loin de cette terre qui s'étendait autour de lui et ne lui apportait qu'un surcroît d'amertume... Loin, loin de lui-même.


Ô Drac, vient donc m'emporter dans ton palais abyssal!

Un éclat de rire lui secoua les poumons. Comme si le démon du fleuve avait besoin de lui... il n'était point lavandière. Quelques mouvement de brasse et il alla s'ébrouer sur la terre ferme. Il avait mieux à faire que d'en appeler à la fin. Encore une journée de chevauchée et il pourrait enfin s'atteler à cette lettre qui lui tenait tant à coeur.

Grayswandir le rejoignit après un léger sifflement. Kernos lui flatta l'encolure et se remit en selle après avoir renoué son baudrier et enfilé ses frusques humides.

Cavalier et monture s'éloignèrent du rivage, centaure ruisselant regagnant les chemins de poussières. Kernos accorda un dernier regard au fleuve scintillant, puis reprit ses réflexions.

"Ma Lune,

Silence et absence sont devenus trop aiguisés pour que je puisse en supporter d'avantage la morsure..."

_________________
Kernos
Je n´attendais que vous
Je n´espérais que vous
J´ai marché si longtemps
Je viens de loin
Le monde était grand
Et long le chemin
Je n´attendais que vous
Nulle autre que vous
J´attendais votre voix
Vos soupirs
Donnez-moi votre air
Qu´enfin je respire

Je n'attendais que vous, Garou.


[Die, une chambre, une chandelle, une lettre et une bouteille]

Une bougie dansait dans la pénombre, projetant son halo tremblant comme une grosse luciole dans la chambre dioise du Rouvray. Bille de lumière se reflétant dans le carmin tremblant du verre posé devant lui. La soirée est déjà bien entamée, tout comme la bouteille de vin.

L'extrémité de la plume caressant son menton broussailleux, les yeux sur le parchemin vierge étendue devant lui, Kernos réfléchit. Il est rentré dans la matinée dans sa maison de Die, et les questions qui l'obsédaient la vieille sur la route ne l'ont pas abandonné.

Plusieurs fois, la pointe s'est trempée dans l'encre noire. Plusieurs fois, la pointe a tracé des arabesques invisibles dans les airs, comme autant de mots à jamais suspendus, des silences, des non-dits. Pas une seule fois la pointe ne s'est posée sur le vélin. L'heure est toujours à l'incertitude entre l'homme et sa plume, entre l'homme et ses rêves.

Ses yeux se baladèrent entre la peau immaculée et la pièce l'entourant. Il connaissait chaque recoin, chaque détail du mobilier. Voilà plus de quinze années qu'il vivait dans cette demeure. Ses enfants avaient grandi ici. Il l'avait fait décorer agrandir au fur et à mesure de son existence, de ses fortunes et de ses revers. Pourtant, il s'y sentait comme un étranger en cet instant. Le foyer d'un autre... d'un autre homme, d'un autre lui, d'une autre vie.

Il ferma les yeux quelques instants.

Avant d'entamer sa longue quête pour tenter de retrouver sa trace, les choses ne lui paraissaient pas si différentes. Ces murs étaient encore siens, cette maison la sienne. Depuis son retour, quelque chose avait profondément changé en lui.

Peut être un détail insignifiant, un grain de poussière glissé dans les rouages mais qui avait tout chamboulé, transformant irrémédiablement l'homme qu'il avait été. Ces visages, ces gens qu'il avait si bien connu, qu'il avait tant côtoyé lui apparaissaient aujourd'hui comme autant de statues figées dans les trames d'un temps à jamais perdu.

Un mausolée... Il avait l'impression d'évoluer dans un mausolée où s'entassaient pêle-mêle les gisants de sa vie passée.

Pour lui qui se sentait encore si vivant, la situation était devenue intenable.

Toutes ces ombres lui donnaient la nausée. Il avait besoin de lumière... de sa lumière. Celle qui lui rendait le monde insupportable dans son absence. Celle qui lui avait ôté le goût rassis de l'existence. Celle qui n'avait laissé des champs de blé de naguère que des cendres... Cette lumière destructrice qui avait fait de son passé une ruine branlante et qu'il appelait de tout son être pour qu'elle le purifie à nouveau... Terwagne... Ô Terwagne... Il fallait qu'il quitte ces limbes, qui fasse le premier pas pour sortir de la tombe et vivre à nouveau comme un homme libre, de chair et de sang.

Ses paupières s'ouvrirent à nouveau.




Ma Lune,

Silence et absence sont devenus trop aiguisés pour que je puisse en supporter d'avantage la morsure. Trop de sang et de larmes ont déjà coulé au fond de moi, voilà pourquoi il me faut briser la distance qui nous entoure, nous sépare. Sous peu, je quitterai donc le Lyonnais-Dauphiné pour te retrouver, que cela soit en Champagne ou ailleurs, peu importe du moment que c'est la terre que tu foules.

Il y a temps de choses que j'aimerai te dire et te taire... Trop de choses qui dépassent l'homme que je suis et le dépasseront toujours, car tu n'es point là pour me les rendre évidentes et vivantes. Alors je pars, une nouvelle fois, sur les chemins pour te retrouver, les échos de notre mélodie toujours en tête depuis Paris.

D'une main et d'un coeur qui n'ont cessé d'être tiens.
D'un chêne toujours à sa Lune.


Kernos ne relut pas sa lettre. Les mots avaient été jetés d'un geste vif sur le vélin. Nul retour en arrière possible, c'était ainsi, comme lorsqu'on est face à l'autre, on ne peut revenir sur ce qui a été dit. Il la roula, la laça et demanda un messager. Advienne que pourra...
_________________
Terwagne_mericourt
[Quelque part en Champagne : "Tu vas et tu viens... et il te retient"*]
(*Clin d'oeil à Gainsbourg et Birkin)


Si Terwagne était née au XXème siècle, nul doute n'existe quant au fait qu'en recevant le pli scellé et en reconnaissant le scel du Rouvray, elle se serait mise à chantonner, sarcastique, quelques rimes parlant de vague et d'île nue, d'aller et de retour, mais surtout de sans issue.

Notez qu'elle aurait aussi fort bien pu chanter quelque chose de plus... de moins... de plus sarcastique et bien moins poétique. Quelque chose du genre "T'avances et tu recules, comment veux-tu que... "

Quoi qu'il en soit, Terwagne n'étant pas née au XXème siècle, elle ne put chantonner aucune de ces choses, mais n'en resta pas moins sarcastique, que du contraire... Ainsi donc le Rouvray revenait à la charge pour un énième assaut avant d'à nouveau battre retraite? Provoquer de nouvelles entailles dans la forteresse qu'à chacun de ses nouveaux silences elle tentait tant bien que mal de reconsolider? De nouvelles brèches qu'ensuite il laisserait ouvertes en repartant vers ses terres et son duché, ce duché qui l'avait elle mise au ban de leur société et ne voyait en elle qu'une royaliste parvenue à la tête de la Chancellerie non pas à force de travail et d'abnégation, mais bien par ses relations prétendaient-ils, relations qu'elle n'avait jamais eues, elle qui était tout sauf une mondaine, presqu'une ermite de bibliothèque.

Oui, Kernos soudain se rappelait de son existence puisqu'il lui écrivait, mais elle n'était plus dupe, elle savait que comme la dernière fois c'était pour mieux redevenir silencieux et absent ensuite, trop occupé par ses terres et ses devoirs pour venir la rejoindre.

Elle revoyait encore sa lettre précédente, plus de trois mois plus tôt, et surtout sa venue à Paris pour assister à son investiture en temps que Chancelier, de ces retrouvailles où elle avait naïvement cru qu'enfin ils allaient à nouveau écrire une histoire à deux, loin de son ancienne épouse, loin de ces enfants qui l'avaient renié en rejoignant ses adversaires politiques, loin du regard réprobateur de ceux qui jugeaient les amants n'ayant point honte de s'aimer quand eux préféraient se cacher sous un bureau du conseil ducal pour le faire, ou du moins pour satisfaire leurs appétits pendant que leur moitié les attendaient naïvement chez eux.

Oui, il était venu à Paris, et elle y avait cru... Mais à peine la cérémonie terminée il avait de nouveau disparu, préférant s'inquiéter de conserver ses titres, ses terres, ses relations, l'estime d'un peuple majoritairement mal pensant, plutôt que de conserver son bonheur à elle.

Oh oui, tout cela était bien plus important pour le Rouvray que leur bonheur!

Elle avait longtemps été dupe, longtemps rêvé, longtemps compris son besoin de respecter ses engagements envers son duché avant de pouvoir s'en aller en se sentant droit dans ses bottes, mais là, depuis son dernier retour en Lyonnais-Dauphiné, elle avait surtout compris qu'elle était loin d'être sa priorité à lui, qu'elle n'était rien de plus ni de moi qu'une distraction pour les jours ou semaines de repos, lorsque personne nulle part n'avait besoin de son bras pour escorter un transport de vivre, ou encore pour aider à la rédaction d'une annonce diplomatique, quand ce n'était pas pour donner des rapports de gardes sur les remparts d'une ville ou d'une autre.

Au fond, bien plus encore que le fait qu'il l'abandonne et la laisser sans nouvelles durant des mois, ce qui la rendait malade c'était le manque d'amour propre dont il faisait preuve.

Comment diable un homme peut-il continuer à se comporter de façon aussi servile face à des hommes ou des femmes - surtout des femmes d'ailleurs - qui après s'être servis de lui et de son talent diplomatique et militaire durant des années l'avaient ensuite éjecté de ses fonctions à la première retraite spirituelle, prétextant un manque de disponibilités pour masquer que la raison de tout cela n'était que sa relation avec elle, elle qui ne partageait pas leurs idées pseudo-politiques.

Le conseil ducal du Lyonnais-Dauphiné lui avait craché dessus, et aujourd'hui encore il rampait pour servir ces mêmes élus jusqu'à l'abnégation, jusqu'à l'oubli de ses propres besoins, jusqu'à la perte de son amour propre et de sa fierté.

Et elle, non seulement elle ne pouvait plus se laisser blesser à nouveau, plus laisser panser ses blessures par un homme qui ensuite lui en provoquerait d'autres, mais surtout elle ne pouvait plus aimer et admirer un homme qui n'avait aucune estime pour lui-même!

Pourtant, malgré sa colère, malgré sa rage, elle ouvrit le pli, et en commença la lecture, à voix haute... Parce que même lorsque l'on voudrait ne plus aimer, c'est bien plus simple à dire qu'à faire.


Ma Lune,

Silence et absence sont devenus trop aiguisés pour que je puisse en supporter d'avantage la morsure. Trop de sang et de larmes ont déjà coulé au fond de moi, voilà pourquoi il me faut briser la distance qui nous entoure, nous sépare.


Moi, moi, moi... Moi et encore moi!
Moi j'ai mal... Moi je ne le supporte plus...

Oui, la voila la vérité nue!
Ce n'est pas pour moi, que vous désirez venir, Baron, mais uniquement pour vous, pour vous soulager.


Ici aussi, elle aurait pu chanter, au fond, quelque chose ressemblant à "C'est moi que j'aime à travers vous... Je me fous, fous de vous". Mais elle n'avait même plus le coeur à chanter, la Vicomtesse, juste l'envie folle de lui faire manger son parchemin dès qu'elle l'aurait en face d'elle.

En attendant, elle poursuivit sa lecture, toujours à voix haute, la vue légèrement troublée par les larmes de chagrin et de colère qu'elle retenait tant bien que mal.


Il y a temps de choses que j'aimerai te dire et te faire...

Te quoi? Te faire?
Elle est bonne, celle-là, tenez!

Pas encore arrivé que vous avez déjà les braies sur les chevilles!


Elle fulminait tellement que pas un instant elle ne pensa à relire la phrase pour être certaine d'avoir bien déchiffré l'écriture au travers de son voile de larmes, sans quoi elle aurait vite compris sa méprise... "Tant de choses que j'aimerais te dire et te taire" avait-il écrit. Taire, pas faire, et ça ça change tout.

Pas de chance, elle ne relut pas, et continua à dériver dans l'océan de sa rage.


En quête de sensations, Baron du chêne? Et encore je vous appellerais bien gland pour un peu, tant vous me faites penser à un porc!

Et bein vous allez en avoir pour votre argent, je vous le garantis!
Vous allez vivre une jouissance extrême, il parait que cela s'expérimente en Asie, l'étranglement qui décuple le plaisir physique de l'acte.


Un rire uniquement nerveux quitta ses lèvres tandis qu'elle imaginait la scène, juste avant de jeter dans un coin de la pièce la missive, sans en terminer la lecture.

Guère n'était besoin d'aller jusqu'au bout pour savoir que répondre, sa réponse était déjà toute prête, et elle la coucha sans attendre sur le vélin.


Citation:
Baron,


Vous me trouverez bien en Champagne, où j'ai décidé de m'impliquer politiquement et dont je ne risque donc pas de m'en aller avant un certain temps.

Afin de nous faire gagner du temps à tous deux, et vu l'état de manque où vous semblez vous trouvez, je m'engage à renoncer à porter un quelconque sous -vêtement sous ma houppelande jusqu'à votre arrivée et même votre départ. Ainsi donc vous aurez la voie libre pour me faire toutes ces choses que vous évoquez sans les nommer.

Ne tardez cependant point trop, je suis sujette aux rhumes depuis quelques temps.


Terwagne Méricourt


Immédiatement, sans prendre le temps ni de se relire, ni de le relire lui, sans non plus prendre celui de se calmer, elle confia la missive à un coursier.

Kernos ne comprendrait rien, mais de cela elle n'avait pas conscience...


[Cheffe Aldraien
Retrait du HRP, celui ci n'est pas autorisé par les Règles d'Or, sauf s'il apporte une précision au RP. Bon jeu.]

_________________

Je voudrais que la terre s'arrête pour descendre.(Gainsbourg)
Kernos
[En Lyonnais-Dauphiné: "Lost in translation"*]

Les malles venaient juste d'être bouclées. Dans la cour, s'entassaient pêle-mêle les monceaux d'une vie, îlots disparates de caisses et de coffres, de parchemins, d'étoffes et autres bibelots accumulés au fil des ans. Tout autant de souvenirs et de boulets que l'on traînait dans la poussière en attendant l'arrivée des chariots. Les ordres étaient clairs : toute la maison devait être vidée de fond en combles, l'essentiel irait à Mévouillon, le stricte nécessaire à son nouvel avant-poste lyonnais... Le Rouvray quittait Die pour de bon.

Et tandis que les domestiques s'affairaient, vociféraient à travers le vacarme et les cliquetis de ce grand chambardement Kernos, lui, chevauchait une dernière fois sur la route de cette maison encore sienne pour quelques heures.

Quelle étrange sensation que de parcourir ces sentiers si maintes fois empruntés qu'il vous semble faire partie de vous, avec la quasi certitude que c'est la dernière fois que vous les foulerez. Un mélange de nostalgie et de fatalité, où chaque pas vous assaille d'images et de souvenirs, défilant au gré du paysage... C'est ici que j'ai fais halte une fois en allant à la capitale la première fois... C'est ici que j'avais l'habitude de me baigner... C'est sur cette colline que j'ai fais serment une nuit à la Lune... Chaque carrefour, chaque ombre charriait sa part de passé.

Il n'oubliait pas cette odeur de lavande qui pesait sur la vallée et que les vents d'été envoyaient s'écraser sur les remparts de la cité. Il n'oubliait pas non plus ces milliers de grelots dorés dansant sur les branches frêles, qui s'étalaient sur des lieues à la ronde, annonçant l'entrée de ce pays du souvenir, cet îlot de violet et d'or perdu, prit entre les corps colossaux de deux amants de pierre que leur sommeil millénaire à écarter l'un de l'autre après l'étreinte. Non, il n'oubliait pas, longeant les rives de la Drôme, mais cette terre se souviendrait-elle de l'homme qui l'avait tant aimé autrefois? Certainement pas, il resterait ombre parmi les ombres, comme les millions d'autres ayant foulé ce sol avant lui. La magnificence et l'éternité de la Nature se grave en nous, les Hommes sont trop laids et trop éphémères pour espérer la toucher, la marquer à leur tour.

Sa main se referma sur l'anneau qui pendait à son cou pour conjurer la marée de fantôme qui l'assaillait. Sa résolution... Son avenir... Terwagne... Sa Lune ... Son phare dans la nuit de ses errances. La vague se brisa sur les minces remparts d'argent dressés entre ses doigts gantés et se replia aussi rapidement qu'elle était apparue... Encore quelques jours à tenir et il serait libéré de tout ça une bonne fois pour toute.

Les murailles de Die se profilèrent bientôt devant ses yeux. Peu de temps après, il en franchissait les portes et gagnait son ancienne demeure. Traversant la forêt de malles et de coffres sans y prêter guère plus d'attention qu'aux jurons des domestiques et palefreniers qui suaient pour charger ses bagages sur les chariots fraîchement débarqués, il pénétra dans le logis déserté. Des tapisseries qui ornaient les murs lors de son départ, il ne restait rien que des marques plus clairs sur la pierre. Item les meubles dont son grand siège où il se tenait pour recevoir les visiteurs... Il s'assit donc au sol et laissa ses yeux se promener autour de lui.


Messire?

L'écho anormal de la voix de l'intendant le fit sursauter... Depuis combien de temps rêvassait-il ainsi? Kernos hocha la tête.

Messire, vous avez reçu deux lettres durant votre absence.


Deux lettres? Une seule lui importait. Il prit les deux rouleaux des mains du vieil homme et le congédia. Il observa la première et reconnu immédiatement le sceau. Sans même prendre le temps de la décacheté et de la lire, il se dirigea vers la cheminée - monumentale dans sa solitude - et la jeta dans les cendres encore chaudes... Ce que son ancienne épouse lui voulait, il n'en avait cure, à peine un soupçon de vague curiosité, les flammes seraient bien meilleures lectrices que lui.

La seconde, il en brisa le cachet avec une certaine avidité, une frénésie propre aux assoiffés d'Amour après une longue traversée du désert sentimental. Mais s'il s'attendait à y trouver une poire pour la soif, ou même une pomme malgré ce que certains en dise, il en eut pour son argent.

Baron, ... froncement de sourcil, il n'aimait pas quand elle l'appelait ainsi, c'était toujours mauvais présage. Celui de la distance qu'elle mettait entre elle et son interlocuteur pour se protéger, pour ne pas dévoiler ses failles, ses fêlures au combien nombreuses. Il poursuivit néanmoins avec autant d'empressement, simplement pour y trouver, en tirer ne serait-ce que quelques gouttes d'elle.

Vous, encore ce maudit "vous". Il avait beau comprendre ce besoin de se protéger, la vie n'ayant jamais été tendre avec elle, surtout en amour, ce "vous" qu'elle dressait entre eux à chaque moment de doute et de perdition lui glaçait toujours autant les tripes. Quand on avait goutté une seule fois à son "tu", à sa chaleur, sa douceur, on ne pouvait faire marche arrière.

Vous me trouverez bien en Champagne- fort bien, il n'aurait donc pas à fouiller une fois encore le Royaume pour la retrouver, juste le Duché de Champagne-, où j'ai décidé de m'impliquer politiquement et dont je ne risque donc pas de m'en aller avant un certain temps..

Si pour le moment, malgré la froideur du ton qui pouvait fort bien être une marque de pudeur de la part de la Méricourt, la lecture se passait bien, la suite le laissa plus que pantois. Disons le même littéralement et prosaïquement: elle le laissa sur le cul.

Afin de nous faire gagner du temps à tous deux, et vu l'état de manque où vous semblez vous trouvez, je m'engage à renoncer à porter un quelconque sous-vêtement sous ma houppelande jusqu'à votre arrivée et même votre départ. Ainsi donc vous aurez la voie libre pour me faire toutes ces choses que vous évoquez sans les nommer.

Ne tardez cependant point trop, je suis sujette aux rhumes depuis quelques temps.


Terwagne Méricourt


Il la relut une seconde fois, puis une troisième et même une quatrième fois. A la six ou septième lecture, il ne comprenait toujours pas. Non l'allusion à son absence de lingerie, le Rouvray n'avait pas besoin de dessin là dessus, et il aurait été de toute manière malhonnête de nier que l'entrecuisse - et ce qui allait avec - de la Vicomtesse le laissait indifférent, ou bien qu'il n'était animait que par la pureté chaste et platonique de ses sentiments. Kernos avait passé l'âge de l'
assag et autres romans de chevalerie, il était plus Gauvain que Galaad de toute manière, et était né quelques siècles trop tôt pour l'amour façon 1830. Bref, appelons un chat un chat, oui Kernos nourrissait un désir violent d'elle, un amour tout autant physique que spirituel et sentimental, mais ce n'était pas pour cela qu'il lui avait écrit cette lettre quelques jours plutôt.

Qu'avait-il écrit qui puisse nourrir pareille réponse? Il lui avait livré son amour, l'état de survie et de vide dans lequel il dérivait sans elle, cette existence qui sonnait faux sans ce "Nous" qu'ils formaient... et elle lui répondait fornication. N'était-il donc devenu que ça pour elle? Un étalon, un olisbos? Il bouillait intérieurement avec amertume... Etait-ce pour cela qu'il avait erré plus de trois mois au mépris de sa vie sur les routes de la France en guerre? Etait-ce qui se cachait derrière cette lettre qui l'avait propulsé tout tremblant d'espoir à Paris pour entendre à nouveau leur mélodie? Un petit coup à la débottée - et encore si elle le laissait descendre de cheval - et puis s'en va?

On culbutait la gueuse à moindre coût dans les bordeaux lyonnais...

Non, décidément il ne comprenait pas. Et c'était quoi ce pour me faire toutes ces choses que vous évoquez sans les nommer? Avait-il écrit qu'il désirait lui faire quoi que ce soit en rapport avec une quelconque gymnastique horizontale ou verticale? Certes non, pas du genre à écrire ce genre de choses, plutôt à les faire mais là n'était pas le sujet. Serait-elle devenue folle alors? Y avait-il eu malentendu? Quiproquo ou folie? Il fallait qu'il en ait le coeur net, et à défaut de pouvoir obtenir réponse en personne, il alla quérir une plume et un parchemin dans son fourbi.




Terwagne,

J'avoue ne pas avoir compris le ton de ta lettre. Sans doute y a-t-il eu maldonne, ou bien la demoiselle émue et fébrile qui s'appuyait sur mon bras à Paris a changé avec l'air de Champagne, mais ce n'était certes pas pour combler ce genre de vide que je comptais te rejoindre.

En espérant que le voile se dissipera sur mes intentions à mon arrivée,

Kernos.


Il réfléchit quelques instants et ajouta un post-scriptum.



PS: Ta santé m'étant plus que précieuse, je t'enjoins à rester couverte d'ici mon arrivée et nul besoin de te découvrir après, la fièvre ne se soigne pas dans les courants d'air quel qu'en soit l'objet.


Il confia le message à un chevaucheur et alla voir où en était le déménagement, il repartirait un peu plus tard vers Valence.

[Cheffe Aldraien
Merci d'ajouter la traduction pour tout mot n'étant pas français, cf les Règles d'Or. Bon jeu.]


Oups... l'avais pas lu celle-là, vraiment désolé.
* "Perdu dans une traduction"

_________________
Terwagne_mericourt
[Champagne et calva :]

Mieux vaut être seule devant un calva qu'en mauvaise compagnie en Champagne. Telle était la devise de Terwagne ce jour-là. Sa dernière tentative de sociabilité dans le duché lui avait laissé un goût bien amer en bouche, et seul le verre de calva posé devant elle avait une chance de le faire passer, ce goût. Elle le vida d'un coup sec entre ses lèvres, le laissa couler dans sa gorge aussi vite, et ferma les yeux quelques instants...

Sous le voile de ses paupières, elle se mit alors à envoyer au diable bien des hommes, en commençant par Aimelin pour qui, à cause de qui, elle avait rejoint la Champagne et plus précisément Sainte Ménéhould. Oui, sans lui, jamais elle n'aurait choisi la Champagne pour faire son deuil du Lyonnais-Dauphiné! Elle serait allée en Orléans, à Montargis, parce que c'était là que tout avait commencé pour elle, ou alors en Bourgogne, à Tonnerre, parce que le nom la faisait rêver, ou encore à...

Qu'importait, au fond? Rien!

La seule chose qui importait c'était qu'Aimelin était parti, à présent, et que contrairement à ses promesses il l'avait déjà bel et bien oubliée, qu'il ne lui écrivait plus, ni pour lui donner de ses nouvelles, ni pour en prendre.

Elle rouvrit un instant les yeux, et les posa sur l'anneau qui pendait à son cou, cet anneau qui symbolisait leur rencontre et qu'il lui avait offert un soir de vertige. Comment avait-il pu partir sans un au revoir après cela? Sans un mot, sans une lettre. Elle ne comprenait pas. Ou plutôt refusait d'admettre que pour lui aussi elle n'avait été qu'une souris avec lesquelles les chats s'amusent un moment mais qu'ils remplacent rapidement lorsqu'elles luttent trop longtemps avant de se laisser croquer. Aimelin n'était qu'un chasseur au fond, et elle une proie trop difficile pour lui, un chasseur du dimanche.

Un soupir s'échappa de ses lèvres, et elle changea de cible pour sa mauvaise humeur, buvant un nouveau verre, à la santé cette fois d'un inconnu dont le comportement l'avait énervée le jour-même. Elle ne reviendrait pas sur son engagement à lui venir en aide sur les remparts, mais n'en pensait pas moins qu'il n'était qu'un ours mal léché, et que leurs rapports et échanges se limiteraient au strict minimum. Elle avait autre chose à faire que d'échanger des politesses plates avec qui que ce soit, et surtout avec lui!

C'est à cet instant précis de sa consommation de calva que firent leur apparition le messager et le pli qu'il lui remit.

Avec une piécette en guise de merci, elle congédia le premier et décacheta le second. Et blablabla, et comprends pas, et recommandations nées de sa seule possessivité... Cette fois encore elle lui répondit à voix haute, qu'il n'entendrait pas mais peu importait, avant de lui répondre de sa plume.


Pas compris... Pauvre petit homme sourd et aveugle!

Maldonne... Bein voyons! Maldonne vous-même, Baron!
Je sais, cela ne veut rien dire, mais je m'en moque comme de ma première... Ma première... Ma première boulasse, voila!

Après Aimelin dans le rôle du chasseur du dimanche, nous avons Kernos dans le rôle du chasseur trop âgé et se rabattant sur une de ses anciennes victimes, parce que c'est plus facile d'abattre un animal déjà blessé à plusieurs reprises.

Pathétique, voila le seul qualificatif que vous m'inspirez!


Un troisième verre fut alors rempli, puis vidé, ainsi qu'un quatrième, et même un cinquième, avant que la plume ne soit trempée dans l'encrier et l'encre couché sur le vélin.

Citation:
Baron,


J'ai bien reçu votre dernière missive, votre coursier étant visiblement plus de confiance que vous-même ces derniers temps, ou du moins plus prompt à faire ce à quoi il s'est engagé.

Ainsi vous n'avez pas compris le ton de ma lettre précédente? Voici au moins une chose que nous partageons, dans ce cas : l'incompréhension. Vous verrez, avec quelques verres de calva on finit par s'y habituer et vivre avec.

Concernant votre allusion à la jeune femme que j'étais jadis, je crois que la raison de sa disparition n'est pas à chercher en Champagne, non, mais bien dans les coups reçus ailleurs, avant, et par ceux en qui elle avait le plus confiance.

L'espoir fait vivre, dit-on, mais ce que l'on omet de préciser c'est que lorsqu'il s'éternise il est pire que le poison, et nous mène incontestablement vers la mort. Pire que les rhumes attrapés dans les courants d'air également.

Je vous laisse à vos histoires de voiles, et à vos plans pour dévoiler ce qu'il vous plaira. Quant à moi je ne compte pas quitter Sainte Ménéhould, où je sers enfin à quelque chose d'autre qu'à distraire.


Terwagne Méricourt

PS : Puisse Saint George veiller sur vous et sur votre lance, ou épée.

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Je voudrais que la terre s'arrête pour descendre.(Gainsbourg)
Kernos
Jolie bouteille, sacrée bouteille
Veux-tu me laisser tranquille ?
Je veux te quitter, je veux m'en aller
Je veux recommencer ma vie

Sacrée bouteille
, Graeme Allwright


[Lyonnais-Dauphiné: Calva et tracas ]

Le disque argent éclata en un millier d'étoiles sur les remous ambrés qui tanguaient au fond de son verre, au rythme des murs.

Kernos poussa un long soupir et vida d'un trait ce qui restait de calva d'un geste rendu gauche et lourd par ceux qui l'avaient précédé, engloutissant par la même la Lune reflétée.

Un regard vers la bouteille qui trônait sur le rebord de la fenêtre... presque vide. Quel dommage pour une si bonne cuvée de finir ainsi, engloutie pour noyer quelques chagrins... Un crime dont Terwagne était la coupable. Parce que tout ce beau gâchis était de sa faute à elle, oui. Quel besoin aurait-il eu de saouler dans une chambre d'auberge pour faire taire sa tristesse, si elle ne se comportait pas de telle manière avec lui? Aucun...

Il n'aimait pas être ivre, ça le rendait mélancolique... nostalgique, sauf quand c'était en bonne compagnie. Lui ne l'avait jamais été pour lui-même, ses têtes à têtes éthyliques se soldant à chaque fois en coup de boule. Il aurait mieux fallu descendre aux écuries, son palefroi au moins état bon compagnon dans ces moments là. Et puis l'odeur de la paille, du purin, cette chaleur propre aux animaux l'aurait sans doute réconforté dans sa solitude. Il se serait enroulé dans sa cape et se serait enfoncé dans un sommeil moelleux, bercé par la respiration des chevaux et la douce ivresse d'une demi bouteille... Cella aurait été merveilleux.

Mais là, la pierre des murs ne lui renvoyait que sa propre froideur, les draps le démangeaient et la bouteille était trop bue. Demain il se réveillerait avec le crâne comme un heaume sur l'enclume d'un forgeron. Désagrément au goût de déjà vu, voilà une semaine que cela durait. Il s'était saoulé à Valence, puis à Vienne, à Lyon, puis de nouveau dans l'autre sens jusqu'à Die et encore maintenant qu'il remontait à la capitale.

Tous les soirs, la même scène où seul le décor variait, les acteurs demeurant invariablement les mêmes: une bouteille et lui-même dans les rôles titres, sa mélancolie jouant le coryphée de son choeur de regrets. Une histoire banale d'amour et de destins contrariés, où s'entrechoquaient de longs soliloques qui se concluaient en une morne ivresse. Cela s'achevait aux premières lueurs pour reprendre à la nuit tombée, sans acclamations ni rappels du public.

Pourquoi les choses avaient tourné ainsi? Pourquoi ce revirement chez elle? A quoi bon cette Tempête qui vous élève pour mieux vous précipiter dans le premier ravin venu dès que vous lui cédait? Elle l'avait extirpé de l'ombre en lui faisant miroiter l'éclat d'un espoir trompeur. Elle l'avait jeté sur les routes, condamné à l'errance en lui jetant à la figure quelques miettes de bonheur et de promesses... Dire qu' il avait suffi qu'elle sifflote une ou deux mesures d'une vielle ballade pour qu'il rapplique ventre à terre, affamé qu'il était de cette passion qu'elle lui avait insufflé, et maintenant...

Maintenant qu'il avait achevé de tirer un trait sur l'homme qu'il avait été avant elle. Maintenant qu'il allait la rejoindre pour bâtir une nouvelle existence dont elle serait la pierre angulaire, l'unique raison et l'unique but, elle lui claquait la porte au nez, sans même lui laisser le temps de retirer ses doigts.

Bref, il était malheureux, tout simplement, sans détours ni belles phrases. Et le malheur empirait d'heure en heure, à mesure que la boisson se distiller dans ses veines et que la nuit avancée dans le ciel.

Il avait lu et relu sa dernière lettre, mais chacune de ses lectures ne lui apportaient que d'avantage d'incompréhension et de pourquoi. Que répondre à cela? Kernos n'avait pas trouvé pas de réponse.

A quoi cela servirait-il d'écrire, si ce n'est à s'enfoncer d'avantage encore dans les eaux du doute? Il en avait déjà jusqu'à la taille, encore une autre missive comme celle là et il boirait la tasse à coup sûr. Mieux valait en rester au calva et au silence, eux n'étaient pas trompeurs au moins.

Ses doigts glissèrent le long de la chaîne qui ornait son cou, s'arrêtèrent sur l'anneau d'argent qui y était suspendu et il fondit en larmes.

Oui, cet objet était censé sceller à jamais leur destin, peut être pas dans le sens où lui l'avait maintes fois rêvé mais il jouerait malgré tout son rôle le moment venu.

Kernos se moucha bruyamment. Le moment venu... Il tituba tant bien que mal jusqu'à sa couche et s'y écroula, lourd de chagrin et d'alcool.

Il ne lui écrirait pas, ni ce soir, ni demain. Il viendrait à elle, voilà tout.







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Kernos
[Bourgogne: Un épouvantail sur les routes]

Combien de fois lui faudrait-il fouler les terres de Bourgogne?

La première fois, c'était en homme brûlant de vie et d'amour...
La seconde, c'était en ombre en quête d'espoir...
La troisième, de la chair à canon que l'on voulait envoyer à l'abattoir au nom du devoir et qui se changea en libérateur...
La quatrième, une ombre toujours, mais frémissante au refrain de la mélodie qu'ils avaient été et emplie de promesses...

Aujourd'hui, c'était la cinquième et peut être la dernière fois... Et qu'était-il à présent?

Un lourd bandage enveloppait son épaule droite, grosse sangsue blanche se gorgeant de son sang qui fuyait encore par la morsure de l'arbalète. Même son propre fluide vital cherchait à le quitter maintenant, mais était-ce étonnant après tout?
Sa vie, elle s'était envolée à l'instant même où Terwagne lui avait tourné le dos, ne laissant que ce tas de chairs et d'os, cet amas de viande qui se mouvait, respirait et existait malgré lui. Il n'avait donc plus que ça à perdre pour mourir complètement: ce sang qui bourdonnait en lui et le maintenait captif de sa déchéance humaine. C'était tout naturel.

Un épouvantail couvert de poussière, voilà ce qu'il était pour cette cinquième fois. Une ruine à cheval... Un dernier soupir tirant sur sa fin... Une charogne en sursis venant quémander son coup de grâce.

Lui avait beau changer, la Bourgogne demeurait la même.
Bien entendu, les Bourguignons connaissaient des bouleversements. La Duchesse pour qui il avait participé à la reconquête de Joinville était à présent jugée pour haute trahison. Mais, à ses yeux, la Bourgogne ne restait qu'une étape, une terre de passage qu'il ne faisait que traverser... Sans doute serait-ce pour la dernière fois, la mort rodait autour de lui.

Elle lui avait donné un avant-goût à quelques lieues de Lyon, lui apposant sa marque au creux de l'épaule. Une croix suintante et ardente qui lui rappelait sans cesse qu'à présent, il lui appartenait. Bientôt, elle viendrait l'emporter, il le sentait au plus profond de lui.

Ce ne serait pas la fièvre le tenaillant depuis ce jour.
Ce ne serait pas un nouveau brigand posté à un carrefour qui achèverait la besogne entamée par un confrère.
Ce ne serait pas le fer qui le ferait périr, ni la vieillesse, ni la maladie.

Terwagne... Ce sera Terwagne qui sera l'agent de sa fin.
Elle qui maintenait l'ultime fil de sa vie... Elle qui était son dernier souffle... Elle qui détenait en son sein le dernier morceau de son être, l'ignorant peut être... Elle qui le retenait encore en ce monde écorché... Elle qui venait retrouver en Champagne.
Elle n'aurait qu'un mot à dire.
Un mot qui le libérerait à jamais.
Un mot trancherait le lien.

Alors il pourrait s'écrouler et sombrer dans l'oubli.

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Kernos
[Bourgogne: "C'était hier et c'est demain. Je n'ai plus que toi de chemin*"]

La douleur...

Elle était là. Bien présente. Bondissant à chaque cahot de sa monture sur le chemin pierreux qui conduisait à Tonnerre.

Cinglante, comme si le carreau lui déchirait les chairs à nouveau.
Brûlante, comme si on lui enfonçait un tison chauffé à blanc au creux de l'épaule.
Abrutissante, par la fièvre qu'elle distillait lentement dans ses veines, provoquant suées et vertiges qui empiraient à chaque pas, à chaque ville traversée.

Plus d'une fois, il manqua de tomber au bas de sa selle. L'épuisement physique et moral chevauchant de concert, se disputant sa carcasse comme des mouches une charogne, le harcelant sans cesse jusqu'à ce que la force de lutter l'abandonne.

Pour l'heure, il tenait bon, mais cela ne durerait certainement pas. La maladie le rongeait. Il la sentait au fond de lui, tapis dans les recoins, guettant la moindre défaillance de sa part.

Quelle folie lui avait pris, tout de même?

Blessé de frais. L'acier à peine arraché de son corps, la plaie encore sanglante, il était monté en selle. Malgré le barbier qui lui commandait de rester alité. Il n'oubliait pas le regard de celui-ci quand il s'éloigna avec son palefroi: le même regard que pour une bête envoyée à l'abattoir.

Kernos n'avait pas cédé au barbier et en fit de même avec la raison et la sagesse, les abandonnant au grand galop à Lyon. Mourir, il savait que c'était ce qui l'attendait au terme de sa folle chevauchée, alors mieux valait y mettre fin rapidement, plutôt que de pourrir lentement dans son lit.

Il touchait presque au but. Demain, il serait à Tonnerre et après... Après, ce serait la Champagne, il pouvait presque la toucher. Combien de temps lui faudrait-il alors pour rejoindre Sainte-Ménéhould? Deux? Trois jours de chevauchée? Elle lui avait dit qu'elle serait là. Elle lui avait écrit qu'elle n'en bougerait pas... Cette fois au moins cela sera facile de la retrouver pour lui dire...

Le Rouvray se rattrapa de justesse à l'encolure de Grayswandir.


Tiens encore un peu, vieille carcasse... Bientôt tu pourras te laisser aller... mais pas maintenant, nous avons encore de la route devant nous...

Il fit glisser son baudrier pour caler son épée entre son dos et le troussequin, et lia les rênes autour de ses poignets... Là, il risquerait moins de vider les étriers si jamais la fièvre le reprenait. A Tonnerre, se promit-il, il ferait une halte pour au moins reposer sa monture.

Tonnerre... Terwagne lui avait si souvent parlé de cette ville qui la fascinait enfant... Ils y étaient allés ensemble, leurs mains entrelacées, ils s'y étaient aimées loin des traîtres yeux, en toute liberté et plénitude...

Tonnerre... la ville rêvée d'une Tempête qui l'avait déraciné et qui bientôt s'achèverait...

Tonnerre... une nuage gris passa dans son regard brun et il y plut quelques instants...


Dieu, pourquoi est-ce que j'aime une Tempête?



* Louis Aragon, Nous dormirons ensemble
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Terwagne_mericourt
[Orléans, le 19 juillet 1460, sur la route du vent *:]


Aimelin... C'était sa faute à lui, si malgré le soleil et la joie d'enfin voyager elle était d'humeur plus que maussade ce jour-là! C'était sa faute à lui si sa journée était bel et bien gâchée, et si sa nuit n'avait été faite que de cauchemars!

Oh elle avait bien essayé de faire abstraction de tout ce qu'avait réveillé en elle son courrier de la veille, le premier depuis des mois, mais c'était plus facile à dire qu'à faire... On a beau décider de tourner la page, on ne choisit pas d'effacer les mots, et encore moins les maux.

Elle lui en avait voulu, à l'ébouriffé, de ne pas lui donner de ses nouvelles, ça c'était certain. Mais à tout prendre elle préférait encore son silence que ce qu'il avait provoqué par ses mots! Quel besoin avait-il eu de lui parler de son soit disant bonheur après ses retrouvailles avec Kernos?

Parce que oui, la raison pour laquelle elle en voulait le plus à Aimelin, au fond, c'était cela : il avait mis le doigt sur sa plus profonde blessure, sur sa plus grande déception, sur cette mélodie de jadis devenue requiem.

Kernos... Son "ut"...

Il fallait qu'elle déverse sa colère sur un vélin, qu'elle lui dise à quel point une fois de plus il l'avait déçue, trahie, blessée, et à quel point elle avait décidé de changer, par sa faute. Et dès l'en-tête le ton fut donné.


Citation:
A Kernos Rouvray, Baron de Mévouillon, Seigneur de Glandage,
De Terwagne Méricourt, Vicomtesse d'Orpierre, Dame de Taulignan, dicte l'Opportuniste du Lyonnais-Dauphiné,


Près de quarante jours et quarante nuits se sont écoulés depuis l'annonce de votre arrivée prochaine, et telle sœur Anne je n'ai rien vu venir. Ni vous, ni même une lettre me prévenant d'un quelconque retard.

Je présume que vous comprendrez donc aisément que lassée d'une énième attente en vain, achevée par un ultime espoir brisé, j'aie renoncé à tenir mes promesses à mon tour.

En très peu de mots, et de façon très limpide je l'espère, je vous écris donc pour vous annoncer deux choses :

- J'ai quitté sainte Ménéhould et la Champagne... Nul besoin de vous y rendre donc si vous veniez à vous souvenir de vos promesses, ce dont je doute.

- Je ne me balade plus sans sous-vêtement en attendant une ardeur physique de votre part en lieu et place d'une ardeur épistolaire qui n'a comme qualité que de retomber comme un soufflé raté.

A part cela? Et bien après avoir enfin ouvert les yeux sur le fait que non, vous ne quitterez jamais ce duché où je vous ai fait Baron et que vos terres ont bien plus de valeur à vos yeux que ce que vous nommiez à tord l'amour, j'ai décidé de cesser d'être idiote et sentimentale, de cesser d'être dupe des hommes dans votre genre, de cesser d'être celle que vous avez rencontrée il y a bien longtemps à présent, et décidé d'épouser le comportement d'une vraie opportuniste... Prendre à bras le corps ce que la vie a à m'offrir, prendre le meilleur de chaque chose et de chaque rencontre.

Voila pourquoi j'ai décidé de profiter pleinement de la liberté qui est mienne, en voyageant en bonne compagnie, sans rien espérer, sans rien attendre, en profitant simplement des avantages.

Ne cherchez pas en Champagne la raison de ce changement radical, elle n'est que de votre fait à vous. A défaut de m'avoir rendue heureuse, vous aurez au moins réussi à me rendre moins humaine.


L'Opportuniste.


Dieu qu'elle l'avait aimé, Kernos... Tellement aimé que sa déception et son dégoût ne pouvaient forcément qu'en être hors normes. L'amour déçu engendre la haine, parait-il, et plus la mère est fertile, plus le monstre qu'elle engendre est... affamé.

Il ne lui restait donc plus qu'à trouver de quoi le rassasier.


( * : Voir "C'est d'ici que je vous écris...")
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Je voudrais que la terre s'arrête pour descendre.(Gainsbourg)
Kernos
[Champagne: Rendez-vous manqué mais destin croisé]

La Champagne...

Autrefois - il n'y a pas si longtemps à dire vrai - la Champagne avait incarné l'espoir. Son espoir. Celui d'un nouveau souffle. Celui d'une promesse, d'une vie nouvelle ou plutôt d'un retour à la vie.
La Champagne, s'était Terwagne. C'était la retrouver et l'aimer à nouveau... C'était se retrouver lui-même, repasser de l'ombre qu'il était devenu à l'homme qu'il avait été et brûlait de redevenir.
Aujourd'hui, la Champagne qu'il avait fantasmé n'était pas celle à travers laquelle il chevauchait à présent.

Elle n'avait rien du doux printemps où bourgeonnerait les branches usées du Chêne. Ici, l'hiver commençait enfin. Bientôt, un océan de neige l'engloutirait sous la masse de son silence immaculé. Une nuit éternelle, sans le moindre crépuscule, où il pourrait enfin reposer dans l'oubli glacé où ses larmes resteront figées à jamais. Kernos en avait assez d'être cet automne inachevé se consumant sans fin. L'agonie de son monde traînait trop en longueur à son goût.

Sainte-Menehould se dessinait au loin.

La ruine fit faire halte à sa grise monture. Délectation morbide de l'homme contemplant le dénouement prochain de son destin, il voulait graver en lui le spectacle de son achèvement. Cela avait quelque chose de grandiose et de misérable. Il n'y avait pas de peurs, ni de pleurs, seulement la résignation en cet instant... Sans doute cela ne durerait pas. Lui-même en avait conscience. Quand il se retrouverait face à elle, face à Terwagne, sans doute ses défaillances et faiblesses connaîtraient un sursaut de fougue. Après tout, il avait beau appeler la mort, tenté de se convaincre qu'il était là pour se dépouiller des dernières flammes de l'existence, l'espoir empoisonnait toujours son coeur, tapis dans quelques recoins secrets.

Que voulez-vous? On a beau étouffer ses passions sous l'oreiller de la raison et du bon sens, elles demeurent malgré tout. Elles s'accrochent, aspirent désespérément la moindre goutte d'air, survivant malgré nous et attendannt leur heure. Elles ourdissent en silence leur prochain éclat. Guettant nos faux pas et notre inattention pour briser leurs chaînes, faire sauter les verrous des cellules où nous les avions jeter, et déferler au grand jour pour frapper un grand coup. Et Kernos avait beau faire, il aimait, follement, passionnément, de ce genre d'amour fait d'envies et d'espoirs. Et qu'est-ce l'espoir sinon le désir de vivre, de voir ce qui arrivera après?

Kernos avait beau invoquer la fin, il aimait et donc il espérait, inconsciemment.

Il lui fallut un certain temps pour trouver la demeure où Terwagne s'était établie. L'épuisement le disputant à la fièvre, il parvint tant bien que mal à trouver son chemin, manquant de chuter à plusieurs reprises.

La maison se dressait à quelques pas de lui.
Son coeur cognait dans son poitrail avec moult vigueur, son sang bourdonnait sourdement à ses tempes et son épaule le brûlait horriblement.
Il s'approcha.

Les volets étaient clos. Kernos hésita, se reprit et après une longue inspiration qui lui resta au travers de la gorges, frappa trois grands coups sur la porte... et rien. Pas de réponse. Il retenta sa chance et frappa derechef. Toujours rien. Déglutissant sèchement, il tenta un:
"Terwagne?" bien sonore.

Un ange passa, puis un second et quand le troisième pointa le bout de son nez, il fallut se rendre à l'évidence: elle n'était pas là... Un soupir mêlant frustration et quelques pointes de soulagement lui vint aux lèvres et retomba de concert avec son séant qui gagna le pas de la porte. Elle n'était pas là, et bien il l'attendrait assis ici.

Combien d'heures ou de minutes passèrent ainsi? Le Rouvray aurait bien eu du mal à répondre, les premières se confondant avec les dernières, et vice versa, tant et si bien qu'à la fin, elles se ressemblaient toutes. Surtout que l'infection aidant, il s'était assoupi en cours de route.

Un fatras peuplé de brumes, de cauchemars, fantômes et de squelettes dansant sous une lune rousse, de muses dodues, de satyres joufflus et autres bacchanales infernales.* Il ne dut son salut qu'à la main ferme qui le secoua vigoureusement par l'épaule, chassant les délires fiévreux qui s'étaient emparés de lui.

Kernos se redressa sur ses jambes, se frotta les yeux pour s'habituer à la lumière de la réalité et observa son mystérieux sauveur.


Vous êtes bien Kernos Rouvray?

Diantre, un inconnu qui le connaissait. Il opina du chef.

J'ai une lettre pour vous.

Surpris et intrigué, Kernos prit le parchemin qu'on lui tendait et salua le messager qui, sa mission achevée, s'éloignait déjà. Sans faire plus de cérémonie, il décacheta la lettre et commença sa lecture.

Baf! Sans si attendre, le Rouvray venait de se prendre l'équivalent d'un coup de masse épistolaire en pleine dent dès les premières lignes.


Citation:
A Kernos Rouvray, Baron de Mévouillon, Seigneur de Glandage,
De Terwagne Méricourt, Vicomtesse d'Orpierre, Dame de Taulignan, dicte l'Opportuniste du Lyonnais-Dauphiné, [...]


Chancelant encore sous le premier choc, il poursuivit toute fois... grand mal ou grand courage lui en prit. Elle ne lui donna pas un instant de répit, ferraillant avec sa plume et ses mots comme d'autres le fond à l'épée. Elle était bretteuse de talent. Chacun des coups portés fit mouche, tant et si bien qu'il sortit de cette confrontation littéraire l'âme couverte d'entailles.

Sous l'effet de l'alcool, en Lyonnais-Dauphiné, il s'était proclamé en son fort intérieur victime d'elle, de ses agissements. Aussi sobre que la fièvre lui permettait de l'être, le discours était tout autre, faisant écho à celui de cette missive terwagnesque.

Son mépris, il le méritait amplement... lui-même en éprouvait tout autant à son propre encontre. C'est lui qui l'avait enchaîné à l'image de l'adultère et de la trahison aux yeux des autres. C'est lui qui l'avait retenu égoïstement dans l'ombre quand elle aurait pu vivre libre et la tête haute sans lui à ses côtés. C'est lui qui l'avait poursuivi de ses ardeurs alors qu'elle avait fuit par amour de lui. C'est lui qui lui avais promis. C'est lui qui avait laissé filer les grains de sable du temps, lui qui s'était attarder, lui qui l'avait fait attendre... Toujours lui et encore lui, la cause de tous ces maux qui les unissaient à présent... Sans doute aurait-il mieux fallu pour elle qu'il reste à pourrir à Mévouillon, plutôt que de lui infliger une fois n'est pas coutume son "mal-amour".

Car oui, l'amour n'excuse pas tout. Et il avait beau l'aimer sincèrement de tout son sang, cet amour infligeait, blessait plutôt que de la combler. N'était-ce pas d'ailleurs remuer le couteau dans la plaie ce qu'il s'apprêtait à faire? Certainement... mais il ne savait faire autrement, pour le malheur aussi bien de l'un que de l'autre.

Kernos prit sa dague et grava quelques mots de sa pointe sur le bois de la porte. Sait-on jamais, peut être reviendrez t-elle par ici un jour?

"JE SUIS VENU... TROP TARD, ENCORE UNE FOIS...
KERNOS."

Puis, il se saisit de sa plume et écrivit en appui contre la façade de pierre.


Citation:

Terwagne,

Ta lettre ne me trouva point en Lyonnais-Dauphiné auquel j'ai tourné le dos il y a plusieurs jours pour me rendre en Champagne... C'est donc malheureusement déjà à Sainte-Menehould que j'ai appris que tu n'y étais plus... Au fond, c'est bien mérité.

Je ne te contredirai pas, tu as raison à mon propos. Je ne suis qu'un égoïste et encore maintenant je me comporte comme tel en cherchant après toi malgré tout.

Je n'ai aucune excuse à te donner pour cela, je t'ai trop fait sans doute pour te demander pardon. J'aimerai juste te donner quelque chose avant de te laisser à ta liberté au combien méritée, afin que tout finisse enfin.

D'un imbécile.


Il courut après l'homme qui avait apporté la lettre. Heureusement, celui-ci se remettait de son périple dans une taverne voisine. Il apprit ainsi que Terwagne se trouvait en Orléans il y a peu encore. Kernos lui confia son propre courrier et alla récupérer sa propre monture. La route n'était pas très longue pour se rendre là-bas, encore fallait-il qu'elle se trouve encore dans les parages quand il arriverait pour affronter la Tempête... Pourvu qu'il s'y brise.**



* Jacques Higelin, Champagne
** Voir "C'est d'ici que je vous écris"

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Kernos
[Montargis, Interlude chou blanc à la sauce orléanaise]

Montargis...

La douleur lui arracha un grognement sourd. La blessure s'était ouverte à nouveau.

Kernos écarta lentement le linge entourant son épaule meurtrie. Le tissu résistait, lui tirant la peau à chaque tentative. Un coup sec et il finit par céder, emportant avec lui un peu de sang coagulé... Ce n'était pas joli à voir. On aurait dit une étoile suintante entouré d'un halo brun violacé.

Il la regardait, avec une sorte d'obsession et de fascination morbide... Son unique compagne. Elle l'éveillait au matin, s'endormait avec lui, le suivait dans chacun de ses gestes... Toujours fidèle. Toujours présente. Elle ne le quittait pas une seconde, l'accompagnant à tous les instants, qu'il boive ou qu'il chie. La souffrance. C'était tout ce qui lui restait. C'était ce qui lui rappelait qu'il était en vie, alors que la vie elle-même l'avait oublié.

Elle était son châtiment.

Oui... Cela devait être ça après tout. Une punition divine pour ses nombreux péchés. Sa Némésis personnelle blottie contre son sein et répandant lentement son poison dans son corps décharné. La brûlure de la fièvre qui le tenaillait avait quelque chose d'un avant-goût de l'enfer lunaire auquel il était destiné pour le mal qu'il avait fait... qu'il lui avait fait.

Kernos divaguait. Sans doute l'atmosphère de Montargis y était pour beaucoup.

Une pensée, ou plutôt un souvenir qui n'était même pas sien revenait sans cesse à lui. Il le harcelait, lui martelait l'esprit depuis qu'il avait franchi les portes de la ville... Un nom... Rien qu'un nom sans visage auquel le raccroché... Ce nom qui se refusait de prononcer, pour ne pas offenser Terwagne d'avantage, parce qu'il lui appartenait à elle et non à lui.


Toi au moins, tu ne l'as pas abandonné ou blessé de ton propre vouloir... Sans doute que tu aurais su la rendre vraiment heureuse toi et lui aurait épargné ces souffrances.

Peut être que tu étais plus digne que nous de son amour... Peut être que toi, tu savais l'aimer comme elle le mérite...


C'est étrange de se recueillir sur un homme que l'on a pas connu. Un homme dont l'on ne sait quasiment rien si ce n'est qu'il a aimé et était aimé de la femme pour qui on se consume. Un homme dont on ignore jusqu'aux traits et qui n'a même pas de tombe sur laquelle se pencher. Un homme dont il ne reste en ce bas monde qu'un souvenir dans le coeur d'une femme...

Kernos remonta en selle. Elle n'était plus là, seuls son parfum et ses souvenirs flottaient encore en ces lieux... Encore une fois, le destin jouait au chat et à la souris avec lui.

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