[RP] Corps-espondances.

Judas

Il est venu.

Retrouver Saumur avait été apaisement et sourde angoisse, pénétrer en la ville sous l'étendard Royal n'avait rien d'une sinécure. Ce n'était plus le seigneur grivois et joueur qui venait fouler la poussière des tripots d'Anjou, c'était ce brave préposé aux intérêts de sa France... Ou plutôt aux siens. Frayner se pliait aux moindres exigences de ce Roy Corbeau non sans escompter en finalité en tirer son profit. Perclu sous les épaisseurs de la laine et des fourrures, les heures avaient été longues à arpenter le camps à la recherche d'un signe de Château Gontier. Mais lorsque la Saint noël avait vu se déverser le flot de hussards en mal de vin dans les rues du coeur grouillant d'Anjou, l'effervescence ambiante avait fait la par belle au Judas. Naturellement il retrouva le chemin de la Roide. Dans le charnier inéluctable d'un siège, ne dansent que les morts...

Il l'a vue.

Tourner là, au coin d'une rue, et ces cheveux qui l'appellent, et cet empressement épidémique. C'est épidermique. Le sourire de l'Ange cloué aux yeux, Judas suit aveuglément le désir. Comme le chien suit sa chienne, il en deviendrait fou à deux lieues à la ronde. Nulle clôture pour les rendez-vous secrets, les palissades bienséantes n'ont jamais été que de bien frêles remparts à l'affection de ces deux là . L'excitation de l'interdit est un puissant moteur du plaisir abscond, en marchant dans ses pas seulement l'homme pourrait jurer que c'est bien assez de jouissance pour mourir en paix. Prendre son pied au petits mets, lorsque si longtemps l'on s'en est affamé. Elle le sait fait. Avide, boulimique, psychologiquement famélique, insatiable, misérable. Le pain de l'armée conditionne les virées de la faim. Nul soldat ne s'y soustrait, bien moins un seigneur a jeun depuis qu'il a quitté les murs. Depuis qu'il a posé ses mains sur son futur sans pouvoir vraiment l'effleurer. Ce soir il ne s'aventure pas dans une garçonnière pour la seule présence d'Anaon. Il suit sa fascination.

La porte se referme, il prend le temps de se faire un peu de mal. Prendre le temps de perdre du temps, fallacieusement paisible, sans l'agripper. S'approprier l'endroit, comme s'il avait toute la nuit devant lui. Le serviteur d'un Roy n'a jamais sa nuit devant lui. Devant lui c'est la Roide, et cette froideur qu'elle sait si bien muer en tendresse. Ce sont ses mains qu'il laisse le parcourir tandis que lui, de ses yeux chiens, jauge quelle partie de son corps le fait plus saliver. Elle veut sa première fois. Les femmes anticipent toujours les désirs de ceux qu'elles aiment. Ses mots veulent se rassurer. En écho à leur portée discrète le rauque s'étiole en goutant l'index caressant.

Je l'ai. Là sous ma langue.

Et ce doigt de se couvrir du tapis charnu de l'appendice, tandis que senestre revient à son enfant. Les hanches girondes agitent une faiblesse érectile, les trois coups à la porte désamorcent toute pulsion hâtive. Il est l'heure de passer à table... Et qui compte manger qu(o)i? Nous vous laissons deviner.

Il l'a vaincue.
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Vive le Roy !

Judas

[Clac Clac Bang Bang..]

Comme on laisse la vipère sinuer sous le pied, la carte tricheuse se dissimuler sous la manche, elle a laissé Judas retrouver son lit. Chaque mouvement ne doit rien au hasard, l'amour même qu'il lui porte ne doit rien au hasard. C'est l'inéluctable et l'incertain qui s'affichent main dans la main, le sacro-saint jeu du plus fort, du vaincu et du vainqueur, de Judas et d'Anaon. C'est le canon dans la bouche, le majeur qui se tend souvent vers le ciel est découronné d'une habile caresse carnassière.

Clac.

La chevalière a chu. Les yeux rivés sur la bouche qui démunit se plissent, attentifs aux soupirs que senestre sait arracher. Le miel et la cyprine, ce pourrait presque être un savant début de fable. Une fable Judéenne. Tout homme tenant en ses mains un pouvoir ne saurait s'en défaire, et ce pour le simple fait de sa fascination. La fascination, soeur de l'enlisement. C'est ce que fait le seigneur en entretenant l'interdit de sa passion roturière, s'enliser... Non. L'enliser. Le regard se pare d'un paravent de chair, paupières closes il revient chercher du bout de la lippe le contact de la chair tendue. Et le Frayner de s'immiscer plus loin dans les chairs, comme on mettrait le doigt dans la plaie. Une plaie qui fait du bien.

Clac.

Contre un pot de mélasse rouge, la jonc a chu. Les cheveux s'évadent, lentement, mèche par mèche. Crinière malmenée par les mains aimantes, poissée par tout ce qui l'englue, cette foutue boulimie. Elle est belle la noblesse des sacrements de mon cul. Regarde-toi, regarde-toi putain. Brebis tendant sa croupe au chasseur, proie qui s'enduit et s'assaisonne devant le chien au ventre vide... Toi t'as rempli le tien pour lui. Toi tu te laisserais bouffer en disant oui. T'es méprisable, et moi méprisable de t'aimer. T'es les victuailles à ma bouche quand je crève de soif. T'es l'erreur à mon équation, toute mon équation de vie. T'es l'écu de bois pour me protéger contre la morsure du feu, la confession que j'invente pour que le confessionnal ne me regarde plus de biais. Putain de toi.

Bang.

La main nue attrape la gorge pour seul appui d'un corps qui se hisse sur un autre. Je t'ai fait tourner la tête à l'ipomée pour que tu ne quittes plus mon toit, là, tu la gardes encore à ton cou je la sens sous mes doigts. J'ai méprisé tes amours Parisiennes, de ne jamais avoir désiré en connaitre les arcanes. J'ai renié ton passé et ton histoire de ne jamais avoir voulu m'y intéresser. Je t'ai laissé perdre une vie, infamie croissant en ton ventre-auberge pour m'assurer qu'un jour cette terre m'appartiendrai. J'ai violé la chair de ton affection, pour me venger de tes fuites lâches, de ton indifférence. Je t'ai mille fois persuadée en victime, alors que je n'ai jamais été que ton bourreau. J'ai battu ton compagnon pour s'être octroyé le droit de te mettre en danger, voleur d'un pouvoir que tu m'as consacré. J'ai méprisé l'amie qui étais mienne, parce que devenue tienne, je t'ai fait maitresse, pantin dans l'ombre d'une gamine capricieuse que je t'ai malgré moi préférée pour femme. J'ai voulu t'envoyer six pieds sous terre pour avoir cru que tu pouvais partir... Je.. Je. Je. Moi. Il n'y a que toi pour Moi. Objet de mes lubies, de mes colères, de mes tourments, tu es à Moi. Sens tu, là, ta chair qui frissonne? Dis moi que tu la sens, j'écoute... Dis Ann... Dis moi où tu m'arrêteras.

La Provençale avait mandé quelle main nourrissait et quelle main châtiait. Il y a là sur cette couche la réponse fondamentale à cette éternelle question. La vraie cette fois, nue et crue. N'a pas de bon et de mauvais à dissocier en Judas. Les mains donnent et prennent à la fois, se nourrissent comme elles nourrissent, se châtient comme elles châtient. Nourrissent et châtient à la fois. Seigneur de peu prend roture de tant en cambrant les reins par delà le ventre prometteur. C'est toujours ainsi que cela commence, c'est toujours ainsi que cela finit. Comme on laisse la vipère sinuer sous le pied, la carte tricheuse se dissimuler sous la manche, elle a laissé Judas retrouver son territoire.

Bang.

A n'en pas douter, elle lui a offert malgré elle plus que sa vie.

Une autre.

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Vive le Roy !

Judas

Cet enfant est le mien, je le reconnais là.

Et du fils baiser le front du père, c'est ainsi que se plait à penser le seigneur au contact irrégulier de la matrice mouvante. Il n'est que les mains de la Roide pour l'arracher au précieux instant sans qu'il ne s'offusque du sacrilège. Le ténu et tendu voile de chair qui le sépare de l'enfançon est un mystère dont il ne sait que bien peu.

Un à un, tous les remparts qui ne sont pas de ce cuir, doux et vivant, cèdent. Il fait frais dans la chambrée, les corps se resserrent, les reins masculins se tendent, apoplectiques. Le visage mutilé s'est paré des couleurs ocres et ambre à la faveur du foyer, baigné de cette lueur qui le rend presque beau, presque vierge. Il se met à penser à celui du Très Beau, bâtard bien nommé qui ne pourra jamais se montrer. Poindra-t-il comme elle, ce sourire taillé sur les joues? Improbable blague, aussi douteuse qu'il naitrait les cheveux longs. Les mains qui l'ébrouent le ramène à la raison, où plutôt à son ébauche, là entre les seins nourriciers.

La maitresse réclame et l'amant obtempère, lèvres vissées aux tétons orgueilleux il jette un oeil embué aux délices à portée. L'imprudente bouche se surprend, humide, à la source éveillée d'un nectar méconnu, bien vite l'abandonne. Craintive de ce que peuvent offrir ces affables mamelles qu'il ne reconnait plus. Anaon est gironde jusque sur son coeur, et elle a dit du miel.

Il y en a, il l'a vu. Demain il en payera le prix fort, qu'importe. Demain sera demain, il a abandonné sa chemise pour savourer ce soir le sucré de l'orgie. Le sucre. Luxe que lui même ne s'offre que bien peu, écart inhabituel pour ce buveur de vin, préférant celui de la viande. Celle qui porte en son sein ce qu'il lui a légué peut exiger quelques mois encore sans se voir mépriser. Senestre s'empare du pot ouvert tandis que longuement le visage Judéen se fait une place, joue plaquée toute de coté, presque au flanc pour mieux se laisser impressionner par cette démesurée montagne de vie. L'enfant est une pierre brute, non encore façonnée dont Anaon est l'écrin. Son père étend sur lui une main magnanime, mêlée de ferveur tranquille et de lubrique dessein. Tantôt c'est l'instinct de l'homme qui baise les chairs, tantôt le pater qui enrobe de tendresse désintéressée. Dichotomique pulsions, à rendre fou le plus rationnel des esprits.

Posté là sur la hanche, tapis spectateur de l'ascensionnelle grosseur, il laisse se déverser le contenu entier en mielleuses coulées. Il les regarde dévaler l'arrondi d'une lenteur épaisse, convergeant arachnéennement en circonférence... Et sa langue de s'étirer pour en recueillir partiellement les flux sirupeux, avant que n'y poser toutes entières ses pattes baguées d'apparat, mais plus d'officiel. Judas laisse glisser ses doigts conquérants en couronne à l'habitant baptisé si cavalièrement. Jouissance tactile, gourmand il les fait courir jusqu'à l'autre mont, de Vénus c'est ainsi que nous l'appellerons. Rencontre au sommet de la saveur des viscosités, à quoi ça peut bien ressembler ... L'amour à l'engrossée?
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Vive le Roy !

Judas

Par mimétisme ses doigts défont la boucle de son ceinturon lorsque les autres défont le col de la cape. Les yeux, eux, ne se détachent pas du spectacle qu'est la femme, représentation au combien désirable des faiblesses masculines. Le gout du fruit acidule ses gencives, ses prunelles s'ancrent au charnu englué. Le timbre cassé tente une percée, timide.

Je me souviens...

L'image passée est nette et tranchante dans son esprit. Le jeu. L'Anaon, son sourire-balafre, ses seins, sa voix, son rire, le tamisé de leur délire. Judas se sent presque expectateur face à elle, pourtant sa nature profonde flotte, aura mystique qui l'enveloppe plus que ne l'étreint, lien possessif avec la réalité qui ne tend pas à s'abandonner aux mains de la Roide. L'alliance glisse sans résistance, comme le suc sur les mentons, et par mimétisme toujours sa dextre déloge doucereusement le pot de confit de fruit de la paume voisine, dont le contenu lisse et visqueux s'étale avec langueur sur le bois du sol.

Le luisant rouge cardinal semble ensevelir gloutonnement la poussière à terre, raz de marée aussi mou que dense, le pot choit en son centre, pauvre ilot noyé dans l'intempérie. Il semble être là sans l'être, état second et momentanément absent, captivé par les sensations procurées. Les doigts se mêlent à leurs jumeaux, le torse heurte paisiblement la rondeur du ventre distendu pour voir repousser la silhouette toute en courbes vers la couche désertée. Et les bouches se retrouvent, mêlant le gout de chacun aux grains de fruits qui ne sont plus de saison, qui ne sont plus que sucre.

Si l'anaon boude le vin, Judas lui ne s'y soustrait pas. Il achève de l'allonger, veillant paternellement sur tout ce qui pourrait gêner son étendue souveraine. Un bienheureux geste et voilà que le baiser du goulot étend son frisson chaleureux jusque dans ses tripes. Les gorgées sont longues, comme si l'envie était à remplir plutôt qu'à savourer, il boit sans manières. La bouteille suit le trajet du pot, ajoutant au saccage sa part de gâchis. A l'heure où Anjou crève de faim, les amants assument à huis clos leur part de culot. Il semble qu'à l'unanimité l'humeur soit à l'orgie, celle dont ils ont tous deux à leur façon manqué ces derniers temps. Les joues habituellement si planes du seigneur se sont gorgées d'alcool, retenant le liquide il s'amuse à abreuver la Roide à sa bouche, sachant qu'elle ne refusera pas ce genre de présent. Anaon, indubitablement portée sur la loi de l'ivresse... L'ambre dégouline jusque dans son cou, Frayner arrache avec empressement l'étoffe couvrant la panse. Sa panse. Son oeuvre. C'est son enfant en dedans, son bastard, espéré malgré tout. La ligne de ses lèvres court sur sa surface avec passion laissant un liseré alcoolisé retracer son parcours, jusqu'à la lisière d'un nombril écartelé. Subtil plaisir que de régner sur un avenir. Il bande.
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Vive le Roy !

Anaon

_ Tu n'as pas fini ton travail.

La main s'est agrippée à l'épaule du coursier trop prompt a détalé pour regagner la tranquillité de ses murs. Mais ne se dérobe pas à l'Anaon qui veut. Le visage penché sur l'écrit emprunte un masque des plus sérieux alors les yeux parcourent sans relâche les lignes d'encre qui s'y étirent. Avant même l'émotion suscitée par le fait de tenir à bout de main les mots de l'être aimé, c'est l'esprit pragmatique qui se fait despote dans la caboche. Comme une mécanique parfaitement huilée qui refait rouler ses rouages à toute berzingue. Réflexion. Emmitouflée dans son velours, enrobée dans ses courbes de mère, on a tendance à oublier pourquoi l'Anaon a été engagé à Château-Gontier. Non, elle n'est pas la nounou qui trimbale les pucelles d'une taverne à une autre en passant son temps à gronder leurs bêtises. Non. Elle est le gant de fer de la Josselinière. Elle est une mercenaire.

Un geste autoritaire dépêche le garçon de la suivre à travers la grand'salle de Château-Gontier. Ca lui coupera l'envie de fuir. La réflexion revient sur les mots de Judas. Ils ne font que confirmer les rumeurs de la veille. Le Roy attaque. Eusaias attaque. De ce fait, Château-Gontier reste dans une sécurité toute relative. Cet homme n'a aucune raison de s'en pendre au Duché, ni même au Duché de lui résister, l'inverse serait d'ailleurs des plus improbables, mais le Bouillon ne fait pas sa guerre seul et ses hommes seront peut être bien moins discipliné que lui. Un débordement est bien vite arrivé. Des soldats qui font leur petite guéguerre dans leur coin... La vermine de l'Anjou qui profite de la pagaille pour ne l'embraser que plus encore. Non. L'Anaon ne laissera rien au hasard et elle ne s'endormira pas sur des "logiquements on sera tranquille". Mieux vaut trop de méfiance que pas assez. Et là dessus, l'Anaon a une sacré longueur d'avance.

Une porte est poussé et la femme prendre place au bureau qui y siège. Page vierge de sorti, plume qui s'engorge de sépia. Mouvement qui se fige.

Qu'écrire... L'esprit de l'Anaon est blindé de réflexions. Ces armées la contrarie, la parasite même. A cet instant, elle doit l'avouer, elle a bien du mal à trouver de quoi s'épancher pour rassurer Judas. Lui dire d'être prudent? Humf. Anaon est la première à le savoir, quand on meurt à la guerre, c'est rarement par manque de prudence. Lui dire que prudente, elle, elle le sera? Ce serait lui dire ce qu'il sait déjà... et se serait peut être même lui mentir.

La femme s'agace de ne pas trouver quoi dire. Elle s'agace d'autant plus de savoir qu'il pourrait être désastreux qu'une lettre qui en révèle trop soit intercepté par de mauvaises mains. Et il n'y aurait pas que le mariage de Judas qui pourrait en partir.

La plume se penche, prête à toucher le vélin. L'Anaon hésite. Elle ne la tellement jamais dit. Outre une seule fois... deux peut être, à demi-mots. Comme si cela faisait partie des choses tabous qui ne se disent pas. Des interdits qui ne s'assume pas. Et pourtant, la plume glisse sur le vélin, pour écrire la simplicité... La sincérité.

Le pli est tendu ainsi que quelque écus.

_ Repars d'où tu viens.

Sur son mot, rien d'autre qu'un aveu.

Citation:

J

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Anaon

Il est blanc ce ventre. Virginal de toutes entailles, seul réchappé de toutes ses danses macabres. Comme un signe. Tout peut être souillé sur ce corps-d'art voué aux âmes damnées, tout, sauf cette parcelle de peau qui peut couvrir la vie. Aujourd'hui elle domine, proéminence souveraine enchâssée sur deux hanches aux entailles fraichement pareilles. Symétrie de deux lignes, comme deux limites de chair pour séparer le souillé du sacré. Et l'œil accroche, ce mont de la vie, qui irradie de coulée hyalines confondues par les mains seigneuriales. Mains qui s'évadent aux portes du soupir. Mais dextre vient chercher senestre, pour la mouler à son corps et lui faire redessiner ces courbes qui la font femme autant que mère.

Un instant l'esprit s'échappe. Un instant. En d'autres temps, en d'autres lieux. En d'autres bras. Réminiscence. Quand les corps se faisaient œuvres, sous les encres et les peintures qu'ils mêlaient de mains de maitres et de corps à corps passionnels. Si les étreintes étaient moins malsaines, elles n'en étaient pas moins orgiaques à leurs manières. Souvenir fugace comme une douleur soudaine. Et l'esprit cadenasse ce qui ne doit plus sortir de ses méandres.

Le passé se fait la malle définitivement quand les doigts bagués sont portés aux lèvres tailladées. La bouche s'en va ceindre chaque doigts, recueillir du plat de la langue cette saveur si rare au palais. Plaisir des papilles mêlé aux soupires qui répondent aux doigts qui ont trouvé d'autre lèvres. Et aux nacres de se plaire à saisir chaque bagues qu'elles retirent pour l'abandonner sur la paillasse. Effeuiller le Judas jusqu'au dernier brins d'orgueil affiché surs ses mains.

Spasme. Les cuisses s'ébranlent d'un plaisir qui se fait plus pressant tandis que les reins se vrillent d'une crispation sourde. L'enfant s'est mû une dernière fois puis s'est tu. Aveugle et sourd. Troublé peut être, par ce flot de bien être qui envahit la mère. Jusque là, il n'a bien connu que ses tourments. Un peu trop d'alcool avant qu'il ne s'exprime dans ses entrailles. Beaucoup de nuit où il la sentit, elle, ne pas dormir. Une lame à même faillit venir crever son nid, mais ce jour-là, il était encore trop fait de "rien" pour le ressentir. Aujourd'hui, il le sent. Si elle s'affole, c'est différent. C'est son monde qui s'ébranle quand c'est elle qui vibre. C'est presque lui qui frissonne quand c'est elle qu'on caresse.
Elle a mit longtemps la mère, avant de bercer l'immatériel de son cocon de la douceur vibrante de ses murmures. Ça avait le goût de l'amour avec quelque relents ferreux, rancœur qu'elle cherchait au mieux à lui dissimuler. Mélange qui laisse dubitatif. Ça avait le goût des larmes parfois, salé, quand son timbre se mêlait au grave qu'il ne connaissait pas. Ce soir pourtant, c'est les mêmes voix qui s'épousent. Sans sel et sans fer. C'est perturbant. C'est apaisant.

Non, ce soir, il le sait, si elle s'affole c'est différent.

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Anaon

*

Des souvenirs, oui, qu'elle a gravé comme des épitaphes sur la pierre de ses ruines. Un corps qui se rouille de trop encaisser les coups, une âme en lambeaux, un cœur qui ne vaut pas mieux. Un être-vestige dont on ne visite plus que les décombres. Et à qui veut bien se perdre dans ses méandres, tenter de trouver un grain de raison dans l'esprit décadent, il verra constamment cinq lettres estampiller la moindre de ses parcelles. Un nom, comme une dernière prière. Mutilé par la rage de la forcenée qui a tenté en vain de s'en défaire. Comme le dévot cherchant à s'arracher la foi à s'en briser les ongles, se convaincre que ce qu'on encense n'a bien que la valeur qu'on veut lui octroyer. Petit homme qui se croit Dieu à vouloir contrôler l'incontrôlable.... Et Judas est bien là une chose qui la surpasse. Et à l'instant où leurs lèvres se trouvent, scellant l'union dans un frisson, elle s'avoue que durant les derniers mois de sa vie, il ne manquait bien que lui... Mais de çà, elle ne dira rien. Puisqu'entre ces deux-là, il est des choses qui ne se livrent pas.

Elle recule, elle se couche. Elle se crispe sensiblement à la vue de cette gorge qui s'emplit de ce qu'elle ne veut pas boire. Comme l'œil du crève-la-dalle luit devant le doré des pains, les lèvres de la mère frémissent de l'envie qu'elle réprime. Non, un peu ne fait pas de mal. Mais le "peu" le gouffre d'alcool ne le connait pas. Alcoolique, disons-le, mais alcoolique qui ne s'assume pas. Personne ne veut regarder de face ces plus odieux travers. Comment refuser pourtant, quand il lui livre le vice au calice de ses lippes? Boire... Boire l'ivresse, boire Judas comme on boirait l'ambroisie. Que ruisselle le carmin sur l'albâtre de sa peau, l'esprit soiffard est trop occupé à se repaitre avidement de ce qu'elle ne boit plus pour se soucier de taches et de convenances. Convenances. Un mot qui fait sourire. Un mot qu'ils ont jeté, pour la liberté d'exister dans leurs étreintes hérétiques.

Elle est mise à nue. Elle soupire comme délestée d'un carcan qui l'étouffe. Les mains se nichent dans les longueurs ébènes, objet de raillerie des uns, objet des ses lubies à elle, et les prunelles guettent la descente de l'amant. Les lèvres parcourent la peau qui se crispe ou frissonne dans leurs sillage, jusqu'à l'instant où la bouche vient gravir la panse. Et l'esprit se fige sur cette vision.

Ce galbe gonflé de vie. Ces lèvres qui en redessinent les courbes. Le fils et le père... Réunis. Enfin. Pour une fois... Étrange instant... La tendresse perce à nouveaux dans l'âme de l'Anaon. Elle, qui n'a toujours été que mère seule et sans l'homme, elle voit se dessiner sous ses yeux un tableau complet, qu'elle a pu désirer si ardemment autrefois. Un tableau rêvé, aujourd'hui entaché d'ombre, de mensonge et de secret... mais qu'importe, elle croit sentir vibrer en elle comme un l'écho, une promesse... un bonheur. Indésirable... Oui toi, que je n'ai pas souhaité, toi que je n'attendais pas... Puisque Lui te désir, laisse-moi t'aimer à mon tour...

Un sursaut. Les entrailles s'agitent. La courbe parfaite de ce ventre rebondi se brise. Elle sourit.

_ Ton fils te salue...

Le fils cherche déjà à embrasser le front du père. Elle contemple, ravie, ce ventre qui s'exprime avant de trouver le visage de Judas. Simple vision qui lui colle un frisson, et les mains saisissent le col de l'homme avec douceur.

_... mais viens-donc un peu à moi.

Le tirer un peu à sa hauteur, le temps de jouer des doigts pour défaire tout ce qui l'empêche encore de gouter à sa peau, le temps de jouer des lèvres pour savourer de nouveau le gout sucré des fruits noyé dans l'âpreté du vin. Baisers qui se coupent à chaque passage d'étoffe, qui se prennent et se reprennent. La main de l'homme est plaquée sur sa panse mouvante tandis que les lèvres tailladées s'étirent encore dans un sourire avant de le laisser à nouveau retourner à son enfant.

_ Donne moi le miel.

Cette or coulant qui en vaut le prix. Il y en a, j'ai vu. Demain j'en payerais le prix fort, qu'importe. Demain sera demain, j'en vendrais ma chemise, pour savourer ce soir le sucré de l'orgie. Se prendre pour des Dieux aux délires boulimiques et aux attentes lubriques. Se foutre de la misère et de ceux qui se déchire. Au dessus de tout, intouchables, le temps d'une nuit et d'une folie.

Musique : " Again" par Archive.
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Anaon

"Mange Judas, tu ne sais pas qui te mangera"

_ Tu te souviens...

Tu disais "que tout ce qui est porté à ses lèvres le soit aux miennes"...

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Anaon

- Anjou, Saumur -

Nuit du 25 Décembre

"nourriture opulente qui sera grassement payée."

_ As-tu encore sur les lèvres, ce goût d'opprobres des nuits viciées de Petit Bolchen, Judas?

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Judas

Tu es sûr? Pas de lettre? Rien?
Pas de lettre mon seigneur.
Regarde mieux.
... Il n'y a rien... Vraiment. Pas de...
Pas de lettre. J'ai compris.

Rageusement l'homme se détourne du jeune homme. Un messager sans missive... Insensé. Coup du sort. Il hésite.

Je ne peux pas attendre...

Ses yeux scrutent l'horizon, Troye est silencieuse, ses morts et ses blessés lovés dans ses bras. Ceux qui sont arrivés avant, ceux qui ont éclaté avant. Futiles soldats de première ligne... Muraille humaine pourtant aussi inévitable qu'indispensable. Il faut bien un "d'abord" pour un "ensuite". Et le voilà l'ensuite. Les paupières plissées sur un crépuscule stérile qui n'annonce qu'un rendez-vous manqué. Sa botte frappe un cailloux inexistant dans un geignement rageur, la silhouette s'éloigne un peu hagarde.

Je ne peux pas attendre!

Foutue Ann. La lettre... Cette lettre. Il l'attendait. Providentielle, elle aurait rendu un peu à Judas les couleurs qui commençaient à lui faire défaut. La halte infructueuse resterai en travers du gosier... Mais le temps filait sans permettre au groupe d'attendre qu'un putain de Bourguignon reçoive ses lettres à l'eau de Rose... Fou. Fou dans sa tête, obstiné pourtant. Les montures ont eu le temps de boire, les hommes de pisser, la route reprend. Frayner regarde les portes de la ville s'éloigner, amer. A moins que... A moins que ce point mouvant là bas, au loin... Il se penche en avant, comme si ce simple mouvement pouvait l'aider à y voir trois cent mètres plus loin. Un cavalier. C'est un cavalier. L'esprit s'affole, c'est fou ce que quelques nouvelles peuvent ébranler en temps de guerre.. C'est fou ce qu'on qu'on devient fou pour une femme. Ce ne peut être qu'un ravitailleur, ou un messager. Oui, Le Très haut voudra que ce soit un messager.

Halte!

Judas se dresse sur sa route, manquant de ne pas l'épargner d'une chute fatale. Qu'importe, qu'il crève; c'est un messager. Bien sûr ça ricane un peu, là où l'on pleure des vivres le Von Frayner lui, pleure des nouvelles de sa douce. N'est-ce pas meugnon... Le seigneur s'en cogne, jure d'un regard qu'il fera de même au premier qui ouvrira sa bouche. Les mains fouillent frénétiquement les sacoches de cuir, le cheval s'agace, Judas tressaille. Parmi les autres elle est là. Semblable à nulle autre, et pourtant si anonyme en apparence. C'est elle, mais aussi et surtout, c'est son fils. Les lignes se découvrent tandis que le convoi ne daigne pas trainer. Tant pis, tant pis. Elle va bien... Il va bien. Le jour suivant se verra encore malmener un messager.

Citation:

Ann,

mon Ann. N'est funeste que ce jour où le Très Haut me sépare encore de toi, me forçant à croire que même lorsque je saisis ta main elle s'évanouit pour ailleurs, pour autrement ou pour... Pour tout. Paris, Saumur, Troyes, Orléans, j'ai envie de croire que tout n'a pas tout pourfendu. A coeur de penser que toute dissociation n'est jamais que.. Temporaire. Mais aide-moi. Car si l'hiver ou la guerre n'a pas raison de moi, c'est cette absence qui n'a jamais voulu se départir de toi qui le fera. Je sais. C'est moi qui suis parti cette fois. Mais cette fois, tu le sais mon Anaon, cette fois ce n'est pas moi.

Encore quelques mois pour tenir ces travestissements que je t'ai trouvés pourtant seyants, quoi que c'est nue que je te préfères. Pardonne moi, ici je croise peu de monde. Hormis ma cousine mes yeux n'ont pas loisir de regarder un infime signe de féminité. Alors lire ton ventre, et tes robes, Toi... Mais mon fils bouge. Tu as dit qu'il bouge. J'aimerai pouvoir le toucher à nouveau. Peut-être que cette fois, moins timide qu'à notre rencontre il daignera bien me saluer. Comment survit Château-Gontier à la famine d'Anjou? N'oublie pas Ann, si la faim vous gagne, ce n'est pas vos robes qui vous nourriront... N'oublie pas.

Couve-le, fais-le comme si c'était moi, mordu par ton hiver assassin. Donne-moi un fils vigoureux que toujours je me souvienne de combien j'ai pu aimer. Reviens moi, si je ne peux te revenir.

J.

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Vive le Roy !

Anaon

_Selaou...

Et il écoute, ses oreilles attentives pointées à l'avant. L'azur se noie dans les grandes anthracites qui pétillent d'une dévotion sans nom. Aux crins d'argents s'est mêlé le blanc, honorant les cimes de la monture d'une couronne de neige. Blêmes points de couleur dans cet univers d'une pâleur mortuaire. Ils sont immobiles, elle, assise sur le rebord d'un abreuvoir de pierre, lui, captivé par les mots qui s'épanchent à ses oreilles chevalines.

Le ciel se vide encore sur les âmes qui se livrent. Non, elle ne fuit pas sa froidure, pas même quand les grains gelés s'immiscent par la brèche de sa cape pour lui mordre le cou. Elle se laisse recouvrir par un percale de neige, les flocons redessinant l'ourlet de ses paupières d'une dentelle de givre sur la corolle sombre de ses cils.

Les naseaux frémissent d'un souffle chaud qui se distille en fumerolles de buée. Il garde le nez collé contre la rondeur maternelle. Un mystère pour l'âme animal, dont l'instinct semble pourtant lui en faire comprendre toute l'importance. Un sourire tendre courbe les lèvres féminines alors qu'elle lui murmure quelques confidences. Oreilles honnêtes, intime muet. Osmose partagée au fil des années, qui a fait de la bête le meilleur ami de l'humain. Et si, équidé, il ne saisit pas le sens de tous ces secrets qui lui sont livrés, elle le sait, être incarné, il en perçoit la douceur et la chaleur.

Une main repose avec prudence sur son ventre, l'autre effleure du bout des doigts le poil doré qui se parsème sur les tempes de quelques tâches blanchâtres. Tu te fais vieux, gamin et moi aussi. Mais tu demeure pourtant resplendissant dans ce paysage de cendre.

_ Souviens-toi, il y a quinze ans déjà...

Un coup contre sa main. Le sursaut furtif du cheval. Les oreilles s'agitent avant de se figer à nouveau sur l'avant. Un rire cristallin vient percer le silence... Son enfant bouge. Un doux raclement fait frémir les naseaux de l'étalon qui vient de nouveau appuyer son nez, intrigué, contre cette panse qui s'anime toute seule. Instant de latence. Et les lèvres se meuvent pour aller gratter le velours, et la tête se redresse pour aller lui souffler doucement au visage. Le nez s'aventure alors dans la fourrure du col qui dévoile un bout de parchemin qu'il cherche à attraper.

_Chuuut...Non, ces mots-là ne sont pas pour toi...

Citation:

Décembre, du mois de l'an 1460.

A

N'aies crainte pour nous, si la famine ronge la panse de l'Anjou elle n'atteint pas la hauteur de nos murs. La Duchesse veille, chacun a sa pitance, en part plus que suffisante, bien que nous surveillons de près ce qui se passe dans les moulins et dans les granges. Si la disette vient à menacer, nous aurons au moins l'avantage d'avoir bien des robes à revendre. Mais n'aies crainte, à l'heure où je t'écris, nous mangeons à notre faim.

Quant à revenir... Si mon état me le permettait, sans doute serais-je déjà là, la main ganté d'acier, la hanche portant l'épée. Ne nous leurrons pas, tu le sais, je ne suis pas femme de grand honneur. Je ne traine bien ma carcasse que là où mon intérêt est le plus fort. Les causes des grands hommes ne sont pas les miennes, je ne bois pas leurs paroles qui se veulent d'or, mais ne m'intéresse bien que celui qui remplit leurs bourses. Néanmoins, marcher à tes côtés aurait été un argument bien suffisant pour que je livre bataille sans demander mon reste.

Quand à venir... Si je le pouvais sans prendre grand risque, sans doute le ferais-je. Mais outre l'imprudence, je ne serais guère discrète. Me glisser dans vos campements pour rejoindre les rangs de vos chirurgiens? Passe encore, peut être... Mais quand bien même, si je ne crains que peu les maladies pour avoir connu les pires, je ne saurais mettre en péril celui dont je garde la vie. A toi de nous revenir...

Je te connais, et de ce fait, je sais que je ne te referais pas. Mais garde l'œil sur ta lame plutôt que sur les femmes. Ce ne sont pas elles qui te sauveront. Si elles ont le tranchant des mots, elle n'égaleront pas celui de ton arme. Garde l'esprit clair, je ne voudrais pas courir la France pour jouer les Valkyries et venir recueillir ton dernier soupir. Ceux-là, je veux les entendre dans une autre étreinte que celle de la mort.

Mon hiver n'est pas assassin, il n'est qu'à mon image, ou bien moi à la sienne. Et puisqu'Il naitra dans sa rudesse Il ne pourra qu'en être l'égal. Vaillant, il le sera, sage, sans doute, aussi impitoyable peut être. Nous verrons si l'hiver façonne son caractère... mais pour l'heure, je le dorlote encore dans ma chaleur. Puisse t-elle lui être plus agréable que les sentiments que j'ai pu nourrir à son égard.

Pour cette fois, pour toi, je prierais les Matres de m'être généreuse.

Aime-le, et je l'aimerais à mon tour...

A

La plume s'imprègne de douceur sincère, dans chaque mots, chaque lettres. Elle met les rancœurs en sourdine quand la main vient tracer l'encre. Étouffer l'amertume qui point encore comme un abcès au cœur. Puisque que les mots liment les épines, puisqu'elle croit qu'elle peut y croire, encore. Puisque cet enfant peu avoir la chance d'avoir un père. Absent, peut être. Illicite, certes. Mais un père tout de même. Un père qu'elle aime.

Alors pour Lui, elle serait prête à avaler toutes les couleuvres du monde. Pour un jour, entendre rire cet enfant, pour un jour voir sourire son amant.

Leur offrir, ce jour-là, un peu de bonheur...

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Images originales: Victoria Francès, concept art Diablo III - [Clik]

Judas

[Campagne Tourangelle, décembre 1460]

De nombreux jours s'étaient écoulés avant que la lettre de lui parvienne. Orléans avait vu la main Judéenne décacheter le précieux sésame, et les yeux se nourrir boulimiques de tout son contenu. Anaon. Once de chaleur hivernale dans un décor qui lui rappelait la faiblesse de la Roide. La neige les avait rattrapés, Frayner avait gagné les rangs royaux. L'armée marchait sur l'Anjou bientôt, il n'était pas en paix avec l'idée que sa maitresse y demeurait, même derrière les remparts de Chateau-Gontier. Il n'eut pas le temps d'écrire une réponse avant d'arriver à la frontière Tourangelle-Angevine... Et voilà que son fils à naitre demeurait là, à deux pas de lui.

Citation:

Ann,

mon Ann, ne vois tu rien venir? J'ai rallié l'armée royale, voilà que nous marchons vers toi. Je suis aux portes de Saumur, demain peut-être nous mettrons l'Anjou à feu et à sang. Ma mie, je t'en prie, garde les murs, de tente pas le diable. Tu portes mon fils en ton sein, je ne saurai imaginer que mon camps porte atteinte à mon bonheur, fut-il caché, fut-il interdit. Je te sais si près, c'est intenable... Comme mandé je suis revenu. Je serai bref, ici peu de temps en solitaire, peu de temps libre pour écrire lorsqu'il faut être prêt à saigner l'ennemi... Toutes mes pensées vous accompagnent,

J.

Emmitouflé dans son bliaut d'hiver, le seigneur gardait le nez enfoui dans son col fourré, les prunelles elles fixées sur les portes de la ville. Saumur. Le misaudor était tranquille, portant un Judas en armure plus silencieux que jamais. Le jeune messager avait assuré connaitre des passages dissimulés pour pénétrer en les murs afin d'apporter les écrits précieux, pauvre fou. Sans doute se ferait-il torturer à son retour pour avoir eu l'imprudence de se croire malin. Tout renseignement est bon à prendre en temps de guerre... Surtout lorsqu'il s'agit d'itinéraires. Lorsqu'il aurait obtenu réponse à son écrit le Courceriers le livrerait sans doute aux chirurgiens-barbiers.

Retour à la case départ... Mais au coeur de l'armée cette fois. Il pensa à Chimera. Voilà que les hypothèses formées en sa compagnie devenaient réalité. Judas revenait pourfendre sa terre de plaisirs, ironiquement. Gardant les rangs adverses nul remord ne pointait, l'homme se complaisant à soutenir la cause d'un Roy longtemps désiré. En vandale, il n'hésiterai pas à piller et saccager comme le plus fourbe des mercenaires si la France l'exigeait. Il espérait seulement que reste isolé Château-Gontier, sans quoi... Qui savait...
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Vive le Roy !

Judas

[Campagne limousine, décembre 1460.]

De cuir et de fer, Frayner cavale vers la Bourgogne. Le misaudor n'a pas encore revêtu son carapaçon. L'heure est à la célérité d'un retour trop longtemps repoussé. Le cliquetis de ses armes allié au léger galop de l'animal comme seule temporisation, il fait froid, c'est l'aube.

Citation:

Ann,

Mon Ann. Je n'ai en tête que cette dernière nuit à tes cotés. A vos cotés. Elle a nourri mon âme, repu mes pensées.

Voilà une semaine que j'ai pris la route. Je passe les frontières du limousin, la guerre n'est plus très loin. Ici en rase campagne le temps semble être figé, les quelques paysans rencontrés loin de ces troubles. A croire que la distance endors les craintes... Pauvres fols.

Lorsque je serai arrivé aux campements Royaux je te réécrirais. Fais parvenir réponse à Troyes, la ville est sur ma route, c'est le point de ralliement officiel des troupes. Je n'ai plus de quoi continuer mon écrit, je trouverai de quoi me ravitailler à la prochaine ville.

Parle-moi de mon fils, le Très Beau. Qu'entend-t-il de son père? Raconte moi ses jours loin de moi, raconte vous. Je vous embrasse, avant que tout ne s'embrase.

J.

Les foulées de la monture se sont rapprochées, la silhouette de son cavalier s'arque, menton levé au ciel. L'homme se signe, scellant sa prière en embrassant son index et son majeur.
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Vive le Roy !

Anaon

*

l'allure

Citation:

Décembre, du mois de l'an 1460

A

L'hiver redore déjà, ici, le paysage de sa griffe blanche. L'immaculé ranime à mon âme des visions bien funestes, autant qu'elle réveille quelques sensations ambiguës. Réveiller, ne serait peut être pas le mot approprié, il est des souvenirs qui ne s'endorment jamais. Ils me laissent un goût de vin dans la gorge, un toucher d'Ipomée sur la bouche. Quelques rancœurs aussi, aux embruns salés, quelques douceurs encore, aussi dures que le rocs, aussi mordantes que le vent de Bretagne.

Ma belle saison revient, mais j'espère que sa beauté n'entravera pas ton chemin.

Le "Très Beau" se porte bien, j'ai du abandonner ces chemises qui ne m'allaient plus pour la chaleur épaisse de la laine et du velours. Il n'aura pas froid cet hiver, la jeune Duchesse a veillé à ce que l'argent ne me manque pas - sa générosité n'a pas d'égal - et heureusement pour nous, mes mains n'ont pas oublié les gestes qui ont pu faire de moi, jadis, une couturière. Nous sommes bien dans ces étoffes, ces robes, mais je ne peux m'empêcher de ressentir la sensation d'être une imposture. Le miroir me reflète une image qui n'est plus mienne, lui, dont le tain ne me renvoyait bien que l'éclat du métal et la luisance du cuir.

Étrange sentiment...

Lui, ne s'en formalise pas et il s'est enfin éveillé, timide. Une nuit de veille au coin du feu, il a bougé. Il vit, il le prouve... Je crois qu'il aimera les histoires, je crois qu'il les aiment déjà. Je sais maintenant, qu'il m'écoute quand je parle, qu'il ressent ce que je vis, et les Dieux savent que j'aimerais lui offrir meilleur réconfort que ces pensées noires qui m'agitent sans répit. Si je souris aux yeux des autres, Lui sait que tout n'est que comédie. Je suis factice, Il n'est pas dupe, à Lui je ne peux mentir. Et je m'efforce, néanmoins, à lui servir plus de douceur que de malheur.

Aide-moi alors, ne me force pas à lui dire que tu es mort. Un jour, mes doigts seront ta corde, et mon corps ta potence... souviens-toi. Je m'octroie le privilège de ton trépas et je ne te laisse pas le choix. Je lui parlerais de toi, je lui dirais du bien, ne fais pas mentir.

Ici s'achève ma lettre. Porte-toi bien, mais surtout vivant.
J'attendrais tes écris, avec impatience, preuve que tu respire.

L'hiver sera rude. Son froid sera ma chaleur, sa morsure: mes baisers.

Mon affection t'accompagne.

A.

Des mots qui ne s'épanchent guère. Des sens qui se brident. Anaon garde à l'âme le désormais inaltérable : Ils ne sont qu'interdits.

C'est de main propres, qu'elle s'en va remettre sa lettre au colombier de Château-Gontier, excuse aussi, pour aller embrasser de pleine peau la froidure de l'hiver. Immobilité. Le visage se lève au ciel, offert aux flocons glacés qui lui baise les joues. Brulure du froid dans les poumons qui s'en remplissent.

Ineffable instant.

Musique " An Hini a Garan", par Denez Prigent
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Images originales: Victoria Francès, concept art Diablo III - [Clik]

Anaon

" Le plaisir est pour le corps, le bien pour l’âme. Plaisir et Bien coïncident rarement. "

- Léon Tolstoï-

Il y a des morsures dans les baisers. De la violence dans la tendresse. Puisqu'ils n'ont toujours été qu'amants qui s'aiment en se tuant et qui se tuent en s'aimant. Amour et haine. Confondus dans une seule et même étreinte, puisqu'il ne peut y avoir que de l'amour dans l'obsession de la possession. Ne soyons pas dupe, la douceur, ils ne connaissent pas. La sincère, la véritable. La leur est fallacieuse. Bien souvent si la main caresse c'est qu'elle se retient d'empoigner. Si les lèvres embrassent c'est qu'elles s'empêchent de gnaquer. La complicité est volage. Ils ne vibrent bien du même accord que lorsque que leurs corps se nouent et se fondent l'un dans l'autre. Le reste... C'est le jeu de la discorde.

Pour l'heure, c'est la règle des cambrures et des soupirs qui en redemandent. Les doigts prennent en étau la gorge qui se crispent alors qu'elle échappait un souffle de plaisir. Éclat dans les prunelles, où le défi brave le désir. Si le cœur veut bien occulter, la peau a une mémoire et le souvenir amer. Les chairs lui ont imprimé dans l'âme les marbrures qu'il est venu lui apposer à l'encolure. Non, les doigts sur le blanc de sa gorge n'ont plus la saveur de l'extase paradoxale, mais un avant-gout d'outre-tombe. Et les doigts féminins de chercher à contrer, en venant se croiser entre les siens.

Oui. Je te laisse être chasseur si tel est ton désir. Moi, je serais le cygne qui veut bien te tendre la nuque. Méprisable. Appelle-moi proie si tu le souhaite, je ne suis que celle qui s'octroie la prétention de ne pas courir. Je suis la souris qui se livre aux crocs du chat. Le chat qui attend que le rat lui tombe sous la patte. Je délaisse aux autres le loisirs de jouer les chasseresses, rôder dans ton sillages en chiennes affamées. Je ne suis pas la louve qui prendra la tête de la meute. Non. Je suis celle qui guète à l'écart ces retours que tu promets. Sans te prendre pour acquis, te regarder courir, en prenant le risque, pourtant, de te voir fuir... définitivement. Tu es le belliqueux et le désireux qui s'empare. Je suis l'impavide qui attend qu'on lui offre. Et en retour pourtant, je t'aurais donné jusqu'à ma vie.

Je me brode d'indifférence. Jalousie étouffée sous des monceaux de fierté. Puisque je suis l'orgueil qui Aime et l'égo qui se persuade de ne pas aimer. A défaut d'être miséricorde, ravaler mes reproches. A défaut de crever les abcès, accepter que tu me ronge. Gangrène à mon cœur, dont je suis malgré moi l'hôtesse consentante. Toi aussi, partisan de ma ruine, à qui j'ouvre pourtant grand mes bras et mes cuisses. Où t'arrêterais-je? Jamais... Bientôt peut être... Quand des relents de rancœur viendront empoisser le goût de ta bouche. Quand le sucré de ta peau me sera fade face à l'éclat de ton vermeil. Quand le roc ne supportera plus tes coups d'estocs. Quand je t'haïrais plus que je ne t'aime.

Pour l'heure, il a dit Bang. Il a retrouvé sa place laissée vacante pendant des mois. Au milieu des coulées de miel et des rivières de sève. Unis, mais séparés, par celui qui dans ses chairs est venu faire son nid. Unis, tout court, les trois, au cœur de leur orgie. Enchainement de contorsions et de corps en mouvance. Cambrures qui se creusent et puis se brisent. C'est l'ascension des soupirs en quête de l'acmé. Gorge déployée en assoiffée qui attend de recevoir son Ambroisie. Au palais ça n'a plus le goût du vin ou du miel, c'est la saveur des désirs trop longtemps refoulés. Un plaisir délaissé, mais jamais oublié. Chairs de mère qui décuplent ce qu'a pu connaitre chairs de femme.

C'est une voix qui pourtant restera souffle, puisqu'il n'est plus l'heure de Petit Bolchen et de ses portes ouvertes. A qui veut bien les voir, à qui veut entendre. Instants volés dans un écrin de secret. Puisque tout désormais ne doit être que silence.

Musique : " Try" par Pink.
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