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[RP] « Le pardon. Le premier pas est le plus difficile. »*

Aldraien
« L’absence est le plus grand des maux » - Jean de La Fontaine -

    La lettre avait été laissée en évidence sur l’écritoire de la Malemort, dans son bureau. La première fois qu’elle l’avait lu, un sanglot l’avait accueilli, des larmes comme elle en avait rarement versé dans sa vie, des larmes d’une douleur bien plus intense que celle que l’ont peut ressentir physiquement lorsque le sang coule.
    Les blessures, les cicatrices, elle connaissait tout cela très bien, elle avait maintes fois pu les éprouver, mais tout cela n’était que pacotille face à ce qui étreignait son cœur aujourd’hui. Sa fille l’avait pour ainsi dire renié dans cette missive ; un coup de poignard pour lui arracher le cœur ne lui aurait sans aucun doute pas fait plus de mal. Mais ne l’avait-elle pas cherché en restant silencieuse toutes ces semaines ? Les mots, durs, sont gravés dans l’esprit de la Malemort qui les a relu tant et tant de fois pour trouver un signe, un quelque chose lui indiquant que sa fille ne lui en voulait pas tant qu’elle voulait lui faire croire.
    En vain.

    Les heures qui suivirent, bien loin de l’apaiser, ajoutèrent encore à sa détresse ; une dispute avec sa sœur sur ses prises de risques avec l’armée.
    A fleur de peau, une jeune femme avait eu le malheur de vouloir la calmer, et la dite tentative s’était conclue sur un malheureux accident, résultat d’une rixe qui avait opposée les deux femmes.
    Jamais la trentenaire ne s’était battue en taverne, pas depuis qu’elle avait à peine quinze ou seize ans en tout cas, mais, à bout de nerfs, elle n’avait pas su prendre sur elle lorsqu’une gifle était venue écraser sa joue pour lui remettre les idées en place ; elle l’avait rendu en suivant la loi du talion, sans même chercher à maitriser sa force. La jeune Irlandaise ayant le sang tout aussi chaud qu’elle, elle n’avait pas demandé son reste avant de lui sauter dessus pour lui mordre le bras. Mauvaise chute ; le bruit d’un os se brisant et d’un cri de douleur restaient ancrés dans l’esprit de la trentenaire qui n’avait jamais voulu la blesser, mais seulement lui rendre la monnaie de sa pièce.

    Le lendemain, la décision était prise. Elle irait voir sa fille, elle irait seule ; elle ne s’accompagnerait ni de son fils ainé, ni de sa fille marchant à peine : Mère et fille avaient besoin de se retrouver seule à seule pour discuter et mettre les choses à plat, et l’épistolaire n’avait pas cette capacité de faire passer les émotions comme il le faudrait.
    Une tenue sobre, chemise et braies loin de l’élégance qui la caractérisait d’habitude ; elle avançait en gardant une main dans le bas de son dos pour soulager la douleur - geste qui ne servait pour ainsi dire à rien, mais qui était devenu une habitude pour elle - en direction d’une demeure où on lui avait sauvé la vie, des mois auparavant, alors qu’elle était enceinte de Alisa-Nebisa ; que son mari était venu jusqu’à elle pour la guérir alors que Marie-Amelya - qui n’avait à ce moment là pas encore été adoptée - l’avait veillé jour et nuit, au mépris de son sommeil. C’est dans cette demeure qu’elle avait ouvert les yeux à nouveau, dans une chambre qui n’était pas la sienne mais où régnait la bienveillance, après que le désormais Intendant de Ussac, Harchi, lui ait sauvé la vie. Harchi qui lui avait sauvé la vie plus d’une fois d’ailleurs…Depuis combien de temps ne lui avait-elle pas donné de nouvelles, à lui aussi ?

    Le teint pâle et fatigué, elle était arrivée devant cette petite maison, Rue de la Justice. Le regard grisé parcourant la bâtisse de bas en haut alors qu’une multitude de questions envahissaient son esprit. Sa fille serait-elle présente ? Accepterait-elle de la recevoir ? La rejetterait-elle ? Elle ne savait pas encore elle-même ce qu’elle allait dire mais parlerait avec son cœur, puisqu’il n’y avait qu’ainsi qu’elle pourrait prouver à sa fille combien elle lui avait manqué.
    Trois coups fermes sont frappés à la porte, en espérant que quelqu’un vienne lui ouvrir, et l’attente pénible qui transformait les minutes en heures - pour ne pas dire en journées entières - d’arriver avec elle, nouant son ventre et faisant cogner son cœur tellement fort dans sa poitrine qu’elle avait l’impression qu’il allait exploser sous le coup de la pression.
    Petite flamme, si tu savais comme il me plairait de te permettre de brûler encore un peu plus fort en te donnant ma force et mon amour, trop longtemps hors de portée…Ouvre moi. Ouvre moi…

    Ta mère est de retour.


*Phil Bosmans
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Mahelya
    Il est plus facile de pardonner à un ennemi qu’à un ami.

(William Blake)

La demeure de pierre était paisible, là, juste un peu avant la sortie de Limoges à l'extrémité de la rue de la Justice. Que la vie était cabotine, la petite Étincelle, lorsqu'elle était arrivée en Limousin et Marche, avait choisi une ancienne étude notariale pourtant d’apparence austère, bâtie en pierre quelques années auparavant, pour principale demeure. C'était l'époque on l'on commençait à comprendre que les actes et testaments se devaient d'être préservés des intempéries, du temps et également des feux domestiques, d’où la pierre et non la chaux pour la matière première de la construction. Nous avions donc une jeune procureur logée rue de la Justice dans une ancienne étude de Notaire. Amusant non ?
A l'époque de cette acquisition, les fenêtres ressemblaient plus à des meurtrières qu'à de réelles ouvertures sur l'extérieur mais d'important travaux fort couteux avaient permis d’apporter la lumière à l'intérieur de cette maison. Les Jaloux et les Envieux s'étaient sans doute demandés comment une fillette de 7 ans avait-elle réussi à devenir propriétaire et à fournir autant d'écus dans l'aménagement de cette bâtisse en demeure, bien que ce fut Harchi qui à l'époque avait signé le tout.

Aucune activité douteuse cependant, durant les mois et années qu'elle avait passé à parcourir Monastères et Couvents, son père de sang, bien qu'il l'eut abandonné, avait mis de coté pour elle, volonté de sa mère avant d'expirer pour la dernière fois, un petit pécule qui avec les années s'était fort épaissi. Lorsque à sept ans, la Rouquine avait décidé de prendre sa propre vie en main, elle lui avait donc réclamé son dû et l'avait ainsi confier à son Vieux Valet, qui depuis toujours la suivait. Il s'était montré fort habile avec les chiffres et quelques placements intelligents et la petite bourse s'était encore alourdie. Arrivée sur sa Terre d'adoption, La Flammèche avait donc décidé de l'utiliser en grande partie pour se loger et agrémenter son logement. Les premiers temps avaient été difficiles, la façade percée comme du fromage, le cœur du foyer éventrer afin d'éradiquer toutes les petites salles d'archives pour en faire de grandes pièces aérées ou l'on pourrait circuler, Harchi, Bertille, Mahe et Guilhem dormaient dans une seule et même petite pièce. Mais cette proximité leur avait permis de se rapprocher et de tisser bien plus que des liens d'amitié.

Que de souvenir lié à quatre simples murs de pierre qui marquaient pourtant le début d'une petite vie. Bien des années plus tard, ce refuge avait été laissé presque à l'abandon, seule Bertille, la cuisinière retournait régulièrement à Limoges et avait pris soin de la maison de sa petite Maitresse. Pourtant, alors que la vie de l’Étincelle prenait un nouveau tournant, c'était bien ici, qu'elle était revenue en compagnie de son Ombre, le vaillant Harchi.
Là, au milieu du salon dont la plupart des meubles étaient encore recouverts de grands draps blancs, la jeune Rousse réfléchissaient aux derniers évènements de ces quelques jours et à ceux à venir. La Colère, la joie, l'impatience et la déception qui se partageait les battements de son cœur ne s'étaient pas encore apaisées. L’incandescente oscillait entre colère noire, et désespoir sans fin, crise d'euphorie et crise de larmes, si bien que nul n'osait lui parler tant qu'elle même n'en manifestait pas l'envie. Ô bien sur, la jeune fille avait bien senti le regard compatissant de son Valet posé sur sa silhouette lorsqu'elle feintait de lire. Le Soldat n'était pas dupe, elle en avait parfaitement conscience et Il faut bien l'avouer, puis lire le livre des Vertus à l'envers ne devait sans doute pas aider pour l'illusion.

Ce Matin là, était donc un matin habituel dans la maisonnée où régnait le silence. Une bonne odeur de lard fumé, de soupe épaisse et de pain chaud se rependait dans le salon comme un signal pour passer à table pour le petit déjeuner. Les pas lourds d'Harchi raisonnaient déjà dans l'escalier. Doucement la Rouquine se leva de son banc rembourré et recouvert d'étoffe finement tapissée. Manger un peu ne lui ferait pas de mal à la Frêle, bien plus fragile et fine qu'à l'accoutumée. Seule le bruissement de sa robe miel caressant le parquet, trahissait son mouvement dans la maison. Même ses petits talons ne claquaient pas.
Elle se trouvait devant l'entrée quand trois coups se firent entendre sur la lourde porte en chêne. Implorants les émeraudes se posèrent sur la porte de la cuisine. "Pourvu qu'Harchi vienne ouvrir, je n'ai envie de voir personne." Mais personne ne sembla sentir son désarrois, il semblait même étrange que les deux gourmands qui pour sûr se goinfraient goulument n'aient pas entendu qu'on frappait à l'entrée.

Soupire.

Haussement d'épaule de la Rousselotte. Une expression neutre se dessina sur le visage aux tâches de rousseurs avant de se décider enfin à ouvrir. Et là ...

C'est le drame...

A la vue de sa Mère, le visage pourtant neutre de la jeune fille s'étiolait laissant tomber le masque de bonheur serein qu'elle affichait depuis quelques jours à ces visiteurs. Les sourcils se fronçaient doucement tandis que le palpitant cognait violemment. Reste calme petite Flamme, ne brûle donc pas tout de suite ta colère, elle est venue jusqu'à toi, écoutes la dont.
Une grande inspiration fut prise avant d'enchainer sur un ton monocorde savamment travailler, retrouvant par la même sa désinvolte expression.


- Ah ! ... C'est vous... Hum ! Vous tombez mal, Nous allions passer à table pour le petit déjeuner.
Mais je suppose que vous désirez entrer ? Soit ...


Sec, froid pour ne pas dire glacial. Cruelle ? Oui elle l'était. Indubitablement. Inéluctablement. Sais-tu combien j'ai souffert de ton Silence Mère ? Souffres donc de mes paroles qu'elles glissent sur ton cœur comme des lames de rasoir. Comme ton silence a ouvert le mien en un gouffre sans fin.
Le bras lentement est tendu et la Flammèche exécute un pas de coté afin de la laisser entrer. Nul sourire, nul signe permettant de montrer à la Rousse Mère qu'elle est bienvenue et ce même s'il est incontestable que la jeune fille est très heureuse de la voir debout et a priori en bonne santé - (Elle n'a pas encore vu la blessure). Plutôt crever que de lui montrer. Et elle continua sur le même ton.


- Bertille vous trouveras bien de quoi manger. A tout les coup elle a du en faire trop comme d'habitude. La cuisine est à gauche devant l'escalier, allez-y.
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Aldraien
    Et tout son monde s’écroule…

    Dans sa tête, elle avait imaginé cette scène de retrouvailles des centaines de fois, tous les scénarios y étaient passés, y compris se faire fermer la porte au nez ; mais la réalité promettait d’être bien pire que le pire des cauchemars. Bien sûr, elle savait que la jeune femme n’allait pas lui sauter dans les bras en la remerciant d’être venue et en lui disant combien elle l’aimait, ça aurait été trop simple, et pas du tout adapté à la situation telle qu’elle était aujourd’hui, mais là…
    L’indifférence.
    Le pire des mépris, que la mère ne pouvait qu’accueillir comme une punition bien méritée. Elle n’osait même pas la regarder dans les yeux, tant elle savait que les émeraudes juvéniles étaient assassines à cet instant bien précis. Souffre donc, idiote, de voir comme ta fille a pu souffrir de ton absence. La silhouette qu’elle avait à peine observée lui révélait que Marie-Amelya avait maigri, elle semblait fragile, mais son attitude n’avait rien de celle d’une enfant, bien au contraire ; si la mère ne connaissait pas sa fille, elle aurait juré que la petite était bien plus âgée qu’elle ne l’était en réalité, tant le poids des soucis semblait l’écraser.

    Elle, si elle n’avait pas spécialement maigri, semblait néanmoins être peu à peu rattrapée par le poids des années ; les cheveux blancs s’étaient multipliés dans la chevelure pourtant encore bien flamboyante pour ses trente cinq ans ; les rides s’accentuaient doucement pour devenir visibles au coin de ses yeux et de ses lèvres, bien qu’elle soit toujours loin de faire son âge.
    La main dans son dos trahissait la blessure qu’elle tentait de camoufler en se tenant aussi droite que possible, mais elle ne réussit pas à cacher la pâleur de son visage s’accentuant brusquement lorsque sa fille prit la parole ; une violente nausée lui retourna l’estomac en partant du fond de ses entrailles.
    Comment sa fille pouvait-elle à ce point se montrer distance avec elle qui l’aimait de tout son cœur ?
    Mais parce que tu ne lui as pas montré, justement, que tu l’aimais, bécasse ! Une mère qui aime sa fille ne part pas des semaines durant sans donner de nouvelles. Une mère qui aime sa fille s’intéresse à elle, à ce qu’elle fait, à ce qu’elle devient.
    Bien sûr, elle l’avait fait, discrètement ; demandant à sa sœur de lui donner des nouvelles, de lui dire comment la petite se débrouillait au Conseil Comtal, mais c’était bien loin de suffire.

    L’invitation à entrer n’en ai pas vraiment une, et elle le sait. Les cuisines ? Comme si elle avait faim, à cet instant précis. Pourtant elle entre dans la demeure où elle avait déjà vécu quelques jours, bien qu’elle ait essentiellement connu la chambre de la petite rousse, elle fait mine d’avance sans un mot, tête baissée, n’ayant toujours pas osé la regarder.
    En elle, une voix qui se fait conscience lui intime l’ordre de partir d’ici, qu’elle n’est pas la bienvenue dans la demeure de cette jeune femme pourtant présente dans sa vie depuis des mois et qu’elle ferait mieux de la laisser à sa liberté retrouvée pendant son absence. Mais la Malemort la renvoie d’où elle vient et se retourne, faisant face à sa fille venant tout juste de refermer la porte.
    Tu ne peux plus t’échapper maintenant, il va bien falloir l’affronter ; lui souffle encore la voix.
    Un genou tombe à terre, tandis que la voix brisée par l’émotion s’élève enfin, le visage est parsemé de mèches rousses et argentées, et ce qu’elle a sur le cœur s’éclaire enfin, la Baronne mettant sa fierté légendaire de côté pour se livrer à sa fille, son bourreau qui décidera de l’épargner ou l’achever.


    - Ma fille…Je sais que je t’ai fait souffrir, je sais que j’ai été indigne de la confiance que tu as pu avoir placé en moi et que j’ai trahis injustement ; je suis partie en mission en te sachant seule à Guéret…Je pensais que tu saurais rentrer à Limoges sans aucun soucis, mais j’aurais dû m’en assurer…En Domaine Royal, nous voyagions tous les jours, nous nous battions…Je ne vous ai jamais oublié, jamais…Pas une seule seconde, je n’ai arrêté de penser à toi et tes frères, ta sœur. J’ai…Je vous ai négligé, en voulant faire mon devoir jusqu’au bout…Je suis fautive, et je m’en veux terriblement.
    Mes nuits sont peuplées de cauchemars, lorsque j’arrive à dormir…
    Tu es devenue une femme, aujourd’hui…


    Elle s’arrête, essayant d’avaler sa salive, et lève enfin ses yeux baignés de larmes sur elle.
    Qui aurait imaginé un jour voir la rousse supplier quelqu’un ?


    - Tu as mauvaise mine…
    Je t’en prie…Laisse moi revenir…Laisse moi veiller sur toi à nouveau. Laisse moi être ta mère…


    Ouvre-toi…

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Mahelya
    La fuite en amour ne vaut que pour celui qui a cessé d'aimer.

(de Eugène Cloutier Extrait du Les Inutiles)

Alors non la Rouquine ne fuit pas... Elle reste, elle observe, elle détaille, elle constate. Même si elle se sent prise au piège, la Rouquine resta immobile. Le palpitant déjà éprouvé par cette visite inattendu tambourinait de plus en plus fort contre la poitrine naissante de l’Étincelle. La tête de la Jeune fille se pencha d'abord à droite, puis à gauche. Elle écoutait, sagement elle entendait. Du moins c'était en apparence, en ses entrailles se jouait une vraie tempête. Colère, Rage, Tristesse, Angoisse, et Lassitude s’étripaient tour à tour dans un combat incessant, faisant des pensées de la Jeune Fille un véritable flot de parole continue mais sans corrélation. * Tu pensais vraiment qu'il suffisait que tu te présente devant moi pour que je te pardonne ? Relève-toi Mère, je n'aime te voir ainsi ? Tu m'as abandonné ! Tu mériterais que j'en fasse autant là avec toi ! Arriverai-je à te pardonnez un jour ? Non Mère ne pleure pas ! * L'affrontement des pensées était d'une telle violence que pendant une fraction de seconde, la Flammèche pensait s'écrouler sous leur poids tant elle avait mal au crâne. Comment pouvait-on pardonner un nouvel abandon à la Mère que l'on avait choisie ? Comment pouvait-on ne pas absoudre celle que l'on aimait comme une Mère.
Le Visage encore juvénile resta pourtant avec la même expression neutre. Il y avait un avantage à travailler au Conseil Comtal : On apprenait à maitriser ses émotions aussi violentes furent-elles.

Les prunelles se voulant dures se posèrent alors sur la silhouette de la trentenaire. La Pâleur de ses traits frappa la Rousselotte, et déjà les images de sa Mère se tenant le dos quand elle lui avait ouvert la porte s'imposèrent à sa mémoire. * Mère es-tu blessée ? Pourquoi es-tu si pâle ? Qu-est-il donc arrivé ? * La Mère Rousse ne devrait surement pas répondre à cette question… Si la Flammèche apprenait que sa Mère était passée jouter en Limousin et Marche, cela finirait de l'achever… Le cœur, en plus de battre d'un rythme dangereux se serra lentement graduellement, au point que la douleur en devint insoutenable. Il fallait mettre fin à leur supplice. Sa Mère n'était pas une soumise, et elle même n'était pas si docile. Pardonner ? Pour l'Incandescente s'était trop tôt, elle ne pouvait balayer soixante dix jours de solitude et de travail harassant pour oublier. Elle ne pouvait lutter contre ce sentiment d'abandon qui avait le monopole de son ressenti depuis quelques années. * Ne m'avais-tu pas promis qu'avec toi ce serait différent ? *
Les larmes, vicieuses, pernicieuses noyaient le regard sinople de la jeune fille, à peine retenue du bout des cils. En vérité bien plus qu'à sa Mère, s'était à elle-même qu'elle en voulait. Pourquoi avait-il fallu qu'elle ouvre son cœur et accepte de devenir une adoptée ? Mais parce qu'elle aimait la trentenaire…
Le calvaire et la torture de la scène durait depuis bien trop longtemps. Pourtant, impossible de pardonner pour le moment, les mots n'arrivaient pas à franchir les lèvres purpurines.

Alors, elle avança, posant un regard qui se voulait neutre sur celle qui pliait genoux devant elle, mais ceux qui la connaissaient vraiment pouvait très certainement lire les tourments qui la secouaient dans tout son être. Baissant la tête, elle passa à coté d'Aldraien, une larme perla bien vite, heureusement ses longues boucles dissimulaient son visage à sa Mère. Indifférence… Voilà ce qu'elle voulait que la Rousse trentenaire ressente. C'était sans doute puéril comme vengeance, mais c'était œil pour œil, dent pour dent.


- Suffit !

La voix brisa le silence du vestibule. En tendant un peu l'oreille, Mahelya entendit le bruit d'un tabouret que l'on trainait sur le sol de la cuisine. Sans doute Harchi avait-il entendu toute la conversation et préférait ne pas s'en mêler. Et il avait raison, là à cet instant dans cet espace, cela ne concernait qu'une Mère et une fille. L’écho de l'ordre de la Flammèche raisonnait encore quand à nouveau elle mit fin au silence, la voix plus douce cette fois mais ce n'était pas encore la tonalité enjouée qu'on lui connaissait de coutume.

- Relevez- vous ! Il n'y a personne devant qui s'incliner dans cette maison ! Si ce n'est peut-être Harchi et Bertille. L'un pour nous avoir moult fois sauvées et veillées, l'autre parce que toujours elle nous nourrit. Relevez- vous donc !

* Tu es mon égal et je suis ton égal ! Tu est femme, moi aussi à présent *. La Silhouette frêle de Mahelya, s'avança encore contournant celle de la Malemort sans la toucher, ni même l'effleurer. Pas un bruit, pas un son et comme un peu plutôt seul le bruissement de la robe de la jeune fille, caressant voluptueusement le parquet, trahissait un mouvement dans la maison. Cette indifférence affichée devait faire souffrir la mère, oui, mais brisait le cœur de la Flammèche également. Agile, La Rouquine ouvrit la porte de la cuisine à la volée, les deux domestiques étaient en train de manger, du moins feintait l'action pour que l'Etincelle ne les soupçonna pas d'écouter aux portes, même si assurément c'était bien ce qu'ils étaient en train de faire peu de temps avant. L'odeur de lard grillé et de pain chaud, jusque là suggérée, envahit alors la pièce où les deux générations de Rousses se trouvaient.

- Bertille, s'il te plait, prépare donc la table dans le salon, j'y déjeunerai seule avec ma Mère. Et qu'on nous dérange sous aucun prétexte. Le Roy pourrait bien décider de me faire ouvrir un procès en Limousin et Marche, que vous n'auriez pas à nous déranger ! C'est bien clair ?

* Mère et moi avons besoin de parler, sans non-dits et en toute franchise *. La Cuisinière opinait du chef quand lentement la lourde porte de la cuisine se refermait sur eux. Traversant de nouveau le vestibule de gauche à droite, la jeune fille ouvrit la porte du salon.

- Vous non plus vous n'avez pas bonne mine ! Manger vous fera du bien, inutile de discuter ou de tergiverser ! Vous êtes ici chez moi, vous êtes mon invitée, vous ferez donc ce que bon me semblera.
Entrez, je vous prie et installez-vous.


Et le ton était sans appel. Puisque la Mère était venue jusqu'à la Fille, la Fille avait bien envie de discuter et de comprendre comment elles en étaient arrivées là. Les sinoples juvéniles s'accrochèrent à celles maternelles. Le cœur de Mahelya se serra en voyant les larmes de sa Mère… * Mère, as-tu entendu que je t'ai appelé Mère ? Entres, viens avec moi… Il faut que je t'explique, il faut que tu comprennes…*.
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Aldraien
« Les larmes sont un don. Souvent les pleurs, après l’erreur ou l’abandon, raniment nos forces brisées. » - Victor Hugo -

    Pas un bruit, pas un geste de la part de la Malemort alors qu’elle attendait une réaction de la jeune fille, mélangée entre espoir et crainte. En suspens au-dessus du vide, un câble excessivement fin l’empêchant encore de tomber dans ce gouffre sans fond qui s’ouvrait à elle ; il ne tenait qu’à l’Etincelle de le couper net ou de lui tendre une main secourable pour l’aider à traverser finalement, afin qu’elle se retrouve de l’autre côté saine et sauve.
    La trentenaire est loin de se douter de l’orage qui s’abat dans l’esprit juvénile, mais elle sait que le temps de la réflexion lui semble excessivement long tant elle a l’impression qu’une éternité s’étend devant ses yeux. C’est peut-être réellement le cas, en fait ; ça expliquerait beaucoup de choses. Elle a mis sa fierté de côté, elle l’a enterré au fond d’un trou pour venir jusqu’à sa fille, et a refermé la tombe en mettant un genou à terre pour lui parler. Qu’est-ce que la fierté face à l’indifférence d’une fille ?

    Cruauté.
    La jeune femme - car c’est-ce qu’elle était devenue, indéniablement - passait à côté d’elle sans même la regarder, déplaçant avec elle un vent froid venant geler tous les os de la trentenaire, à moins que ce ne soit l’attitude glaciale d’une Flammèche pourtant incandescente.
    L’exclamation la fige sur place. Elle n’a pas osé bouger, ni même tourner la tête pour suivre son déplacement ; pourtant elle sent sa présence, juste derrière elle. Elle pourrait presque toucher les émotions du bout des doigts, tant celles-ci sont intenses et envahissent l’atmosphère, cette même atmosphère où la rousse mère semble suffoquée, son cœur cognant contre ses tempes créant un bourdonnement dérangeant, tel le prisonnier attendant la mise à mort en regardant toutes ces personnes venues assister à l’exécution comme un divertissement. Suis-je si drôle ?
    Dans un instant, Marie-Amelya la mettrait dehors en lui intimant l’ordre de ne plus jamais revenir dans cette demeure qui n’était pas la sienne, de quitter cette vie dont elle n’aurait de toute façon jamais dû faire partie, pour le bien de l’adolescente. Elle attend le verdict, comme une condamnée sans procès…

    Il ne vient pas.
    Estomaquée, elle cligne des yeux pour retrouver un semblant d’attention sur les paroles prononcées à son encontre. Se relever. Elle n’a pas à s’incliner ici, sauf pour Harchi ou Bertille. Harchi…Était-il ici ? Plus d’une fois, l’homme qui était devenu son homme-lige, et l’Intendant de sa Baronnie, lui avait sauvé la vie.
    Cette première fois, lorsqu’elle s’était effondrée, enceinte, dans la neige, alors que son troisième mandat de Capitaine finissait tout juste ; il l’avait trouvé, et sauvé d’une mort certaine en la ramenant dans la maison où elle se trouvait maintenant. Il avait veillé sur elle depuis qu’elle était entrée dans la vie de Marie-Amelya, et l’avait à nouveau sauvé, cette fameuse nuit où elle avait rencontré Lady Clarisse, une femme aux intentions plus que douteuses, qui avait essayé de l’égorger devant la tombe de celle qui était devenue sa Mère avec son mariage.
    Il avait alors déclaré être l’homme-lige de la Baronne.
    Jamais elle ne pourrait assez le remercier pour cela, mais peut-être, si elle le croisait, pourrait-elle une fois encore lui montrer toute sa gratitude.

    Elle observe les allers et venues, la jeune Etincelle s’adressant à sa fidèle cuisinière, et le cœur de la trentenaire se serra à nouveau. Elle voulait lui parler seule à seule. Mais surtout…Elle voulait lui parler. A elle, à SA Mère…Marie-Amelya la considérait donc encore comme telle. Sa fille l’attendait pour discuter avec elle, et dans les sinoples elle pouvait lire toutes les attentes, toutes les espérances qui habitaient encore le cœur de la jeune femme.
    Amorçant le mouvement pour se redresser, elle grimaça, et s’appuya contre le mur du vestibule pour mieux réussir à se relever. Trop fière pour demander de l’aide…Oui, la fierté était revenue en même temps que l’ordre de se relever, déterrée pour pouvoir s’insinuer à nouveau doucement dans l’attitude de la Baronne.
    La blessure tire, mais elle y parvient, et sa main vient rejoindre à nouveau le bas de son dos dans une énième grimace qu’elle tente en vain de camoufler. Aux paroles de la fille, elle répond en acquiesçant légèrement. Elle sait qu’elle a mauvaise mine, sa blessure a du mal à cicatriser parce qu’elle ne tient pas en place - mais elle n’en est pas responsable, bien entendu - et l’état de sa relation avec sa fille ainée n’y sont bien entendu pas étrangers, mais ça aussi elle a bien du mal à le reconnaître. Elle sent bien que ce n’est pas du tout le moment de contredire la petite rousse, au risque de la voir exploser pour de bon, et essuie d’un revers de manche les larmes dans ses yeux, avant d’avancer fébrilement jusqu’au salon.

    Mais déjà d’autres larmes menaçaient de perler, alors qu’elle s’installait, tête basse, autour de la table, attendant le verdict qui ne tarderait guère à tomber.

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Mahelya
    Tout s’explique, rien ne se justifie.

(de Alfred Capus Extrait du Les Pensées)

* Alors expliques-moi Mère pourquoi je me suis sentie si perdue dans ton silence... *

A peine la voix de l'Etincelle avait-elle finit de raisonner dans le silence de la demeure de pierre que la cuisinière, la Bertille, s'attelait déjà au dressage de la table du salon. Le drap immaculé qui protégeait table et chaises avait été retiré, la table recouverte d'une nappe blanche à passementerie verte sur le rebord et les coins et les couverts d'étain soigneusement disposés. Il ne s'agissait pas d'un grand festin avec plusieurs services, comme il était coutume de faire lorsqu'on avait des invités ou qu'on vivait noblement. Non. La Flammèche préférait la simplicité, et bien que cela dérangeait la cuisinière qui aimait à préparer, inventer, assaisonner, épicer, mitonner petits et grands plats, Mahelya ne demandait pour ses repas, qu'un plat principal et un plat sucré, bien entendu en sus, il y avait quelques douceurs et graines à grignoter.
La Flammèche, glissa sur le sol jusqu'à une chaise libérée, juste le bruissement de sa robe brisait le silence qui était retombé sur la maisonnée. Nul regard n'avait posé sa Mère qui essayait tant bien que mal de se relever. Non. Aucun. A vrai dire, elle évitait d'accrocher ses prunelles sur la silhouette de la trentenaire. En effet, Le cœur de la Jeune Fille hésitait encore entre exploser de colère ou éclater en sanglot et la regarder ne l'aidait pas à garder cette apparence calme bien que glaciale.

En silence, les émeraudes fixées sur un point invisible, les coudes sur la tables et les extrémité des doigts jointes, elle attendait que la figure maternelle ne se joigne à elle. Dans son Esprit, l'Incandescente essayait d'organiser ses pensées, réflexions et reproches. Après avoir accepté de lui parler en tête à tête, elle ne pouvait décemment pas l'agresser de front. Dans les veines de la Rousse modèle médium (Ald' grand modèle, et Alisa modèle réduit) ne circulait que bile, amertume, colère et tristesse. Quand la Licorneuse avait proposait de l'adopter, elle s'était engagée à protéger sa nouvelle fille, à l'aimer et à ne jamais l'abandonner. Pourtant ces derniers soixante dix jours avaient la saveur infâme de l'abandon. C'était cela qui avait meurtri le cœur déjà trop vieux d'une jeune fille à peine majeur et dont la vie se résumait en quelques mots : Abandon, couvent, mort, mauvais sang et fonctions.
Ou était donc l’innocence et l’insouciance habituellement l’apanage qui caractérisait les jeunes gens de sa condition ? Elle ne les avait jamais connu, jamais même envisagé. De tout temps on l'avait forcé à raisonner comme une adulte. Pourtant, il y avait longtemps maintenant, Aldraien s'était engagée moralement à faire d'elle une enfant. Alors comment avait-elle pu la laisser ainsi seule et perdue à devoir autogérer sans même disposer de l'aide d'Harchi ?

La langue claqua son palais tandis que la trentenaire prenait place. L’Étincelle, malgré son bon droit d'en vouloir à sa Mère, ne pouvait s'empêcher de culpabiliser d'avoir tant de rancœur et d'amertume. Mais la peine éprouvée était au moins proportionnelle à l'amour portée à cette personne.
Les émeraudes de glace, se posèrent sur le visage qu'elle n'avait pas revue depuis longtemps. Là, la tête baissée, les larmes menaçant de s'écouler, la Jeune fille en ressentait presque de la pitié et de la compassion. Pourtant quand elle prit la parole se fut le même ton cinglant qui déchira le silence.


- Pourquoi n'avez-vous pas tenue la promesse que vous m'aviez faite il y a quelques années maintenant ?

Direct, clair, concis. Inutile de tourner autour du pot. * C'est pour cela que je t'en veux tant Mère et c'est bien ça que j'ai du mal à pardonner ! *
Sur la fin de la phrase Bertille, arriva avec deux assiettes fumantes de ragoût d'agneau. L'odeur était alléchante mais elle ne semblait pas atténuer l'atmosphère lourd qui s'était installé dans le salon. Aussitôt les dames servit, la porte se referma les laissant seules face à face. D'un signe de tête Mahelya désigna l'assiette d'Aldraien.


- Mangez avant que cela ne soit froid.

Le ton est sans appel et la trentenaire aurait tout intérêt à obtempérer. Le teint pâle de la Malemort inquiétait la Carsenac adoptée, bien qu'elle ne laissait rien transpirer sur son visage aux tâches de rousseurs. Se saisissant elle-même d'une cuiller, elle entreprit doucement de ripailler bien que l'appétit l'ait quitté depuis l'arrivée de sa Mère. Entre deux bouchées, elle trouva tout de même la force de parler d'un ton plus calme.

- Savez-vous que c'est cela qui me blesse ? Cette promesse que vous n'avez pas tenue...
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Aldraien
« En disant deux fois pardon, tu ne pardonnes pas deux fois, mais tu rends le pardon plus solide. » - William Shakespeare –

    La nourriture était déposée sur la table, bien loin d’ouvrir l’appétit de la Malemort malgré l’odeur alléchante ; elle n’avait pas faim et si elle mangeait un peu aux repas, elle le faisait souvent uniquement pour pouvoir garder un peu d’énergie au quotidien, mais ce qu’elle faisait, elle le faisait sans volonté et sans motivation. Heureusement, le Pavillon restait là pour occuper ses journées, ainsi que ses enfants avec qui elle passait autant de temps que possible…hormis Marie-Amelya, qui laissait une absence douloureuse dans la demeure familiale ; Arthan, disparu on ne savait pas où ; sans compter sur Hannibal, parti en Normandie se soigner alors que sa santé était devenue bien trop inquiétante.
    On l’aura compris, il ne restait que Kylian et la jeune Alisa-Nebisa pour l’accompagner à Ussac, avec bien entendu son cousin Louis-Arthur, et futur vassal. Futur vassal qu’on l’avait accusé de vouloir marier à la rouquine modèle médium, à tort bien entendu car elle n’aurait jamais uni sa fille à un jeune homme qu’elle considérait presque comme son fils. Il avait grandi avec Kylian, Guilhem et Arthan, autant dire qu’il faisait partie intégrante de la famille, et qu’il était hors de question pour la rousse de le mettre à la porte parce qu’il avait atteint la majorité, au même titre qu’elle ne mettrait jamais l’un de ses enfants.

    La première question de la rouquine alors qu’elles s’étaient toutes deux installées lui fit se mordre la lèvre. Elle se souvenait aisément de tout ce qu’elle avait pu dire à la jeune femme, et se souvient de la joie qu’elle avait lu dans les yeux de la petite, de ses larmes de joie aussi, lorsque la Malemort lui avait demandé de rejoindre sa famille, de la promesse qu’elle lui avait faite de ne jamais l’abandonner, de ne jamais la trahir, de ne pas la laisser seule, une fois encore.
    Elle se souvenait également des étreintes, des larmes, des questions auxquelles la Malemort avait du répondre ; de cette première fois où Marie-Amelya avait dû faire face aux peurs de l’Etincelle face à un corps changeant qui la transformait peu à peu en femme accomplie. Elle se souvenait de son premier chagrin de cœur, elle se souvenait avoir remonté les bretelles d’un homme qui n’avait pourtant rien demandé, pour la bonne et simple raison qu’il avait fait croire de fausses choses à la Flammèche. Elle se souvenait encore les chamailleries de la fratrie, entre Kylian, Arthan et Marie-Amelya, leurs plans machiavéliques pour la faire devenir folle et qui marchaient relativement bien, en général.
    A ces souvenirs, un sourire naquit sur les lèvres de la Malemort qui n’avait pourtant plus eu cette chance depuis bien longtemps ; ils étaient une famille, et jamais personne ne pourrait retirer cette vérité. Mais avant que sa fille ne prenne son ombre de sourire pour de la moquerie…


    - Te souviens-tu de tous les moments que nous avons vécu ensemble ?

    Parce que moi, je m’en souviens.
    Les sinoples grisés se posent sur l’assiette qui lui a été servie. Un ragoût d’agneau qui, bien qu’il ait l’air succulent, ne réussissait pas à ouvrir l’appétit de la Mère ; une merveille réalisée par Bertille, car cette femme faisait des merveilles, c’était un fait.
    Quelques temps auparavant, elle aurait eu droit à un sermon de la jeune fille sur l’importance de se nourrir pour ne pas tomber malade, la rousse modèle médium aurait utilisé un stratagème donc elle seule avait le secret pour réussir à ce que la Malemort mange ; mais pas cette fois. Cette fois, c’est un ton autoritaire, pour ne pas dire glacial, qui accueille son manque d’appétit ; et ne voulant pas contrarier l’Etincelle, elle mangerait un peu, à contrecoeur. Une cuiller rejoignant sa bouche, elle mâchait lentement, peinant à avaler mais s’y forçant lorsque la nouvelle question qui n’en était pas vraiment une fut mise sur la table. Reposant son couvert aussitôt, les aciers cachant les sinoples, signe chez elle que quelque chose n’allait pas, se posèrent sur sa fille.


    - La dernière fois que tu m’as forcé à manger, te souviens-tu ? Au Pavillon des Emissaires, alors que j’attendais ta sœur ; tu as utilisé un stratagème très intelligent en te servant d’Hannibal et Elisa…Et ça avait marché.
    Ma promesse n’a jamais quitté mon esprit, pas une seule seconde depuis que je l’ai faite, et quoi qu’on en dise je n’ai toujours eu qu’une parole. Je t’ai promis une famille, je t’ai promis de ne jamais t’abandonner, je t’ai promis d’être là pour toi, d’apaiser tes craintes et de t’aimer. Et je t’aime, Marie-Amelya, je t’aime profondément, d’un amour que même la mort ne pourrait briser, n’en doute jamais. Je suis fière de toi, de tout ce que tu entreprends…Tu sais, en revenant en Limousin, j’ai parlé à Seleina…Elle a dit que tu étais une petite fille merveilleuse et que je pouvais être fière de toi car le travail que tu accomplis est tout simplement formidable. Je n’avais pas besoin qu’elle me le dise pour le penser…En te voyant si accomplie, j’en ai oublié que tu étais encore une enfant. Je te demande pardon…Mais je ne t’ai jamais abandonné, jamais je n’ai cessé de penser à toi. Oui, j’ai été absente longtemps, plus de deux mois, et je m’en veux énormément de n’avoir pas été là pour toi ; cela efface-t-il tout ce que nous avons vécu jusqu’à présent ? Cela efface-t-il l’amour que je te porte ? L’amour d’une mère pour sa fille ?

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Mahelya
    Il faut compenser l'absence par le souvenir. La mémoire est le miroir où nous regardons les absents.

(de Joseph Joubert, Extrait des Pensées)

Malgré l'attitude calme adoptée un peu plus tôt, les émeraudes juvéniles restaient froids, distants, fuyants, n'osant se poser et s'accrocher à la silhouette de sa mère, mirant sans relâche le contenu de l'assiette encore fumante qu'elle avait sous le nez. La question posée avait fait mal à la trentenaire cela s'entendait dans sa voix alors qu'elle répondait à la question fermée. Une pointe de jubilation s’insinua dans le cœur meurtri de la toute jeune fille. C'était mal de penser ainsi, c'était mal de se complaire dans cette situation tendue, mais pourtant c'était bien le but que la Flammèche avait recherché. Les gestes de l’Étincelle étaient lents, d’apparence calme et maitrisée. Doucement la cuillère montait à ses lèvres pour y déverser le ragout chaud et nourrissant, tandis que les cils rougeoyant restaient prostrés vers le bas. * Tu ne mérites pas mon attention * Voilà ce que semblaient dire les gestes calculé de la petite Flammèche, pourtant elle écoutait, avec attention, concentration et application. Elle savait la moindre erreur de sa Mère fatale.

Voilà bien longtemps que l'innocence n'habitait plus ce cœur pourtant jeune, mais jamais encore elle ne s'était révélée si machiavélique. Voilà qu'elle s'avançait sur une pente glissante. Allait-elle vendre son âme ? Et rendre coup pour coup avec les intérêts ?
Prends garde petite flamme, Es-tu sûr de vouloir prendre ce chemin là ? Reste donc le feu qui réchauffe et ne devient pas celui qui brûle... lui soufflait une petite voix maline.
A ce murmure le palpitant de Mahelya se serra, mais elle n'avait pas pour autant décidé de baisser les armes si facilement. Alors, l'air de rien, elle reposa sa cuillère puis s'essuya la commissure de ses lèvre à l'aide d'un serviette brodée. Mais toujours aucun regard envers sa mère. La main gracieuse, se leva ensuite afin de se saisir du verre de vin, qu'elle porta à son tour à ses lèvres. Une gorgée pour la contenance, une seconde pour le courage, Et enfin une troisième juste pour énerver sa Mère qui n'aimait guère voir sa fille boire.
Enfin, en reposant le récipient, les émeraudes se frottèrent aux aciers maternels et le temps se figea, l'action se suspendu et le silence tomba.


- Une enfant dites-vous ? Le sourcil se leva en même temps que s'esquissait sur les lèvres l'ombre d'un sourire carnassier. - Vous savez très bien que je n'ai jamais été une enfant à proprement parlé. N'est-ce pas ? N'aie-je pas porté très, trop tôt de lourds fardeaux ? Je n'ai jamais eu l'opportunité d'être cette enfant que vous me décrivez. Vous le savez parfaitement, cessons les faux-semblants... Je vous en veux Mère ! Oh oui je vous en veux énormément.

Petite pause. Les émeraudes se brisaient et bientôt pointerait quelques perles d'eau salées.

- Mais je m'en veux plus à moi encore. Je m'en veux d'avoir eu la naïveté de croire qu'avec vous, je serai cette enfant. Celle dont on attend rien si ce n'est d'être polie. Celle qui peut jouer et être insouciante. Celle qui rit et croit aux histoires de princesses, de princes et de dragon que lui racontait son frère. Celle qui ne sait pas que cette vie est pourrie et que quoique l'on fasse, on sera toujours trahi, par des amis, des inconnus ou sa propre famille.

La première goutte glissa le long de la joue aux tâches de rousseurs Le poing frappa la table alors que la Frêle se levait d'un bon. Les larmes si longtemps contenues ruisselaient à présent joyeusement.

- Alors non ! Je vous le dis ! Cela n'efface rien de nos moments, de l'amour que je vous porte, et de celui que vous dites me porter. Non rien n'est oublié. Tant de fois j'ai imaginer votre visage souriant et vos bras tendus vers moi comme avant. Non tout reste bien gravé au fond de ma mémoire. Juste que tout est entâché par la crainte de "à quand le prochain abandon" ? Et plutôt que de vivre avec cette crainte, je préfère ne pas aimer...


La voix devenue murmure se mourut dans le silence du salon. Ne pas aimer... Comme si c'était si facile... Le petit corps de la Rousse modèle médium était agité de tremblements tant elle tentait de retenir ses larmes. Après un ultime combat de regards, le Flammèche baissa le sien. * Va, je ne te hais point. * (*)

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(*) Litote (déf : Utilisation d'une expression suggérant beaucoup plus que ce qu’elle dit réellement) extraite du Cid de Corneille. Ici veut dire je t'aime.
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Aldraien
« Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants » - Antoine de Saint-Exupéry -

    Manger n’était vraiment pas sa préoccupation principale à l’heure actuelle, c’était même devenu complétement secondaire face à la situation qui lui nouait de plus en plus tout l’organisme à mesure que les minutes s’égrenaient. Autant dire que si elle avait essayé, tout en la regardant l’ignorer superbement, elle en aurait certainement été malade ; elle ne pouvait qu’assister, impuissante, à l’indifférence d’une fille pour celle qui l’avait élevé et qui tâche à présent, bien maladroitement, d’obtenir un pardon pour une faute qu’elle a reconnu.
    Pour un peu, ce qu’elle avait déjà ingurgité aurait pu menacer de prendre le chemin inverse, mais elle sait se tenir la Baronne, même en proie au désespoir le plus total. Pourtant les mouvements lents et calculés de la jeune femme assise à ses côtés sont comme autant de coups de poignard qu’elle reçoit en plein cœur. Elle qui a souffert mille morts physiquement, elle ne pensait pas possible une telle souffrance sentimentale ; il n’y avait bien que l’un de ses enfants pour pouvoir ainsi la blesser au profond de son âme.

    Et lorsque leurs regards se croisèrent enfin, lorsque Marie-Amelya lui accorda enfin une once d’attention visuelle, la Malemort faillit s’écrouler. Ce sont ce genre de regards qui vous font perdre pied, où tristesse et colère se mêlent à la déception pour la transcender et la porter aux nues ; on s’y noie, on s’y meurt, on en reste bouche bée comme après un coup de poing en plein estomac, et pourtant il faut réagir ; se raccrocher à la falaise pour ne pas y sombrer.
    Et son regard s’ancre à celui juvénile de l’adulte encore trop jeune, désespérée de ne pas y lire une goutte d’amour, mais ne dit-on pas que de la haine nait l’amour et inversement. Me hais-tu, ma fille ? Ces perles de sel qui noient ton regard sont-elles du regret ou de l’espérance, à moins qu’ils ne s’agissent d’un savant mélange ?
    Et les nuages livides qui voilent mon regard, crois-tu qu’ils jouent la comédie ? Non, tu connais ce regard, tu sais ce qu’il représente, tu sais y voir les fenêtres de l’âme, tu sais les décrypter comme on le ferait d’une mélodie pour mieux l’apprivoiser ; malgré ton envie de provoquer, de boire pour faire enrager celle qui n’a jamais aimé voir ses enfants faire cela.

    Elle aurait aimé et venir prendre la jeune fille dans ses bras, mais en était incapable. Le flot de paroles plein de rancœur et de tristesse de la petite rousse face à la réalité implacable que la vie lui a imposé l’assommait presque littéralement, et la faisait s’affaisser sur elle-même à mesure que le débit augmentait.
    L’explosion.
    Le cœur de la Malemort s’arrête alors que l’Etincelle s’enflamme et tape du poing sur la table. Elle qui était toujours si calme d’ordinaire prouvait à cet instant que même le plus calme des fleuves pouvait devenir torrent si l’orage durait trop longtemps. Elle pouvait elle-même supporter le poids de ses fautes, comprendre que la Flammèche lui en voulait terriblement, mais la voir ainsi se fustiger d’avoir été trop naïve avait le don de saigner encore plus l’âme déjà bien éprouvée par les larmes salées qu’elle voyait dans le regard qu’elle avait rêvé innocent mais qu’elle découvrait plein de ressentiments. Désarmée face aux larmes salines, la pourtant si fière Aldraien n’avait eu d’autres choix que de baisser les yeux, vide de tout.

    Mais elle ne pouvait pas la laisser dire qu’il ne fallait plus aimer. Car elle était Amour, et était en mesure d’en offrir aux personnes qui l’entouraient, à tous ceux qui l’aimaient en retour, pour se lier avec eux et être toujours entourée.
    Alors elle se lève, posant ses deux mains sur la table bien à plat pour stabiliser ses pensées en même temps que son corps tanguant par tout ce qu’elle a pu recevoir de plein fouet ces dernières minutes, et s’approche du corps tremblant d’une enjambée qui lui sembla interminable tant elle était douloureuse pour sa cheville. A sa hauteur, une main maternelle vint essuyer les quelques larmes qui coulaient sur les joues juvéniles.


    - S’il y a une chose que je pense t’avoir appris, ma fille, c’est que c’est…C’est en prenant des risques qu’on avance. Ne pas aimer t’empêchera peut-être des déceptions…mais il est certain que cela t’empêchera également de t’épanouir et d’être heureuse.

    La fin de sa phrase ponctuée par une étreinte que les deux femmes connaissaient bien. Une main dans les cheveux de sa fille, l’autre dans son dos, la calant doucement sur son épaule. Et un murmure :

    - Pardonne moi…Je sais que ma parole n’a plus de valeur à tes yeux, mais je n’ai jamais voulu t’abandonner…Je t’aime.

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Mahelya
    La réalité ne pardonne pas qu'on la méprise ; elle se venge en effondrant le rêve, en le piétinant, en le jetant en loques dans un tas de boue !

(de Joris-Karl Huysmans - Extrait de Là-bas)

Tombent enfin les masques, voilà la réalité. La dureté apparente révèle peu à peu la douceur dissimulée. Et la Fine succombe et lâche enfin prise. Là, blottit contre le sein maternelle, elle exulte enfin la rancœur et la peine. Chaleur réconfortante et battement de cœur qu'elle avait cru oubliés. Le venin noir de son âme s'écoule abondement en eau claire, de ses paupières. Les cils battent, pour faire glisser les perles d'eau salée rebelles, comme pour imprimer un avertissement sur la tenue de la Mère. * Ne recommence pas, Jamais ! Je te ne pardonnerai pas la prochaine fois *. Et le silence, témoin privilégié de retrouvailles s'installe dans le salon. Il reste, il s'accroche. La flamme de la chandelle sur la table vacille. Le fumet du ragout se fit plus léger. Les deux femmes ne bougent plus, et le corps de la Flammèche tremble. * Vois-tu Mère ? C'est cela que je désirai... Et c'est cela que je n'aurai plus, je suis adulte maintenant, mais laisses-moi pour quelques minutes encore être une enfant... *. Aucun mot ne transcende le silence confortablement installé, seule la respiration de la jeune fille se fait plus profonde. L'odeur de cuisine a disparue, le plat est froid. Impossible de manger maintenant.

Il avait suffit d'un geste pour que le mur de certitude de l’Étincelle ne se brise. Une étreinte, une accolade, une embrassade d'une mère à sa fille, deux mains rassurantes posées sur son petit corps, plus fin qu'à l'ordinaire. Les souvenirs s'étaient imposés alors. Le manque s'était fait ressentir. Où était cette chaleur tant espérer lorsqu'elle était seule à Guéret ? * Non Mère ! Rien ne fut oublié ! Vous m'avez tellement manqué ! *. Silence, silence qui se joint à l'accolade d'une Mère à son enfant. Pas un bruit, pas un mouvement. De l'autre coté de la porte de chêne, on devine la cuisinière s'activer, et le Valet veiller, mais rien ne vient interrompre les deux femmes. Le temps se suspend, la scène se fige. * Que dois-je faire à présent ? Je t'en voulais tellement… Je t'aime tellement…*. Alors, soudain, la dextre de la Rousselote se glisse doucement sur la taille maternelle. * Je ne te repousse pas, mais j'ai besoin de temps. Mais n'est-ce pas déjà un pas encourageant ? *

Les minutes s'allongent, les secondes s'étirent et le silence envahissant, alourdi l'atmosphère. Que dire, que faire ? Toujours les mêmes questions, doutes persistants. Elle qui était si sur d'elle il y a quelques heures... Les larmes s'écoulent toujours et le corps tremblent encore, mais l'Incandescente ne se défait pas de l'étreinte maternelle. Non ! Cette étreinte qu'elle pensait perdue à jamais, voilà que c'est la Mère qui lui offrait. Celle qu'elle avait rabroué et rejeté, venait la chérir. Alors les volutes de l'incertitude se dispersent. Et peu à peu le geste devient naturelle, la tête se pose plus encore contre l'épaule, et la Fine s'abandonne contre le corps d'Aldraien. Elle déglutit, elle veut la parole. Mais les mots trop longtemps retenus, ont du mal à franchir les lèvres purpurines. Elle inspire, elle expire, ses sinoples disparaissent sous leurs volets de chair, et dans un souffle :


- Je vous aime aussi.

Quatre mots salvateurs s'extirpent de sa gorge, mal-assurés, malaisés, maladroits sans doute, mais que faire d'autre ? La forteresse s'écroule, les murs se fissurent, la volonté de ne pas pardonner s'étiole. * Mère gardez-moi dans vos bras ! Je suis perdue ! *. Et l'eau clair s'écoule plus encore des cils roux tandis qu'une main mal-habile tente délicatement d'en faire disparaitre les sillons sur les joues aux tâches de rousseurs.

- Oui ... je vous aime ... c'est ce qui m'a fait mal...
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Harchi
Il y avait eu des éclats de voix, des poings sur la table pourtant maintenant tout semblait se calmer. Il aurait donner cher le Vieux Valet, pour savoir ce qu'il se disait dans ce salon. Pourtant il était resté dans la cuisine à faire comme si il n'entendait pas les reproches que la voix de sa Filia (*) hurlait à l'encontre de celle qui avait toujours été une Mère pour elle. Bien qu'il n'eut rien dit, cela le touchait beaucoup, car il savait que derrière l’apparente amertume de la Petite Flamme, se cachait en fait un cœur blessé, qui avait cru qu'on l'abandonnait une fois encore.
Lui, Vieux reître qu'il était savait à quel point un champs de batailles pouvait être atroce au point qu'il en devenait impossible de mettre des mots sur le spectacle qu'il offrait. Peut-être était-ce pour cela que la Rousse Grand modèle n'avait pas écrit à sa fille. Peut-être même en faisait-elle encore des cauchemars.

Le silence avait non seulement enveloppé de son manteau glacial, la cuisine mais aussi le salon. En étaient-elle arrivée aux mains ? Connaissant le tempérament de l’Étincelle, cela ne l'étonnerait presque pas. Non ... Ce n'était pas cela ... Du coin de son œil opalescent, Harchi remarqua que Bertille cherchait n'importe quel prétexte pour apporter quelques choses dans le Salon. Curieuse ? Oui ! Bavarde ? Aussi ! Un vrai commère. Pauvre Cuisinière en mal de potins, dommage pour toi, tu as déjà apporté tous les plats. Il va te falloir attendre à présent. Attendre que la porte des Mystères ne s'ouvre enfin.
Intérieurement, le vieil homme marqué par le temps priait pour que les choses s'arrangent entre les deux Rousses. D'une parce qu'il savait que Mahelya avait besoin d'Aldraien tout comme le contraire se vérifiait aussi. De deux parce que deux volcans en éruption c'était bien trop pour sa vieille carcasse.

Ne lui restait plus qu'à attendre, et prier, là devant ce succulent ragout qu'il n'avait même plus envie de gouter.


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(*) Fille en latin
Aldraien
« L’amour maternel est le seul bonheur qui dépasse tout ce qu’on espérait. » - Sophie Gay -

    Pour une Mère, un adulte reste toujours son enfant. Cela se vérifie aujourd’hui encore. La matriarche serrant sa fille contre elle aussi fort qu’il était possible sans lui faire de mal, souhaitant plus que toute autre chose l’apaiser pour effacer tout ce qui ne pourra pas l’être. Le sentiment d’abandon, elle l’a connu elle-même tant & tant de fois lorsqu’elle était enfant, elle s’était tellement jurée de ne jamais devenir comme son père qu’elle avait fini par lui ressembler. Ce Etienne Chanteloup qui avait fait de son enfance un véritable Enfer en s’absentant tout le temps pour ses « affaires » alors qu’il se rendait en réalité chez ses maîtresses présentes dans toute la région pour engendrer des bâtards de tous les côtés. Qui sait combien de frères & sœurs elle avait encore & qui se baladaient dans la nature ?
    Bien sûr, elle n’avait jamais quitté son foyer pour batifoler à droite ou à gauche. Lorsqu’elle quittait les siens, elle le faisait à contrecœur, pour son devoir. Du moins, c’est-ce qu’elle disait pour se donner bonne conscience.

    La vérité, c’était qu’elle ne pouvait s’empêcher de se battre pour les autres, de vivre pour les autres, pour tous les autres, & qu’elle finissait parfois par délaisser ceux qui comptaient le plus pour elle.
    Enfin, les trois mots. Trois mots qu’un enfant pourrait prononcer aisément, & qui s’étaient si longtemps fait désirer venant de cette jeune fille maintenant adulte. Trois mots si emplis d’émotions qu’elle ne pouvait ne serait-ce qu’imaginer qu’elle aurait pu ne pas les penser sincèrement. Trois mots qui, en quelques secondes, venaient de remplir le vide qui avait consumé son âme. Trois mots qu’elle avait espéré entendre depuis son départ de Limoges pour un voyage qui avait bien trop trainé en longueur.
    Trois mots qui ramenaient la lumière en elle, une lumière peut-être un peu ténue encore, mais qui grandirait encore & encore à mesure que sa fille lui accorderait à nouveau un amour passé & perdu, qu’elle espérait voir briller encore, pour sa survie, & parce qu’elle en avait tellement à donner encore.


    - Plus jamais je ne serais absente pour toi, plus jamais, je te le promets…Sur ma vie, sur tout ce qui m’est le plus cher. Sur tous mes enfants, toi y compris, je jure…Tu pourras toujours compter sur moi pour te guider, pour répondre à tes questions, pour te conseiller, pour t’aimer tel que je le dois.

    Sa main dans les cheveux de la jeune rousse, les mots avaient été murmurés. Silencieuse promesse d’un honneur pour lequel elle n’avait jamais failli…Jamais, sauf ces dernières semaines. Mais elle allait se rattraper, oui, elle allait se montrer digne d’être la mère d’une jeune fille aussi intelligente & douce.
    Un telle joie de pouvoir être la mère de si merveilleux enfants…Qui était elle pour bafouer cet amour de la pire des manières qui soit, par l’abandon ? Non…Elle devait les aimer, les faire rayonner, être là pour eux jusqu’à son dernier souffle, & au-delà s’il le fallait, si le Très-Haut lui accordait un Paradis Solaire auquel elle ne croyait plus vraiment.


    - Tu deviendras une flamme bien plus étincelante que ses astres que nous voyons dans les cieux ma chérie…& je serai là pour te veiller.

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Mahelya
    Il n’y a rien de plus intime, de plus chargé qu’un silence partagé.

(de Leena Lander Extrait d' Obéir)

Il y a toujours un instant où même le simple observateur, pudique, est de trop dans la scène présentée. Son regard sur les choses en devient indiscret, indécent, et parfois il est préférable de savoir détourner les yeux. Il est des intimités qu'il ne faut surtout pas briser et c'était bien le cas présentement. Là dans le salon du seize rue de la Justice, L'Étincelle était dans les bras de sa Mère, chacune murmurant à l'autre des mots qui n'appartenaient qu'à elles, des mots qui avaient été retenus, des mots que toutes deux ne pensaient ne plus jamais prononcer. Les mots : si anodins, si importants, si frivoles, si communs, si lourds parfois. Ne jamais sous-estimer la force des mots. Ils peuvent être réconfortants, gentils, chaleureux, encourageants, tout comme des fois, ils se montrent assassins, blessants... Que devait penser la Rousse Modèle Moyen, de l'absence de mot ? C'était ça qui avait perturbé la Flammèche. Il est toujours possible de répondre à un mot, mais que faire quand il n'y en avait pas ? Alors doucement elle avait tenter de se soustraire aux émotions, de devenir aussi impénétrable qu'une forteresse d'obsidienne. Pourtant, là, dans ce salons, peu à peu la carapace s'était fissurée, et La Mère et la Fille s'étaient enfin retrouvées, même si la cassure avait meurtri les cœurs des deux Volcaniques. Il leur faudrait du temps pour s'apprivoiser à nouveau, du temps pour que la pleine confiance revienne à nouveau. La Silhouette de la frêle s'abandonne déjà contre le corps pilier maternel, et les larmes coulent un peu plus fort. Les mots de sa Mère transpercent son âme.

* Crois-tu vraiment que j'en suis Capable Douce Mère ? Tu me dis Flamme, Maman, mais je ne suis qu'une Étincelle, une toute Petite Étincelle, qui vacille au moindre coup de vent, qui a déjà bien du mal à éclairer ses propre pas. Je n'arriverai jamais à devenir celle que tu espères. Te contenteras-tu de celle que je suis ? *. Les sanglots agitent le corps amaigri, et lentement la joie réchauffe les veines de la Rousseur moyen modèle, pourtant pas question de s'esquiver de l'emprise Mère, savourer encore un peu cette chaleur qui lui a fait tant défaut à Guéret, se délecter du parfum si familier de sa Mère.. Là, figées dans le contemplation de l'Amour, les deux statues marmoréennes resteront encore un instant. Immobile, parfaites représentations de qui fut, ce qui est et ce qui sera. Le temps arrête sa course folle pour leur laisser le temps de penser les blessures qu'elles s'infligent. Quelques paroles murmurées, quelques regards échangés, les corps réunis pour sceller les promesses susurrées. Et les deux Volcaniques resterons là unie dans un semblant d'éternité. La plus jeune essaiera de compter l'histoire qui fut sienne depuis le départ de la Mère. La Mère quant à elle devra se justifier à sa fille, de la blessure qu'elle essaie de dissimuler. Les habitudes, choses naturelles, renaitrons peu à peu, mais bien loin des regards indiscrets. La suite n'appartiendra qu'à Elles, Gardiennes du secret de leurs retrouvailles.

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