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[RP] L’Amerzone*

Cerdanne

[Oui, je sais entendre dans les bribes de mots,
Le pas brumeux des autres mondes
Et je sais suivre le sombre envol du Temps
Je sais chanter avec le vent...
(A Blok)]


Bourgogne,… Début Juillet 1460


A brides abattues…

Elle avait arraché la robe pourpre qui collait à sa peau sans même se soucier de qui pouvait bien se trouver dans les écuries du château, se hâtant d’enfiler une tenue plus adaptée à la chevauchée qui l’attendait.
Pas un regard vers la grande salle ni même un regret en entendant les voix qui s’en échappaient.
Elle ne voulait plus qu’une chose…quitter la fête.

Profitant des dernières lueurs du jour, la brune ralentit enfin un peu l’allure…
Le bruit clair d’un ruisseau l’appelait. Elle en avait bien besoin.
Le visage fermé, l’esprit entièrement tourné vers ce qui l’attendait, elle posa pied à terre, laissant son étalon prendre un peu de repos et se désaltérer.
Avec la même rage obstinée, elle se débarrassa de ses bottes et de ses frusques. Le temps d’une toilette rapide mais nécessaire.
Comme si l’eau verte et froide pouvait venir à bout de ses colères, de ses regrets, de ses remords...
Il suffit d’un rien, d’un évènement parmi tant d’autres pour que tout bascule. Seule, au milieu de nulle part, elle s’enfonçait doucement dans l’amerzone qu’elle avait mis tant de temps à faire reculer.

Un cri de piaf plus aigu que les précédents l’arracha aux pensées sombres qui peu à peu l’envahissaient.
Une dernière plongée dans l’eau glacée et la Provençale se rhabilla tant bien que mal avant d’entamer la dernière chevauchée.
Très vite les chemins se firent plus larges…
Au loin, elle apercevait les premiers toits…

Cerdanne stoppa sa monture et resta un long moment à observer le village qui s’endormait...Le parchemin enfouit dans la besace parlait d’une auberge à l’entrée du hameau…
Elle secoua la tête, tentant de disloquer l’image qui dansait devant ses yeux.
Un claquement de langue et sa monture, docile, emprunta le chemin qui menait à la taverne.

L’endroit était bondé.
Comme chaque soir, surement, les hommes venaient là étancher leur soif, répandre leur misère.
Le cheval confié au bon soin d’un garçon malingre qui somnolait devant les écuries, elle franchit la porte dans l’indifférence générale.
L’instant d’après, elle avait trouvé place dans un recoin de la taverne, surveillant l’entrée et héla une des serveuses.


Deux verres et une bouteille de ton meilleur vin. Je garde la bouteille.

Sa besace, soigneusement posée sur ses genoux, elle se détendit enfin un peu et ferma les yeux.
Devant elle, dansait un baiser…Le dernier baiser …le baiser de Judas


*Titre emprunté à Sokal.

Anaon

    *

    Cosne. L'échos des cloches qui chantent les Complies s'évadent dans le silence du soir démunis d'un soleil tout juste abandonné à son cercueil d'ombre. La voix lointaine des dames d'airain résonnent dans les ruelles sombres, dans le cœur de ceux qui croient, dans le timbre de ceux qui rient. Elle se perd même dans sa chambre, où en un unique glas, elle scande son silence. Elle s'y est réfugiée depuis le matin même. A moins que ce ne fut pour Sexte. Ou en début d'après-midi, peut être. Elle ne sait plus. Unique rythmique qui vient bercer son indolence que ce chant qui au loin claironne. Murmure vaporeux tant il parvient endolori aux oreilles meurtries.

    Le regard s'est perdu dans l'auréole mordorée d'une bougie qui flambe. Pâle point de lumière qui éclaire ses pensées lugubres, les azurites y sont scellées et ne s'en défont plus. A peine les paupières clignent-elles. Elle en a les rétines brûlée à vif. Brulées aussi d'avoir déversé leurs sel resté trop longtemps à l'abri de leur rempart de chair. Mais après la tempête vient la sécheresse. L'esprit se torture de douloureuses péroraisons et de vaines suppositions. Avec des "si" elle refait son monde, elle refait le leur. Avec des "si" elle redessine le matin de la veille, dont la scène tourne en boucle dans sa tête sans lui laisser le moindre répit de pensée. Brisée. Des mots qu'il aurait fallut dire, ceux qu'il aurait fallut taire. Des gestes à avoir des gestes à proscrire. Brisée. L'obsession du regret.

    Bottée de cuir, parée de braie, le buste s'est délesté de son carcan d'étoffe, ayant pour seule chemise la chaleur de la nuit et en parure à l'encolure, les marbrures violacées pour lui faire un collier. Passion d'aliénés. La peau martyrisée ne supporte ni le froid ni le chaud et elle se fait supplice quand revient les lourdeurs estivales. Immonde qui ne tolérait plus aucun regard. Aujourd'hui la nonchalance a laissé porte entrebâillée et elle sur le ventre allongée se dévoile, indifférente, à qui veut bien la voir. Sur l'albâtre des chairs courent des perles liquides comme la rosée candide sur le roc hiératique. Immobile, elle ne s'ébranle ni d'un cil ni d'un soupir.

    Dans sa cage de silence, un bruit comme murmure se fait sentir. Et c'est la voix hésitante qui passe l'embrasure qui vient crever sa bulle.

    _ Md'ame, elle est là.

    Comme réponse, le frêle mouvement d'une tête qui se meut sur l'oreiller. La poitrine se gonfle. Elle est venue...

    _ Va la chercher...

    Dans son dos elle entend les pas adolescents qui se pressent. Un soupir se relâche. Elle est venue... Les paupières clignent, l'ombre d'un sourire tend même à s'esquisser sur les lèvres tailladées. Elle est venue. Elle a exaucé ses mots. Pour une fois, elle n'est pas seule.

    Viens. Vite. Ou je crois que cette chambre deviendra mon sépulcre.

* Musique " Whispers & Confessions ", The Tudors Saison 1 de Trevor Morris
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Images originales: Victoria Francès, concept art Diablo III - [Clik]
Cerdanne

Et plus tard un Ange, entr'ouvrant les portes,
Viendra ranimer, fidèle et joyeux,
Les miroirs ternis et les flammes mortes.
C Baudelaire.



***


La serveuse efficace et silencieuse virevolta un instant devant la silhouette immobile de la provençale et le flacon de vin tinta agréablement contre les verres.

Le regard bleuté fixa la bouteille avant de laisser rouler quelques écus sur le bois taché d’un geste las. La main d’un geste sec ouvrit le flacon remplissant à ras bord une des deux timbales.

Les yeux toujours mi -clos, elle revoyait le visage, le regard gris de Judas survolant les invités avant qu’il ne penche sa haute silhouette sur celle de sa future femme.
Avant que ses lèvres n’ouvrent celles de sa noble pucelle.

….

Le vin n’était pas mauvais.
Donc, il devait y avoir meilleur nectar dans les caves…
Une chance. L’ivresse n’en serait que meilleure.

La coupe fut vidée d’un trait et la main abandonnant un instant le verre pour la bouteille fut généreuse.
Le flot carmin coula encore et encore.
Le brouhaha de la salle l’agaçait. Un rire gras suivi d’un éclat de voix détourna un instant le regard du flacon.
Un rictus étira ses lèvres avant de les noyer sous le flot de sa coupe.

Les paupières mi closes, Cerdanne s’étira longuement, laissant le nectar parcourir chaque parcelle de son corps…
La chaleur l’enveloppait d’un bras amoureux. ..
C’était bon, elle en voulait encore…

....

Le gamin malingre, c’était glissé sans bruit derrière elle et d’une voix de crécelle l’invita à le suivre.

Elle sursauta, fronça les sourcils mais devant la mine de l’adolescent, se leva sans un mot et reprit sa besace.
Elle le suivit à travers les tables bondées, emprunta l’escalier et resta plantée devant la porte de la chambre.

D’un mouvement brusque, la brune empoigna son guide par le col de sa chemise et colla son visage contre le sien…


Tu vas nous trouver de quoi boire.
Du bon, du très bon...
Tu frappes et tu poses ça devant la porte.


La main de Cerdanne parcouru le torse malingre du gamin d’un geste fébrile…



T’es pas bien épais…



Elle le repoussa brusquement et laissa tomber sur le plancher quelques écus.

Si tu en veux d’autres, reste non loin et tâche d’être à la hauteur de nos demandes…
Allez !file !


La main poussa le battant de bois entrebâillé et la fine silhouette franchit le seuil...
Porte refermée soigneusement derrière elle, elle se planta devant l’ombre noire …

L’Anaon était là, gisante, mais elle était encore là…


Tu as commencé sans moi…

Anaon
    Les paupières n'ont pas clignés. Les prunelles restent braquées dans la silhouette ectoplasmique de la flamme dansante. La poitrine s'est levée, figée. Attente. Attente de la désillusion. Attente...

    Tu as commencé sans moi…

    … Du soupir, du sourire qui vient faire frémir les lèvres immobiles. La silhouette se rehausse sur ses coudes et la tête pivote. L'azur vient trouver les contours du corps-sœur. Là, Cerdanne sur le pas de sa porte, là sa cadette qui devient son pilier. La tête se retourne et la carcasse à demi-nue s'extirpe de son tombeau de drap, creusé et sculpté par son poids et ses courbes. Les doigts relâchent la petite fiole qui pend à son cou et qui a creusé sa paume de s'être trop fait étreindre. Son poison. Leur poison.

    La silhouette se dérouille d'une journée passée à attendre en se rongeant les sangs et l'esprit et elle s'approche calmement de celle qu'elle espérait tant. Pudeur s'est faite fuyarde, la mercenaire n'enfile aucune chemise laissant monts et stigmates libres de tout rempart. Qu'a t-elle a cacher encore aux yeux de son égale? Rien. Tu sais que J'aime. Alors tu sais tout. Une main se glisse dans les crins bruns alors qu'un regard las se porte sur une petite bouteille de verre qui renferme un reste de liqueur aux teintes olivâtre, abandonnée depuis bien des heures déjà. La dextre glisse sur la nuque douloureuse et sa parure violine, avant que les lippes ne se courbent une fois encore, navrées.

    _ Je n'ai pas encore touché au vin.

    Les azurites se rivent dans les profondeurs marines de leurs homologues. Comment te dire, que je voudrais me lover dans tes bras comme une enfant apeurée, me cacher sous tes mains, sous tes seins, sous tes cils, quelque part, me fondre en toi, que je ne restes plus seule. Parce que, tu es là, toi. Une fois encore. Tu es là. Mais tu sais bien que tout cela, je ne te le dirais pas. L'Anaon s'approche, la dextre vient chercher la joue alors que les lèvres s'apposent sur le front du Chardon. Un baiser tendre simplement, inattendu surement, comme un remerciement qui ne franchira jamais les lèvres tailladées.

    Et la femme se détache doucement, tournant le dos à sa comparse pour avancer de quelque pas dans cette chambre qu'elle détaille comme si elle cherchait quelque chose. Les doigts reviennent flirter sur la peau malmenée de sa gorge. Les yeux se ferment un instant alors que s'échappe de ses lèvres une voix presque plaintive.

    _ J'ai besoin qu'on me vende du rêve...

    Puisque que de Judas, je crois, je n'ai plus...

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Images originales: Victoria Francès, concept art Diablo III - [Clik]
Cerdanne

Il est des communions encore plus belles
Naissances dans l'union de la boue et des fossés
Navigantes à vue à la recherche des foyers ardents
Cette inétanchéité entre le désir/fuir ;
Sous la pluie/sous les pleurs
s'évapore aux portes jointes
M. Cros




Impassible, immobile, Cerdanne la regarde reprendre vie.
Les yeux fixés sur la silhouette de son ainée, elle enregistre le moindre détail et ne bronche pas.
Pas un seul grognement devant la fiole qu’elle exhibe et qui suggère l’avance prise par la roide.
Pas un seul geste non plus devant la parure moirée qui orne son cou et qui laisse supposer des combats douloureux.

D’un hochement de tête, la brune acquiesce.
Le vin effectivement n’est pas encore entré en lice.

Appuyée contre le chambranle de la porte, elle la regarde venir vers elle, chaque cerne, chaque stigmate se distingue maintenant avec netteté.
La chaleur qui l’entoure alors qu’elles se font face enveloppe maintenant la Provençale et les regards se mêlent un instant…
Le frôlement de ses doigts, les lèvres qui embrassent son front et elle, elle…elle, ses pupilles sont fixées sur le collier mauve qui colle à la peau fragile de sa roide.

Elle, elle reste là, toujours figée, silencieuse.
La douceur du baiser l’arrache à sa contemplation et le regard acerbe de la Provençale s’adoucit un rien, un léger sourire aux lèvres elle épie les mouvements d’Anaon qui lui tourne le dos.
Elle connait cette courbure des épaules, ce mouvement qui les ploie vers le sol comme pour enrouler la douleur et l’apprivoiser.
Elle ne laissera pas sa sœur se courber plus.
Elle ne le permettra pas.



Alors cela ne peut-être…
Je n’ai rien à vendre ma belle…
A donner peut-être…


L’espace entre elle est vite comblé et les doigts de la Provençale, se pose avec délicatesse sur la nuque offerte.
Glace froide mais salvatrice, les mains légères suivent la courbe des épaules et se posent à plat sur les meurtrissures du cou.
La voix chuchote, lèvres blotties contre les mèches brunes de l’Anaon.


Baume maison …
Viendront ensuite les potions et les décoctions odorantes et enivrantes.

Ensuite…ensuite, tu pourras refaire le monde …


Anaon
    *

    Et pourtant l'Anaon n'a pas touché au rêve en poudre qui sommeille à son cou. Jamais, depuis ce jour où Judas la ceint de ses mains, par un temps de Décembre, dans un air de Bretagne. Souvenir d'une rencontre. Un plaisir, des soupirs, scellés dans le fer et le verre. Les narines s'arrondissent. Elle se souvient de cette ambiance sirupeuse, ces fragrances de stupre et d'alcool. Une marée de corps. Du goût de ce vin dérobé qui semble encore lui tapisser la gorge. Elle sent encore, le toucher de velours qui a nimbé ses lèvres. Ipomée. Geste miroir, égal à celui de ses pensées, la langue redessine sa lippe supérieur, effaçant cette poudre qu'elle imagine happée. Elle se souvient. Elle en frissonnerait encore. Elle envie toujours, ce goût, ce claquement dans les veines, quand dans une morsure d'animal il l'a prise pour la toute première fois.

    Judas...

    La peau susceptible se réveille. Le dos abimé se crispe passablement quand il sent l'approche de l'autre. Et les muscles se nouent quand les doigts trouvent le contact des plaies de l'amour. Aliéné. Les mains de l'amant font mal encore, dans la tête et dans la chair. Le souffle se coupe. Mais les mains sont douces, le murmure est tendre et la balafrée s'efforce de se détendre alors qu'une courbe vient croitre sur ses lèvres.

    _ Parfois... Souvent... Je rêve de le noyer, ce monde. Dans un déluge de vin au goût d'hémoglobine. Tout crever. Tout effacer... à défaut de m'effacer moi. Et tout recommencer... sans bévues... et sans regret.

    Le sourire se meurt. A défaut d'effacer ses erreurs, gommer celle des autres. Exterminer la vermine, éradiquer l'échec Humain. Crever ce qu'elle déteste. Ceux qu'elle méprise et qu'elle envie. Ces scélérats qui sont son reflet, ces bienheureux qui sont son passé. C'est le monde qui m'a apprit à haïr le monde.

    Les mains de l'ainée couvrent celle de sa cadette et doucement, les doigts s'enroulent autour des siens. Un soupire. Se rasséréner de la présence qui apaise, mais qui appelle aussi à un peu plus de folie...

    Oui, aller viens. Ce soir on se noie dans le vin à défaut du carmin. Viens. Tout effacer et tout crever. Le temps d'une nuit, Revivre. Sans regret. Un instant. Viens... Ce soir on refait notre monde. Mais avant...

    _ Dis-moi...

    Cette Isaure qui a troqué Wagner contre Von Frayner.

    _ … Est-ce qu'elle est belle?

    Une voix comme une souffle. Le regard s'ouvre sur le vague. Elle se veut du mal, mais qu'importe. Je veux tout savoir. Dis-moi s'il l'aimera. Dis-moi ces enfants, s'ils seront brun, s'ils seront blond. Elle est jeune il m'a dit. Elle a du charme aussi. Mais cela ne me suffit pas. Dis-moi s'il l'aimera... comme moi.

    Après...

    Après on refera notre monde.

* Musique " Henry's Changing Emotions ", The Tudors Saison 2 par Trevor Morris
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Images originales: Victoria Francès, concept art Diablo III - [Clik]
Cerdanne

J’espère de sublimes incantations
pour aller plus avant sur les ailes du vent
je me lèverai contre les douleurs profondes
que les hommes infligèrent aux femmes
depuis des époques immémoriales
j’espère la danse des désespérances
au milieu des tambours battant de l’orage
où ruisselle la foule des fleurs en colère
A.Chenet



***


Apprivoiser la chair de ses mains glacées…
Retenir la crispation des doigts qui cernent la raideur de la nuque, les frissons qui laissent place à l’apnée douloureuse.
Patienter encore et sentir enfin le relâchement attendu... repérer les maux derrière chaque phrase hésitante et toujours, toujours retenir la pression des doigts fins sur le cou gracile.

Pourtant chaque mot ouvre une brèche.
Une douleur, une seule et toute une vie bascule devant elle.
Il va falloir aller la chercher loin l’envie de vivre cette fois, ma sœur.
Quand les doigts de l’Anaon s’accroche à ses doigts, la provençale se laisse enfin aller à manifester plus fermement sa volonté d’arracher le mal qui ronge la Roide…
Et se crispe davantage devant les deniers mots que son ainée prononce..

C’est elle maintenant qui cherche l’air.
Tout à coup la chambre lui apparait moche, sale. La chaleur insupportable et la lueur de la chandelle trop forte.
Les yeux fermés, Cerdanne grimace.
Des heures durant, elle a tenté d’effacer les images de Judas et de sa vierge effarouchée…
Souhaitant ardemment ne pas avoir à témoigner de ce mariage.
Mais après tout, peut-être faut-il aller tout au fond de sa douleur pour être sure de remonter toute neuve.

Délicatement, elle dénoue le lien de leurs mains, la forçant à lui faire face et se recule. Regardant d’un œil presque sévère la silhouette fragile d’Anaon.
Jaugeant de la force qui lui restait pour pouvoir affronter la vérité…


Elle est surtout très jeune…

Les pupilles marine ne cessent de fixer ceux de son ainée et les mots fusent, meurtriers.

Belle ? Je ne sais …Jolie, oui.

Le regard épie le moindre sursaut.
Que veux-tu donc encore entendre pour alimenter ta douleur ma sœur….


Belle robe, belle allure. Et noble.
Je ne sais pas si elle aura assez de force face à lui.
Je crois que oui…


Et maintenant ma sœur, en as-tu assez ??
Ou tu veux prolonger encore et encore…..




Anaon
    Les mains se défont de son étreinte et le corps pivote en réponse au Chardon qui recule. Immobile. Elle ne frémit pas d'un cil quand le regard scrutateur la redessine avec fermeté. Placide. Elle attend avec impatience les mots qui font mal. Elle écoute. Elle se tait. Le regard se vide de toute expression alors qu'elle se replie dans le retranchement de ses pensée. Un voile se pose entre elle et le monde.

    Elle imagine...

    Un visage, une allure. Une pureté. Il aime l'innocence, Judas. Ce n'est qu'un appel à la souillure... Comme une provocation. Ce n'est pas un guerrier, mais ses armes sont ailleurs et ses combats et ses victoire. Ah. Et Elle est forte aussi. Un semblant de vie revient dans les pupilles vides qui restent un instant figées sur Cerdanne. Le regard dévie, s'attarde, s'accroche sur la commode. Et sur l'écharde qui brise sa ligne plane et lisse. Parfait détournement. L'index se plait à gratter l'épi de bois qui aura tôt fait de lui écorcher la chair. Il aime la docilité, le Von Frayner, comme on aime la pleine obéissance de son troupeau de brebis. La docilité, l'amuse. L'amusement le lasse. Il est mâle, il aime la guerre, la sienne : celle des femmes. Mais où est l'excitation d'attraper entre ces griffes une proie qui se laisse si facilement abattre? Ce n'est pas ce qu'il veut Frayner. Oui, il est beau l'agneau, mais il n'a pas assez de mordant. Si elle veut garder son mari l'Isaure, mieux vaut pour elle qu'elle ai des crocs.

    Car assoir sa victoire ne lui suffira pas. Une fois qu'il l'aura prise comme une forteresse, une fois qu'elle se sera offerte, livré, écrasée, que restera-t-il? Une fois encore, il aura possédé. Et après... Et après cela. La saveur d'une victoire. Un goût de Laurier qui lasse. Une habitude. Et un vide. Un manque. Celui de l'adrénaline, l'excitation de la chasse. Ce fourmillement dans les tripailles face à la résistance qui met le feu au poudre. L'envie de briser encore, de vaincre toujours. Éternel recommencement. Mais si elle est forte, juste ce qu'il faut pour le tenir en haleine, pas de trop pour froisser son orgueil. Alors oui, il l'aimera. Il l'aimera pour çà.

    L'écharde a cédé sous l'ongle. La peau s'est lézardée de petites griffures sans vermeil. Instant de contemplation. Et l'attention se détourne pour trouver les courbes de verre de son ami des mauvaises heures. Les doigts s'approchent et se referment sur le galbe translucide faisant danser la liqueur qu'elle porte à ses lèvres sans l'once d'une hésitation. L'alcool se déverse dans sa bouche, comme un feu liquide qu'elle s'efforce de conserver le plus longtemps possible. Savourer cette morsure au palais, cette chaleur qui lui grimpe dans les narines. Et avaler, sans l'esquisse d'une crispation. Putain d'accoutumance.

    La petite bouteille et son ultime gorgée est tendue au Chardon.

    _ Verveine.

    C'est bien connu pour faire passer n'importe quoi. Aujourd'hui c'est un mariage qu'il faut digérer.

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Cerdanne
« …Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu'en ses ennuis
Elle veut de ses chants peupler l'air froid des nuits,
Il arrive souvent que sa voix affaiblie
Semble le râle épais d'un blessé qu'on oublie
Au bord d'un lac de sang, sous un grand tas de morts,
Et qui meurt, sans bouger, dans d'immenses efforts. »
C.Baudelaire.


Ainsi donc tu en as assez ma sœur…
Le regard épie Anaon qui lui fait face.
Les yeux absents en disent long sur le chemin que parcourt la Roide en ce moment. Les méandres de son âme meurtries l’entraine ou ?

Vers ses souvenirs peut-être, ses chimères et vers eux.
Lui sans elle.
Lui avec Elle…

La provençale observe le manège de ce doigt qui s’acharne sur le bois et pince ses lèvres.
Le mal par le mal.
Elle surveille, elle compare. Anaon survivra, elle le sait maintenant.

La blessure est minime.
L’âme se sent donc assez grande pour évacuer toute seule les miasmes de cette noce maudite. Assez grande ?
Peut-être pas.

Plus de blessures pour sentir vivante, l’heure des baumes réparateurs arrivent déjà. Trop vite au gout de la Provençale qui aime bien aller au fond des choses.
La douleur de la Roide est bien enfouie et celle-ci se la garde par devers elle pour la dorloter et la porter comme on porte un enfant.

L’effet sournois de la liqueur n’y changera rien.
Cerdanne veut bien refaire le monde mais pas sur un feu mal éteint…


Pas si vite, Anaon.

Le flacon est repoussé d’un geste sans équivoque.

Est tu déjà en train de calculer combien de temps il te faudra pour t’imbiber jusqu’à l’oubli ?
Tu vas attendre combien de mois pour en faire le deuil ?
Tu ne veux pas le faire peut-être ?
Crache ton venin avant d’en avaler un tout nouveau ma sœur.
Sinon l’effet sera nul et non avenu.
Je ne suivrais pas des chemins amers et silencieux.
Ce n’est pas toi, cette brune abattue.
Je ne la connais pas et je ne trinquerais pas avec une résignée…



Anaon
    L'Anaon ne comprend pas quand le bras de Cerdanne vient faucher sa main. Une plate surprise s'affiche sur son visage alors qu'un sourire ironique cherche à s'en extirper à la première réplique du Chardon. Ivresse. Ah! La fuyarde! L'Anaon sait bien qu'il faudra plus que le vin pour trouver la folie de son étreinte. Et le sourire qui tendait à naitre se crève subitement sur l'abrupte de ses lèvres. La mercenaire se braque.

    Les mots se font corrosifs. La balafrée reste immobile tandis que la Provençale agace comme on titille une plaie de la pointe d'une aiguille. Mais ce qui la tient plus coi encore, c'est la familiarité de cette scène. Tu ne te souviens pas, sur les berges de la Loire. Cette nuit-là déjà, la balafrée n'avait pas comprit l'élan de verve de la belle. Mais çà, c'est la méthode made in Cerdanne. S'assurer que tu te sois cassé la gueule au plus bas pour te relever une fois pour toute. Castrateur.

    _ Qu'est ce que tu veux que j'te dise?

    Tranquillité d'un timbre remué d'amertume. L'acharnement dans le combat, la résignation dans le drame. C'est un trait de caractère. Oui, si l'anaon avait un nom elle s'appellerait Fatalité.

    _ Qu'est ce que tu veux que je t'hurle? Hein?! Qu'est ce que tu ne sais déjà pas? J'ai la naïveté...la connerie d'aimer un homme. Un noble.... Un putain de noble! Égoïste, menteur et despotique! Un crevard qui a violé ma ffffff... UNE GaMiNE! Un possessif qui aurait préféré me tuer que de me voir m'éloigner! Et c'est qu'il l'a fait, et c'est qu'il a faillit y arriver, t'y crois çà? Et pourtant j'en crève! Oui j'en crève de le savoir en aimer tant d'autres! Koac'h*! J'en crève de savoir que l'une a porté cette robe que moi j'ai jamais eu, qu'elle aura cette putain de bague au doigt et qu'elle l'aura, LUI! Tout çà parce qu'elle a un titre et un lopin de terre! J'ai mal, parce que ce bâtard m'a dit "Je t'aime", parce que j'suis con et que j'y crois, parce qu'il a pas hésité à dire Amen à sa souveraine pour gagner un peu de... De prestige! Parce qu'aussi détestable qu'il puisse être.... Karet eo ganin-me*! Et çà m'arrache la gorge de l'avouer! Gast* j'suis désolée!

    La voix s'est gonflée de rage jusqu'à éclore sur la dernière parole. Ses tempes la lancent. Le cruel manque de sommeil lui cloue un mal de crâne bien coutumier. Les doigts s'arriment au le front. Elle s'éloigne de quelque pas, bouteille toujours en main et crispation scellé sur les lèvres. Tout se mélange dans l'esprit chaotique. La mercenaire à ouvert les vannes de tout ce qui n'aurait jamais du sortir, tout ce qui ne l'avait jamais fait. C'est un flot d'image et de sentiment qui lui étouffe le crâne. Du Judas, des étreintes. Des mots, des soupirs, la Kermorial, la Tourraine, Nyam. Et cette dernière scène qui s'est figée dans sa tête. Cette dernière qui lui a fait hurler ses dernières notes. Anaon déraille.

    _ Pardonne-moi...

    Le lien de tout leur mal sans doute. Leur lien à Elles. Comme un abcès gonflé que la mercenaire n'a jamais crevé. Le chardon l'a fait, un peu, ce jour où elle lui a arraché la lèvre d'un baiser sanglant. Mais pas l'Anaon.

    _Pardonne-moi de l'avoir tué... Mais pardonne-moi d'autant plus de ne pas le regretter.

    L'Aveu. Comme s'il était la réponse de tout. Comme s'il était La chose que Cerdanne attendait à chaque fois qu'elle lui fouillait les tripes comme çà. A chaque fois qu'elle pleure son homme tandis qu'elle a crevé le sien. La voix a retrouvé tout son calme. Les vannes se referment lentement. La contenance reprend le dessus.

    _ Crache ton venin maintenant si tu en as à cracher toi aussi. Après viens. On désinfecte nos plaies à l'alcool avant de les suturer à grand coup de haine.

    La mercenaire s'est assise sur le lit, un bras en appui, de profil au Chardon. Elle a enfoui son menton dans sa main et regarde pensivement dans le vague. Elle se sent soudainement vidée, l'éclat d'humeur passé. L'oreille guète faiblement une réaction de l'Égale. Un mot ou un départ.


*Breton = Koac'h: m.rde - Karet eo ganin-me : "Je l'aime" ou "il es aimé de moi". Fin normalement. - Gast : Putain
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Cerdanne
*******




***And I am not frightened of dying, any time will do, I
Don't mind. Why should I be frightened of dying ?
There's no reason for it, you've gotta go sometime.
If you can hear this whispering you are dying.
I never said I was frightened of dying.
Pink Floyd *The Great Gig In The Sky


[…Tête-à-tête sombre et limpide
Qu'un cœur devenu son miroir !
Puits de Vérité, clair et noir,
Où tremble une étoile livide,
Un phare ironique, infernal,…] C.Baudelaire

*



Hurler ?
Non… ce n’est pas ce qu’elle attend de son ainée.
Elle s’assure de la douleur, la soupèse, évalue son emprise sur celle qu’elle considère comme sa sœur.

La main reste ouverte dans un geste apaisant.
Le regard perçant ne quitte pas des yeux la Roide tandis qu’elle confirme ce que Cerdanne savait déjà.
Ce qu’elle n’entend pas et qu’elle aurait voulu entendre c’est ce qu’elle souhaitait faire de ce tas de maux.
Ce temps-là viendra, il lui faudra bien trouver un chemin pour continuer avec lui ou sans lui.

Les mains toujours ouvertes, la Provençale s’avance d’un pas.
Tout à coup elle s’en veut d’avoir repoussé l’Anaon si loin dans ses malheurs.
Elle voudrait tant pouvoir arracher toute cette fièvre d’un seul coup de lame.

L’acceptation, c’est la seule chose qui parait lui convenir à ce jour.
L’aider à avaler ces couleuvres. Judas marié, judas Père, Judas le Noble.
Judas qui l’aime, elle le sait bien La Provençale.
Elle le connait suffisamment le brun arrogant pour l’avoir compris.
Il ne lui a jamais fait l’affront de dissimuler ou mentir dès qu’ils parlaient de d’Anaon.
Alors, elle s’en veut d’avoir douté, d’avoir osé…

La main s’avance encore, ouverte et fragile, le regard bleu s’adoucit et les mots frôlent les lèvres de Cerdanne.
Pour se heurter à des dents qui se resserrent devant les dernières paroles de l’ainée.

Les mains s’écartent brusquement et les doigts se referment.
Deux poings rageurs tandis que la Roide rouvre violemment ce qu’elle a mis tant de temps à enfouir amoureusement.

Un poing se lève et vient frapper le menton de sa sœur , l’instant d’après les mains se referment comme deux serres sur le visage de L’Anaon.
Le regard est de glace tandis qu’elle resserre méthodiquement ses mains sur le cou offert.
Lèvres contre lèvres, les mots s’échappent, rauques et douloureux.


Je n’ai rien à te pardonner. Rien. RIEN !
Si ce n’avait pas été toi, Moran l’aurait fait, ou Judas.
S’il est mort c’est par ma faute et je t’interdis, tu m’entends ?
JE T’INTERDIS de t’approprier sa mort…

Ne me reparle plus jamais de lui tu entends ?? PLUS JAMAIS…… PLUS JAMAIS !


L’étreinte folle cesse tout aussi brusquement et la Provençale recule d’un pas.
Le regard halluciné, elle fixe le cou paré de marbrures qui paraissent se mouvoir sous la peau.

Ton cou…Je ne voulais pas. Je ne voulais pas…

Titubant sous le poids de sa propre douleur, elle vacille, cherchant l’appui du mur. Lentement s’affaisse contre les pierres inégales, le regard sec et vide…
La main tremblante plonge dans la besace et se referme sur un flacon. D’un geste sec, elle porte à ses lèvres la fiole qu’il lui reste de ce temps-là.
Le Flacon, le dernier Flacon de Judas…



***(Le Grand Evenement Dans Le Ciel)
*Et je ne suis pas effrayé de mourir, les choses se feront, Je
M'en fiche. Pourquoi devrais-je être effrayé de mourir ?
Il n'y a pas de raison à cela, des fois tu dois partir. .
Si tu peux entendre ce chuchotement tu es en train de mourir.
Je n'ai jamais dit que j'étais effrayé de mourir





Anaon
    L'instant d'un choc. L'Anaon n'a pas le temps de lever les yeux sur le chardon que sa célérité la fauche de plein fouet. Les mains enserrent, le regard lacère et la balafrée demeure sans réaction dans son cocon de surprise et de résignation. Ah... Qu'a-t-elle donc, cette gorge, pour que vous aimiez tous tant la serrer? Vous paraît-elle trop blanche pour aspirer si ardemment à la marbrer de bleu? Ou bien est-ce la sincérité qu'elle crache qui vous est insupportable? Pertinente dans son impertinence. Vos doigts sont des parures que vous me retirez trop tôt. Comme la corde d'un pendu qui ne claque jamais, des pieds qui ne se dérobent pas. J'aspire en secret au goût de trépas, à ce dernier souffle vous ne m'offrez point. Prompt à blesser pas à achever. Que vous êtes cruels.

    Elle a mal sous les doigts qui sévissent. Judas a déjà laissé sa trace dans le tendre de la chair et Cerdanne y imprime la sienne. Elle voudrait sourire. Sourire comme elle le fait à chaque fois qu'elle se sent partir. Sourire parce qu'une fois encore ses yeux embrassent le déjà vu.

    "Le nom de Judas ne franchit plus la barrière de tes lèvres pour la soirée."

    Tu te souviens. Ce soir-là c'est moi qui te tenais. Ce soir-là c'est toi qui parlais trop. On aime aimer, mais dans le silence des autres.

    Rien ne vient sur les lèvres de la balafrée hormis une inspiration violente qui s'y engouffre quand les doigts relâchent enfin leur étau. Bouffée d'oxygène. Elle cherche son souffle comme une noyée. Sa gorge palpite, ses mains tremblent. Et pourtant rien ne vient à l'égard de la Provençale. Ni rancœur ni amertume. Rien. Les secondes s'écoulent alors que le battant se calme. Une main se tend pour attraper la bouteille qu'elle a lâché sur le lit et d'une gorgée douloureuse, la balafrée finiT la verveine qui en tapissait le fond.

    _ Maintenant on est quitte...

    Tout est dit. Si Cerdanne a mal, c'est un poids de moins qui opprime la poitrine de l'ainée. Des mots lourds avoués. Maintenant refermons les placards. Les squelettes crient à l'oubli.

    Des coups contre le bois. La tête pivote. La mercenaire se lève pour aller ouvrir la porte sur sa semi-nudité. L'écho de petits pas qui s'enfuient résonne dans l'escalier. Les azurites se perdent dans l'obscurité avant de se poser à ses pieds. Une caisse de six bouteilles patiente bien sagement. D'un pied elle fait glissée la caisse et la porte se referme.

    La balafrée se saisit de deux bouteilles qu'elle lorgne d'un œil sceptique puis dans un claquement de langue pour attirer son attention, elle en lance une à la Provençale. Les dents attrapent alors le liège qui dépasse de la sienne et le bouchon est bien vite craché plus loin. Un nez qui se penche sur le goulot. C'est bon le vin. Mais c'est trop doux.

    La corps s'affale sur la couche dans une grimace. Désagréable toucher de étoffe brute sur les stigmates susceptibles. Le regard s'arrime au plafond et ses planches qui forment un horizon bien monotone.

    _ T'as déjà été mariée toi?

    La tête se redresse, le vin coule dans la gorge, engloutit sans être savouré. Les alcooliques manquent bien souvent de subtilité. A trop boire les liqueurs comme on boit du lait, on finit par trouvé fade les boissons les plus raffinés.

    _ J'te paris que ce soir j'te couche. Et que je serais même en état de te border.

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Images originales: Victoria Francès, concept art Diablo III - [Clik]
Cerdanne
Noir...

Le jus épais qu’elle a englouti d’une traite, elle l’accompagne, la Provençale.
Voyage intérieur ou chaque pulsation, chaque courbe franchit par la liqueur la laisse frémissante. Insidieux le nectar se répand lentement, surement.
Peu à peu la nuque raidie par la douleur, s’abandonne et le poids de la tête accompagne le tangage.

Rouge...

La chaleur qui doucement lui intime l’ordre de lâcher prise.
Le corps replié se détend et s’étale sur le plancher sale et tiède.
Soupir d’aise quand les mains enfin se saisissent de la chemise et l’écarte de la peau brulante.

Nous sommes quittes… Une douleur de plus pour nous lier à jamais, ma sœur.
Elle se demande si un jour, un fil de bonheur osera se mêler à tout cet amas de malheur.


Le son qui résonne contre le bois, les bottes qui claquent sur les planches, les pas du môme qui s’éloigne…
Le soupir qui s’échappe de la poitrine dénudée de la Provençale…
Ce jour est jour d’enterrement et celui-ci doit être grandiose.
Ci git la douloureuse quête des amantes maudites. La cadette s’étire comme pour mieux laisser passer le poison délicieux dans tout son être.
Voilà…elle est prête maintenant.

Que la fête commence !

Noir le regard si bleu de Cerdanne quand elle réceptionne la bouteille d’une main engourdie.
Comme deux sœurs jumelles, les mêmes gestes pour humer le vin avant de le boire.

L’ainée boit sans soif, sans gout, avidement.
La cadette reste bouteille en suspens, hésitante encore à se laisser cueillir comme le bébé qu’elle est au fond.
Et ce sont les mots qui la cueillent en premier.


Mariée ? Moi ?? ...le vin est enfin gouté , longue lampée qu’elle avale déguste à peine…

J’aurais dû, j’aurais pu, je devais …Sous la lune, près des pierres plates des forets bretonnes.
Une autre gorgée pour faire reculer ce souvenir avorté dans l’œuf.
Non. Jamais mariée.


Tout en parlant, elle se relève se débarrassant une bonne fois pour toute de sa chemise.
N’oublie pas sa bouteille posée au sol et rejoint la roide sur la couche.


Pousse toi un peu… tu prends toute la place.
Si tu me bordes, me secoue pas …je vomis facilement.
Je suis une petite buveuse, ma chère sœur…


Nouvelle gorgée de vin…

Et toi ? Mariée ?


Anaon
    Un silence se creuse. Un bref instant, Cerdanne ne répond pas. Le visage se tourne. Les azurites cherchent à voir la silhouette étalée sur le plancher à moitié cachée par la bordure du lit. Soupçon de surprise. La réponse qui vient n'est pas celle qu'elle attendait. Les prunelles retournent se river sur le plafond alors qu'elle médite un instant. La Bretagne. Les dolmens. Oui... c'est bien çà.

    Un ronchonnement vient répondre à sa cadette qui réclame alors sa place. A peine son dos vient de s'accoutumer à l'inconfort du plaid qu'elle doit déjà se bouger. Un "tu fais chier" maugréé et la balafrée prend une place un peu plus assise dans son bout de lit en se figeant tout aussitôt, fixant la Provençale d'un air scandalisé.

    _ J'te préviens, si tu as le malheur de gerber dans mon lit je te dégage de ma piaule à grand coup de pompe dans le fion.

    Nan mais faut pas déconner hein! Les azurites de la balafrée se figent soudainement. Sur la peau mise à nue du Chardon qui prend place, elle a eu le temps de le voir... L'Immonde. Son Immonde. Le regard reste rivé sur le dos à présent caché. Instant de latence. Le visage retrouve le vague droit devant elle.

    Geste miroir, le goulot est porté à ses lèvres. Un goût de métal fruité. Oui. Pour elle, c'est çà le vin. Un truc qui a du goût, mais qui n'enivre que bien peu. T'en bois des litres, tu dégobille par ce que t'as plus de place, mais t'es toujours aussi fraîche pour accueillir une seconde salve. C'est pour çà qu'Anaon préfère les alcools forts. Un peu de liqueur, beaucoup d'absynthe. Le genre de breuvage que tu sens passer et qui t'attaque bien plus vite.

    Question ricochet. La balafrée esquisse un sourire.

    _ J'aurais dû, j'aurais pu, je devais... Sous une pluie de feuilles brunes, près d'un lac en Limousin.

    La bouteille embrasse de nouveau ses lippes, mais le verre demeure en suspend, sans déverser son flux. Des souvenirs qu'elle avait volontairement enfouit se déversent à nouveau dans son esprit. Ça sent les feuilles humides et la terre. Toucher de soie d'une robe de mariée qu'on coud pendant des mois. Un feu qui crépite. Une porte qui s'ouvre. Un sourire.

    Les yeux se ferment, la bouteille est ôté de ses lèvres et les poumons se gonflent d'une profonde inspiration.

    _ J'avais dix-neuf ans... Y'a quinze ans et demi. Gast, çà me rajeunit pas çà...
    Mars. Une demande en fiançailles, une jument en cadeau. Et huit mois après, un carreau d'arbalète qui me rend veuve avant le mariage.


    Cette fois le vin bénit sa gorge. Une fois encore, l'image de Cerdanne penchée sur le corps de Baudoin gifle sa mémoire. Réminiscence, remise en scène d'elle même des années auparavant. Sauf qu'à cette époque, Anaon n'avait pas longtemps supporté la douleur et bien vite elle était tombée dans les vapes.

    Les lèvres se scellent un instant. Un instant suffisant pour que le visage de Judas vienne de nouveau lui ronger l'esprit. Nouvelle lampée qui ne noie pas cette vision qui lui pince le cœur. Un œil analyse le plein de sa bouteille, glisse sur la caisse sur le plancher.

    _ Elles sont loin les bouteilles...

    Message subliminale?
    Silence. Ah! Cerdanne et Anaon. L'instant d'avant ça se bouffe le foi et la rate. L'instant d'après çà se fait des confidences sur l'oreiller. Même inconstance. Taillée dans le même roc. Si on devait les expliquer sans doute seraient-t-elle comme un lac. Un lac lisse et calme. Monotone d'apparence, mais qui cache sous sa surface des abysses insondables. Ça grouille d'ombre, c'est sombre, on ne voit pas bien profond. Pourtant c'est bien là, enfoui et jalousement gardé. Un lac lisse et calme qui se froisse le temps d'une colère comme un cailloux qu'on jette en son sein et qui plisse son onde, l'espace d'un instant avant de se calmer immédiatement.

    Et toi Cerdanne, qu'est ce que tu cache dans tes entrailles?

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