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[RP] Animal

Minah
RP ouvert à tous ceux qui le veulent, tant que la cohérence est respectée !


[Où l’on se souvient – 7 février 1461]

D’abord, il y a eu la bataille. Oh, il y en a sûrement encore une en ce moment-même mais la petite bête ne fait plus dans la boucherie.
Dans la mêlée, Minah courut, l’épée au ras du sol pour faucher les soldats au creux du genou. Quand elle se les repassait dans sa tête, elle n’avait qu’une idée vague des évènements. Seules quelques sensations fugaces parvenaient à effleurer sa mémoire. Fatigue, peur, rage. Sa main moite qui se serrait tant bien que mal sur la poignée de l’épée, le cuir rêche de la poignée sous ses doigts. Ses bottes rouges qui s’enfonçaient dans la bouillasse. Le fracas des épées, des armures, du sabot des chevaux. Les cris. Les compagnons d’arme n’étaient que des taches floues aux limites de son champ de vision. Les ennemis aussi.

Elle ne s’était arrêtée qu’un instant. Essuyer du revers de la manche une goutte de sueur sur son front.
Rien vu venir. Le choc. La douleur vint cueillir l’écuyère manchote au creux du bide. Elle s’entendit crier. Puis elle s’écroula. Et ensuite plus rien.

Réveil dans la boue, les tripes en feu, les joues fiévreuses.
La châtaigne palpa les bords de la blessure du doigt et retira vivement sa main tachée de sang avec une grimace. Elle parvint à lever la tête. Son épée gisait, brisée, à ses côtés. Il y avait des morts, hommes et bêtes.
L’estropiée prit peur. Et si on l’avait abandonnée ? Et si on la croyait morte ? Et si la patronne se fâchait que l’écuyère ait été si pitoyable pendant le combat ? Et si tous les autres étaient morts et que les rares soldats encore debout qu’elle voyait étaient des ennemis qui achevaient les blessés ?
Se levant tant bien que mal, la crasseuse tituba, rampant presque, le bras serré contre sa plaie.
Elle fuit.

[Où l’on apprend que retourner à l’état sauvage semble une bonne idée sur le moment – Quelques jours plus tard]

Dans un fourré, près du fossé d'un chemin aux abords de Sémur.

Minah s’était traîné un long moment avant de se trouver une tanière acceptable. Elle avait vaguement pansé ses blessures (un morceau de sa chemise et un peu de bave, faute d’eau), puis les avait bandées (le reste de la chemise) avec difficulté : n’avoir qu’une main rend tout de suite les choses moins aisées.
Maintenant elle se terrait dans son trou, roulée en boule comme un chien sous sa pèlerine pour conserver la chaleur de son corps fiévreux.

Elle ne voulait pas sortir de son refuge.
Elle avait peur. Peur qu’on l’envoie se battre à nouveau, peur de l’épée qui lui arracherait les tripes, peur de la douleur, peur qu’on la corrige pour avoir fui après s’être blessée, peur de passer pour une lâche, peur d’être humaine.
Les humains, ça craint. Vous n’étiez jamais en sécurité. Ils trouvaient sans cesse une excuse pour se taper dessus. C’était drôle, sauf quand c’était sur vous qu’on tapait.

La moiteur fétide de l’air, l’odeur de la terre humide, des végétaux en putréfaction, la décomposition de Rodolphe-le-pigeon-mort et d’Eulalie-la-tête-de-chat dans sa besace la réconfortaient. Ici, jamais on n’essaierait de la tuer et si elle mourait, elle ne ferait que se confondre davantage avec son abri.
Elle avait réussi à survivre, la veille, en écrasant la tête d’un écureuil contre une grosse pierre et en le mangeant, cru. Ça avait un goût louche, un peu sauvage, avec de petits os qui croquaient sous la dent, du poil qui crissait sur la langue. C’était bon.

Non. Elle ne voulait pas sortir d’ici. Son trou était le meilleur refuge du monde, un paradis solaire un rien plus humide que l’original.

Un bruit. Des pas. Trop près de la tanière minahesque pour sa sécurité.
La petite bête blessée leva la tête. Retroussant la lèvre supérieure sur son râtelier pourri, elle grogna furieusement.

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Minah
[Où l’on apprend… rien. Ben oui, ça arrive ]

Les pas s’éloignèrent. Soupir soulagé. Fausse alerte.
Minah se renfonça doucement dans la moiteur de son trou.

Elle se demanda un instant pourquoi avoir eu si peur d’une présence humaine à ses côtés.
La manchote réfléchit un long moment. Elle avait de plus en plus de mal à penser. Les mots lui venaient difficilement. La fièvre, la douleur, son isolement du monde humain l’avait plongée dans une étrange torpeur de l’esprit.
Elle avait faim, elle fouillait le sol en quête d’une racine ou tuait un oiseau, un rongeur. Elle avait soif, elle lapait les flaques de pluie. Elle avait envie de chi… non, ça je vous l’épargne. Le reste du temps, elle somnolait, roulée en boule, jamais tout à fait en sommeil. Comme une bête.

Finalement, l’estropiée parvint à une conclusion. Si ça avait été un ennemi, il l’aurait achevée. Si ça avait été un allié, elle aurait dû rendre des comptes pour avoir déserté.
Elle laissa échapper un grognement de contentement, fière de cette poussée intellectuelle. Oui. Ça devait être ça. Quelque soit le côté – le côté de quoi, allez savoir – duquel les humains se rangeaient, ils étaient dangereux. Ils posaient des questions, n’étaient jamais contents, et vous tapaient dessus si votre réponse ne leur convenait pas.


N’empêche, grinça le monstre qui vivait dans sa tête, si tu ne retournes pas les voir, tu vas finir par mourir de tes blessures.

La châtaigne lâcha un grommellement indistinct.

Je ne comprends rien à ce que tu racontes. Je hante l’esprit d’une bestiole, maintenant ? De quelle race es-tu ? Un porc ? Un petit rat fouisseur ?

Ricanement mesquin, du genre qu’aurait pu produire un corbeau asthmatique.
Minah déglutit laborieusement et se tourna vers la difforme créature.


Moi… ‘moins… chu pas un m-monstre.

Et moi, c’est bien pour ça que je suis humaine.

La crasseuse secoua la tête et se leva péniblement, essayant vainement de laisser derrière elle le monstre et sa mauvaise compagnie.
De sa main valide, elle resserra frileusement sa pèlerine sur sa poitrine nue (toute sa chemise était passé au pansage de plaie) et griffée par les ronces.

Plus loin, il avait un chemin.
Peut-être qu’elle trouverait une ferme. S’il n’y avait pas de chien, elle chiperait un œuf ou deux, voire une poule.

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Parmi_les_ombres
[Où l'on avance dans le brouillard]



Un des gros avantages des batailles, c'est le bordel infâme qu'elles engendrent inévitablement. Voilà en substance ce que remâchait en boucle le Grand Guillerm. En boucle depuis Dijon.

Pour sûr, ce fut une belle soirée. Serrés dans une taverne miteuse en contrebas de la place du marché, lui et Souris avaient passé la soirée à picoler, pour l'un, et à alléger des bourses inutilement alourdies pour l'autre. Chacun dans son coin : une bonne équipe a le don naturel de la synchronisation, pas besoin d'en faire des tonnes pour cela. Guillerm et Souris se connaissent depuis bientôt un an. Le Grand sait comment le Minus fonctionne. A peine besoin de l'avoir à l'oeil. Et en cas de pépin, l'est bien assez agile pour éviter les premiers horions et radiner ses fesses vite fait en direction du soudard tout en muscles et en os.

Guillerm constitue un abri sûr et rassurant pour ceux qu'il a la charge de protéger. Guillerm ne se pose pas de questions. Il cogne quand il faut, avance quand il faut.
Parfois, on le croit sot car jamais il ne pipe mot.


On se trompe.

Ils ont marché toute la nuit vers l'ouest, le jour est à présent levé. Il pourrait être fatigué, mais non. Apparemment.

Il tend soudain un doigt en direction des fourrés. Le môme à ses côtés se fige.


- Y'a un truc, là.

[Oussa ?]



De ce 13 février 1461, il se souviendrait longtemps, le môme.

Dijon, c'était quand même de la balle. La grande ville, quoi ! et un peu moins barbant qu'à Nevers où l'on s'emmerdouillait longuement tout au longs des longs mois.
A Dijon, y'avait du monde. Des marchands, des filles, des bourgeois, des soldats, de l'agitation en somme. Et même, hors les murs et de toute évidence avides d'y entrer, d'autres soldats aux mines farouches, aux étendards claquant au vent, armées de siège dont la rumeur, dans la nuit, faisait monter le long des remparts de lourdes menaces d'éventrements, de viols et de rapine.

La vie, quoi.

On les disait venus de loin : le Saint-Empire envoyait ses soudards pomper le sang de la Bourgogne, c'était de bonne guerre. Toute terre est faite pour être prise et soumise, malheur à qui baisse la garde.
Pour ce qu'en savait Souris, le Roy parti trop loin avait imprudemment baissé la sienne, de garde. Il n'y a pas que les balbuzards qui rapacent : d'autres oiseaux tournent aussi là-haut et guettent avidement leur proie , cachés dans les sombres nuées du siècle.

Ce qui devait arriver arriva.

La guerre, donc.

Bah.

Dijon c'était sympa quand même. Souris y avait fait quelques affaires, croisé quelques voyageurs. Lui et le Grand étaient là pour prendre contact avec un contrebandier italien qui ne vint jamais. Coincé au dehors par le siège, ou peut-être poutré, qui sait ? Nombreux étaient les voyageurs imprudents qui payèrent leur insouciance de leur vie, en ces temps là. Les Croisés ne plaisantaient pas avec les rôdeurs, les passants ou les inconnus.

Bien fait ! Vae victis, comme aurait dit Etienne qui causait un peu le latin et divers machins exotiques bien propres à embobiner les donzelles au détour d'une chopine de mousseuse ou d'un carafon de Chenôve Grand cru.

Etienne aimait bien causer de toutes manières mais comme qui dirait, quelqu'un lui avait cloué le bec céans et aux dernières nouvelles pigeonno-portées, le blondinet bavard gisait en souffrance et en fort mauvais état du côté de Sémur.

Guillerm aimait bien le blond, qui pouvait aussi loquace que lui était taiseux. Et puis, ils avaient combattu ensemble, jadis, contre l'Anglais.

Alors, quand en ce 13 février de l'an de grâce 1461, les Croisés avaient lancé leur assaut contre les murs de Dijon, quand la boucherie avait commencé, quand le chaos s'était installé, il avait pris Souris par le coude et l'avait trainé derechef vers un coin reculé des remparts, en arrière du front principal de l'assaut. Chacun était en train de s'étriper joyeusement de l'autre côté, l'endroit choisi par Guillem était calme, presque bucolique.

Sous la pleine lune, la descente le long d'une corde jetée à la hâte avait eu des allures d'évadée onirique.

Puis ils avaient marché vers Sémur. Nevers attendra bien un peu de leurs nouvelles.

Au matin, les rumeurs de la tuerie étaient déjà oubliées. Plus de bruits, de cris, de feu. Juste le silence de l'aube.

Le chemin qui se déroule.

La faim et la fatigue qui lui scient les jambes, au gamin. Mais on a l'habitude.

Qu'est-ce que la vie sans la faim ?

La vie, c'est la faim.
La fatigue. Le froid.
Quand ça s'arrête, c'est mauvais signe.

Ha tiens, en fait de signe, en v'la que fait l'Grand.

- Quoi là ?

fait Souris en mâchonnant un bout de bois histoire de se tenir éveillé.
Pardi, fait trop froid à cette heure pour réfléchir.
Ha oui, ça bouge...

Souris sort sa dague ébréchée, il attend d'avoir assez d'écus pour s'en payer une vraie, et file vers le fourré.
Du gibier ? Un truc chaud et vivant qui gémit et qui se mange ? Ou bien qui se revend ?
Minah
[Où l’on apprend un calcul des plus savants : bruit + gens = argh !]

Minah s’extirpait avec peine des fourrés quand des voix la firent sursauter.

Face aux inconnus, la bête se figea.
Elle avait sur le visage l'expression d'une bestiole prise dans la lueur des lanternes d’une charrette qui aurait eu la drôle d’idée de rouler la nuit. Ahurie. Abrutie. L’œil rond, le regard fixe, très vide.
Elle resta ainsi un moment qui parut très long. Sa cervelle peinait à assembler les divers éléments qui forment un raisonnement à peu près cohérent. Ce dernier enfin constitué se composait à peu près de la manière suivante :


Merdemerdemerdemerdemerdemerdemerdemerdemerdemerdemerdemerdemerdemerdemerdemerdemerdemerdemerdemerdemerde…

Elle était repérée ! Qui c’était, ces types ? Qu’est-ce qu’ils venaient foutre ici, bordel ?! Amis, ennemis, indifférents ?
L’un d’eux semblait avoir une arme, mais la châtaigne ne parvenait pas à bien la distinguer, sa vision rendue floue par ses faiblesses. Cela semblait régler la question précédente. On voulait lui faire mal. Comme pendant la bataille.

Fuir.
Si la caboche était hors-service, le corps savait ce qu’il avait à faire. Ou pas.

L’estropiée tenta un geste.
Ses jambes la portaient avec peine. Elles tremblaient furieusement. Son bide ouvert la courbait en deux, sa fièvre la rendait molle et brouillait ses repères.
Un pas en arrière. Les guibolles lâchèrent, la panse protesta, la chaleur sur ses joues achevèrent le tout.
La crasseuse manqua de se rétamer la gueule par terre, ne se rattrapant qu’au dernier moment de sa patte engourdie à une poignée de brindilles piquantes du fourré. Piteux couinement.
Y’avait pas à tortiller, c’était une fuite d’un panache incroyablement inexistant.

Vexée de sa prestation loupée, Minah bomba fièrement son torse nu, pleine d’une fausse assurance, et retroussa ses lèvres croûtées sur ses dents pourries. Elle gronda, défiant l’homme et le môme de se foutre de sa fiole.


F’tez l’camp.

Prononcé dans un souffle. Le moindre mot était laborieux.

Z’approchez, j’vous tue.

Tenace, teigneuse, l’animal. La peur la rendrait presque mauvaise.
C’était une Lebergier, et les Lebergier était une famille qui avait la particularité (outre de vivre dans la misère et la crotte de mouton) d’avoir compris un truc. Les faibles crèvent, les forts vivent.
Minah avait survécu à pas mal de choses, dont elle-même. Et elle avait la ferme intention de continuer, étranger armé ou non.

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Parmi_les_ombres
[Où l'on essaye de faire connaissance malgré une timidité partagée]

- Iîîîîk !

Souris lâche un petit couinement de surprise et fait un bond en arrière. Il faut le comprendre : ce qui sort des fourrés en titubant n'est pas d'un aspect tout à fait avenant.

- Hrrrmffff ?

De son côté, le Grand Guillerm se fige, également surpris.
La chose devant eux se hisse péniblement sur la route, s'accrochant aux ronces pour franchir le talus - heureusement peu en pente.


Car l'objet qui se présente à leurs yeux a de quoi en laisser plus d'un perplexe. C'est une créature plutôt bâtie comme un soufflet de forge, ou peut-être une charrette à boeufs. On devine d'instinct, au profil plutôt trapu de la charpente, que dans ces veines coule un sang rudement paysan, de celui qui se frotte jour et nuit, été comme hiver, à la terre, à la pierre et au bois.

Lequel sang ne coule d'ailleurs pas que dans les veines de l'apparition mais aussi en divers endroits de son corps qui, pour être d'un bâti rustique, n'en est pas moins salement escagassé.

Assez dénudé également, s'il m'est permis de le faire remarquer à l'aimable assistance puisque la ci-devant créature n'est plus guère couverte, pour la partie haute de son anatomie, que d'une pèlerine plombée de boue et de pluie. Le bras qui, pour l'heure, menace Souris d'une lame hésitante ouvre assez les pans du vêtement pour qu'aucun doute ne soit permis quant au sexe de la créature : une poitrine pas encore tout à fait affirmée mais aux courbes néanmoins aussi prometteuses que celles d'une charolaise atteste de l'appartenance de sa propriétaire à la fraction la plus constamment séditieuse de l'humanité.

C'est donc une jeune femme.

Ce qui augurerait de bien des complications pour nos deux voyageurs si elle était en meilleur état.

Tandis que Souris, sa dague toujours en main, se replie prudemment dans la direction du Grand, Guillerm tente d'évaluer ce qu'il a devant lui :
a/ Armée d'une épée, donc brigand ou soldat.
b/ Trop jeune pour avoir beaucoup d'expérience.
c/ Pourrait représenter un danger en raison de sa vivacité, l'atout premier de la jeunesse, si elle n'était à ce point blessée, et même épuisée.

De toutes manières, elle semble plutôt sur la défensive. Surprise par leur arrivée, sans doute.

Problème : elle leur barre la route.

Guillerm hésite un instant, puis hausse les épaules. Il y a entre elle et eux une bonne distance de sécurité. Il a le temps de sortir son gourdin si la furie se fait agressive. Il laisse glisser devant lui le balluchon qu'il porte, le pose à terre en en extirpe deux pommes fripées.

Tend l'une d'elles à Souris qui s'en empare aussitôt. C'est qu'il fait bougrement faim quand on a marché ainsi une partie de la nuit.

Guillerm croque sa pomme et plante son regard dans celui de la bestiole.

- J'peux pas n'pas approcher : t'es sur not' route, la Croûte...

- C'est vrai ça ! renchérit le môme. C'est not' route ! On va la bas, quand même ! Et ouske tu crois qu'elle va, elle ?

Silence.
Guillerm mâche en silence, ne quittant pas l'obstacle des yeux.
Il suppute : combien de temps va-t-elle encore tenir debout ?

Pas longtemps.

Rassuré par la proximité du Grand, Souris croque à son tour dans le fruit un peu racorni, certes, mais agréablement sucré et répète sa question en direction de l'intruse.

- Ouai ch'est not 'oute. Ouché 'onc k'tu 'was ?

Oui, c'est pas facile d'articuler la bouche pleine quand on n'a pas suivi les cours de l'Actor's Studio.
Minah
[Où l’on apprend les nœuds marins]

La petite soldate vacilla doucement, le groin levé en une attitude de morgue quelque peu hébétée.
Vouais. Les étrangers y z’avaient peur d’elle, d’abord. Y’avait qu’à voir leur tronche. La gueule ouverte à gober des mouches comme s’ils avaient vu Sainte Boulasse militer pour l’eau plate.
Hinhin. Une terreur super terrorifiante qu’elle était, la châtaigne… Son égo ne s’en sentirait plus si les effets de la station verticale ne se faisaient pas si lourdement sentir.

C’est que ça tanguait vachement, là-haut.
Fièvre et nausées venaient frapper la caboche à intervalle régulier comme autant de vagues traîtresses, promptes à vous faire chavirer.
Gardons le cap. Après la quasi-noyade contre les récifs épineux, pas question de faire naufrage à nouveau devant deux caboteurs de passage.
Avec force roulis, la manchote en mal de mer fit de son mieux pour préserver le peu de dignité qui lui restait en ne se pâmant pas comme un vulgaire marin d’eau douce.
Plus facile à dire qu’à faire.

Minah profita de la relative immobilité générale pour mieux détailler les étrangers. Un grand escogriffe, un p’tit mulot.
Usés. C’était le premier mot qui parvint à percer la torpeur minahesque. Tout en eux était usé. Ils avaient l’air las, éternellement fatigué, des voyageurs au long court. Même les pommes – qui firent briller de convoitise les yeux voilés de la crasseuse – dans lesquelles ils croquaient paraissaient éculées.

Etaient-ils seulement ce qu’ils semblaient être ? Juste deux types en vadrouille sur le chemin et le hasard a fait le reste ?
Ou pas. La méfiance naturelle soigneusement alimentée par le délire fiévreux de la bête grondait doucement. Les étrangers, si on les connaissait pas, y'avait bien une raison derrière tout ça ! Pouvait pas leur faire confiance.
Pis z’avaient un culot de blaireau ! Elle avait autant droit qu’eux de se trouver sur cette maudite route. Nan mais oh.


Vouais ben… c’ma route aussi… d’abord. Et…

Un pas vers ses interlocuteurs. Défi. Le geste de trop. Son estomac protesta violemment, et l’estropiée cracha une bile épaisse mêlée de sang.
Puis elle s’écroula, très lentement, droit dans la bouillasse.


V’pas mourir…

Croassement lamentable. Elle bavouilla un peu de boue qui lui entrait dans la bouche.

‘dez-moi…


Ou comment demander de l’aide à ceux qu’on dédaignait une seconde plus tôt. Diplomatie : zéro.
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Parmi_les_ombres
[Où l'on apprend que tout se paye]



Schhhplof !

C'est à peu près le bruit que fait l'apparition en s'effondrant à terre. Un bruit un peu mou, soyeux et légèrement décontenancé.

Souris ne l'est pas moins qui ouvre et ferme la bouche comme un poisson tiré hors de l'eau.

- Ha bin ça alors... commente le môme en observant tour à tour le corps inanimé de la brunette et la dague ébréchée qu'il tient encore à la main. Se pourrait-il qu'il soit aussi impressionnant que cela ? Un léger doute le taraude mais la voix de Guillerm le tire promptement de ses héroïques supputations. Une réalité toute matinale s'impose : froide, aux membres engourdis. Le Grand a haussé les épaules et laissé tomber son paquetage sur le côté du chemin.

- Bon. Va donc nous quérir d'l'eau et du p'tit bois gamin, on va faire une pause.

- Ho noooooooooon, pourquoi c'est t'jours moi qui vais chercher l'boisheuuuuu ? proteste Souris. Plus pour la forme qu'autre chose car il sait combien tous ces efforts de communication son inutiles. D'ailleurs, Grand Guillerm ne lui accorde même pas un regard. Le môme, s'emparant d'une grosse peau de chèvre vide en guise de gourde, s'éloigne dans les taillis en ronchonnant.

Cependant, le Grand s'est penché sur la créature languidement vautrée en vrac dans la bile et la boue. Il attrape une jambe abandonnée, un bras flasque et balance négligemment l'ensemble sur le bas côté, soulevant le corps inanimé comme s'il ne pesait pas plus qu'une plume. L'herbe jaunie par l'hiver, amollie par la pluie, crisse à peine en recevant son fardeau qui roule sur dos.

Les pas du petit s'éloignent et Guillerm observe prudemment la prise. Il ramasse l'épée. Un léger passage du doigt sur le fil de la lame lui prouve que celle-ci est bien entretenue. Guillerm s'accroupit auprès de la Châtaigne dont la pèlerine, largement ouverte, dévoile non seulement des courbes charnues aux juvéniles fermetés mais encore un bras droit qui s'achève piteusement sur un moignon bandé. Décidément, la fille a connu des jours difficiles. Posant l'arme hors de portée, Guillerm fouille rapidement la jeune femme. Une maigre besace cache quelques touffes de poils séchés, un mulot momifié, une patte d'oiseau, une pie sans doute, une dent, la tête d'un petit chat aux yeux creusés, des insectes aux élytres ternies dont la plupart des pattes ont disparu dans la poussière épaisse qui tapisse le fond du petit sac. Il sent le cuir séché, la vase froide, la sueur et la cendre.

Une mauvaise plaie barre un ventre épais et musclé, traçant sur la peau noircie de crasse et de boue la ligne sombre du sang coagulé. Les chairs boursouflées par les premières cicatrisations portent des tâches livides attestant la présence d'humeurs purulentes. Ce qui explique sans doute la fièvre qui lève à présent des frissons sur le corps de la jeune femme.

On pourrait certes l'abandonner céans mais Guillerm a trouvé au dos de la pèlerine une épaulette brodée d'or et de gueules. Une devise y figure qu'il est bien incapable de lire. Cependant, ces armes signalent l'appartenance de la blessée à quelque corps constitué, et sans doute pas une troupe de routiers. Compte tenu des événements récents autour de Dijon, Guillerm envisage les rares possibilités. La fille est sans doute un soldat. Royaliste ou Papiste, il faudra qu'elle parle pour qu'on en sache plus là-dessus.
Ancien soldat lui-même avant d'être mercenaire ou contrebandier, Guillerm a des restes d'obscures loyauté envers tous ces gens d'armes. Et puis s'ils ont pris la route hier soir, Souris et lui, c'est tout de même pour aller voir dans quel état se trouve l'Etienne avant de rentrer à Nevers. Etienne, vieille connaissance, une des rares personnes pour lesquelles Guillerm éprouve quelque amitié, lui même ancien soldat et redevenu soldat aujourd'hui sur la demande d'une brune Princesse aux oreilles, parait-il, admirables.

Alors bon... la brune escagassée sera traitée au bénéfice du doute. Faudra sans doute la jusqu'à cet Hospice où sont soignés les amochés.

Guillerm saisit sa longue dague. D'un geste bref, il arrache à la pèlerine fatiguée une large bande de tissu sur laquelle il laisse couler un peu de l'eau qu'il lui reste. Roulé en boule, le tissu imbibé frotte en cercle la peau du ventre meurtri. Les soins peu délicats de l'homme arrachent une faible plainte à la rustique soldate qui semble vouloir revenir à la vie.

Une nouvelle et longue lanière de tissu est à encore prélevée. Le brun fouille dans sa propre besace pour en extraire quelques feuilles qu'il imbibe d'un peu d'eau et froisse entre ses doigts. L'ortie blanche lui irrite un peu la paume, le sureau a des feuilles plus coriaces qu'il faut mâcher. L'homme passe le bandage improvisé autour de la taille de la blessée, serrant le cataplasme contre les chairs qui suintent encore, mal refermées. Il serre fort le noeud sur le flanc droit où le bras amputé bat faiblement comme pour protester.

Mais les mouvements lents de ce corps exposé, la voix de la gueuse qui se réveille et qui hésite entre silence et gémissements, une insatisfaction marquée depuis sa dernière passade avec une ribaude mal décrassée dans un bouge du Dijon - la fille était tant saoule qu'elle n'avait guère pu faire montre de grand talents dans cette grange humide où il l'avait entrainée contre trois sous vaillants - tout se conjugue lentement pour réveiller un brasier dans le ventre du Grand.

Il grogne. C'est ça façon de dire bonjour mademoiselle.
Un rapide regard jeté au alentours pour s'assurer qu'il n'y a aucun trouble-fête en approche. Saisissant la corde qui serre les braies à la taille de la fille, Guillerm fait sauter le noeud d'un coup sec de la lame. Le lin usé craque quand il tire dessus pour le faire glisser sur le double archipel de hanches callipyges, dévoilant aux pognes et au regard des courbes sainement charnues qui sont comme un appel pressant.

L'âme de Guillerm s'échappe et retourne à la forêt.
Deux autres grognements plus tard, c'est sa façon de dire palsambleu vous avez de beaux yeux que diriez-vous d'une ballade au clair de lune, il a défait sa propre ceinture et plaqué la blessée ventre au sol. Sous lui ce n'est plus que femelle soumise par la force et le poids. Pas de questions inutiles. Cela paye les soins et les aliments.

- Viens là ma belle, c'pas tout d'se faire dorloter, y'a l'prix du tôlier à régler.

Et tandis qu'elle achève de reprendre conscience, d'un coup de rein brutal et profond il se fait taureau en saillie avec l'effarante simplicité des bêtes. Ses sens sont à vif. Il y a aussi comme une odeur de sang.
Minah
[Où l’on apprend que ''la première fois, c’est toujours raté de toute façon'']

Torpeur.
Minah lutte contre les flots, se bat frénétiquement pour émerger de cette mer enfiévrée. Parfois, elle y parvient presque. Sa conscience effleure la surface mais toujours une lame la renvoie par le fond, l’étouffant dans la vase.
Elle aspire de grandes goulées d’eau âcre, elle pleure, elle crie, mais ignore si un seul de ces sons parvient à poindre sur ses lèvres.

Ses lèvres. Son corps. Le monde dehors. Que s’y passe-t-il ? La soldate manchote ne sent plus rien, ne voit plus rien.
Le temps s’étire, ne veut plus rien dire. Il file à une vitesse folle, avec une insupportable lenteur, avance, recule.
Depuis combien de temps la petite bête est vautrée dans la boue ? Un an, une semaine, une seconde. Elle ne sait pas. Peut-être qu’elle est déjà morte.
Panique. Elle se lance à nouveau à l’assaut des vagues qui brouillent sa raison.
Son visage effleure brièvement la surface.

Elle sent. Vague odeur d’alcool, de sueur humaine. Contact humain. Elle est soulevée, manipulée.
Qu’est-ce qu’on lui fait ? On la dépouille ? Et si on lui volait sa besace ?! Que deviendraient sans elle Rodolphe-le-pigeon-mort, Eulalie-la-tête-de-chat, Ned-le-cafard-écrasé, Gaspard-le-hanneton-séché et tous les autres ?*
Ses inquiétudes à l’encontre de ses défunts sujets sont brusquement interrompues.

Douleur !
Quelque chose lui fouaille les plaies à l’estomac. La gueuse hurle, ou croit le faire, et se noie à nouveau dans la vase de son inconscience.
Des profondeurs de sa léthargie fiévreuse surgissent des cauchemars familiers.

Délire…
Le monstre. Le monstre, voûtée et tordue comme un cadavre désarticulé, est penchée sur la châtaigne. Tête baissée, elle mastique quelque chose de coriace.
Minah couine, tremble. Ce sont ses tripes que la Chose mâche à grand bruit ! Sa gueule rongée, boursouflée, est pleine de sang. Curieusement, son haleine sent les plantes.
Panique… Panique… Panique ! Il faut s’arracher à la vase. Vite !

L’estropiée lutte. Plus que jamais, elle veut échapper aux vagues, à la lourde hébétude de la fièvre. Foi de bestiole, cette maudite créature au visage ladre ne la bouffera pas !
L’effort est rude. Se maintenir hors des flots la laisse faible, tremblante.

Doucement, ses perceptions du monde vivant reviennent.
Yeux clos, elle fait l’inventaire de sa situation. Le sol froid, l’odeur fade de la vase, l’engourdissement de ses membres, la douleur sourde de sa blessure à l’abdomen, la brise hivernale sur sa peau nue, le poids d’un corps au-dessus d’elle…
Minah fronce les sourcils et parvient à entrouvrir les mirettes. Sensation inconnue. Y’a une couille dans le potage, là. Littéralement.

Lentement, la cervelle recompose les morceaux. Elle comprend. D’horreur, les yeux s’arrondissent.


Non. Non… Pas ça.


Trop tard. Le mâle est fait.

AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAARGH !

Une pincée de douleur, une bonne dose de colère, une louche d’impuissance, un zeste d’indignation : la recette d’un cri réussi.
Elle gueule, elle gueule, elle gueule la pucelle-qui-n’en-est-plus-une. « Cogne dans les bourses si t’es pas d’accord », lui avait dit sa mémé Glaviotte un jour. Mais plaquée contre le sol, il n’y a que la bourbe qu’elle peut marteler avec fureur.
Chaque assaut du Grand lui vrille les entrailles, et l’insinuation de cet étranger à l’intérieur d’elle-même la dégoûte jusqu’à la nausée. Elle sent un peu de sang lui couler entre les cuisses.


Merdaille! Salaud ! Lâche-moi ! Lâche-moiiiiii… ! Que tes coilles partent en cendre ! J’te tuerai...

Les vitupérations se perdent en un gros sanglot. Celui d’une enfant, celui d’une petite bête blessée.
Et puis elle se tait. Elle cesse de bouger, et petit à petit, elle cesse de chialer. Plus la force de lutter. C’est trop dur.
Elle s’enfonce dans les flots noirs de la torpeur.


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* Oui, parce qu’on se fait beaucoup d’amis morts quand on passe une semaine dans les fourrés. Même qu’au bout d’un moment on essaie de les bouffer.
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Parmi_les_ombres
[Où l'on souffre de l'ingratitude des gens...]


Les imprécations de la fille tirent le Grand de sa rêverie indistincte. Le silence reprend ses droits. L'esprit enfin soulagé de ces désirs qui l'engourdissent, Guillerm achève rapidement sa besogne.

Tandis qu'il se relève, les traces de sang entre les cuisses frissonnantes de sa victime attirent brièvement son attention.


- Pucelle, hein... grogne t-'il en resserrant le noeud de sa ceinture.

Cela explique sans doute ces jérémiades. Tout de même, Guillerm se sent un peu vexé. L'insulter et le menacer malgré tout le mal qu'il s'est donné pour les bandages, c'est manquer salement de reconnaissance. On se fatigue, on fait des efforts et les gens ne retiennent que les autres actions. Les gens sont des ingrats, voilà tout.

Debout à présent, le brun examine le ciel et froissant le nez. L'air claque sec sur le visage aujourd'hui, sec et froid. Le soleil, pâli par un fin voile de nuages bas, devrait briller plus ardemment dans la journée. Ce sera un bon temps pour marcher et avec un peu de chance, il pourront gagner cet Hospice avant la nuit.

Reste le problème de la fille. Elle est prostrée à présent et apparemment pas en état de marcher. Au plus simple, le Grand se contenterait de la jeter en travers de ses épaules comme on le fait d'un chevreuil abattu et de marcher comme ça. Avec le poids qu'elle pèse, pas beaucoup plus qu'un chevreuil, ça le ralentirait à peine. Malheureusement, il faut prévoir qu'avec ce traitement sa blessure au ventre se rouvrira à coup sûr...

Tant pis. Fataliste, le Grand hausse les épaules et gagne les proches taillis, une hachette à la main.


[... et d'autres formes d'injustices]


Souris déboule enfin sur la route, les bras chargés de fagots de brindilles, l'épaule douloureusement sciée par la courroie de la gourde pleine. La scène qui se présente à lui lui arrache un regard surpris. Recroquevillée dans l'herbe, la manchote ne bouge pas plus qu'un cadavre. Trois mètres plus loin, Guillerm est en train d'ébrancher à coup de lame des branches de noisetier qu'il a en partie liées et tressées pour former un...

- Tu y fais quoi ?

Comme d'habitude, Guillerm laisse passer de longues secondes avant lever la tête de son ouvrage, et de longues secondes encore avant de desserrer les mâchoires pour répondre.

- Brancard... L'est trop amochée pour marcher. Fais bouillir l'eau, on casse la croute et on repart dans une heure.

Le déjeuner est morose, nul n'y prononce un mot. Le Grand semble encore plus perdu dans ses pensées qu'à l'accoutumée. La fille n'a pas bougé d'un poil. Elle n'a même pas réagi quand Souris lui a présenté une tasse d'eau chaude où ont infusé quelques feuilles séchées, de la verveine surtout. Ni touché à la pomme que le Grand a posé devant elle. Si elle n'avait ouvert les yeux et remué un peu les lèvres sans que le moindre son en sorte, Souris l'aurait assurément tenue pour raidement trépassée.

- Y'a un gars comme ça à Nevers, tu t'souviens. Cui qu'est resté toute la nuit dans une flaque avant Noel, hein, et même que personne a réussi à l'tirer d'là à force qu'il résistait tant qu'on père est pas v'nu. Tu crois qu'elle est idiote comme lui ?

Haussement d'épaules du Grand. Souris n'en tirera rien de plus. Hormis quelques ordres brefs au moment du départ.

Des ordres du genre qui font lever dans le coeur du gamin un noble sentiment d'injustice et la légitime indignation qui l'accompagne.

- Ho noooon, j'vais pas porter t'ça en plus quand-même ! proteste Souris en désignant le balluchon de toile dans lequel Guillerm s'est délesté d'une petite partie de ses affaires.

- Tiens-ça. Moi j'vais d'voir tirer ce foutu brancard. Et bien heureux encore s'il tient proprement jusqu'au soir, grogne le Grand en réponse sur un ton qui ne souffre pas de contestation.

- Mais c'est pas couuuuleuuuh... Moi j'suis d'ja chargé comme la mule d'un brocanteur spinoziste !

L'expression n'est pas de Souris, il ne fait que répéter ce qu'il a entendu récemment à Dijon, sans tout comprendre mais c'était rigolo.

- Et pourquoi tu la tires, hein ? On peut pas la laisser là plutôt ? Si ça s'trouve elle va d'jà bien mieux, j'parie !

A bien examiner la Châtaigne, rien n'est moins certain mais l'espoir se passe souvent d'appuis expérimentaux.

Là, cependant, ledit espoir est de courte durée... Aussi la route qui se déroule à présent sous les pas de nos trois voyageurs est-elle le témoin paisible et compréhensif des récriminations plaintives, mais argumentées, du gamin qui marmonne à part lui.

- Y'en a marre marre marre. Pourquoi elle est v'nue là celle-là ? On n'avait embêté personne nous ! Halala c'est pas juste qu'c'est moi qui porte en plus à cause d'elle. Pfff... elle est même pô jolie en plus. Bin ça je l'savais bien au fond : les filles c'est fait pour être tirées, alors quand c'est pas des canons, c'est forcément des boulets...

Argumentées, qu'on vous dit.
Minah
[Où l’on apprend à encombrer]

Dans les vaps, pour changer, la châtaigne n’avait pas cherché à se réveiller depuis son initiation aux joies (ah-ha, elle vous en dira tant…) de la chair. Mieux encore, elle se vautrait dans la bourbasse de sa conscience avec une joie morbide.
Elle ne voulait plus penser à ce qui s’était passé. Plus jamais. Jamais, jamais, jamais. Ça n’aurait pas dû arriver… Non…
Il fallait tout oublier… Tout… Minah y avait compté, sombrant dans les eaux grises de son inconscience. C’était sans compter les délires de sa fièvre, insensible à sa douleur.
Elle revoyait chaque instant de son intimité souillée, volée. Même les détails que son évanouissement avait passé à l’oubli étaient reconstitués par son imagination pernicieuse.

Alors elle ne voulait plus vivre. De toute façon, même si la bestiole l’avait voulu, le vieux porc avait sûrement abandonné son corps mourant après avoir honteusement abusé d’elle.
Des tréfonds de son sommeil, elle espéra ne plus jamais se réveiller. Evidemment, ce fut le moment que choisirent les flots pour se retirer, laissant la manchote en cale sèche.

Elle ouvrit les mirettes, encore un peu étourdie.

Y’avait du mouvement. Lent, certes, mais indubitablement mouvementeux. Ça vous secouait de partout, même.
L’éclopée se bougea un peu pour voir ce qu’il se passait et abandonna vite fait. Le moindre geste faisait protester sa panse ouvert et son entrecuisse souillé.
Elle se dévissa la tête, curieuse – et légèrement agacée – de la raison de sa non-mort.

D’abord elle ne vit que le gamin, perdu sous son paquetage, qui maugréait doucement. Obscur radotage, digne d’un membre du troisième âge.
Manchote n’est pas sourde et elle en surprit quelques bribes.


Vouais ben quand tu t’retrouves à suer d’la sorte sous un tel fardeau, c’est qu’tu t’es joliment fait tirer aussi,
grinça la bouseuse de sale humeur. Fillette.

Minah n’avait jamais su s’auto-apitoyer très longtemps. Elle aperçut enfin le bourreau qui refusait visiblement de la laisser mourir.
Nan mais, c’est qu’il faudrait le remercier en plus ?! Pfeuh ! Plutôt boire de l’eau ! Tapant de la main sur le brancard, cherchant son arme à l’aveuglette, l’écuyère ne rencontra que le vide. Le sang gueux ne fit qu’un tour.


Mon épée ! T’as volé mon épée sale chien ! Pourceau ! Va t’noyer dans ton foutre ! J’te tuerai ! J’tai dit que j’te tuerai !

Les gens n’ont plus la politesse d’attendre pour se faire occire, de nos jours. Une honte.
Pour le bonheur des oreilles des deux comparses, une quinte de toux interrompit les vitupérations minahesques, laissant place à un silence qui se voulait hargneux et qui, sur le minois crasseux et encore trop enfantin, ne parut que boudeur.
Puis, comme elle ne pouvait pas s’en empêcher :


Ousqu’on va, là ?
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