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[RP] L'Aveu

Anaon
    Aria de soupir. Froissement de peau. Les chairs se mêlent dans le rythme d'un même assaut. Spasmes du désir. Les doigts se resserrent dans la chevelure d'ébène. La gorge se brûle au contact du souffle en déroute, celui d'une bête qui cavale. Les corps se prennent, s'apprennent encore l'art de la douceur et la douleur. Yeux grands ouverts, elle accuse sans broncher les conséquences de sa propre jouissance. Étrange sensation...

    Elle analyse, spectatrice, ses propres soupirs. Son corps frémit, son corps gémit, mais l'esprit reste insensible à cette adrénaline qui le galvanise. Elle est comme... étrangère à ses propres chairs. Contemplatrice d'un plaisir mécanique à travers des parois vivantes. Soubresaut. Son amant s'enhardit entre ses cuisses. Elle reste impavide.

    Les azurites s'attardent sur le monde qui les entoure. Du noir, partout. Un monde d'encre. Vide. Eux seuls, éclairés par une lumière qu'elle ne peut pas voir, allongés sur un lit de ténèbres. C'est étrange qu'elle ne s'en surprenne pas. Mais ici les sensations n'ont pas leur place. Ses narines frémissent. Ça sent l'eau. Un mélange de poisson et de mousse humide. Ça sent les plantes aussi. Une armada de senteur qui s'entremêlent. L'odeur de la rose surtout, mêlée à celle plus brut du bois de sapin. Le nez se chargent de toutes ses fragrances réunies dans un mélange des plus improbables. Des odeurs qui essayent de titiller la mémoire endormie de ses méninges. Il y en a une autre qui se dégage à présent. Comme un flash lumineux qui traverse son esprit. Le genre de senteur qu'on ne peut qualifier, mais que l'on reconnaît immédiatement. L'odeur du vivant. Elle constate alors que Judas contre son corps n'a pas d'odeur.

    On les regarde. Elle n'a pas besoin de le voir pour le savoir. Elle le sait, c'est tout. La tête pivote et le regard se fige. Il y a une petite fille qui les observe dans l'ombre. Instant hors du monde. Elle a de longs cheveux d'un blond des plus blanc... mais surtout de magnifiques yeux gris. De grand yeux qui figeraient n'importe quelle âme. De beaux yeux innocents et tristes. Elle a huit ans. Elle sent, l'Anaon, son souffle qui se coupe. Elle voudrait tendre une main vers la petite fille, mais ses doigts restent arrimés aux reins de son amant.

    Les ténèbres se meuvent. Il y a des mains qui sortent de l'ombre, des pognes d'homme. Des doigts agiles, des doigts crasseux. Des dizaines qui s'agitent et qui se coulent sur la peau d'albâtre de gamine, qui sculptent ses courbes de manière les plus obscènes. Ils la déshabillent. La petite fille ne bouge pas, son regard toujours scellé dans celui de l'Anaon. Elle grandit à mesure que les mains impétueuses se font plus nombreuses. Elle a quatorze ans. Des bleus apparaissent sur sa peau. Ses lèvres se fendent en laissant couler quelque perles carmines. La douleur, dans le gris de ses yeux.

    Judas grogne à son oreille. C'est la fin. L'Anaon tremble. Son cœur s'emballe au même rythme que sa respiration s'essouffle. Les azurites n'ont pas quitté la silhouette qui se fait peu à peu ronger par la perversité. Elle veut pleurer. Tout s'emballe.

    Elle ne sait pas alors, à l'instant du dernier coup de rein, à l'instant ou les ombres ont recouvert le corps de sa fille, elle ne sait pas si c'est un cri de jouissance ou un sanglot qui vient éclater sa nuit.



    Claquement. Éveil. La conscience encore engluée dans ses limbes, elle garde les yeux clos. L'ouïe est déjà à l'affut. Elle entend les pas feutrés de la domestique qui s'éloigne dans le couloir. Comme chaque matin, elle vient de lui apporter une bassine d'eau fraiche et propre. Claquement étouffés. Il pleut. Un soupire vient affaissé la poitrine de la mercenaire alors qu'elle émerge pleinement de ses limbes. De sa culpabilité. Les paupières s'entrouvrent douloureusement. Elles lui semblent gonflées et pâteuses. Le manque de sommeil. Par l'interstice qui se dévoile, elle boit la lumière malade qui envahit la pièce par les rainures des volets clos. Une lumière blanche et moribonde. Une lumière de jour de pluie.

    La balafrée s'assoit sur sa couche avec précaution. Elle vient frotter en grimaçant ses yeux qui ne la brûlent que plus encore. Ce n'est qu'à l'aube, à l'instant même où elle a l'habitude de se lever, que l'Anaon avait trouvé le sommeil. Un répit de deux pauvres heures des plus chaotiques. Routine. Le regard céruléen s'attardent sur la fenêtre qui distille la mince lueur de l'extérieur. Puis il s'affaisse sur son rebord et sur le petit coffret de bois qui y demeure sagement posé. Sa gorge se noue. Un petit coffre légèrement travaillé, sans grosse fioriture. Élégant dans sa discrétion. Une dernière demeure pour la cendre de ses souvenirs. Elle sent le sel de quelques larmes lui picorer les paupières, mais rien ne vient franchir ses remparts de chairs.

    Le chaperon se lève, lèvres pincées et mains sur ses tempes. Vertiges et nausées sont devenues de désagréables amies. Dérouillant ses muscles fourbus de ne pas avoir goutter à un vrai repos depuis longtemps, la mercenaire se dirige vers un coffre acculé au mur adjacent. Cela fait quelques jours qu'elle a retrouvé l'enceinte de Château-Gontier. Et cela faisait plus d'une lune qu'elle l'avait totalement délaissé, sans un mot, sans un signe, pour partir on ne sait où, avant de revenir un beau soir trouver la Josselinière sur les bancs d'une taverne.
    L'Anaon s'accroupit devant la malle dont elle fait sauter les clapets.
    Un soir, où elle n'avait servi pour seule explication à la Penthiève qu'un simple "Pardonnez-moi". Yolanda avait crié, mais Yolanda est Miséricorde. Elle avait pardonné sans autre forme de procès. Les langues s'étaient alors déliées sur des sujets divers. Objectivement, on pourrait dire que l'Anaon n'a pas passé une trop mauvaise soirée. Mais à l'heure du départ, la blonde avait voulu savoir le Pourquoi. L'Anaon s'était immédiatement renfermée et depuis lors, elle se montrait des plus mutiques et distantes avec l'entourage de la jeune noble.

    Le regard contemple le fond du coffre. Bustier et gilet. Une paire de braie et deux chemises. Quelques étoffes plus chaudes pour les temps froids. Il faudrait songer à garnir un peu cette garde-robe. Nourrie, logée, blanchie, la solde qui tombe dans sa poche à la fin de chaque semaine n'est qu'un pur bénéfice qu'elle amasse depuis l'été sans jamais le dépensé. Judas lui doit d'ailleurs deux paires de braie. Elle pourra sans doute courir longtemps avant d'avoir gain de cause.

    Ce soir-là, la Roide avait aussi eu droit à une retrouvailles. Une surprise. Elle en a encore des frissons et la main qui tremble. Ah, elle revoit cette gorge si joliment livrée. Et ce doux reflet du métal sur la couleur de la chair. Ce soir, elle avait voulu "danser" comme elle n'avait pas voulut le faire depuis longtemps. Ça lui avait mis le vertige aux tripes. Il n'y a bien eu que le de Nerra qui lui a collé une adrénaline pareille. De Nerra qui était là, ce soir. Ce soir, où elle aurait tout fait pour danser, si seulement...

    Le couvercle du coffre claque. Braies et chemise noires en main, la mercenaire s'approche de la bassine et s'affaire à ses ablutions. L'eau fraiche soulage ses yeux rougis par les insomnies, mais elle ne fait pas pour autant de miracle. Elle n'efface pas les heures passées le regard grand ouvert sur les imperfections de son plafond. Les ridules de l'âge sont devenus sillons. Les doigts glissent patiemment dans les cheveux bruns avant de lisser l'unique tresse qui pend à son oreille. La seconde s'est liée au blond qui sommeille dans le coffret de la fenêtre.

    Enfin changée et rafraîchie, le chaperon quitte sa petite chambre pour rejoindre celle de sa protégée, accolée à la sienne. Quelques coups pour annoncer son arrivée. Aucun bruit. La porte est poussée sur un amas d'obscurité. Pas de Yolanda debout, ni de demoiselle de compagnie. A croire que tout le monde s'est accordé sans concertation pour s'octroyer une petite grasse matinée. La balafrée traverse alors l'obscurité sans un mot et vient tirer les rideaux et volets qui obstruent la lumière du jour.

    La chambre se nimbe d'une lueur opalescente. Le chaperon se tourne. Les mains se nouent dans son dos. Elle attend.

Musique " More Prays ", The Tudors Saison 2 par Trevor Morris
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Images originales: Victoria Francès, concept art Diablo III - [Clik]
Yolanda_isabel
    –« Qu’est-ce que signifie « apprivoiser ? »
    -« C'est une chose trop oubliée, dit le renard. Ça signifie "créer des liens..." » […] « Bien sûr, dit le renard. Tu n'es encore pour moi qu'un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n'ai pas besoin de toi. Et tu n'as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu'un renard semblable à cent mille renards. Mais, si tu m'apprivoises, nous aurons besoin l'un de l'autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde... » […] « Les hommes ont oublié cette vérité, dit le renard. Mais tu ne dois pas l'oublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta rose... »
      Le Petit Prince, Chapitre 21, d'Antoine de Saint-Exupéry.

Et quand les rideaux sont tirés et que l’automnal astre du jour s’immisce dans la chambre, il révèle une adolescente aux traits tirés. Un œil est ouvert, une grimace esquissée et les draps et fourrures sont relevés pour cacher le visage chiffonné par la nuit éprouvante. Il n’y a pas que les adultes qui rêvent de terreur et dans le monde parfait de Yolanda Isabel, il y a des cauchemars terribles, et cette nuit plus que les autres. L’Ankou ne se lèvera pas, à peine si le dogue relève une paupière, trop épuisé de cette nuit passée à consoler les pleurs d’une pucelle terrifiée. Et de sous la masse, une voix fluette s’élève.

-« Il est trop tôt.. Je veux encore dormir. »

Rien ne semble changer, alors le cocon chaud de la nuit est repoussé d’un coup de pied rageur, et elle s’extirpe de la couche pour rejoindre Anaon. L’azur se pose sur son aînée, et les yeux rougis par les larmes et le sommeil essaient de sonder son vis-à-vis en vain, et en désespoir de cause, le bras de la Balafrée est attrapé et tiré à sa suite sur la couche. Derechef, elle se glisse sous les fourrures, s’installant d’autorité, la tête sur un sein, le bras autour d’une taille et la main d’Ann est saisie pour être déposée avec force conviction sur les boucles blondes. N’a-t-elle pas compris ? Il est trop tôt pour se lever, et derrière le rempart que forment les paupières déjà refermées, elle ne voit plus le jour, trop obnubilée par les rêves terrifiants de la nuit, et c’est avec douleur, qu’elle s’exprime de cette voix brisée qu’ont les matins détestés.

-« J’ai rêvé que Marraine revenait pour me dire que vous deviez tous partir. Ségur était avec elle, ma tante Kilia aussi.. J’ai rêvé que Linien me quittait en disant vouloir revoir les cuisines parisiennes. J’ai rêvé qu’Aimbaud et Clotaire partaient avec ma tante, et que toi aussi, tu repartais. »

C’est terrifiant la Mort, et c’est parce que cela la terrifie qu’elle a appelé son chien Ankou, pour la prémunir d’une mort sans préavis. Ankou la préviendrait le jour venu, mais Ankou ne l’a pas prévenu que cette nuit, la Mort s’inviterait à l’huis de son inconscient. Les doigts blancs se resserrent sur l’étoffe noire de la chemise, se crispent pour être forte, pour être femme, mais les yeux qui se chargent de larmes sont ceux d’une enfant terrorisée, tant par la Mort, que par l’inéluctable constatation que ni Marraine, ni sa tante, ni Ségur ne reviendront, et qu’un jour, d’autres qu’elle aime, partiront à leur tour, grossir les rangs de ses chers disparus. Sur le cou si près d’elle, elle dépose un baiser fugace, pas un baiser d’amant, non, un baiser de mère, un baiser amer. Et tant pis, si les autres voient en Ann, une domestique, elle est la tendresse que personne ne lui donne sinon sa tante Alatariel et son frère. Faculté détestable qu’a Yolanda de s’accaparer les attentions de chacune des femmes qu’elle rencontre, chacune des mères. Et elle ne sait pas que celle-ci souffre dans son cœur de mère. Elle ne sait rien et c’est là que le bât blesse, les doigts légers dessinent des arabesques sur le ventre, des dessins d’enfant.

-« Pourquoi est-ce que vous m’avez abandonné ? Vous aviez promis Ann. »

Oui, c’est terrible de revenir sur une promesse, surtout faite à une jeune fille trop seule, alors il faut au moins une très bonne raison, et cette raison, elle veut la connaître, pas pour ne garder aucune rancœur, Yolanda ne maîtrise ni la rancune, ni la vengeance, mais pour aider Ann qui semble chaque jour plus encore s’enfoncer dans un mutisme douloureux. Et Yolanda n’aspire rien tant qu’à aider les gens qu’elle apprécie.

-« Pourquoi est-ce que vous êtes partie loin de moi ? J'ai fait quelque chose de mal ?Vous n'étiez pas heureuse ici ? »

Cela doit être ça. Cela ne peut être que ça. Mais la douleur qui laisse un trou béant dans son coeur est là, malgré les promesses, on peut l'abandonner.
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Anaon
    La main se resserre. Le corps l'entraine et la langueur qui étouffe ses sens inhibe la moindre désobéissance. La mercenaire est couchée, enlacée tandis qu'un flash lui éclate le crâne. L'éclair de la douleur se réveille à l'instant où la jeune Josselinière s'allonge sur sa hanche gauche. L'Anaon se crispe. La large entaille tendait à se cicatriser, mais après une prime infection, la plaie avait une guérison bien lente et sans doute ne retrouvera-t-elle jamais une parfaite insensibilité à cet endroit-là. La main est plaquée de force sur les boucles blondes. La scène est en place. Qu'on frappe les trois coups, que le rideau se lève! Premier acte: La Tendresse. Mais l'Anaon ne remplit pas le rôle qu'on lui octroie. Dans les bras adolescents, la femme reste de marbre.

    Les yeux demeurent plaqués sur le plafond du lit dont la lumière matinale n'arrive pas à en éclairer les recoins. A l'esgourde nonchalante s'épanchent les murmures craintif de l'adolescente et l'Anaon remarque alors une petite chose étrange. Le tutoiement qui c'est immiscer dans le flot de parole. Le chaperon ne s'en offusque pas ni même ne s'en réjouit, elle constate, banalement. C'est çà, le deuil. Une platitude d'émotion jalonnée de gestes mécaniques. Un état de survie sans ressentis. Manger parce qu'il faut manger, boire parce qu'il faut boire. Vivre parce qu'il le faut bien. En temps normal, les doigts se serraient refermés avec tendresse dans la chevelure soyeuses, ils auraient accompagnés de caresses délicates les mots réconfortants qui auraient franchi ses lèvres. Mais aujourd'hui, rien ne vient, ni geste ni paroles. Rien qu'un silence d'automate.

    La conscience frémit. Les doigts de la jeune fille s'animent doucement sur sa panse. Mais l'attention est bien vite détournée quand d'autre mots brisent le silence. Les dents se resserrent. Abandonné. Oui, qui n'a t-elle jamais abandonné? Elle a abandonné son village, sa famille. Son rang, ses amis. Elle a abandonné Judas, comme elle a abandonné Nyam. Elle a abandonné Yolanda. La pertinence de son cauchemar lui revient comme une claque. Une vérité percutante pas tellement imagée. Oui. Pour les bras de Judas, elle a abandonné ses enfants.



      - * -

    Il avait fait chaud ce jour là. Le ciel couvert de nuage sombre menaçait de craqué avant la fin de la journée. Et cela n'avait pas manqué, les cieux déversaient leur chagrin en un fin chagrin pourtant peu coutumier en Provence à cette heure de l'année. Francine détourna son regard de la fenêtre. Les mains replongèrent dans le bac d'eau d'où elle ressortit quelques écuelles qu'elle frotta vigoureusement. La journée avait été rude, mais le potager avait été terminé avant l'arrivée de la pluie et Francine en était heureuse. Ils auront de bon légumes pour l'hiver et pourront manger du potage tout les soirs. La ménagère releva le nez pour demander fermement à son ainé d'attiser un peu le feu, de quoi avoir un semblant de lumière. Francine lui en voulait. Le père Lançons avait déjà marié son deuxième fils que Francine gardait encore ses cinq enfants au logis. Il était pourtant essentiel que le premier fasse bon ménage pour assurer une bonne réputation à la famille et assurer le mariage des suivants. Mais son ainé était toujours là. C'est sur cette pensée frustrante que Francine releva la tête avec surprise. Trois coups vinrent de tinter contre la porte de bois. Sourcils plissés, dans un grondement, la femme attrapa un torchon non loin pour s'essuyer les mains. Par Dieu! On a pas idée de rendre visite aux gens après le souper! Et la main avait ouvert la porte. Et la femme s'était figé.

    Devant elle, une silhouette sombre qui la dépassait d'une tête. Une femme se tenait-là, un cheval bai écumant à la main. Elle avait la dégaine et les habits laminés de ceux qui ont voyagé. Des frusques trop en état pour être ceux d'une clocharde, mais pas de ceux non plus que doit porter une femme. En somme, le genre d'être dont on ne veut pas connaître les mœurs et qu'on range facilement dans la catégorie des oiseaux de malheur. Le regard de Francine se figea alors sur le visage dont la pluie n'avait rien enlevé de sa saleté. Sous la poussière de son front on semblait discerner une forme moins naturelle, comme une crasse tracée à bout de doigt. Une lettre peu être, mais Francine ne savait pas lire. La femme devait avoir une quarantaine d'année, peut être un peu plus, peu être un peu moins, on ne savait discerné de ses traits les rides de l'âge à ceux de l'épuisement. Ce qui retint alors l'attention de la Provençale fut la large entaille qu'elle vit enfin se dessiner de part et d'autre des lèves closent. Elle en eu un frisson d'effroi. L'inconnue brisa soudainement le silence qui régnait, ne demandant qu'un peu d'eau et un peu de mot. Elle ne sut alors, la Francine, si c'est la crainte ou la pitié qui la fit s'écarter de la porte pour laisser le passage. L'inconnue s'engouffra alors qu'elle appela son troisième pour emmener la monture à la grange. Et la porte se referma.

    Elle lui avait servit un bol de bouillon et s'était installée au plus loin d'elle à la table. Ses fils non loin lui servaient tout comme elle des regards des plus méfiants. L'inconnue n'avait alors pas relever la tête de sa gamelle et Francine lui demanda avec une prudence tendue ce qu'elle venait faire par ici. La femme s'était alors exprimée, avec la voix monocorde des résignés, un texte qu'elle semblait avoir apprit par cœur de trop l'avoir répété. Elle cherchait un homme, un maquereau, un bordel dont le nom commencerait pas la lettre "W" ou aurait un lien avec elle. Un homme qui aurait eu avec lui une jeune fille de quatorze année, très belle, blonde et aux yeux gris. Une enfant muette. L'inconnue s'était ensuite attardée avec force de détailles sur la jeune fille tant et si bien que le visage de la petite se dessina très clairement dans l'esprit provençal. L'inconnue lui dit alors que l'enfant répondait avant au nom de Mélusine et qu'elle devait être morte depuis au moins trois semaines. C'est elle qu'elle cherchait. Et le silence était retombé dans la pièce.

    Francine se souviendra sans doute toute sa vie de ce regard qui se leva alors sur elle. Ce regard sortit d'outre-tombe qui l'accrocha quand elle lui répondit qu'il y avait bien eu un cas semblable il y a trois semaines de cela. Le regard des condamnés qui croient apercevoir l'espoir d'un peu de vie. Un regard où luit aussi un éclat de folie. Francine se crispa et pour couper court à cette œillade qui la glaçait, elle lui répondit sèchement "J'vous y mène d'main si vous vous décrassez un peu. Vous commencez sérieusement à sentir." L'inconnue n'avait pas bronché. Lentement sa tête s'était abaissée pour retourner à son bol. Francine s'était à nouveau tut.

    Elle contempla alors en silence, tout le reste du repas, ce regard vague, et les larmes qui s'écoulèrent sur les joue noires, sans un mot, sans un seul sanglot, traçant de long sillons de crasse sur les joues martyrisées.

      - * -



    L'Anaon ne se crispe que plus encore. Le soupire qui s'évade de ses poumons est douloureux. Pourquoi... Les lèvres s'entrouvrent, mais la parole échoue. Parler, il le faudrait. Le chaperon lui doit bien cela à la Josselinière, mais elle a la gorge encimentée par le chagrin et les mots sont comme des roches trop lourdes qui s'y amassent sans en sortir. Vous avez déjà essayé de cracher des pierres Yolanda? Moi je n'y arrive pas. Aidez-moi. Alors il faut prendre les moyens détournés, les détours plus doux pour approcher la chose et arriver, destination plein cœur de la douleur.

    _ Je devais retrouver.... quelqu'un.... à qui je tiens beaucoup...

    Voix brisée. Ce n'est qu'un murmure.

    _ Ce n'est pas de votre faute, Demoiselle. Vous n'avez rien fais de mal et j'ai d'ailleurs rarement connu d'être aussi attentionné que vous à mon égard... Mais je vous avoue. Je ne pourrais jamais être pleinement... heureuse, nul part.... tant que je n'aurais pas retrouvé ce qui m'est du...

    La main se referme doucement dans les cheveux blonds alors qu'elle sent les larmes lui ourler les paupières où elle demeure pourtant prisonnières. Le mercenaire s'agite un peu.

    _ Yolanda, ma hanche s'il vous plait...

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Images originales: Victoria Francès, concept art Diablo III - [Clik]
Yolanda_isabel
J’ai séparé en deux un océan de douleur, j’ai pris dans mes mains le cœur d’une mère meurtrie en son sein, et je l’ai baisé avec tant et tant de ferveur que les larmes qui s’écoulaient sur ses joues étaient d’or. Elle était l’or, le trésor. Elle était mère. Les mots faibles sont écoutés du bout de l’oreille, du bout du cœur, comme on entend une prière inconnue qu’on voudrait apprendre.

-« Ca devait être quelqu'un d'important, oui.. C'est quoi qui vous ai du ? Si on le retrouve, vous serez heureuse, dites ? » Et elle se redresse pour mieux la voir et parce que sa hanche lui fait mal. Elle se redresse et voit les larmes à l’orée des cils. « Mais, mais Ann.. Qu'est-ce .. Ann .. »

Désemparée pucelle qui ne comprend qu’à peine, et qui souffre de voir le sourire douloureux de son chaperon, et le regard de celle-ci fixé sur le plafond.

-« Oui... Oui je serais plus qu'heureuse. Mais je ne crois pas qu'on puisse le retrouver. Plus maintenant. »

La Lune de se mordiller la lèvre avant de se laisser glisser à côté d'elle de nouveau en prenant garde de ne pas toucher la vilaine hanche abimée.

-« On vous l'a volé ? »
-« ... Et on me l’a violé. »


Le hoquet d’horreur qui s’échappe de ses lèvres l’empêche de voir la mercenaire, éperdue de douleur, la gorge serrée et la poitrine oppressée de tant de souffrances. A peine entend-t-elle la grande inspiration prise, de celles qui piquent le nez et brûlent les poumons. Un murmure..

-« J'avais une fille Yolanda... »
-« OH ! »
Elle se souvient soudain le viol et l’impact de ce qui vient d’être dit. « Oh.. C'est terrible.. Et elle n'est plus là ? Vous ne l'avez pas retrouvé ? » D’une position allongée sur le dos, elle passe sur le ventre pour pouvoir regarder l’Anaon. « On pourrait la chercher ! On demanderait et on la retrouverait, vous savez, Ann. »

Et Ann se force a plonger son regard dans les saphirs adolescents un instant avant de fermer les yeux et de tourner la tête pour fixer le vague.

-« Je l'ai déjà trouvé... Dans un lit de terre, sous un peu de lavande... »
-« Je .. »


C'est dingue cette manie de toujours commencer les phrases par elle. Pourtant même si Ann souffre, ce sont sur ses joues que s'écoulent les larmes. Mais pas que.. Car à côté d’elle, Ann referme les yeux et laisse s'écouler quelques larmes silencieuses qui s'enfouissent dans un sanglot. Soudain, un petit rire blessé, sans joie vient fendre le silence, les narines de la mercenaire s'arrondissent.

-« Avant, elle sentait l'argan... Vous savez, cette huile très chère qui vient par delà la mer de la méditerranée, de ces pays où les hommes ont la peau brune comme la terre. Elle adorait cette odeur, elle me faisait toujours ramener des flacons d'huile que je faisais venir exprès pour mes thermes... Maintenant, maintenant, elle sent la terre et la lavande.. »

La pucelle opine du chef, malgré les larmes, oui, elle connaît l'argan.

-« Nous en achèterons. »

De la lavande ? De l'argan ? On s'en fout. Et les blessures aussi, les bras potelés viennent saisir le cou de la mercenaire dans une étreinte farouche qui n’a même pas l’heur de réveiller la volonté de la Balafrée. Pas de sursaut, pas de réponse mais elle s’accroche tout de même.

-« Pardonnez-moi.... Si je viens à vous quitter encore... Mais j'ai aussi un fils que je dois retrouver. »

Un instant, une hésitation et la voix de Yolanda se fait murmure, se fait tremblante.

-« Je vous aiderai. » Puis plus ferme. « Je vous accompagnerai. »

Cela ne souffre aucune objection, tant et si bien, qu’elle ne sent pas qu’Ann se glace soudainement se rappelant des mots de l’homme dont elle n'a toujours pas arraché le nom, sur les épaules de Yolanda les doigts se serrent pour la défaire avec sévérité et plonger son regard dans le sien.

-« Non Yolanda, je vous interdis de faire cela. »
-« Mais puisque vous devez le retrouver ! »
-« Autant que faire ce peut, il ne faut pas que vous soyez liée à mes affaires... Il en va de votre vie. Je ne me pardonnerai pas plus la mort de mes enfants que la votre Yolanda. »
-« On ne me fera pas de mal, vous serez là. »


Ca semble tellement évident que la Lune en est perplexe, perdue. Ann, quant à elle, ouvre la bouche et se ravise, pendant un long moment, il n’y a que le silence, et ce regard fixé au plafond, les yeux de la mercenaire se ferme de nouveau.

-« Je dois aussi vous avouer Yolanda, que je crois que je ne pourrais pas accomplir ma tâche de chaperon convenablement dans les mois qui viendront. »

En faut-il plus ? Cela suffit pour que Yolanda se mette à genoux sur le lit et la considère un instant, les poings viennent se presser contre les tempes pour endiguer le flot de tristesse et de larmes qui menace d'arriver.

-« Vous allez me quitter.. »

Elle ne voit pas l’air soucieux de son chaperon. Elle ne voit pas, elle retient ses larmes.

-« Non, Yolanda, absolument pas. »
-« SI ! Si ! Si ! Encore ! »


Ne voient-ils pas comme elle souffre ? La Balafrée se tait un moment pour ne pas se forcer à promettre des choses qu'elle ne tiendra surement pas, ses yeux se ferment, plongée dans les souvenirs, elle croirait entendre Judas. Sur les joues de la jeune fille, les larmes coulent, le nez est morveux, elle n'est plus adolescente, elle n'est plus qu'une gosse.

-« Je sais bien ! Tout le monde part ! »

Tout le monde ! Tout le monde la quitte. C’était donc ça son rêve, l’annonce du départ d’Ann. Elle voudrait crier mais une main vient se poser sur ses lèvres pour endiguer le flot de paroles malheureuses.

-« Je parle de ce que vous avez couvé de votre main... » Les dents sont serrés, même elle, elle le voit, derrière cette main qui tait ses inquiétudes. « Je n'ai pas saigné depuis trois mois... »

La révélation a le mérite d’être inattendue et Yolanda d’ouvrir de grands yeux et derrière la main filtre un élégant « Merde.. ».
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Anaon
    -*-

    Une odeur de lavande.

    Elles sont immobiles dans le silence du maquis. Seul le vent souffle une complainte timide, un air frais et humide qui fait à peine frémir leur cheveux. Francine tourne la tête. L'inconnue ne s'ébranle pas d'un cil. Elle reste parfaitement raide, vide, ses yeux d'un bleu sombre fixement cloués à ses pieds. La Provençale se détourne et baisse le regard. Un monticule de terre s'étend devant elles. Pas la trace d'un épitaphe, une croix en bout de bois bancale. Et un bouquet de lavande.

    _ Voilà...

    Mot prononcé pour la seconde fois. La provençale attend une réaction de son vis à vis, mais rien ne vient. L'attention de la femme patiente alors en fixant le bout de la cordelette, celle qui retient les deux morceaux de la croix et qui gigote dans la brise sur la tombe d'une fille de peu. On aime pas les fosses communes ici. Trop peu de terre pour recouvrir ces corps dont tous se foutent. Avec la chaleur et l'air humide, les cadavres à moitié enterrés en masse attirent bien vite bestioles et maladies. Sans parler de l'odeur qui a tôt fait de vous prendre au museau. Alors dans ce petit coin paumé de Provence, chacun avait sa place, dans une tombe plus ou moins bien creusée, sur une prière plus ou moins bien lancée. Faut croire qu'ici on était plus hygiénique. Ou bien que le cureton était surtout trop vertueux.

    La ménagère passa une main sur sa nuque. Comme elle l'avait dit à la balafré, la petite était au service d'un maquereau qu'on connaissait bien le coin.Il passait parfois avec ses filles, à l'instar un bordel ambulant. Il faisait pas grand bruit, celui-là, pas scandale du moins. On le connaissait, c'est tout, le "W". Il faisait râler les épouses et sourire les maris. La petite muette aussi, les hommes l'aimaient bien, pas un cri et pas un bruit, cette mine trop innocente, çà leur collait des envies peu aristotéliciennes, à la tendresse toute particulière. Mais faut croire qu'y'en a un, çà lui pas plus que la petite ne crie pas. Celui là lui avait refait le portrait et de bien vilaines choses que la Provençale n'osa même pas énoncer. Toujours est-il qu'on l'avait retrouvée inerte dans une cambre déserte et que le maquereau ne s'était pas encombré d'un cadavre inutile.

    _Vous la connaissiez? Faut sacrément en vouloir pour se mettre dans un état pareil pour une simple putain.


    Francine avait tourné la tête et son clapet s'était refermé tout aussi sec. L'inconnue n'avait toujours pas bouger, mais sur ce visage qui n'avait plus sa crasse de la veille, elle avait vu les narines se plisser et les muscles se crisper au point d'en faire trembler tempes et mâchoire. La crainte l'avait soudainement glacé et elle avait commencé à se torturer les doigts en détournant le regard. Après un bref silence la balafrée parla. Elle lui avait dit de partir, qu'elle lui laissait le cheval en compensation du repas de veille. Maintenant, elle n'avait plus besoin d'elle. Francine avait redressé la tête dans un silence, cherchant l'éclat des pupilles qui restaient résolument fixes. Puis après un instant d'hésitation, elle partit sans demander son reste. Elle s'éloigna en jetant de brefs œillades sur la silhouette qui ne bougeait toujours pas. La curiosité se mis alors à croitre, et quand elle fut assez loin, la femme se glissa à couvert d'un arbre et observa.

    Au loin l'inconnue n'avait pas bouger pendant un long moment puis doucement, elle s'était mut. Les sourcils de la provençale s'étaient froncés quand elle avait vu l'inconnue faire tomber la croix avec une nonchalance désarmante. Et elle s'était soudain remplit d'horreur quand elle avait vu la femme s'agenouiller et commencer à creuser la tombe à pleine main.

    -*-


    Les yeux sont clos. Cette odeur entêtante de lavande qui avait pénétré sont esprit comme à grand coup de marteau... Elle croit encore la sentir agacer ses narines. Cette odeur de lavande et de chairs putréfiées. Ça lui bouffe le cœur de le constater, mais elles remplacent peu à peu l'Argan dans les méandres de son esprit. Elle y croit encore pourtant, respirer cette fragrance si forte et si particulière. Oui... Elle sent encore cet amas de senteur qui se mêle à l'air humide et chaud des thermes. Le son des pas qui claquent sur le dallage. Les clapotis de l'eau qui s'agite. Elle respire encore. Une odeur de cheveux. D'argan. D'enfant. Les doigts tremblent. Un touché soyeux et blond. Un rire muet.

    "Nous en achèteront"

    L'image se brise quand les yeux s'ouvrent. Sursaut crevé par cette lassitude qui se fait despote dans son organisme. Et à l'oreille qui s'est rapprochée de ses lèvres, les mots fusent encore. Des aveux, des pardons pour les erreurs en devenir. Yolanda est touchante. Yolanda est courageuse. Trop pour la mercenaire qui ne le permet pas. Azur à azur, les volontés se défient butée. Yolanda est touchante. Yolanda fait partit des rares qui savent ce qui ronge l'Anaon. Ce qui la pourrie comme un vers dans le fruit. Même Judas, le beau Judas ne sait pas et n'a jamais voulut savoir. Et c'est une gamine de quatorze ans qui porte la douleur d'une mère de trente-cinq. Ah, demoiselle, je n'aurais jamais crut votre épaule si forte pour m'y voir pleurer.

    Quand sonne l'évidence, vient le silence. "Vous serez là". Anaon est là...? Pourtant elle n'a pas réussit à l'être pour sa propre progéniture. Anaon est là et ailleurs. Anaon est paumée. Anaon ne sait plus ce qu'elle vaut. Elle est la mère de substitution pour toutes les gamines qu'elle croisent. Mais l'amour qu'on lui voue ne la satisfait pas. Fatalement le destin se fout de sa gueule.

    Nous avions dit silence.
    Fermons le première acte, commençons le second: L'aveu.

    Les yeux ont retrouvés la noirceur du toit de lit. Le corps se fait calme, les larmes s'amenuisent le long de ses tempes. Pourtant l'esprit, lui, se torture encore. Les paupières s'abattent sur les azurites. Instant de flottement. Il est encore des choses qui n'ont pas été dites. Des choses que l'Anaon préfèrerait ne jamais dire. La mercenaire hésite. Mais si elle veut bien fermer les yeux, bientôt, ceux des autres ne se fermeront plus. Il est des évidences qu'on ne peut pas cacher longtemps. Au début on la garde jalousement comme un secret. Un secret qui prend de l'ampleur. Un secret qui marque une courbe, une hanche...

    "Je dois aussi vous avouer Yolanda..."

    Elle a mal la balafrée. Ça se noue dans sa gorge et çà peine à sortir. Ces oreilles voudraient se refermer pour ne pas entendre ses propres mots. Car se l'entendre dire, c'est se l'avouer. L'assumer. L'accepter. La demoiselle se méprend bien vite et le chaperon s'empresse de renflouer ses paroles qui se méprennent.

    "Je parles de ce que vous avez couvé de votre main... Je n'ai pas saigné depuis trois mois"

    L'Aveu.

    L'insulte contre ses doigts.

    Crispation. Attente. Les secondes qui s'écoulent le temps que le fait germe dans l'esprit adolescent lui semble horriblement longues. Le regard de la mercenaire est des plus sérieux. Oui Yolanda vous avez bien entendu. Je parle de cette panse qui s'arrondit de jour en jour. De ce sein qui se fait plus lourd. Je parle de mon ventre qui s'est de nouveau fait écrin.

    La main de l'ainée est écartée alors que la jeune Josselinière essuie vaguement ses yeux.

    _ Mais... Vous n'êtes pas mariée Ann?

    Silence.

    _ Vous l'êtes?


    Un moment de latence. Les lèvres de la balafrée esquisse l'ombre d'un sourire malheureux qui se meurt bien vite.

    _ Je crains que non.

    Non, bien sûr que non, l'Anaon n'est pas mariée. Pourtant, dans son ventre, il est bien là, cet enfant qui s'esquisse en sculptant le corps de sa mère, marquant ses lubies qui lui font courir les cuisines de Linien à trois heures du matin. Il est là, qui lui colle le cœur au lèvres, qui agace son odorat et lui fait détester les tisanes si aimablement offerte par Alaric. Il est là, qui la fout à fleur de peau et lui colle les nerf en boule. Déterminé. Malgré cette soirée noyée dans le vin avec Cerdanne, malgré toute les misères qu'elle lui a fait subir alors qu'elle n'était pas consciente de sa présence, malgré le poison qui s'est rependu dans ses veines il y a un mois de cela et sa course effréné jusqu'au cœur de la Provence. Il est là. Résolument accroché à la vie. Ancré dans ce corps qui s'est rongé les doigts de le savoir ici.

    _ Alors... Euh...

    Le front auréolé de mèche blonde se plisse à la pensée des complications qui se profilent à l'horizon et entre ses dents s'échappe une vague constatation.

    _ C'est le matin.

    Le visage de la balafrée se tourne mollement. Le regard accroche la lumière laiteuse qui filtre par la fenêtre.

    _ Depuis plusieurs heures déjà.

    Le doux clapotis de la pluie.

    _ Je vous servirais tant que je le pourrais.

    Un silence se creuse. Yolanda lâche alors tout d'un coup :

    _ Il sera bâtard cet enfant. Le père, il y a un père hein... Il ne peut pas vous épouser?

    Le regard de la balafrée accroche celui de sa protégée avec un drôle d'air qui flotte sur ses traits.

    _ Ce serait plus simple. Yolanda hausse les épaules. 'fin ce que j'en dis moi.
    _ Je crains que son père soit maintenant un homme marié qui se soucie bien peu de l'état d'une ancienne amante.

    La voix est monotone. Douloureuse. Une "ancienne" amante. Voilà un concept qui la laisse des plus aigres.

    _ Qui est-ce Ann?

    La Josselinière fronce le nez. Que c'est sordide l'amour parfois! Les azurites s'attardent encore longuement sur le visage de l'adolescente avant de se détourner lentement. Les paupières s'abaissent. Qui... dans sa poitrine le cœur s'agite quand un visage se redessine. Petite chose fragile qui palpite malgré toute la rancœur qui cherche à l'étouffer. Les yeux s'ouvrent doucement et la voix brise le silence. Fébrilement. Amoureusement.

    _Un homme... Un noble. Un libertin. De celui qui vous damnerait la none la plus pieuse et qui rendrait parjures les serments amoureux des épouses les plus fidèles...
    _Si vous ne me le dites pas, je le trouverais Ann et je lui ferai assumer ses actes.

    Yolanda se lève, rapidement, frissonnant à sentir le dallage froid à travers la paille qui recouvre le sol, et la porte s'ouvre, le museau passe, un signe à une servante passant par là. Elle a faim, c'est le matin. Et vite, vite retourner sous les fourrures.

    L'Anaon s'est retourné dans une grimace, sur son côté droit, soulageant la hanche malmenée avant de se prendre un bref rire tout aussi amer qu'il en est douloureux. Et dans un murmure :

    _ Cherchez l'homme qui a sauté le tout paris et vous trouverez...


    Quelle est cette acidité? Ce sarcasme qui suinte la haine? Une rancœur, un cœur qui s'épanche d'une plaie infectée. Jamais elle n'a fait preuve d'autant d'amertume. Jamais en parlant de Lui. Mais l'Anaon n'est pas en état de se faire miséricordieuse. Et elle n'a toujours été qui si peu jalouse... Pourtant, si le sybarite se taisait, les autres parlaient pour lui et tout ce qui était tombé dans son esgourde n'avait fait, aujourd'hui, qu'amplifier l'amertume démesurée qu'elle a prit soin de vouer farouchement à celui qui la faisait pourtant frémir.

    Le chaperon se lève lentement, trainant sa hanche endolorie jusqu'à la fenêtre. Le nez se colle contre le verre. La pulpe s'y appose. C'est froid.

    Anaon aussi à froid. Dans ses veines çà c'est gelé. Une main se porte instinctivement sur son ventre.
    La pluie continue à tomber.

Musique " Noble Maiden Fair ( A Mhaighdean Bhan Uasal ) ", par Emma Thompson & Peigi Barker dans "Brave "
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Images originales: Victoria Francès, concept art Diablo III - [Clik]
Yolanda_isabel
Est-elle indifférente à la vengeance qu’elle a quand même senti l’ironie douloureuse dans les propos de l’Anaon et sous les couvertures, il y a un vide béant, celui-là même qui s’élargit dans la poitrine de la mercenaire. Elle essaie de dédramatiser pour mieux comprendre.

-« Le Tout Paris ? C'est moi. Il a sauté sur moi ? »

Ne voyez là aucun orgueil mal placé, Yolanda est tout à fait convaincue d’être en son droit en se croyant à l’image de Paris. Grande, luxurieuse et sacrément dépravée. En réponse de sa tentative de questionnement, c’est un rire qui répond, plus nerveux qu’il n’est jovial. C’est un grincement qui lui arrache une grimace d’incompréhension.

-« Je ne suis pas sur que... »

La mercenaire se tait subitement en repensant qu'il a violé Nyam qui avait pourtant l'âge de Yolanda. Les mains adultes viennent se porter à ses tempes qui la lancent.

-« Qui est-ce ? »

Elle ne la lâchera pas aussi facilement qu’elle le croit. Moins encore parce que sa santé et son bonheur vont de paire avec une possible résolution de cette affaire. Vous a-t-on déjà dit que Yolanda était butée ? Maintenant, oui. Et l’Anaon l’est tout autant, qui se renfrogne et croise un bras sur sa poitrine, l'autre toujours arrimé à sa taille.

-« A quoi cela vous servirait de le savoir ? »
-« Et bien .. » Elle s’éclaircit la voix, parce que ce qu’elle va dire, la dépasse un peu mais il s’agit d’aller jusqu’au bout. « Il s'agit d'un adultère. Et si cela pouvait inciter l'épouse à demander l'annulation, nous pourrions obtenir votre mariage à vous. »

Elle y croit sérieusement, ne sait certes pas comment lancer la chose, mais elle y croit, et cela se voit puisque l’Anaon inspire pour parler mais sa respiration se fige brutalement. Le visage se fait sérieux. Et si... L'enfant a été conçu alors que Judas n'étais pas marié. Mais il était déjà promis. Oui... Et si ça marchait? Le mariage pourrait être annulé et... La balafrée lâche soudainement un rire d'auto-dérision. Lamentable d'en arriver à de telle pensée.

-« Humpf.. » Une grimace en prime. « Si ma personne lui avait été d'une réelle importance, il n'aurait tout bonnement pas accepté ce mariage. Cet enfant viendra.. Bâtard certes. Sans lui qu'importe. Je l'assumerai moi. Il sera mien. »

L’hésitation d’un instant à l’entendre assumer un enfant qui n’est pas encore né, à l’aimer déjà. Cette hésitation c’est celle de la balance entre son passé et son désir d’avenir. Aimbaud l’a assumé, Marraine aussi. Elle le fera aussi.

-« Alors je vous aiderai moi. »

Et sur ces belles paroles la porte s’ouvre sur une servante apportant de quoi prendre une collation plus que raisonnable, composé de viande froide et de pain, ainsi que de fruits, les derniers de la saison. Du coin de l’œil, elle considère la mercenaire toujours nez collé à la fenêtre. Deux mots pourtant qui l’attendent.

-« Merci Yolanda. »

Elle capte du regard le geste instinctif qui la fait porter sa main sur sa panse et ses galbes de trop, le regard se reporte sur le plateau.

-« Venez manger. J'ai faim moi ! »

Quand n’a-t-elle pas faim ? Et à la balafrée de se tourner et de plisser le nez.

-« Je n'ai pas très faim... Je vous remercie. »

Le sourcil se hausse alors qu’elle rampe à quatre pattes jusqu’à rejoindre la nourriture pour y attraper une poire bien mûre et croquer dedans. Lentement, elle mâche pour savourer le goût particulier du fruit si loin de sa cousine pomme. Elle avale.

-« Je pourrais vous l’ordonner. Mais je préfère vous regarder mourir de faim et manger tout cela toute seule. D’ailleurs, il paraît que les bébés n’ont pas besoin de manger pour vivre. »

N’est-ce pas ? Et là sur le visage doux de l’adolescente, il y a bien un sourire en coin.
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Anaon
    L'amour. Peut-on déjà parler d'amour pour cette esquisse de vie qui s'épanouit? Non. Ce n'est qu'un devoir. Une dette à payer. Comme une occasion d'éponger l'erreur qu'elle a commise il y a quelques temps de cela, il y a neuf mois – ironie de la date - quand en Janvier elle se vidait de son sang et de son enfant. Une occasion de passer de nouveau de L'Indigne à Mère.

    Les sourcils se froncent légèrement, le regard se fait peiné. L'Anaon n'a eu que bien peu d'homme dans sa vie. Mais peu, c'est trop pour une femme qui devrait n'en connaître qu'un seul au cours de son existence. A ses trois hommes-là, aux trois, elle aurait put donner une descendance. Puisque tous, ils l'ont engrossé. Et d'aussi loin qu'elle s'en souvienne, la balafrée n'avait jamais été heureuse d'apprendre qu'elle serait mère. Même pour les premiers. Oh! Ses chers premiers, le jour où elle avait compris qu'elle était enceinte, Anaon avait pleuré, pendant des jours. Et pourtant, si elle s'était vidée de son sel pendant des semaines, si elle s'était rongée les doigts pendant tellement de temps, elle avait sourit, pendant les huites années qui suivirent. Peut être que pour lui aussi, enfouit dans sa panse, dans six mois, elle sourira...

    Une odeur de lavande. La gorge de l'Anaon se noue. Les pensées affluent de nouveau dans cette âme à la dérive alors que les larmes lui piquent encore le nez. Une soupire douloureux s'évadent de ses lèvres. Oui, cet enfant naîtra, elle l'assumera. Seule. Comme elle l'a toujours fait.

    L'œil frôle les mets qui s'étalent à sa vue d'un air morne et presque dégouté. C'est çà le deuil aussi. Ça vous empêche de manger. La grossesse çà vous colle la fringale, la peine çà vous fait tout gerber.
    Le regard se fige pourtant à la pertinence des dires de Yolanda. L'Anaon dort mal, elle mange mal, elle vit mal. C'est un exploit, une bénédiction que cette vie soit encore agrippée à ses entrailles. L'enfant naitra coiffé, elle en est sûr.

    Résignée, le chaperon s'approche en boitillant du lit. Une main se tend pour se saisir d'un fruit. Se laisser crever, Anaon en a fait une spécialité, mais aujourd'hui elle ne tolèrera aucun déni de sa part. Aucune erreur. Puisque qu'il doit naitre, puisqu'il doit vivre, sain et heureux. Les nacres croquent la chair.

    Elle a perdu deux enfants. Elle n'en perdra pas un troisième.

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