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[RP] Ça fait quoi d'être libre ?

Nizam
Titre inspiré par la chanson "Libre" d'Eiffel. RP ouvert à ceux qui croiseront Nizam, merci de prévenir par MP.

    « Hello Alone, it's me and you again
    How can we pretend we've never met ? »*


    Derniers jours de janvier.
    Aujourd'hui il part. Aujourd'hui il s'en va.
    Enfin ! Après une semaine agitée par multiples piques de fièvre et crises d'un coeur souvent au bord de ses lèvres, il quitte la capitale limousine et jure d'enterrer ses derniers jours de décadence tant physique que morale. Il avait noyé dans l'alcool sa cervelle et ses entrailles, le mélange associé à cette maudite maladie ne donna rien de bon, et c'était évidemment son but. Se détruire lentement pour que passent ses regrets, ses torts, s'enliser dans des idées noires, tout ce dont l'homme blessé dans son orgueil était capable. Depuis sa séparation avec l’Étincelle - fut-elle inévitable - les sauts d'humeurs étaient fréquents chez le Blond, il alternait morosité et colère, culpabilité et indifférence exacerbée : relation vouée à l'échec ? Elle avait tenu à lui rendre sa "Liberté" ? Parfait ! Il avait réagi trop tardivement, récoltait toutes les erreurs qu'il avait semées ? Qu'importe ! De la désillusion, il cédait désormais à l'aigreur. Il se complaisait de nouveau dans l'amertume et l'agressivité, préférant la hargne à la tristesse des sentiments, à ces perles d'eau salée qui roulent sur les joues et lui brûlent les yeux. Comme ce serait si simple s'il n'avait rien ressenti, s'il s'était joué d'elle au gré de ses envies et de ses besoins. Qu'elle pense ce qu'elle souhaite, qu'on lui donne le pire des rôles, celui qui profita, qui la détourna de son chaste chemin vers ce paradis solaire, qui n'a pas su mériter, ni garder, ce qu'elle lui donnait, elle naïve et généreuse, lui égoïste et corrompu. Il n'ira pas se justifier ni se battre, à ses yeux le jeu était truqué, perdu depuis longtemps. Fuir, toujours fuir, Nizam avait le courage des armes, non celui des mots ni de la sincérité, il avait refusé d'abandonner son rêve de môme, un marginal à l'avide soif de conquête, simplement pour le goût de liberté, utopique liberté. Tu ne peux t'en passer, mais à quoi ça te mènera Balafré ? Tu as brisé l'avenir avec la Frêle, alors tu retournes à tes anciens projets... Sans t'en être réellement séparé.

    L'aube se leva malgré la grisaille. Tout était prêt. Il avait auparavant fait un détour par la bâtisse voisine pour rendre le contrat et la clef qui le liait à la noble, seule la cuisinière fut brièvement rencontrée, cela lui suffit. Il avait quitté le quinze les bras chargés, lui-même vêtu de tissus chauds afin de contrer le temps hivernal, le torse pris dans sa brigandine il avait sur les épaules, comme à l'ordinaire, une cape sombre et épaisse. Ses bottes s'enfonçaient dans les dernières épaisseurs de neige boueuse, et dire qu'il se dirigeait vers le Nord ! Les frissons qu'engendrait la morsure du froid sur sa peau l'auraient volontiers guidé jusqu'aux terres méditerranéennes, pourvu que brume et givre appartiennent au passé. L'homme entra dans les écuries, rue de la Justice, parmi les équidés présents il reconnut seulement le Noiraud, l'Alezan de la Flammèche avait déjà disparu. Quand était-elle partie ? Mercredi ? Jeudi peut-être ? Volontairement, il n'y prêta pas davantage attention. A quoi bon ?
    Le mercenaire eut son premier sourire lorsqu'il entendit les sabots de son étalon marteler le sol et la paille, il le rejoignit rapidement et le fit sortir de son boxe. Le coursier était jeune mais avait déjà fait preuve de sa force, Nizam se souvenait de la description donnée par son ancienne patronne, "tempérament intrépide", il y avait bien ces similitudes entre l'homme et l'animal.

    - Eh... On n's'est pas encore occupé d'toi ? Allez viens, on doit s'préparer mon beau, on a un long voyage, et j'suis sûr que tu vas aimer fouler autre chose que les pavés d'cette ville, 'voir c'que donne ton galop maint'nant.

    Le palefrenier vint une fois la demi-heure écoulée, écopant d'une remarque acerbe du Blond, mais ce dernier avait mis à profit ce retard pour panser et seller lui-même Tahir. Chaque jour il apprivoisait le pur sang, les futures et longues semaines de routes accentueront aisément cette complicité, du moins l'espérait-il. Il sortit en cavalier dans la ruelle, baluchon et sacoches solidement attachés, avant de rabattre habituellement la capuche sur son visage écorché.
    De retour à ses années de vagabond ! Garde précieusement ta monture Balafré, aujourd'hui toi et ta solitude prétendront être libres.

    _____________________
    [*Charlie Winston - Hello Alone. Traduction boiteuse : "Bonjour Solitude, c'est encore toi et moi, Comment pouvons-nous prétendre ne nous être jamais rencontrés ?"]
Nizam
    Prochain épisode : La traversée du désert limousin.
    Par désert comprenez que le nombre de personnes que vous croiserez sur les chemins pourra se compter sur les doigts d'un estropié, que dis-je d'un manchot. Le Balafré, dont l'amertume de la récente rupture titillait encore le gosier, ruminait ses idées noires tel le bovidé mis en rogne. Le premier arrêt fut Bourganeuf, ville où il n'avait posé ses bottes qu'une seule journée, sans chercher les habitants. Les conditions avaient changé, il avait notamment trouvé en taverne un couple de voyageurs : une femme bavarde - pléonasme ? - au point, d'après elle, d'entretenir des discussions avec les portes, et un brun à la barbe si épaisse qu'il pouvait y caser son déjeuner en ayant du rab pour le lendemain. Ça commence bien. L'humeur fut adoucie grâce à l'alcool et aux paroles guidant enfin ses pensées sur autre chose que des jurons intérieurs, comme quoi il ne touchera plus jamais aux rousses, plutôt se rabattre sur les blondes à l'esprit aiguisé comme une lame rouillée ou les brunes au caractère aussi tremp.. doux qu'une bière. Il eut d'ailleurs un exemple sur ce dernier point lorsque l'habituel silence de taverne fut ébranlé par une furie qu'il n'avait pas revue depuis des semaines, sans que cela manque particulièrement à ses oreilles. Outre les deux personnages cités plus haut, il devait y avoir du remous en ville car, ô miracle, il était tombé sur des visages connus, de ceux qu'il avait fréquenté à son arrivée dans ce comté. Il s'informa des contrariétés actuelles, celles qui provoquaient la colère de sa "vieille amie" et le spectacle dont il se délectait. Pour une fois que les cris n'étaient pas dirigés contre lui !


    « Ah Merwane... Ta tendresse marqua à jamais mon crâne fêlé lorsque pour exprimer ton affection tu m’éclatais ta mandoline sur l'coin d'la tempe ... ou d'la mandibule. Au choix. »

    Heureusement ce temps de violence gratuite était révolu - ou presque car sa joue tailladée reçut en journée une amicale et sifflante claque suite à l'un de ses sarcasmes - et les retrouvailles furent plus joyeuses, ce qui remonta nettement son moral alors embourbé dans une vase de rancoeur et de lassitude, où les sourires esquissés alternaient comme une ribambelle de masques. Il eut l'immense honneur de rencontrer "l'amoureux" de celle qui avait le lever de main, ou d'instrument, léger. Un roux. Il cumulait à sa manière. Le Balafré pariait déjà sur la fin de l'histoire, mais il garda ses réflexions. La brune avait été assez proche de lui pour qu'il ne la traite pas comme tout ce qui portait jupons. Elle était d'ailleurs seule femme qui pouvait lui carrer une gifle sans s'en prendre le double en retour. Si ça ce n'était pas un bel exemple de sympathie !
    La journée s'écoula, Nizam s'était approprié le luth redoutable et s'essayait aux accords, imaginant avec toute sa modestie naturelle qu'il était, après meilleur bretteur, meilleur troubadour au monde. Le mercenaire jugeait de son habilité non plus aux armes mais avec des cordes, tant et si bien que la jeune femme lui céda l'instrument en soirée. Le voilà musicien, pour le plus grand bonheur du moustachu, ancienne connaissance, qui l'accompagna durant la nuit sur le chemin de Guéret. Les deux hommes se heurtèrent uniquement au vent, auquel s'ajoutaient désormais les notes improvisées par le Blond, calé sur sa selle.

    Guéret, la ville aux deux tavernes, ou la poursuite du désert.
    Deux tavernes... Dire qu'il avait habité ici, songez à son supplice quand les tonneaux étaient aussi secs qu'une terre aride et que sa soif le faisait rêver d'une rivière de cervoise, d'une mer de prune ! Ah Sainte Boulasse, pardonne-le s'il t'a négligée, ce fut contre son gré.
    L'humeur du Balafré oscilla de nouveau, s'il avait oublié hier ses troubles, il laissa sur un bout de la route l'enjouement dont il avait fait preuve. La rencontre avec un autre couple qui, à première vue, devait être de joyeux lurons royalistes ne l'aida guère. L'homme d'armes n'avait pas d'avis particulier sur les conflits, si ce n'était que plus le désordre d'autorité enflait dans le royaume, plus cela pouvait s'avérer avantageux pour son compte. Il avait déjà éparpillé quelques lettres pour vendre son bras et son épée, brigands, mercenaires, armées, sources éternelles de recrutement en cas de guerre.

    Nizam ne s'attarda pas plus et termina sa journée à cheval en passant la frontière avec l'Auvergne. Il avait rendez-vous dans le comté le plus nordiquement paumé, et il était encore loin, très loin de sa destination.


    [Edit:Fautes, relecture]
Nizam
    L'expansion du désert. Montluçon. Il retint peu de choses de son passage, sa mémoire cruellement sélective ayant encore frappé, telle la claque éliminant un moucheron dans l'univers, la taille du diptère reflétait parfaitement l'insignifiance dans son subtil esprit de l'endroit où avaient trainé les sabots de sa monture.

    La suite fut plus intéressante lorsqu'il atteignit la frontière opposée, celle menant à la Bourgogne. Le cavalier qui s'était encombré d'un nouvel objet voyageait maintenant à un rythme plus lent. Caser la mandoline entre ses affaires et ses lames lui valait chaque jour plusieurs minutes à maugréer et à entamer une discussion à sens unique avec l'étalon qui devait supporter tout ce poids; toujours mieux que parler aux portes, certes. Le solitaire devint aisément repérable, ce qui n'échappa pas à nos chers amis anticonformistes, souvent gueux et dont la plupart s'assimilaient à de méchants rebelles complexés, les brigands ! Point trop de critiques pour ceux gagnant leur pain sur le dos des honnêtes hommes, le Balafré à sa manière en faisait parti et ne rejetait, ni ne condamnait le fait d'ouvrir des bourses d'écus sur les routes, tant que cela n'arrivait qu'aux autres.

    Il dut arrêter sa monture devant quatre gaillards aussi sympathiques qu'une matrone à l'intime jardin sec, ceux-ci lui réclamèrent une taxe pour le passage, à savoir son argent et sa nourriture. Il pouvait garder le pur-sang, ses vêtements, ses armes et l’instrument. Ah qu'ils sont charitables ces vils sacripants, à deux doigts de lui maraver sa face, mais charitables. Nizam ayant jugé ses chances de s'en sortir dans un combat proches du zéro absolu ne tenta pas le pari - fut-il joueur - et lança d'un air désabusé la bourse contenant une vingtaine d'écus ainsi que le sac de miches et maïs. Bonjour Bourgogne, et bonjour la diète.
Nizam
    « If i share with you my story,
    Would you share your dollar with me ? »*

    ___________________________________

    Morne depuis son récent et imprévu vidage de poche, le Blond ré-haussa son moral lorsqu'il trouva par la suite une bourse de dix écus au fin fond de son sac. Sans doute cachait-il ses économies dans différents endroits, et en oubliait constamment une partie, son avarice compulsive lui sauvera toujours la mise. Quoiqu'il en soit, un problème s'annonçait déjà à lui, il avait à peine parcouru la moitié de la route établie et devait tenir jusqu'en Flandres avec sa maigre fortune - qui sait s'il ne sortira pas d'autres bourses en fouillant dans ses affaires. Il pourrait très bien s'arrêter, renflouer les caisses creusées en se faisant les paumes avec les pioches de la mine la plus proche, ou en aidant le curé des environs à dépoussiérer les chandeliers ... Il abandonna la deuxième option, taper du caillou était plus distrayant à ses yeux et son dernier passage dans un édifice religieux au Limousin l'avait définitivement convaincu de ne plus remettre ni pieds ni pensées dans tout ce qui concernait Aristote et sa bande. Cependant, parvenir à ses fins avec une somme misérable d'argent s'approchait d'un défi que le vagabond souhaitait relever. Donnez-lui quelques deniers et il fera le tour de ce royaume en travaillant le moins ! Indépendant depuis l'enfance, le garçon débrouillard s'était jusqu'ici sorti de tous les pétrins possibles, ce n'était pas la première fois qu'il terminait fauché comme le blé d'un mois d'août, cela ne sera certainement pas la dernière, hélas.

    Le Balafré avait répondu en route aux volatiles qui l'assaillaient, usant de ses derniers papiers, il sera bientôt forcé d'écrire au dos des missives qu'on lui envoyait, au diable la courtoisie quand la richesse n'était qu'un lointain souvenir. Dans ses correspondances il eut un rictus d'ironie lorsque la femme l'attendant dans ce nord perdu se montra soucieuse de son avancée, lui, jeune pauvre, mais en bonne santé si l'on ignorait les plaintes de son ventre. Il dégaina le fusain et rédigea, n'ayant pas d'encre dans son sac - un bocal ayant jadis éclaté fut persuasif - ni accès à un Relais, seul le corbeau dict Opium qui traînait encore pouvait rapporter le message plié à la destinataire.

    Un jour, il s'achètera le pigeon le plus rapide de France, ou un rapace, fier mais teigneux. Il s'imaginait déjà le surnommer Touitteur, allez savoir pourquoi cela sonnait bien à son oreille.
    Il fit enfin un arrêt en ville, Cosne. Il aperçut un semblant de vie en taverne, et après discussion avec une représentante féminine locale, fut confronté à la dure réalité touchant ce duché :


    « C'est un peu la guerre ici. »

    Un peu. Le Blond était en règle, arborait des laisser-passer réclamés peu de temps auparavant, et se préparait au pire des cas à jouer à saute-armée avec son pur-sang. S'il se faisait poutrer alors qu'il raclait déjà le fond de ses poches, Déos dans ses nuages risquerait d'entendre un bel alignement de jurons. Parmi les habitants, ô prodige, il reconnut un visage ! Rencontré à Limoges, c'était un homme qu'il aurait étranglé sans remords quelques semaines plus tôt pour une "broutille" sentimentale et tutoyait aujourd'hui telle une vieille connaissance. Nizam n'avait définitivement aucune stabilité dans ses relations.
    Sustenté et muni d'une bouteille d'alcool dont il ignorait le nom exact comme la provenance - à défaut d'avoir accès aux denrées citées dans les menus d'auberges, sa main voleuse se rabattait sur la boisson - le Balafré foula de nouveau le désert campagnard, bucolique le jour, glacial la nuit. A l'aube, le cavalier et la monture fourbus atteignirent enfin la cité voisine, Tonnerre. Étrangement, il n'osa pas un air de mandoline à proximité des camps endormis, montés par les armées.
    Tandis que ses réserves s'amenuisaient, et que son tyran d'estomac criait son appétence, il vint, après un bref repérage des ruelles, en taverne à la recherche d'âmes généreuses. Vous savez, ces personnes prêtes à aider autrui, qui dorment mieux si elles exercent en journée leur bonté, ne comptent pas ce qu'elles dépensent, ne souhaitent pas mourir en étant les plus riches du cimetière. Foutaises. Le Balafré emportera son magot dans la tombe... Espérons que son pécule dépassera les six écus qui clinquaient dans sa besace. Pourtant, la charité de certains l'arrangeait et en cas de besoin, il oubliait aisément son orgueil pour en profiter. Ce fut donc avec toute son innocence qu'il lança sa demande, faux appel à la pitié, se faisant alors gentiment renvoyé vers la mine ou l'église. Il s'adoucit, et n'insista pas davantage, sachant que l'on obtenait rien à forcer les gens mais qu'il pouvait peut-être en amadouer quelques uns. Sans le savoir, le luth et son talent entreront en jeu.
    Chanceux hasard, un voyageur, fils de catalan, avait également un instrument à cordes et accepta de lui montrer des accords dont le rythme faisait se dandiner la gente féminine. Soudainement intéressé, il accompagna durant quelques minutes le brun, mémorisant le doigté. La prestation dut plaire, le Blond s'en sortit avec un pain donné par une amie sûrement bourgeoise du musicien, et la promesse d'en avoir un second s'il revenait la nuit tombée. Surpris, mais ravi, il saisit l'opportunité et quitta le soir-même la taverne, sa nourriture sous le bras, les dernières heures passées à gratter sa mandoline entre deux verres offerts.


    « Eh bah... S'il faut charmer d'la dentelle pour avoir d'quoi s'remplir la panse maint'nant ! »

    L'homme récupéra son étalon, et prit la direction de la Champagne, son attrait pour le mercenariat légèrement entaché. Voilà que jouer le trouvère lui avait aujourd'hui plus rapporter que son savoir des armes ... Où va le monde ?
    __________________________________
    *Aloe Blacc - I need a dollar. Trad: "Si je partage avec toi mon histoire, voudrais-tu partager ton dollar avec moi ?"
Nizam
    Trois jours. A peine trois jours pour joindre de la Champagne la frontière sud à son opposée. Il n'eut pas le temps d'user les cordes de son instrument, ayant étrangement hâte d'atteindre l'Artois, le vagabond nota que le royaume n'était pas si vaste lorsqu'il aperçut encore un visage familier dans l'une des tavernes de Sainte-Ménehould, ville également touchée par le désert de la gueusaille comme du reste. L'homme vu à Limoges venait sûrement ici enterrer ses souvenirs, bon endroit pour du repos, un couvent campagnard serait plus animé. Dans ses raisons pour errer loin du Limousin il y avait une femme, blonde brodeuse que Nizam avait pu rencontrer. Le Balafré se rassurait, il ne devait pas être le seul à maudire les histoires de sentiments. Il n'y a pas que les femmes qui ont un coeur, mais cela arrange tellement les hommes d'ignorer le leur. Mettons une pierre, un bout de bois à la place, une mécanique pour qu'il cesse de s'enflammer un jour et d'éclater le lendemain. La grisaille avait mis un sérieux coup à la carapace du mercenaire, d'habitude hostile à ce qu'on lui montre ses faiblesses, il avait horreur de se lamenter et de ressembler à ces loques de comptoir, bien qu'il en ait fait partie quelques semaines auparavant. Cherchant l'apaisement de l'oubli ou de l'indifférence après la colère, il donnait toutes priorités au voyage et au chemin qu'il foulait. Souviens-toi, pourquoi tu es venu ? Pour une flamande, pour t'isoler ou t'immiscer dans d'autres draps ?
    Le rendez-vous avec celle à qui il réclamait déjà l'aide pécuniaire fut fixé à Arras. Détail idiot et imprévu par le jeune homme, accusant la fatigue, il débarqua à la capitale les poches vides. Vides, sans une dizaine d'écus dégotée au fond de ses manches, ni de bourse perdue dans sa besace cette fois-ci, il avait dépensé ce qui lui restait pour du maïs et calmer les plaintes de son ventre. Autrement dit, parlons peu, parlons bien, c'était la dèche. Totale. Hélas, à son arrivée cela n'échappa pas aux gardes de la cité, quelle idée d'imposer une taxe, un simple écu ! Un seul ! Quand on l'arrêta, Nizam les aurait volontiers inviter à se carrer la pièce là où le soleil ne brillait jamais.


    - Mais j'vous dis que j'aurai d'l'argent dans la journée, on peut s'arranger !
    - C'est maintenant qu'il t'en faut, ou t'iras tendre la main ailleurs. T'as l'air bien armé pour faire l'vagabond, tout ce que tu transportes c'est à toi bien sûr ?
    - Bah oui, pourquoi ? 'Croyez que je l'ai volé p't'être ? J'ai une gueule à m'servir chez les autres hein ?
    - T'irais bien dans nos geôles, maint'nant que tu l'dis.
    - Bordel mais la ferraille sur l'crâne rend sourd ou quoi ? J'vais pas voler ! J'm'arrête pour travailler !
    - C'est ça, et un tour d'prison avant, ça t'calmera !


    S'en suivit plusieurs minutes d'échanges fleuris et de joyeuses négociations qui se terminèrent évidemment derrière les barreaux artésiens. On lui retira la monture et ses affaires - sa mandoline ! - qu'il récupéra quelques heures plus tard lorsque le garde estima que le Blond avait suffisamment râlé. Nizam avait un laisser-passer, et savait bien que si son nom était marqué dans les listes poussiéreuses qu'entretenaient la douane et l'ost de chaque comté, duché, ça n'était pas dans le nord de ce royaume. La matinée était passée lorsqu'il goûta de nouveau à la liberté - toujours fauché - songeant qu'il avait servi d'exemple et qu'il ferait bien de trouver cette femme ayant accepté de lui payer gîte et couverts. Étrangement, il redoutait les services qu'elle pouvait lui demander en échange.
Nizam
    Plusieurs années auparavant, un campement perdu dans le sud du royaume.
    Séant sur un rondin de chêne couvert par la mousse, un homme à la carrure massive est assis devant un amas de braises, de maigres flammes résistent et crépitent. Toute l'attention du géant est portée sur la pierre qu'il déplace consciencieusement le long de son arme, aiguisant le tranchant et laissant un distinct bruit métallique dans l'air. Vint se dresser face à lui un adolescent au gabarit bien inverse au sien, aussi frêle soit-il cela suffit à retenir le peu de lumière aidant le second gaillard dans son entreprise d'affûtage. Soupir lancé, l'homme cesse de frotter l'acier et relève la tête vers le blond gringalet, ce dernier remarque à peine la gêne causée, un large sourire lui barre le visage.


    - T'parais ben jouasse p'tit gars, l'sourire niais mais jouasse quand même.
    - Je la revois c'soir, elle a pas r'fusé !
    - Hahin, t'm'en diras tant... Tu l'as payée combien c'te fois ?
    - J'la "paye" pas, elle en a juste besoin.. s'non ils n'la laisseront pas sortir.
    - Elle a au moins l'talent d'inventer des excuses, et toi d'tout gober.
    - Tu n'comprends rien ! Elle a pas l'choix.
    - Oh, c'pas aujourd'hui qu'j'vais plaindre d'la puterelle, rassure-toi, mais si tu crois qu'elle s'intéresse à toi et pas aux pauvres écus qu'tu ramasses en journée, tu t'gourres.


    La pierre retourne à la lame, seul un rictus amusé persiste aux lèvres du mercenaire. Vexé et légèrement contrarié que de simples paroles l'arrêtent dans son élan, le jeunot se renfrogne, et rejoint le sol en tailleur pour se réchauffer devant les faibles braises.

    - Tss... Tu la connais même pas t'façon.
    - T'en connais une, t'les connais toutes, gamin. Vu comme t'es, laisse-moi deviner. Elle sourit, et tu t'agites, elle t'parle, et tu bégayes, elle s'frotte à toi, elle et son généreux corset qu'est d'jà béant'ment ouvert, et t'hésites à la regarder droit dans les yeux, ou droit dans les seins.
    - Euh... Hum... Oui, 'fin non.. Puis t'sais rien !
    - J'sais tout, surtout qu't'as l'air bien atteint, c'est plus grave que c'que j'pensais.


    Haussement d'épaules de la part du blondinet, un temps passe avant que le barbu délaisse une nouvelle fois son arme. Il s'approche du jeune jusqu'à poser une poigne ferme sur son épaule.

    - T'sais, t'as p't'être une gueule d'ange mais c'te fille, elle regarde seul'ment si ta bourse est remplie d'brillants et d'jolis petits écus.
    - Mais...
    - Boucle-là et écoute. Je t'avais dit que tu devais être méfiant ou tu seras bouffé par les autres, tu t'souviens ? C'est c'qui s'passe. Tu crois qu'elle fait quoi d'ses journées, ta ribaude ? Elle enchaîne les clients, elle sert la même chanson, les mêmes gémissements, et allez suivant !
    - Non, el..
    - J't'ai dit d'la boucler. Elle s'fout d'toi, Nizam, t'es un bon moyen pour qu'elle passe une soirée tranquille en récoltant de l'argent. Réfléchis un peu, elle te raconte son histoire pour t'attendrir et tu payes dès que tu veux la voir, j'suis sûr que l'affaire réglée elle s'barre et va s'trémousser ailleurs. Elle ne vient jamais te supplier pour une nuit, hein ?
    - ...


    Ses bras se croisent et encerclent ses genoux écorchés, la mine confuse, l'adolescent avoue par le silence et la joie naïve est taillée en pièce par l'aigri.

    - J'le savais ! T'es un client comme les autres pour elle, ou alors le "bon" client.
    - Mais... Moi j'l'aime bi..
    - Ah non, arrête tout d'suite, va pas sortir ce genre de conneries, j't'imaginais plus dégourdi. Bon, j'comprends que tu sois attiré, que t'aies envie d'tâter la chair, mais j'te le répète, n'va surtout pas t'y attacher. Ça vaut pour tout, même ici, y'en a qui s'disent une famille, mais garde à l'esprit qu'tu n'peux compter que sur toi et c'que t'as dans le crâne, donc pas grand chose pour l'moment... Pense qu'on vit seul, on crève seul, même les nobles bouffis dans leur dentelle, faut t'y faire. Ils vont être nombreux à vouloir t'pigeonner, tu ferais bien d'apprendre ça vite fait.
    - ... Comment tu veux que j'apprenne ça...
    - Ben, à force de prendre des murs, tu vas comprendre. Méfie-toi dès que ça tremble un peu trop là.
    Un poing indique sur son buste l'emplacement du coeur. Y'a rien de pire. Sers ton intérêt avant c'lui des autres, et suis toujours l'but que tu t'es fixé, t'es pas venu avec nous pour piner d'la gueuse 'c'que j'sache.
    - Pourquoi j'dois me méfier de ça, là ?


    Le regard azurin se lève pour rencontrer les traits burinés par les années.

    - Tu l'fais exprès ? Ça te rend aveugle, c'tout. C'est la meilleure façon d'te détourner, les femmes l'savent bien, comprends-le, et si t'es doué tu pourras même t'en servir.
    - M'en servir ?
    - J't'ai dit d'te méfier des gens, mais à ton tour rien ne t'interdit de profiter de plus idiot qu'toi.
Nizam
    « It's easy to fall in love,
    When you fall in love you know you're done. »*

    _______________________________________

    Le bref épisode dans les poisseuses geôles artésiennes enfin terminé, il s'était mis en quête de la brune flamande lui ayant promis de l'argent pour satisfaire son estomac mis à l'épreuve, tenaillé par la faim. Si certains refusaient l'aide pécuniaire par simple principe, le Balafré, lui, ne se gênait pas dès que l'occasion se présentait d'accepter tout ce que nantis pouvaient lui donner, ne trouvant pas d'honneur à être incapable d'assouvir soit-même un ventre vide. Les écus de la noble ne seront pas donnés sans demande en retour, elle avait parlé d'escorte dans ses lettres, mais lorsqu'il la rencontra enfin en taverne, le service demandé changeait au gré de la discussion. Dans sa générosité absolue et reconnue, elle lui laissa une soixantaine d'écus, vint le temps des spéculations sur ce que cette somme lui permettait d'exiger de son nouveau débiteur. Après comparaison avec son ancien travail, Nizam pouvait servir de garde durant cinq jours consécutifs, peu d'intérêt pour une femme sachant manier l'épée et ayant déjà des larbins à ses ordres. Blond et brune se lançaient des piques amicaux, le jeu qu'ils avaient laissé à Limoges et dans leurs courriers reprenait vie, jusqu'à ce que faiblement, doucement, une lueur d'attirance s'insinue dans leurs paroles. S'ajoutent aux mots mordants des sous-entendus, des propositions scabreuses qui amusent les railleurs, comment déceler la vérité du sarcasme si les deux se mêlent sans cesse ?

    « Et je dois payer combien pour vous mettre dans mon lit ? »

    Ils en viennent à négocier, à se défier et à savoir lequel plaisantera le plus sur la vente du plaisir charnel, lequel cédera le premier alors que l'homme est réduit à être le banal objet d'un investissement.
    Avec leur prétention, ils ignoraient que si peu de temps s'écoulerait avant que leurs deux corps ne vibrent ensemble et s'égarent dans l'habit de luxure.


    [Fin février]

    Un filet de lumière traverse timidement la pièce. Fin et pâle, il ne fait qu'éclairer la poussière, et trahit sans doute une fissure, une craquelure. Les premières heures du jour s'en vont déjà, pouvait-on encore parler de matinée ? La pièce plongée dans les ombres est perdue au fond d'un atelier, silencieux. Le rayon déchire l'obscurité, il surplombe un lit, deux silhouettes enlacées.

    Elle est là, calme, nue et alanguie contre toi. Sa tête posée dans le creux de ton épaule, tu devines à peine sa respiration lorsque la chaleur de son souffle se perd sur ta peau. Elle dort, sans imaginer que deux azurs la contemplent, dépourvus de retenue, n'est-ce pas le privilège de l'amant ? Tu hésites à écarter les mèches de jais éparpillées sur son visage. Tu ne dis rien, conscient qu'un mot, un seul pourrait mettre un terme à la douce vue s'offrant à ton regard de voleur. Depuis quand prends-tu le temps de détailler chacun de ses traits ? Comme si ton esprit s'imprégnait d'elle, comme si ton corps ne souhaitait plus que se fondre avec le sien. Tu penses à cet instant, déferlant, où ton coeur cogna à vouloir quitter sa prison de chair, cet instant où vous vous êtes simplement laissés vivre, le reflet de ses perles noires t'avouant plus qu'elle n'osera te dire. Que tu ne voudras admettre. Tu te souviens de sa phrase pour vous décrire « Deux impudiques que pourtant la pudeur empêche de se dévoiler ». Imperceptible, un sourire se loge sur tes lèvres. Tu te souviens lorsque tes baisers découvraient la beauté brûlante de ses courbes, quand tes doigts couraient sur sa peau. Les ressemblances dans vos façons d'être ont fini par vous rapprocher plus qu'il n'était prévu. Le jeu a changé. Tu te souviens lorsque tu fus surpris par la violence inouïe de goûter au plaisir, et de l'aimer. Tu la désires, pas seulement son corps, mais elle, entière.
    Tu es perdu Balafré, et tu préfères oublier la crainte qui s'immisce dans tes pensées, te dévoilant ce que tu appréhendes : l'envie se mue en besoin.


    [Un seize de mars]

    Il avait pris sa décision, prêt à en affronter les conséquences malgré une fébrilité et un doute se manifestant de plus en plus. Il ne comprendra pas comment, n'avouera certainement pas être seul responsable du retard - de la fin ? - de ce projet maritime flamand. L'orgueil suffisamment touché, il savait pourtant qu'elle préférait longer les berges à ses côtés que de monter sur ce navire. Ses réflexions se troublent, encore. Égaré, tu t'es égaré, tu ne devais pas rester si longtemps. Une main vient à sa nuque, la seconde, nerveuse, reste contre le bois du comptoir taillé par l'usage. Il s'ennuyait lorsqu'ils ne pouvaient pas se voir, chose que le blond supportait mal, ne faisant pas de grands efforts pour que cela change. Le voyage lui manquait comme... Comme ce que lui proposait une lettre de mercenaire. Qu'est-devenu le solitaire ici ? Tu aurais dû y réfléchir avant, tu sais parfaitement ce qu'entraînent les sentiments, à croire que tu as oublié ce que tu disais quand tu traînais, loque, en taverne après le départ de Limoges d'une Étincelle. Fuis ce qui t'attache aux autres, ou tôt ou tard tu te brûleras. Les mots résonnent et se mélangent, l'histoire ne fait que se répéter, encore et encore. Sois égoïste, Balafré, il n'y a que cela qui puisse te protéger.
    Pouvait-on croire à de la lâcheté ? Sûrement. N'avoir aucune emprise sur son propre désir à l'égard d'une femme, voilà qui éveillait une peur profondément enfouie et ébranlait le fondement d'une liberté qu'il pensait durement acquise. Précieuse liberté... Sais-tu au moins ce que tu t'apprêtes à sacrifier pour cette idée ? Imagines-tu son regard posé sur toi quand tu lui diras que tu t'en vas ?
    Il entend le grincement de la porte, elle est là. Il étouffe les battements sournois du coeur. Ça s'arrangera avec le temps. Ça s'arrange toujours.

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    *BRMC - Ain't No Easy Way ; Trad très utile : Il est facile de tomber amoureux, quand tu tombes amoureux, tu sais que t'es foutu.
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