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Retrouvailles entre cousines Ecossaises

[RP] « Si la liberté grise, la famille rassure. »

Sybelle
Sur la route - De nuit


La nuit était tombée depuis quelques heures. Eclairée uniquement la lueur de la Lune qui, au-dessus de sa tête, formait un rond parfait, Sybelle avançait le long d’un chemin, au sud de Sarlat, en sifflotant un petit air joyeux. Elle avait quitté Pau quelque jours plus tôt - mue par un ennuie de plus en plus vif - et c’était décidée à remonter vers le Nord, sans vraiment savoir où le vent la pousserait.

Cela la réjouissait. Elle adorait se réveiller le matin sans savoir de quoi sa journée serait faite. Certains auraient pu souffrir de la solitude que son incapacité à se fixer provoquait. Sybelle, elle s’en réjouissait. D’ailleurs, à l’exception de sa passion pour les distributions de torgnoles, il n’y avait que peu de chose qui la satisfaisait autant que de courir la route. Le monde était merveilleusement beau et grand, il aurait été dommage de se priver du plaisir que l’explorer provoquait. Bien sur, dans le Béarn, elle avait laissé une ou deux personnes qu’elle appréciait, mais cela ne la dérangeait pas outre-mesure. Depuis qu’elle avait quitté les siens environ deux ans plus tôt, elle avait toujours fait en sorte de ne pas trop s’attacher aux gens, préférant la solitude à la compagnie des Hommes. Bien sur, il y avait eu des exceptions : le si gentil Diego de la troupe du Soleil, la réjouissante Brunhilde à Pau… Mais les quitter n’avait pas été un déchirement.

Alors qu’elle passait l’orée d’un bois sombre, la jeune fille frissonna. Pas de peur, non. Ce sentiment lui était inconnu. D’ailleurs, elle avait toujours eu tendance à avoir du mépris pour ceux qu’elle considérait comme des couards… Autant dire que tous ceux qui n’avaient pas le goût des armes entraient facilement dans cette catégorie avec elle. Non, si elle frissonnait ça n’était pas parce qu’elle craignait quoique ce soit mais bien parce qu’elle avait froid. La température, qui avait été plus que clémente dans la journée, avait considérablement chuté avec le couché du soleil et la jeune femme s’imposa une pause. Juste le temps de sortir une cape de laine brune de sa grande besace et de s’en enrouler avant de reprendre son chemin de cette démarche bondissante et pleine de vitalité qui était la sienne.

Tandis qu’elle s’enfonçait sur le chemin sinueux qui passait au cœur du sous-bois, Sybelle eu soudain une drôle d’impression. Comme si quelque chose allait arriver… Il y avait un je-ne-sais-quoi dans le silence qui régnait là qui lui semblait étrange. Haussant les épaules, Sybelle rejeta cette idée ridicule. Des pressentiments… Et puis quoi encore ? A ce rythme, on tombait vite dans le mysticisme total et ça, ça n’était vraiment pas son truc. Se mettant à rire de sa propre bêtise, la jeune femme n’entendit pas les quatre hommes s’approcher d’elle.

Ils lui foncèrent dessus de concert, en poussant des rugissements barbares. Mue par son instinct de survie et sa science des armes, la rouquine réalisa très vite qu’elle était en mauvaise posture. Quatre hommes se précipitant sur elle, cinq si on comptait l’archer embusqué un peu plus loin qu’elle venait de repérer du coin de l’oeil… Elle avait beau être douée, il allait falloir beaucoup de chance pour qu’elle s’en tire cette fois-ci, songea-t-elle. Toutefois, elle n’envisagea pas une seconde de fuir. Si elle essayait de partir, l’archer aurait tôt fait de la tirer comme un lapin et qui plus est, cette solution lui semblait lâche. Ils voulaient s’en prendre à elle ? Qu’à cela ne tienne, elle allait leur prouver sa valeur !

Avec des gestes rapides et une efficacité mortelle, elle sortit deux lames de jet de ses bottes et les lança avec force. L’homme qu’elle embrocha suffoqua avant de s’écrouler, mort avant même d’être à terre. Tirant de sa ceinture une dague, Sybelle entama le combat.

Ses opposants avaient pour eux la longueur des lames de leurs épées et la supériorité numérique. Elle avait comme seuls avantages une vivacité et une souplesse surprenante, et une ingéniosité décuplée sous la menace.

Encerclée, elle se plaqua au sol et se glissa entre les jambes d’un de ses ennemies, plantant sa dague dans sa cuisse au passage. Devenue feu-follet, elle poursuivie sa danse mortelle en donnant un violent coup de talon dans le dos de l’homme qui tituba sans tomber pour autant. S’attaquant à son voisin, un grand brun d’allure hispanique, elle feinta vers sa tête avant de modifier la trajectoire de sa lame, visant son bas ventre. La dague rencontra le cimeterre. Au même instant, un troisième homme aux longs cheveux blonds, arriva sur la gauche de la jeune femme, son épée pointée vers elle. Sybelle se plaqua contre l’hispanique, le surprenant tellement qu’il ne réagit pas quand elle le fit se tourner, de telle manière qu’il lui servit de bouclier humain. La lame du blond s’enfonça dans son ventre, ouvrant une plaie béante. Sybelle lâcha l’hispanique, le laissant s’effondrer à ses pieds. Deux ennemies de mort, un autre blessé… Elle se sentait capable de vaincre.

Rassérénée par la certitude qu’elle pouvait y arriver, elle se précipita vers le blond… Voulu se précipiter… Une affreuse pression sur son bras droit, celui qui tenait sa dague la fit hoqueter de douleur. Arrivé par derrière, le colosse qu’elle avait blessé à la cuisse quelques secondes plus tôt avait saisit son bras. Il le tordit si violement que l’os craqua dans un bruit sec. Son bras devenu totalement inutile, Sybelle lâcha sa dague. Pas décidée à abandonner pour autant, elle se ramassa pour bondir et décocha un violent atémi dans la poitrine du géant qui fit un pas en arrière sous le choc. Tentant de juguler les ondes de douleur émanant de son bras, elle récupéra le cimeterre de l’hispanique mort et dans un geste désespérée, elle lança l’arme sur le colosse. Ça n’était pas une arme de jet, il n’y avait aucune chance pour que le cimeterre tue le colosse mais peut-être… Il l’évita comme si il c’était s’agit d’un jouet. Pendant ce temps, l’archer saisissant une faille dans le combat, tira sur Sybelle. Le trait l’atteignit à la cuisse. La jeune fille tituba. Poussant un hurlement, elle arracha la flèche de sa cuisse d’où le sang se mit aussitôt à couler, imbibant ses vêtements avec une rapidité impressionnante.

Elle allait mourir. Toutes les fibres de son corps le lui criait et durant une seconde elle fut tenter d’abandonner. Se laisser achever, mourir vite… Cela serait tellement plus facile. Secouant la tête, la rouquine chassa cette idée. Elle réfutait à la souffrance le droit de prendre le dessus sur elle. Elle ne se laisserai pas abattre comme un animal. Si elle devait mourir, alors elle le ferait la tête haute. Elle porterait haut les couleurs de ses ancêtres, elle leur ferait honneur. Serrant fermement la flèche dans son poing gauche, elle se jeta sur le colosse et planta la flèche dans son épaule, l’enfonçant profondément dans la chair meurtrit. Le géant poussa un hurlement et la fit violement tomber à terre. Trop abimé pour l’achever lui-même, il fait signe au blond de passer à l’action. Celui-ci s’en donna à cœur joie, la rouant de coups de pied jusqu’à ce qu’elle s’évanouisse, tandis que l’archer les rejoignait et vérifiait que leurs deux compagnons étaient bel et bien morts avant de donner les premiers soins au colosse qui fulminait.


La petite g****… Tuer Anyelo et Nataniel… Ian, fouille son sac ! Ordonna le colosse tandis que l’archer s’occupait de lui.
Rien qui vaille la peine de perdre deux hommes là-dedans, cracha ledit Ian, une fois son inspection terminé.

Récupérant ce qui pouvait être prit, les trois brigands repartirent vers leurs chevaux qui les attendaient plus loin.
Gisant dans une marre de sang près du cadavre de l’hispanique, Sybelle survit.




Sur la route - Le lendemain matin


Hue Cocotte ! Hue… Ouh là ! C’quoi ça ?

Arrêtant son attelage, monsieur Durant, meunier de son état, descendit de sa charrette, suivit par son apprenti avança d’un pas tremblant au milieu du carnage. Les deux hommes morts, les traces de lutte… Et cette jeune fille, battue à mort. Il n’était pas un homme d’arme mais il l’imaginait bien, la bande de brigands qui avait fondu sur l’innocente… Il ferma les yeux un instant, tentant de juguler la peine que lui inspirait la scène.

Maximilien, aide moi à mettre les corps des hommes dans le fossé. Ils ne méritent pas mieux. Et cette douce enfant… Ramenons là à Sarlat, murmura-t-il, ne supportant pas l’idée qu’elle n’ai pas le droit à une sépulture correcte.

Obéissant, le jeune garçon aida son maitre à dégager la route des cadavres malgré son dégout pour cette tâche. Puis il prit la brindille dans ses bras, prenant soin de ne pas trop secouer son pauvre corps. Il allait la poser dans la charrette quand soudain il se figea. Un mouvement infime aux yeux du monde, venait de tout changer. Eberlué, le garçon le regarda se reproduire. La cage thoracique qui se soulève, lentement, faiblement…

M’sieuuuur ! Elle respire !
Nom de dieu ! S’écria le brave homme, ayant l’impression de se retrouver face à un miracle en vérifiant les propos du garçon. Conduisons là à l’herboriste… Si quelqu’un peu quelque chose pour elle, c’est bien cette femme.

Déposant avec une précaution infinie la jeune fille dans la charrette, ils prirent la direction de l’échoppe de l’herboriste, roulant aussi vite que possible. Et lorsqu’e finalement ils arrivèrent, monsieur Durant défonça presque la porte de la boutique dans sa précipitation tandis que Maximilien le suivait, tenant entre ses bras la rouquine au corps brisé.

Aidez nous !

Reprenant connaissance une seconde, Sybelle songea qu’il était bien douloureux d’être morte. Puis les ténèbres l’aspirèrent de nouveau.




Titre :
Citation de R. Choquette.
Syuzanna.
Un petit matin Sarladais au Chardon Soignant...

Les yeux clos, dans son lit, Syuzanna feint le sommeil. Pour tromper qui ? Son époux a déserté la maison conjugale pour s'installer à Bergerac, le temps de remettre de la vie dans le village désert. Pour se tromper elle-même, sans doute. Ses insomnies se font plus difficiles à supporter ces derniers temps, et elle se ressent plus que jamais de ses nuits sans sommeil. Irritable et taciturne, elle a de plus en plus de mal à conserver son calme. Le temps est peut-être venu de s'occuper sérieusement de ce problème, songe-t-elle. Elle soupire, et capitule : le sommeil ne la reprendra pas davantage. Trois heures, voilà tout ce qu'elle a dormi. Trois heures teintées d'agitation, car en plus d'être courtes, ses nuits sont peuplées de cauchemars. Ouvrant en grands ses yeux noisette, elle bascule hors du lit, et se dirige à pas trainants vers la salle d'eau. L'eau de la veille emplie toujours le baquet, mais elle n'a pas le courage de le changer. Elle se dévêt rapidement, et se glisse dans le liquide froid, s'aspergeant le visage pour tenter de rafraichir son teint pâle.
Elle ne s'éternise toutefois pas, et sort rapidement, enfilant une paire de braies marron et une chemise vert amande. Ses cheveux épais nattés sommairement, elle descend les escaliers en silence, puis se dirige comme un automate, vers la partie herboristerie de sa demeure.

Ici, elle se sent immédiatement mieux. Son domaine, son territoire. Elle commence par vider dans un chaudron, le contenu d'une bouteille de vin. L'alcool a des propriétés conservatrices, et elle envisage enfin un traitement sur la longueur. Elle se dirige ensuite vers une étagère, et se saisit de trois sachets de toile grossière : un d'anis concassé, un autre de mélisse et un dernier de marjolaine. Au passage, elle prend un sachet de romarin. Sans attendre, elle pèse un tiers d'anis, de mélisse et de marjolaine, et les met de côté, attendant que le vin soit à bonne température. Son brasero crachant des flammes, elle y dépose au-dessus une casserole emplie d'eau, et prépare la quantité adéquate de romarin.

Se passant une main sur le visage comme pour en chasser la fatigue, elle se perd un instant dans des pensées sans suite, jusqu'à ce que l'odeur de l'alcool se répende capiteusement dans la pièce. Aussitôt, elle ôte le chaudron de la cheminée, le déposant au sol non sans avoir pris la précaution d'enrouler ses mains dans des torchons bien secs. Le mélange des trois plantes y est jeté, et elle recouvre le récipient d'un large couvercle. Vient le tour de l'eau, frémissante à souhait. Le romarin infuse doucement, libérant une odeur plutôt agréable.

Elle vient juste de terminer de boire sa tisane contre la fatigue, et de mettre sa préparation alcoolisée contre l'insomnie en bouteille, lorsque des coups violents contre la porte rompent le calme des lieux. Sursautant, elle tourne un regard vers la fenêtre. Le soleil se lève à peine. Les coups se répète, et elle se hâte en direction de l'entrée, et ouvre tout grand le battant de bois. Deux hommes et une jeune femme... Un coup d'oeil suffit pour se rendre compte que la demoiselle est en piteux état. Les hommes semblent passablement affolés, aussi les invite-t-elle immédiatement à entrer.


- Posez-la ici, ordonne-t-elle en indiquant une table couverte d'un matelas peu épais, mais plus confortable que le bois dur.

Déjà, elle ne s'occupe plus des deux hommes, toute à sa tâche qui l'absorbe entièrement. Sans plus de pudeur, elle ôte doucement la chemise tâchée de sang de la blessée. L'hématome violacé qui couvre une belle portion de son bras ne laisse présager rien de bon. Profitant que la jeune fille soit inconsciente, elle enfonce les doigts dans les chairs meurties, tâtant l'os... Il est bel et bien cassé. Contre cela, guère de plantes, mais fort heureusement, elle sait comment le faire maintenir en place. N'était-ce pas elle qui autrefois, soignait déjà les blessés du Clan, en Ecosse ? Les années de pratique sur le tas valant mieux que n'importe quel enseignement, elle sait parfaitement ce qu'il faut faire.
Mais avant, désinfecter les plaies. Par les Dieux, songe-t-elle. Comment peut-on commettre de telles horreurs sur une jeune fille...
Une pile de gazes à portée de main, elle en imbibe une première de teinture d'ail. Elle remonte lentement vers le visage, réalisant soudain qu'elle n'y a même pas prêté attention. Un peu d'eau pour en ôter la poussière mêlée au sang... Une rousse, sourit-elle pour elle-même. Etait-ce pour cela qu'elle avait été battue à mort ? Des fanatiques, encore ? Petit à petit, les traits du visage retrouvent leur propreté, malgré les bleus. Du bout des doigts, elle tourne le menton de l'inconnue vers elle et...

Hoquetant, elle fait un pas en arrière, se cognant les reins contre le plan de travail. Non, c'est impossible. Et pourtant... Ce sont bien les traits, la forme de la bouche, des yeux, du nez ! Mais que fait-elle là ? Elle secoue la tête, encore sous le choc. Et aussitôt, elle reprend son travail. Elle doit tout faire pour la sauver. Et pour le moment, c'est de soins dont elle a besoin.
Presque fiévreusement, elle enduit ses plaies d'un baume à l'acanthe, ayant pour vertu de cicatriser et de favoriser la guérison. Sur les hématomes, de l'arnica. Tâtant les côtes, elle en compte deux de brisées. Sans doute d'autre ont été fêlées, mais elle ne peut s'en assurer.
Autour du bras, elle applique un emplâtre épais, qu'elle recouvre de bandelettes et de fines et courtes planchettes de bois. Elle entoure ensuite le thorax d'un bandage, notant en pensée de préparer des potions analgésiques.

L'Ecossaise jette un oeil en direction de la fenêtre, une fois ses soins terminés. Le soleil est haut dans le ciel. Elle se laisse tomber sur son tabouret, installé près de la table où repose la blessée. Elle est couverte de bandage, enduite de divers onguents et pommades. Et elle respire. Un sourire soulagé se dessine sur les lèvres de Syu.


- Sybelle NicAvoy, murmure-t-elle en l'observant. Mais que fais-tu donc ici ?
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Sybelle
Je danse sur un fil. Je suis tellement haut que je peux voir le monde qui s’étend sous mes pieds. Et si je tend la main, je pourrai toucher les étoiles. Tout est paisible ici. Et je suis légère. Si légère… Je crois que je peux voler. Comment suis-je arrivée ici ? Qui étais-je avant ? Je n’ai plus de souvenirs. Plus de passé. Plus d’avenir. Il n’y a plus que mon fil qui compte. Mon fil et les étoiles. Mon corps se fait oublier. Devenu pur esprit, je me propulse en avant et je vole parmi les étoiles. La sensation est grisante… Mais soudain une voix, un appel, me déconcentre.

Sybelle NicAvoy. Mais que fais-tu donc ici ?

Je commence à descendre. Désespérément je m’agite, tel un oisillon apprenant à voler, d’une manière gauche et peu efficace. La chute continue. Non ! Je veux continuer de voler. Je veux rester ici ! Apparemment cela ne suffit pas. Ma longue chute s’arrête finalement et la douleur emplie mon corps…



Reprenant peu à peu connaissance, Sybelle tente de retrouver ses repères. Elle est allongée sur une surface plane, plutôt confortable. Un lit ? Mais comment est-elle arrivée ici ? Tentant de se concentrer malgré une affreuse migraine, elle remonte le fil des derniers événements. L’agression, son incapacité à battre l’ennemie… Elle voudrait hurler. De rage parce qu’elle a été vaincue et de souffrance, parce que tandis que la colère enflamme son esprit, son corps se rappelle à elle.

La moindre parcelle d’elle la fait souffrir, de ses jambes engourdies et très certainement couvertes de bleus, à sa tête où un orchestre désaccordé joue une marche funèbre. Sa gorge totalement sèche lui laisse supposer qu’elle a été inconsciente un bon moment. Et à cela s’ajoute l’impression qu’un bloc de pierre est posé sur sa poitrine, l’empêchant de respirer convenablement.

Tentant de lever la main jusqu’à sa tête, la rouquine gémit faiblement. Son bras, maintenu dans ce qui lui semble être une atèle excessivement lourde, est totalement inutilisable. Donc, elle a été soignée… Entrouvrant un œil, la jeune fille tâche d’identifier l’endroit où elle se trouve mais la lumière déclinante du jour l’agresse et elle referme prestement sa paupière. Laissant passer quelques minutes, elle retente l’expérience en papillonnant des yeux pour s’habituer à la lumière. L’odeur qui règne, les diverses essences rangées dans des sachets ou des bocaux. Les préparations alignées avec soin… Il semblerait qu’on l’ai conduite chez une herboriste.

Doucement, Sybelle tourne la tête pour découvrir celle qui l’a soigné, assise près d’elle. Une longue chevelure rousse, des traits fins, réguliers et de grands yeux marrons si semblable à ceux de… Détaillant la femme avec soin, la châtaigne sent la surprise l’envahir. Serait-il possible ? Non… Cela n’a aucun sens. Que ferait-elle ici ? Et pourtant, juste à ses côtés, se tient Syuzanna. Cela doit être un rêve. Quelle probabilité y’aurait-il pour qu’elle retrouve sa cousine ici ? Cela fait une éternité qu’elles ne se sont pas vues… Syu’ est partie. Blaine est devenu chef de clan et puis… Et puis, elle a fuit à son tour. Sybelle ferme les yeux, puis les rouvre. Son ainée est toujours là, devant elle.

De… de l’eau… Réclame-t-elle d’une voix si faible, qu’elle doute d’avoir été audible.

Et dans un sens, elle espère l’avoir été. Parce que si il n’y a pas d’hallucination, si c’est bien Syuzanna qui est face à elle, elle ne veut rien lui devoir. Elle a fait le choix de partir, de laisser derrière elle les règles strictes et les siens. Et retrouver un membre de sa famille alors qu’elle est dans une telle position de faiblesse la répugne. Elle voulait leur prouver qu’elle pouvait vivre sans eux, qu’elle était libre et au-dessus d’eux. Et voilà l’état dans lequel, on la retrouve : battue à mort par des brigands, laissée pour morte sur un chemin.

Rassemblant tout son courage et le peu de dignité qu’il lui reste, Sybelle tente de s’asseoir. Au moins, là elle pourra la regarder en face. Elle se soulève de quelques centimètres en serrant les dents, avant de se laisser tomber sur le mince matelas, exsangue. Des ondes de douleur parcourent son corps et la font se figer. Incapable de bouger tant elle souffre, la jeune fille sent des larmes rouler sur ses joues. Aussitôt elle se maudit. Elle se maudit et elle prit pour qu’on ne remarque pas cette faiblesse.

Elle aurait préféré mourir plutôt que d’avoir à subir une honte si cuisante.
Syuzanna.
Les heures s'étaient succédées, semblables les unes aux autres. Sybelle avait eu un ou deux moments d'agitation, que la rousse avait calmé à l'aide de linges humides posés sur le front brûlant de la jeune fille. Le reste du temps, Syu l'avait passé à la surveiller, inquiète tout en étant surprise. Elle ne comprenait pas ce que sa cousine faisait là. Elle la croyait encore en Ecosse, et jamais elle n'aurait imaginé la retrouver. Depuis combien de temps était-elle en France ? D'une main douce, elle lui effleurait les cheveux, incapable encore de réaliser.

Plongée dans ses pensées, elle en sort sitôt qu'elle perçoit le mouvement de bras de Sybelle. Se redressant sur son tabouret, elle se tient prête à répondre aux moindres désirs de la jeune blessée.
Elle lui réclame bientôt de l'eau, et aussitôt, Syu quitte son assise pour emplir une chope de liquide clair contenu dans une cruche de gré. S'approchant, elle lui tend le récipient. Mais voilà que Sybelle tente de se redresser. La chope est posée sur le tabouret, et doucement, l'herboriste incite sa jeune cousine à se rallonger.


- Ne t'agite pas. Tu as quelques côtes brisées, ainsi que le bras. Il te faut te reposer.

Elle glisse une main sous la nuque de la blessée, et porte la chope à ses lèvres, la laissant boire tout doucement.
Non sans tact, elle fait mine de ne pas remarquer les larmes roulant sur les joues de Sybelle. La douleur ? La colère ? La honte de ne pas avoir triomphé ? Quoi que ce soit, elle ne peut que comprendre. Se faire rouer quasiment à mort n'a rien d'agréable ni de glorieux, et la fierté et l'honneur en prend un sacré coup.

Bientôt, une réalité s'impose à l'esprit de l'Ecossaise. Elle ne peut décemment pas laisser sa cousine dans l'herboristerie. Certes, les herbes sont à portées, mais une fois dans sa propre chambre, elle ne pourrait plus entendre les éventuels appels de la jeune fille. Il lui faut la transporter dans une chambre, et ce avant la nuit, que la blessée ait au moins le temps de profiter des dernières lueurs du jour. Un coup d'oeil à la fenêtre lui confirme que deux heures à peine les séparent du couché du soleil.
En premier lieu, elle ouvre la porte séparant la partie habitation de la partie herboristrie de sa demeure. Puis, avec d'infinies précautions, elle glisse un bras sous les genoux de Sybelle, tandis qu'elle passe l'autre sous ses bras. Lentement, doucement, comme si sa charge ne soit de verre, elle la soulève, tâchant de solliciter les côtes de la blessée le moins possible.


- Je t'emmène dans une chambre, tu y seras mieux.

Elle croit bon d'ajouter toutefois, se remémorant sans peine le caractère de la jeune fille :

- Et ne proteste pas, veux-tu ? Tu ne peux décemment pas rester là !

Avec autant de lenteur qu'elle le peut, elle traverse ainsi la pièce, puis la salle principale réunissant tout à la fois cuisine et salle à manger, et emprunte l'escalier en colimaçon menant à l'étage. Le palier est traversé en deux enjambées, et elle pousse une porte d'un léger coup de pied. Pénétrant dans la chambre, elle dépose tout en douceur Sybelle sur le lit. Sans un mot, elle tire le drap blanc, et passe une à une les jambes fines de sa cousine à l'intérieur, installant ensuite une peau de mouton épaisse par-dessus. Syu reste debout, immobile, quelques secondes, ne sachant que dire, que faire.
Plus pour combler le silence que pour autre chose, elle désigne l'ensemble de la pièce d'un revers de bras. Le fauteuil près de la fenêtre, les trois étagères cloutées à l'un des murs, le bahut dans un coin, le parquet de bois clair, les poutres apparentes... Cela sera-t-il au goût de son intrépide cadette ?


- Considère ceci comme ta chambrée personnelle... le temps que tu te remettes.

Le temps que tu te remettes. Les mots ont été choisi avec précaution. Car la rousse espère soudain, en contemplant le visage tuméfié de Sybelle, qu'elle saura la convaincre de rester ici et de considérer cette demeure comme la sienne.

- Repose-toi. Je vais te chercher de l'eau. Et une infusion pour apaiser tes douleurs.

Elle lui sourit, avant d'ouvrir la porte et de se glisser hors de la chambre. Il faudra bien qu'elle lui demande ce qu'elle faisait par-là, et qui est responsable de son état. Mais pour l'heure, loin d'avoir besoin de questions, nul doute que la jeune fille aspire au calme et au repos.
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Sybelle
Il y a des moments où l’on se sent redevenir enfant. Celui-ci en est un pour Sybelle. Portée puis bordée par sa cousine, elle a un peu l’impression de redevenir une petite fille qui, étant malade, se fait dorloter par sa famille. Et si elle n’était pas si fatiguée, si elle n’était pas si douloureusement prisonnière de son faible corps, elle protesterait de toute ses forces contre ceci. Elle ? Dépendre de quelqu’un ? Jamais ! Et pourtant, tandis que sa cousine parle, Sybelle sent le voile bienfaiteur du sommeil venir l’envelopper… Elle est bien au chaud là, et puis c’est confortable de pouvoir se reposer sur quelqu’un en qui on a parfaitement confiance.
Parce que oui, elle a beau avoir fuit loin de son Ecosse natale, la rouquine sait qu’elle peut avoir confiance. Toujours là les uns pour les autres… C’est un précepte que même deux ans d’absence n’ont pas su lui faire oublier.
Finalement, Syuzanna sort de la pièce et sa jeune cousine s’endort d’un sommeil réparateur.



"Une grande et belle maison de pierre… Devant, des hommes se préparent à partir à la châsse. Comme ils ont fières allures, montés sur leurs chevaux, armés de leurs puissants arcs... Et au milieu d’eux, une minuscule petite rousse de cinq ou six ans tempête.

JE VEUX ALLER AVEC EUX ! Mamaaaan ! Je veux y aller ! Je veux y aller ! Je veux y aller !
Tu vas me parler sur un meilleur ton que cela Sybelle NicAvoy ! Ça n’est pas une place convenable pour une jeune fille cette assemblée de chasseurs.
Mais Syu’ a le droit d’y aller, elle !
Réplique la petite avec véhémence en indiquant sa cousine qui un peu plus loin se prépare.
MacDouggal peut bien faire ce qu’il veut de sa fille. La mienne n’ira pas à la châsse, réplique fermement sa mère. Maintenant, retourne à tes leçons Sybelle, avant que je me fâche.

Levant les bras au ciel d’un geste agacé, la minuscule petite fille va vers son père et son frère aîné.

Papa ! Keith ! Je veux venir moi aussi ! S’exclame-t-elle en se jetant dans les bras de son père adoré.
Tu n’es pas assez grande mon petit renard… Et ton poney non plus. Vous ne pourriez pas suivre le rythme.
Mais...
Non ma chérie, ne proteste pas… Ton frère non plus n’avait pas le droit de venir quand il avait ton âge.
Mais…
A notre retour, je t’emmènerai faire une ballade à cheval dans les bois, d’accord Sissi ?
Propose son grand frère en lui ébouriffant les cheveux. On pourra même tendre des collets pour attraper des lapins.

D’un air revêche, la petite châsse la main de son frère de son épaisse chevelure rousse, avant de lui sourire. La proposition est alléchante… Surtout quand elle vient de l’un de ses deux idoles, à savoir son frère et sa cousine Syu’. Mais tout de même… Elle voulait aller chasser avec les grands elle !

Et la prochaine fois, je serai assez grande pour venir à la châsse avec vous ? Demande-t-elle, déterminée à y aller.

Dans un éclat de rire tonitruant, son père lui répond qu’elle n’aura pas assez grandit d’ici là et finalement les chasseurs partent tous, au son de la corne de brume. Restée seule dans la cours, Sybelle donne un coup de pied dans un caillou. Quand elle sera grande, elle sera comme Syu’ ! Elle aura le droit d’aller à la châsse !"


A son réveil, le soleil se lève et son front c’est emperlé de sueur. Sur le bahut, un verre d’eau et une tasse de tisane refroidie attendent qu’on les consommes. Apparemment, elle c’était endormie quand sa cousine est repassée par là.
Voir ces souvenirs d’enfance lui revenir sous la forme de rêve confirme l’idée qu’il n’est pas sain pour elle de se retrouver auprès de sa cousine. L’être qu’elle admirait tant étant enfant a bien changé après tout et il ne fait pas de doute qu’en grandissant, elle a pu devenir une femme aussi dominatrice que son père l’avait été. Et si il y a bien une chose que la jeune Sybelle ne veut pas, c’est avoir un chef ! Mais en même temps… C’est fou comme ils lui ont tous manqué durant ses deux ans. Sa famille, ses proches… Du plus profond de son cœur, Sybelle sait que sa place est auprès d’eux. Mais… Mais…
Poussant un soupire, la rouquine châsse toutes ses pensées. Trop compliqué, trop fatiguant… Elle a d’autres combats à mener. Celui de pouvoir se lever pour ouvrir la fenêtre par exemple. Ecartant draps et peau, la rouquine s’assoit. Effort presque surhumain. Ne comptant que sur une détermination sans faille, elle pose un premier pied au sol, puis un second, avant d’enfin se lever. Chancelante, elle avance vers la fenêtre et dans le carreau, elle découvre un reflet qui la fait grimacer. Vêtue uniquement d’une mince chemise de corps, elle peut voir comme ses jambes pâles, son cou, son visage, ses bras sont couvertes d’ecchymoses. Une de ces cuisses, celle qui a reçu une flèche, est entourée d’un bandage blanc, copie de celui qui enserre son torse sous la chemise et son bras est plâtré. La seule chose d’elle qui reste intacte, c’est son épaisse chevelure rousse qui encadre son visage, lui donnant un air un peu sauvage.
Si avoir perdu de sa beauté dans le combat lui importe peu, le fait d’être si faible l’agace prodigieusement. Poussant un soupire, la jeune fille ouvre la fenêtre de son bras valide pour découvrir une vue splendide sur un lac où des canards barbotent paresseusement. Les couleurs du ciel se reflètent sur l’eau et comme toujours quand elle fait face à la splendeur de la nature, Sybelle sent son âme vibrer. Prenant une grande bouffée d’air frais, elle se prépare à affronter la journée qui promet de ne pas être facile puis, de sa démarche vacillante, elle va vers le bahut. Se tenant au meuble, elle vide le verre d’eau avec lenteur, sachant que son estomac vide se révulserait si elle buvait trop vite. Et finalement, épuisée par tant d’efforts, elle se recouche. Plus tard elle réfléchira. Plus tard elle parlera avec sa cousine. Plus tard, elle se demandera ce qu’à fait Syu’ depuis leur dernière rencontre. Pour le moment, elle veut juste dormir.

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Syuzanna.
Le soleil se lève lentement, inondant la maison silencieuse de ses rayons dorés. Assoupie sur une chaise, la joue contre un épais grimoire, Syu cligne lentement les yeux alors que l'astre du jour lui frappe les paupières. Lentement, elle s'éveille, battant des cils avec force. Soupirant, elle referme le livre. Elle s'est encore endormie en étudiant ! S'étirant comme un chat, elle passe une main dans ses lourdes boucles rousses, cascadant dans son dos avec souplesse. Aussitôt, lui revient en mémoire la présence de sa cousine, là-haut, dans la chambre. Ne prenant que le temps de disposer sur un plateau de bois, quelques tranches de pain frais, du beurre, et une tasse de lait, elle escalade bientôt les marches menant à l'étage. Tout est silencieux. Lentement, elle enclenche la poignée de la porte, pousse le battant de bois d'un mouvement de hanche...

Sybelle est couchée, tranquillement dans son lit. La fenêtre ouverte, le verre d'eau vide, témoignent s'il le faut, que la jeune fille s'est pourtant bien levée. Fronçant les sourcils, l'Ecossaise s'avance néanmoins vers le bahut et y dépose son chargement.

Tirant à elle un tabouret, elle prend place aux côtés de la couche. Les questions se bousculent dans le crâne de la jeune femme. Que fait donc ici Sybelle ? Elle la revoit encore petite, intrépide et téméraire, l'imitant en tout ou presque. Un sourire affleure à ses lèvres aux souvenirs empreint de douceur et bienveillance. Depuis son départ d'Ecosse, tout cela lui avait manqué. Bien plus que ce qu'elle se l'avouait en général. Et revoir Sybelle, là, meurtrie, blessée, lui faisait ressentir la même colère sourde qu'autrefois lorsque les jeunes hommes du Clan s'amusaient à tourmenter sa jeune cousine. Il suffisait alors qu'elle arrive, elle, Syuzanna, pour que la bande de guerriers en puissance s'éparpillent comme une nuée d'étourneaux. Qui, cette fois, avait esquinté pareillement la jeune fille ?

D'une main douce, presque maternelle, si peu commun à ses gestes habituels, elle caresse les cheveux de Sybelle. Lorsqu'elle sera éveillée, il faudra qu'elle lui pose quelques questions. Et qu'elle vérifie les bandages. Mais elle a tant de choses à lui demander ! Depuis combien de temps est-elle en France ? Quelles sont les dernières nouvelles du pays ? Qui l'a agressé, le sait-elle au moins ?
Mais en attendant, pour s'occuper, elle commence lentement à tartiner de beurre, les épaisses tranches de pain.

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Sybelle
Le bruit d’un tabouret qu’on tire et une main passée dans ses cheveux. Voilà ce qui réveille Sybelle pour la seconde fois de la journée. Durant un instant, elle se laisse faiblement aller, appréciant la douceur du geste. Puis, lorsqu’elle se sent prête, elle ouvre les yeux. A côté d’elle, sa cousine c’est mise à beurrer du pain et l’odeur de la nourriture fait douloureusement se tordre l’estomac de la jeune fille. Dieu qu’elle a faim !

Une raie de lumière tombe de la fenêtre ouverte, nimbant de visage de Syu’ d’or, faisant resplendir son épaisse chevelure rousse. En la voyant, Sybelle sent son cœur se serrer. Dans les traits de sa cousine, elle retrouve ceux des autres membres de son clan. Sa rousseur lui rappelle celle des tresses de son père, la couleur de ses yeux est la même que celle de ceux de Keith, quant à la ligne volontaire de son menton… Elle est en tout point semblable à la sienne. C’est toujours comme ça la famille ? Est-ce qu’on se retrouve toujours dans les visages de ses proches ? Ou alors cela est-il un effet produit par son esprit fatigué ? Dans tout les cas, c’était douloureux de se sentir aussi proche d’un autre être. Elle qui avait voulu se défaire de tout attache n’avait finalement réussie qu’à tirer sur la corde qui la rattachait à eux sans jamais la couper.

Dans le regard de Syu’, elle peut lire une multitude de questions. Mais la véritable question est : est-elle prête à y répondre ? Elle avait toujours eu un petit côté sauvage… Oh, elle n’est pas du genre à se murer dans le silence mais le plus souvent, elle babille, ne disant que des choses plus ou moins vides de sens. Ce qui est important, elle le garde pour elle, bien enfermé dans une petite boîte qu’elle ne s’autorise à ouvrir que très rarement. Et là… C’est évident, la conversation qu’elles s’apprêtent à avoir sera forcément lourde de conséquence, lourde de sens… Poussant un soupire, elle envisage les possibilités qui s’offrent à elle. Refuser de parler ? Mentir ? Tout déballer d’un coup ? Dans les deux premiers cas sa cousine ne marchera pas et le troisième lui ressemble si peu qu’elle la rejette immédiatement. Que faire alors ?.. Parce que c’est une évidence, elle n’est pas prête à affronter les démons de son passé. Doucement, une idée vient à Sybelle : faire comme si elle ne parlait pas d’elle. Imaginer que ce qu’elle racontera ne lui appartient pas, qu’il s’agit de l’histoire d’une autre. Oui. Voilà, la solution.

Mais d’abord, elle aussi elle veut savoir. Le visage crispé par la douleur, la rouquine se redresse et s’assoit, se calant contre les coussins de plume.


Que fais-tu ici Syuzanna ? Qu’as-tu fait depuis que tu as quitté le clan, nous abandonnant aux mains de Blaine ?

Direct, sans appel. Sans le vouloir, Sybelle a laissé passer une certaine amertume dans son ton. En voulait-elle à sa cousine d’être partie, de ne pas avoir cherché à contourner le bannissement ? Oui… Oui, cela ne faisait pas de doutes. Mais en même temps, ils avaient tellement soufferts après son départ. Et elle, l'héritière de MacDouggal, l'héroïne de son enfance aurait du se battre pour les défendre. Ou tout au moins c'est ce que Sybelle croit.

Tu… Es-tu seule ici ? Ou bien… d’autres t’ont rejoint ?

Là, le ton se fait bien plus hésitant, plus doux. Et si… Non. Ils sont morts. Il n’est absolument pas possible qu’elle les retrouve. Ces espoirs ridicules n’ont aucun droit d’être. Bloquant totalement l’espoir qui a commencé à s’emparer d’elle, Sybelle fixe sa cousine, sans aménité. Il est tant qu’elle obtienne des réponses aux questions qu’elle s’interdit de se poser depuis son départ d’Ecosse.
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Syuzanna.
Sybelle s'éveille lentement, le teint plus pâle que jamais. Les traits tirés, crispés, elle se redresse doucement dans le lit, calant son dos contre les oreillers de plumes. L'Ecossaise se serait bien portée en avant pour l'aider, mais elle connait encore bien sa cousine, et se rappelle à quel point enfant déjà, elle voulait se débrouiller seule. Aussi la laisse-t-elle faire, non sans l'observer avec attention. Comme elle a changé, songe-t-elle. Tout en étant restée la même... Mais ce regard ! Quelle fierté, quel tempérament de feu s'y lit !

La première question fuse rapidement. Teintée de reproches, elle sonne comme un coup de cloches dans l'air. Quelle justification donner en effet, à son comportement de l'époque ? Elle, si sauvage, si impétueuse, plus têtue qu'un troupeau de mûles ? Qui ne se soumettait qu'avec peine à l'autorité, et uniquement celle de son père ? Son départ, et le fait qu'elle ne tente rien pour revenir, ne s'apparenterait-il pas, de près ou de loin, à une fuite ? La tête bourdonnant de questions, elle met un moment à répondre.


- Eh bien...

Pourquoi nous as-tu abandonné ? Abandonné... Oui, elle aurait pu faire quelque chose. Tenter quelque chose. Venger la mort de son père et de son fiancé. Pourquoi n'a-t-elle rien fait ?

- Eh bien...

Peut-être est-ce pour cela ? Peut-être pour cela qu'elle ne trouve plus le sommeil, ou si peu ? Peut-être parce qu'elle évite de se poser la question ? Peut-être est-ce pour cela que chaque nuit, durant ses quelques heures de repos, elle entend encore et encore, les hurlements de Duncan et de William MacDouggal ?

- Je... Je ne sais pas, Sissi.

Les paroles de la jeune fille font étrangement échos à ses cauchemars. Les cris de William et de Duncan qui lui répètent sans cesse, chaque nuit, les mêmes mots employés par Sybelle. "Pourquoi nous as-tu abandonné, Syu ? Pourquoi ous as-tu abandonné ?" Et elle s'éveillait toujours en sueur, tremblante, et apeurée. Apeurée et seule, vu le récent départ de son époux pour le village voisin. Elle se sentait rassurée, lorsqu'il était encore avec elle. Elle se blottissait contre lui le temps de se calmer, puis attendait quelques heures pour se lever, toujours avant le soleil. Mais depuis son départ...

- Je ne sais pas. Je regrette tellement ! Mais Père venait de mourir... Et Duncan... Mais tu étais là, tu as tout vu. Tu te souviens j'imagine... Et je crois que j'ai eu... peur. Oui, peur. Je voulais trouver refuge ailleurs, trouver quelques âmes pour reprendre le pouvoir, mais... Mais il y avait ce bâteau qui partait pour la France. J'étais seule, sans le sous, et désespérée. Je me rends compte aujourd'hui que la plupart des hommes de mon père m'auraient suivi. Qu'à nous tous peut-être nous aurions pu nous en sortir. Mais je me rends compte aujourd'hui que j'ai été lâche. Bien sûr, j'aurais, en me rebellant, risquer vos vies à tous, mais ce n'est pas la seule raison. Je le reconnais avec une profonde honte, j'ai été lâche.

Reconnaître ses tords, enfin, lui fait étrangement du bien. Comme si un poids quittait ses épaules. Elle soupire doucement, allégée mais non moins coupable pour autant. La seconde question est plus douce. Et elle y répond non sans plaisir :

- Certains sont ici, en France. Il y a notre cousine, Satinea, tu te souviens ? Elle est herboriste à Angers maintenant. Et notre cousin, Manu. Tu ne l'as pas connu je crois, son père est mort assez jeune, et sa mère a préféré retourner dans son pays d'origine, en Espagne, pour l'élever. Et il y a une nouvelle incroyable ! Père a eu une aventure deux ans après la mort de mère... Donc deux ans après ma naissance... J'ai une soeur ! Elle se nomme Caitriona. Et il y a notre cousin Lahire, notre cousine Elaura... Mais je n'ai guère de nouvelles d'eux deux. Pas souvent.

Un doux sourire se peint sur son visage, alors qu'elle songe aux siens. Elle aime les savoir avec elle. Les savoir plus ou moins proches d'elle. D'elles, désormais. Puis vient la question, la sienne, celle qu'elle se pose dès qu'elle a reconnu Sybelle :

- Mais dis-moi Sissi... Qui t'a fait ça ? Et comment se fait-il que tu sois toi-même en France ?
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Sybelle
Syu’ hésite, balbutie… C’est surprenant de voir l’intrépide jeune femme si mal à l’aise. Toutefois, si la vénération qu’elle voue depuis toujours à son aînée pourrait la pousser à l’indulgence, l’amertume qu’elle ressent est plus forte que la compassion. Les silences de l’herboriste sont aussi révélateurs que ses mots et sur son visage, on peut lire la trace de la culpabilité, de la honte peut-être même… Cela satisfait la colérique rouquine. Peu charitable, celle-ci trouve juste que sa cousine ai partagé leur souffrance.

Peur, solitude, doute… Si la rouquine s’interdit de ressentir le premier, les deux autres sentiments lui sont bien connu maintenant et elle sait combien il est dur de vivre avec. Toutefois, cela n’excuse qu’à moitié le départ de Syuzanna. Et une phrase plus qu’une autre, fait flamboyer la colère de la châtaigne. Trop tard pour jouer l’indifférence. C’est trop douloureux, trop proche encore dans son esprit pour qu’elle soit capable de faire comme si elle ne l’avait pas vécu elle-même.

Je me rends compte aujourd'hui que la plupart des hommes de mon père m'auraient suivi. Qu'à nous tous peut-être nous aurions pu nous en sortir. 

Comment as-tu pu ne pas t’en rendre compte ?! Crache-t-elle, d’une voix basse mais pleine de venin. Ils auraient donné leurs vies pour toi ! Nous serions tous morts pour défendre notre cause ! Et au lieu de ça nous avons été massacrés comme des chiens !

Se renfrognant, elle écoute Syuzanna parler des membres de la famille qui vivent en France. Satinea, Lahire, Elaura… Elle les connait mais n’a jamais été proche d’eux. Petite dernière d’une grande famille, dotée qui plus est d’un caractère emporté, elle avait souvent été solitaire. Quant à Manu, elle en avait vaguement entendu parler sans jamais se soucier de lui… Et Syu’ a une sœur. L’histoire aurait pu l’intéresser en temps normal mais la seule chose qu’elle retient, c’est que ses frères ne sont pas ici. Keith, Logan… La lueur d’espoir qu’elle avait un peu plus tôt tenté de chasser s’éteint brusquement.

A son tour, Syuzanna interroge la jeune fille. Le visage de celle-ci se ferme totalement, son expression se durcit. Qui lui a fait ça ? Qui a tenté de la tuer… Elle ne le sait pas mais elle trouvera. Et le jour où elle mettra la main sur ces brigands, elle achèvera le travail si bien commencé.

J’ai été agressé par des brigands en venant ici. Ces fils de… Ils étaient bien organisés et ils avaient posté un archer en embuscade. Sans ça, je les aurai massacré. J’en avais déjà eu deux, il ne m’en restait plus que deux quand la flèche m’a touché. Et puis… Ils savaient se battre, admet-elle difficilement, ne supportant pas l’idée d’avoir été vaincue.

Tentant de juguler la colère qui l’habite, Sybelle ferme les yeux. Toute cette rage qu’elle peine grandement à contenir ne fait qu’augmenter son mal de crâne et les ondes de douleur que diffusent ses côtés brisées. Cependant, elle n’a jamais été un modèle de maîtrise et c’est à grand renfort d’idées sanglantes qu’elle réussie à se contenir. Oui. Elle se vengera. Mais pas tout de suite. Patience, patience…
Répondre à la seconde question n’est pas plus aisée. Haine brulante. Déception sans borne. Tristesse infinie… Tout cela se mêle et il est bien difficile pour la jeune fille de démêler l’écheveaux de ses sentiments pour s’exprimer de manière clair.


Tu as vu dans quel état Blaine était avant ton départ… Eh bien cela a empiré. Il avait peur que le pouvoir lui échappe je suppose… En tout cas, il a fini par se décider à tuer tout ceux qui avaient été trop proche de MacDouggal. Il y a eu divers assassinats… Mère suppliait père de fuir mais, tu le connais… Il ne voulait pas abandonner nos terres et Keith et Logan soutenaient cette idée. Il a tenté de réunir d’autres personnes pour se battre contre Blaine, mais la plupart de ceux qui auraient pu le contrer étaient soit déjà morts, soit en fuite. Finalement, père est mort dans une embuscade qu’on lui avait tendu… Ils ont du s’y prendre à onze pour l’avoir, explique-t-elle d’une voix ou perce malgré tout une certaine fierté.

Après cela, mère a été pendue à son tour. Voyant les choses empirer et sachant que nous étions les prochains sur la liste, Logan et Keith ont décidé de fuir vers la France… Nous devions partir ensemble tous les trois mais la fiancée de Logan était restée là-bas et il ne voulait pas la laisser. Ils m’ont collé dans un bateau en partance pour Calais afin que je sois en sécurité. Ils devaient me rejoindre juste après… Ils devaient seulement aller la chercher… J’ai voulu rester avec eux bien sur, mais je n’avais que treize ans et pas mon mot à dire. Je les ai attendu pendant trois mois dans le port…


Tremblante, Sybelle ferme les yeux. Les funérailles de nuit de son père bien-aimé, car il avait été interdit qu’il soit dignement inhumé. Le corps de sa mère, pendant dans le vide, oscillant au gré du vent. Et finalement cette fuite solitaire dans un pays inconnu, loin de tout ses repères.
Comme il avait été douloureux de perdre au compte-goutte tout ceux qui comptaient pour elle. Comme il avait été terrible de se poster chaque jours face à l’océan en attendant l’arrivée de ses grands frères, sans jamais les voir arriver. Comme il avait été dur de se résigner à l’idée qu’eux aussi étaient morts.
Se mordant les lèvres, Sybelle s’interdit de pleurer et elle rouvrit les yeux, posant sur sa cousine, un regard ou la haine le partageait à la tristesse et à la lassitude.


Voilà Syuzanna… Tu sais tout.

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Syuzanna.
Syu reste figée, la tartine dans une main, le couteau dans l'autre. Elle a l'impression étrange de s'être muée en verre. Comme si le moindre de ses gestes la ferait voler en éclat. Brusquement, la chambre disparait. Elle se retrouve, assise sur son tabouret, devant le lit occupé par Sybelle, au beau milieu d'un champ de bataille. Le sifflement des flèches, les tintements violents des épées s'entrechoquant, les hurlements des guerriers... Et cette petite rousse doublement nattée, au visage bariolé de peinture bleue, beuglant aussi fort que les hommes tout en virevoltant parmi ceux qui autrefois étaient ses frères, ses amis, une lame dans une main et une hachette dans l'autre... Elle l'ignore encore, mais cette guerrière verra son père mourir avant que l'heure ne soit achevée. Et il n'y aura guère de temps pour que son fiancé suive le même chemin. Pour le moment, Duncan est à un mètre d'elle, ses cheveux bruns bouclés dansant sur son front. Et les autres, tout autour d'eux, se battent aussi. Certains tombent, mais la majorité reste debout. Pour le moment. Oui, elle peut lire dans chacun des regards que ces hommes-là se battent pour son père, et pour elle-même aussi.

La scène de combat s'estompe, mais la colère dans les yeux de Sybelle est resté. Et comment lui en vouloir ? Le temps des explications n'est pas encore fini, et il lui faut désormais affronter sa honte.
Elle pose lentement la tartine de pain près des mains de Sybelle. Sa cousine doit avoir faim. Et puis peut-être qu'une fois qu'elle aura la bouche pleine, elle sera moins encline à poser des questions douloureuses pour toutes les deux. Elle prend donc sa respiration, et lève les yeux vers sa cadette, décidée soudain, non à se justifier, mais à lui faire comprendre le pourquoi de ses agissements.


- Je n'ai jamais douté de vous, Sissi. D'ailleurs, n'étais-je pas toute désignée naturellement pour succéder à mon père lorsqu'il serait mort, d'une façon ou d'une autre ? Il n'avait pas eu de fils, et Duncan avait accepté de porter notre nom et non le sien. Père le lui avait demandé en échange de ma main. MacArtair, le père de Duncan, avait quant à lui un autre fils pour porter son nom et je crois qu'il était plutôt fier du fait que son fils soit chef à mes côtés un jour.

Elle sourit doucement, se remémorant les sourires de son fiancé à jamais disparu. Puis elle reprent bientôt, consciente du fait que le moment n'est pas venu de songer à cela.

- J'avais toute confiance en vous. Mais ce jour-là j'étais brisée, Sissi. Les trois hommes qui comptaient le plus pour moi sont tous morts. Père, tout d'abord. Duncan ensuite, devant moi, et nous ne nous sommes pas quittés du regard durant l'exécution sommaire et injustifiée. Et puis Aonghas, le traître qui a insuflé à Blaine cette idée de rébellion. Mon Oncle, le frère de ma mère, décapité... Son seul souhait avant son décès a été que je puisse continuer à vivre. Et comme Blaine avait peur que je me venge, il a décidé de me banir, plutôt que de me garder au Clan. Mais tu sais tout cela. Je dus partir, puis mon Oncle fut tué. Je savais que les troupes de Blaine seraient à mes trousses, cet homme n'ayant aucune parole, aucun honneur. Je ne sais si tu te souviens, mais je dressais les chevaux, et je dois bien reconnaître que j'étais de ce fait, une excellente cavalière. Et c'est uniquement cette aptitude qui me permis de m'enfuir vers les côtes. J'ai pris un bâteau en Grande-Bretagne... piloté par des Françoys. Je l'ai pris presque sans réfléchir. Je revoyais sans cesse, encore et encore, mon père s'effondrer, le regard de Duncan...

Elle s'interompt, incapable de poursuivre. Les yeux clos, elle revoit une nouvelle fois l'étincelle de vie s'échapper des prunelles saphir de son fiancé. Mais elle chasse bien vit cette pensée de son esprit. Ce n'est guère le moment de songer à cela. Même si elle ne saura jamais si ce regard-là était emprunt de tendresse ou de reproches.

- Tout ceci ne sert en rien d'excuse à mon comportement, et je n'aurais pas assez de ma vie pour effacer cette faute, j'en suis consciente. Et je ne pourrais jamais non plus changer cela. Je n'étais pas sûre d'avoir la force de leur résister. Je n'étais pas sûre de supporter de vous voir mourir à mes côtés, et je ne pouvais m'empêcher d'espérer que Blaine vous épargnerait. Mais j'avais tort...
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Sybelle
Si sa cousine se fige, Sybelle elle se sent trop perturbée pour rester immobile… Ou pour manger la nourriture qu'on lui offre. Lentement, douloureusement, elle se lève et va se poster à la fenêtre, tournant le dos à Syuzanna. Comme elle la connait la souffrance qu’elle a ressentit. Oh bien sur, la colère ne disparait pas de son cœur juste parce qu’elle se reconnait dans les sentiments évoqués. Comment pourrait-elle la chasser alors qu’elle fait partie d’elle depuis si longtemps ? Toutefois, ces sentiments à l’égard de son aînée s’adoucissent. Après tout, n’a-t-elle jamais fait d’erreur, elle ?

Chassant les inopportuns souvenirs qui reviennent par dizaines, elle fixe le lac. Tout est paisible et ordonné dehors. Rien à voir avec son esprit où règne un bazar sans nom. Elle avait eu raison de vouloir prendre des forces… La journée était belle et bien difficile et pas seulement physiquement. Cela aurait été tellement facile de juste avoir mal… Des membres meurtries, ça se répare On souffre mais on serre les dents et très vite, la Nature fait son œuvre et on se remet. Mais Sybelle, elle n’est pas juste un corps en charpie. Elle est une âme blessée par un passé trop lourd pour ses frêles épaules. Elle est un cœur emplie de rage, parce que la colère est plus facile a accepter que la souffrance : ça au moins, elle peut faire comme si c’était son choix et pas quelque chose qui c’est imposé à elle. Et à cet instant précis, elle est aussi un esprit divisé entre deux solutions.

Elle peut choisir de partir. Certes elle n’est pas bien vaillante mais il ne devrait pas être trop compliqué de trouver un dispensaire où se remettre avant de partir vers de nouvelles aventures. Et la perspective de faire comme si ces retrouvailles n’étaient qu’un mauvais rêve est enchanteresse, car jusqu’à présent, voir Syuzanna lui a apporté de la peine et rien d’autre.

Mais en même temps… Peut-être serait-il temps d’arrêter de fuir. Oublier ce qu’elle a vécu est impossible. Et elle ne veut pas oublier. Tout ceci fait parti de ce qu’elle est maintenant. Mais… Accepter son histoire, faire son deuil et avancer. Voilà qui devrait être possible. Se tournant pour observer sa cousine, Sybelle se demande si celle-ci a déjà entamé le processus. Si elle se fit à la peine qu’elle peut lire sur son visage, elle dirait que non en tout cas. Alors peut-être pourront-elles essayer de le faire ensemble. Car après tout le sang ne ment pas, et c’est le même qui coule dans leurs veines. Elles sont les héritières d’hommes fiers et courageux. Elles sont les représentantes d’une famille dont elles n’ont pas à rougir malgré les événements les plus récents. Et son père… Que dirait son père si il la voyait tourner le dos à sa cousine ? On pardonne à sa famille.

Cette dernière idée plus que toute autre, pousse Sybelle à mettre sa fierté de côté pour faire un premier pas. D’une démarche encore et toujours vacillante, la rouquine s’approche de Syuzanna et pose une main sur son épaule. Le geste se veut fort mais la pression sur l’épaule de l’ainée des deux femmes est infime. Sous les ecchymoses, le visage de la jeune fille est d’une pâleur cadavérique mais son regard est si pleins de détermination que n’importe qui réaliserait qu’ici, l’esprit est plus puissant que le corps.

Elle voudrait dire tellement de chose… Elle voudrait dire comme elle a souffert de la perdre. Elle voudrait dire qu’elle lui pardonne ses erreurs, même si elle est toujours incapable de se pardonner à elle-même. Elle voudrait dire les larmes qu’elle a versé et la terreur qu’elle a éprouvé. Elle voudrait dire sa solitude et le poids sur ses épaules. Elle voudrait dire sa colère envers ceux qui ont tué les siens et son désir de vengeance. Elle voudrait dire le manque… Mais Sybelle n’est pas une poétesse. On lui a apprit à manier les armes et pas les mots et si elle parlait, les idées perdraient en force et en valeur. Alors elle se tait et elle essaye de communiquer tout ceci au travers de son regard.

Il est temps de se concentrer sur le présent, non ? Dit-elle d’un air bien plus calme qu’auparavant. Je… Tu me connais… Il y aura des crises et des cris, des portes claquées et des sautes d’humeurs… Mais puisque nous ne pouvons oublier, peut-être pouvons-nous essayer d’avancer. Et de se soutenir dans cette avancée.

Proposition bancale, d'allure peu engageante et faite d'une voix enrouée, par une jeune fille à moitié morte. Mais, Sybelle le sait, Syu' n'est pas non plus du genre à choisir la voie de la facilité. Et de toute manière, elle n'a pas mieux à proposer parce qu'elle est comme ça. Chez elle, les défauts sont plus imposants que les qualités, c'est un fait. Rien ne sert de le cacher.

Épuisée par tout ceci, elle se laisse tomber sur le lit. Elle a du mal à respirer et l'impression qu'on a posé des pierres sur sa cage thoracique lui revient. Prise d'une quinte de toux, elle porte sa main valide à sa bouche, le corps violemment secoué par cet accès. Et une fois ceci fait, elle hésite quelques secondes, car elle a sentit des projections humides sur sa main tandis qu'elle toussait. L'écartant légèrement de sa bouche pour pouvoir la voir, elle réalise que se qu'elle craignait vient bel et bien de se produire : sa paume est teintée de goûtes carmins et même si elle n'est en rien guérisseuse, la jeune fille sait bien que cela n'est généralement pas bon signe, quand on se met à cracher du sang.

Lentement, elle lève les yeux vers sa cousine, y cherchant des réponses. Si Syu' a l'air trop inquiète, alors c'est fichu pour elle, ça ne fait pas de doute.

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Syuzanna.
La main de Sybelle se pose sur son épaule, et la serre faiblement. Levant les yeux vers sa cousine, Syu tente de décrypter le regard qu'elle lui lance. Elle voudrait bien y lire le pardon, mais n'ose trop y croire. Peut-être parce qu'elle même ne pourra jamais s'absoudre de ses fautes ? Peut-être parce qu'il lui parait inconcevable qu'on la pardonne alors qu'elle-même est incapable de le faire ?

Mais dans les yeux de Sybelle brille autre chose. Autre chose que l'Ecossaise finit par comprendre. Délicatement, Syu ôte la main posée sur son épaule. Se levant, elle hésite un instant, mais passe outre l'instant de gêne, et entoure sa cousine de ses bras, dans une étreinte pleine de douceur. Elle ne serre toutefois pas très fort, de peur de lui faire plus mal encore. Et assez maladroitement, peu habituée à ce genre de rapports humains. Dans cette accolade, elle essaye de faire passer sa joie de retrouver sa cadette, tous ces mots tendres qu'elle ne sait pas prononcer, l'assurance que désormais, elle sera là pour elle. Qu'elles seront là pour elles. Qu'elle ne la retiendra pas contre son gré si elle veut partir, mais qu'elle la comblerait de joie en acceptant de rester.


- Je serai heureuse d'essayer de tourner la page en ta compagnie, Sissi, murmure-t-elle.

Puis tout aussi doucement, elle s'écarte de Sybelle, la laissant réintégrer le lit. Ce que la jeune fille fait, en grimaçant de douleur. Elle-même reprend place sur le tabouret, un léger sourire accroché aux lèvres. Que faire à présent ? Que dire ? Elle a tant de choses à lui apprendre qu'elle ne sait par où commencer. Son mariage avec un Danois ? La découverte de sa soeur ? Sa vie depuis son arrivée en France ?
Mais l'occasion ne lui est pas encore donné de parler de tout ceci. Une quinte de toux de Sybelle arrache à sa cousine un froncement de sourcil. Tousser en ayant les côtes brisées, voilà qui peut éventuellement...
Le sang dans la paume de la jeune fille rejoint les pensées de Syu. Se relevant aussitôt, l'herboriste force doucement mais fermement, sa cousine à s'allonger de tout son long sur le lit. Elle s'oblige à ne pas laisser transparaître son inquiétude. Le visage fermé, elle réfléchit à toute vitesse. Elle avat déjà vu cela, autrefois, au Clan. Les guerriers crachant du sang après une bataille, ou tout simplement à la suite d'une bagarre, si courante lorsque le taux d'alcoolémie avait atteint un certain seuil. Et les conseils de la guérisseuse n'avaient pas toujours été mauvais. Néanmoins, il faut qu'elle fasse quelque chose.


- Ne t'inquiète pas, lance-t-elle à la fois pour elle-même et Sybelle. Il est possible, comme tu as les côtes cassées, il est fort possible que... qu'un de tes poumons ait eu à en pâtir. Je pense à une... perforation des poumons.


Mais comment soigner cela ? La vieille Anna précaunisait le repos et l'immobilité, et administrait de nombreux sédatifs aux cabossés qu'elle soignait. Faut-il faire de même ? Après tout, la guérisseuse avait soigné un bon nombre d'hommes et de femmes, et elle-même avait beaucoup appris à son contact. Il ne reste donc plus qu'à prévenir la remuante Sybelle qu'elle ne pourra plus bouger le petit doigt durant un long, long moment !

- Il va te falloir rester immobile, totalement immobile. Combien de temps exactement, je ne saurais le dire, mais au moins six semaines, que tes côtes se resoudent.

Elle s'interompt, laissant la jeune fille digérer le début d'information qu'elle vient de lui donner.
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