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[RP] Non, tu n’as pas de nom - Chapitre 2

Gabrielle_montbray
« Pourquoi une maternité ne serait-elle pas mal venue ? Pourquoi la naissance d'une mère par la venue de l'enfant ne serait-elle pas ratée elle aussi ? »
- Marguerite Duras -

Elle avait parlé. Dit un peu. Pas la vérité, ça elle ne le pouvait pas. Elle avait failli bien sûr, mais elle s’était retenue. Elle savait qu’il ne comprendrait pas, elle savait qu’il lui en voudrait, pour longtemps, pour toujours peut-être. Alors elle avait tu la réalité. Elle avait dit le sang, la douleur, la peur, le manque. Elle avait tut la petite fiole à la potion au goût amer. Elle avait passé sous silence son geste, sa volonté. De ça elle ne pouvait pas parler. De cette nuit maudite dont le funeste secret ne devait jamais lui parvenir.
Mais elle avait parlé et il avait écouté. Silencieux comme toujours, mais attentif comme rarement.
Cet enfant à venir semait le trouble en elle, il semait le trouble entre eux.

Gabrielle avait laissé Enzo en taverne, elle avait eu besoin de prendre l’air, de tenter d’oublier, de calmer ses angoisses. Plongée dans un baquet d’eau chaude dans sa chambre sombre et déserte, elle réfléchissait.
Une question toute simple, anodine, innocente, avait fait remonter les souvenirs enfouis de cette nuit là, la culpabilité de son geste, la culpabilité de son crime. Elle avait revu sa main ensanglantée. Elle avait ressenti de nouveau la douleur foudroyante.
Gabrielle avait tué son enfant. Le sien à elle et le sien à lui. Un enfant dont elle ne voulait pas. Au printemps, les choses étaient si différentes. Au printemps, Enzo lui était encore interdit. Au printemps, ils n’étaient pas un couple amoureux mais un couple incestueux.

Le secret. Celui qu’elle n’avouerait plus, à personne. Certains savaient. Actarius, Cebyss, Morphée, Mordric, Audoin, Isleen peut-être bien… Gabrielle n’était plus très sûre. Car elle niait. Elle avait nié devant l’église. Elle nierait encore, devant n’importe qui, du plus humble au plus grand, fusse-t-il le Roy ou le Pape. En niant, elle reniait son père, elle reniait son frère, elle reniait un peu sa mère aussi en lui enlevant une partie de son histoire. Elle ne prononçait plus jamais le nom de son père et restait vague sur sa filiation. C’était douloureux, difficile, injuste. Mais moins que de renoncer à Enzo. Le comprenait-il seulement ?

L’enfant bougeait, s’agitait, frappait, tempêtait. Il semblait toujours à Gabrielle qu’il lui en voulait et manifestait sa colère. Une colère qu’elle ressentait de l’intérieur. Une colère qui la terrifiait. Il lui semblait que ce bébé était maudit, et qu’il porterait la marque de sa double infamie, une mère incestueuse et criminelle. Elle était certaine qu’elle portait un monstre en son sein, une de ces créatures difformes et à peine humaines qui ne semblaient venir au monde que pour marquer au fer rouge leurs parents.
Gabrielle n’était pas certaine que cet enfant soit celui qu’elle avait essayé de tuer. Le crime avait-il réussi ? Elle ne le savait pas. S’il avait survécu, c’était tout autant un soulagement qu’une angoisse de plus. Se souviendrait-il du geste de sa mère ? En garderait-il des traces ? Et si ça n’était pas le même, si un autre petit être avait fait sa place ? Alors la culpabilité étreignait Gabrielle dont le crime aura été bien inutile puisqu’enfant il y aurait tout de même.

Gabrielle regardait ce ventre détesté, une difformité selon la brune, un renflement discret qui lui rappelait qu’elle serait mère bientôt, que sa volonté n’y pouvait rien. Le Très Haut, la nature avaient décidé pour elle. L’enfant sera là, bientôt, quel que soit le moment, ça serait toujours trop tôt. Gabrielle pensait à la question posée en taverne, « c’est pour quand ? ». Et la réponse était tombée, couperet froid et sec. Elle n’en avait pas la moindre idée. Pas encore né et déjà mal aimé, ignoré, nié même à ses débuts. Gabrielle en était sincèrement désolée. Elle aurait voulu aimer l’être qui s’était installé au creux de son corps, elle aurait aimé être rassuré par chaque coup qu’il lui donnait, elle aurait aimé se rêver avec un enfant à tête d’ange s’endormant tranquillement dans ses bras, elle aurait finalement désespérement aimé le vouloir et l’attendre.
Mais ça n’était pas le cas. Elle n’aimait pas, elle souffrait. Elle n’attendait pas, elle subissait. Elle ne rêvait pas, elle cauchemardait.

Gabrielle sortit de son bain, devenu presque froid. Enzo n’était toujours pas rentré. Il lui en voulait de ça, elle en était certaine. Il lui en voulait d’être incapable d’être une mère décente pour son futur fils.
Il lui en voulait et elle le comprenait.
Elle aussi s’en voulait.


Citation:
A toi, le fils que je ne veux pas
De moi


Tu seras un garçon, c’est une certitude. Une évidence. Une prière.

Je ne voulais pas de toi, mais tu le sais déjà, j’ai voulu te tuer, toi ou ton frère, je n’en sais rien, je ne veux pas savoir. J’ai voulu te tuer, et tu t’es accroché. Toi ou ton frère, toi ou un autre, tu es presque le même de toute façon.

Je ne veux toujours pas de toi, tu le sais sûrement. Tu me terrifies, tu m’angoisses, tu me dévores de l’intérieur. Tu m’affaiblis, tu me prives de ma liberté, tu attires bien trop l’attention, tu entres dans la lumière en me poussant dans l’ombre, les autres pensent plus à toi qu’à moi, je ne suis plus que la précieuse matrice qui t’abrite. Tu es ma prison… Seras-tu mon bourreau ?

Tu n’as pas de prénom, pas de conscience, tu n’es rien encore.
Je ne te veux pas. Je ne t’aime pas.
C’est ton père que je veux et que j’aime. Alors pour lui, je te subis. Je renonce à mes épées, je renonce à mes chevaux, je renonce à mes alcools.
Devenir ta mère c’est renoncer à être moi, c’est mourir un peu pour te permettre de vivre.

Te mettre au monde sera peut-être mourir vraiment pour que tu puisses vivre. Ton premier cri se poussera peut-être dans mon dernier souffle.
Tu n’as pas de prénom, pas de conscience, tu n’es rien encore.
Et pourtant… Tu as tellement de pouvoir.

Ne me tues pas. Et je te promets d’essayer de te faire une place.

Je ne signe pas, c'est inutile, tout finira au feu demain, plus tard, un jour...


Quelques lignes couchées sur le vélin.
Quelques lignes abandonnées sur le bureau avant d'aller se coucher. Dormir. Oublier. S'échapper. Cauchemarder. Se réveiller le coeur battant. Etre encore vivante.


*le titre est emprunté à une chanson d'Anne Sylvestre

_________________
Gabrielle_montbray
« La femme toute entière est modelée et préparée de loin pour cet auguste office de la maternité, qui est le but suprême de sa vie terrestre. »
- Docteur Jean-Baptiste Fonssagrives -

- Un mois plus tard environ -

Attendre. Des semaines qu’elle attendait, des mois. Elle n’attendait pas la venue de l’enfant. Elle n’avait aucune impatience à son sujet. Elle ne se demandait pas vraiment à quoi il ressemblerait. Juste parfois, un peu, rarement. Elle n’attendait pas l’enfant, elle attendait la délivrance qui accompagnerait sa naissance. Elle attendait de retrouver son corps tout à elle. Elle attendait de revivre. Enfin. Elle n’avait rien pour cet enfant. Ni berceau pour qu’il dorme, ni linge pour le couvrir. Des femmes de la mesnie avait peut-être ce qu’il fallait, sûrement même. Ca n’intéressait pas Gabrielle, elle ne savait même pas comment on habillait un bébé. Une nourrice avait été embauchée, pour nourrir l’enfant, s’en occuper la nuit, le jour. Elle n’avait pas non plus de prénom pour lui. Enzo avait choisi. Elle n’avait pas demandé à savoir.

Gabrielle n’avait pas compris tout de suite. Epuisée par une nuit blanche la veille, elle avait sombré dans un sommeil sans rêves ni cauchemars. Juste un noir vide et réparateur. Elle fut réveillée par une sensation étrange. Pas douloureuse, juste désagréable. Elle ne tenta pas de se rendormir. Insomniaque elle était, insomniaque elle demeurait. Elle dormait peu et une fois réveillée, elle ne pouvait plus fermer les yeux. Un soupir. Et de nouveau ce ventre qui durcit. Toujours sans douleur. Ca n’était pas la première fois que ça arrivait, ces derniers temps c’était même assez régulier. Mais elle n’y prêtait pas vraiment attention.
Un sourire en regardant Enzo qui dormait encore. Faire attention en se détachant, remonter l’édredon pour qu’il n’ait pas froid, se glisser hors du lit, enfiler ses vêtements et quitter la chambre. Gabrielle frissonna au contact de la pierre froide . Et cette sensation désagréable au creux du ventre, une sensation lourde et pesante. Gabrielle avait la nausée et elle enfila ses bottes en vitesses pour aller respirer l’air frais de ce milieu de matinée.

Non, Gabrielle n’avait pas compris tout de suite. Et si la pensée que, peut-être, la chose s’annonçait lui traversait l’esprit, elle la refoulait aussitôt. Si on n’y pense pas, ça n’existe pas. Elle alla donc à la mairie où elle remplit les diverses tâches quotidiennes, sans plus vraiment penser à ce poids, à cette pierre qui semblait se trouver là. Elle alla ensuite en place publique répondre à quelques questions à propos des élections comtales. Puis au château comtal où son vote était attendu. Parfois, la sensation désagréable faisait place à une sensation douloureuse. Ne pas y penser. Oublier. Si on n’y pense pas, ça n’existe pas. Lassée et blasée par les querelles politiques, Gabrielle rentra ensuite chez elle, enfila des braies et pour s’occuper l’esprit et le corps, elle alla aux écuries. Dans les moment d’angoisse et de doute, s’occuper des chevaux lui délassaient l’esprit. Elle faisait les tâches ingrates, nettoyer les sabots, brosser les robes, déméler les crinières, graisser les licols. Romèu, le palefrenier ne disait plus rien, il n’avait même plus l’air vraiment étonné de voir débarquer la maitresse des lieux habillée en homme et passer deux heures en sa compagnie. Ils parlaient peu, Gabrielle posait quelques questions d’usage sur la santé, la famille, il lui répondait poliment. Et puis ça s’arrêtait là.
La jeune femme s’épuisa à en avoir mal aux bras. Oublier la douleur ventrale qui devenait prégnante par une autre. Oublier. Elle devait oublier. Tout allait bien.

Nier. Quitter les écuries. Rentrer. Se laver. Passer des vêtements propres. Ne pas penser. Ne surtout pas penser qu’elle ne pouvait plus vraiment avoir de doutes. Sourire à Margue, à Anna, à Robin. Chercher Enzo. Hésiter un instant. Refouler. Discuter de tout, de rien. Surtout de rien. Ne rien dire d’important. Cacher les crispations, cacher la douleur qui augmente, serrer le poing sous la table. Avoir envie de crier que ça fait mal. De crier qu’elle ne veut pas mourir. Tout va bien. Faire semblant. Nier la vérité. Inéluctable et contre laquelle elle ne peut rien. Proposer une promenade même. Faire comme si.

Accepter. Plus le choix. Gabrielle était rentrée, obligée d’écourter sa marche nocturne. Obligée d’accepter ce qu’elle refusait. Ce qu’elle ne voulait pas. Ce qui la terrifiait plus que tout. Elle avait juste dit « rentrons » à Enzo. Rien d’autre. Pas d’explication, pas un mot de plus. Avait-il soupiré ? Avait-il répondu ? Elle ne savait plus, toute entière tournée vers elle. Vers ce putain de ventre qui lui rappelait qu’elle perdrait et que lui gagnerait. Une fois la porte de l’Oustau, Gabrielle se tourna vers Enzo. Un visage calme, ne rien laisser transparaitre, pas encore, pas devant lui.

- Enzo… appelez Margue et Jeanne. Je crois que je vais avoir besoin d’elles.
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Enzo
    [- Au même moment]

Il dormait. Paisiblement. Comme souvent. Le sommeil était la seule chose paisible chez Enzo. Et il s’était habitué à Elle. À sa façon de se coller a lui pour dormir. À cette manie de peu dormir et de quitter souvent le lit avant lui. À cette habituelle lettre déposée sur l’oreiller qui le faisait un peu sourire au réveil. Il n’attendait rien. Il dormait. Pressé de rien, n’ayant pas d’obligation particulière. Ce sont des bruits qui finalement réveillèrent le jeune homme. L’Oustau étant rempli de pièce vide, l’écho se propageait, et à cette heure avancée de l’après-midi la mesnie se bougeait. Un peu trop au gré du jeune homme qui avait bien envie de dormir un peu. Encore. Il n’était pourtant pas homme à dormir des heures, mais le confort du lit l’attirait vachement ce jour, et Enzo n’avait littéralement pas envie d’en sortir. Un bâillement et une main qui vient gratter ses cheveux, tandis que les yeux verts se promènent dans la pièce. Vide. Gabrielle est partie. Comme souvent. Un léger soupir, et le jeune homme de regarder sur l’oreiller à côté de lui. Rien. Pas l’habituel petit mot. Le jeune homme fronça légèrement les sourcils et se décida à entreprendre sa journée. Même rituel pour s’habiller. Comme toujours. Quoique le fait qu’il n’y avait pas la lettre sur la place vide de Gabrielle le perturba quelque peu. Une urgence à la mairie, peut-être. Il verrait plus tard.

Journée tout à fait monotone. Le jeune homme était allé courir autour de Montpellier pour se remettre en forme, maintenant que ses poumons étaient vides du mal qui l’avait affligé. Une bonne tasse d’air frais, sentir le froid qui se glisse sous les vêtements, le vent fouetter le visage et faire danser les cheveux. Il avait continué l’entrainement en levant quelques charges plus ou moins lourdes et retravaillant ses abdos. Toutefois, il n’avait pas touché à l’épée, préférant travailler son corps pour l’instant avant de reprendre les coups d’estocs. Un passage aux comtales. Des soupirs. Définitivement, ses élections était un fiasco total, et ça commençait doucement à blaser le jeune homme. Il passa tout de même au château comtal, donner son vote. Il avait espéré toute la journée qu’ils ne repartent pas pour un deuxième tour. Selon lui, ça devenait de l’irrespect pour la population qui avait voté, d’éterniser les procédures au lieu de commencer réellement à travailler. Toutefois, il s’était promis de ne pas intervenir, au risque de se frustrer et de mettre de l’huile sur le feu. Le jeune homme était donc finalement rentré pour se désaltérer, se changer et surtout prendre un bain. Toujours pas de Gabrielle à l’horizon. Sûrement à la mairie.

Bref. Une journée très ennuyante et qui avait définitivement blasée le jeune homme. Un peu de solitude dans une taverne à boire une tisane. Pas de Virgile. Pas de Coccinelle. Pas de Carla. Ni même de Keliade. C’est à croire que ça n’est pas parce qu’on est riche et noble qu’on a de quoi faire ses journées. Aucun courrier pour l’instant. Le calme plat. Un ennui qui pénètre l’esprit et s’amuse à faire soupirer sa victime. Gabrielle était enfin arrivée, puis une promenade. Un soupir. Il n’avait pas réellement envie de ça. Après avoir couru un certain temps, le jeune homme espérait pouvoir se poser un peu, mais sa femme semblait en avoir décidé autrement. Un mal de tête elle avait dit. Et son « aïe » ne l’avait pas perturbé plus que ça. Elle avait répondu du « rien, rien » à son « Ehm ? ». Ça lui suffisait. Il n’avait pas la tête à la questionner. Sauf qu’en plein milieu de la promenade, voilà que Gabrielle décida de rentrer. Le jeune homme avait alors simplement haussé les épaules retenant le soupir qui avait pointé.


- Enzo… appelez Margue et Jeanne. Je crois que je vais avoir besoin d’elles.
- « Ehm ? »


Un regard surpris. Elle n’était pas capable de le faire toute seule ? Enzo de soupirer, se demandant bien pourquoi elle voulait voir Margue et Jeanne. Surtout que cette dernière, elle n’avait pas trop envie de la voir. Elle allait bien. Et il se pointerait le moment venu. C’est ce qu’elle lui répétait à chaque fois qu’il insistait pour qu’elle se laisse un peu examiner par la matrone. Il ne savait même pas quand le bébé viendrait, ce qu’il fallait, comment il devait agir. Il n’était qu’un homme après tout. Sauf que la vie de Gabrielle lui importait. Plus que l’enfant en lui-même. Il soupira et s’est mollement que le jeune homme s’avança dans la pièce principale.

- « Margue ! Jeanne ! Madame vous fait mander toutes les deux... ! On se dépêche, je n’ai pas envie de m’emmerder à vous chercher dans l’Oustau ! »

De retourner ensuite vers Gabrielle. La regarder. Froncer légèrement les sourcils. Se demander de nouveau pourquoi elle veut Margue ET Jeanne. Fixer Gabrielle un instant. Ouvrir les yeux d’un coup. Rester incrédule. Est-ce que... ? Non. Ça n’était pas possible. Gabrielle avait trop petit ventre. Une femme qui va accoucher c’est gros. Ça a le bide qui pointe vers le ciel et à de la difficulté à marcher. Tout du moins, c’est ce qu’il a vu des femmes enceintes qui attendent juste que le bébé vienne tellement c’est lourd la bedaine. Enfin, c’est ce qu’il pense. Et elle est trop calme. Elle a tellement la trouille que si le bébé décidait de venir, là, maintenant, elle paniquerait. Non ? Forcément. Et elle lui dirait qu’il s’en vient. Pas juste d’aller chercher Margue et Jeanne. Alors Enzo se penche vers elle et lui embrasse le front.

- « Vous vous êtes décidée à voir l’avancée de la grossesse ? »
_________________

©JD Marin
Margue


J’entends le Heer qui nous appelle avec Jeanne et j’arrive vite, je me méfie toujours quand il crie comme ça. Mais je regarde le Heer, je regarde Madame, et je comprends. Je sais pas bien si lui a compris mais moi je crois que si Madame elle veut me voir avec Jeanne, c’est que sûrement le petit va pas tarder. Je suis contente d’aider Jeanne, j’ai déjà aidé à Falmignoul, plusieurs fois et je trouve que c’est une belle chose de voir ces petits arriver dans le monde, même si c’est pas toujours facile. J’espère que ça se passera bien pour Madame parce qu’elle a pas trop fait attention, elle mange pas grand chose, elle dort presque pas et elle est pas bien épaisse quand même. Pis son ventre, il est vraiment petite, alors moi j’espère que le bébé arrive pas trop tôt, j’ai vu ça une fois à Falmignoul et c’était bien triste.

J’entends le Heer qui demande si la Dame veut savoir où ça en est. Moi ça m’étonne un peu parce que si on la regarde bien, Madame, on voit bien qu’elle est pas vraiment en forme, enfin on voit bien qu’elle sert les dents quoi. Moi je crois vraiment que les hommes y comprennent rien à ça et qu’ils comprendront jamais, parce que même moi qu’ai jamais eu d’enfants, ben je sais bien reconnaître une femme en travail, même une qui se retient. Mais en même temps, le pauvre Heer, il a pas du en voir souvent des femmes qui allaient accoucher, forcément, un fils de grande famille, ça voit pas ça. Comme quoi, nous les petites gens, on sait des choses que les grands savent pas parfois. Je m’approche et je dis aux Mesters


« Je vais chercher Jeanne»

Juste ça. Et puis, je devrais pas vraiment parce que c’est pas trop mon rôle mais je peux pas m’en empêcher et je demande quand même.

« Ca va Madame ?»

Pis après je vais chercher Jeanne parce que je crois bien que c’est ça qu’elle veut, Madame, et pas trop qu’on l’embête avec des questions.

* En flamand : heer = seigneur / mester = maitre
Jeanne_mortemont


Ca faisait quelques jours déjà que Jeanne Mortemont s’était installée chez les Seigneurs de Falmignoul et de Valsiger. Peut-être bien une dizaine, elle n’avait pas vraiment compté et ça n’avait pas grande importance. Elle avait été contacté par cette gentille étrangère à l’accent étrange, Margue, une flamande, une fille du nord, discrète et polie. Une fille bien selon la vieille Matrone, une fille droite et pieuse, serviable et honnête. Margue était au service des Seigneurs depuis quelques mois lui semblait-il, elle n’avait pas vraiment retenu les détails. Toujours est il que la femme du Seigneur était grosse et que Margue avait contacté Jeanne sur demande de la future mère. La matrone et la flamande s’étaient rencontrées au marché, elles avaient discuté et de fil en aiguille, les choses s’étaient faites.

Jeanne vivait donc dans la vaste demeure des jeunes Seigneurs. Ca n’était pas la première fois que ça lui arrivait et elle n’était guère impressionnée par la maison, ni par les nobles qui l’habitaientt. Oh elle avait le respect de la noblesse, Jeanne, mais à son âge, il lui en fallait beaucoup pour l’effrayer ou l’impressionner. Et puis ces gens là avaient plus besoin d’elle qu’elle n’avait besoin d’eux. Elle ne gagnait rien à exercer son art, rien du tout, pas un écu. Encore que là, elle avait de la chance, elle était bien logée et elle était nourrie ce qui n’arrivait que bien rarement. Elle n’était venue qu’avec ses effets personnels et son matériel de matrone, qui lui servirait le jour où l’enfant se déciderait à naitre, et elle ne savait pas quand puisque la première concernée, la mère donc, refusait de la laisser regarder un peu. Margue avait prévenue que « Madame n’est pas facile pour tout ce qui concerne son état » et la matrone n’avait fait que le constater. Une mère désintéressée, une mère absente, perdue, une mère qui refusait de l’être. Elle avait déjà vu ça, Jeanne, elle avait tout vu, toutes les mères, des nobles, des gueuses, des bourgeoises, des paniquées, des ravies, des légitimes, des cachées, des mariées, des catins. Toutes, et elle les traitait toutes avec une égale patience et un égal dévouement. Oh bien sûr, elle avait bien son avis sur ces femmes, sur leurs vies, sur leurs mœurs, mais quand elles s’apprêtaient à devenir mères pour la première fois, ou pour la dixième, qu’elles soient femme de laboureur ou maitresse d’un Duc, ça n’y changeait rien. Et Jeanne était là, toujours, serviable et dévouée, comme le voulait son rôle.

Elle croisait la maitresse de maison parfois qui, si elle n’était pas désagréable ni méchante, ne lui accordait qu’une froide indifférence polie, ce qui n’émouvait pas plus que ça la matrone qui en avait vu d’autres. Elle saurait bien la réclamer quand elle aurait besoin d’elle, la jolie Gabrielle.
Et justement, il semble bien que le moment soit venu. Margue vient la chercher dans sa chambre où la vieille dame somnolait sur son fauteuil devant la fenêtre, elle aimait bien regarder les mouvement de la mesnie dans la cour, voir qui entrait et sortait, mais elle avait fini par sombrer dans une douce torpeur. Elle ouvrit les yeux en entendant la voix de la flamande qui la réclamait pour Madame.

- Entre donc, Margue. Tiens, prends ce sac là, derrière la porte, j’avais tout préparé pour le moment où ça serait utile.

Et Jeanne de suivre Margue en trottinant pour rejoindre les Seigneurs dans l’autre bâtiment, leur domaine à eux. La matrone toise le Seigneur, elle n’aime pas bien que les hommes trainaillent dans la maison pendant que ça se passe. Et puis les yeux noirs se posent sur la Dame, un regard expert et scrutateur, Jeanne va entrer en scène et c’est elle qui va prendre les choses en main maintenant, contente ou pas, la jeune femme n’aura pas le choix. Jeanne espère juste qu’elle sera un peu coopérative, parce que c’est tout de même plus simple.

- Messire, je vais monter avec votre femme et Margue. Vous devriez, et bien... je ne sais pas... allez boire un verre avec vos hommes en attendant par exemple, ça sera peut-être un peu long. Et prévenez les femmes de la maison.

Voilà, directe et efficace, mais polie et respectueuse, de toute façon, Jeanne sait bien que dans ces moment là, ils ne la ramènent pas trop les hommes, ça doit les angoisser tout ça, peut-être bien qu’ils trouvent ça un peu mystérieux, c’est que ce sont des histoires de bonnes femmes. Et c’est très bien comme ça.
Gabrielle_montbray
« J'augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur, et tes désirs se porteront vers ton mari, mais il dominera sur toi. »
- Ancien Testament, Le Pentateuque, Genèse 3 -

- Vous vous êtes décidée à voir l’avancée de la grossesse ?

Gabrielle regarde Enzo, incertaine de ce qu’elle vient d’entendre, de ce qu’il a dit. Un regard sombre, très sombre, un regard pire qu’une gifle. « Voir l’avancée de la grossesse » ? Sérieusement ? Il oserait se foutre d’elle à un moment pareil ? Gabrielle a envie de le frapper, qu’il se taise, qu’il disparaisse de sa vue, qu’il…

- Holly shit *!

Une douleur. Plus violente que les autres. L’impression que son ventre est serré par un poing de géant, pris en étau dans une pince. Gabrielle saisit l’avant bras d’Enzo, malgré elle les doigts se crispent, forts, très forts, les yeux fermés, attendant que la douleur cesse. Elle n’a pas répondu à Margue, pas le courage, pas envie, pas le moment. Elle veut juste que ça cesse. Elle veut en finir. Que les douleurs s’arrêtent. Non qu’elle les trouve insurmontables mais elle déteste cette impression de perdre le contrôle, de perdre pied dans quelque chose qu’elle ne maitrise pas. Un combat entre elle et son corps, un combat qu’elle n’a pas choisi, un combat qu’elle ne peut pas refuser, un combat perdu d’avance. Lutter ne sert à rien. Pourtant, elle veut se battre, refuser l’évidence, nier la nature et sa condition de femme.

- Dans la chambre -

Gabrielle a suivi, elle s’est laissée emmener dans la chambre, elle s’est laissée déshabiller, passer une chemise qu’il faudra jeter ou brûler ensuite, elle a regardé Margue et Jeanne tendre le lit de linges qui subiront le même sort que sa chemise, elle reste là, inutile, le ventre tendu et tordu par des douleurs qu’elle ignorait jusque là. Elle a envie de vomir, elle a envie de pleurer, elle a envie de hurler, elle a envie de fuir. Elle voudrait que ça soit une autre qui soit là, dans cette chambre, elle voudrait regarder la scène de loin, et ne pas y participer. Elle voudrait résister, être forte, mais la vague douloureuse vient la chercher et l’entraine. Gabrielle se plie sous le coup d’épée qui vient de l’éventrer. Enzo… tout est de sa faute. De lui, de ses putains de yeux verts, de son sourire. Si elle ne l’avait pas croisé, si elle ne l’avait pas regardé, si elle n’avait pas succombé. Tout est de sa faute. Tout.

- Bloody hell** ! Ca fait mal !

Un regard à Jeanne. Un regard rageur et désespéré à la fois.

- Faites quelque chose… Je…

Pliée en deux. La vague l’a prise et ne la lâchera plus. Une rémission parfois. Et la peur. L’angoisse de la prochaine. L’angoisse du prochain coup qui ne prévient pas. Le Très Haut a punit les femmes en leur donnant le pouvoir de l’enfantement. Gabrielle est doublement maudite, femme et pécheresse. Le Très Haut va la faire mourir, elle crévera de son infamie, elle crévera de sa faute. Il était le seul interdit, il était le seul qu’elle voulait, il était le seul fait pour elle. Mais pour ça, elle va mourir. Ou l’enfant à naitre sera monstreux et il portera sur lui la faute de ses parents. Les choses vont mal tourner. C’est évident, on ne peut pas supporter pareil souffrance, c’est inhumain. Enzo. Elle doit le voir. Lui parler. Lui dire qu’elle l’aime avant de disparaître. Qu’il le sache qu’elle n’a aimé que lui.

- Margue, va chercher Enz…

Put… de m…, ça fait mal ! Accrochée à un montant du lit, presque pliée en deux, Gabrielle souffre. Tu parles qu’elle n’aime que lui. Conneries que tout ça !

- Enzo ! I hate you! Go to hell ! Je te déteste ! Comment as-tu me faire ça ? C’est dégueul… Arghhh***

Et le cri de rage de se finir dans un râle de douleur. Et défection. Elle va être longue cette nuit. Très longue. Si elle arrive au bout, vivante, Gabrielle se jure que plus jamais elle ne cédera au souffle rauque d’Enzo, à son accent gascon, à son regard sombre couleur des lacs irlandais et à ce sourire narquois et arrogant qui la font flancher. Plus jamais. C’est du moins ce qu’elle se dit avant de se plier de nouveau en deux et de se laisser submerger par la douleur.

Enzo, je te déteste, je vais mourir par toi et pour toi.


* Bordel de m...
** Plus ou moins la même chose
*** Je te déteste! Va au Diable!

_________________
Isleen
Une amie, elle avait besoin d’une amie, d’un avis féminin, elle venait de rentrer de voyage, elle venait d’apprendre que personne ne l’avait vu, pas même eux, elle n’avait aucune envie de dormir, aucune envie de se retrouver seule chez elle, aucune envie d’être en taverne à ne pas répondre à la fameuse question « vous allez bien ? ». Alors la rouquine était partie à la recherche de son amie, lui dire qu’elle était rentrée, discuter, papoter, se changer les idées, parler de tout de rien, mais pas rester seule.

Et pour avoir fait partie de la mesnie, pour connaître Gabrielle, elle savait que celle ci n’avait pas changé ses habitudes, qu’elle ne se coucherait pas avant l’aube. Et puis l’espoir aussi de le croiser, il devait toujours faire les gardes de nuit, aussi la rouquine avait prit la direction de l’Ostau d’Enzo et Gabrielle.

Voilà comment elle se retrouvait là l’irlandaise, devant la porte de la chambre de Gabrielle, la nuit bien tombée a entendre hurler son amie au travers. A peine arrivée, et passé le garde en faction, qui n’était pas Audoin, bien entendu, trop simple si cela avait été lui, non il fallait qu’elle ne le voit pas encore, bref à peine passé le garde, et atteint le logis qu’elle s’était fait embarquée dans le brouhaha de la mesnie. Qu’est ce qui se passait donc encore ici ? Pourquoi donc n’étaient-ils pas tous à dormir à cette heure ci ? Normalement il n’y aurait du avoir que Gabrielle, voir Enzo et un ou deux gardes debout et non tout ce monde. Toute contente d’apprendre la nouvelle, on lui avait dit « c’est pour maintenant , le bébé ». Et la première pensée de la rouquine, avait été quelque chose de ce style « par tous les Dieux, qu’il n’arrive rien à Gab ». Immanquablement, lorsque l’on parlait accouchement à l’irlandaise, elle pensait à la mort de sa mère, à ce bébé qu’elle avait été , bébé qui en naissant avait prit la vie de sa mère. Et d’un frisson, la peur naissait, les souvenirs revenaient, avec la solitude de l’enfance et l’incompréhension d’alors.

La rouquine avait donc monté les marches aussi vite que possible jusqu’à la chambre de Gabrielle, mené par les cris, mais une fois la main sur la poigné prête à entrer elle avait été arrêté par les cris.


- Enzo ! I hate you! Go to hell ! Je te déteste ! Comment as-tu me faire ça ? C’est dégueulArghhh…*

Grimace involontaire, la vache, si elle l’entend aussi bien d’ici, qu’est ce que ça doit donné à l’intérieur. En tout cas, elle est toujours en vie ! Et la rouquine de faire comme chez elle, et d’ouvrir la porte, d’entrer et de la refermer derrière elle.

Mais non tu ne le déteste pas. Tu l’aimes, tu l’adores…

Un signe de tête vers Margue, vers la femme qu’elle ne connaît pas et la rouquine de s’avancer vers le lit, vers Gabrielle, de se placer à coté d’elle.

Je venais discuter avec toi…mais j’vois que j’tombe mal…bien…tu veux que j’parte, reste ?


Ben oui, la rouquine s’inquiète pour son amie, la naissance, toussa, c’est un peu comme le coup du cheval avec Osfrid, elle va pas aimer le moment, elle le sait, ça va lui renvoyer tout un tas de choses à la figure, mais à la différence, là elle sait pourquoi, elle sait ce qui s’est passé dans son passé, alors même si elle va avoir uen boule d’appréhension au creux de l’estomac, elle va être là, pour son amie, et vu qu’il paraît que c’est une affaire de femmes, elle est parfaitement à sa place au final, même si elle n'y connait rien. Esquisse un petit sourire qui se veut rassurant , les rassurer elles deux...

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Jeanne_mortemont


Elle ne dit rien Jeanne, elle le sait que ça fait mal, elle a eu des enfants avant la jeune noble. Et elle a accompagné des centaines de femmes tout au long de sa vie. Alors elle ne va pas lui dire que ça n’est rien, que c’est supportable, qu’elle s’en remettra, parce qu’elle n’aime pas mentir la vieille matrone et qu’elle sait que ça sera pire un peu plus tard. Oui, ça fait mal. Elle regarde un peu la future mère quand Margue l’aide à se déshabiller et à passer une chemise, elle regarde et elle grimace un peu, athlétique et pas bien épaisse. Elle n’aime pas ça, Jeanne, les femmes avec du muscle, c’est pas bon, c’est pas un ventre qu’elles ont, c’est un mur, c’est pas une matrice douce et souple, c’est de la pierre. Elle va souffrir la petite brune, mais Jeanne ne dira rien, elle ne dit jamais ces choses là. Elle évalue le bassin d’un coup d’œil, avec un peu de chance, c’est une noble de naissance qui n’a jamais connu la faim ni les privations et qui ne bloquera pas le petit. Mais ça non plus elle ne le dira pas, et elle ne demandera pas, il sera toujours temps d’aviser s’il y a un problème, trouver le père, lui demander sa préférence, l’enfant ou là mère. Jeanne privilégie les mères, toujours, la mort d’une épouse est souvent bien plus tragique que la mort d’un enfant qu’on ne connaît pas encore, mais elle ne le dit pas non plus, ce ne sont pas ses histoires, ce ne sont pas ses choix, ça n’est pas elle qui doit vivre avec. Pour l’instant, on n’est pas là et si le Très Haut le veut, tout se passera bien cette nuit.
Les yeux noirs viennent se fixer dans le regard bleu dense qui semble un peu perdu, de très beaux yeux, une chance pour l’enfant s’il a les mêmes.


- Je ne peux rien faire pour l’instant, juste attendre avec vous. Criez tant qu’il vous plaira, c’est bon, ça plait au Très Haut, ça rachète votre faute.

Jeanne Mortemont fronce ensuite les sourcils et secoue la tête. Elle vivante et tant qu’elle exercera, aucun mâle, fut-il le pape ou le Roy lui-même ne sera autorisé à entrer dans la chambre d’une femme en plein travail. Ca serait tout à fait indécent, tout à fait contre nature, tout à fait hors de question et non discutable. Elle s’apprête à répondre que non, Messire Enzo, tout géniteur de l’enfant et tout Seigneur de la maisonnée qu’il est, ne viendra pas et que Margue n’ira pas le chercher, mais pas besoin, la jeune femme se rend compte par elle-même que l’idée ne serait pas si bonne.

Elle sourit un peu la matrone, elle ne s’affole pas des cris et des insultes, c’est pas la première qui maudit son mari dans un moment pareil. Et elle la comprend un peu Jeanne, même si elle, elle trouve ça beau de donner la vie, elle pense que c’est un grand pouvoir qu’ont les femmes, et que les hommes ont beau faire les fiers, ils ne tiendraient pas une heure.

Une voix flutée vient interrompre les pensées de la matrone. Une petite rousse qu’elle n’a jamais vu dans la mesnie. La vieille femme lâche un petit rire en entendant la phrase d’arrivée, elle ne connaît pas le couple de Seigneurs mais ça ne serait pas étonnant qu’ils s’aiment et s’adorent et que la Dame ait tout de même des envies violentes. Ca lui passera dès que l’enfant sera là, c’est toujours comme ça, ou souvent du moins.


- Restez, damoizelle, c’est un événement important... Par contre c’est pas certain qu’elle arrive à discuter avec vous.

Elle sourit d’un air entendu à la nouvelle arrivante, pour Jeanne toute femme est la bienvenue, c’est un événement collectif qui se prépare, l’arrivée d’un nouveau petit être, en plus un premier né, c’est toujours un peu plus marquant, c’est la passage d’une étape importante de la vie, celle qui fait la femme. C’est en tout cas ce que pense la vieille Jeanne, les enfants sont un cadeau du Très Haut, un cadeau de la vie et il faut les accepter comme tels. Mais elle n’en oublie pas le reste, les cris, la douleur, le sang, les larmes, le danger. Là, ce qui préoccupe Jeanne, c’est la silhouette de la presque mère, il est petit ce ventre, bien trop petit pour un enfant à terme. Elle doit savoir, peut-être bien que c’est une naissance précoce qui s’annonce, peut-être bien qu’il faut se préparer à recevoir un enfant sans vie, un enfant qui ne vivra que le temps de son premier souffle, peut-être bien quil faut se préparer à accueillir la mort. Alors la vieille femme s’approche de Gabrielle, elle pose ses mains ridées sur celles de la jeune femme, crispées sur le bois du lit, elle lui sourit et d’une voix douce demande :

- Il est temps de me parler maintenant. J’ai besoin de savoir pour… pour savoir comment agir. A quand remonte vos dernières menstrues ? Ou si vous ne savez plus, vous le datez de quand ce bébé, vous ?

Se tournant vers Margue.

- Margue, fait du feu dans la cheminée, il faut qu'il fasse chaud, trés chaud, dans la pièce.
Enzo
Il se sent con. Très con. Et pendant que la main de Gabrielle lui détruit le bras, l’angoisse monte. Très haut. Une angoisse qui est là depuis qu’il sait qu’elle est enceinte. Une angoisse cachée. Une angoisse qui attendait le moment venu pour s’exprimer. Il la fixe un instant, tandis que Margue s’en va chercher Jeanne. Ça n’est tout de même pas sérieux ? Elle n’est pas vraiment en train d’accoucher ? Non... Et les lacs irlandais de se déposer sur ce ventre. Un ventre trop petit pour être à terme. Ça ne se peut pas. Elle aurait perdu le premier, et elle perdrait le second ? Le jeune Blackney déchu déglutit, s’imaginant la scène qu’elle lui avait racontée. Elle. Des douleurs. Du sang partout. Elle avait cru mourir. Et si elle mourrait vraiment cette fois ? Il ne fallait pas penser à cette éventualité. Elle allait survivre. Elle n’avait pas le choix. Elle n’avait pas le droit de l’abandonner. Puis de regarder sa femme qui se tord de douleur, impuissant, ça à quelque chose de fortement angoissant. Ça l’air vraiment douloureux. Tout du moins, son bras ressent bien la crispation. De plus que pouvais t-il bien dire ? Que ça allait bien se passer ? Que ça allait aller vite ? Mon œil, oui. Il n’y connaissait rien du tout à ses choses là, et ça risquerait d’énerver Gabrielle. La contrarier, là maintenant, n’était vraiment pas la meilleur chose à faire. Pouvait-il faire quelque chose ? Non. Elle allait accoucher, peut-être d’un mort. Peut-être allait-elle y rester elle-même, et il ne pouvait rien faire. Rien faire que d’attendre dans toute l’angoisse qui le tenaille. Puis Jeanne arrive. Alors il la fixe un instant, de ses yeux vert. De leurs profondeurs. Il montre un peu de son angoisse, mais elle a peut-être rien vu la vieille. Ou peut-être que si. Et pour l’heure ça n’est important.

Il lui dirait bien à la matrone que si ça se présente mal de tenter de garder en vie Gabrielle. Qu’elle est tout pour lui. Qu’il ne supporterait pas sa mort. Il lui dirait bien là tout suite à sa femme qu’il l’aime. Lui déballer tous les mots qu’il tait. Ses mots interdits. Ses mots qu’il ne faut pas dire, mais qu’ils connaissent tout les deux. Il voudrait presque l’embrasser follement en lui faisant jurer de ne pas mourir. Mais Enzo reste là, planter droit, les sinoples suivant la silhouette de sa femme qui s’éloigne avec Margue et Jeanne. Et elle est drôle l’autre. Aller boire un coup avec ses hommes et attendre. Comme si c’était facile attendre avec l’angoisse au ventre. Sans doute moins dur qu’accoucher, reste néanmoins qu’il ne va pas aller festoyer alors que sa femme va peut-être crever ! Avertir les femmes de la maison... Tiens une rousse. Isleen ? Enzo n’a même pas le temps de dire quoi ce soit ou très peu. C’est que ça se bouscule pas mal dans sa tête là. Il y a quelques minutes à peine il pensait que Gabrielle voulait juste savoir où s’en était sa grossesse, mais en fait elle accouche.


- « Je... ehm, elle... accouche...en haut... »


Mais Isleen doit bien avoir déjà comprit, car elle est partie déjà. Le laissant seul. Audoin est il ne sait pas bien où, alors qu’il espérait qu’il serait là durant ce jour important et angoissant. Et Enzo de pas bouger d’un pouce, les sinoples dans le vide, la peur qui lui retourne l’estomac et fait trembler ses mains. Gabrielle. Promet-moi de ne pas mourir, promet le moi. Je serais bien incapable de tenir sans toi. Et je suis sur que tu le sais un peu. Alors ne meurs pas. Je te détesterais comme ce n’est pas permis si tu oses mourir ce soir !

- « Monsieur ? »

Enzo de sursauter et fixer son regard sur Nortimer qui est soudainement là, à côté de lui. Un peu trop près. Le jeune noble ne l’a même pas entendu arriver. Qu’est-ce qu’il fout là ?

- « Vous voulez que je prévienne les femmes de la maison moi-même ? »
- « Je euh... Non ! Je vais le faire. »
- « Bien, monsieur. Je vous suis. »
- « Quoi ? »
- « Vous préférez rester seul, monsieur ? »
- « Je... euh...»
- « C’est ce que je pensais...»
- « Ferme-là Nortimer ! »
- « Bien, monsieur. »


Le jeune homme suivit de l’autre fatiguant bouge donc un peu, pour bouger. Ne pas rester figé. Après tout le monde est réveiller, mais il faut tout de même trouver les filles dans tout ce bordel. Il aurait pu y envoyer que Nortimer, mais ça aurait un moins rapide effet. C’est qu’il est vu un peu comme l’idiot de la mesnie, alors les filles elles vont pas se bouger comme des fourmis au travail, si ça n’est pas lui qui y va.

- « Anna ! Agnès ! Sâadia... Bref, tout ce qui est féminin ! Madame accouche, tous... euh. Bah vous savez quoi... »

Oui, elles doivent bien savoir quoi. De plus, vu que Jeanne a été demandé, les cri de Gabrielle, elles ne sont pas bêtes les filles.Et toi, mon cher Enzo tu as l’air encore très con, mais bon. Ça doit se comprendre un peu non, vue toute l’angoisse qui coule dans tes veines. Bref. Et Nortimer qui est toujours là et le poursuit. Enzo se met à faire les cents pas dans la salle principale, tandis que des hurlements se font encore entendre. Des insultes. Charmants. Le jeune noble se fige. Elle le déteste. Elle lui en veut. Définitivement. Elle ne voudra plus jamais le voir après ça. Elle lui dit même d’aller en enfer. Il est habitué à ses mots, il connait la traduction, mais dit dans ce contexte, alors qu’il angoisse comme un fou. Ce sont les mots de trop, et Enzo de tourner les talons et se diriger vers la porte. Il lui faut de l’air. La Jeanne n’est pas si bête. Il va aller boire un coup et attendre ailleurs pour l’instant. Il a besoin d’être entouré et ne pas vivre cette angoisse tout seul. Sortir un peu. C’est la meilleure solution.

- « Monsieur ? »
- « Quoi !? »
- « Vous sortez ? »
- « Oui, un peu... Vous venez ? Robin, vous aussi...»


Une taverne. Quelques verres. Juste pour se calmer un peu. Oublier les hurlements. Oublier le « Je vous déteste ». Attendre. C’est tout ce qu’il peut faire. Attendre et angoisser, après tout. Et prier aussi. Prier que tout ce passe bien. Que Gabrielle ne meurt pas...
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©JD Marin
Gabrielle_montbray
« She got your baby
It happened fast
If you could only
Erase the past
It was blood on the dance floor
(Blood on the dance floor) »

- Michael Jackson -

Racheter sa faute. Racheter sa faute. Racheter sa faute. Les paroles de Jeanne claquent dans la chambre. Gabrielle jette un regard sombre à la matrone. Qu’est-ce qu’elle en savait de sa faute, la vieille ? Qu’est-ce qu’elle en savait de son péché ? De sa culpabilité ? De ses craintes Savait-elle seulement que l’enfant à venir était maudit ? Renié par les siens avant d’être né. Fruit d’une relation interdite et réprouvée. Ce ne sont pas ses cris que le Très Haut veut, c’est son âme et sa vie. Gabrielle en est certaine désormais, c’est le prix à payer. Mourir. Mourir dans la douleur, mourir dans la violence, le sang et les humeurs. Mourir en donnant la vie. Un être s’éteint, un autre s’éveille, le cycle éternel. Un cycle que Gabrielle refuse. Elle ne veut pas mourir. Pas maintenant. Pas comme ça. Merde Enzo… Pourquoi m’as tu fait ça ?

"Mais non tu ne le détestes pas. Tu l’aimes, tu l’adores…"

Gabrielle pourrait presque en rire si la situation était autre. Un feu follet irlandais. Gabrielle tente un sourire. Un sourire qui se termine dans une grimace et un gémissement. Oui, Isleen, reste, s’il te plait. Je ne pourrais pas te parler. Mais j’ai besoin de toi. Vraiment. Mais Gabrielle ne dit rien, un peu de fierté, d’orgueil, de dignité. Une retenue qu’elles ont toutes les deux. Une retenue que l’alcool fait tomber parfois. Isleen est importante pour Gabrielle. Très importante. Mais à bien y réfléchir, la brune n’a jamais du le dire à la rousse. Comme elle n’a jamais dit à Enzo qu’il était son double, son complément d’âme, son tout et son absolu. Il y a des choses qu’elle ne dit pas. Par pudeur ou par crainte.

- Reste. S’il te plait…

Tout y est dans ce « s’il te plait ». Une supplique, une prière, une déclaration d’amitié. Isleen comprendra certainement. Ou pas. Mais qu’elle reste. Isleen est une des rares devant laquelle Gabrielle tombe le masque, une des rares qui sait tout, une des rares devant qui Gabrielle se fiche de montrer ses failles et ses faiblesses.
Elle peut bien lui montrer ça aussi. C’est pire que d’aller aux latrines en public, et Gabrielle espère bien que tout le monde ne va pas se ramener pour contempler le spectacle de sa déchéance, de son manque de contrôle, de sa nudité offerte, béante, déformée. Oui, vraiment, Isleen reste, j’aurais tes yeux à fixer pour oublier les autres, j’aurais ta main à serrer pour me rassurer, je t’aurais toi comme dernière image avant de trépasser. Tu lui diras toi que je n’ai aimé que lui, je sais que tu lui diras.

- Il est temps de me parler maintenant. J’ai besoin de savoir pour… pour savoir comment agir. A quand remonte vos dernières menstrues ? Ou si vous ne savez plus, vous le datez de quand ce bébé, vous ?

Gabrielle fixe les yeux noirs qui lui font face. Si l’enfant est celui dont elle a essayé de se débarrasser au printemps, le terme est bon. Si c’est un autre… Si c’est un autre, il y aura un mort ce soir de manière certaine. Gabrielle essaie de ne pas y penser.

- Je ne sais pas…

Elle ne peut pas lui dire à la matrone. Elle ne peut pas lui raconter sa nuit d’infamie, la potion, les douleurs, le sang. Alors elle se tait. Que la nuit finisse, qu’on compte les corps, et c’est tout. Plus rien n’intéresse Gabrielle. Elle ferme les yeux sous le coup d’une vague douloureuse. Les doigs se crispent sur le bois du lit.

- Holly shit ! Isleen…

Gabrielle tombe à genoux, les larmes aux yeux, le souffle court, la main gauche accrochée au lit, l’autre qui vient saisir le poignet d’Isleen. Emportée par la souffrance, elle repense à son rêve. Celui où elle voit son ventre s’ouvrir et une main en sortir. Ce cauchemar qui l’a réveillée des nuits durant, la laissant transpirante et le coeur au galop. Ce cauchemar qui devient réalité. C’est pire en vrai. Dans son rêve, il n’y avait pas la douleur, il n’y avait pas l’odeur âcre de transpiration, il n’y avait personne pour assister à son agonie.

Le temps s’écoule. Lentement. Chaque respiration, chaque battement de cœur, chaque spasme semblent s’étirer, se dilater à l’extrême. La future mère attend, avec souffrance. Et toutes attendent avec elle, avec patience. Les minutes passent. Les heures ? Gabrielle ne sait pas. Elle a perdu la notion du temps. Plus tard n’existe pas. Ailleurs non plus. Des gens entrent, sortent peut-être aussi, ça n’a pas d’importance, elle ne les voit pas. Tout se joue là, maintenant, entre les quatre murs de cette chambre, hors du temps, hors du monde. Tout se joue entre elle et lui, cet inconnu si petit qui la terrasse.


- Jeanne, qu’est-ce que...?

Gabrielle sent un liquide chaud lui couler entre les jambes. Elle se pisse dessus. Ca ne peut-être que ça. Et shit ! Ou alors du sang ? Gabrielle lâche le lit et vient glisser sa main entre ses cuisses. Pas du sang. Incolore et inodore. La brune grimace. Elle déteste tout ça. Elle déteste le non contrôle qu’elle a sur son corps, elle déteste être soumise aux lois de la nature, elle déteste subir sans pouvoir rien y faire. Et cette douleur. Pourquoi personne n’en parle de ça ? Pourquoi la maternité est toujours idéalisée ? Une obligation de bonheur et d’extase. Une obligation d’épanouissement et d’accomplissement. Le ventre se tord, le ventre vrille et se contracte. La main se fait plus ferme sur celle de la rousse. Elle va lui briser les os à serrer comme ça. Gabrielle a envie de vomir. Une nausée violente. C’est lui. L’enfant. Il lui rappelle qu’il est là. Il lui rappelle qu’il va naitre. Il lui rappelle qu’il veut vivre. Il a tout pouvoir sur sa mère damnée. Il va la torturer, il va la maltraiter, il va la faire crever.

Sors, bordel. Sors. Tue-moi. Qu’on en finisse. Puisque tu es si pressé de connaître le monde. Viens. Nais. Ce monde est violent et cruel. Ce monde est haineux et rigide. Mais il sera le tien.Viens au monde. Pousse ton premier souffle. Libère-moi. Que je vive ou que je meurs n’a plus d’importance. Plus maintenant. Je veux juste que ça s’arrête. Je veux juste être ailleurs. Je veux juste être une autre.

Elle s’accroche à la main d’Isleen, sa planche de salut, la seule chose qui lui rappelle qu’elle est en vie, qui lui rappelle qui elle est, et qui l’empêche de sombrer. La vue se brouille, un instinct animal, une envie qui vient des tripes, quelque chose du fond des âges, un râle rauque, une force énorme, une force qu’elle ne se connaissait pas. Quelque chose d’effrayant. Beau et effrayant à la fois. C’est humide, c’est chaud, c’est gluant, ça lui glisse entre les cuisses. Elle sent des mains qui viennent fouiller entre ses jambes, ça s’agite. Gabrielle ne sait plus, ne voit plus, elle est là à genoux, penchée en avant. Elle lâche Isleen, elle lâche le lit. Elle se sent surpuissante, et elle se sent mourir dans un ultime déchirement.

Plus rien. Plus de douleur. Plus de spasmes. Le calme. Un silence surnaturel.

Un cri.

Un cri déchirant. Un cri qui lui retourne l’âme. Un cri qui lui arrache le cœur. Un premier cri.
Gabrielle se laisse aller contre le bois du lit, assise, le ventre vide, l’entrecuisse béant, elle regarde sans vraiment comprendre la petite chose que Jeanne a dans les mains, encore reliée à elle, juste pour un instant. Un lien ténu bientôt rompu. Un lien indécent qui serpente entre les deux corps. Elle détourne le regard. Elle ne veut pas voir. Fermer les yeux. Oublier. C’est fini.

Penser à lui. Enzo. Je ne suis pas morte. Je ne t'ai pas abandonné. Je t’aime.


Traduction :
Elle a ton bébé
C’est arrivé vite
Si tu pouvais seulement effacer le passé
Il y avait du sang sur la piste de danse
(Du sang sur la piste de danse)

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Saadia.de.syrie
Dans les couloirs, un bruit de cavalcade, des halètements; la petite Syrienne court et court encore, elle a couru depuis le port, elle n'en peut plus, elle a l'impression que sa gorge va être arrachée par son souffle éperdu, mais elle court encore. On l'a prévenue trop tard, elle était loin. Elle a oublié son panier sur l'étal du marchand. Tant pis...

Dernier couloir.

Saâdia n'en peut plus et manque de s'écrouler en arrivant devant la porte de madame. Une main tente de la retenir, mais c'est sa maîtresse qui est là à l'intérieur, et Saâdia ne veut pas qu'on l'empêche d'aller l'aider de son mieux. Rouge pivoine, à bout de souffle, les cheveux en bataille et une vilaine cloque au talon, Saâdia se force à reprendre sa respiration avant d'entrer. Madame n'a pas besoin de voir une fille toute mal fagotée en ce moment. Il faut la soutenir, l'aider, pas lui faire honte. Vite vite, la petite redresse sa robe, recoiffe ses boucles noires, calme sa respiration de son mieux, tandis que des gémissements filtrent à travers la porte.

Enfin, sa petite main se pose sur le panneau de bois, et elle pousse. Madame est là, agenouillée, en pleurs, en larmes, toute rouge elle aussi, visiblement épuisée par le travail. Et le bébé est là. Il pleure et s'agite dans les bras d'une bonne femme qui se tient là. Un sourire idiot naît sur les lèvres de Saâdia...


"Je vous apporte de quoi vous rafraîchir, madame."


Cela semble être la meilleure chose à faire. Une autre femme est là, proche de Gabrielle, ainsi que Margue. Saâdia referme doucement la porte puis s'empresse d'aller à la chambre de madame : elle y prend un petit panier, y dépose des linges doux, un savon délicatement parfumé, un peigne, quelques huiles qui font du bien au corps et à l'esprit. Saâdia ne sait pas trop ce qu'il faut pour une femme enceinte... mais elle sait que quand on a souffert, un réconfort simple est souvent plus efficace que mille paroles. Un petit détour par la cuisine, il y aura bien par ici un petit morceau de brioche et un broc d'eau fraîche... Oui, voilà. Saâdia trottine de son mieux dans les couloirs pour ne rien renverser, puis pousse la porte de madame du bout des fesses.

"Voilà, madame..."

Elle s'approche, dépose son petit chargement, puis s'empresse d'humecter d'eau fraîche l'un des linges doux qu'elle a apporté. Elle le tend en direction de Gabrielle, ne sachant trop si madame voudrait se rafraîchir le visage elle-même ou si Saâdia devait prendre l'initiative de le faire...
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Isleen
« La naissance est un acte sonore, une action qui engendre le bruit : chaque naissance est un cri qui se déroule, se répercute à travers la vie. »
Yvette Naubert

Oui tout était dans le s’il te plait que Gabrielle prononça à son attention, et c’est bien parce que tout était dans ces quelques mots, ces quelques lettres misent l’une après l’autre pour former des mots, une phrase, toute petite phrase, que l’irlandaise resta près de son amie, avec elle. Elle resta, cela malgré l’angoisse qui la tiraillait, la peur qui lui nouait l’estomac de savoir Gabrielle sur le point d’accoucher, sur le point de mettre au monde son enfant, sur le point peut être de…de mourir, d’être tuer par ce petit être qui ne demande qu’à venir pousser son premier cri, comme elle lorsqu’elle était venue au monde. Un accouchement, l’irlandaise assistait à son tout premier, d’un autre coté, elle n’avait eu guère d’amie jusque là, encore moins d’amie enceinte, sans compter sa proportion toute relative à éviter de près ou de loin tout ce qui se rapporte aux bébés. Pas que la rouquine ne les aime pas, c’est fragile, mignon comme tout, ça grandit et ça vous pourrit tout autant la vie que ça vous apporte de joies, mais l’irlandaise ça l’angoisse, ça lui renvoi tellement de choses en pleine figure, qu’elle évite. Sauf que là, là c’est son amie qui accouche, c’est Gabrielle, alors elle reste la rouquine, elle reste, elle laisse sa main, son bras se faire broyer par la future mère au fil des contractions, elle reste près d’elle avec l’angoisse et la douleur aussi.

Le fil du temps s’écoule, les contractions, les douleurs, les injures de Gab , la rouquine est là, elle la tient ou l’inverse, elle est là, parce que même si elle a la trouille, elle ne se voit pas ailleurs qu’ici, près de son amie. Elle ne dit rien, mais elle est là, elle le vit presque cet accouchement, l’angoisse, la sueur, les cris, les larmes, et pour l’irlandaise si tous les accouchements ressemblent à ça, elle ne veut pas, non, non elle ne veut pas avoir d’enfant…sans compter la mort qui arrive au bout…de toute façon, si un temps soit peut cela arrive un jour, elle mourra comme sa mère, tué par sa propre fille, juste retour des choses, voilà ce qu’elle pense la rouquine.

Et puis, l’angoisse monte d’un cran, les douleurs semblent être de plus en plus proches, rapides… « tu vas pas mourir Gab ! »….les douleurs…les cris….et puis un cri, le cri, libérateur….et les onyx de l’irlandaise fixés sur l’incroyable…Gabrielle toujours vivante. Une esquisse de sourire, un soupire de soulagement, et la rouquine machinalement écarte de sa main libre, les mèches corbeaux du visage de son amie. Geste affectueux, et intime aussi, l’irlandaise est soulagée, tout juste remarque t-elle la première entrée de Sâadia. Ce n’est que la deuxième fois alors qu’elle revient, qu’elle la remarque vraiment, lorsqu’elle tend à Gabrielle un linge humide. Ainsi, voici la demoiselle de compagnie, léger sourire, et la rouquine prend le linge dans ses mains, sans réfléchir, sans attendre et éponge doucement le front de Gabrielle épuisée.

La vie peut laisser en vie. D’une naissance ne découle pas forcément la mort. L’irlandaise vient de s’en rendre compte par elle même. Le linge est redonné à Sâadia accompagné d’un « merci ». Peut de mots, pas de mots pour féliciter pour une naissance dont Gabrielle avait une trouille bleue, ne voulait pas. D’ailleurs en y pensant…garçon ou fille ? Tellement préoccupée par Gabrielle, la rouquine n’a absolument pas tourné le regard vers l’enfant, ce qu’elle fait maintenant pour la première fois.

Jeanne dit, jeanne dit nous tout, garçon ou fille ?

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Jeanne_mortemont


Les yeux noirs de la matrone fixe le regard bleu sombre de Gabrielle. Jeanne ne laisse rien transparaitre, la mère ne sait pas, et elle fera avec, une prière silencieuse est envoyée au Très Haut, qu’il les protège tous les deux, la mère et l’enfant. De toute façon, on ne peut plus rien y faire, cet enfant veut sortit, qu’il soit prêt ou pas. Il lui emble bien qu’il y a un peu de choses cachées derrière ce « je ne sais pas », que la femme cache des choses, un secret inavouable, une vérité dissimulée, une chose qu’on ne dit pas et dont on espère qu’elle ne se sait pas. Parfois c’est une chose toute simple comme un enfant conçu avant le mariage, parfois c’est plus grave comme une femme devenue grosse de celui qui l’a forcée et maltraitée. Mais les enfants à naitre ne semblent pas connaître les tourments de leur mère et faire fi de leurs hésitations, de leur honte, de leur désespoir. Quand le moment est venu, fils de gueux, ou fils de Roy, enfant légitimes ou bien bâtards, les mères sont toutes égales devant la douleur et l’angoisse, et leurs enfants arrivent dans ce monde sans savoir que leur avenir est déjà tout tracé parce que les lois, les hommes et le Très Haut en ont décidé ainsi.

Oui, Jeanne fixe Gabrielle, juste un peu, et l’attente commence. La Matrone essaie de se faire discrète, une présence attentive, une présence rassurante, toujours à porte de regard, à portée de mains. Elle ne dit rien, Jeanne, elle est là, elle s’adapte à la mère, elle s’adapte aux besoins, mais quand tout semble se passer comme il faut, elle laisse le temps faire son affaire. Ele encourage les cris, elle encourage les mouvements, elle surveille la température de la pièce, elle couvre la mère pour qu’elle transpire, elle s’assure que le vin épicé a été préparé, qu’il y a du bois en quantité pour entretenir le feu, qu’il y a des linges pour l’enfant… Une attente longue, une attente faite de gémissements, de souffrance, de peur, de bavardages, de prières, une attente universelle et intemporelle, une histoire de femmes, un peu mystérieuse, un peu banale, mais toujours forte.

Et puis ce moment. Le corps qui se tend, le souffle qui s’accélère, les mains qui se crispent, un cri rauque et etouffé, ça ressemble à de la jouissance, c’est une délivrance, le corps pleure et souffre de se séparer de ce petit être abrité de longs mois. Jeanne laisse Gabrielle à genoux, les choses se font toutes seules, la tête de l’enfant apparaît entre les cuisses de la mère, les mains expertes font pivoter le crâne et accueillent le petit corps qui glisse hors de sa matrice. Un geste fait mille fois, un geste dont la vieille matrone ne se lasse pas, un moment d’exception entre la vie et la mort, un moment coupé du monde, hors du temps, un moment où on guette ce cri qui vient déchirer le silence, un moment où les yeux noirs et les yeux bleus se croisent.

L’enfant est né. Il est vivant. C’est un premier moment, une première étape. Si naitre n’est pas encore vivre en cette rude époque, Jeanne sourit de voir le bébé si vigoureux et si plein de vie. Elle regarde l’assemblée de ses yeux pétillants, elle sourit à cette jeune fille qui tend un linge humide à Gabrielle, elle sourit à la rousse qui a aidé la mère de sa seule présence, elle sourit à Margue, et aux autres femmes présentes. Enfin, elle sourit à la mère qui ne regarde déjà plus et ne veut pas savoir. Le regard noir reste un instant à détailler ce visage qui s’est fermé, à ses yeux qui ne veulent rien savoir puis en regardant l’enfant qui s’agite en hurlant dans ses bras, la matrone annonce ce que chacune ici veut savoir.


- C’est un garçon.
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