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[RP] Répète mon nom.

Manon_

    « Manon, Manon.. Qu’as-tu fait ? »

    L’écho délicieux des mots d’autrefois la berce, et les yeux fermés, elle savoure, se laissant guider par les souvenirs. Aucun n’a su murmurer son nom comme lui de façon si désespérée, aucun n’a su donner à son prénom les échos de la douleur et de la peur comme lui, et pourtant, elle l’a dit à tous les hommes rencontrés. Aucun n’a su, aucun n’a pu. Dans une taverne bourguignonne où elle a échouée, assise à une table vide dans un coin, elle ne voit pas les regards des hommes sur elles, la senestre gratte machinalement à travers le tissu rapiécé du jupon le substitut de jambe, comme pour mieux lisser le bois. Les yeux fermés, elle tangue, on pourrait la croire abrutie d’alcool, elle l’est de rêveries, elle songe. Manon se rappelle avec délectation des derniers mots de l’homme qui l’a fait renaître alors qu’il s’était appliqué à la tuer.

    Mais Papa est mort et Manon rêve, et n’entend pas les hommes arriver près d’elle. Elle sent à peine la main qui se glisse contre sa taille, jusqu’à ce que l’haleine avinée se penche vers elle, et que la voix lui adresse quelques mots qui percent la brume des rêves.


    -« Et bien, tu es seule ? Où est ton mari ? »

    Le regard vague se pose sur l’homme qui lui parle et elle sourit, de ce sourire rendu imparfait par l’estafilade qui le coupe en son milieu, un sourire d’excuse.

    -« Je n’ai pas de mari. Je m’appelle Manon. »

    Et elle se lève, posant sur la table, le dû pour son repas de la soirée, sans un regard au trio d’intrus mâles. L’estropiée quitte la place en boitant avant de rejoindre la rue et ses dangers. Pour elle ? Jamais. Elle se fond dans la nuit, elle est l’ombre qui inquiète les honnêtes gens, la femme qui répugne les bons hommes, le bruit déroutant qui angoisse les enfants. Manon rêve en déambulant sur le pavé, repaissant tout un chacun du bruit régulier du bois qui cogne contre le pavé. Manon a inventé l’alarme, elle est la catastrophe. Derrière elle, un bruit reconnaissable entre tous, le rire de l’homme convaincu de son affaire. Qui s’occuperait d’une vilaine défigurée, seule qui plus est ? Le pas est accéléré du mieux que le permette la jambe factice tandis qu’un sourire se dessine sur l’ersatz de bouche. La scène, elle la connaît par cœur, du regard, elle guette le bout de la rue, la ruelle où il lui faudra tourner, non sans avoir jeté quelques coups d’œil en arrière d’un air paniqué.

    Les pas se rapprochent et elle pourrait rire de sa trop grande confiance en lui qui l’a poussé à se départir de ses compères. Elle pourrait rire mais ne fait qu’en sourire alors qu’elle s’engouffre dans la ruelle aussi sombre que son âme. Le bruit n’est plus si net, il fait écho à la souillure du sol, il éclabousse la fange de la ville et de son cœur, et l’homme vient en un ricanement alors qu’elle touche le bout, touche le fond de la ruelle, sans retour en arrière.


    -« Tu t’es perdue, on dirait. »
    -« Répète mon nom.. »
    -« Hein ? Qu’est-ce tu baves ? Viens donc là que je sois gentil avec toi, je vais t’faire un beau mari pour la nuit, tu vas voir. »
    -« Mon nom.. »


    L’estropiée s’approche de l’homme, et dans la mare limpide de ses yeux, il y a de l’attente, de l’angoisse. Le dira-t-il jamais ce nom ? Les dira-t-il jamais ces mots ? Les mains calleuses se posent, empressées sur son corps, elle résiste pour la forme, gémissant parce que ça les attise toujours un peu. Et alors qu’il pense l’avoir calmée de quelques claques en plein visage, ses braies sont défaites et il en extirpe un vit à l’ardeur exacerbée. La main fine se glisse à la taille comme pour s’appuyer contre le mur en désespoir de cause, les doigts jouent sur le manche qu’elle connaît de mémoire, et en réponse au rire triomphant de l’homme qui la tire du mur pour la jeter à terre, c’est le sien qui répond, sinistre tandis que le pâle rayon lunaire qui s’immisce dans la ruelle, vient se refléter sur la lame du hachoir.

    Un cri mais pas de nom. Dans l’obscurité, elle observe l’homme allongé tenant son entrejambe à deux mains qui pleure et crie, mais aucun nom, c’est si simple pourtant, elle lui a donné. La senestre se saisit de la masse de cheveux pouilleuse, tandis que la dextre officie et que la gorge est tranchée sans précipitation. Un soupir de déception quand elle se détourne, la chausse vient cogner dans le vit esseulé, ver solitaire qui se noie dans la fange sanglante. L’estropiée vient essuyer la lame du hachoir avec le bas de son jupon, et quitte la ruelle, à la lune qui se révèle, elle offre une larme unique qui se repaît de la rondeur d’une joue avant de s’éteindre sur le menton. Le menton est relevé et elle reprend sa route, du moins escomptait-t-elle le faire avant de se cogner contre une ombre. Le regard haineux est rapidement remplacé par un regard plus doux, plus craintif, celui qui sied à une jeune femme seule.


    -« Pardonnez-moi... Je m’appelle Manon. »

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Judas et Eusaias ils m'ont fait confiance. Je vais mouiller ma culotte !
Judas
Il n'a pas vu.

La nuitée est bien avancée, le seigneur a décidé de ne pas découcher ce soir. Il est pressé, cela se sent dans sa façon de marcher, un peu nerveuse, très déterminée. Il sait qu'il est trop tard pour rentrer sans essuyer les remontrances de sa femme ou sans se heurter à son corps fallacieusement endormi, sagement tourné dos à la porte, épiant le moindre de ses mouvements dans le noir. Il sait qu'elle attendra qu'il se couche près d'elle, qu'il ramène le drap contre son torse pour enfin se tourner et lui poser la question fatidique. Toujours la même question. Pourtant il rentre, emmitouflée dans ses cuirs d'automne sa stature se découpe sur le pavé chaque fois qu'elle rencontre un lampion mourant. Il rentre parce qu'à Petit Bolchen, il y a une Isaure enceinte qui fait semblant de ne pas se demander dans quel tripot est encore fourré son époux et qui rassemble pour chaque heure de retard une atrocité - ou une vérité - à lui jeter au visage. Il rentre parce qu'il le faut, parce qu'après avoir commencé son devoir conjugal, on ne peut que le poursuivre. C'est ainsi. Ne jamais commencer.

Il bifurque près de chez le vieux Henrys, le tanneur qui vend plus de sel de contrebande que de peaux d'agneaux, il dépasse quelques tripots qui ne font que l'appeler en se faisant violence. Rentrer. Il est tendu Judas, tellement tendu. Faut-il qu'il soit ainsi pendant encore les longs mois à rebours? Où pouvait-il espérer apprécier son sacerdoce, avec le temps...? Il ne l'a pas vue venir, il a juste entendu un cri la minute passée. Elle est sortie de nulle part, peut-être parce qu'en marchant il avait les yeux qui fouillaient au travers des carreaux de la maison de jeu du coin, c'est la dernière de la rue vous savez. La dernière avant le calme des ruelles dormeuses aux volets fermés et aux familles nombreuses entassées dans leur lit unique. Télescopage sans appel, cette fois Frayner à défaut de bien la voir l'a entendue, réaction imminente. Elle s'excuse, il n'a pas le temps. La voix cassée est plus sèche qu'il n'y parait, il a l'esprit ailleurs et elle vient de le lui ramener sur le pavé. Cela lui déplait.


Hé bien fais attention...

Il a presque pivoté sur ses jambes pourtant il ne s'arrête pas, tournant de coté et marchant quelques pas à reculons pour mieux jauger la femelle qui l'a bousculé. C'est une gamine, il n'observe que de menus détails d'elle, on y verrait mieux dans le fondement d'une génisse... Il se remet dans le bon axe et poursuit son chemin, vaguement amer. Les putains ne savent plus aborder les hommes de nos jours, que voulez-vous, tout se perd. Lorsqu'il prend la ruelle qu'elle vient de quitter il a déja la tête à son retour. Va-t-il lever ses bottes avant d'entrer dans la chambre, simulant un retour en douce ou puisqu'il sait pertinemment de quoi sera fait son sort poussera-t-il le loquet comme il pousserait la porte d'une taverne? Questions existentielles, qui se doutait que la vie d'un "encordé" comme le dirait si bien la Montfort était si palpitante... Lui, ironiquement. Il trébuche sur un tas mou, la ville est de plus en plus sale, c'est d'un exaspérant. Sa senestre vient le sauver d'une vilaine chute sur le pavé glissant, il se redresse le coeur battant. C'était moins une.

Refermant le poing il engage un pas pour contourner son obstacle, mais il se fige à la sensation poisseuse qui s'est étalée sur sa paume. Tout ça ne lui dit rien qui vaille. Il se penche pour mieux découvrir le cadavre mutilé, le visage grimaçant, il rebrousse chemin comme s'il avait butté sur la peste en personne. Là, il a vu.

Comment s'appelait-elle déjà? Il l'a imprimé fugacement, elle sortait de la venelle, là, d'ici même... Tout s'est passé trop vite pour qu'il en déduise quoi que ce soit, on vous l'a dit: Judas Von Frayner avait la tête ailleurs... Mais étrangement, Judas Von Frayner est soudain moins pressé de rentrer.


Attends, Manon!

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Je ne débats pas, je ne tergiverse pas, je joue.
Manon_


    Elle a vu. Elle a tout vu.

    La chevelure soignée, les vêtements de bonne facture et l’air contrarié quand les mots sont lâchés. Pourtant la recommandation si elle est glaciale, n’en est pas moins surprenante, personne ne lui a jamais dit de faire attention, de faire telle ou telle chose, oui. Son père lui demandait toujours de faire quelque chose, toujours avant le pire, mais attention jamais. On ne fait pas attention quand on est boucher, on tranche dans le vif, on démantèle, on broie le corps, les os. On ne fait pas attention. Le regard s’allume d’une lueur d’incompréhension, puis le voilà qui part. Et si l’homme a sorti l’estropiée de son esprit, ce n’est pas le cas de Manon. Manon qui n’a cessé de faire attention depuis son départ d’Aubagne, attention à elle, attention aux détails. La scène doit se poursuivre, et l’opportun ne saurait l’en détourner. Il est le pion, elle est la reine des fous. Le chemin est amorcé en sens inverse, il lui faut retourner à l’auberge et se composer un visage adéquat. Elle la sait par cœur la suite, elle entrera paniquée dans la salle et hurlera au meurtre, le visage dégoulinant de larmes. Elle racontera comment alors qu’elle pensait être violée avant qu’un homme au visage dissimulé ne vienne faire son affaire à son agresseur.

    Soudain, la révélation éclaire la face brisée d’un sourire éclatant. L’homme aurait du faire attention, car quand elle rentrera à l’auberge, le meurtrier pourrait bien devenir un noble aux cheveux bruns soyeux, les nobles ont toujours des armes sur eux. La rue est traversée, et le visage relevé, elle offre à l’astre blafard un regard de connivence, à la lune, elle peut tout dire, et la lune connaît son vrai visage. Car déjà, dans les yeux clairs, viennent s’échouer les larmes, non pas factices, des larmes réelles nées de la désolation et de la frustration. Lui non plus n’aura pas dit son nom. Il n’y a plus que quelques toises entre l’éclairage maigre de l’auberge qui point à l’huis, pourtant, le sort semble s’acharner puisqu’une voix se fait entendre qui l’arrête derechef. Un long frisson qui coule dans le dos, comme lors d’une caresse langoureuse, et voilà qu’elle se retourne pour faire face à l’homme de tout à l’heure. De justesse, elle retient le tic malheureux qui prouverait son agacement, cédant à la curiosité comme on cède à la luxure. Et les larmes sont là pour approuver la vérité qu’elle s’est inventée. Manon souffre, elle vient de manquer de se faire violer et dans la ruelle, il y a un homme mort. La moue est angoissée, le regard cerné de larmes et la lippe tremblante, la tragédienne remonte sur les planches et fait face à son public.


    -« Messire ? »

    Elle bredouillerait presque si cela pouvait ajouter en crédibilité, mais de cet homme-là, elle ne sait rien. Sous la mante rongée par le temps et les éléments, la main fine vient caresser le manche comme on caresserait un amant, de façon intime. Ils se connaissent depuis si longtemps et se sont aimés si souvent. Une fois de plus, ce soir, mais cet homme-là est arrivé pendant les préliminaires et ne veut pas la laisser profiter de sa jouissance. Il lui faudrait aller jusqu’à l’auberge, les savoir tous au courant et accuser un autre pour jouir tout à fait, mais il est là qui la retient. Faut-il qu’il ait une bonne raison pour clore ainsi un si bel acte ? A moins que ce ne soit l’orgasme multiple qui lui soit permis. Les doigts se serrent sur la poignée, les poils se hérissent et la tête lui tourne à l’idée qu’elle pourrait l’entraîner plus à l’écart, et alors, ils feraient leur office. Alors, elle ferait attention. Répète mon nom, et je t’offre le plaisir à trois.

    Un..

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Judas et Eusaias ils m'ont fait confiance. Je vais mouiller ma culotte !
Judas
    [J'ai rien du tout
    J'écris comme ça vient
    & force est de constater que ça vient moins bien le jour que la nuit.
    J'ai du mal avec l'amour le matin.*]



Deux.

Ho foutre, il y a un cadavre là bas! Un ca-davre, tu l'as vu n'est-ce pas?
Pourquoi m'avoir laissé prendre cette rue là, qu'est-ce que tu fais dehors seule à une heure pareille? Où es ton mari?

Il l'avait rejoint comme si le diable était à ses trousses, vaguement effrayé. Oui, on peut être Judas Von Frayner, être un homme vil et tout ce que l'on veut et tomber sur plus vil que soi. C'est un fait. Il avait saisi son bras comme pour être sûr qu'elle entende bien ce qu'il lui demandait. C'est là qu'il avait vu. La bouche entaillée de longue date, les grands yeux mouillés, cet air de ne pas y toucher qui détonnait là à deux pas d'un homme décapité, mutilé, privé de ses attributs. Quelque chose clochait, il avait tu les véritables questions.

Judas n'était pas armé ce soir. Il devrait, mais il ne l'était pas. Lui aurait justifié cette imprudence par un oubli, puisqu'il avait tant de choses à penser, la tête si pleine. Mais en vérité Judas n'avait plus de couilles. Alors un homme sans couilles, ça n'a pas besoin de s'armer, c'est inutile, c'est futile. Frayner était dans une mauvaise passe. Pas le genre de mauvaise passe de l'autre découpé là bas Dieu merci, mais assez mauvaise pour vous faire toucher du doigt ce qu'il ne fallait pas. L'hémoglobine d'un trop téméraire, le bras d'une folle à lier.

Il fait bien sombre, il est bien tard. Il n'a pas fait attention à la démarche dénonçant une infirmité ni au hachoir sagement dissimulé derrière la jeune silhouette. La vie vous joue parfois de drôles de surprises... Le trentenaire n'imagine pas combien il est bon et quiet de gagner le lit conjugal comme un inconnu et d'entendre le mélodieux chant des remontrances, parfois.

Cette fois.



* JD Manon_
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Je ne débats pas, je ne tergiverse pas, je joue.
Manon_


    Le champ des possibles est vaste autant que les masques derrière lesquels se dissimule la tragédienne. Feindre la surprise et paraître choquée en proposant d’aller quérir le guet pour régler cette affaire au plus vite, puisque sa parole de noble aura plus de poids et les convaincra de venir voir le corps. Noyer plus encore les yeux dans le sel des larmes, débiter son mensonge et lui demander de l’aider, lui fort et noble qui saura protéger l’infortunée esseulée qu’elle est. La terreur qui serait si facile à simuler, lui proposer de ne jamais mentionner la chose et de la laisser retourner au néant de l’indifférence dans lequel sont plongées les filles célibataires et pauvres de surcroit. Il y a tant de solutions, et alors que le rideau s’ouvre, elle hésite sur la conduite à tenir, évitant tant que se peut le regard inquiet de l’homme. La main sur son bras n’est pourtant pas ignorée, et la réponse vient seule quand elle relève le visage sur lui, et si son regard a des allures sombres de trou sans fond, le sien évoque l’eau croupie de ce puits. La voix s’élève dans la rue déserte, calme comme elle l’est toujours quand l’excitation ne la domine pas.

    -« Je sais. »

    Et le regard qu’elle lui jette, le défie de ne pas la croire. Sur son bras, la main qui la tient est une invite à l’extase, le frisson revient qui l’enserre et fait s’ébattre le cœur jusqu’à ce qu’il en soit douloureux. La pompe s’agite et envoie valser le pourpre aux confins du corps qui s’éveille soudain. Cet homme qui vient à elle, c’est une aubaine et c’est la lune qu’il a voulu, elle offre son ichor en offrande, un présent pour la remercier et la consoler. Celui-ci le dira, elle s’en persuade du moins. Le bras glisse et sous la main de Judas, il y a la sienne, ferme qui l’entraîne à sa suite quand elle fait demi-tour.

    -« Ce n’est pas tout Messire, venez voir. »

    Il n’y a pas qu’un cadavre, il y a plus que cela. C’est une virginité sauvée que cet homme étendu et souriant par la force des choses et le tranchant d’une lame. Il a retrouvé son âme d’enfant, il n’est plus dominé par ses veules envies, il n’en a plus. Il est paisible et il dort. C’est cela qu’elle veut lui montrer en l’entraînant dans la ruelle. Cela et comment se libérer lui aussi. La voix se fait murmure quand ils retrouvent la noirceur sinistre de la ruelle, elle semble chanter portée par le rythme intimé par le bois qui cogne étouffé sur le pavé.

    -« Vous vous souvenez de mon nom.. »

    C’est bien. C’est mieux. La main qui tenait la sienne, se détache pour caresser le visage de l’inconscient avant de lui montrer le corps.

    -« Voyez comme il semble paisible, vous voudriez rompre cette tranquillité ? »

    Tu n’oserais pas sybarite être jaloux de ce calme que tu n’as pas, n’est-ce pas ? La garde est tenue et le lacet qui la maintient détachée, dans l’ouverture de la mante, la lune joue sur la lame qui vient se refléter sur son corps à lui. Elle sourit.

    -« Pouvez-vous répéter mon nom ? »

    Trois ..

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Judas et Eusaias ils m'ont fait confiance. Je vais mouiller ma culotte !
Judas

    [ Localisation: Là où il ne faut. ]



Elle sait. Frayner tique, bien moins que lorsqu'elle l'entraine, malgré la réticence qu'impriment ses jambes sur le pavé. Une jeune femme attire un homme mûr dans la noirceur d'une rue, une rue qui fut témoin d'un massacre. Ce n'est pas tout qu'elle dit, ha non, pas tout encore. Il y a autre chose. Autre chose? Seigneur, pourquoi n'est-elle pas effrayée? Judas se concentre sur le ballet de ses foulées, si sûres à deux pas d'un cadavre. Son absence momentanée de couilles commence à se manifester, il se sent trop léger pour arrêter ce qui est entrain de se produire. Alors lorsqu'elle s'arrête il tire sur cette main, juste pour attirer à lui cet esprit en ballade, cette absence, indifférence, imperméabilité qui dort dans les yeux voisins. Regarde-moi, regarde-moi. Regarde-moi que je ne regarde pas cette horreur. Dis moi que tu as peur, au moins. Bien sûr que je me souviens de ton nom, de quoi me parles-tu!?

Manon, Manon... Tu es folle de...

Et soudain c'est comme si les mots restèrent suspendus entre l'entrejambe et l'éclat sur son bliaut. Il le vit, incrédule. Judas eut un geste de réflexe, le premier geste sensé de sa soirée. Sa senestre, forte de sa taille masculine, toute vascularisée, vint saisir la main tenant ... Tenant un hachoir. Frisson d'effroi. Il ne quitta pas des yeux cette lame large et semble-t-il fraichement utilisée. Il ne quitta pas non plus le frêle poignet, soudain conscient que s'il lui échappait, cette lame serait pour lui. Il resta là, l'échine glacée, tenant d'une main plus ferme que jamais la folie de Manon à distance. ça réglerait tout, ce qu'elle à là. ça bouclerait la boucle Anaon, les pérégrinations Charlyelle, Rosalinde, Marie, Pierette, Paulette et Jacqueline. Un bon coup de tranchoir net, plus d'objet du délit, plus de procréation consacrée. Sa voix sembla plus rauque que d'accoutumée, sans doute parce qu'il tenait à quelques centimètres ce qui lui faisait des noeuds à la gorge, ce qui pouvait surtout instantanément la dénouer. Couic. Avec prudence, sans se presser, il murmura sans lâcher la chose des yeux.

Je crois que tu fais une grave erreur.


Non, Judas n'était plus pressé. Plus du tout. Il venait de comprendre que s'il tenait à rentrer chez lui, il lui faudrait faire un choix. Ce serait elle ou lui. On ne discute pas avec les fous, les fous sont brulés en place publique ou cloitrés dans des maisons lugubres. Lorsqu'on ne peux pas discuter il ne reste qu'à agir. Il sait qu'il a l'avantage du sexe, de la taille et aussi... Celui de la peur. Car la peur attise les bas instincts. Il ne sait juste pas encore comment déverrouiller son avantage, là, entre Manon et lui.

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Je ne débats pas, je ne tergiverse pas, je joue.
Manon_


    « Tu me donneras la mort dont j’ai soif.. »

    Un frisson qui coule le long de son dos, une jouissance qui naît au creux de son ventre, il a dit les mots, il a dit son nom alors qu’il est à l’heure de sa mort, alors qu’il est sur le théatre de ses envies, qu’il foule de ses pieds, les accessoires de son tourment. Peut-il y avoir homme plus parfait, celui-ci sera l’apothéose de sa vie, l’épitaphe de sa mort. Et la main est saisie d’une poigne d’homme, d’une poigne de fer, faut-il en arriver là, faut-il fatalement mourir ? Que la vie fasse, Manon suivra. La bouche est entr’ouverte sur un soupir exhalé quand ses doigts viennent rencontrer son poignet, d’un mouvement de l’épaule, elle tente de s’ôter de son emprise, tester sa résistance, sa force sur elle. Judas est l’apogée de son Art, le triomphe de son Talent, celui qui comblera tous ses rêves, celui qui exaucera ceux qu’elle n’ose formuler que cachée dans le repli des draps. Et dans le regard sombre comme la nuit, elle voit la détermination et la vaine envie de vivre. Tout le monde meurt. Papa meurt, vois-tu. A la question posée, elle répond par quelques petits mots édictés de voix d’enfant.

    -« Croyez-vous ? »

    Il ne peut être tout à fait parfait, sinon, il aurait bien compris qu’il ne s’agit pas d’erreur, il n’y a jamais eu d’erreur, tout a toujours été réglé au détail près, il n’y a jamais eu d’impair, elle s’en est toujours assurée. Mais pourtant, il faut le faire croire, c’est là tout le paradoxe du comique de scène. Moquer le protagoniste. Alors, elle se moque sous des airs d’ingénues. Les doigts fins viennent se détacher l’un après l’autre de la garde et dans un bruit mat, le hachoir vient atterrir dans la fange à leurs pieds. Un regard éloquent d’innocence, mais pas de peur, jamais de peur, le glas a sonné la mort de la peur en même temps que celle de Papa. Papa qui repose bien tranquille, pour la première fois de sa vie, de sa mort. Mais Judas vaut-il Papa ? Vaut-il le mal qu’elle se donnera pour lui offrir ce requiem d’amour et de tendresse. La tendresse de Manon.

    -« Voyez.. Je le lâche. Expliquez-moi où est l’erreur ? »

    Où est ma faute ? Et entre les doigts puissants du sybarite, elle se laisse aller, devient poupée de chiffon, devient femme et faible, puisque c’est là ce qu’ils aiment le plus chez elles, avoir ce sentiment d’impunité, de force qui leur permet de tout avoir en prenant tout. Et le corps mou vient s’affaisser sur lui-même. Rédemption recherchée, culpabilité avouée. Tout n’est que supercherie, mais il faudrait un sourire pour démentir le masque de la contrition. Manon ne sourit pas, elle jouit silencieusement. Elle attend son heure et le visage se penche vers les doigts qui la maintiennent pour y déposer un baiser chaste, un baiser de vierge.

    La vierge de fer.

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Judas et Eusaias ils m'ont fait confiance. Je vais mouiller ma culotte !
Judas
Le couperet tombe loin de sa tête, n'importe qui dirait qu'il est sorti d'affaire. Pourtant il ne se rassérène pas, le problème il l'a comprit ce n'est pas la lame, c'est la main qui la tient. Judas se forge un masque offensif qui ne trompe personne, c'est lui qui est en mauvaise posture. Il a rencontré la folie incarnée. Qu'en fera-t-il maintenant? C'est une trouvaille bien délicate, bien encombrante.

Elle a les lèvres douces la folie, c'est encore un de ses subterfuges. Judas tressaille à son baise main, c'est une cavalière manoeuvre, en fait est-ce bien un baise main? Où une supplique faussement désespérée? Elle le trouble. C'est qu'avec la folie on ne sait sur quel pied danser. Elle l'effraie.


Tu ne devrais pas.

Car il n'ose le prononcer, ce dont Folie est capable. Du bout de la botte il repousse le hachoir marbré d'ichor comme on repousserait le problème. Il repousse les lèvres juvéniles pour relever le visage de sa main libre, menton pincé entre les doigts lisses. La balafre est laide, à l'image de la folie dans un joli écrin. Le ver dans la pomme...

Ne restons pas là, il serait fâcheux que l'on t'accuse d'avoir fait toutes ces saletés.

Il sait. Il a compris que c'était elle, et même s'il ne sait pas comment une si frêle chose pouvait trouver la ressource de s'attaquer à un tel morceaux. Cette perspective lui fait froid dans le dos, il saut aussi que si quelqu'un devait être accusé pour se trouver si près d'un crime ce serait lui. Cela l'agace, que cherche-t-elle? Sans la ménager il la traine à la lumière, brutal et crispé. Diable sait ce qu'elle venait de semer dans son esprit, mais ce qui commençait à germer n'avait rien de bon ni de sain, la chose court-circuitait tout son bon sens, embrouillait tout l'ordre établi de ses pensées rationnelles.
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Je ne débats pas, je ne tergiverse pas, je joue.
Manon_


    « Serre moi encore, serre moi jusqu'à étouffer de toi.. »

    Traînée jusqu’en lumière, mais la lumière met en exergue l’ombre, et Manon n’est qu’ombre et tourments. Elle se laisse faire, elle se laisse aller contre lui. Faible femme qui ne saurait être forte sans une poigne masculine. Judas est la poigne. Judas est le masculin. Sais-tu que tu n’as pas lieu d’être. Le masculin est le vice, est le mâle, et je n’aurais aucun mal à me séparer de toi. Est-il marié cet homme-là ? Elle n’en sait rien, ne veut pas savoir. Cela ne change rien, ce genre de détails n’a pas sa place dans la scène qui se joue. Celle-ci a cela de difficile qu’elle est l’apothéose de son art, le rideau a été tiré et le public appréciera ce qu’on lui offre de bon cœur.

    Dans la lumière, les masques se remettent. Elle est l’innocence, il est cruauté, mais en vérité ? La vérité n’est pas dans la lumière, la main se lève et projette de l’ombre sur le visage du sybarite, elle caresse le visage lisse, glisse derrière l’oreille pour se perdre dans la chevelure de jais, s’accroche à la nuque, sa jumelle se délie de la poigne masculine et vient la rejoindre.


    -« M’amenez-vous dans votre demeure ? »

    Taquine, mutine, un masque de plus à la collection multiple, elle troque la tragédie pour lui préférer la comédie.. Morbide. Les doigts fins délient le fil à couper le beurre autour du poignet, et viennent cavaler le long de la gorge, et serrer. Serrer jusqu’à l’en crever, le sourire lui brûle le visage, et son souffle se perd dans l’haleine du Frayner.

    Elle jouit.


    -« Répète mon nom.. »

    Que la scène puisse se mettre en place.

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Judas et Eusaias ils m'ont fait confiance. Je vais mouiller ma culotte !
Judas
Elle lui glace le sang. Cette manie de vouloir qu'il répète son nom, son foutu nom. Son calme anormal, ses yeux, ho ses yeux surtout. Il les a bien regardé, il a eu la réponse à toutes ses questions juste à les regarder. La peur lui fait perdre son sang froid, il a soudain envie d'oublier cette rencontre, il ne devrait même plus être là depuis longtemps. Elle lui fait perdre son temps avec ses inepties, pire encore, elle se joue de lui. Inconstante au possible, cette personnalité à double tranchant le trouble, ses caresses dissimulent des coups de hachoir. Il s'apprête à lui faire passer l'envie de raconter tout ce qui lui passe par la tête quand...

Ne d... Humpf!

C'est le geste de trop. Cette fille est grave. Il porte la main à sa gorge et tousse, rageur, tirant sur le filin funeste. Manon est folle de croire qu'elle peut s'attaquer à tout homme sur sa route. On ne défie pas les lois de la nature... Pas avec une jambe de bois et un fil à couper le beurre. Pas de face lorsqu'on est sexe faible, et ce malgré la force de la démence.

Arrête!

Et sans vraiment lui laisser l'opportunité de cesser, sans lui laisser non plus l'opportunité de faire de lui ce qu'elle avait vraisemblablement fait de l'autre dans la rue déserte il agrippe violemment son visage, juste pour qu'elle lâche prise... Le face à face est brutal tout comme ce qui danse sans le regard de sa voisine. La lèvre supérieure de Judas se rétracte d'aversion, prenant sa gorge d'une seule main il écrase entre ses doigts son cou, soulevant et serrant, serrant, serrant... Juste pour qu'elle se calme. Sa jambe de bois ressemble à un vieux pendule sans but, tandis qu'il continue de resserrer son joug colérique. Juste pour qu'elle cesse de faire du bruit. Puis juste pour qu'elle cesse de respirer, bouger...Vivre... Juste pour qu'elle ait la paix, comme lui. Judas comprend alors que Folie est contagieuse. Pis que peste, choléra et vérole. Folie est folle.

Sa respiration saccadée finit par se faire écho seule dans la venelle, Judas lâche prise quasi difficilement, comme un chien qui aurait gouté au sang. La jambe factice heurte le pavé dans un bruit mat tandis que le corps retombe, pantin désarticulé au sol. Retour à la réalité. Il est dans une rue passante. Il vient de faire assez de mal à une femme pour la tuer. Sa main en tremble encore, et ses yeux ne se décident pas à s'éloigner d'elle. Elle qui aurait pu s'appeler Déraison.

Judas s'enfuit, comme un voleur. Comme un pauvre fou au dos humide d'une sueur froide. Les femmes sont des poisons. Celle-ci était l'un deux, rapide et fatal. Il la maudit pour ce qu'elle a réussi à faire. Cette femme là, femme enfant, l'a poussé là où elle n'aurait jamais mit les pieds elle même. à la compromission. Manon était folle, pas assez pourtant pour ôter une vie en pleine lumière. A découvert. Pas assez pour ôter le masque à la vue des passants, au nez des fenêtres... Pas assez. Juste assez pour que Judas le fasse pour elle. Donner la mort par procuration en donnant sa vie, être la spectatrice de son propre vice, en entrainant quelqu'un dans sa chute. Juste trouver un partenaire pour danser avec elle... Danser la dernière danse.

Elle s'appelait Manon, et Judas l'a menée dans sa dernière demeure.

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Je ne débats pas, je ne tergiverse pas, je joue.
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