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[RP fermé : Folie Averroïste]

Maiwen
[Quelque part en France, Automne 1456]


Le jeune adolescent ferait pitié à voir, s'il était vu. Il se tenait debout, apparemment inconscient, ayant poignets et jambes solidement attachés au moyen de grandes et lourdes chaînes.
Entièrement nu, les cheveux assez longs pour être sérieusement emmêlés, Maïwen était si sale qu'il semblait ne pas avoir eu l'occasion de prendre quelconque bain depuis plusieurs mois. Il ne ressemble alors en rien à l'adulte apparemment posé qu'il est aujourd'hui.
D'innombrables blessures marquaient son corps de jeune pubère. Chacun de ses bras étaient couvertes d'entailles qui cicatrisaient visiblement très correctement; trop correctement. Quelqu'un se chargerait-il de veiller sur ses blessures tout en le laissant enchaîné ?
D'innombrables traces de fouets venaient marquer de toute part sa peau, rendant la dernière hypothèse paradoxale.
Mieux vaudrait ne pas parler de son visage; mais ce serait omettre quelque chose d'essentiel. Il était rouge. Immaculé de sang. On ne pouvait même pas distinguer son visage.


C'est dans cet état que le jeune homme ouvrit les yeux. Il ne paraissait pas surpris d'être attaché dans ce qui semblait être un sombre cachot. Il semblait juste être dans un grand état de lassitude, comme s'il n'avait pas dormi, comme s'il était mourant. Mourant, il l'était, certainement. Pourtant il a l'air vivant.

*Vivant. Oui ... Je suis vivant. Encore.*
Sa respiration était lourde et saccadée. Du sang coule de sa bouche.
*Qu'est-ce que j'ai fait ? Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter pareil traitement.*

Des souvenirs s'entrechoquent dans ses pensées, sans qu'il puisse faire la différence entre ce qui était réel et ce qui ne l'était pas.


*Je suis fou.*

Il se souvenait distinctement d'une voix, grave et profonde, qui résonnait dans son esprit. Une voix puissante. Une voix avec l'intonation de ceux qui sont habitués à qu'on leur obéisse sans réfléchir. Une voix rassurante.
Une voix mauvaise, qui lui indiquait le mauvais chemin.
Oh non, il ne doit pas, partir. Ici, Malcolm est là. Malcolm, son sauveur. Malcolm, le seul qui comprend ses besoins. Etait-il réel, est-il réel, ne l'est-il pas, ne l'est-il plus ?

La douleur. Bon Dieu, ce que ça fait du bien. Qu'est-ce que ça fait du bien de se sentir ... En Vie ! Qu'est-ce que ça fait du bien de pouvoir faire différence entre l'imaginaire et le réel.
Car la voix, sans aucun doute, n'est pas réelle. La voix, il ne doit pas l'écouter. Seul Malcolm sait ce qu'il doit faire. Il doit lui dire ce que veut la Voix. Et lui, se charge de la faire taire. Seul, désormais, il ne peut survivre.

*Je ne suis pas fou.*

La Voix est bonne. Depuis son enfance, Elle le guide. Elle le sauve. Qui est-il, à entendre des choses qu'il est le seul à être capable d'entendre ? Aucune façon de le savoir. Mais il est Quelqu'un. Et la Voix, assurément, était quelque chose d'autre. Comment pouvait-il en être autrement ? Il n'avait aucune emprise sur elle. Elle dit ce qu'elle Veut, quand Elle le désire où le trouve nécessaire. Et lui n'a aucune emprise sur elle. Toujours, il doit se plier à ses demandes. Toujours il l'a fait, toujours Elle l'a remercié en lui apportant son aide.
*Toujours ? Qu'est-ce ce toujours auquel je pense ?*

Réfléchir ... Depuis combien de temps était-il ici, enfermé dans ce cachot...
*Cachot ? Je suis vraiment enfermé dans un cachot ?*


De toute évidence, il commençait à se rendre compte de l'étrangeté de la situation dans laquelle il était. Après le réveil d'un sommeil sans rêve, le retour à la réalité fait mal. Sa tête tourna, s'habituant à la pénombre il commençait à pouvoir distinguer les lieux.

*Bon Dieu mais qu'est-ce que je fais là ?*

Réfléchir, à nouveau. Sans conclusion possible. Etait-ce Malcolm qui l'avait attaché ? Pourquoi aurait-il fait cela ? Il ferma les yeux, pour mieux réfléchir.

Souvenirs ... Des cris de douleur. Des cris de peur. Des cris de haine et de rage. La Voix. La Voix qui lui ordonnait de partir. De partir de cet endroit où il n'avait pas sa place, où personne ne le comprenait. Où personne ne pourrait jamais le comprendre. Est-ce lui qui crie ? Est-ce quelqu'un d'autre ? Est-ce un groupe de personne ?

Souvenirs ... Ses pas qui le conduisaient rapidement vers la sortie. Une force magistrale qui le soulève pour le jeter à terre . Un couteau, qui plusieurs fois entaille sa chair pour y laisser une glaciale empreinte.
Pour l'endormir, ou le réveiller ?

Souvenirs ... Le vide. Qu'est-ce qu'il est bon, le vide. Ce moment où l'on ne sens rien. Ce moment où l'on ne se sent pas vivre. Ce moment de liberté absolue. Comme si on volait. Plus haut qu'un oiseau. Plus vite qu'un oiseau.

MAÏWEN. QUITTE CE LIEU. MAINTENANT.

La Voix, qui résonne dans ce Vide. Qui vient lui rappeler la réalité. Qui vient lui rappeler qu'il ne peut pas rester dans cet instant de bonheur absolu.

La Douleur, qui irradie alors tout son corps. Comme d'habitude.

Nuit. Ou Réveil. La force d'un fouet contre sa peau. Dur, comme réveil.

Le torturé était recroquevillé à même le sol, portant encore une robe complètement déchirée dans le donjon dans lequel plus tard il serait enchaîné.


Nouveau cri de douleur. Qui sortait de sa bouche, assurément. Nouvelle glaciale marque contre son visage et son torse mis à nu. Sa rode de Fidèle semblait lui avoir été enlevé.

Nouveau cri de douleur. Il était en vie, il était vivant. Un "merci" sortit de ses lèvres, en murmure pour celui qui une nouvelle fois l'avait sauvé. Mais pourquoi continuait-il à frapper alors qu'il était réveillé ?


- JE SUIS RÉVEILLÉ.

Ses mots sortirent de sa bouche, comme une imploration. Comme un pitié. Mais la danse continuait. Se débattre ? Même pas la peine d'y penser. La douleur irradiait et immobilisait tous ses membres.

Une douleur lancinante, au niveau du visage. Un coup de fouet ? Non. Un coup de pied. Nouveau cri de douleur, plus étouffé cette fois. Du moins il en avait l'impression.


La dernière chose qu'il entendit avant de sombrer à nouveau dans l'inconscience la plus totale fut ce qui semblait être des ricanements.
Nalyss
[Aux branches que l’air rouille et que le gel mordore,
Comme par un prodige inouï du soleil,
Avec plus de langueur et plus de charme encore,
Les roses du parterre ouvrent leur coeur vermeil.



L’air relativement frais de la matinée entra par la fenêtre entrebâillée et s’attarda sur le visage et les mains de la Gardienne de la Foi; elle inclinait la tête vers la fenêtre et constatait que les arbres se balançaient avec une certaine aisance. Ses mains refermèrent délicatement le livre qu’elle lisait, ce livre qui l’avait captivé un instant; en était-ce une heure, deux heures ? Elle n’en avait aucune idée et à dire vrai, ce n’était qu’un détail. Elle n’était pas pressé par le temps, pas quand elle était à la citadelle. En se levant, Nalyss laissa l’exemplaire qu’elle avait dans les mains sur un fauteuil avant d’aller à la fenêtre. L’Automne était une saison ambivalente; aux magnifiques nuances s’étalant à perte de vue à ceux qui prendraient le temps de la regarder ainsi qu’à sa ribambelle de caprices présageant des jours avec et des jours sans, à ce ton nostalgique qui réchauffe parfois vos entrailles mais aussi à ces instants passés tant regrettés, à cet avenir incertain qui fait naître crainte et attirance; sera-t-elle salvatrice ou au contraire damnable ? Elle referma la fenêtre délicatement - sentant qu’il fallait mettre un terme à ses pensées, ce conflit intérieur qui se nourrit de tous ces doutes et vous ronge un peu plus tous les jours - avant de quitter le lieu, cette petite bibliothèque, un refuge. Entre ciel et terre.


Dans sa corbeille d’or, août cueillit les dernières :
Les pétales de pourpre ont jonché le gazon.
Mais voici que, soudain, les touffes printanières
Embaument les matins de l’arrière-saison.



La citadelle était relativement calme cette semaine, mais le calme était tout-à-fait relatif. Ce n’était qu’une pauvre apparence, une façade qui suffisait en grande partie à avoir raison de ses détracteurs et à taire le malaise qui grandissait de semaines en semaines, qui se nourrissait de la rancœur des uns, de l’ambition maladive des autres. Nalyss le savait plus qu’un autre, elle était là à faire face à ses craintes, à ce qu’elle sentait qu’il adviendrait irrémédiablement; c’était viscéral chez la Gardienne de la Foi qui n’avait jamais cessé de maintenir l’Alliance tel qu’elle avait eu la chance de la connaître. Aujourd’hui, elle était fatiguée véritablement fatigué d’être presque la seule à se battre, à défendre les croyances et les valeurs qui faisaient ce qu’elle était. Elle cachait tant bien que mal le recul qu’elle avait pris, la distance qu’elle avait installée face à ceux qui utilisaient ses croyances à mauvais escient - pensant que cela leur servirait de faire-valoir - et salissait ainsi l’Averroïsme, sa Foi. Peu à peu le puzzle arriverait à sa fin et à cet instant-là quand l’image serait révélé, le visage de l’autre clairement affiché; les cartes dans leurs mains qui n’avaient jusque là pas été placé dans le jeu s’abattraient et ébranlerait sans pitié l’adversaire; le schisme serait inévitable.


Les bosquets sont ravis, le ciel même s’étonne
De voir, sur le rosier qui ne veut pas mourir,
Malgré le vent, la pluie et le givre d’automne,
Les boutons, tout gonflés d’un sang rouge, fleurir.



Malcolm et les autres s’affairaient en Normandie, il y avait tant à faire là-bas. Elle le savait, elle avait vécu quelques temps à Fécamp avant de s’établir à Argentan pendant quelques semaines où elle y avait préparé un départ en Guyenne. Le Sud, ce n’était que les retrouvailles avec les terres de l’enfance, celles où elle y avait laissé ses racines. Nalyss, elle, s’attelait à accueillir et à aider ceux qui arpentaient les salles de cette citadelle y amenant un peu de vie. La plupart des présents n’étaient que quelques Hazams qui avaient la tâche de faire attention à la population de la citadelle et à la citadelle en elle-même. Alianor et Ophéliane passaient de temps à autre et il était plaisant d’être en leur compagnie. La Gardienne de la Foi avait confiance en ces deux jeunes femmes qui s’étaient quant à elles établies dans le Bourbonnais et transmettaient l’Averroïsme comme il se devait de l’être, dans le respect et le partage. Seul Ernest, dit Le Funeste gravitait près de Nalyss; il était là à veiller sur elle. Il le faisait depuis la disparition de Nakin et il n’avait jamais été défaillant dans ce qu’il entreprenait mais il ne se mélangeait pas aux autres, aux Hazams. C’était quelqu’un de solitaire qui ne parlait pratiquement pas et qui disparaissait quand cela était nécessaire.


Tardives floraisons du jardin qui décline,
Vous avez la douceur exquise et le parfum
Des anciens souvenirs, si doux, malgré l’épine
De l’illusion morte et du bonheur défunt.]

Nérée Beauchemin, Roses d’Automne.
Nalyss
[Chant d’Automne.


Dans sa déambulation, la Gardienne de la Foi s’était arrêté un instant dans l’aile réservée aux Hazams; quelques-uns s’entraînaient d’ailleurs dans la grande salle. Les rares instants passés là-bas, elle avait été en compagnie d’Alianor et elle ne connaissant pas vraiment cette partie de la citadelle; c’était l’occasion de changer ses habitudes et de se familiariser avec cette aile. Ainsi, Nalyss s’aventura dans un escalier qui descendait - à son avis - dans les sous-sols. En bas de l’escalier se dressait une grille de défense qui n’était pas fermé et lui permettait de s’engager dans une allée relativement fraîche où parfois, elle sentait un courant d’air sur sa peau et constatait que les flammes des flambeaux au mur vacillaient et faisaient naître en elle un sentiment qui ne la rassurait pas. La méfiance s’était naturellement emparée de ses pas et sans faire attention à cela, elle avançait en se disant qu’elle préférait surprendre au lieu de l’être elle-même par quelqu’un. Ce qui la frappait c’était cette sensation, le malaise qui s’installait peu à peu en elle tandis qu’elle était dans la citadelle, là où elle y avait des attaches.


Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ;
Adieu, vive clarté de nos étés trop courts !
J’entends déjà tomber avec des chocs funèbres
Le bois retentissant sur le pavé des cours.



Elle remarqua qu’un claquement se faisait entendre de temps à autre, d’autres bruits inaudibles d’ailleurs planaient dans l’air jusqu’à ce qu’une plainte parvienne clairement à elle : « JE SUIS RÉVEILLÉ ». Cela lui glaça littéralement le sang et par réflexe, elle mit sa main sur ses lèvres s’empêchant ainsi de réagir d’une manière qui la desservirait car elle était sûre que ce qui se passait là-bas dans cette partie de l’allée qu’elle n’avait pas atteint était tout-à-fait anormal. Un ricanement mauvais mit un terme à cette stupeur et des pas se faisaient entendre à présent; il venait par-là. Nalyss s’arrêta dans une alcôve non éclairée de l’allée, il y avait peu de chance que quelqu'un la remarque ne s’attendant assurément pas à sa présence. Qui serait méfiant en ayant quasiment l'assurance d'être le maître des lieux; qu'aucune âme n'ayant pas était averti au préalable s'aventurerait là ? Ses mains se crispaient néanmoins sur la pierre, sa respiration se taisait tandis que les pas se faisaient de plus en plus bruyant jusqu’à la dépasser. La silhouette qu’elle vit quelques secondes ne lui avait pas semblé familière; mais de qui s’agissait-il ?


Tout l’hiver va rentrer dans mon être : colère,
Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé,
Et, comme le soleil dans son enfer polaire,
Mon coeur ne sera plus qu’un bloc rouge et glacé.



Quand elle eut l’assurance qu’il était parti, l’Averroïste traversa l’allée avec plus de rapidité qu’auparavant. Cette traversée lui semblait interminable et en même temps, plus elle s’avançait plus cela la rendait mal à l’aise. Qui avait-il là-bas, à gauche. Elle ne tarderait pas à le savoir; elle s’arrêta un instant le palpitant à son paroxysme saccadant à cette occasion sa respiration. Un pas après l’autre, un pas manquant d’assurance - et s’il y avait quelqu’un d’autre là-bas qui la cueillerait sur place, la prenant la main dans le sac. C’était une aberration voilà qu’un nouveau sentiment s’en prenait à elle, la culpabilité. Elle se retrouvait dans une situation tout ce qu’il y avait d’indélicat, une situation qu’elle n’avait pas souhaité, une situation qui - à cet instant-là – l’effrayait. Qu’est-ce qu’elle faisait-là ? Elle ne le savait pas mais ce qu’il y avait là; c’était un cachot. Ce n’était pas surprenant dans une citadelle, ce qui l’était en revanche c’était le spectacle tout-à-fait effroyable qui s’offrait à elle. Une pauvre âme était enchaîné à l’un des murs, une nudité masculine qui faisait apparaître les entailles mais aussi les marques de lacération sur une chair à vif, un visage ensanglanté qui ne lui permettait pas de savoir si elle le connaissait à la distance à laquelle elle était.


J’écoute en frémissant chaque bûche qui tombe ;
L’échafaud qu’on bâtit n’a pas d’écho plus sourd.
Mon esprit est pareil à la tour qui succombe
Sous les coups du bélier infatigable et lourd.



Respirait-il ? Elle, elle retenait sa respiration jusqu’à ce qu’elle manque d’air ce qui eu l’effet de la remettre dans la réalité. L’Averroïste n’avait pas à sa connaissance les tenants et les aboutissants de cet acte de barbarie; ce qui était certain en revanche c’est qu’elle ne le laisserait pas dans cette situation. Nalyss ne serait pas spectatrice, cela reviendrait à dire qu’elle cautionnait cette haine, cette cruauté. Et en ajoutant à cela, la pensée de ces ricanements qu’elle avait capturé quelques instants auparavant eut raison de cette apathie qui l’avait saisi. Celui qui jusqu’à présent tenait les rênes, excellait dans « l’art » des châtiments à abattre sur autrui mais il n’était clairement pas malin; il avait laissé un jeu de clé sur une table bancale et à l’aspect délabré. Avec un peu de chance, il y aurait celle qui le libérerait de ses chaînes. Elle alla auprès de celui qui ne semblait pas plus âgé que cela. Les yeux de l’Averroïste le détaillèrent un instant quand elle comprit qu’il revenait peu à peu à lui, le regard dans le vague. Elle avait le sentiment de le connaître et cela lui filait la chair de poule tandis qu’elle s’affairait à le détacher de ces chaines qui l’entravait, le réduisait à n’être qu’une marionnette suspendue à quelques liens de fer.


Il me semble, bercé par ce choc monotone,
Qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.
Pour qui ? - C’était hier l’été ; voici l’automne !
Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.]



C’était une totale aberration car il était ne serait-ce que dans l’incapacité de réagir alors vous l’imaginez rendre la monnaie de sa pièce à son tortionnaire… Les serrures cédèrent les unes après les autres, la jeune femme en avait fait le constat quand la masse relativement inanimée bascula dans ses bras l’entrainant inévitablement dans une chute; Nalyss s’écroulait alors sur le sol du cachot. Elle se redressa en faisant attention à ce que jamais la tête ne heurte pas la terre extrêmement plus ferme qu’elle. Elle passait sa main au visage saignant de celui qui gisait en partie dans ses bras, rabattant sa tignasse vers l’arrière et c’est à cet instant là qu’elle avait eu l’assurance que ce visage lui était bel et bien familier. L’Averroïste serrait la mâchoire, ravalant sa détresse avant de finalement fendre l’air d’une parole. Maïwen. Elle avait raté une étape, elle n’avait aucune idée de ce qu’il faisait là, de ce qu’il s’était passé avant d’en arriver là. Lui; celui qu’elle avait suivi pendant des semaines de l’apprentissage à la Dakala avant d’apprendre du jour au lendemain qu’il était parti, sans la prévenir. Elle n’avait pas compris mais aujourd’hui, elle ne s’interrogeait plus de la même manière. Que faisait un Averroïste vraisemblablement maltraité par quelqu’un - appartenant ou pas à leur communauté - dans la citadelle Averroïste…


Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal.
Maiwen


[Extrait de ce qui pourrait être un journal de vie]


C'est au début d'une chaude et orageuse soirée d'été de l'année 1448 que ce tout petit garçon s'est présenté devant ma porte. Je me souviendrai je crois jusqu'à la fin de mes jours de cet air traumatisé. De son visage si jeune et qui pourtant semblait déjà avoir traversé tant d'épreuves. Etaient-ce les gouttes qui inondaient son visage, ou étaient-ce les larmes ? Je fut plus tard persuadé que ce n'était que la pluie; n'est-ce que le fruit de mon imagination de vieil homme malade qui me conduit à imaginer que cet enfant ne pouvait pas laisser couler les larmes que depuis longtemps il retient ? A quoi ressemblait-il alors ? Difficile de se rappeler. Ses cheveux étaient noirs comme la nuit, long, et emmêlés. En omettant son état, sale, dégelasse comme certains l'auraient dit, rien ne le caractérisait. Taille normale, poids normal - ce qui est fort étonnant au vu de l'état dans lequel il s'est présenté à moi. Pour un petit garçon, il était tout ce qui il avait de plus normal. Sinon ses yeux. Ses yeux, d'un vert ténébreux. Ses yeux, qui n'exprimaient rien d'autre que de ce qui ne pouvait être rien d'autre que de l'épouvante. Qu'avait-il donc vu avant de se présenter ici avec une telle expression, ici, au milieu de nul part ? Comment, pourquoi était-il ici ? Voilà tant de questions qui à jamais resteront sans aucune réponse.

Je l'accueillit. Il était si craintif; semblait terrifié à peine je m'approchait un tant soi peu de lui, et ce, malgré le fait que je lui ai ouvert ma porte. Je n'oublierai jamais non plus les premiers jours que j'ai passé en sa présence. Premiers jours qui se transformèrent en semaines. Semaines où il ne mangea qu'à peine, ne dormi qu'à peine, faisant preuve d'une résistance à la faim et à la fatigue que j'aurai cru complètement impossible auparavant. Où était-il avant de parvenir dans un état déplorable devant ma porte ? N'était-il donc pas nourri à sa faim ? Hypothèse des plus paradoxale, sachant qu'il n'était pas maigre comme l'aurait été quelconque enfant mal nourri. Pourquoi ne touchait-il pas à la nourriture que je lui proposait, ce alors que j'aurai très bien pu nous nourrir tous les deux sans plus d'effort ?
Et surtout, pourquoi ne dormait-il qu'une heure par jour au maximum ? Les enfants de son âge avaient besoin de bien plus de sommeil que cela. Je ne cherchais pas à comprendre. Je n'aurai certainement pas réussi, même si j'avais essayé. Il a mit plusieurs semaines avant d'émettre un son en étant éveillé. Dans son sommeil, c'était une autre histoire. Une scène le hantait, chaque nuit. Si ce n'était pas la même, elle n'évoluait que peu d'une nuit sur l'autre. Ses hurlements étaient les mêmes. J'ai même du plusieurs fois l'empêcher de se fracasser la tête contre un mur de pierre. Je n'ai jamais compris ce qu'il voyait, ou ce qu'il entendait. Je me répète certainement, je ne lui ai jamais posé aucune question. Et je crois que c'est pour cela qu'il a finit par avoir confiance en moi, et a commencé ou recommencé à manger de plus en plus normalement. Plus les mois passaient, moins ses nuits étaient agitées, également. Le petit homme s'apaisait. Je l'ai appelé Maïwen, dans la mesure où il semblait incapable de me dire son nom. Peut-être n'en avait-il pas, ce qui est un autre sujet de mes interrogations. Maïwen, comme ce fils que je n'ai jamais pu avoir. Maïwen - maintenant que j'ai cité son nom autant l'utiliser - m'intriguait. Je ne pensais pas que quelqu'un puisse être plus calme que je ne l'étais - Si on omet ses crises, qu'elles soient ou non de folie -. Je ne pensais pas que quelqu'un puisse paraître plus neutre et indifférent que je ne l'étais. Peut-être a-t 'il analysé ma façon d'être, afin de la reproduire pour ne pas me choquer. Je ne sais. Si lui ne me parlait jamais de lui, j'ai fini au fil des semaines à lui parler de mon passé de chevalier turbulent. Je lui ai parlé des doutes que j'avais concernant mes actions passées. Du passé de chevalier déchu que j'ai vite renoncé à tenter d'oublier. Lui ne répondait rien, ne commentait pas. Mais ses yeux ne trahissaient pas la peur ou la haine que j'ai si souvent vue dans ceux à qui je me confiait, qui qu'ils soient. Il m'était impossible de deviner ses pensées, ce qui m'a troublé bien plus d'une fois. Mais je crois que même dans le fond il ne me jugeait pas. Comment aurait-il pu me juger, de toute manière ? Comment un petit enfant de sept ou huit ans pourrait-il juger les actions de celui qui lui a certainement sauvé la vie, quelles que soient ces actions ? Je me permet ici encore de formuler une hypothèse qui est certainement en mon avantage - celle selon laquelle il ne juge pas, ne possède pas au fond ce que l'on appelle orgueilleusement le sens critique.

Son physique frêle et son jeune âge ne l'empêchait pourtant pas de m'aider dans le travail du champ que j'aurai pu facilement entreprendre seul. Je ne le repoussais pas. Pour lui, par pour moi. Je saisissais bien qu'il avait besoin de faire quelque chose, dans une certaine mesure de se sentir utile auprès de moi. Qu'il sente qu'il participe à ma vie, dans un sens. Il me surprenait également de ce côté là, il pouvait rester et travailler dans le champ pendant des heures. Je crois que cela lui faisait du bien de se pousser dans ses retranchements. C'est pour cela que je ne disais rien même quand je voyais qu'il mettait sa santé en danger pour un simple travail au champs. Il n'avait pas la même notion de l'évanouissement que nous. Pour lui, c'était une manière de se reposer. Cela doit certainement vous paraître fou, à vous qui lisez ces lignes ce jour, mais, c'est véritablement le cas.
Dans le même temps, je tâchais de lui apprendre à lire et à écrire de manière parfaite. Je dois encore une fois admettre qu'il me surprenait de ce côté. Là où je voyait bien que le travail au champ n'était pas dans un sens fait pour lui, je voyais en lui de grandes capacités intellectuelles. C'est une des raisons pour lesquelles je l'ai plus tard poussé à rejoindre la Citadelle.

Il m'en voudra certainement, m'en veut peut-être aujourd'hui, mais je ne voulais pas qu'il ne me voie mourir pour tout avouer. Je suis certain qu'il l'a fort bien compris. Qu'il l'a compris, que je n'étais qu'un homme bien trop âgé qui ne demandait rien d'autre que de ne pouvoir mourir seul. A cet instant, alors que je sens la Mort se rapprocher petit à petit de moi, je voudrais qu'il sache que mes dernières pensées sont à lui. Lui, que malgré son tout jeune âge je n'ai jamais réussi à percer à jour; Lui, dont j'ai toujours ignoré le douloureux passé que pourtant lui n'oubliera jamais.

Maïwen, si un jour tu lis ces lignes, sache que tu m'as apporté en quelques mois toute la vie dont j'ai toujours manqué, je te suis infiniment reconnaissant pour cela.
Maiwen
Ces ricanements. Cet air mauvais qu'il entendit avant de perdre la conscience des choses qui se passaient autour de lui. Il ne sentit pas le fouet, qui par trois fois encore marqua ses entrailles. Il ne sentit pas les mains fermes quand elle se posèrent sur ses épaules pour le remettre debout d'une poigne forte. Il ne sentit pas les chaînes se refermer autour de ses poignets et chevilles. Il ne sentit pas le dernier coup de l'homme, qui pris la forme d'une gifle monumentale. Il n'entendit pas l'homme s'éloigner, après avoir sur la table jeté les clefs de ses chaînes.

Il était dans son Vide intérieur. Son espace où il pouvait se réfugier, quand il perdait le contrôle des éléments extérieurs. Ici, il n'avait pas mal. Ici, il était intouchable, peu importe les sévices que subissait son enveloppe physique. Peu importe les coups de fouet dans le dos, peu importe les coups de pied au visage.

Ici il n'y avait qu'Elle. Lui. Cela. Sans le ou la voir, Maïwen le sentait. (utilisons "le" dans son genre neutre et par soucis de commodité). Il était omniprésent ici. Lorsqu'il parlait, lorsque la Voix parlait, Maïwen l'entendait de toutes parts. Que disait-elle, cette fois ?

Ici, il était persuadé, il était certain, qu'il n'était pas fou. Il était certain que tout ceci est réel, pour cause, parce qu'il le vivait. Peut-être que ce n'était pas l'Unique qu'il entendait. Mais une chose était sûr, il entendait bien quelqu'un, quelque chose, de supérieur à sa misérable et mortelle existence.

C'est une Voix cette fois-ci douce, telle une voix de femme sans que l'on puisse réellement définir son genre, qui parvenu aux oreilles du torturé. Il lui était incapable, alors animé, de décrire celle-ci. Tantôt grave, tantôt aigue, elle n'était délimitée par rien. L'Unique - Ou quoi qu'il en soit Ce qui s'adressait à lui - ne subissait pas de limite. Il s'exprimait en fonction de ses besoins et dans une certaine mesure des besoins de ceux à qui il s'exprimait.

- Maïwen. Mon enfant. Tu n'es pas fou tu sais.

Il ne prit pas la peine de formuler sa réponse à l'oral. La Voix, telle qu'elle était, savait très bien ce qu'il pensait.

*Qui êtes-vous ?*

- Tu connais bien la réponse.
Le Vide disparu soudain. Maïwen semblait reprendre ses esprits. Il sentit quelqu'un s'affairer pour le détacher. Il lui semblait pourtant qu'uniquement quelques secondes s'étaient écoulées. Se trompait-il ? Était-ce déjà son geôlier, qui revenait déjà pour le torturer à nouveau ?
Les ténèbres prirent à nouveau possession de Maïwen, sans qu'il ai pu réfléchir à cette réponse.

Il était de retour dans son Vide spirituel. Ici, l'extérieur n'avait aucune importance. C'est la principale et sans doute unique et suffisante raison pour laquelle il ne chercherait pas à comprendre ce qui se passait Là-Bas.

- Penses-tu réellement que celui qui t'a attaché te veux du bien ?

Maïwen encore une fois ne brisa pas le silence. Sa pensée suffisait. Oui, il en était persuadé. Malcolm lui voulait du bien. Comment pouvait-il en être autrement ? Il l'avait sauvé. Il lui avait montré la différence entre le réel et l'imaginaire. Rien d'autre que la douleur ne pouvait lui apprendre la différence entre le réel et le non-réel.
D'un autre côté, cette simple question avait engagé en lui un conflit qui ne demandais que ça pour apparaître. Il le voyait comme un ravisseur. Il continuait à le frapper alors même qu'il était conscient. Lui voulait-il du bien ?

La Voix savait qu'il pensait tout cela, bien entendu. Des images apparurent devant le jeune pubère. Des scènes qu'il était censé avoir vécu. Qu'il était censé et qu'il pensait connaître; auquel on enlevait toutes les contraintes imposées par le corps humain.
Le brun voyait tout. Il pensait tout. Il savait tout.

Bien entendu, Ce qui lui avait envoyé ces visions prêta attention à isoler les scènes, pour qu'il n'y ai que les choses en rapport avec Maïwen, ce pour bien entendu ne pas qu'il devienne fou, à tout entendre et tout penser. Être omniscient possède ses difficultés.

Il vit le regard de son "Sauveur" lorsqu'il s'appliquait à lui infliger nouveaux sévices. Il vit que ce regard n'avait rien de bienveillant. Il entendit clairement chaque ricanement qui s'échappait de la bouche de l'homme à chaque plainte de Maïwen.

Il su que ses mots n'étaient que des vils mensonges. Il su qu'il cherchait simplement à le manipuler, à se servir de lui, afin d'avoir un pantin sur qui frapper. Sur qui se défouler.

Il alla jusqu'à entendre certaines des pensées de celui qu'il commençait à reconnaître comme mauvais. Il entendit deux simples mots, deux simples mots qui changèrent tout : Trop facile.

La Voix le laissa ainsi digérer ces nouvelles informations pendant ce qui sembla être plusieurs minutes. Ces quelques secondes d'attente passés, elle résonna une nouvelle fois dans la tête de Maïwen.

- Tu sais ce que je pense, sans être orgueilleux. La chance te souris cette fois. Quelqu'un va réellement t'aider. Je te demande de lui faire confiance.

Maïwen a l'air troublé, cette fois. Normal. Il venait juste d'entendre une Entité supérieur parler de soi à la première personne. Du singulier. C'est relativement peu courant.
Que penser de cela ? L'homme ou la femme affairée à l'extérieur - à vrai dire, il s'agit sans doute plutôt de l'intérieur - à le détacher lui voulait-il du bien ? Véritablement ?

La Voix, une nouvelle fois, résonna en lui.

- Oui. Elle te veut du bien. Véritablement, pour reprendre tes pensées.


Les ténèbres disparurent encore, pour laisser place à la lumière relative d'un cachot. La douleur, à nouveau, traversa tout son être, et, bien qu'il se sentit de retour dans son corps il ne pouvait en rien contrôler ce dernier. Il se sentit tomber à terre, sans qu'il ne puisse ralentir sa chute. Tout ceci n'était-il donc qu'un rêve ? Certainement. Personne dans ce monde ne lui voulait du bien. Il avait imaginé tout cela, une fois encore. Et devait souffrir pour reprendre pied avec la réalité, tel qu'il le lui a enseigné.
Mais la chute, cette fois, n'était pas douloureuse. C'était comme si quelque chose - Ou quelqu'un - retenait sa chute. Il n'avait pas alors conscience en fait, qu'il ne faisait rien d'autre que s'écraser, provoquant la chute de sa sauveuse en plus de la sienne. Sa tête n'heurta rien de dur alors qu'il sentait son corps se retrouver par terre, toujours sans ne rien pouvoir contrôler. Il fut surpris, intérieurement, bien qu'étant trop dans les vapes pour comprendre quoi que ce soit. Il sentit une main, venant délicatement écarter ses cheveux. Il entendit le nom qu'on lui donnait prononcé avec une teinte de détresse impossible à dissimuler. Il pensa reconnaître la voix, une voix féminine, sans parvenir à remettre un visage sur cette voix.
Il essaya d'articuler, n'y arrivant pas réellement :

- Qui .. Qui ... Êtes-vous ... Qui ... Que ...
Nalyss
[Absences.


Quand Maïwen était arrivé à la citadelle de la Sainte Alliance, il avait dès le départ fait preuve d’assiduité et d’attention manifestant un intéressant attrait dans l’apprentissage de l’Averroïsme; il avait des interrogations qu’elle avait rarement entendues auparavant. Au fil des semaines, Nalyss avait établie une relation particulière avec lui, une relation qui n’était pas faites de grandes conversations; un échange de quelques paroles de la part de Maïwen. Une relation avant tout basée sur la transmission de connaissances, le partage de croyances et malgré cela, l’Averroïste n’avait jamais vraiment saisi ce qui l’habitait; elle savait qu’il était tout-à-fait particulier, relativement solitaire. Du haut d’une des fenêtres de la citadelle, elle l’avait vu s’attardant dans les jardins à l’abri des regards, là-bas il semblait ailleurs; un visage pas aussi impassible que d’habitude semblait transparaître par instant. Elle ne lui en avait jamais parlé jugeant que cela n’appartenait qu’à lui, à ce jardin secret dans lequel se tapissait tant de sentiments et tant d’interrogations parfois.

Après quelques semaines, Nalyss avait pu entendre quelques phrases, des rumeurs vraisemblablement au sujet de Maïwen. Certains pensaient qu’il faisait exprès d’être à part, que c’était là - à travers cette attitude - une manière d’attirer l’attention, de se rendre intéressant aux yeux de la communauté. Et certains pensaient aussi qu’il ne servirait pas la cause Averroïste comme il le faudrait; qu’il n’était là que parce qu’il n’avait pas de famille, pas de lieu qui l’accueillerait ainsi. Quant à elle, la Gardienne de la Foi pensait qu’il était de ces gens qui se révèleraient quand il en aurait l’occasion, de ceux qui n’aspirent pas à l’ambition mais au contraire au savoir, à la sauvegarde de l’héritage que représentait la Foi Averroïste. Elle, elle était de ces gens-là et Nalyss n’était sûre que d’une chose en ce qui le concernait; il en faisait lui aussi partie et elle considérait qu’il avait une richesse intérieure - invisible pour bien des yeux, certes -, une richesse profondément enfouie, une richesse qui - pour le moment - croule encore sous le poids des écorchures vives.


Tout proche de l’interlocuteur
et pourtant loin, l’esprit ailleurs,
comme en un voyage m’évadant,
je suis là, présent et absent,
hochant la tête de temps en temps.



Lorsqu’il prononce quelques mots qui viennent à ses oreilles comme le souffle d’un homme à deux doigts de rejoindre les morts, elle ne peut s’empêcher de resserrer cette étreinte; celle qu’elle offre à ce corps endolori, entièrement meurtri pour lui signifier qu’il est en sécurité près d’elle, qu’il ne risque plus rien. Ecoute-moi. Et de poursuivre d’une voix sous l’emprise de l’émotion qu’elle ne peut dissimuler. Qui que je sois, je te promets de veiller sur toi et de te sortir de ce lieu pleins de vices. Inutile de lui dire qui elle est, il est encore à moitié inconscient et quand interviendra la reprise de ses esprits, ses yeux trouveront réponse à cette question. L’Averroïste détacha d’une main tâchée de sang - de celle qui était auparavant dans les cheveux de Maïwen - la cape qu’elle avait sur les épaules et l’étala sur la pauvre âme respectant ainsi ce qu’il lui restait de sa dignité. L’instant suivant Nalyss passa sa main dans celle de Maïwen qui - miraculeusement - reprenait peu à peu « vie ». Ses yeux détaillèrent les entailles sur ses bras; les entailles parmi lesquelles certaines cicatrisaient quand d’autres étaient à vif.

Que s’était-il passé ? La Gardienne de la Foi n’arrivait pas à admettre ce qu’elle avait là, à sa vue. Ses craintes se faisaient à présent grandissantes; elle avait dit à Maïwen qu’elle veillerait sur lui alors qu’elle n’était pas certaine de leur sécurité. Ses pensées s’en allèrent naturellement vers Ernest; lui qui semblait n’obéir qu’à lui-même, elle était quasiment certaine qu’il ne recevait pas d’ordre de Malcolm et elle était certaine de la fiabilité de celui qui gravitait généralement dans le même espace qu’elle et c’était là le principal à cet instant. La détresse qu’il aurait pu lire dans ses yeux aurait été suffisante à le faire réagir; ainsi ses yeux le cherchèrent… en vain. Il n’était pas là. L’Averroïste serrait la mâchoire faisant face à ce qu’elle détestait le plus dans cette situation; l’abandonner dans ce cachot et réapparaitre au plus vite avec Ernest avant que l’auteur de cette barbarie ne réapparaisse lui aussi. Maïwen. Il me faut de l’aide si je veux parvenir à t’arracher à cela. Sur ces entrefaites, Nalyss plaça délicatement la tête de l’adolescent sur un pan de la cape, rabattant à nouveau ses cheveux vers l’arrière avant de le laisser.


Tout proche de l’interlocuteur
et pourtant loin, l’esprit ailleurs,
combien de fois ai-je trahi
quand je semblais, yeux et ouïe,
attentif à mon vis-à-vis ?]



Quand elle regagna l’allée qu’elle avait traversé quelques instants auparavant, elle s’arrêta et laissa aller sa tête un peu vers l’arrière sur l'un des murs, la mâchoire serrée ravalant les quelques larmes qui s’installaient dans ses yeux; yeux qu’elle fermait aussi sec empêchant qu’elles ne prennent de l’ampleur. Elle se passa la main au visage qui lui permettait ainsi de faire à nouveau face à la réalité, à ce qui l’attendait avant de remarquer qu’elles étaient tâchées de sang. Nalyss s’en alla en prenant néanmoins la précaution que son tortionnaire n’avait pas eu la peine de prendre c’est-à-dire enfermé Maïwen dans le cachot. Elle était ainsi certaine qu’il ne l’atteindrait pas si jamais il revenait avant elle; c’était parfois vrai l’occasion faisait le larron. Tandis qu’elle marchait d’un pas rapide se retenant presque de partir en courant - et d’ameuter ainsi quelqu’un qui passerait par là -, ses yeux scrutaient infailliblement la lueur de l’entrée par laquelle elle était arrivée. Il n’y avait pas un bruit et cela la rassurait presque car c’était avec la peur au ventre qu’elle gravissait maintenant l’escalier qui la mènerait dans l’aile aux Hazams, à deux pas de la grande salle…


Esther Granek, Ballades et réflexions à ma façon.
Maiwen


[Analepse : Un Eté des années 1450, quelques semaines après l'arrivée de Maïwen à la citadelle, quelques semaines avant sa disparition.]


La nuit était claire et douce. Sans que la chaleur fut étouffante comme durant de nombreuses nuits d'été, la température est agréable. Le bassin au centre du jardin de la citadelle scintillait, reflétant la lumière provoquée par la lune et les millions d'étoiles présentes dans le ciel. Le chant des criquets retentissait, comme souvent, venant bercer ou déranger le sommeil que chacun ou presque recherchait au vu de l'heure avancée, et troublait seul le silence que la nuit procurait. Recroquevillé sur le rebord de la fenêtre de la bibliothèque, Maïwen lisait un minuscule ouvrage de poésie à la lumière de la lune. Certains le diront, il a gardé la passion de la lecture jusqu'à encore aujourd'hui.

En vérité, le jeune fidèle avait plus l'esprit tourné vers la conversation qu'il a entretenu pas plus tard que tout à l'heure avec la gardienne de la foi.
Il entretenait une relation particulière avec Nalyss d'Yzarn. Rares étaient les personnes en qui il accordait sa pleine confiance, que ce soit ou non au sein de la citadelle, mais assurément elle en faisait partie. Il sentait qu'avec elle il pouvait parler, sans qu'elles ne soient choquée.

Beaucoup peuvent cacher le fait d'être troublé par n'importe quel discours, rares sont ceux qui ne sont véritablement pas touchés par ce qu'on peut leur dire.

Par ailleurs, elle ne posait pas de question, elle avait pour sûr pu observer ses momentanées absences que beaucoup déclaraient inexistantes, sans doute qu'elle s'interrogeait, mais elle avait la décence de ne pas chercher à tarir ses questions par la demande de réponses.

L'adolescent avait bien sûr entendu tout ce qui se disait derrière son dos. Ce n'était pas bien difficile, ceux qui le critiquaient ne cherchaient pas vraiment, ou alors mal, à se cacher. Il était à ce sujet satisfait de lui-même. Il voulait qu'on le fuie, il ne voulait pas qu'on cherche à le connaître. Il voulait qu'on pense de lui qu'il cherchait à attirer l'attention et donc qu'on l'évite, qu'on l'ignore.

Il ne cherchait pas à juger non plus ceux qui le critiquaient. La plupart étaient sage et réfléchis. La plupart avait été intrigué par cet air de solitaire si utile pour lui encore aujourd'hui, avant de penser se rendre compte qu'il ne cherchait qu'à attirer l'attention.

Mais Maïwen n'est pas un enfant de coeur; il imaginait avoir une longueur d'avance sur tous ceux-ci, tel un joueur d'échec ayant prévu un coup de plus que son adversaire. Il ne se servait pas de cette avance pour atteindre, pour blesser, mais pour se protéger lui-même. La paix qui l'avait habité le temps durant lequel il a partagé la vie de celui qu'il ne nomme pas disparaissait peu à peu, et l'obligeait à construire de nouvelles barrières, l'obligeait à se concentrer encore d'avantage sur ce masque d'indifférence qui intriguait ou faisait peur.

Nalyss était différente; pour sûr, elle n'était pas gardienne de la Foi pour rien. Elle ne faisait pas partie de ces gens, qui cherchaient sans cesse la gloire ou la promotion.

Il n'avait aucune longueur d'avance avec ou contre elle, et ne cherchait pas à en avoir; sans doute de toute façon que bien qu'il essaierai il n'y arriverai pas. Parce qu'il la respectait. Parce qu'elle ne faisait pas partie de ce qu'on pourrait nommer les moutons d'un troupeau. Peut-être n'était-elle que la bergère, qui se devait de veiller sur chaque mouton sans faire aucune différence. Après tout, tel était son devoir, à ce qu'il avait déjà comprit. Mais au fond de lui, il se disait que tous dans la citadelle n'étaient pas égaux; penser le contraire pour lui était une idiotie.

Qu'avait-elle dit, au sujet de la divination ? Que c'était une préoccupation millénaire, dont l'origine remonte à celle des premiers hommes qui, déjà essayaient de deviner le destin qui régit les actes et l'avenir de chacun…
C'est une quête universelle puisqu'on ne peut citer un peuple dans l'histoire qui ne se soit pas servi de l'art divinatoire sous une forme ou une autre.

Il ne remettait pas en question le fait que l'Unique connaisse tout du passé, du présent, et du futur. Cela était normal, puisqu'Il était tout.
Il ne remettait pas non plus en question le fait que parfois, ce même Unique puisse ou doive s'adresser à un mortel.

Ce qu'il avait encore du mal à comprendre, c'est comment l'on pouvait distinguer les signes divins en les recherchant, purement et simplement. Sa conviction à ce sujet était que si l'Unique devait s'adresser à un mortel, celui-ci le savait, s'en rendait compte sans travail de sa part. Pour lui, on ne pouvait pas provoquer les signes de l'Unique par observation des étoiles ou des entrailles.

Voilà ce qui le troublait, cette nuit, pendant laquelle encore une fois il a choisit de veiller et de réfléchir plutôt de perdre du temps en un sommeil qui du reste lui aurait été inutile.
Plongé dans ses étonnantes pensées au vu de son jeune âge, il n'entendit pas un inconnu franchir la porte de la bibliothèque. Pourquoi Maïwen serait-il inquiet vis-à-vis de qui que ce soit ? Quelques critiques ne signifiaient rien du tout.
L'homme qui s'approchait, invisible aux yeux de Maïwen, portait une large cape, des gants, et une capuche qui couvrait la plus grande partie de son visage. Un homme couvert de noir, qui passe par la porte d'une bibliothèque. De jour, on pourrait en rire. Mais la nuit sait donner du poids à certains fantasmes.*
Le masqué, visiblement, ne semblait pas inquiet à l'idée que Maïwen puisse se retourner et le remarquer. Il resta plusieurs minutes, adossé de manière provocante et nonchalante à la porte. Il observait Maïwen.

Le fait que celui-ci passait ses nuits adossé précisément à cette fenêtre était de notoriété publique; tout un chacun était habitué au commencement de la journée de trouver un brun assoupi ou pensif, assis à la fenêtre de la bibliothèque. Nombreux étaient ceux qui s'en offusquait, mais rien n'interdisait encore le fait de passer sa nuit assit sur une fenêtre inconfortable plutôt dans un lit.
Mais une chute de sa part paraîtrait anodine. Il se sera assoupi et aura glissé, voilà tout.
Certains penseront peut-être que c'est bien fait pour lui, qu'il n'apportait de toute façon rien à personne. D'autres se contenteront de le pleurer, de l'enterrer, et de l'oublier. Bien peu se souviendront de lui longtemps.

Ce qui était certain, c'est que personne ne chercherait à comprendre. Et si quelqu'un essayait, comme la gardienne de la foi, il se heurterait à tous ceux qui pensaient qu'il n'avait fait qu'une simple chute mortelle. Et pour sûr, il abandonnera bien vite ses recherches et ferait taire ses interrogations.

Le crime parfait.

*Scott Lynch, à peu de chose près.
Maiwen
[Automne 1456]

- Qui .. Qui ... Êtes-vous ... Qui ... Que ...


Un bafouillage incompréhensible s'échappa des lèvres de Maïwen, venant expliciter encore d'avantage l'état second dans lequel il se trouvait. Il évoluait en fait, par passes extrêmement rapides, entre l'inconscience totale et la demi-conscience. Entre l'ombre et l'obscurité.

Le brun portant tant de stigmates de la vie sentit la prise étonnamment tendre se resserrer autour de lui. Que faisait-il encore allongé ? Pourquoi son tortionnaire ne l'avait-il pas déjà de force remit debout ? Le trouble provoqué par les coups, par les blessures qu'il portait, l'empêchait de se souvenir qu'est-ce qu'il faisait là. La lumière, son vide à lui, son paradis, ne venait plus. Il n'était qu'un homme mourant, tombé au sol dans un cachot obscure.

Le sol était étonnamment douillet. Il n'avait plus du tout conscience, que sa tête était simplement posée sur la poitrine de Nalyss.

*C'est donc ça ... la mort*


Une voix en lui résonnait néanmoins, pour lui rappeler qu'il était vivant, bien que sérieusement amoché. Était-elle intérieure, ou extérieure à lui ? Il n'était même pas assez conscient pour ne serait-ce que se poser la question. Après un laps de temps qui lui paru à lui interminable, qui correspondait en fait à à peine quelques secondes, ce qui semblait être une voix féminine emplie d'émotion s'adressa à lui. Il ne saisit pas vraiment le discours. Sans doute que sa sauveuse se présentait. Il comprit néanmoins quelques mots ... Veiller ... Vices ... Mais de quoi parlait-elle ? Il était ici parce qu'il le désirait. Ces chaînes physiques étaient là pour aider son esprit; trop tourmenté, il ne faisait vraiment plus la différence entre ce qui était bon pour lui et ce qui ne l'était pas. Elles lui étaient nécessaire, et voilà que désormais elles étaient détachées.

Du point de vue objectif, Maïwen était bien trop sonné pour parvenir à avoir un raisonnement sensé. Même pour lui, là, il avait prit beaucoup de coups.

Il sentit que quelque chose accompagnait sa tête jusqu'à un sol plus dur, avec une délicatesse dont il n'était pas ou plus habitué. Il se surprenait à ne pas être inquiet, comme si son subconscient savait véritablement à qui appartenait cette voix emprunte de sentiments qui lui paraissait si familière; et qu'il insufflait à ce qui restait de sa partie consciente une vague de calme.
Il sentit un vêtement, ce qui semblait être une cape, ou quelque chose d'équivalent, venir couvrir son intimité - ce qui lui restait de dignité, c'est-à-dire pas grand chose.

Une nouvelle vague incompréhension venu remplacer le calme. Qui était cette femme ? Que venait-elle faire ici, quelle était la raison de sa présence dans ce cachot caché du public ? Seul Lui et ses bons amis connaissait encore son existence. Pour les autres, il était parti, sans donner d'explication certes, mais nulle loi n'obligeait les fidèles à justifier de leur départ.
A dire vrai, le brun était persuadé que son départ était passée inaperçu. Et bien que ce ne soit pas le cas, ce départ ne restait pas moins nécessaire pour lui comme pour les autres. Maïwen avait une confiance absolue en lui.

Il voulait guérir. Il n'en pouvait plus de cette existence, il n'en pouvait plus de cette différence. Il était prêt à tous les sacrifices pour ne plus entendre cette voix.
Son sauveur le lui avait expliqué. La Voix avait beau être rassurante, il avait beau se sentir bien lorsqu'il n'était pas dans son corps, cela devait cesser. Son vide n'était pas réel, même s'il y croyait de tout son esprit lorsqu'il s'y trouvait.

Et la seule guérison possible, pour le rattacher à la vie, restait la souffrance. Lorsqu'il pourrait à nouveau se trouver en présence d'autres sans risquer de les blesser, ou même de se blesser lui-même, alors il retrouverait sa liberté. Il en était persuadé.
Pourquoi alors, était-il confiant et calme en présence d'une personne qu'il n'arrivait même pas à identifier ? Étaient-ce ces blessures qui le conduisait à faire confiance à quiconque se montrerait bienveillant à son égard ? Était-ce une forme d'instinct de survie, cet instinct animal qui s'éveille en chacun de nous lorsque nous trouvons en situation fort désavantageuse ?

Il entendit la porte du cachot se refermer, il entendit un verrou l'enfermer à nouveau. Le calme qui l'avait habité le temps de la présence de la gardienne de la foi disparaissait progressivement, au fur et à mesure que celle-ci s'éloignait pour aller - Sans qu'il le sache - chercher de l'aide auprès d'Ernest.
Le corps du brun fut traversé de petits sursauts, ou peut-être de grands frissons. Une petite voix, en lui s'exprimait. Elle n'avait plus rien de rassurant, comme la voix calme qu'il avait entendu plus tôt et qui désignait Nalyss comme une amie en qui il devrait avoir confiance. Cette voix qu'il entendait, était une sorte de chuchotement inquiétant. Ce chuchotement pouvait peut-être être expliqué par le refus qu'il avait désormais de sombrer dans son vide pourtant si accueillant, le dénis qu'il puisse être réel. Il entendait deux mots en boucle : Calme-toi... Calme-toi ... Calme-toi ...
Deux mots, tout bas prononcé, deux mots répétés , comme le refrain d'une mélodie qui avait l'effet contraire que celui que la Voix - Peut-on véritablement l'appeler son subconscient sans prendre parti ? - recherchait. Il ne se calmait pas, loin de là.

Maintenant que Nalyss était relativement éloignée de lui, qu'elle avait rejoint les autres fidèles, son corps était assailli par de véritables sursauts. Quiconque l'aurait trouvé là l'aurait pensé, au choix, fou ou mourant. Ou les deux. Peut-être d'ailleurs, était-ce le cas, ou devrait-ce l'être. Sa respiration, à nouveau, était saccadée. Aujourd'hui, on déclarerait certainement que le jeune homme était en pleine crise d'épilepsie.

Mais quoi qu'il en soit, il était seul. Désespérément seul, en prise à ses folies.
Ernest. , incarné par Maiwen
Le funeste, c'est comme ça qu'il s'appelait. Lui, à peu près le dernier garde de la Citadelle à défendre ses convictions personnelles et pas les ordres des uns ou des autres des averroïstes composants d'une alliance au bord de la ruine. Du moins était-ce son avis. Le pire, c'est qu'ils ne donnaient pas l'air de s'en rendre compte. Ils continuaient, comme si de rien n'était, les uns dans le sud, les autres à développer quelconque nouvelle infrastructure dans le nord du royaume.... Comme s'ils n'avaient pas assez de pain sur la planche comme ça.
Du moins, jusqu'à que la goutte d'eau suivante fasse enfin suffisamment déborder le vase qui du reste était déjà bien fendillé.

Enfin, tout ceci ne le regardait pas. Il était hazam, il avait formulé le vœux de défendre la Citadelle et ses habitants. A sa manière, c'est exactement ce qu'il faisait, et il avait décidé depuis quelques temps que nul n'aurait plus jamais à lui donner quelconque ordre dans cet objectif. Nul n'avait au final un indispensable besoin de lui, et quoi qu'il en soit, lui n'avait besoin de personne.

Ces temps-ci, il s'affairait à faire attention à Nalyss d'Yzarn, la Gardienne de la foi. Au vu de sa nature tempétueuse qui la poussait sans cesse à de mettre dans des situations invivables, ainsi qu'au vu des troubles qu'il était à peu près le seul à percer à jour, il se pourrait qu'elle aie besoin d'une aide imprévue, et ce, peut-être très bientôt.

C'est en observant plus ou moins attentivement un groupe d'hazam s'entraîner qu'Ernest ressassait ces pensées.
Le funèste n'avait donné qu'une instruction au début du combat : Pas de feinte, pas de coup bas. Selon lui, sur un champ de bataille ou simplement dans le feu d'un combat, on était trop poussé par l'adrénaline pour réfléchir à tromper l'autre par feintes ou autre technique qu'il considérait comme plus qu'hasardeuse. Seuls la technique et les réflêxes importaient. Et l'un comme l'autre ne pouvaient s'acquérir que par un moyen : L'entraînement.
Aucun des deux combattants n'arrivaient à tromper la garde de l'autre, les coups directs n'avaient plus d'incidence à force de combats. A chaque coup, une parade, une contre-attaque, et une parade. Ainsi de suite. Ernest s'approcha deux, et prononça quelques mots. Il parlait peu, et bien, le funeste.

- Vous pouvez faire des feintes. Évitez de vous transpercer tout de même.

Ernest s'approcha ensuite d'un autre groupe de combattant, plus novices. Les deux jeunes hazams avaient des gestes plus désordonnés, plus maladroit. On voyait bien qu'ils étaient moins habitués à se battre. Il prononça des mots qui pour lui étaient banals, leur montra à nouveau les positions de défense de base; qui tenaient en une position de garde.
"L'éventail", qu'il appelait ça. Épée parallèle au corps, en formant un éventail autour du corps on pouvait contrer tous les coups de taille. Suffisait ainsi de faire varier la hauteur en fonction des coups donnés. Une fois cette technique parfaitement intégrée, on devenait une sorte de muraille vivante avec uniquement des réflexes. Et on était prêt pour intégrer les feintes. Là était la théorie du moins.

Le garde se détourna ensuite des combats. Au fond il devenait vieux, bientôt il serait l'heure de rendre l'épée et d'enfin prendre du repos.
Il quitta ainsi la grande salle, prenant un couloir aléatoire. Il désirait simplement se retrouver seul quelques instants.

C'est là qu'elle a déboulé, comme un boulet de canon. C'est là que Nalyss d'Yzarn, celle qu'il s'était juré de protéger, lui rentra littéralement dans le lard, tâchée de sang.

- Dóna Nalyss ... Qu'est-ce qu'il vous arrive ? Vous êtes blessée ?

Ses deux mains viennent doucement mais fermement se plaquer sur les épaules, pour la forcer à reculer légèrement. C'est d'une main qui tremblait légèrement qu'elle répondit.

- N .. Non. Je ne suis pas blessée. Du moins, pas physiquement.

D'un regard qu'elle voulait calme, elle fixa le vieux garde.

Ernest. Venez, vite. Croyez-moi, c'est une question de vie ou de mort. Je répondrai de mon mieux à toutes vos questions, plus tard. Pour le moment, je vous prie, suivez-moi.

Le garde fronça les sourcils, peu habitué à ce genre de demande. Mais il sentait bien qu'il se tramait quelque chose, et que cette chose était tout ce qu'il y avait de plus sérieuse. Alors il hocha la tête, pour signifier son accord.

- Je vous suis.
Nalyss
[L’homme Imperméable.
de Chloe Douglas.


Quand l’Averroïste avait traversé l’aile aux Hazams sans être à la vue de l’un d’entre eux, elle se sentait déjà plus à l’aise, se rassurant tant bien que mal en se disant que la tragédie qui s’était tramé à l’étage plus bas n’était pas l’œuvre d’un Novice qui découvre encore tout de leur fonctionnement, de leurs us et coutumes en ce lieu ou même d’un Fidèle qui vit pour le moins singulièrement. La Gardienne de la Foi avait regagné la chambre qu’elle avait à la citadelle en rasant presque les murs, attentive aux bruits qu’elle entendait de temps à autre. Elle avait récupéré - au préalable - le temps de sa déambulation, une outre qui servirait tant à hydrater Maïwen qu’à le rafraichir en lui enlevant quelques traces de sang du visage mais aussi à laver succinctement quelques-unes de ses plaies. Sang qui d’ailleurs à présent sec se craquelait sur les mains de Nalyss; elle l’avait remarqué quand ses yeux s’étaient arrêtés un instant sur sa main qui clenchait. Elle n’aimait pas cela mais ce n’était-là qu’un détail, un insignifiant détail.


Il est un nuage
qui marche dans le ciel.
Il ne sait pourquoi,
et il ne sait comment.



En arrivant dans sa chambre, l’Averroïste s’était rendu automatiquement près du bassin à laver et avait versé de l’eau dans l’outre à l’aide de l’aiguière avant de placer cette dernière bien remplie et quelques linges de lin dans une besace attrapée au passage. Elle ouvrit un coffre d’où elle sortit une tunique d’homme - une de celle ayant par le passé appartenu à Nakin - qui serviraient à rendre à l’adolescent de sa dignité, il le méritait. Elle la plaça dans la besace, celle-là qui était à présent en bandoulière sur l’une de ses épaules partant ainsi à la recherche d’Ernest. D’une part, il n’était pas dans les jardins quand elle l’avait fermement hélé par la fenêtre, il n’y avait eu aucun bruit si ce n’est ceux de la faune. Et d’autre part, elle ne prendrait pas le risque de se rendre - dans l’état dans lequel elle était - à la bibliothèque. Il ne lui restait plus qu’à regagner les quartiers où vivaient principalement les Hazams, il y avait plus de probabilité de l’apercevoir là-bas.


Il est un nuage
qui cherche de la pluie
et ne sait pas pleurer;
il est sans tonnerre, ni éclair.



A dire vrai, il n’y avait pas vraiment de hasard, Nalyss en était certaine quand elle se heurta à la seule présence qui lui inspirait une totale confiance. La vie était à la fois déstabilisante et surprenante; il était là passant ses mains sur ses épaules et détaillant la Gardienne de la Foi qui passait d’une peur presque panique d’être face au traitre gravitant dans l’anonymat et la malveillance auprès de la communauté à un semblant de tranquillité, d’apaisement aussi plaisant et enivrant qu’affreusement éphémère d’avoir à son contact quelqu’un qui l’avait pris quelque part en affection veillant sur elle sans attendre un dû. Après l’échange qu’elle avait brièvement eu avec Ernest - ne souhaitant pas perdre davantage de temps et craignant pour la vie de Maïwen -, elle s’aventura à nouveau dans l’escalier, la main s’appuyant sur la paroi en le descendant faisant ainsi attention à ne pas être très bruyante avec l’Hazam marchant dans ses pas.


Il est fait de brumes,
de musiques nostalgiques;
sans vision, ni espoir.
Ses traces sont légères.



Elle traversait l’interminable allée sans s’adresser à Ernest - ressentant néanmoins une étrange sensation au creux du ventre; l’appréhension revenait à mesure que la distance entre elle et Maïwen rétrécissait -, allée dans laquelle les courants d’air balayaient peu à peu sa peau. Que se passait-il ? Ce n’était plus la caresse de ses précédents passages, la caresse occasionnée par ses pas faisant preuve de mesure et de sécurité. La Gardienne de la Foi était ailleurs, ne faisant plus attention au bruit de ses pas résonnant aléatoirement dans l’allée car à mesure qu’elle se rapprochait du cachot, elle avançait d’un pas tout-à-fait rapide trahissant un sentiment d’empressement qui semblait être vital. Elle l’avait saisi en remarquant à son arrivée près du cachot la précaution avec laquelle le Funeste avançait, détaillant au passage les alcôves ainsi que l’allée dans sa totalité qu’il traversait s’assurant certainement qu’il n’y avait pas d’âmes qui les auraient suivis jusqu’ici.


Il est comme un nuage
parce qu’il n’ose pas encore.
Il ignore que ses ailes
viennent de l’intérieur.]



La clé maintenant dans les mains tremblantes de Nalyss - celle qui d’ailleurs l’avait tranquillisé quelques instants quand elle avait du laisser l’adolescent dans le cachot à l’abri malgré cela de la cruauté humaine qu’il avait reçu jusqu’à présent - eu un peu de mal à faire céder le verrou de la porte. Elle l’ouvrait offrant ainsi à celui qui l’accompagnait la réalité de ce qu’il se tramait dans cette citadelle bien caché à la vue de la plupart de la communauté. D’ailleurs, qui était au courant de cela ? Malcolm ? D’autres ? Elle se gardait bien de partager ses pensées en avançant jusqu’à la pauvre âme malmenée. L’Averroïste enlevait la besace de l’une de ses épaules la laissant à terre près d’elle tandis qu’elle s’agenouillait à nouveau attirant Maïwen à elle de la même manière que précédemment, comme-ci elle ne l’avait jamais quitté avant de lui adresser quelques phrases qui résumaient le principal. Je ne partirai pas sans toi. Maïwen, tu n’es plus seul.

Elle jeta un regard à Ernest qui jaugeait assurément mieux la situation qu’elle - en tout cas avec plus de recul et de clarté; ça elle en était certaine - tandis qu’elle versait déjà un peu d’eau sur un linge de lin qu’elle passait aussitôt au visage de l’adolescent avec une délicatesse à toute épreuve. Un peu de fraîcheur ne lui ferait pas de mal et l’aiderait peut-être à reprendre ses esprits. Qu’en pensez-vous Ernest ? Aucun être humain n’a à être traité ainsi; il faut l’emmener ailleurs, il faut partir de cette citadelle. Et la phrase de s’abattre telle une sentence, une sentence qu’elle aurait souhaité ne pas avoir à émettre. *La seule limite à notre épanouissement de demain est ce que l’on nomme le doute. Aujourd’hui, j’ai appris à faire face à la réalité de la situation. Et surtout je ne doute plus Ernest. **Cette cupidité qui a empoisonné l’âme humaine, elle a hérissé le monde des barricades de la haine. Il est temps de nous réapproprier notre Foi; celle qui aujourd’hui est entre de mauvaises mains et de nous épanouir en revenant à des valeurs d’antant respectant la parole d’Averroès et cet héritage qui m’a été transmis et mis dans les mains.

Maïwen, tu m'entends ? Car avant d'ébranler ce château de cartes qu'était finalement la Sainte Alliance aux mains de Malcolm et de toute cette folie destructrice en lui; il fallait mettre Maïwen à l'abri.


* Citation de F. Roosevelt.
** Inspiration de C. Chaplin.
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