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[RP fermé] Le passé n’est jamais passé.

Axelle
NON !

Redressée en sursaut sur le lit de camp, la respiration courte comme après avoir couru trop vite, Axelle, étrangement pâle, tentait misérablement de sortir des limbes d’un sommeil comateux pour se rassurer à une réalité qu’elle devinait confusément plus clémente. Son cœur la secouait toute entière à chacun de ses battements et ses oreilles bourdonnantes étouffaient encore les claquements de la toile de tente mal refermée qui fouettait sous le vent Montilien.


Fel ?

Encore affolés, les yeux trop grands cherchaient une trace de la présence de l’Ours dont les pattes autour d’elle auraient chassé d’une simple pichenette les lambeaux du cauchemar qui restaient accrochés à son esprit, cruels amoureux. Mais elle était seule, elle le savait, pourtant elle l’appela encore une fois, comme si le simple fait de prononcer son nom suffisait à détruire la méticuleuse toile d’araignée qui emprisonnait ses pensées.

Elle frotta son front perlé de sueur de la paume de sa main. Tous, ils étaient tous revenus, s’associant les uns aux autres pour se railler davantage d’elle. Pourquoi ne la laissaient ils pas en paix ? Elle s’était crue libérée. Mais non. La fatigue accumulée par ces nuits de veille avait réveillé ses démons avec une force inimaginable. Ainsi, le visage de la chose grimaçante et démente dans la grotte ondoyait sournoisement pour prendre les traits perfides de son propre père et l’air ne s’emplissait plus seulement de ses cris de femme, mais aussi de ceux mêlés de deux enfants déchirés. Elle secoua la tête cherchant à fuir ces visions persistantes, ce qui ne fit qu’agacer sa vague nausée.

Le drap rêche repoussé mollement, elle se leva, les jambes flageolantes, pour rejoindre la console improvisée où restait abandonnée une cuvette ébréchée de terre cuite. Elle plongea ses mains dans le restant d’eau et s’aspergea le visage. Enfin tirée de sa torpeur par la froidure de la giboulée sur son visage, elle s’ébroua en soufflant.


Allez idiote, bouge toi donc, c’qu’une saleté d’rêve, c’fini tout ça !

Son regard fit le tour de la tente. Le sanctuaire de l’Ours et la Bestiole était à leur image. Malgré des vaines tentatives d’organisation, les écuelles trainaient sur une pile de linge alors qu’au milieu de quelques vélins éparpillés sur la table branlante faisant office de bureau, trônait un saucisson miraculé des coulées de cire d’une chandelle de suif.

Quelque part dans les méandres de son cerveau, une faiblarde lumière tentait d’imposer son point de vue ô combien sage. « Ranger ! ». La lumière aurait pu se mettre à étinceler et transformer la Bestiole furie ménagère –si si- si elle n’avait pas été piétinée dans l’instant par une chevauchée sans pitié de « fait soif » bien décidée à anéantir l’ennemi.

C’est donc en renfonçant sa chemise froissée dans ses braies que la Bestiole, bien plus chamboulée qu’elle ne voulait l’admettre, partit, le pas volontaire à débusquer le premier bouge venu pour y noyer d’une quelconque piquette les souvenirs ressuscités par le cauchemar.

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Axelle
L’air du soir était frais, encore agréable pour la saison et la Bestiole avait du temps devant elle avant les ordres du soir. Elle marchait plus lentement qu’à l’accoutumée, encore peu accoutumée aux racines qui s’enchevêtraient au sol. Elle n’avait pas encore rejoint la ville que des notes éparses et familières lui titillèrent l’orifice auditif. Pissant les yeux, comme si moins voir allait lui permettre de mieux entendre, elle les suivit, truffe intriguée au vent, oublieuse de la soulerie prévue.

Elle n’eut pas long à marcher avant que des éclats de voix se fassent plus précis et qu’une lueur finisse de la guider. Ne sachant plus alors s’il fallait aiguiser en premier la vue, l’odorat ou l’ouïe, restant à distance raisonnable, envoutée, elle regarda.

Là, devant ses yeux, un spectacle, que jamais plus elle n’avait espéré voir. Les flammes hautes et orange ondoyaient, s’élevant comme si elles cherchaient à toucher la lune du bout de leurs doigts flous et insaisissables, emplissant l’air de cette odeur si particulière des feux de camp.

Les notes s’égrainaient, s’enlaçant aux chants des hommes, parfois vives, presque affolantes, pour s’apaiser soudainement et caresser langoureusement les silhouettes noires qui les suivaient amoureusement, se tournant autour, se cherchant, s’embrassant pour se repousser avec une force sauvage et indomptée.

La bouche entrouverte, tremblante d’envie, la Bestiole se gorgeait du spectacle qui lui était offert, représentation impromptue du sang qui coulait dans ses veines. Elle devinait les visages sévères, emportés de passion. Tout son corps lui hurlait de se jeter elle aussi dans le feu, de faire claquer ses talons, d’enrouler ses bras, de dresser son menton et de se laisser engloutir par les notes et les voix. Pourtant elle restait là, immobile, les larmes aux yeux, tiraillée dans un passé qu’elle adorait et abhorrait.

Son sang l’appelait, et l’espace d’un instant, elle voulut le suivre, et si un Ours n’avait pas marqué son cœur au fer rouge, elle s’y serait engouffrée à corps perdu, ré-enchevétrant ses racines à celles des siens.

Elle ferma les yeux, se laissant emporter par la musique sans pourtant faire le moindre mouvement, les bras ballants, ailleurs, dans les sansouires salées et chaudes de Camargue, ou plus loin encore, dans les roches andalouses inconnues. Si loin, si longtemps, qu’elle ne sentit d’abord pas la morsure froide sur sa gorge. Mais quand celle ci se fit plus coupante, elle rouvrit enfin les yeux.

Cela aussi était son passé, et sans pouvoir rien dire ou faire, elle n’avait d’autre choix que d’obéir à la lame affutée posée sur son cou et au souffle brulant dans sa nuque qui l’assujettissaient à avancer.

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Axelle
Le pas hésitant, tâtonnant, elle suivait, impuissante, la direction imposée par la lame dont le mutisme de son propriétaire renforçait l’angoisse de la Bestiole. Angoisse mais aussi colère. Comment avait elle pu se fourrer dans une telle situation ? Idiote qu’elle était à avoir baissé sa garde. Ce n’était pourtant pas dans ses habitudes. D’autant plus qu’elle connaissait les habitudes des siens. Eux, jamais ne commettaient son erreur, eux toujours restaient sur le qui vive. La sentence de son imprudence était vite tombée.

La musique, soudain assourdissante et confuse perdait ses élans chaleureux et enivrants, et des visages gouailleurs se dessinaient doucement dans la lueur du feu qui en attisait chaque trait. Quelle distance avait-elle parcouru, ainsi prisonnière du fer froid ? Elle ne le savait pas, tout semblait lui échapper. Brusquement, la lame lui ordonna l’arrêt. Elle n’aurait de toute façon pas pu faire un pas de plus. Non. Ses yeux agrandis de crainte restaient fixés sur un homme aux allures taciturnes. Semblant indifférent aux réjouissances et à l’agitation qui le baignaient, son profil anguleux se découpait de l’ombre avec une netteté surréaliste alors que les alentours semblèrent soudain plongés dans les ténèbres. Ce profil, elle l’aurait reconnu entre mille. Pas celui de son père. Non. Trop jeune. Mais tout comme. Celui de son frère. Le frère numéro un de l’engeance des cafards noirs. L’ainé, l’héritier, et le dos d’Axelle se couvrir d’une sueur glaciale. Ainsi donc se finissait sa fuite. Qui viendrait la chercher ici ? Personne ne savait où elle était. Dans l’ignorance la plus totale, elle serait livrée en pâture.

Comme hypnotisée par le profil honni, elle n’entendit pas, juste à coté d’elle, une voix grave, enrouée et calme.

« Libère la Alvaro, et toi gamine, assieds toi. »


La Bestiole, pourtant, resta figée jusqu’à ce que des mains chaudes et puissantes écrasent ses épaules pour la faire s’asseoir alors, qu’enfin, la menace glacée de la lame s’évanouissait.
Un court instant, elle lâcha son frère du regard. Assise sur ce qui semblait un banc de bois brut, un vieillard la dévisageait, les mains tachées de brun croisées sur le pommeau d’une canne gravée au canif. Le visage était vaguement familier, sans pourtant qu’elle ne parvienne à le reconnaître. Un de ces visages connu des songes. Une présence diffuse qui semble avoir toujours été là, sans pourtant se montrer.

Reprenant quelque peu ses esprits, l’attention reportée sur son frère, muette toujours, elle tira sur sa chemise pour la remettre en place, faisant, sans même sans rendre compte, tinter son bracelet.

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--Manuel




Lentement le vieux tourna la tête la tête au tintement et un furtif sourire étira ses lèvres gercées et flétries. Ce bracelet, entre mille il l’aurait reconnu. Et pour cause, c’est lui qui des éons auparavant l’avait offert à Rosa.

Rosa, rien que ce prénom lui faisait briller les yeux comme à ses 20 ans, la seule femme qu’il ait aimé et à laquelle, son interminable vie durant, il était resté fidèle. Le jour où il lui avait offert, un orage avait éclaté. Ils avaient couru, riant sous la pluie, insouciants des éclairs zébrant le ciel noir, pour se refugier dans l’écurie du père Antoine. Ils avaient à peine 17 ans, des rêves plein la tête et le cœur battant. Trempé, il avait sorti de sa poche un petit paquet enrubanné de ficelle de lin. Son cœur explosait quand elle l’avait ouvert pour y découvrir un petit bracelet à breloque, sans grande valeur, mais qu’il était fier d’avoir marchandé à un camelot d’Arles. Elle avait remonté ses yeux noirs sur lui, pleins d’émotion, et d’une main douce, après avoir repoussé une mèche dégoulinante de son visage de gamin, elle lui avait offert son seul et unique baiser. La soirée durant, sous le cliquetis des gouttes de pluie, ils s’étaient tout promis, pleins d’innocence et de rêve.

Mais quelques jours après, certainement hâtée par leur escapade, le village entier résonnait de la nouvelle des fiançailles de Rosa avec le fils Casas. Manuel avait cru en mourir, et jamais plus il n’avait pu la voir hors des offices dominicaux. A la sortie de l’église, chaque semaine, il espérait pouvoir lui ravir quelques instants. Mais inlassablement, ses parents prenaient soin de la ramener au plus vite chez eux.

Mais même mariée, même après la naissance de son fils unique, Aldo, jamais le Manuel n’avait cessé de veiller de loin sur elle, et jamais n’avait pris femme. Il l’avait vu décliner, s’amaigrir, s’étioler, impuissant. Veuve, Manuel avait eu un moment d’espoir, mais l’Aldo s’était déjà révélé un tyran, exploitant sa femme, ses enfants, et sa propre mère. Sa Rosa. C’est à ce moment qu’elle avait commencé à perdre la tête disait-on au village, n’allant même plus à l’office. Alors Manuel s’aventurait près du jardin des Casas. Et là, caché sous le figuier, parfois, il la voyait, assise sur sa chaise, une gamine en robe rouge lui tournant autour en dansant. La petite Axelle. La première fille d’Aldo. Les yeux de Rosa brillaient, alors, il souriait.

Ainsi s’était écoulée sa vie au vieux Manuel, jusqu'à ce dimanche où Rosa était revenue à l’office. A la sortie, elle était passée près de lui dans son nuage de lavande, et depuis toutes ces années, il avait enfin senti sa main dans la sienne, quelques instants, quand elle lui avait glissé le message au creux de la paume.

Longtemps il avait attendu avant de l’ouvrir, impatient et anxieux. Pourquoi donc Rosa avait-elle pris ce risque après toutes ces années ? Quelques mots étaient griffonnés, d’une écriture tremblante.

"Je n’ai confiance qu’en toi, préviens Axelle, ma p’tiote. Je sais que tu sais.

Ta Rosa, toujours."


Le soir même, Rosa s’était éteinte.

Lentement il tourna la tête et son cœur se serra en détaillant le profil à sa droite. Le front bombé, le nez un peu trop plat et légèrement busqué conférant ce petit air félin qu’il avait tant aimé, le sourcil épais et la lèvre pleine. Rosa. Axelle. Enfin, après tous ces mois de marche, il l’avait trouvé. Demain, il pourrait rentrer chez lui et se laisser glisser dans le sommeil mérité pour retrouver, enfin, sa Rosa.
--Manuel


Longtemps il resta ainsi, laissant les souvenirs le submerger, les mains appuyées sur sa canne. Finalement il détacha son regard trouble et pétillant pour le plonger dans les flammes dansantes. Il toussa et cracha puis d’une voix posée sans chevrotement aucun.

Alors gamine, Que fiches-tu là ? Ne t’a t-on jamais appris à rester prudente ? Qui sait sur qui tu peux tomber, un œil devant, un œil derrière, toujours. Mais je comprends, cette musique, elle ferait danser un taureau. C’est pour la musique que tu es venue ? Tu aimes ces chants ?


Il ne lui laissa pas le temps de répondre et scrutant à son tour le profil anguleux à l’opposé du brasier, poursuivit.

Ouvre tes oreilles gamine, cause que les chants, ils sont beaux, peut être, mais faut comprendre ce qu’ils racontent. Et celui-là raconte une histoire qui comblera sûrement ta curiosité téméraire. Ecoute.

Derrière ce chant, il y a les plaines salées de Camargue, et la revanche d’un homme. Il était une fois donc, une famille, écrasée sous le joug avide et autoritaire d’un père, le Chef. Il était si sûr de lui, que jamais il ne doutait de la soumission de siens. Jamais. Il étendait son pouvoir sur les clans voisins, d’une main de fer, certains diront d’un canif rouillé. Tous le craignaient, ou presque, car un jour, un voisin ébranla le frêle mausolée sur le lequel il trônait, outrepassant, sans peur aucune, les règles établies, provoquant.

Autorité mise à mal et trop froussard pour un affrontement face à face où il aurait pu la perdre définitivement, justement la face, voire y perdre simplement la vie, le Chef préféra une alliance. Il offrit sa fille ainée en mariage, dotée de la tutelle de quelques terres, contre quatre chèvres maigrelettes et symboliques, assurant ainsi la pérennité de son assise en faisant de son ennemi son allié indéfectible puisque parent. Le voisin voyant là un moyen de s’assurer une bonne part du gâteau et un pouvoir accru sans prendre le moindre risque, accepta, et pour preuve d’accord passé, ne tendit pas quatre chèvres, mais une bourse remplie d’or avec la conviction de la remplir à nouveau en prostituant la future épouse, qui, du joug du père, tomberait sous celui du beau père.

Chacun y trouvait son compte, tout honneur sauf. Au plus vite, la fille du Chef serait mariée à l’ainé du Voisin.

Tout se serait certainement passé comme prévu, si la future en question, à l’ébahissement de tous, n’avait pas pris la poudre d’escampette, anéantissant ainsi l’alliance prévue.

La fureur du Chef fut à l’image de la fierté bafouée par le crachat de la donzelle. La honte de s’être fait berné par sa propre fille insupportable. Et s’il s’était toujours montré dur et intransigeant, la colère fit de lui une bête cruelle, animée par la seule soif de vengeance qui lui fit perdre le peu d’humanité qu’il avait. Ses foudres ne pouvant retomber sur la fautive s’abattirent avec fracas sur sa famille et sur tous ceux qui avaient le malheur de croiser son chemin. La peur même avait fuit loin de lui. Tyrannisant à tort et à travers, il refusa même de rendre l’or au Voisin, allant jusqu’à le menacer de mort s’il voyait encore sa tête devant lui.


Le vieux Manuel se racla la gorge, peu habitué à parler aussi longuement, cherchant ses mots pour poursuivre sans s’égarer, se remémorant qu’il était sensé narrer une histoire, même si en lui hurlait l’indignation et la douleur. Une histoire, pour rester distant. Une histoire pour atténuer. Une histoire, pour la laisser libre.

Mais, dans les histoires, tu sais gamine, parfois, l’ogre est puni. La morale, tu sais. C’est ce qui arrive dans celle-ci. Un beau matin, le Chef à été retrouvé baignant dans son sang, la gorge ouverte dans son lit, comme un sourire hilare, lui qui ne souriait jamais. Qui lui à fait cette ultime nique ? Le chant ne le dit pas. Un fils ? Le Voisin ? Sa mère ? Sa femme ? Chacun y va de son interprétation, se moquant bien au final de savoir la vérité. Tout est bien qui finit bien me diras tu ? Sauf que cette chanson n’a pas de fin. Non, elle reste en suspend sur le dernier couplet, le départ du fils ainé du Chef, décidé à retrouver la donzelle fuyarde, coute que coute.

Pourquoi ? Y arrivera t-il ? Que ferra t-elle ? C’est pas dit non plus.


Il tourna lentement son visage vers l’auditrice qui semblait plus petite, plus pale à la lueur du feu.


Peut-être l’inventeras-tu cette fin, dans un petit coin de ta caboche. Ou peut être pas. Mais la chanson continuera d’être chantée. File gamine, maintenant que tu connais la chanson, peut-être danseras tu un jour en y pensant.


D’un geste étrangement vif pour un homme de son âge, il lui fourra une carte dans les mains.

Pour que tu n’oublies ma chanson gitane. File. File.

Le vieux Manuel baissa la tête, s’enfonçant dans le mutisme, s’interdisant de la prendre dans ses bras, de lui parler à cœur ouvert. Il avait promis de la prévenir, il l’avait fait, l’influencer, non. Et ferma les yeux pour ne pas la voir partir soufflant simplement.


Rosa.
Axelle
Clouée sur son tronc, la Bestiole écoutait, toute accaparée sur les paroles du Vieux sans pourtant oser le regarder, le profil de son frère se faisant flou devant ses yeux. Elle n’était pas dupe. Le vieux savait qui elle était. Et même si l’envie de le matraquer de questions la tenaillait, elle ne rompit pas le choix qu’il avait fait. Pourtant elle crevait de savoir comment se portait Mémé Rosa, de lui demander pourquoi lui, de lui savoir qui il était. Et Margot ? Ses lèvres la brulait de dire que Maric était revenu, qu’il fallait le dire à Mémé, qu’elle serait heureuse.

Mais elle se taisait, tortillant ses doigts pour calmer l’étrange mélange d’excitation et de peur qui la tenaillait. A l’annonce de la mort de son père, elle ne sut pas déterminer ses sentiments. Pitié, joie, amertume, dépit de ne pas égorgé elle-même ? Tristesse même, peut-être, malgré tout.

Le vieux s’était tu depuis de longues minutes, mais elle restait là, immobile, hésitante entre fuir à toutes jambes ou faire éclater la vérité, renouer avec elle-même même si cela devait signifier affronter son frère. Elle se leva dans un état demi comateux et fit quelques pas vers le feu. Ne plus fuir, faire face, assumer. Mais pourtant elle s’arrêta, cauchemars d’enfants toujours trop tenaces, et se mit à courir. Courir vite, si vite, sans s’arrêter, sans se retourner, indifférente aux branches qui tentaient de la retenir. Courir pour échapper à qui ? A un frère ou à la réalité de ce qu’elle était au plus profond d’elle. Car ce frère, elle savait pouvoir le tuer sans hésitation, bien plus que ça, elle le voulait. Elle voulait poser sa lame sur son cou et l’enfoncer doucement dans la chair fraternelle pour sentir la chaleur visqueuse et carmin maculer ses mains. Sournoisement, ce désir bouillonnait dans son sang, cette rage, cette soif, elle en avait hérité, en digne Casas qu’elle était. Son entrée à l’Ost n’étant pas au final si anodine. Non. Et elle le savait. Au fond d’elle un désir obscur de prendre la vie rodait, à l’affut. Tuer. Remède contre ses peurs ? Perfidie pour aiguiser la soif ? Et elle courait encore et encore, les remparts de la ville bien loin derrière elle, jusqu’à l’épuisement comme une vaine tentative de se purifier, d’enfouir profondément l’envie qui l’avait submergée, jusqu’à tomber le souffle court et les jambes tétanisées, et là, doucement elle se mit à sangloter, de fatigue, de colère, de frustration, la main serrée sur la carte oubliée.

Les yeux rougis elle desserra enfin le poing, gênée par une arête cartonnée. Par reflexe, elle défroissa et lissa le fin carton, avant d’y poser un regard d’abord distrait. Mais ce qu’elle y vit dessina un sourire entre les larmes et elle susurra.


Oui Mémé.

Et à genoux dans l’herbe humide, elle serra contre sa poitrine la dixième lame du Tarot de Marseille : la Roue de Fortune.
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