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[RP] "Laissons le vent gémir et le flot murmurer"

Actarius
Ce ne fut pas sans une certaine émotion qu’il posa le pied sur la passerelle. Le temps de l’ultime inspection avant l’embarquement des passagers était venu. Au matin, le navire avait été béni et tout le jour encore il y eut du mouvement pour amener les dernières marchandises, les derniers vivres et naturellement le nécessaire de voyage de la Prinzessin, celle de chair et de sang. A chaque pas, les grincements du lien qui survivait encore entre la mer et la terre lui rappelaient que bientôt le sol se résumerait à de lourdes planches de bois soumises au mouvement des vagues. Il arriva enfin sur le pont supérieur, le tillac d’où s’élevait le grand mât, majestueux. Autour de lui s’affairaient cinq robustes gaillards, ces derniers saluèrent respectueusement le capitaine et l’un d’entre eux approcha. Recruté dans la capitale languedocienne, celui-ci avait une allure farouche. Bâti comme un colosse, il n’enviait rien en terme de carrure au Mendois, il le dominait même légèrement. Sa voix avait, contrairement à ce que les apparences pouvaient laisser croire, beaucoup de douceur. Elle était révérencieuse, dépourvue de la raucité suggérée par les traits grossiers de son visage. Il fit un rapide état des lieux, interrompu parfois par le roulement sonore d’un tonneau d’eau douce, par l’éclat bruyant d’un cordage sur l’espar ou par les mugissements du rugueux « bosco » adressés aux gabiers.

Le Comte abandonna son second après une tape sur l’épaule, visiblement satisfait de ce qu’il avait entendu. Son regard se perdit alors sur le gaillard d’avant qui se prolongeait vers l’horizon par le beaupré. Sur le château de la proue, régnait également une belle activité. Un audacieux s’était même risqué sur le hauban de misaine sans doute pour vérifier les vergues. D’autres portaient leur attention sur les filets extérieurs. Il sembla même au Phénix remarquer derrière la toile des cordages la silhouette svelte du maître canonnier. Un homme expérimenté et rompu à l’art du combat en mer qui arborait une moue sérieuse en toute occasion sous ses longues mèches brunes. De la trappe qui ouvrait sur l’escalier vers l’entrepont jaillirent soudain une dizaine de Tournelois, ils se plièrent tous sans exception en direction de leur seigneur. Ces volontaires avaient suivi un entraînement sans concession depuis des mois pour faire partie de l’équipage et prendre part à ce long voyage. A l’instar du cuisinier, qui avait bénéficié de plusieurs mois de mise à l’épreuve avant de se voir confier ce rôle dans les cuisines. Celles-ci se trouvaient sous le gaillard d’avant à hauteur du pont supérieur. Elles surplombaient la cambuse où avaient été entreposés les vivres et à laquelle on accédait par une échelle. Mais le Mendois avait déjà reçu l’assurance et vérifier par lui-même que rien ne manquait, si bien qu’il prit la direction de la poupe, saluant au passage quelques matelots qui continuaient de s’affairer invariablement sur le navire.

Il marcha sur le pont et grimpa par l’échelle au premier niveau de la dunette. Cette partie-là était couverte, on accédait à la barre au-dessus par une trappe que l’on pouvait fermer de l’étage supérieur. Les parois de la pièce étaient découpées en de multiples sabords, on trouvait des bombardes, des arquebuses et autres pièces d’artilleries ainsi que quelques canonniers qui en prenaient visiblement grand soin. Sans s’arrêter mais en distribuant des salutations au passage, le capitaine poursuivit son inspection en pénétrant dans le mess. Il consistait en une salle plutôt vaste centrée autour d’une longue table et deux bancs de part et d’autre. Quelques tentures étaient accrochées de ci de là pour agrémenter l’une des pièces à vivre, où se retrouveraient régulièrement les passagers et le capitaine pour partager le repas. Un calme certain s’était établi dans cet espace déserté. La rumeur de l’agitation n’y parvenait que par bribes entremêlées au choc de l’écume contre la coque. Sans qu’il n’y eut vraiment de raison pour cela, un sourire naquit sur le visage de l’Euphor qui ne s’attarda pas pourtant et s’engouffra derrière la porte qu’il venait d’ouvrir dans la chambre de l’état-major. Celle-ci bordait la poupe de la caraque et constituait le cœur décisionnel de la navigation. Chaque jour, le Comte descendrait par la trappe pour se réunir avec ses officiers et prendre les décisions concernant la direction à prendre, les manœuvres à accomplir, les éventuelles réparations à faire et naturellement, la stratégie à adopter en cas d’attaque. Juste au-dessous se trouvait d’ailleurs la soute personnelle du Mendois qui y jeta un œil pour s’assurer que tout y était. Il ne fut pas déçu et grimpa dans ses appartements.

Etant donné l’ampleur de son investissement, le Cœur d’Oc s’était octroyé un petit plaisir. Cette chambre-là, la sienne, était sans conteste la plus luxueuse du navire, c’était la seule à posséder une véritable couche, des étagères, un bureau encastrés par de véritables orfèvres de la menuiserie. La décoration demeurait sobre et se résumait à une tapisserie de grande qualité sur laquelle était figuré son Castel du Tournel. Tout le confort y semblait bien présent cependant, y compris un petit balcon où il pourrait contemplait le sillage lors de ses moments de tranquillité. Il sortit bientôt sans trop s’attarder et franchit le petit couloir qui donnait directement sur la barre. A bâbord et tribord se trouvait quatre cabines, réservées aux passagers. On se trouvait bien loin de luxueux appartements, mais le confort minimal n’avait pas été oublié et les couches bien que plus sommaires que la sienne propre permettraient sans doute de pouvoir dormir convenablement. Son Altesse Ingeburge et Sa Grasce Keridil prendraient place dans les cabines les plus spacieuses. Miguaël, Isora et Håkon seraient répartis à tribord alors qu’Ella, Luzerne et Matthys se partageraient les chambres à bâbord. Arrivé à l’extrémité des rangées de cabine, il monta par l’échelle jusqu’à la plateforme au sommet de la dunette. Quelques matelots procédaient à des vérifications sur le mât d’artimon, ils furent salués mais l’attention du Pair se porta rapidement sur le ciel, fendu par les nombreux cordages et le grand mât qui se prolongeait en un pavillon qui venait d’être levé.




Le Phénix s’envolait et déjà les cordes des lyres pincées par le vent se perdaient en une mélodie prometteuse.



Supports visuels (cliquer pour obtenir les images à la taille d'origine) :





Nota I :
Cette image retravaillée et ce plan sont le fruit de recherches diverses. Pour autant, nous ne prétendons pas coller à l'histoire, c'est la somme de ce qui a été trouvé, de nos réflexions et de notre interprétation; et surtout, il s'agit d'une aide au RP, nous ne nous érigeons certainement pas en connaisseurs. Il s'agit avant toute chose d'un appui à un RP collectif et... au long cours, c'est le cas de le dire.^^

LJD Inge.

Nota II:
Le titre est un vers extrait du poème "Le premier regret" d'Alphonse de Lamartine.

LJD Acta.

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Keridil
[Leaving Port]*

      "Ça s'est passé il y a quatre-vingt-quatre ans, et je sens encore l'odeur de la peinture fraîche. La porcelaine n'avait encore jamais été utilisée. Personne n'avait encore jamais dormi dans les draps..."
        Rose Dawson.


Notre histoire, en fait, ne s'est pas passée il y a quatre-vingt-quatre ans. Cela se passait en mille-quatre-cent-soixante, et Keridil d'Amahir-Euphor était alors Duc de Chartres. Il était en Languedoc pour fêter la gloire de sa famille, qui s'imposait en une splendide caraque de guerre, et ce jour-là, à ses yeux, aucune étoile n'était plus brillante que celle de son Clément, son fils aîné.
Comme son épouse l'avait supplié d'en prendre le soin le plus grand, et de l'entourer de matrones, le Duc avait commandé à son intention une suite exceptionnelle, afin d'adoucir quelque peu l'absence de sa mère. C'est ainsi que le jeune orléanais descendait d'un coche, une canne d'ébène rehaussée d'une fouine sculptée en argent à la main, suivi de deux femmes dont l'une portait le paquet précieux et déjà lourd qu'était l'enfant, qu'à quelques occasions, on pouvait même laisser marcher un peu. Derrière, un valet à l'air hagard suivait. Le regard azur du brun s'éleva vers le ciel éclairé, malgré la fraîcheur automnale, la plume de son couvre-chef volatile.
Alentour, badauds et ouvriers se pressaient. L'on montait des caisses et des malles. L'équipage était identifiable sans peine. Un sourire posé sur les lèvres, et les jambes de l'Amahir avancèrent le long du bâtiment flottant. Anahis, nourrice sceptique et sans grande éducation, prit dans ses bras Clément en disant :


Je ne vois pas pourquoi tout ce tapage. Il n'a pas l'air plus grand que le Tite Annick.
_ Vous pouvez être blasée par beaucoup de choses, Anahis, mais pas par le Prinzessin ! Il est bien plus long que le Tite Annick, et beaucoup plus luxueux.
**

Le Tite Annick était le foncet de Lexhor d'Amahir, un autre Pair de France et père de Keridil. Le Prinzessin était cette caraque, splendide, propriété d'un autre Pair de France et cousin du Duc de Chartres : Actarius d'Euphor.
Fébrile et surtout impatient de mettre un pied sur le pont, le brun déposa une bourse dans la main de son laquais, lequel fut chargé de faire monter les malles de son maître à bord. Le navire, gueule ouverte, se faisait remplir le ventre gargouillant d'une eau qui claquait contre ses flancs boisés. De crainte de le voir s'enfoncer jusqu'au domaine de Poséidon, le Vicomte de Montpipeau avait choisi de voyager léger. Une malle contenait les affaires de son personnel, qui avait du être réduit à ces trois personnes ; une malle contenait ce qui lui serait utile de frusques et d'objets quelconques, et notamment de plumes, mais aussi des fioles diverses et quelques ouvrages in-duodecimo, enfin un nécessaire à broderie : ces choses occuperaient les longues heures à flotter, après que l'émerveillement du voyage fût passé. Une autre malle enfin contenait les affaires de l'héritier, et l'on ferait monter avec elle un berceau. L'ouvrage avait été créé spécialement pour l'occasion. Le mouvement perpétuel des flots aurait balancé toute couche d'enfant avec véhémence, et il s'agissait de lui assurer un confort idéal. Le bois serait fixé au sol de la cabine, et le tourillon du lit creusé et suspendu pourraient être bloqués pour éviter toute berceuse inopportune.

Évoluant sur la passerelle et montant jusqu'au pont supérieur, les regards enfantins des nobles s'opposant à ceux, blasés et épuisés des filles qui les servaient, allaient d'une voile pliée à l'autre, caressant le mât de misaine jusqu'à sa pointe, se pourléchant de la hauteur du grand mât, s'inquiétant de la position de celui d'artimon.
Le cousin du capitaine se laissa guider par un marin l'ayant salué avec une courtoisie que l'on n'attendait pas d'un loup de mer. Quelques marches guidèrent la compagnie raffinée jusque sur le gaillard d'arrière où Keridil dut retenir une envie puérile de se poser derrière la barre pour faire tourner le gouvernail. Il se promit toutefois de demander à son cousin l'honneur de la tenir avec fermeté et fierté.
Bientôt, les hommes arrivèrent dans la cabine qui leur était offerte. Laquais et matrones auraient les honneurs de l'entrepont. En face de la Prinzessin de chair, et tout près du Phénix, le Duc de Chartres se sentit tout à fait privilégié.
Prenant Clément par la main, il observa avec soin chaque recoin de ces lieux encore vierges. Le bois grinçait doucement, au rythme du tangage et perturbé par le pas irrégulier de Keridil. Les meubles vernis, plutôt grossiers, n'agressèrent pas l'oeil du Seigneur de Bréméan, rôdé à des lieux de moins de confort encore. Montpipeau, après tout, était une vieille forteresse, immense et froide, qu'il s'efforçait à civiliser avec faste. Bréméan était un vieux châtelet seigneurial sans faste. Chartres n'avait pas encore vu son Duc. Seignelay et Railly, eux, n'avaient pas assez vu l'Amahir pour qu'il s'habitue à leur luxe féminin et voulu par Della. Aussi, les lieux, quoi qu'un peu humides, semblèrent convenir d'abord à leur locataire.

Le père se trouva seul avec son fils. La situation était rare, sans être tout à fait inédite. Toutefois, le brun se trouva gêné. Il sourit à son fils comme à un inconnu, d'un air entendu, et cordial. Se trouvant alors profondément stupide, Keridil caressa la chevelure blonde du petit-prince avec amusement, imitant ainsi son propre père, puis posa Clément Lexhor Jules sur ses genoux. N'était-ce pas l'avenir qu'il portait là ?
L'orléanais se félicita d'avoir eu l'idée de retirer, pour un temps au moins, sa descendance à son épouse. Il pourrait alors le guider doucement vers le chemin que doivent prendre les hommes, et qui diffère des femmes. Et parlant d'hommes, l'invité estima le temps venu de rejoindre son hôte.
Il prit la main encore potelée du blond Volvent aux yeux bleus.


Allez, fils. Je vais te présenter à notre cousin Actarius.

Et chemin fut pris, direction la poupe.
______
*Quitter le port.
** Rose Dewitt-Buckater & Caledon Hockley dans Titanic, of course. Revu et détourné.
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En deuil, mais de sa chienne de chasse.
Miguael_enguerrand
Les nuits et les journées étaient rythmées par le roulis et le tangage du navire et bien que le jeune Vicomte parvienne à s’accommoder du tangage une fois allongé, mais le roulis lui était insupportable lorsque celui-ci devenait important. Certains pouvaient se sentir bercés par la nonchalance du mouvement du navire, lui avait l'impression que tous les organes de son corps allaient et viraient de gauche à droite, d'un mouvement de balancier qui lui semblait proche du mouvement perpétuel. Quelle force agitait donc cette eau sans cesse ? Pourquoi n'y avait-il pas un temps d'arrêt, une trêve, une pause, un armistice ? Les premières nuits il avait fini par s'endormir d'épuisement mais l'habitude était contre-productive : il devenait chaque nuit plus résistant à la fatigue, repoussant ainsi l'heure du sommeil et donc sa durée.
Ayant tout à fait conscience qu'il pouvait attendre encore une bonne paire d'heures avant de dormir, Miguaël prit la décision de monter sur le pont principal. L'air marin bourré de sel fatiguait, sûrement pourrait-il ainsi gagner quelques dizaines de minutes.

La nuit était déjà tombée, pas une lumière à l'horizon, seule les rayons lunaires éclairaient la cime de quelques vagues d'un éclat diffus. Il posa ses coudes sur les gardes corps du Tillac, admirant l'immensité de la mer et une réflexion lui vint.


Aristote nous a enseigné que la mer était ronde car la sphère est la forme la plus parfaite... C'est donc que l'on peut en faire le tour, partir dans un sens, tourner, puis retrouver son point d'origine. Quelle aventure cela serait ! J'espère tout de même que le rayon de la Terre n'est pas trop grand, sans quoi on pourrait se retrouver des mois voire des années en pleine mer, sans rien voir d'autre que des poissons et l'immensité bleue qui se déploie sous la coque...

Formuler les mots l'aidaient à réfléchir, n'était-ce pas d'ailleurs le sens des mots ? S'extraire des choses pour accéder aux idées et à toute la multitude des raisonnements que celles-ci permettaient ?

De fil en aiguille, les errements de ses songes l'amenaient à des sujets plus terre à terre. Pourquoi avoir appelé ce navire "Prinzessin" ? Déjà, il ne comprenait pas bien l'intérêt des sobriquets que tous utilisaient pour appeler sa Marraine, n'avait-elle pas un nom et un titre de noblesse ?
Alors apprendre que le navire porterait l'un de ces surnoms, il devint certain qu'il lui faudrait un jour tirer au clair cette affaire. Il avait déjà remarqué lors de son voyage en Languedoc qu'Actarius semblait perdre un temps fou à promettre monts et merveilles à Ingeburge, plus que les lui promettre, il lui donnait tant et tant. Ce n'était pas son rôle, mais il essaierait de comprendre... si l'occasion se présentait !


Grand Dieu, garde notre navire. Écarte de notre route les grains, les animaux étranges des bas fonds, les pirates, les hérétiques, les maladies, la famine et le manque de vent.
Mère, Père, protégez-moi des affres de la vie, gardez-moi du mal car je vous chérie toujours tant.


Il avait, au creux de la main, un petit papier sur lequel il avait gratté depuis quelques temps déjà un poème. Un poème qu'il aurait souhaité déclamer à une messe en l'honneur des défunts de sa famille, mais l'idée s'était évanouie et plus le temps passait, plus la solitude s'installait dans son esprit. Il se signa, déplia minutieusement le manuscrit et s'arrêtant sur quelques lignes, peut-être celles qui le marquaient, il les lut :

De Toi, si belle et noble, je n'ai de souvenir
Qu'un vague sentiment de sérénité intense,
Éternel et tenace, enlacé de sourires.
Ma vie se bâtit dans l'ombre de ton absence.

Seul je grandis, sans référence je me construis.
A quelle fin de cette terre se sont-ils évanouis ?
Vous me manquez, je crois n'avoir plus toute ma tête.
L'on m'a appris, il faut toujours payer ses dettes.


Il avait presque lu la moitié de ce qui était écrit, mais cela lui pesait trop. Il tendait le bras et tenait le morceau de papier du bout des doigts. Le vent commençait à se prendre dans cette voile de fortune et la bombait, le sel et l'humidité de l'air altéraient l'encre et le poème serait sûrement illisible bien avant qu'il n'ait pris une décision : lâcher ou conserver.
Même si la fatigue l'étreignait un peu, il était prêt à prendre le temps qu'il faudrait pour prendre une décision ferme et définitive, quitte à attendre le soleil pour constater les ravages des éléments sur le papier comme sur lui-même.

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Ingeburge
[Cabine d'Ingeburge]


Ce serait donc là qu'elle vivrait. Son regard pâle embrassa la cabine non encore aménagée mais encombrée de toute une foule d'objets plus ou moins volumineux et sommairement meublée. La bénédiction achevée, elle était montée à bord, solidement entourée de sa chambrière et de ses gardes et s'était rendue là où on lui avait indiqué le logement des passagers, sur le deuxième niveau du gaillard d'arrière. C'était... petit. Avait-elle déjà évolué dans une chambre aux dimensions plus réduites? Peut-être lors de ses retraites dans une abbaye quelconque, mais c'était bien volontaire, il s'agissait de se dégager des contingences matérielles. Là, ce serait son lieu de vie pour... elle n'avait pas la moindre idée de la durée du voyage faisant étonnamment confiance à celui qui lui avait proposé de monter à bord, pas plus qu'elle n'était habituée à évoluer dans un espace si restreint. Dans un soupir, elle appela Ännchen à elle. Celle-ci débarrassa sa maîtresse de son manteau et de sa huve, enroula la longue natte de celle-ci autour de son crâne et la ceignit finalement d'un devantier. Il y avait beaucoup de travail qui les attendait et il fallait s'y mettre maintenant si l'on voulait avoir fini à temps, pour la première nuit à bord puisque le bateau désamarrait à l'aube, ce qui incluait qu'elle participe à l'ouvrage la domesticité étant réduite à son plus simple minimum. A l'extérieur de la cabine, les Lombards – qui seraient appelés à la rescousse pour pousser les meubles – s'affairaient à rassembler ce qui serait nécessaire; l'aménagement achevé, ils se chargeraient de remiser tout ce qui n'avait pas pu entrer dans le logis dans... bonne question.

Evidemment, tout n'avait pu tenir. Combien de temps leur avait-il fallu pour tout entreposer? La seule chose dont Ingeburge était sûre, c'était qu'elle avait les jambes coupées et qu'elle n'aspirait qu'à se reposer. Sur le seuil, elle observa une dernière fois la cabine dont la physionomie avait radicalement changé.
Le parquet n'était désormais plus visible car y avaient été déroulés juste devant la porte une natte en jonc et sur la majeure partie de la surface restante des tapis d'Esfahan aux tons clairs; çà et là avaient été jetés par-dessus des carreaux ornés d'orbiculus de tapisserie. Le châlit de bois déjà sur place avait été poussé contre le mur du fond et accolé à celui de gauche. Il était en outre dissimulé par un paravent venu du Japon et constitué de quatre panneaux pliables de soie blanche décorée de fleurs peintes. Contre le mur gauche toujours, devant l'écran qui servait tant à prévenir des éventuels courants d'air, à diviser la pièce et à figurer des courtines qui manqueraient fort à l'occupante des lieux, un vaste coffre ferré dans lequel on trouvait notamment deux manteaux pelissés et une cape et plus généralement les vêtements d'extérieur avait été déposé. Devant, une écuelle emplie d'eau pour Faunus, le chat.
En passant le paravent, il y avait donc le lit. La marquise de Dourdan avait palpé d'une main réticente le matelas qui y avait été disposé; cela aussi le comte du Tournel risquait d'en entendre parler. On y ajouta donc pour combler le manque de confort trois surmatelas brodés bourrés de duvet d'oie et recouverts d'un linceul immaculé, puis des draps frais et empesés, enfin une moelleuse courtepointe doublée, piquée et rebrodée de fils d'or et d'argent et un oreiller reprenant les mêmes entrelacs scintillants et garni lui aussi de plumes; avec les fourrures entreposées dans le coffre de " l'entrée ", la frileuse Danoise ne risquerait de ne souffrir ni de l'inconfort, ni du froid. Quant à Ännchen, elle dormirait juste à côté de sa maîtresse, sur une paillasse à même le sol qui serait chaque matin dissimulée sous le lit ainsi amélioré.
A la droite de la tête de ce fameux lit, contre le mur du fond donc, celui qui faisait face à la porte et qui était en partie dissimulé par le paravent, se trouvait une armoire de hauteur réduite, placée juste en-dessous de l'unique sabord qui dispensait une chiche lumière. Sur le plateau du meuble, se dressaient un petit diptyque à la gloire de l'archange Saint Gabriel et un lumignon, se lovait un chapelet; dans son corps fermé par deux vantaux sculptés avaient été rangés sur l'étagère du haut un livre d'heures et un cilice plié et sur celle du bas, de l'encens et des chandelles vierges.
A droite de la petite armoire avait été montée et fixée une table elle aussi déjà installée dans la cabine, cette table formait un angle, bordant donc le mur du fond et le début du mur de gauche. Plusieurs coffrets y avaient été déposés et du fait du roulis, Ingeburge préférait les laisser remplis et clos et ne rien en sortir en dehors de leur usage. On y trouvait dans l'un en permanence fermé à clé ses bijoux; dans l'autre tout un éventail de simples pour parer à divers désagréments; dans un vaste troisième lotions, flacons, onguents, pommades, crèmes, huiles, poudres; dans un cinquième des peignes d'ivoire ou de bois précieux, deux gravouères aussi d'ivoire, des épingles, des brosses, des rubans, des bandeaux, des galons; deux ou trois autres pleins d'affiquets et de baubels. Il y avait encore un candélabre ouvragé, un miroir à main à boîte d'or incrusté de gemmes, un aquamanile en argent repoussé et son bassin, un plateau chargé de quelques hanaps finement ciselés et d'une cruche vénitienne pleine d'eau. Sous la table enfin, des chaufferettes à eau et à braises attendaient d'être sorties au premier rafraîchissement.
Le reste du mur et celui au plus près de la porte, à la droite de celle-ci quand on arrivait de l'extérieur était bordé de vastes malles munies de poignées, aux parois festonnées et aux renforts de ferronneries. Ces malles étaient pleines des vêtements d'Ingeburge et sur leurs couvercles fermés avaient été posés des traversins; une dernière renfermait les possessions d'Ännchen.
Enfin, complétaient l'ameublement deux fauteuils et deux ou trois faudesteuils en bois d'orme poli et garnis de coussins; les chaires avaient été avec regret laissées dans le logis mendois pour êtres remontées plus tard à Auxerre. Aux murs nus étaient accrochées trois ou quatre lampes à huile.

Tout y était, enfin, tout ce qui avait pu y entrer. Le reste serait réparti entre les soutes et les quais. Andrea et Gennaro furent envoyés à terre afin de remettre au contact local d'Ingeburge un message contenant des instructions claires pour le surplus : engager des portefaix, louer un attelage, convoyer ce qui ne serait finalement pas embarqué vers Mende et de là, vers la Bourgogne; Gianluca et Fabio furent chargés de veiller à l'entreposage dans les soutes des malles en trop pour la cabine mais nécessaire dans la religion du voyage selon Ingeburge. Restait un point à aborder et non des moindres, le devenir d'un objet et son utilisation, mais il serait réglé, comme le reste. Avec un peu d'efforts – déclouer quelques planches de la caraque flambant neuve histoire de bien disposer son capitaine (ou lui rendre la monnaie de sa pièce!) –, on y arriverait... et on y arriva. Et l'installation de la cabine plut tant et si bien à la Prinzessin – la vraie – que celle-ci y demeura enfermée durant la première partie du voyage, celle qui vit le bateau voguer de Montpellier vers les côtes catalanes, louvoyer entre les îles Baléares pour atteindre le détroit de Gibraltar avant de remonter les eaux lusitaniennes. Enfin, il y avait certes la satisfaction d'avoir pu créer un environnement suffisamment sécurisant pour la personne rétive au changement et heurtée par le bouleversement de ses habitudes qu'elle était. Néanmoins, les raisons de cette claustration volontaire étaient à chercher ailleurs et non pas du côté d'un mal de mer qu'elle n'avait jamais éprouvé, accoutumée dès son plus jeune âge à barboter dans la mer puis à naviguer depuis l'île de Fyn vers celle de Seeland ou le Jutland. Elle était juste – stupidement, idiotement, bêtement – exténuée et ce voyage était par son mode particulièrement l'occasion pour elle de se reposer véritablement, de ne plus avoir à avaler des lieues et des lieues par la route, de ne plus être contrainte à voir des visages et des visages, de plus être forcée de parler. Elle se mouvait sans avoir à effectuer le moindre effort, sans avoir besoin de côtoyer quiconque, sans avoir à exprimer plus que le nécessaire. Elle resta donc cloîtrée, longuement, prenant tous ses repas à l'intérieur de sa cabine, ne fréquentant personne en dehors de ses gens, ne prenant l'air que par l'écoutille qu'on ouvrait régulièrement. Ainsi se passa la première décade.

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MP reçus : si pas de réponse lundi soir, c'est que perdus...
Ingeburge
[Cabine d'Ingeburge]


D'une main légère, elle tourna quelques pages de son Livre des Vertus enluminé. Elle se tenait au sol sur un coussin, les jambes repliées sous elle et faisait face à la petite armoire dans laquelle elle avait entreposé tout ce qui servait à l'accomplissement de ses régulières dévotions. Une chandelle neuve avait été allumée à une lanterne et placée dans un bougeoir, sa flamme sautillante jetait des ronds de clarté sur le diptyque peint ouvert. Dans le dos d'une marquise de Dourdan absorbée par le choix de la lecture à laquelle il serait procédé pour marquer le temps de l'office, se trouvait Ännchen, assise en tailleur. La jeune bavaroise avait récité les différentes prières avec sa maîtresse et attendait tranquillement la suite. Ingeburge feuilletait toujours son ouvrage, distraite et à dire vrai, cette évagation n'était pas nouvelle. Depuis le matin elle était déconcentrée, s'intéressant sur ce voyage qu'elle subissait au lieu d'y participer. Que faisait-elle de ses journées? Il y avait certes eu ce besoin puissant de se reposer, de vaincre cette fatigue générale qui l'avait prise, de puiser des forces nouvelles. Il y avait aussi la nécessité de fuir une entrevue qu'elle supputait orageuse et qui n'offrait nulle solution de rempli puisque la caraque était son seul univers, et pour des semaines. Alors, que faisait-elle? Elle mangeait; elle dormait; elle se faisait baigner, habiller, coiffer; elle jouait avec son chat; elle priait à échéances régulières et s'était donc installée dans une routine ronronnante mais pas vraiment satisfaisante.

Ses prunelles à nouveau baissées vers le livre accrochèrent quelques mots et son esprit sortit de l'engourdissement insidieux dans lequel il était immergé. La lecture était toute trouvée et elle débuta, tranquillement. Les mots glissaient un à un des lèvres incarnates d'Ingeburge. Vint le temps fort de l'extrait, de cet extrait qu'elle connaissait fort bien :

— « Aristote : "Dis-moi, es-tu heureux?"
Ermite : "Si je suis heureux? Et comment! J'ai tout ce qu'il me faut : l'eau de la rivière, des oliviers, un petit jardin. Et comme je ne suis pas maladroit de mes mains, je fabrique ce dont j'ai besoin. Je n'ai besoin de rien, ni de personne. Je suis parfaitement heureux."
Aristote : "Un homme ne peut pas se contenter d'une telle vie. Ou alors il n'est pas pleinement."
Ermite : "Balivernes ! Je suis le meilleur des hommes."
Aristote : "Comment le saurais-tu, toi qui ne connais pas les autres ? Etre un humain, c'est vivre selon la vertu. Et la vertu est une pratique qu'on ne peut exprimer qu'avec les autres. Tu vis bien certes, mais tu ne pratiques aucune vertu puisqu'il n'y a personne avec qui tu puisses la pratiquer. Tu vis comme un ours, indépendant. Mais a-t-on vu un ours faire preuve de vertu ? Tu n'es pas un homme heureux puisque tu n'es même pas un humain. Un humain a des amis, où sont les tiens ?"
Ermite : "Mes amis sont la nature, mes oliviers, mes légumes."
Aristote : "Une véritable amitié se fait entre égaux. Tu es donc l'égal d'un olivier : planté et immobile. Tu survis en marge de la Cité au lieu d'y participer comme le fait tout véritable humain. Je vais donc te laisser prendre racine, adieu !" »


Un peu précipitamment, la Danoise referma son ouvrage et ainsi s'acheva la lecture du dialogue entre Aristote et l'Ermite tiré du chapitre douze du tome second du Livre des Vertus. Dans tout office digne de ce nom, un prêtre aurait ensuite enchaîné avec une homélie relative au texte lu. Cela, elle ne pouvait plus l'accomplir mais du reste, elle savait fort bien ce qu'elle aurait dit, ce qu'elle avait déjà pu dire car elle avait déjà exhorté des fidèles sur la question de la vie en communauté, seul moyen d'éprouver sa vertu. Vertueuse, l'était-elle? Depuis longtemps, elle s'estimait pécheresse sans chance de salut et ce qui était certain, c'est qu'à rester cloîtrée ainsi, elle n'agissait pas comme elle le devait. Aussi, en fait de son sermon, la défroquée se décida à l'action :
— Ännchen, je sors.

La blonde servante sursauta derrière sa maîtresse qui résolue, se mettait déjà sur ses pieds; elle avait donc fort bien compris. Mi-inquiète, mi-satisfaite, l'Allemande se leva à son tour alors qu'Ingeburge se penchait pour souffler la chandelle et ranger celle-ci, son boudoir et le livre sacré dans l'armoire. Pendant quelques minutes, dans le silence seulement troublé par le bruit des étoffes déployées pour vêtir une cloîtrée volontaire prête à rompre son enfermement, la chambrière s'activa. Bottes, surcot doublé furent passés à l'Auxerroise; la chevelure de celle-ci partagée en deux longues nattes fut couverte d'une huve retenue par un galon irisé; enfin le vaste et chaud manteau de voyage pelissé fut déposé sur les graciles épaules.

Pour la première fois en une dizaine de jours, la silhouette sombre émergea de sa cabine. Les narines frémissantes, Ingeburge inspira profondément. Il faisait nuit, ce qui n'était pas pour lui déplaire. Les fanaux dispensaient une lumière suffisante pour pouvoir se repérer et du reste, un des Lombards avisés de la promenade nocturne projetée s'était saisi d'une lanterne. Sortir en plein jour lui aurait peut-être coûté, là, elle se sentait dans son élément. Inspirant une nouvelle fois, elle quitta le seuil de sa chambre et se dirigea vers l'échelle menant au pont supérieur.



[Tillac]

Dix jours, donc, mais pour elle, tout était neuf. Après avoir embarqué, pressée de pouvoir s'installer et de s'affranchir de ses compagnons de voyage, elle n'avait fait que peu de cas de ce bateau dont le nom sonnait comme une revendication, se contentant de suivre l'homme de bord l'ayant guidée jusqu'à sa cabine. Ensuite, elle était donc restée enfermée. Au-dehors maintenant, elle n'était pour autant pas désireuse d'explorer les coins et les recoins du navire, quitter la dunette serait un acte suffisamment téméraire et pas appelé à être renouvelé. C'était trop grand malgré la taille réduite de sa pièce à vivre et c'était trop plein d'hommes d'équipage dont on devait dire pis que pendre pour qu'elle se risquât à partir en expédition. D'ailleurs, yeux décemment baissés, elle avançait solidement entourée de sa garde, peu désireuse de croiser un regard allumé ou de découvrir une trogne gourmande – les femmes étaient rares à bord et elle était la seule de sa condition à voyager. Elle avait d'ailleurs déjà envie de tourner les talons et s'apprêta à murmurer quelques mots en ce sens. Mais quelque chose la retint. Ou plutôt, quelqu'un. Bras tendu, la main retenant un morceau de papier, la Petite Merveille semblait plongée dans ses pensées. Doucement, elle s'approcha puis elle dit :
— Miguaël.

Sa claustration avait décidément été cause de bien de négligences et il était une chose de ne pas faire grand cas de soi-même, il en était une autre que de mettre de côté ses proches, au premier rang duquel son filleul avec lequel il avait été si délicat de renouer. Et elle ne savait toujours que dire, malgré les progrès. Lui demander commet il allait? Ce qu'il faisait? Il pourrait lui reprocher ses silences. Se taire et demeurer là? Ce ne serait pas assez. Alors, elle déclara la première chose qui lui passa par la tête :
— Voilà que tu vogues à ton tour, comme ton père.
Pourquoi évoquer le duc défunt? Ce devait être bien la première fois qu'elle le faisait spontanément.
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MP reçus : si pas de réponse lundi soir, c'est que perdus...
Isora
[ Tribord – Cabine d’Isora]
Isora était dans sa petite cabine ! Tout était concentré et rien ne manquait. L’intérieur était sobre mais agréable, il se dégageait une odeur de bois ce qui n’était pas pour déplaire à notre voyageuse. Elle passa doucement sa main sur le bois, c’était lisse et tout neuf ! Verni ! Un petit hublot laissait passer un tout petit rayon de lumière, à travers duquel elle pouvait épier l’extérieur, mais elle ne voyait pas grand-chose, même sur la pointe des pieds ! Face à sa porte se trouvait le fameux mât d’Artimon, elle connaissait son nom car elle l’avait entendu prononcer par des hommes de l'équipage. Face à ce fameux mât, devant les cabines, au dessus du pont supérieur, il y avait une terrasse, c’est ici qu’elle passerait le plus clair de son temps, enfin selon qu’il ferait beau ou pas ! Sa cabine était au milieu de deux autres et il y en avait également en face. On lui avait indiqué ou se trouvait le Mess, bien elle n’était pas perdue. Elle avait entendu parler de canon ! Cela l’intriguait fortement, sans doute sa première escapade se dirigerait-elle pour aller les observer de bien plus près !

Voilà son installation était terminée, elle avait prit ses petites affaires, sa couverture fétiche et bien chaude, son oreiller moelleux qu’elle avait sur son charmant lit. Glissé et caché ses vieilles poulaines mais si confortables en dessous. Inutile de sortir son nécessaire à écriture, encres et vélins resteraient dans son coffre pour éviter tous renversements et incidents. Sur le petit meuble se trouvant à la droite de son couchage elle avait déposé tout de même son petit coffre rouge dans lequel étaient rangés ses précieux trésors, enfin trésor : une valeur sentimentale, elle vérifia le contenu, rien ne manquait à l’appel : le joli mouchoir brodé de sa mère, le stylet de son père, sa broche : une feuille d’acanthe dorée, un ruban, un fil de soie, ah oui un sachet de lavande rapporté de Montpellier… une toute petite pomme de pain trouvée en forêt de Mende, quelques coquillages et d’autres petites choses mais là motus. Elle avait accroché sa superbe Cardabelle sur la porte de sa cabine. Fleur d’une plante sauvage du Larzac offerte par un colporteur rencontré à Montpellier, appelée également Carline à feuilles d’acanthe, elle porterait bonheur alors !

C’est fou ce qu’Isora pouvait être conservatrice ! Que garderait-elle en souvenir de ce voyage en caraque ? Elle ne pouvait tout de même pas s’attaquer à un morceau de sa cabine ! Elle était à la fois heureuse de se trouver là tout de suite et en même temps anxieuse de savoir comment le voyage allait se dérouler. Elle redoutait d’avoir le mal de mer, de devoir faire face à des tempêtes, de rencontrer des pirates, de s’ennuyer ferme……de louper les changements de couleur dans sa belle forêt de Tonnerre, lorsque les feuilles deviennent rouge, jaune et tombent pour former un joli tapis sur le sol, son ami gorge-rouge qui revenait chaque année ne trouverait pas son amie au rendez-vous pour lui donner quelques graines, ne plus trouver de chataîgnes lors de son retour....

Passons sur tous ces soucis qui n'en sont pas, Isora ne souhaitait pas penser aux choses vraiment importantes. Son retour à Tonnerre arrivera bien assez tôt et il sera opportun de s'en préocuper à ce moment là ! Elle avait donc entièrement organisé son logis afin de recevoir son ami Epargne lorsqu’il lui rendrait visite. Enfin plutôt pour les jours où elle irait chiper l’écureuil de Matthys dans son antre puisqu’elle était la bienvenue alors elle ne se priverait pas ! Mais elle n’oublierait pas les instructions données par son ami l’Intendant, attention aux coups de vent ! Elle les suivrait à la lettre, tout ce qu’il voulait du moment qu’elle puisse venir chercher son adorable petit ami roux ! Avec Ella elle s’était dit qu’elles verraient peut être des animaux marins, du genre baleine, dauphins ou autres…. Enfin la voici installée, son petit monde autour d’elle, manquait plus que son ami de la forêt !


Quelques jours plus tard……………………..

[La terrasse : Face au mât d’Artimon : Ciel étoilé : belette en vue (enfin à condition d'avoir des yeux de chat !) ]

Confortablement installée Isora regardait comme tous les soirs avant d’aller chercher le sommeil, le magnifique ciel étoilé qui s’offrait à son regard. Les étoiles ici brillaient encore plus et elle avait l’impression qu’elles étaient encore plus proches ! Une petite habitude prise avec son père, un instant de communion entre eux deux.

Ce voyage se déroulait sous les meilleurs auspices, le vent était bien présent ce qui leur permettait d’avancer vite ! Les voiles étaient gonflées à bloc et on filait à toute allure ! Pas la moindre tempête ni de trop gros vents venant faire tanguer de façon trop dangereuse ce magnifique navire. Quelques jours après leur départ, les Iles du Baléare avaient pointé le bout de leur nez, elles avaient été annoncées ! De jolies mouettes avaient tournoyé autour de la « Prinzessin » un peu de compagnie enfin ! Mais elles avaient été bruyantes ces visiteuses, elles jacassaient à n’en plus finir au dessus de leurs têtes ! D’ailleurs dimanche après midi après sa promenade sur le pont avec Moustache elle avait trouvé une petite mouette échouée sur le pas de sa porte. Une aile froissée sans doute. Avec l’aide d’un matelot elle l’avait mise dans une boite remplie de chiffon et la belle se reposait dans une petite pièce remplie de cordage en compagnie des pigeons. Ils prenaient soin d’elle à tour de rôle. C’était décidé Isora en ferait une « mouette apprentie pigeon voyageur ». Vaillant faisait la moue ! C’était dit : elle s’appellerait « Jacasse » !

Très tôt dans la matinée elle avait cherché et levé les yeux au ciel, aucune mouette ! Mais un tout autre spectacle s’offrait à elle : la fourmilière qui bougeait sans cesse un peu plus en dessous. Le plus impressionnant étant de voir certains matelots monter tout en haut, un spectacle amusant « Vite …….. Mât de Misaine » ! « Gaillard d’avant » ! L’effervescence était journalière et les journées étaient réglées tel un métronome. Elle discutait parfois avec certains membres de l’équipage mais très peu, ils n’avaient pas le temps. Toutefois quelques uns lui avaient promis de lui montrer comment faire certains nœuds qui seraient d’après eux à toutes épreuves ! A voir ! Après tout pourquoi pas, cela pourrait lui servir un jour. Après avoir fleureter avec le langage du pays chantant, elle avait bien l’intention de procéder de même pour le langage « caraque » ! Et bien oui cambuses, sainte-barbe ? Le gaillard d’avant, celui de l’arrière, mystère tous ces mots ! Mais elle espérait en venir à bout !

Face à elle une immensité « noire » à perte de vue, quelques vents malicieux avaient voulu les empêcher de se diriger plus vite vers le fameux détroit de Gibraltar, mais la Prinzessin en était venue à bout et les voilà de l’autre côté ! Isora souriait, elle n’était absolument pas malade, elle était très bien ici, le calme et la solitude de ce voyage était propice au repos, à la réflexion…à l’écriture, un léger retour sur son enfance, tout avait été mis par écrit. Cela l’avait amusé, fait sourire, quelques larmes de joies…….quelques petits détails oubliés avaient refait surface…Elle n'avait pas vraiment envie de rentrer mais voulait revoir certains de ses amis ! Ha....rien n'était jamais facile.

La seule compagnie de notre amie était l’écureuil de Matthys. C’est la raison pour laquelle ce matin elle avait frappé à la porte de son ami, avait ouvert très prudemment la porte de l'antre en faisant bien attention, plaquée une bise sur la joue gauche de son ami et sans rien dire s’était emparé de son compagnon de jeux et l’avait emporté avec elle. Tout en souriant de sa malice elle murmura pour elle même :
Il est pas prêt de le revoir !Isora l’avait enlevé encore une fois. Il faisait nuit, la journée encore une fois avait filée très vite et elle allait retourner en sa cabine….. Elle avait demandé au Mess quelques pommes cuites à la cannelle, un petit bol d’eau (pas de vin non) pour que son ami puisse boire et ils partageraient bien quelques noisettes ensemble avant de s’endormir tous les deux. Ah si j'avais des dons pour le dessin je le croquerais bien tiens ! Hélas elle n’avait aucun don pour cela !

Isora se leva et retourna dans sa cabine. Elle s’installa confortablement pour déguster ses pommes, elles étaient encore tièdes, un délice ! Epargne sauta de son lit et se mit à fureter le sol, elle le regardait faire. C’est alors qu’elle vit une missive, sans doute ne l’avait-elle pas vu en entrant. Elle se leva et se mit à la lire…..elle sourit, une belle lettre comme d'habitude, elle répondrait plus tard car la réponse allait lui prendre du temps …..allez Epargne …… dodo ! Elle prend la petite boule rousse et la dépose délicatement sur le deuxième oreiller se situant au pied de son lit et extinction des feux, il se fait tard !

Miguael_enguerrand
Ses pensées l'étreignaient et l'éloignaient du monde des Choses pour l'approcher de celui des Idées, à mesure que le papier souffrait, son esprit s'en allait. Ses doigts restaient crispés autour du poème, cela en devenait presque un réflexe, comme tous ces actes qui sont réalisés par le corps sans même en avoir reçu l'ordre du cerveau et de la volonté consciente de l'individu. Un réflexe de survie le tenait à cet objet, et le lâcher serait une capilotade, une décapitation de son âme.

Lorsqu'une voix perça le voile noir qui entourait le tillac, le bras se rétracta comme pour ramener la main vers son cœur, si quelqu'un voulait lui voler son précieux, ou choisir à sa place sa future destination, il devrait lui passer sur le corps. Mais c'était son prénom qui venait d'être prononcé, et d'une voix qui lui était si familière, bien qu'il ne l'ait pas assez entendue à son goût.
Il se retourna vers elle, le poème était dans la paume de sa main et il espérait qu'elle n'ait pas vu ce bras tendu et la voile de fortune au bout de ce mat dérisoire.
Il se rapprocha d'elle et lui serra la main de la sienne libre. L'autre, toujours fermée, vint se mettre en butoir, comme un marteau et une enclume.


Oh Marraine ! Je ne savais pas que tu étais là !
Il t'en a parlé ? Dis-moi ce qu'il t'a dit, il ne l'a jamais évoqué devant moi...
Je ne connais mon père que par ce qu'il m'a dit ou par ce que j'ai vu de lui. Je ne sais rien d'autre, et j'ai besoin de savoir, Marraine ! Je t'en prie, dis-moi.


Il aurait très bien pu lui dire que bien que son corps voyageait sur l'océan, son esprit voguait lui aussi, mais bien plus loin, vers des abimes bien plus remuants.
Le noir les étreignait, mais il essayait malgré tout de la fixer dans les yeux. Au demeurant, il regardait vers ce qui devrait être, compte tenu de leurs tailles respectives, ses pupilles.

Devait-il lui donner ce morceau de papier, à elle, qui saurait sûrement qu'en faire ? Il le saurait dans les minutes qui suivraient. A moins qu'une nouvelle fois, toutes sortent de questions et de problèmes insolubles ne repoussent sa décision encore et encore.

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Actarius
[Appartements du capitaine]

Perché sur le balcon de ses appartements dans le gaillard arrière, le Comte s'octroyait un moment de calme, un répit. Depuis le désamarrage, voilà une bonne dizaine de jours, il n'avait que rarement bénéficié de tels instants, et, lorsqu'ils s'étaient présentés, il avait préféré les mettre à profit pour prendre un peu de repos. Il se sentait étrangement dans son élément, lui qui pourtant avait vu le jour dans les hautes terres du Languedoc et non sur ses côtes. Le chant de l'écume sur la coque, les voix rauques des matelots, le murmure du vent, le claquement des cordages, les grincements du bois, mis à rude épreuve par le roulis des vagues, s'harmonisaient en une symphonie douce à l'oreille du capitaine. A la mélodie s'ajoutait le décor teinté d'une infinité de nuances de bleus, de la voûte céleste aux rivages assombris en passant par l'océan. Si au premier regard, ils se mêlaient indistinctement, ils se nuançaient par la suite, au fur et à mesure que l'oeil s'accoutumait aux ténèbres bleutées. Puis, flottait continuellement cet odeur si particulière, si agréable. Les sens bercés, le Phénix s'abandonna à ses pensées.

Elles le menèrent quelques temps auparavant. Son cousin était alors venu lui présenter son fils. Le plus jeune des Euphor, l'avenir, l'héritier. Il s'était montré cordial et lui avait même offert une boussole qui lui rappellerait ce voyage. Il avait souri, il avait été heureux pour le duc orléanais au point d'en oublier sa propre infortune. Mais à peine la porte de ses appartements close, l'amertume et la douleur avaient rejailli. Plus le temps avançait, plus le risque augmentait de voir la branche aînée de la famille disparaître avec lui. Cette tragédie en devenir sonnait comme une malédiction qui venait parfois le hanter ainsi qu'elle s'y adonnait désormais sous la brise nocturne. Elle s'estompa finalement et laissa place aux espérances bourguignonnes portées par les embruns qui s'échouaient avec indolence sur ce visage de marbre. Dans une quinzaine au plus, il serait chez elle. Cette perspective le réjouissait tout comme elle l'inquiétait, un entremêlement de sentiments contradictoires engendrés par une relation tumultueuse, si prometteuse pourtant, à l'image de ce baiser. Sa main se posa sur la joue "bénie", la caressa avant de retrouver la rambarde. Depuis ce jour, les lèvres incarnadines de la Prinzessin ne l'avaient plus quitté, elles étaient demeurées apposées tendrement sur sa joue et sans doute le resteraient-elles au-delà de la mort même.

Ses pensées vagabondèrent longuement sur cet amour, puis se reportèrent sur la fille laissée en Languedoc, une fille qu'il aimait sans savoir le montrer, tout comme il en était incapable avec sa protégée. Leur lien s'était effrité et menaçait même de rompre, la Bourgogne offrirait peut-être l'occasion d'infléchir cette fâcheuse tournure. Il le souhaitait ardemment du moins et se promit de s'y employer en s'occupant un peu plus d'elle qu'il ne l'avait fait jusqu'alors, en devenant un meilleur protecteur et pourquoi pas un véritable père de substitution. Il en était là de ses espoirs lorsqu'on frappa à sa porte. Le répit s'achevait là. L'aube insouciante de ces états d'âme était venue et avec elle le moment de se réunir avec les officiers.



[Chambre d'Etat-Major]

Sur la grande table de la chambre d'Etat-Major, était déployé un portulan de grande qualité. On pouvait deviner sans peine qu'y figurait les côtes de la péninsule hispanique. Non loin de cette carte, se trouvaient nombre d'instruments de navigation. Il y avait l'arbalestrille, espèce de croix permettant de mesurer des angles avec les astres, un vestige guère plus que rarement encore utilisé. A ses côtés, gisait en effet, celui qui l'avait surpassé, l'octant. Mais le capitaine demeurait attaché à son prédécesseur et maniait plus facilement les marteaux de l'arbalète que les branches plus fines de l'octant, qui bénéficiait néanmoins des faveurs de certains officiers. Compas, nocturlabe, sphère armillaire complétaient ce nécessaire de navigation.

Si l'itinéraire n'avait rien de sorcier, dans la mesure où les côtes demeuraient visibles et les plus sûrs guides de la progression, l'utilisation de ces différents objets n'en demeurait pas moins importante pour un Phénix, point encore rompu à l'art de fendre les flots avec aisance. Chose rare, il écoutait bien plus qu'il ne parlait, se fiant à l'avis de ses officiers. Ses interventions se résumaient souvent en quelques questions ou demandes de précisions, avant de décider et de donner ses consignes. La séance ne s'éternisa pas cependant et bientôt la petite salle se vida. L'Euphor remonta dans ses appartements par la trappe. Ce jour, comme de coutume depuis le départ, il le commencerait au royaume de Morphée pour quelques heures, quelques heures seulement.

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