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[RP] Renaissance

Ludwig_von_frayner
Amis rôlistes, ceci est un RP privé.


[Hôtel Saint-Augustin - Montpellier - Bureau du Vicomte d’Hayange]


Quelle heure était-il ? Quel jour étions-nous ? Tout cela plus d’importance. Plongé dans la rédaction de ses « Mémoires », le Vicomte d’Hayange ne sortait plus de son bureau. Fenêtres et volets scellés, il était enfermé avec lui-même ; plongé dans une bénéfique mais insupportable méditation. Ses proches s’inquiétaient, légitimement ; mais il n’ouvrait la porte que pour recevoir son repas. Pourquoi cet état lymphatique ? Dans quels travers était-il encore tombé ? C’est tout l’objet de notre propos.
Face à cette situation inconfortable, le Majordome fut envoyé en éclaireur pour sonder l’état du maître de maison. Malgré l’opposition tranchante du Vicomte, Robert entra, avec toute sa diplomatie habituelle, et sa constante envie de bien faire. Malheureusement, à vouloir trop bien faire, comme bien souvent, on finit par mal faire.


"- Monseigneur, cela fait des jours que vous êtes enfermé dans cette pièce…
- Il n’y a que là que je trouve la paix et le calme auxquels j’aspire, Robert…
- Toute la maisonnée s‘inquiète!
- Il n’y a pas lieu… Je vais bien.
- … Ne pensez vous pas qu’il serait temps de vous aérer l’esprit ? J’ai vu que le Comte organisait des festivités à Tournel…"

Interpellé par les propos du domestique, il reposa sa plume et rangea soigneusement le vélin noyé d'encre sur lequel il s‘était penché des heures durant. Il avait enfin l'occasion de mettre les choses au clair, une bonne fois pour toutes. Il n‘était pas un Vicomte mondain, et il était temps que le vieil homme s‘en rende compte.

"- Actarius a toujours aimé resplendir. Il aime briller, s’afficher, s’égosiller. Seuls comptent son image et son égo. Cela ne m’étonne qu’à moitié, à vrai dire, qu’il profite de son mandat pour se faire voir dans tout le Royaume…à travers des festivités ou des défilés. C’est un homme intéressé, obnubilé par son éclat et sa notoriété.
- … Mais vous devriez peut être…
- Robert… La vérité, c‘est qu‘il n‘y a rien à fêter. Le Languedoc est toujours aussi faible, et friable. Toujours la proie d’hordes de brigands ; d’arrivistes ; d’une économie ralentie, d’un commerce sous développé. Les militaires sont sous-considérés. Les maires sont sous-informés. La capitale est sous-protégée. Le Languedoc est victime d’une perpétuelle inconstance de la part de ses régnants, et d’un perpétuel laisser-aller. Ce n’est pas en organisant de fastueux banquets qu’on règlera les carences de nos structures, les maux de notre société. L’éclat des paillettes n’a jamais réussi à dissimuler la détresse de la misère ; elles ne font au contraire que l’accentuer.
…. Non, au lieu de ripailler, le Comte ferait mieux de régner et d‘engager les réformes nécessaires… Mais il n’en fera rien! Pourquoi le ferait-il ? Réformer, c’est déranger. Réformer, c’est se faire des ennemis…. Réformer, c’est mettre les mains dans la fiente des autres. Actarius est trop propre. Comme Arthurcano avant lui, il se contente de la forme, sans s’attaquer au fond : il fait la girouette, il est partout, éclatant, rayonnant… Et au final, il n’est nulle part. Il n’a rien fait.
…. Le pire, Robert… C’est que malgré la précarité de son résultat, les gens, aveuglés par tant de faste, vont le vénérer. Et même le regretter. Pourtant, les problèmes restent inchangés, les carences restent enracinées. Comme si l’humanité se complaisait dans son agonie.
…. Toute cette hypocrisie humaine, toutes ces simagrées m’exaspèrent.

- MONSEIGNEUR ! Je vous en prie…. Prenez cette fichue fête pour ce qu’elle est. Cela ne sert à rien de se torturer ainsi…Oubliez l’aspect politique de l’évènement. Tout le monde n‘est pas aussi… bilieux que vous ! Cette solitude vous perdra !
- « Bilieux »…. Mais pas crédule. Jamais, crédule.
- Monseigneur, toute la France sera là… Vous avez besoin de sortir. Et il n’y aura que du beau monde, je vous assure. Vos enfants…
- Du beau monde… Du beau monde !!!? Ce fut le mot de trop, et la preuve incontestable que le vieux domestique ne l‘avait pas entendu. Il explosa. J’emmerde le beau monde, Robert ! Je conspue les mondanités ! J’abhorre toutes ces futilités ! Je défèque sur leurs divertissements et leurs manières !
.... Les divertissements, Robert, voilà le plus grand drame de l‘humanité ! Ils l’abrutissent ! Ils l’asservissent, la privent de penser ! Ils…!! Rargh !!!
"

Un rugissement de douleur coupa les bruyantes et ridicules exclamations du Von Frayner. Sa jambe le rappelait à l’ordre, une fois de plus, l’obligeant à serrer les dents et à crisper une main fébrile sur sa hanche. Bien loin de le calmer, cette vive et insupportable souffrance l’irrita davantage, ne supportant plus la piètre image qu’il donnait de lui. Il posa son regard dans le miroir qui lui faisait face, tenta de se rassurer. Mais il n’y vit que la silhouette d’un homme misérable et vieillissant. Après la douleur, vint la honte. Blessé, il se saisit de son encrier et le jeta contre le verre qui explosa en mille morceaux, sous l’air déconfit du Majordome.

"- Avez-vous pris les plantes que vous a prescrites votre médicastre, Monseigneur ?
- Je n’ai pas besoin de plantes, Robert ! Savez-vous qui je suis ? Je suis Ludwig von Frayner. Je ne suis pas un… Rargh,.. Nom de Dieu !!"

Il hurla à nouveau, frappé par un nouvel éclair de douleur. Une douleur qui s’accroissait, à mesure qu’il se renfrognait. Cette fois, la main qui le maintenait contre le bureau ne parvint pas à supporter la nouvelle crise. Il s’effondra bruyamment au sol, pitoyable. Le majordome accourut. Il le retint.

"- MONSEIGNEUR !
- Reculez, Robert !! Ne vous approchez pas !!! Surtout, ne vous approchez pas !
- Mais… Que vous arrive-t-il … ?
- Ce n’est rien. Rien du tout. Et ne prenez pas ce ton désolé, Robert ! Je vous interdis, vous m’entendez ? Je vous interdis d’éprouver de la pitié pour votre maitre. Vous pouvez le haïr, le détester, le conspuer ; mais jamais vous ne devez avoir pitié de lui ! Jamais ! Est-ce clair !!?"

Le majordome hésita un instant. Il ne pouvait laisser son maître se perdre ainsi, dans l’indifférence la plus totale. Mais la hargne que témoignait le Vicomte lui retira toute envie d’héroïsme. Il hocha tristement la tête tandis que le von Frayner se redressait lamentablement. Il s'adossa contre son bureau. La douleur avait disparu, mais pas la rancœur qui l’habitait toujours. Il lui fallait de l'air ; aussi posa-t-il un regard froid et décidé sur le domestique.

"- Vous pouvez disposer.
- Vous n’y pensez pas !? Je vous laisserai pas dans un tel état.
- Robert ! Je ne vous demande qu’une chose : m’obéir.
- Mais…
- Il n’y a pas de mais ! Dehors."


Le Robert soupira, impuissant, et finit par sortir de la pièce ; laissant le Ludwig seul dans son bureau, avec ses démons. La pièce était plongée dans une semi-obscurité, dont la seule lueur était celle d’une bougie à l’agonie. Comme lui, elle avait dévoré toute sa cire, toute sa vie. Comme lui, elle semblait condamner. Tandis que la porte se refermait, le regard du Vicomte se perdit sur ces mille morceaux de verre, formant jadis un miroir étincelant. A l‘intérieur, l’image morcelée d’un homme brisé. Lui.

"- Vois. Vois dans quel état tu es. Insignifiant, pitoyable. Le temps passe, tu vieillis, tu disparais. Avant, tu étais tout. Aujourd’hui, tu n'es rien. Plus rien qu’un vieillard aigri, parmi d’autres. Une âme de plus parmi la foule nombreuse. Plus rien, si ce n’est l’ombre de ta gloire passée. Toi, autrefois Imperturbable, tu te laisses dompter par le dépit et la jalousie ; accablé par la douleur d’une existence futile. Argh que tu es beau, prisonnier de ce corps estropié. Mais qu'es-tu donc devenu, misérable ?"
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Liz_von_frayner
[Dans les couloirs de l’Hôtel Saint-Augustin – Montpellier]

Des jours. Cela faisait des jours qu’elle attendait, trépignait, priait, rageait en silence, au gré de ses états d’âme qui changeaient aussi vite que le ciel languedocien qui passait d’un soleil radieux à l’orage le plus noir en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.

Des nuits. Cela faisait des nuits qu’elle ne dormait presque plus, préférant arpenter les couloirs de l’Hôtel plutôt que de se retrouver seule dans le grand lit conjugal déserté par son époux.

Comment aurait-elle pu ? Jamais, depuis leur mariage seize ans plus tôt, ils n’avaient été séparés. Sauf lorsqu’ils s’étaient heurtés à une armée ponantaise et qu’ils avaient dû être emmenés dans des dispensaires éloignés l’un de l’autre le temps de leur convalescence. Elle n’en avait gardé qu’une fine cicatrice au flanc, alors que lui garderait à jamais le souvenir du coup d’épée cuisant qui devait le forcer ensuite à s’appuyer sur une canne.

Parfois, elle croisait une domestique ou encore Robert, le vieux majordome, mais tous gardaient le regard fixé au sol, redoutant la question qui immanquablement allait fuser.

Monsieur est-il sorti de son bureau ?

Elle finit par se résoudre à ne plus la poser, mais inlassablement, elle passait et repassait devant la porte de la pièce dans laquelle Ludwig s’était enfermé, se murant dans le silence et la laissant impuissante.

Était-ce depuis le jour où elle avait reçu l’ordre de se rendre au Conseil Comtal que les choses avaient changé ? Ils en étaient presque venus à se disputer ce soir-là. Elle avait senti qu’il avait pris la nouvelle comme un coup de tonnerre et qu’il avait tout d’abord dû accuser le coup, mais alors qu’elle hésitait, il l’avait encouragée, soutenue, presque forcée à faire son devoir.
Elle était donc devenue Conseillère Comtale, poste qui lui prenait la plus grande partie de ses journées et parfois même de ses soirées. Toujours bardée des parchemins qui ne la quittaient plus, elle n’avait d’abord pas remarqué le changement qui opérait chez lui.


Certes, il avait toujours fuit les mondanités auxquelles il pouvait échapper, ne répondant qu’à celles qui étaient inévitables, mais là, il ne se contentait pas simplement d’éviter ce qu’il considérait comme des corvées. De plus en plus souvent, après une journée passée au Château, elle le retrouvait non pas l’attendant dans le grand salon prêt à l’écouter raconter sa journée, mais assis près de la petite fontaine sculptée dans les jardins, ses larges épaules un peu affaissées, plongé dans la lecture de quelque nouvelle qu’il devait trouver visiblement peu intéressante, à tel point qu’il ne lui en parlait même pas quand ils se retrouvaient.
Il avait perdu son regard fier et brillant, et lui qui auparavant déambulait fièrement et tête haute, faisant claquer l’extrémité de sa canne sur le sol, semblait trouver soudain un intérêt grandissant pour les dalles des couloirs. Sa silhouette perdait chaque jour un peu plus de sa majesté, le son de sa canne se faisait moins net, qu’au jour fatidique où on ne l’entendit plus du tout, étouffé par la lourde porte qui s’était refermée sur lui.

Désemparée, oh oui, elle l’était. Même si elle avait fini par comprendre quel mal le rongeait, mais enfermé dans son silence, il ne lui laissait aucun opportunité pour lui venir en aide, lui dire qu’elle comprenait, lui dire qu’elle était là, près de lui, lui dire qu’elle l’aimait plus que tout. Lui dire aussi qu’elle ne supportait pas de le voir dans cet état. Qu’elle ne supportait pas de le voir se refermer sur lui-même. Qu’elle ne supportait pas que le doute s’insinue en lui. Qu’elle ne supportait pas de le voir s’apitoyer sur lui-même, se sentant à tort, devenir simplement.. vieux.

Il fallait qu’elle lui dise tout cela. Et elle allait enfin pouvoir le faire. D’un seul élan, elle se lança en direction de la porte qui enfin s’était ouverte, pour s’arrêter net en voyant le vieux majordome sortir du bureau et refermer soigneusement la porte derrière lui.


A.. Alors.. ?


Doucement, le vieil homme hocha la tête et murmura :

Il faut.. attendre…


Un soupir. Un regard désespéré en direction de la porte refermée. Un silence de plomb. La certitude que le majordome lui cachait quelque chose. Oscillant entre colère et inquiétude grandissante, elle repris ses inlassables allées et venues.
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L'autre Ludwig, incarné par Luisa.von.frayner



[Hôtel Saint-Augustin - Montpellier - Bureau du Vicomte d’Hayange]


Fatigué & faible. Voilà comment il était aujourd'hui possible de décrire Ludwig von Frayner. S'il avait gardé sa classe, ses principes, ses traits - bien que tirés -, ses mots, son accent : qu'il était toujours lui, il avait néanmoins perdu beaucoup de son panache. À n'en pas douter, ce panache, bien que diminué par le temps, n'avait pas disparu. Il était certainement, à la manière d'un vieux parchemin oublié sous la poussière, enseveli sous une couche grandissante d'épreuves, de voyages et de travail, et faute d'employer la méthode douce du nettoyage, donner un coup de hache dans cette couche ne pouvait que le faire resurgir violemment.


Misérable...

Il semble qu'au moins, tu parviennes encore à trouver les bons mots...S'il te restait toutefois autre chose que ça, le verbe. Et encore, écoute-toi parler. Écoute-toi, Ludwig von Frayner. Depuis quand n'as-tu pas parlé face à d'autres que ton piètre reflet ? Depuis quand n'as-tu pas défendu une idée ? Depuis quand n'as-tu seulement pas EU d'idée ? Depuis quand n'as-tu pas vécu ?

Ni vivant, ni mort. Néant. Gris. Indigne d'intérêt, indigne d'un regard.

Qui donc pourrait croire, aujourd'hui, qu'un jour tu as brillé ?

Lointain, le temps où ton simple nom faisait baisser les têtes. À présent, tu baisses tant la tienne qu'un mendiant n'aurait cure d'en faire son accoudoir et si tu t'avisais de t'irriter, sais-tu ce qu'il ferait ? Il te rirait au nez jusqu'à t'achever de son haleine et toi, tu aurais beau crier à l'aide, personne ne viendrait au secours de cet inconnu recroquevillé sous un miséreux.

Lointain, le temps du Mirifique Chancelier. Son Excellence n'a plus d'excellent que son ridicule.

Lointain, le temps où tes ennemis étaient forcés de reconnaître tes compétences.

Ni vivant, ni mort. Néant. Gris. Indigne d'intérêt, indigne d'un regard.

N'as-tu pas été un homme d'exception, Ludwig ? N'as-tu pas été capable de rendre un duché flamboyant ? N'es-tu pas le seul pour lequel les enfants lorrains se sont réunis afin de proclamer l'hymne lorrain ? « Et chance ou peine, quel que soit notre destin, Lorraine, tu nous emplis d'une puissance ineffable, Nous resterons toujours dans un amour inébranlable, Heureux, avec le cœur et la main, fiers d'être Lorrains. » A-t-on entendu un seul Duc se faire chanter ces mots ? Et pourquoi, pourquoi à toi - non, à moi ? Parce que tu as été un homme. Un grand homme. Un grand homme réduit aujourd'hui à un tas d'os fatigué. Si fatigué qu'il est incapable de marcher correctement, sans s'aider d'un troisième pied de bois, si fatigué qu'il est incapable de se défendre contre quoi que ce soit, ne serait-ce contre un gamin chapardeur dans les rues.

Regarde-toi, Ludwig. Regarde-toi, et rappelle-toi les paroles de ton frère. « Tu as confiance en toi et tu es un homme fier. Tu as de quoi, en tout cas. » Regarde-toi encore. As-tu de quoi être fier ? Nenni. De quoi pleurer, oui. Au point où tu en es, cela ne m'étonnerait plus. Pleure, plains-toi, prie, si cela te dit. Moi, je ris. Je ris de te voir t’apitoyer. Je ris de t'entendre prétendre être toujours Ludwig von Frayner. Comment oses-tu encore user de ce nom en sachant ce que tu es ?

Ni vivant, ni mort. Néant. Gris. Indigne d'intérêt, indigne d'un regard.

La mort. Tu y serais bien mieux, s'il s'agit de se morfondre.


Violement. Une chose était certaine : à réfléchir ainsi, Ludwig von Frayner était déjà en partie sorti du néant, et sûrement voyait-il quelque part dans son avenir une pointe de lumière, de vie. Il ne manquait plus qu'à savoir si le réveil allait continuer, ou au contraire, définitivement s'enterrer sous l'impact d'une mauvaise fierté, celle qui nous fait reculer face à nous-même.
Ludwig_von_frayner
[Hôtel Saint-Augustin - Montpellier - Bureau du Vicomte d’Hayange]

"La mort … "

Trop de souvenirs douloureux lui revenaient, lacérant inlassablement son esprit blessé. Ses pensées étaient un puits sans fond. Son affliction n’avait-elle donc aucune limite ? N‘avait-il pas assez souffert ? « Je » et « Moi » étaient engagés dans un dialogue trop véhément. Et si l‘ami était un tiers salvateur, comme le dira plus tard un philosophe allemand renommé, force est de constater que Ludwig était seul. Seul dans les abîmes, face à des démons.

"La mort, je la connais. Je l’ai vu. J’ai vu des milliers d’hommes mourir, sur les remparts de Tours et de Chinon. Des riches, des pauvres. Des femmes, des enfants. Des soldats, des innocents. La guerre est aveugle : elle n’épargne personne. Peu importe qui elle emporte, elle a toujours la même odeur. Cette odeur pestilentielle, que même les plus épais bandages ne parviennent à atténuer. Cette odeur qui vous prend aux tripes et qui vous dégoute de vous, et du genre humain, tout entier.
La mort s’insinue partout, dans votre peau, dans votre esprit, dans votre vie. Elle s’accroche à vous, elle vous étreint, telle une amante qui attend d’être comblée. Elle murmure, elle vous appelle. Ses bras sont glacés, son regard est brouillé. A peine vous a-t-elle touché qu’elle vous pénètre, et vous marque à jamais.

J‘ai vu la mort, dans le regard de cet adolescent affolé, qui fonçait sur moi avec sa fourche affûtée. … Je n‘étais plus son semblable, fait de sang et de chair. J‘étais son ennemi : ce monstre qu‘il devait abattre coûte que coûte. Pourquoi fallait-il qu’il voit le monstre, plutôt que le père ? La mort n’a pas de logique. Elle n’a pas de sens. Elle frappe sans justice ni distinction.
…. J‘ai embrassé la mort, tandis qu‘il m‘enfonçait sa fourche dans la cuisse… Senti la vie me quitter, alors qu’il me brisait la hampe, tel un chien enragé. Inhumain. Abominable.
… J’ai donné la mort, quand j’ai planté mon glaive dans son maigre ventre, sentant ses intestins se broyer sous ma force incontrôlée. Avais-je d’autres choix ? Un simple coup dans son bras n’aurait-il pas suffit à faire taire son instinct meurtrier ? La mort vous trompe, vous persuadant qu’il est le mal incarné. Vengeance. Souffrance. Peu importe le prix de l’existence, elle vous persuade de frapper. De tuer. … J’ai senti son corps tressaillir. Son visage se crisper. Ses lèvres trembler. Il a tenté d’hurler, mais aucun son n’est sorti de son cou tendu. La mort est silencieuse. Elle frappe, sans mot dire. … Il s’est effondré. Le regard vide. Sans vie.
Il a perdu la vie et j’ai perdu ma jambe. Meurtri à jamais de cette longue et silencieuse agonie, que j’avais moi-même provoqué. Meurtrier.


Non… Il n’y a aucune gloire dans la mort. Aucun sens. Aucune échappatoire. Seul. Je suis seul, face à cette torture insoutenable, qui me lacère la jambe, et me ronge, au plus profond de moi. Chaque jour que Dieu fait, il me fait souffrir. Chaque jour que ma jambe saigne, c’est mon cœur qui meurt. Car j’ai l’image de ce « Meurtrier » qui me revient en tête. Argh que je le déteste ! Argh que je le hais !!! Ce n’était pas moi, tu m’entends !!? C’était un autre !! Jamais, jamais je n’ai voulu tuer ce gamin ! Je n’ai jamais voulu que donner la vie ! Alors arrête ! Arrête de me martyriser !

Vois. Ludwig. La guerre ne m’a pas pris qu’une jambe, elle m’a pris mon âme… Et ce ne sont pas les clameurs de quelques badauds qui parviendront à me faire oublier…. Toute ma vie. J’ai consacré toute ma vie aux autres. Au peuple. A la Lorraine. A la Touraine. Aujourd’hui, à ma famille. Mais les jours passent, et je ne peux que constater que Dieu m’interdit le pardon, seul chemin vers la rédemption."


Était-il perdu, ou sauvé ? Une seule chose était sûre : il n’y avait aucun avenir, dans cette introspection. Tout était noir. Tout était néant. Son seul salut viendrait de la transcendance. Mais parviendrait-il à se surpasser, comme il l’avait déjà fait ?
Aujourd’hui, c’était différent. Son ennemi, c’était lui.

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L'autre Ludwig, incarné par Luisa.von.frayner



[Hôtel Saint-Augustin - Montpellier - Bureau du Vicomte d’Hayange]


On dit mettre le doigt là où ça fait mal. On dit remuer le couteau dans la plaie. Pour savoir où poser le doigt, et de quel côté remuer le couteau, il n’y a pas de meilleur traître que soi-même. La haine, les règlements de compte, les provocations, les calomnies… Il est de notoriété publique que la trahison entraîne les conflits. Quelques-uns ont la chance de trouver leur issue dans les compromis. D’autres, plus nombreux, se terminent par la mort, non pas des deux camps, pour être qualifiée d’utile, mais de l’un ou l’autre, c’est au plus fort, ou au plus chanceux. Et lorsque tout cela se passe à l’intérieur d’un seul homme, un de ceux qui n’est pas à côtoyer les compromis, cela peut-il un jour prendre fin ?


"Des excuses…

Alors c’est ainsi.
Tu es faible au point de fléchir à l’idée d’ôter une misérable vie. Vas-tu aussi culpabiliser d’avoir considéré ce garçon en ennemi ? Je vais t’apprendre quelque chose que tu as su, autrefois. Tout le monde est ton ennemi. Et si tu as besoin d’amis pour survivre, c’est que tu es veule. Combien de fois n’as-tu pas gagné, seul contre tous ? Mais il s’agit d’histoire ancienne, semble-t-il. Une pauvre petite guerre que tu as vécue, et alors que tous s’en sortent sans trop de séquelles, toi, tu es détruit.

Pitoyable.

Tu t’es laissé anéantir par un seul homme. Sans lutter. Sans gagner ta vie. Sans la mériter. Tu n’as que tendu la main, au dernier instant, pour attraper ce qu’il te restait de souffle. Juste de quoi continuer à respirer, à cligner les yeux pour voir défiler la vie des autres. Juste de quoi survivre.
Anéanti par un homme que tu ne connais pas. Ou un homme que tu connais trop. Qui te connait trop.

Aurais-tu peur, Ludwig ? Peur de la mort ? Peur de ce que peuvent penser les autres, ou peut-être de sombrer dans l’oubli ? Aurais-tu peur de moi ? … De nous ?

Lâche.

Qui l’aurait cru ? Ludwig von Frayner, l’Imperturbable, est un lâche !
Il est temps de se rendre à l’évidence, Ludwig. Tu n’es pas celui que tu crois être. Tu es simplement…

Comme les autres. Pathétique. Inutile. Banal … Fini.

Et moi qui te croyais encore capable de te relever...Je reconnais mon échec. Je savais exactement quoi te dire : « Redeviens toi-même. Réveille-toi. Ni pour ton nom. Ni pour ta famille. Ni pour ce peuple qui t'a aimé. Ni pour personne d'autre que toi. Pour ton honneur. Pour ta fierté. Pour tes enfants. Pour qu'ils aient l'image d'un père acclamé plutôt que d'un père inconnu, ardent plutôt que passif, Ludwig von Frayner plutôt que rien. »
Il y a dix ans, cinq peut-être, ce discours aurait été bon, et utile. Aujourd’hui, il ne parvient qu’à souligner l’incapable que tu es devenu. Incapable de tenir une épée, incapable de tenir un peuple. Incapable de tenir un bouclier, incapable de tenir un débat. Incapable de terrasser un ennemi, Incapable de faire entendre raison. Incapable de triompher, incapable de briller.

Retourne dans la masse sombre et sale qui te va si bien, si tu es à ce point incapable de te battre, ou l’on risquerait de poser un regard sur toi… Tu comprends, je ne voudrais pas que tu prennes peur, « petit Ludwig », les gens comme toi ne sont pas faits pour être dans la Lumière…"



Il est un moment, à deux doigts de l’aboutissement d’un conflit, d’ultime tension. Quelques secondes seulement, durant lesquelles nul ne sait qui va gagner. Qui peut gagner. Au moyen d’un miroir, deux hommes identiques se tiennent face à face. L’un est vigoureux, l’autre réel. L’un est affaibli, l’autre une illusion. Qui gagne ? Faites vos jeux.
Ludwig_von_frayner
[Hôtel Saint-Augustin - Montpellier - Bureau du Vicomte d‘Hayange]


Autant de mots, autant de coups, pour son esprit fragile. Il encaisse, il subit. Il a bien du mal à supporter cette triste réalité. Il a besoin de se rassurer, sur ce qu’il est, sur ce qu‘il fut, sur ce qu‘il est devenu. Il cherche, et cherche encore. Bouscule ses principes. Renverse ses idéaux. Et si cette mort tant redoutée, tant conspuée, était la clef de tout ?

"Tu ne comprends pas. Comment le pourrais-tu ? Tuer ne nous apprend pas à mourir. Qui peut prétendre ne pas avoir peur de la mort, si ce n’est l’inconscient ? Le fou ? Ou le simple d’esprit ? On fuit la mort toute notre vie. Pourtant, un jour, on doit l’affronter. Oui, j’ai peur de la mort. Comme tout être censé dans ce monde. Les prêtres auront beau m’affabuler de leurs sermons, la mort restera toujours pour moi, une éternelle inconnue. Jamais personne ne saura ce qui se cache derrière ce rideau funèbre. La mort est un voyage sans retour.
La peur de la mort… Mais c’est bien la seule chose qui nous retient à la vie ! La mort nous oblige à nous surpasser, sans cesse ; à nous battre, à avancer. A ne pas mener qu’une existence insignifiante ou purement contemplative. Il faut agir. Se donner. Créer. Saigner. Pour ne rien avoir à regretter. Vivre l’instant présent comme s’il était le dernier. La vie n’a de sens qu’en sa finitude. Tout doit avoir une fin. Et c’est cette fin qui rend le temps si précieux, et le monde si beau. J’aime trop la vie, ma femme, mes enfants, pour vouloir les quitter.
Hélas, tous ces mots, toutes ces promesses ne sont que billevesées. Ma fin est approche. Je la sens, partout sur moi, partout en moi. Sur ma peau, dans mes muscles. Elle m’enchaîne. M’attèle. Me soumet. Elle creuse mon visage ; affaiblit mon corps ; ronge mon âme. Parfois, la nuit, il me semble même possible d’entendre le clapotement de l’Achéron, et le murmure de Charon. Tu vois, je délire. Mais un jour, je devrai quitter ceux que j’aime. La mort est un voyage qu’il nous faut tous emprunter. Je le sais. Je le refuse.
Je n’ouvrirai pas les bras à la mort. Quand bien même ce combat est perdu par avance, je me battrai. Mais comment se battre contre l’inévitable ? En fuyant ? Argh, que j’aimerais être de ces bienheureux tranquilles, qui en s’exilant du monde, y trouvent leur félicité. En priant ? Argh, que j’aimerais être de ces clercs, qui en une prière, balayent tous les maux de la Terre. Hélas, tout comme je ne suis ni rêveur ni poète, lorsque je lis les saints écrits, je n’y vois que des paroles niaises, écrites par de vieux fous. J’aime trop l’imperfection humaine pour la blâmer.
Alors quoi, que reste-t-il ? Ouvrir les bras à la vie ? Cela parait trop simple, trop niais. Et l’ivresse..? Pitoyable. Je ne peux me complaire dans cette existence futile. Je ne supporte plus cet anonymat. J’ai besoin… Besoin de me sentir utile. Comme un vieux, j’ai besoin de me dépenser, sans relâche. Pour ne pas me voir flétrir. Besoin d’être aimé ou détesté. Pour ne pas avoir à me plaindre et me haïr."


« Comme les autres ». Cette pique le transperça de part en part, affreuse. Coup fatal porté à son orgueil. Jamais, une phrase ne l’avait autant meurtri. Lui, Ludwig von Frayner, un homme « comme les autres » ? N‘avait-t-il pas déjà prouvé - au contraire - qu‘il était meilleur, sinon autre ? Toute sa vie, Ludwig s’était donné aux autres ; à ses patries successives. Il s’était saigné. Au fond, il n‘avait jamais cherché qu‘à se distinguer, qu’à se différencier de cette masse quelconque ; à travers ses actes, ses paroles, ses choix. Pour se rendre indispensable. Dans ce brouillard incertain, il voulait être la lumière, aussi faible soit-elle, qui guiderait les hommes vers un avenir meilleur. Utopique ? Certes, mais les utopies ne sont-elles pas des réalités en puissance ? Quand bien même, cette abrupte mise en garde déclenchait en lui un mouvement de révolte.

"Je ne suis pas « Comme les autres » ! Jamais je ne l’ai été, et jamais je ne le serai ! Je pense l’avoir suffisamment prouvé ! J’aurais pu devenir un grand homme, dans ce Comté ! Oui j‘aurais pu ! J‘en ai eu l‘occasion ; mais j’ai été trahi ! Trahi, m’entends-tu ? Trahi par cette bande de pleutres du MRL. Ces Seashell, Destron et Cornazzano. Des voleurs, des escrocs, des salauds. Je leur ai tout donné : un programme, des idées, une image, un style. Ma confiance : j’ai cru en eux. Et ces sots m’ont trahi, en pillant les ressources de Montpellier ; en s’enfermant dans une passivité écœurante ! J’ai soutenu des faibles et des ignorants. Je me suis compromis ! Je me suis sali ! Alors oui, je me suis retiré ! Pas par choix, mais par devoir moral !
Rargh ! Ici, je ne suis rien ! Je ne suis plus rien ! A cause de ces moins que rien ! A cause de cette pitoyable « modestie » que l’on prend en exemple aujourd’hui ! J’aurais dû, ne pas leur faire confiance ! J’aurais dû, prendre les choses en main, dès le départ ! J’ai été faible ! Crédule ! On ne m’y reprendra plus ! Jamais plus, je ne ferai confiance aux autres ! Jamais plus !"


Appuyé sur sa canne, il se redressa nerveusement, et renversa la pile de parchemins qui traînait sur son bureau. Ses « Mémoires ». Il scruta quelques feuilles, déchiffra quelques lignes, et rugit de dégoût. Il les déchira. Qui était-il pour écrire ? Un misérable. Sa vie n’avait-elle pas été infiniment courte et médiocre ? Lui qui pensait avoir tout vu et tout fait, n’avait au final rien accompli de palpable, dans cette province qui l’accueillait. Dans cette province qu’il avait lui-même choisi pour s’éteindre ! Ironie du sort, il s’éteindrait là, dans l’indifférence générale. Cette simple idée le rendait fou. Oubliée la douleur, animé d’un sentiment d’amertume et d’inachevé, il céda à une colère aveugle.

"Argh ! Immondes mensonges ! Odieux parchemins ! Je vous brûlerai tous ! Tous ! M’entendez-vous ?! Je me suis leurré, à m’inventer un simulacre d’histoire romancée ! Mais cette vie-là, ce n’est pas la mienne ! Cette vie n’a aucun sens ! Je ne peux l’accepter. Je ne peux y mettre un terme ! Cette fin tant attendue patientera encore un peu ! Je n’ai pas dit mon dernier mot ! Mon œuvre n’est pas terminée. Mon histoire ne fait que commencer ! Je vais.."

Il se tût un instant, coupé dans son élan. Dehors, on chantait. On riait. On s’égosillait. Tandis que lui se morfondait. Nouvelle insulte. Cette fois, c’en était trop. Il clopina jusqu’à la fenêtre, et repoussa les lourds volets. Aveuglé par quelques rayons de soleil, il lui fallut plusieurs minutes pour distinguer ces deux jeunes femmes, richement vêtues ; se rendant aux festivités de Tournel, à bord d’un luxueux carrosse. Et autour d’elles, une flopée de miséreux, sans le sou. Ceux qu’on ne voyait pas, ou qu’on ne voulait pas voir. Ces oubliés. Ces laissés pour compte. Abandonnés. Ignorés, au même titre que les véritables problèmes que rencontrait le Languedoc.

"Pauvre Comte. Vous prenez vous pour un indispensable ? Vous qui n’êtes bon qu’à ripailler dans votre Tournel chéri ? A-t-on déjà vu Comte qui profitait autant de sa situation pour s’enorgueillir ? Vous faites défiler vos troupes. Mais vous êtes bien incapable de défendre une mairie. Faible, dépendant du bon vouloir de ceux qui vous rackettent. Vous faites défiler vos troupes, alors que vous devriez vous évertuer à les former, à les entrainer. Mais vous êtes trop occuper à festoyer. Vous êtes un aveugle, vous perdant dans des futilités nauséabondes. Vous ne voyez pas. Vous ne voulez pas voir.

Impuissant, impotent. Vous vous complaisez dans ce Languedoc diminué. Vous jouissez de la souffrance de vos sujets. Vous trinquez au nom de leur précarité. Rien ne changera, si rien n’est fait pour être changé. Vos beaux discours ne parviendront jamais à dissimuler l’incertitude de votre résultat. L’absence d’action et de conviction.
Actarius d‘Euphor, en votre flamboiement, sommeille le chaos."


Elle apparait soudainement, cette petite idée. D’abord fragile, elle fait son chemin. Prend de l’ampleur. Le parcourt. Très vite, elle s’impose à lui, et devient évidence. Elle est la solution de tout. La clef de tout. Il voit. Il sait. Alors il s‘empresse de regagner son bureau, de tirer un papier. Celui-là, oui. Il repousse tout le reste, tout ce qui l‘encombre. Il trempe sa plume dans son encrier, et écrit. Ecrit des heures durant.

"Alors… Si vous êtes incapable de gouverner… Je m’en chargerai. A défaut d’être celui que le Languedoc mérite, je serai celui dont il a besoin. Celui qui pansera ses plaies. Celui qui redonnera une âme fière à ce Comté, au lieu de la vendre et de la pervertir dans de fastueux banquets. Celui qui ne se contentera plus de regarder, spectateur muet, mais qui fera ce qui doit être fait, acteur engagé. Celui qui ne pliera pas, face aux difficultés, mais qui les affrontera avec témérité.
Il est temps que le Languedoc retrouve Gloire et Force…. Gloire et Force."


Il a terminé. Il s’appuie sur sa canne pour se relever. Il enroule son parchemin. Se sent. Il pue. Pas le temps de prendre un bain, il a trop à faire. Il attrape une nouvelle chemise, l’enfile. S’entoure de nouveau de son large manteau. Ebouriffe ses cheveux. Et file. Il oublie le miroir brisé. Il oublie ses Mémoires à ses pieds. Il les piétine. Décidé.

"Assez perdu de temps. Assez de complaisance. La mort attendra bien un peu !"

Il ouvre la porte, et manque d‘arracher la poignée. Toise son épouse et ses domestiques, nonobstant leur regard hagard. Il se fait impérieux.

"Préparez-vous. Nous avons une élection à remporter."

Il en est désormais convaincu. C‘est quand il n‘est plus rien, qu‘il redevient tout. Il s’est mis à nu. Il s‘est battu, des jours durant. Saigné Il a fait face à ses démons les plus sanglants. Aujourd‘hui, libéré.
Ludwig von Frayner. De son chaos, jaillira l’éclat.

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