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[RP] De bafouilles en vadrouilles...

Aloan
Date: 4 avril 1461
Lieu: Sous un chêne, à Epinal


Rrrrrrrr! Rrrrrrrrr!

Un promeneur égaré aurait pu croire qu’on sciait du bois. Que nenni!
Allongé contre le tronc d’un vieux chêne, les yeux clos, Aloan profitait de quelques rayons dérobés au soleil encore timide du printemps. De quoi se réchauffer les os et se voir surprendre en plein roupillon par un bruissement d’ailes.


Hein? Quoi?

Le bruit avait fait sursauter le Lorrain d’adoption et il ne reconnut pas tout de suite l’endroit où il se trouvait. Petit à petit la mémoire lui revint cependant:

Epinal... escorte de marchands... tout dépensé en taverne... plus un rond pour se payer une auberge...

Il bailla et s’étira longuement avant que celui qui avait écourté son sommeil ne se rappelle à lui:


Rouuucouuuuule! Rouuuucouuuule!

Tiens, un pigeon!

C’était toujours un mystère pour Al de comprendre comment ces bestioles à l’air si stupide au demeurant, réussissaient à le retrouver, où qu’il soit. D’autant plus qu’il n’avait aucun correspondant régulier à ce moment-là. C’est alors qu’il se souvint vaguement d’avoir envoyé une demande de laisser-passer le matin même. Seulement il ne s’attendait pas à avoir de réponse avant une ou deux semaines. C’était le délai habituel pour ce genre de paperasseries.

Hum! C’est mauvais signe d’avoir réponse si vite.

Il allait remettre à plus tard la lecture du refus probablement aussi poli qu’impersonnel que la Prévôté de Bourgogne avait du lui écrire à la hâte, lorsqu’il aperçut le sceau qui ceignait le parchemin.

Bon sang! s’écria-t-il en attrapant le volatile et détachant la missive.

Il parcourut la lettre avec étonnement, émotion et une joie teintée d’appréhension.



Mon frère,

Voilà si longtemps que je n'ai donné de nouvelles, ni à Père ni à aucun d'entre vous. La moitié d'âme que j'ai perdue le jour que tu sais n'a pas été retrouvée, je m'en suis fait une raison... Je me sens fin prêt à revenir prendre ma place. Actuellement je suis à Poligny et l'on m'a parlé en taverne d'un certain Aloan dans la région. Je te fais parvenir ce pli pour savoir si tu m'acceptes à tes côtés, le temps de voir où notre destin nous attend,

Ton frère,
Equemont


Repliant celle-ci sitôt lue, il se releva, épousseta ses habits et ramassant le pigeon, partit en quête de parchemin pour répondre à Equemont.

Sur le chemin, il se repassa le fil de leur dernière rencontre.
Al devait avoir dans les dix ans et son frère cinq de plus quand ce dernier avait quitté la demeure familiale. Il en était certain, c’était avant sa dernière fugue, celle qui l’avait conduit chez les moines et qui avait scellé la fin des réjouissances entre son père et lui.

Ainsi, Equemont est bel et bien vivant!

Quel drôle de hasard les avait mis sur la même route, même si Aloan ne conservait qu’un souvenir plutôt vague - noyé dans les vapeurs d’alcool - de son passage à Poligny.

Arrivé en taverne, Al se fit prêter plume et parchemin par une dame du coin et commença à rédiger une réponse à son frère sur un coin de table.



A Equemont de Salar, Mon frère depuis trop longtemps perdu de vue,
D’Aloan de Salar, Epinal.

Que la peste noire me couvre de bubons si je m’attendais à recevoir une telle missive!
Mon frère, bien portant, et se trouvant à peine à quelques jours de marche de moi!
Il faudrait me couper les deux jambes pour m’empêcher de venir à ta rencontre, ô mon frère retrouvé!
Mais tu gardes le silence sur ce que tu as fait depuis toutes ces années. Je te retrouve bien là, toi si secret et si peu loquace sur les choses qui t’émeuvent.

L’évènement auquel tu fais référence a toujours plané comme une ombre malfaisante sur notre famille. Tu n’étais plus là pour le voir, mais Père n’a plus jamais été le même homme après cela. Même pour un gosse de mon âge à l’époque, cela paraissait évident.
Tu as quitté un garçonnet de dix ans et me voilà devenu homme, tout comme toi!
Toutefois il vaut mieux que tu saches que mes relations avec Père ne sont pas au beau fixe. C’est bien simple, nous ne nous parlons plus depuis qu’il m’a envoyé chez les moines pour parfaire mon éducation. Bref, laissons-là ce sujet, nous en reparlerons de vive voix.

Depuis, j’ai voyagé un peu partout à l’ouest de l’Empire jusqu’à il y a peu, où j’ai finalement fait l’acquisition d’un lopin de terre en la ville de Nancy. A dire vrai lorsque j’arrivai là-bas, je me souvenais à peine de mon nom ce qui fait qu’on a écrit sur mes papiers de résidence que j’étais originaire de la ville. J’y ai vu le signe pour moi de poser mes braies pendant quelques temps et d’essayer de construire quelque chose. Mais les vieilles habitudes ont la vie dure et ta missive me cueille en pleine vadrouille, alors que j’accompagnais une famille de marchands nancéens.
Toutefois la perspective de te voir est plus forte que tout et je décide sur le champ de venir te rejoindre en Franche-Comté. A moins que tu y voies un inconvénient, je ne saurai être auprès de toi avant une bonne semaine, mes finances étant quelque peu déficitaires.

Mais parle-moi un peu de toi à présent. Que fais-tu à Poligny? As-tu pris femme depuis tout ce temps? Et tes projets d’entrer au service d’un preux chevalier?
J’éprouve grande hâte à te serrer dans mes bras, ô mon aîné!

Que le Très Haut te garde,

***AldS***


Il relut sa lettre et en corrigea quelques erreurs, puis la cacheta avant de renvoyer le pigeon à son propriétaire.
_________________
Equemont
7 avril 1461, au soir
Poligny, sur la colline dominant la ville


La bête réagissait à la moindre impulsion. Cette impression de communion avec sa monture était un travail de plusieurs années. Equemont se félicitait intérieurement de cette réussite qu'il considérait comme l'unique de sa vie.

Le hennissement de la jument lui indiqua qu'elle voulait galoper. Il relâcha un peu la bride, sera ses jambes puis la mit à l'allure. Il ferma les yeux, laissant flotter sa longue chevelure blonde dans le vent. Après avoir fatigué l'animal, il la mit au pas, puis s’arrêta, le laissant gambader pour qu'il se détende.

Depuis quelques jours il venait attendre le coucher du soleil sur ce promontoire, observant la Poligny fourmillante du soir. Ces minutes solitaires lui permettaient de rêvasser à sa guise. Ça lui donnait l'impression de quitter sa triste condition quotidienne.

Il ne pouvait s'empêcher de se demander à quoi ressemblait son frère Aloan. Il ne savait même pas si leur père était encore vivant. Souvent, il faisait allusion à son passé en taverne, mais jamais il n'avait raconté à quiconque ce qui le rongeait de l'intérieur.

Quand il avait entendu parler de son frère par un voyageur en provenance de Lorraine, il y avait vu un signe du ciel. Il leva la tête comme pour remercier le Très-Haut.

Soudain, il vit un oiseau qu'il reconnut rapidement comme étant le pigeon envoyé à son frère quelques jours auparavant. Il se précipita sur le pli, le cœur brûlant. L'émotion l'empêcha de comprendre ce qu'il lisait et il dut s'y reprendre pour lire avec précision.

Ses premières impressions furent les suivantes : Al écrivait bien, on sentait dans son style qu'il était devenu un jeune homme épanoui. Jamais il n'avait pu le protéger, comme un grand frère veille sur son cadet. D'ailleurs était-il à même de protéger quelqu'un ?

Ainsi Aloan avait décidé de venir à sa rencontre. Or il devait aller à Dole pour vendre quelques sacs de blé. Sortant sa carte de la région fraichement achetée, il constata que la route de son frère passait forcement par là. Ils s'y rejoindraient donc...


Le lendemain matin

De bonne heure avant de partir au champ, il prit sa plume et le parchemin qui lui restait.



A Aloan de Saral

Mon cher Al,

Recevoir ta lettre m'a mis dans un tel état d'émotion que tu peux encore voir à mon écriture que ma main tremble. Tu es donc bien celui dont on m'avais parlé ! Je regrette tellement de n'avoir pas été à tes côtés pour te voir grandir et j'appréhende le moment de notre rencontre. Nous reconnaitrons-nous ? Je ne t'abandonnerai plus, je te le promets. Tu me demandes si j'ai pris quelque engagement, tout ce que je peux te dire, c'est que pour l'heure je suis libre comme le vent, ni femme, ni enfant et peu d'attaches...

Te souviens-tu de ces soirées où nous allions-tous les trois sur la colline face à la maison ? Une fois tu lui avais demandé pourquoi elle était courtisée par les garçons de Salar. Ca m'avait énervé, je ne supportais pas l'idée que ces idiots l'approchent. Je vais devoir me faire à l'idée que tu n'es plus ce petit garçon de dix ans aux remarques naïves. Tu sembles être un jeune homme pétillant de vie. Ta joie commence déjà à m'illuminer !

Je dois faire une livraison à Dole donc je te propose que nous nous y retrouvions. Ce vaillant petit pigeon saura nous faire nous retrouver. Dans l'attende de ce moment, je veux te dire de suite que j'ai une surprise pour toi ! J'espère que ça te plaira...

A très bientôt,
Equemont


Il roula le parchemin et l'attacha à la patte du pigeon. Puis prenant sa cape, il sortit et l'envoya dans les airs. Les yeux rivés au ciel il le fixa jusqu'à ce qu'il disparaisse de l'horizon.
_________________
Aloan
6 avril 1461,
Epinal, à l’Auberge du Terrier enfumé,


Aloan passait en revue une dernière fois son paquetage.

Provisions pour la route, c’est bon... Une paire de chausses propres, elle y est... Mon poignard de secours, caché dans la doublure... Bon, je crois que j’ai rien oublié!


- Bom! bom! bom! On frappait à la porte de sa chambre.
- Heu, oui? C’est pourquoi?
- On a déposé un mot pour vous, m’sieur!


La voix était celle d’un enfant, sans doute le gamin de l’aubergiste. Al fit quelques enjambées et ouvrit la porte. Un mioche d’une dizaine d’années lui tendit un feuillet plié en quatre à contre-coeur, comme pour quémander une pièce après avoir fait l’effort de grimper les dix marches qui les séparaient de la salle d’auberge.

Hum. Qui l’a déposé? fit Al en glissant sa main dans sa poche, le mioche gardant les yeux fixés sur son geste.
Une dame.
Quelle dame?
demanda Al, intrigué.
Je sais pas, une dame d’ici, gentille et tout.

Al sortit une pièce de sa poche et commença à la faire sauter dans sa main, tout en lisant le mot de l’autre.

Colombe de Singrist.

Le nom lui revint en mémoire aussitôt. C’était la cavalière qu’il avait rencontrée deux jours plus tôt en taverne et qui lui avait prêté son nécessaire à écriture pour qu’il réponde à son frère. Une femme plutôt jolie et apparemment très appréciée par les gens du coin.
Elle lui proposait de se joindre à elle pour rejoindre la Franche-Comté.

- Quand est-ce qu’elle a déposé ce mot? fit Al en refermant sa griffe sur la monnaie et fixant ses prunelles sur l’enfant.
- Heu... hier soir je crois. Mais comme vous n’étiez pas dans vot’ chambrée et...
- C’est bon, j’ai compris! La prochaine fois qu'on te confie un mot, tâche de faire la tournée des tavernes avant de renoncer.
le coupa Al en lui lançant la pièce et refermant la porte aussitôt.

A l’heure qu’il était, Colombe avait sans doute déjà pris la route. Mais avec un peu de chance, il pourrait peut-être la rattraper. Saisissant son paquetage, il sortit de la chambre et alla trouver l’aubergiste, qui était en train de nettoyer les tables.

- Hola l’ami. Vous sauriez me dire où je puis trouver du papier et de l’encre? C’est assez urgent.
- Ah bah devriez en trouver derrière le comptoir. Y a un client qui en a oublié le mois dernier.
fit l’homme sans interrompre sa tâche.

Al remercia l’homme d’un mouvement de tête et passa derrière le comptoir où il trouva en effet du papier de facture médiocre et une encre à moitié séchée. Toutefois il arriva à en tirer quelque chose d’à peu près convenable.




A dame Colombe de Sigrist, sur les routes de Franche-Comté sans doute à cette heure,
D'Aloan de Salar, Epinal,

*barré* Chère amie,

J'espère que vous ne m'en voudrez pas pour la qualité médiocre du papier avec lequel je vous réponds, mais j'ai du me contenter de ce que je trouvais. En l'occurrence, il s'agit du papier à lettre de mon aubergiste, un homme quelque peu rustaud mais au demeurant fort sympathique. Après notre discussion de l'autre jour, j'aurais voulu pouvoir vous offrir mieux. Mais à défaut de mieux, j'ai fait au plus rapide.

J'en viens à l'essentiel.

Je suis flatté que vous ayez pensé à moi pour vous accompagner et je dois bien l’admettre, votre compagnie aurait été pour moi un réel enchantement. Toutefois vous ne me donnez aucune indication sur le lieu où je puis vous retrouver et il semble que vous ayez déjà quitté la ville. Qu’à cela ne tienne, je comptais de toute façon prendre la route ce soir, seul ou non.
Toutefois, en lisant ces lignes, ne changez surtout pas vos plans pour moi, je suis un grand garçon et je saurai trouver mon chemin bon gré mal gré.

Dans l’espoir, chère *barré* Colombe, de croiser à nouveau votre chemin dans un avenir proche, je vous adresse mes salutations les plus enjouées,

Bien à vous.

***AldS***


Il relut la lettre et se mit en quête d'un volatile pour la faire parvenir à sa destinataire.


Quelques heures plus tard,

Al était en train de passer le Guet et remplir les formalités d'usage pour quitter le Duché de Lorraine lorsqu'un battement d'ailes lui frôla le haut de la tête.


- Te revoilà déjà!

Attrapant la patte du volatile, Al en détacha le parchemin et se mit à le parcourir.



Bien cher Aloan,

Effectivement, je suis déjà sur les routes, je suis partie hier soir.
En réalité, je devais partir avec l'Ordre des Lames dont je fais partie, mais trop épuisée par mon travail dans les mines, je n'ai pu me reveiller à temps, et mes compagnons sont partis.

Je dois donc fournir mille efforts afin de les rattraper, mais avec le galop rapide de ma jument, cela ne saurait tarder. J'ai mesme le temps de cueillir des herbes médicinales ça et là, en chemin.

Effectivement, avoir de la compagnie, et plux exactement la vostre, m'eût été fort agréable, d'autant plus que vous aviez, dans nostre dernière discussion, porté à ma connaissance le faict que vous alliez rejoindre vostre frère en Franche-Comté. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je m'etais tout naturellement adressée à vous.
Néanmoins, j'étais déjà fort en retard par rapport à l'avancé de mes compagnons, et de ce faict, je n'ai pu attendre, vous m'en voyez navrée.

Je n'aime pas vraiment la solitude, surtout sur les noeuds. Mais si le très Haut en a décidé ainsi, alors il me faut me résigner et accepter.
J'espère que vous trouverez quelques gens pour vous accompagner dans vostre périple qui vous permettra de retrouver vostre frère. Et quoi qu'il en soit, je ne puis que trop vous recommander de vous montrer prudent.

Peut-estre que nous aurons la possibilité de nous revoir prestement. Lors de mon voyage de retour, sans doute.

A mon tour de vous adresser mes plus respectueux sentiments.

Vostre amie,

Colombe


Bah voilà. C'est fichu.

Découragé, c'était le mot qui qualifiait le mieux ce qu'Al ressentit en lisant la lettre. Une lettre polie et respectueuse, mais qui ne laissait planer aucun doute sur le fait que son expéditrice était très occupée et surtout pressée de retrouver son Ordre, ce qu'Al comprenait tout à fait.

D'un autre côté, il se sentait bien seul et n'avait pas reçu d'autre missive de son frère depuis sa réponse. Après une nuit de réflexion et son arrivée à Luxeuil, Al se mit donc en quête de papier et d'encre et récrivit à Colombe.

Au pire, elle ne répondra pas. Au mieux, je la ferai rire et peut-être entretiendrons-nous une correspondance!
Colombe_de_singrist
[Quelque part, sur les routes de l'Empire,
7 avril 1461]


Une nouvelle journée de voyage s'annonçait. Colombe s'était réveillée aux premières lueurs du jour. Un timide rayon de soleil était venu chatouiller ses paupières, mais lorsqu'elle ouvrit les yeux, ce fut une brume matinale qui l'entourait. Une légère brume, certes, mais suffisante pour ne distinguer que des silouhettes. Le feu qu'elle avait fait pour passer la nuit près d'une source de chaleur, était désormais bien faible. Elle ota la couverture dans laquelle elle s'était enroulée. L'air était assez frais. Il ne fallait pas tarder, sans quoi, elle finirait par prendre mal. Elle fit quelques efforts pour raviver quelques braises, puis fit quelques pas. La veille, elle avait repéré un champ dans lequel paissaient quelques vaches. Quelle aubaine !
Elle s'approcha malgré la brume qui d'ailleurs commençait à se dissiper sous le soleil volontaire, et la silhouette du ruminant vers laquelle elle se dirigeait s'affirma un peu plus, jusqu'à devenir une vache. Elle posa sa main dessus. Douce et non moins appréciable chaleur !
Elle s'accroupit à ses cotés, puis sortant un quart en étain, entreprit de traire la Montbeliarde. Pas grand chose. Juste de quoi boire un peu de lait, avant de reprendre la route. Son but n'était pas non plus de voler l'éleveur.
Lorsque ce fût fait, elle s'en retourna auprès de son feu maintenant plus vif. Et posa le quart en étain sur quelques braises rougeoyantes.
Le temps que cela chauffe, elle en profiterait pour rouler sa couverture et la ranger dans l'un des sacoches cavalières d'Akita.
C'est alors qu'un pigeon se mit à l'appeler depuis le chêne où il s'était posé.
C'était le pigeon qu'elle avait renvoyé la veille à son ami Aloan. Elle sourit et invita le volatile à descendre de son perchoir. Celui-ci s'executa et lui délivra le message dont il était porteur.




A dame Colombe de Singrist, sur les routes entre Vesoul et Dole,
de Aloan de Salar, Luxeuil,

Chère amie,

Quelle drôle de coïncidence! Une femme au prénom synonyme de paix qui pourtant se bat aux côtés d'hommes et de femmes et défend les intérêts de l'Empire au mépris de sa propre vie. Non pas que l'un et l'autre soient incompatibles, mais je trouvais cela cocasse, c'est pourquoi je me permets d'y faire référence.

Ainsi vous faites partie de l'Ordre des Lames! Je l'ignorais et vous pardonne tout assurément d'avoir filé ainsi sur le dos de votre monture. J'admire bien trop l'engagement qui est le votre pour oser ne serait-ce qu'envisager vous détourner de votre devoir un seul instant.

C'est donc seul que j'ai pris la route, tout comme vous, et ma foi le voyage se déroule fort bien pour le moment. Aucune rencontre malencontreuse. C'est parfois en taverne qu'on se plaît à regretter d'être entré en saluant l'assemblée d'un ton enjoué, lorsqu'en guise de réponse ne résonne qu'un silence pesant. Moments de solitude ou l'absence d'une hypothétique compagne de voyage se fait plus cruellement ressentir.

Toutefois, chère amie, il faudra que vous m'expliquiez un jour ce que vous entendez par "noeud". Car de noeud, je connais ceux qu'on pratique sur les bateaux, ceux qu'on a parfois à l'estomac ou encore ceux qui vous serrent le cou comme des papillons. Mais ceux dont vous parlez, je crois bien que je n'en ai jamais rencontrés.

Je vous taquine un peu, mais c'est que vous m'aviez fait l'impression d'une personne à l'esprit vif et ouvert lors de notre courte rencontre à Epinal. Je me fie toujours à ma première impression d'une personne, surtout lorsqu'elle est bonne. Ai-je tort de le faire? Mon expérience m'indique plutôt le contraire jusqu'ici.

Pour conclure, je vous confirme que mes pas me rapprochent chaque jour de mes retrouvailles avec mon frère. Je m'inquiète d'ailleurs, car depuis mon message je n'ai reçu aucune nouvelle de sa part. Aurait-il changé d'avis sur l'idée de me revoir? J'espère que non.

C'est donc avec une petite appréhension dans le coeur mais aussi la foi que l'optimisme reste de rigueur, que je me dois de vous saluer déjà.

Que votre voyage se passe sans entraves,
Et que le Très Haut vous garde,

Amicalement

***AldS***


Elle sourit et seul un mot sortit de ses lèvres tandis qu'elle finissait de lire la lettre: Aloan...

Lorsqu'elle l'avait rencontré ce soir là, en taverne, à Epinal, elle ne se doutait pas que cela les mèneraient à une amitié qui s'annonçait solide.
Et dans la solitude de sa route, une lettre était toujours la bienvenue.
Elle avala son lait chaud, rangea ses affaires dans les sacoches latérales de la selle d'Akita, puis en sortit une petite cage réalisée en batonnets de bois, dans laquelle elle plaça le pigeon voyageur, pour le garder près d'elle jusqu'à ce qu'elle réponde à Aloan.
Pour l'heure, il lui fallait reprendre sa route, et sans plus tarder. Elle écrasa les braises du feu avec ses bottes, afin d'éteindre ce dernier.
Puis elle monta en selle, et fit partir sa jument au galop. Il n'y avait plus une minute à perdre si elle voulait retrouver ses compagnons le plus rapidement possible. Elle répondrait à Aloan un peu plus tard


Lettre publiée avec l'accord du JD Aloan

_________________
Aloan
7 avril 1461,
Luxeuil, dans une taverne,


Finalement Luxeuil n'est pas si mal!

La journée avait plutôt mal commencé pour Aloan qui pensait être tombé sur une ville fantôme. Mais peut-être simplement que cette ville-là comptait davantage de gens laborieux que d'autres dont les tavernes ne désemplissaient pas.

Il avait écrit à Colombe dans la matinée, ce qui avait fait passer le temps plus vite. Mais à présent son coeur s'étreignait sous le coup d'une angoisse sourde.

Equemont... pourquoi ne me donne-t-il pas de nouvelles?

Peut-être que le pigeon s'était égaré. Pourtant ces bestioles là arrivaient toujours à leurs fins, Al aurait pu en jurer.
Peut-être que le volatile avait été attaqué par une buse ou un épervier au milieu de son vol et qu'il se faisait dévorer les entrailles à l'instant même.
Ou alors un chasseur l'avait pris pour cible, l'atteignant d'une flèche au coeur. Paf! Avant de finir sur une broche en train de se faire croustiller les cuissots par les flammes d'une grillade au feu de bois.
Ou encore le pigeon avait-il pris un éclair sur la caboche et fini sa course en petit tas charbonneux, quelque part au milieu d'un champ.

Il en était là de ses divagations lorsqu'un homme du coin - peut-être moins enclin à se tuer au travail que ses concitoyens - vint à entrer dans la gargote où Al rongeait son frein, ce qui eut le mérite de détourner Al de ses préoccupations pigeonnesques.

Ce n'est que plusieurs heures plus tard, alors qu'il sortait de la-dite taverne dans l'idée d'aller piocher quelques heures à la mine lorsqu'il aperçut un pigeon qui attendait sur un petit perchoir abrité du vent, tenant en son bec - comprenez accroché à sa patte - une missive avec les initiales tant attendues.

Aloan s'empressa de détacher le message et parcourut avec joie l'écriture de son frère.
Ainsi il se rendait à Dole à présent. Voilà qui les rapprochait un peu plus.
Il parlait d'une surprise, quelle pouvait-elle être?
Al se sentait pousser des ailes en lisant la lettre. Il décida de reprendre la route aussitôt.

Des souvenirs affluaient dans sa tête. Dont certains lui étaient pénibles.
Equemont parlait de leur soeur, trop tôt disparue. Le jeune homme était conscient que le départ de son frère aîné était lié à cette tragédie, mais à l'époque il l'avait vécu comme un abandon. Il ne pouvait pas comprendre ce genre de décision à l'époque, lui dont le monde s'écroulait sans aucune raison intelligible.
Mais les années passant, il avait appris à l'accepter. Même si il aurait aimé pouvoir partager certains moments difficiles qu'il avait vécu seul avec son père, enchaînant les bêtises et les expériences afin de mettre au défi son autorité.

Que se serait-il passé, si tu avais été là, grand frère?

Cela demeurerait un mystère. La vie en avait décidé ainsi et Al avait fait ses armes à sa façon, menant la vie dure à son paternel, qui le lui avait rendu au centuple. Du moins c'était ainsi qu'Aloan le voyait. Il en aurait des choses à raconter à Equemont, à ce sujet.

La nuit commençait à poindre et le jeune homme décida d'installer un petit campement de fortune à l'abri de la forêt.
Lorsqu'il eut ramassé du bois pour le feu et réchauffé sur celui-ci un brouet de céréales, il sortit son tout nouveau nécessaire à écriture et commença la rédaction d'une réponse à son aîné.



A Equemont de Salar, Dole,
De Aloan de Salar, sur les routes entre Luxeuil et Vesoul,

Mon cher frère,

Je ne puis te décrire la joie qui fut la mienne en apercevant ta missive. Je commençais à craindre que ma lettre ne se fût égarée ou encore que tu eusses changé d'avis me concernant. Je crois que tant que mes yeux ne se seront pas posés sur toi en chair et en os, je n'arriverais pas vraiment à croire que tout ceci soit bel et bien vrai. Dire que pendant des années, je me suis considéré comme un enfant unique. Je ne pensais jamais te revoir, même si au fond j'ai toujours conservé quelque espoir. Et voilà que ce jour tant attendu est proche.

Sache que je ne t'en veux pas. Bien sûr que ton départ a été difficile, voire incompréhensible pour le petit garçon que j'étais alors. Je me suis senti trahi, laissé à mon sort. Et les années qui ont suivi ont été particulièrement difficiles pour Père comme pour moi, car ton départ planait en permanence sur notre maison. Chacun de nous s'est renfermé dans son obstination, se forgeant une carapace face à l'autre. Et ce sont mes rencontres avec d'autres personnes qui ont fait de moi l'homme ouvert et sociable que je suis devenu.

Je me souviens de l'incident dont tu parles, sur la colline. Je me souviens aussi de tes colères légendaires. Toi seul était capable de faire peur aux garçons du village. Lorsque tu te tenais à nos côtés, nous savions que nous étions en sécurité, qu'il ne nous arriverait rien.
Depuis j'ai découvert la violence du monde et j'ai appris à me protéger seul. Toutefois on ne sera jamais trop de deux pour affronter ensemble les vicissitudes de l'existence.

De quelle surprise parles-tu? Je suis vraiment curieux de voir cela. De mon côté je progresse sans souci particulier sur la route. Mais je suis sur mes gardes et je ne me laisse jamais approcher de trop près par un groupe quand j'en croise sur les routes.

Au fait, ton chemin devrait se croiser avec celui d'une amie rencontrée à Epinal. Elle se nomme Colombe de Singrist et voyage avec quelques compagnons d'arme.
Si tu la vois, offre-lui une belle bière de ma part. Je te raconterai.

Je propose de t'attendre chaque soir à la "Bonne boulasse Doloise", si elle existe encore.

Que le Très-Haut veille sur toi,

***AldS***


Il laissa s'envoler le pigeon porteur de missive puis se calfeutra dans sa couverture près du feu. Il ferma les yeux, profitant des quelques heures que dureraient les braises de son feu improvisé pour prendre un peu de repos avant de reprendre la route vers Vesoul.
Equemont
9 avril, Dole

Après une rude négociation avec le propriétaire bourru de l'auberge l'avait laissé panser sa monture dans l'étable. Il devait livrer le plus rapidement possible les deux sacs de blé qu'on lui avait confiés. Il n'eut aucun mal à les prendre sur l'épaule. Ces dernières années l'avaient entrainé à résister à tous types de travaux pénibles. Il fallait bien gagner sa croute...

Jamais il n'avait mis les pieds dans cette ville et il se fiait aux indications donnée par une jolie jeune fille rousse rencontrée aux pieds des remparts à son arrivée. Première à gauche, une quarantaine de pas, et...


Messire !

On l'interpelait ? Il fit comme de rien n'était mais il sentit une main puissante le retenir par la chemise.

Messire posez ces sacs je vous prie.

Equemont se retourna pour voir qui lui parlait avec un ton aussi autoritaire. Aucun doute sur la question, il s'agissait d'un représentant de la maréchaussée. Il obtempéra, se demandant bien ce qui lui valait cet honneur.

Sans dire un mot de plus, l'homme sortit un long couteau et perça ses sacs comme s'il était à la recherche de quelque chose caché à l'intérieur.

Nan mais ho ! Vous voulez me faire perdre mon blé ? Qu'es-ce que vous voulez ?
Nous sommes à la recherche de trafiquants. J'ai cru à votre dégaine...
Quoi qu'est-ce qu'elle a ma dégaine ?

Equemont sentit le sang lui monter aux tempes. Mais ce n'était pas le moment de s'attirer des ennuis. Dans quelques jours il retrouverait son frère et si possible pas au travers d'une grille.

J'ai rien moi, laissez-moi tranquille. Je livre juste du blé à un boulanger.
Passez votre chemin, c'est bon...

Equemont ramassa son chargement et ne demanda pas son reste, interloqué par la dureté de l'homme rencontré. Mais était-il vraiment un représentant de la vile. Il haussa les épaules. Peu importait maintenant il fallait qu'il livre ses paquets.

Quelques heures plus tard

Le blond avait réussi a dénicher une pipe et tout content de sa trouvaille, il était monté sur le balcon de l'auberge pour l'essayer. Un fichu oiseau piaillait sur le rebord de la balustrade. Ce n'est que plusieurs minutes plus tard qu'il s'aperçut que c'était le pigeon, unique lien depuis des années entre lui et son frère.

Toujours aussi émotif et réfléchi le frérot. Comme quoi la douleur rend adulte... Il faudrait aller repérer les différentes tavernes pour ne pas se planter le jour venu...

Allez mon petit pigeon, va falloir faire encore un petit effort.
Equemont rentra dans sa chambrée pour écrire un bref billet :




Mon Al,
Déjà je goûte à ta présence par cet échange de missives. Tous les soirs je serai dans la dicte taverne pour t'attendre. Quand à la donzelle, je ne l'ai pas encore vue mais j'avoue que je serai bien impatient de connaitre ton genre de femmes. Si je la vois je lui demanderai de me parler de toi !
Fais bonne route, je suis avec toi sur le chemin
Kem *tremblotant* de SALAR


Il avait écrit ces deux derniers mots avec émotions, comme si il se replaçait dans la grande lignée de ses ancêtres. Pas des gens bien importants à vrai dire, mais c'était son origine, ses racines. Il les avait quitté, enfin non, c'était elle qui les avait quittés, il n'avait rien plus faire...
Comme pour chasser cette pensée il plia et mit l'adresse en espérant que le pigeon arriverait à temps : A Messire Aloan de Salar, Besançon

_________________
Colombe_de_singrist
[Quelque part sur les routes de l'Empire,
8 avril 1461]


Une pause. Il était temps d'en faire une. Elle avait enfin retrouvé le reste du groupe. Akita avait soif, depuis le temps qu'elle galopait à fière allure. Elle écumait terriblement, et nul n'igore l'adage suivant lequel "qui veut voyager loin, ménage sa monture".
Colombe aussi avait besoin de s'arrêter quelques instants. La faim commençait à la tenailler.
Ici, une petite rivière. Elle y entraina sa monture afin que celle-ci puisse se désaltérer, ce qu'elle fit sans se faire prier.

Pour l'empecher de se rouler dans l'eau, Colombe entraina Akita vers un arbre au tronc duquel elle l'attacha. Cette dernière se mit à brouter.
Colombe sortit un peu de pain et des fruits de sa besace, et commença à apaiser sa faim. Puis le volatile, toujours dans la petite cage de bois, se mit à roucouler, comme un rappel à l'ordre. Oui, il est vrai , elle avait une lettre à écrire !

Elle termina de manger, puis alla chercher son encrier, sa plume d'oie et un vélin.
Elle sourit en repensant à la discussion qu'elle avait eu avec Aloan, au sujet de la qualité des papiers.
Laquelle allait-elle choisir ?
Elle opta pour une feuille de qualité ordinaire.
Une feuille de qualité inférieure eut été un mauvais choix, car son courrier n'était pas de la plus extrême importance au poinct de mériter une qualité suprême, certes, mais elle souhaitait indiquer à son correspondant qu'elle ne négligeait poinct l'amitié qui les liait.

Posant le vélin sur une planche de bois spécialement prévu à cet effet, elle commença à agiter sa plume, de sa plus belle écriture.






Bien cher Aloan,

Je suis très touchée de la missive que vostre pigeon est venu m’apporter de la manière la plus délicate qu'il soit.

Oui, en effect, je fais partie de l'Ordre des Lames, mais je pensais sincèrement vous en avoir faict part lors de nostre dernière entrevue en la taverne municipale d'Epinal.
D'ailleurs, si le cœur et l’âme vous en disent, pourquoi ne poinct rejoindre nos rangs ? Nous avons toujours besoin de lames, et vous pourriez tout à faict estre rattaché à la Franche-Comté qui vous est chère, eu égard à la présence de vostre frère en ces terres.

Pour ma part, je suis arrivée à rejoindre mon groupe. Et nous voici donc désormais au complet. Je suis bien heureuse de ne plus estre seule sur la route, car comme vous le dictes si bien, la solitude est parfois pesante, surtout quand on est obligé de se répondre à soi mesme pour avoir un minimum de dialogue dans les tavernes ou autres feux de camp.

Et Grand Dieu, que vous me fîtes rire en me parlant des nœuds marins, des nœuds à l'estomac ! Cela me fit beaucoup de bien, car je n'avais poinct rit de la sorte depuis des semaines voire des mois.
Et je tenais toutefois à vous expliquer ce que j'entendais par "nœud". C'est une étape sur les chemins, mais qui n'est cependant pas une ville ou un village. J'espère que cet éclaircissement vous aura été grandement utile.

Je suis flattée de vous avoir faict si bonne impression lors de nostre entrevue. Mais je ne pourrais vous dire si vous avez tort ou raison, puisque j'agis également de la sorte.
Vous m'avez aussi semblé quelqu'un de dévoué, sincère et droit.
De ce faict, n'ayez crainte, vostre frere sera certainement fort heureux de vous revoir.

Je serais quant à moi, fort heureuse de vous revoir également, lors de mon voyage de retour, manifestement, mais je en sais quand il aura lieu.

Soyez prudent sur les routes, Aloan. Et que le Très Haut guident vos pas et vous évite les embûches.

Amicalement,

Colombe de Singrist


Elle roula le velin à la patte du pigeon, à l'aide d'un petit ruban de satin rouge, après avoir délivré ce dernier de sa cage. Puis elle lui donna une impulsion en le lançant dans les airs pour qu'il s'envole, jusqu'à Aloan, qui, elle en était sûre, serait ravie d'avoir de ses nouvelles.

Elle rejoignit enfin les autres qui discutaient sur la suite de leur périple. Elle les regardaient parler en montrant divers endroits de la carte qu'ils avient déroulée sur le sol.

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Aloan
10 avril 1461,
Sur les routes, quelque part vers Besançon.


Cela faisait une semaine qu'il avait quitté Nancy. Et pourtant il aurait juré que cela faisait plus. Ses souvenirs là-bas lui apparaissaient déjà sous un voile, comme lointains et vagues.
Et pourtant, il s'y était amusé, y avait fait de jolies rencontres. Mais c'était tout Al, de tourner la page et de continuer comme si chaque jour était le premier.
Il enviait ces gens qui arrivaient quelque part et qui s'y sentaient chez eux. Lui n'arrivait pas à ressentir cela, nulle part. Et pourtant il en rêvait.

Un jour, peut-être...

La marche en forêt, ça vous permet de vous vider la tête mais ça permet aussi de faire le point sur une foule de choses, surtout quand on n'a personne avec qui converser de la pluie et du beau temps.

Aloan était de ces gens qui pensent à toute vitesse, qui s'enthousiasment pour un rien, qui foncent tête baissée. Il ne devait sa survie en somme qu'à ces moments de solitude, ces instants de marche ou de rêverie passés en taverne, où il avait le temps de prendre chaque sentiment, chaque pensée l'une après l'autre et de faire le tri. Il aimait ça, faire le tri.

Il en était donc là lorsqu'un pigeon atterrit sur son épaule, l'obligeant à s'arrêter un instant. Déroulant le papier il reconnut l'écriture de Colombe. Elle semblait apprécier cette correspondance et Aloan s'en trouva tout ragaillardi.
Après avoir nourri de quelques graines le courageux volatile, il le laissa s'envoler dans les airs. Il ne fallait point abuser de ces braves bêtes trop longtemps. Et puis il voulait avoir quelque chose d'intéressant à raconter à Colombe avant de prendre la plume pour lui écrire.

Ce ne fut donc que le surlendemain qu'il s'arrêta finalement à l'orée d'un petit bois, après avoir échangé quelques mots avec un soldats franc-comtois autour d'un feu de camp, et qu'il sortit plume, encrier et feuilles de papier.




Dame Colombe de Singrist, sur les routes de Franche-Comté,
de Aloan de Salar, Besançon,

Chère Colombe,

Veuillez excuser les quelques jours qui se sont écoulés entre votre dernière lettre et celle que voici. Je pourrais vous dire que j’ai été fort occupé mais ce serait vous mentir.
Non à dire vrai j’espérais avoir quelques anecdotes distrayantes à vous conter, qui me seraient arrivées entre Luxeuil et Dole.
Comme par exemple d’être pris en chasse par un ours que j'aurais dérangé dans sa première sortie post-hibernation.
Ou encore de tomber nez à nez avec des brigands, que j’aurais sans nul doute mis en déroute après leur avoir rossé le séant à coups de bâton.
Mais rien de tout ceci n’est arrivé, pour mon plus grand ennui.

En revanche, vous faisiez bien de me rassurer quant aux intentions de mon frère car il n’a pas tardé à se manifester à nouveau par l’entremise d’un même volatile que ceux que vous et moi échangeons.
Il me demande de le rejoindre à Dole et c’est donc vers Dole que mes pas me mènent.

Mais revenons à votre lettre.

Votre proposition, aussi sincère que charitable, de rejoindre les rangs de l’Ordre des Lames me touche. J’ai le plus grand respect pour les personnes qui font ce choix, hommes et femmes dont le sens du devoir n’a d’égal que leur profond courage.
C’est donc pour ces raisons mais aussi afin de ne pas tuer dans l’oeuf notre amitié naissante que je permettrai de décliner votre offre.
En effet, vous ne pourriez pas tomber sur plus piètre recrue que moi! Peut-être que j’exagère un brin, mais je puis vous assurer qu’il n’y aurait pas pire tête de mule ni plus mauvais soldat que moi.
Depuis tout petit, j’ai du mal avec l’autorité et la discipline. En somme, avec tout ce qui met en difficulté un esprit libre et étourdi tel que le mien. Mais, encore une fois, j’ai le plus grand respect pour la vocation qui est la votre et je ne peux que m’incliner humblement face au choix et aux sacrifices qu’elle représente.

Je trouve très intéressant les adjectifs que vous m’octroyez.
Sincère? Je le suis en tous points.
Droit? Je suis fidèle à ce que je crois et donc j’aime à croire que je le suis.
Dévoué? Il me plaît d’être agréable aux gens que je côtoie et apprécie, mais je suis de nature impatiente et bien souvent mon dévouement a ses limites là où ma liberté souffre.

Ainsi je me révèle un peu plus à vous, chère amie. Comme c’est étrange le pouvoir révélateur des mots couchés sur un vélin. Ce d’autant plus que vous et moi n’avions échangé que quelques mots lors de notre rencontre.

Je vous remercie pour l'explication sur les noeuds. Ainsi c'est donc cela! Je mourrai un peu moins stupide, grâce à vous.

Je conclus cette lettre par une recommandation.
Si vous croisez un homme qui vous offre une bière de ma part, il s’agira de mon frère.
Et s’il vous parle de moi, ne croyez que ce qu’il dira de louable sur moi et oubliez vite tout le reste.

Que votre route se poursuive sous les meilleurs auspices,

Votre ami,

***AldS***


L'homme en armure lui prêta aimablement l'un des volatiles que lui et ses compagnons transportaient et Aloan le suivit des yeux jusqu'à ce que la cime des arbres l'eût englouti.

A présent, il fallait qu'il retrouve son frère. Et cela ne serait pas une mince affaire.
Mais si tout se passait bien, le lendemain il serait à Dole et les retrouvailles auraient lieu.
Colombe_de_singrist
[Dole, Capitale Franc-Comtoise,
10 avril 1461]


Le soleil matinal dardait ses premiers rayons. Ceux-ci finirent par aller chatouiller délicatement le visage de Colombe, dont les yeux s'ouvrir sur l'intérieur de la chambre d'une auberge. Après un instant de réflexion sur cette nouvelle journée qui s'annonçait, la jeune fille se leva et se dirigea tout naturellement vers la fenêtre, afin d'admirer la vue sur les toits de la capitale Franc-Comtoise. C'est alors que dans un bruissement d'ailes, elle vit se poser devant elle, un pigeon porteur d'un message. Elle le délesta de son léger fardeau, et prit connaissance de son contenu.
Sourire aux lèvres, elle reconnut l'écriture de son auteur.

Elle repensa à la soirée de la veille. Elle avait rencontré le frère dont il parlait tant depuis Epinal. Il lui avait fait très bonne impression. Et désormais, elle avait un avantage sur les deux frères : elle savait qu'Equemont comme Aloan étaient préssés de se retrouver, tout en éprouvant une certaine apréhension. Elle savait aussi ce que valait l'un, et ce que valait l'autre. Alors, elle prit sa plume, et sur un vélin d'assez bonne qualité, elle commença à rassurer Aloan du mieux qu'elle le pût.






Bien cher Aloan,

Vostre pigeon est arrivé ce matin, alors mesme que j'ouvrais la fenestre de l'auberge dans laquelle je suis descendue hier soir.
Il me faut vous avouer qu'après toutes ces nuits passées auprès d'un feu, à la bonne estoile, le confort d'un lit est plus qu'appréciable.

Aloan, je crois qu'il me faut vous dire une chose qui vous ravira sans doute, et qui en tous cas, réchauffera vostre cœur puisque vous devez encore passer une nuit au dehors.
Hier soir, alors que je me trouvais en taverne, un homme y fit son apparition.
Un fort bel homme, ma foy, avec de bonnes manières ainsi que le sens des convenances.
Nous estions dans une taverne de jeux, mais il m'a rapidement indiqué qu'il aurait préféré un autre estaminet. Seulement, voyez-vous, si j'étais venue dans cette taverne, c'est animé d'un désir de percer à jour un mystère qui m'intrigue encore hui.
En effet, dans cette taverne, une chandelle s'allume le soir venu, mais je ne sais ni à quelle heure, ni qui vient l'installer.
Amusé sans doute, et désireux d'en savoir un peu plus sur la chandelle mystérieuse, l'homme en question décida de rester en ma compagnie. Mais l'ennui nous prit. Toutefois, nous voulions attendre ladite chandelle. C'est alors que nous décidâmes de nous occuper en dansant. Et je dois vous dire, que mesme s'il m'avoua n'avoir poinct dansé depuis fort longtemps, il était bon danseur.

Aloan, cet homme, ce n'était autre qu'un certain Equemont ! Vostre frère !
Je suis heureuse que vous le rejoigniez demain, car c'est un homme qui, à l'instar de vous, est fort aimable, fort serviable. L'on voit bien que vous estes frères, et faicts du mesme bois.
Je ne sais quelle sera l'issue de vostre rencontre, mais gardez le précieusement comme frère et ami, car c'est un homme valeureux, tout comme vous l'estes.

Pour le reste, que dire...
Je reprends la route ce soir, avec mes compagnons. Et Equemont sait comme moi ô combien je regrette de ne pouvoir discuter encore avec vous. Mais je vous fais le serment que nous nous reverrons bientôt, peut-estre lors de mon retour.
Quoi qu'il en soit, sachez que je dispose encore de bon nombre de vélins qui ne demandent qu'à recevoir l'encre de ma plume, et dont la qualité n'a d'égale que la force de nostre amitié.

Mon bien cher Aloan, le temps me presse car une longue route nous attend, et je voudrais que cette lettre vous accueille lors de vostre arrivée chez vostre frère.

Qu'Aristote guide vos pas, et éclaire vostre route.

Vostre amie,

Colombe

PS. Je suis intimement convaincue que vous saurez réconforter vostre frère qui me semblait bien triste hier, en évoquant le souvenir de vostre sœur.
Il a besoin de vous.



Pendant que l'oiseau picorait quelques miettes de pain qu'elle lui avait disposées sur le rebord de la fenetre, Colombe relut sa lettre, pas moins de 5 fois. Non, elle était convenable. Colombe et lui étaient en passe de devenir de bons amis, désormais. Elle avait loué Aloan à Equemont en taverne, et dans sa missive, elle louait Equemont à Aloan.
Tout était fait pour que ces deux là se retrouvent sans embûches, et avec le recul, Colombe était heureuse de savoir qu'elle ne serait plus à Dole lorsqu'Aloan y arriverait. Il fallait que les deux frères se retrouvent sans élément pertubateur autour.
De toute façon, tout indiquait à Colombe qu'elle serait bientot amenée à les revoir tous les deux. En attendant, le ciel de Franche-Comté n'avait plus aucun secret pour les pigeons qu'Aloan et Colombe s'envoyaient.
Elle attrapa encore une fois le volatile et noua à l'aide d'un ruban de satin rouge , le vélin fraichement replié. Puis elle laissa partir le pigeon.

Un peu plus tard, dans la soirée, avant de prendre la route, elle vint se reposer dans la chambre, et s'étendant sur le lit, elle repensa à la derniere conversation qu'elle avait eu avec Equemont. Leur soeur... capturée, puis tuée....quasiment sous leurs yeux. Elle ferma les siens, comme si elle voulait garder pour elle, la triste image de ce douloureux moment. Elle les rouvrit rapidement. Oui, elle était bien sûre et certaine d'avoir entendu le nom "Salar" sur sa route, et ce nom était attribué à une femme... Mais avait-elle un lien avec les deux frères ? Et si ce n'était pas elle qui avait été tuée, mais une autre à la place, histoire de les intimider ?
Colombe sentait revenir en elle l'âme de Lieutenant de Police qu'elle avait été, autrefois, à Cosne.
Elle avait bien essayé de prévenir Equemont, mais celui-ci lui avait répondu que c'était impossible, et la douleur s'était installé sur son visage, après quoi, il avait rapidement quitté la taverne.
Colombe en avait été doublement attristée. Elle était peinée par le chagrin de la disparition de cette jeune fille qu'elle ne connaissait pas, et torturée par le fait qu'elle ait pu raviver chez Equemont, la plaie encore bien vive de cette funeste journée. Elle se jura de retrouver la jeune fille croisée sur les chemins, et espérait du fond du coeur que les retrouvailles qui se tiendraient le lendemain à Dole, permettraient aux deux frères de panser mutuellement leurs blessures.

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Equemont
10 avril, Dole

Une journée pour préparer une rencontre attendue 10 ans n'était pas superflue. D'abord, il fallait mettre en action son plan pour la surprise promise à Aloan. Ensuite, il devrait prendre le temps d'ordonner ses pensées. Ce qu'il avait à lui dire n'était pas facile à entendre, l'amour de son frère était en jeu...

Avec énergie, il sortit du lit et s'habilla. Deux jours auparavant, il s'était arrêté devant un éleveur de chevaux. Une belle jument alezane lui avait tapé dans l'oeil. Il occuperait sa matinée à ça...

Dans l'après-midi, il réfléchit beaucoup, tout en s'occupant de sa nouvelle acquisition. Si il fallait le décrire dans sa jeunesse, il aurait volontiers pensé au terme protecteur. Sorti de l'enfance avec sa jumelle, la puberté leur avait montré qu'ils n'étaient pas semblables en tout. Ils avaient appris à se laisser plus d'intimité. Or la beauté et la grâce d'Esébia était chaque jour plus grande et il en avait prit conscience en entendant ses camarades l'évoquer.

Dès lors il s'était toujours positionné en protecteur. Il la connaissait et la respectait trop pour lui faire des remarques sur son comportement même s'il ne pouvait s'empêcher de penser qu'elle ne prenait pas assez de précautions. De son côté, lui aussi commençait à s'intéresser aux filles, mais rien ne le détournait vraiment de sa famille. Puis, lorsqu'ils avaient 15 ans, tout avait basculé. La famille avait été emportée, décimée dans une terrible histoire ignorée d'Aloan. Celui-ci devait penser qu'il s'était enfuit de la maison paternelle par faiblesse. Il n'avait pas eu le choix. Puis toutes ces année en bête traquée. Enfin c'était terminé.

Il sentait l'angoisse, au fur et à mesure que la nuit s'approchait, monter et le prendre à la gorge. Jamais il n'avait eu l'habitude de parler lorsqu'il avait ce genre de sentiments.

Mais maintenant, tout avait changé, il devait s'exprimer... Il se rendit en taverne municipale et passa une agréable soirée en compagnie de la demoiselle Colombe, celle-là même qui avait été évoquée par Aloan dans une missive. Cette jeune noble lui avait dit qu'on la trouvait trop douce. A vrai dire, il ne comprenait pas en quoi être douce pouvait être un défaut, à condition d'être bien accompagnée. Mais elle devait partir, obligée de quitter la ville avant même l'arrivée d'Aloan dont elle ne cessait de parler... D'autres rencontres lui faisaient espérer intimement la naissance de nouvelles amitiés.

En fin de soirée, il avait déballé son histoire pour la première fois. Peut-être était-ce la présence de ces femmes qui lui avaient rappelé Esébia. Il s'était pourtant promis de ne pas se complaire dans une perpétuelle plainte et d'être un joyeux camarade. Mais il savait que la blessure serait toujours béante tant qu'il ne la laisserait pas cautériser par la parole. A la sortie de la taverne, il s'enroula dans sa cape sur la colline et pria pour sa famille pendant toute la nuit, de toute façon il n'aurait pu dormir.

Au petit matin, il se rendit à la place du marché pour attrapper un de ces petits garçons toujours prêts à gagner quelques sous. Il en repéra un qui avait l'air plutôt malin..


Tu veux gagner un écu ?

Grand sourire, l'enfant fit une ridicule courbette.

Serviteur messire

Equemont se demanda où il avait un comportement aussi ridicule.

Je veux que ailles te placer sur la route de Besançon et que tu guettes l'arrivée d'un jeune homme blond. Lorsque tu le verras, tu viendras me prévenir en courant. Bien compris ?

Le garçon opinât du chef et s'en alla rapidement. Ne restait plus qu'à calmer son impatience.
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Aloan
11 avril 1461,
Dole, capitale de la Franche-Comté.


Enfin!

Son périple en solitaire touchait à sa fin. Pour quelques temps du moins.
En apercevant le clocher de l'église au loin, Aloan avait commencé à accélérer inconsciemment le pas. C'était un sentiment étrange qui s'emparait de lui. Celui d'arriver dans une ville qui lui était totalement étrangère mélangé à celui d'enfin retrouver quelqu'un de familier.

Quelques heures plus tôt, il avait reçu une missive de Colombe qui lui avait réjoui le coeur. Ainsi elle avait rencontré son frère et, au grand soulagement du jeune homme, celui-ci semblait être resté un homme de bien. Cela lui importait d'autant plus qu'ils se soient rencontrés qu'Al espérait bien (re)tisser des liens profonds avec tous les deux.

Bien entendu, Al ne vit pas le petit garçon détaler dans les ruelles lorsque celui-ci passa le guet, bien trop occupé à essayer de chercher son chemin et à repérer la fameuse taverne où il avait donné rendez-vous à Equemont.

Mais pour l'heure il fallait qu'il trouve une auberge pour y déposer ses affaires et se décrasser un peu. Il ne tarda pas à trouver son bonheur et après avoir fait une courte toilette et enfilé des sous-vêtements propres, il s'allongea sur sa couche, jambes fléchies et, passant ses mains derrière sa tête, il se réfléchir en fixant le plafond de sa chambre.

Si tout se passe bien, Equemont et moi pourrions voyager quelques temps ensemble. Je pourrais revendre mon lopin de terre à Nancy et nous acheter une charrette, peut-être même une roulotte.
Nous pourrions aller visiter Genève, Dijon, peut-être même pousser plus loin au nord.


Il rêvassa ainsi plusieurs minutes puis finit par s'assoupir.

Lorsqu'il rouvrit les yeux, le soir était tombé et il était plongé dans la pénombre. Se redressant il s'habilla pour sortir, sans oublier d'emporter son poignard de poche, sa pipe de St-Claude et son nécessaire à tabac.

Les ruelles étaient plus calmes à la nuit tombée, mais un brouhaha réconfortant s'échappait parfois d'une maisonnée ou d'une auberge.
Il retrouva facilement la "Bonne boulasse doloise" mais n'y resta pas car les lieux étaient complètement déserts. Après tout la ville n'était pas bien grande et le nombre de tavernes raisonnables. Le jeune homme décida donc d'attendre son frère dans un endroit plus animé et changea donc d'auberge.

Dans la suivante, quelques voyageurs étaient attablés, parmi lesquels Aloan reconnut deux soldats qu'il avait rencontrés près du feu de camp de Besançon la veille. Il fit la connaissance également d'une tisserande venue travailler sur des tapisseries et de son frère habitant les environs, et d'une voyageuse énigmatique qui reconnut immédiatement en Al le "fameux" petit frère.
Equemont avait donc vraisemblablement prévenu quelques personnes de son arrivée.

Les clients sortaient et entraient et Aloan ne pouvait se retenir de scruter leur visage à chaque fois. Jusqu'à ce qu'un homme encapuchonné entre et le fixe. Lorsqu'il révéla ses traits, Al détourna le regard, pessimiste. L'homme était bien plus âgé qu'Equemont.
Mais comme celui-ci persistait à l'examiner, Aloan leva à nouveau les yeux et l'entendit demander:


- C'est toi?
- Je suis Aloan. Et...tu es...?
avait-il répondu en se levant, dans l'expectative.
- C'est moi! Ton frère, Equemont!

Sur le moment, pris par les conversations autour de la table, Al en avait oublié qu'Equemont était devenu un homme mûr depuis toutes ces années, bien loin de l'adolescent au regard empli de haine qui avait quitté leur famille.

- Ca alors, mais tu es un homme! cria Equemont, en proie au même étonnement, venant le serrer dans ses bras.
- Toi aussi! Je veux dire... waouh! J'aurais pu passer à côté de toi sans te reconnaître!

Les premières minutes furent empreintes d'une émotion vive. Les deux frères s'observaient avec un mélange de crainte et de camaraderie. Ils avaient tant de choses à se raconter, de temps à rattraper. Colombe avait parlé dans sa lettre d'un homme blessé, parlant d'Equemont, et Aloan lut immédiatement dans le regard de son frère qu'elle avait vu juste.

Mais ils remirent à plus tard les explications sur le passé. Pour l'heure ils se contentèrent d'être ensemble et de partager quelques bonnes bières avec d'autres voyageurs, en toute détente. Une façon de recréer des liens en douceur.


12 avril 1461,
Dole, à l'auberge d'Aloan.


Il avait eu du mal à s'endormir, en proie à l'émotion des retrouvailles.
La veille, plusieurs des clients de la taverne s'étaient associés à leur joie et Al avait passé l'une de ses meilleures soirées depuis quinze jours. Lorsqu'il ouvrit les yeux, il sentit un marteau lui piquer le crâne, mais cette sensation n'était rien en regard de sa joie et son excitation.

Son premier réflexe fut de prendre sa plume pour raconter ses retrouvailles de la veille à son amie.




A dame Colombe de Singrist, sur les routes de Franche-Comté,
De Aloan de Salar, à l’auberge «Chez Starkel», à Dole.

Ma chère amie,

A peine arrivé-je à Dole que j’apprends que vous en êtes repartie. Me fuyeriez-vous, chère Colombe? Je vous taquine car je sais qu’il n’en est rien. Vous ne faites que votre devoir et c’est ce qui vous rend aussi admirable à mes yeux.
Je suis donc arrivé à bon port, comme vous le voyez. Je ne vous cache pas que mon appréhension était à son comble hier, avant de franchir le pas de la première taverne. Comment allaient se passer les retrouvailles?

Mais revenons sur votre lettre tout d’abord. Je ne saurai vous dire à quel point il me plaît que vous ayez fait la connaissance d’Equemont! Tout d’abord parce qu’ainsi, grâce à vous, j’ai pu avoir une petite idée de l’homme qu’il est devenu. Il aurait pu tout aussi bien avoir mal tourné, être devenu un maraud ou un assassin de grand chemin. Car figurez-vous que j’ignore absolument tout de sa vie pendant ces dix dernières années.
Je vous avoue que je n’aurais trop su comment me comporter si il était devenu un homme malfaisant. Par chance, tel n’est point le cas et j’ai pu le confirmer moi-même hier soir. Mais j’y reviendrai plus tard.

Il faudra que vous me racontiez cette histoire de chandelle car je suis très intrigué! Je le suis d’autant plus quand j’apprends que vous dansez ainsi, seule, avec un parfait inconnu, une gente dame comme vous!
Je vous taquine ma chère Colombe, vous l’aurez compris. Et puis je dois bien l’admettre à mon corps défendant, mais je l’envie un peu, mon cher frère, d’avoir eu le privilège de danser avec vous.

Mais venons-en à ces fameuses retrouvailles, car elles furent épiques! Une dernière parenthèse, avez-vous remarqué comme je me suis appliqué à faire accroître votre curiosité au fur et à mesure de cette lettre? Et bien c’est à présent que s’ouvre le rideau, chère amie, j’espère que vous ne serez point déçue du premier acte.

Donc hier au soir, je suis entré dans une taverne de Dole, animée par quelques clients sympathiques lorsqu’un homme est arrivé, couvert d’une capuche. Après quelques regards en coin, nous avons compris tous les deux qui nous étions au même instant. Je dois vous avouer qu’au début je ne l’ai pas reconnu, car dans mon imagination je lui conférai toujours les mêmes traits juvéniles que dans mes souvenirs d’enfance, sot que je suis. Mais il est devenu bel homme et ses manières sont celles d’un homme de bien.
Les premières minutes d’inconfort passées, je retrouvai bien vite l’Equemont que j’ai connu, aimant me taquiner, voire me lancer quelques piques parfois. Mais surtout je retrouvai notre complicité, nos mêmes fous rires et cette même folie enthousiasmante qui nous habite parfois lorsque nous sommes en agréable compagnie. C’est ainsi qu’hier au soir nous nous sommes piqué d’organiser une dégustation de cancoillote - ce fromage typiquement comtois - en pleine taverne, suivi par un bal improvisé où Equemont a fait sévir ses talents de danseur tandis que votre serviteur donnait de la voix sur quelques chansons paillardes de ma connaissance.
Le tout n’aurait pas eu la même saveur si un soldat gradé de l’Ost franc-comtois n’avait été en train de roupiller au comptoir, le nez dans ses parchemins et ronflant comme un bienheureux durant toute la soirée. S’il n’avait ne serait-ce qu’écouté un seul instant nos boutades, je crois bien que c’est du fond d’une geôle du Castel de Dole que je vous écrirais ces mots, chère Colombe.

Me voici donc rendu à la fin du premier acte. Un acte joyeux, comique même, dont la grivoiserie, je l’espère, ne vous aura point choquée. Mais j’ose à croire que vous n’êtes pas de ces gens qui prennent comme un affront ou une honte le fait de se moquer de soi-même ou des représentants de l’autorité.

J’espère que je vous aurais divertie, touchée, émue par mes quelques mots.

Au plaisir, toujours renouvelé, de vous lire très bientôt,

Votre ami bien dévoué,

***AldS***


Ayant terminé d'écrire, il s'habilla et se mit en quête d'un pigeonnier dans les ruelles de Dole.
Equemont
12 avril, Auberge du Fanfreluche, Dole

Allongé dans son lit, il se remémora la longue soirée attendue depuis si longtemps. Le visage d'Aloan restait comme collé au fond de sa rétine. Voilà l'homme que son frère était devenu ! Vif, joyeux, taquin, sans complexe, tout ça, il y a dix ans, il l'était déjà.
Quelle était cette force qui irradiait de lui désormais ? Le souvenir de la main de son frère posée sur son épaule le blessait. Il ne supportait pas l'idée que les rôles soient inversés.
Le frère cadet n'avait pas à protéger son aîné, surtout quand celui-ci était physiquement plus fort. Jamais il n'aurait pu en vouloir à Aloan pour ce geste. Sa mauvaise conscience d'avoir manqué la jeunesse de son frère le tenaillait trop.

Soudain, Equemont prit conscience qu'il avait mal au ventre et n'eut que quelques secondes pour se pencher au bord de la couche. Un liquide nauséabond s'épancha sur le sol, c'était du vomi. Apparemment il était malade.
La cancoillotte ! C'était certainement ce fichu fromage qui le prenait aux entrailles. Soupirant, il se leva et s'habilla se disant que la journée allait être difficile.

Après avoir grignoté un peu de pain, il se sentit mieux. La promesse faite à Colombe de lui écrire ne devait pas être oubliée. Elle devait se demander comment c'était déroulée la soirée. Aloan devait certainement lui avoir écrit un mot, mais il voulait aussi présenter à la jeune femme sa propre version des choses.
Furtivement, il se demanda si son comportement était sain mais chassa cette pensée. De toute façon ses pensée et son cœur étaient déjà tournée vers une autre femme.

L'espace de quelques minutes, il réfléchit à la manière dont ses relations avec les femmes étaient conditionnées par la mort d'Esébia. Souvent, il se surprenait en proie à une profonde angoisse, celle de perdre la personne aimée.
Son attachement était toujours remis en cause par ces coups de couteau au fond de son cœur. La maladie ne semblait pas lui donner que des idées positives et il se promit de les chasser pour ne pas gâcher cette journée avec son frère.

L'air frais des rues de Dole le revigora et finalement il passa -il n'aurait pas su dire si c'était conscient ou non - devant la taverne de la veille, chez Starkel. Amusé et peiné, il se rendit compte qu'Elysa, la ravissante blonde rencontrée quelques jours plus tôt était seule.
Y voyant à la fois une aubaine et l'occasion de se rendre agréable, il entra la saluer. De fil en aiguille, ce salut dura presque une heure. Elle lui donnait confiance et semblait s'amuser à ses côtés. Il la quitta lorsque l'Angélus sonna à la cloche de la cathédrale pour essayer d'attraper son frère.

Le garçonnet employé la veille lui avait révélé l'emplacement du gite de son frère. Il n'avait plus qu'à suivre les indications. Première à gauche après le puits, 100 mètres tout droit et angle droit à gauc...


PAFF !!!

De plein fouet, Equemont heurta un homme. Se relevant pour s'excuser, il eut la surprise de se trouver face à Aloan.

Bah te voilà ? Ca serait dommage que l'on s’entre-tue dès le deuxième jour de nos retrouvailles ! Bon, ça va ? Je me suis payé - se tient le ventre- un de ces maux de ventre avec ta cancoillotte pas fraiche. J'ai vomi toute la nuit -avec un grand éclat de rire.

Tout en parlant, Equemont regarde la missive portée dans la main par son frère.

Dis-donc, tu serais pas en train de jouer le sentimental ? J'parie que cette lettre est pour la damoiselle Colombe !
Tu lui racontes avec moult détails, vu la longueur du parchemin, à quel point la soirée a été belle.


Equemont prend son rire moqueur. Trop facile de tourner en dérision quand on a eu la même intention...

Bon c'est pas tout mais je t'ai promis une surprise. Elle t'attend par là.

Equemont montre la porte nord de la ville et fit signe à Aloan de le suivre. Après une courte hésitation, ce dernier lui emboîta le pas. La marche dura quelques minutes durant lesquelles ils parlèrent de banalités.
Kem, c'est ainsi qu'Aloan l'appelait, ne voulait pas encore parler de tout ce qu'ils voulaient se dire. Par quel bout prendre tout ça ?
Ils arrivèrent devant un champ dans lesquels deux chevaux noirs gambadaient.
Le plus petit avait de petites tâches blanches et à y regarder de plus prêt, ils n'avaient pas la même morphologie.


Tu vois le plus grand ? C'est ma jument, je l'ai depuis un petit moment, elle s'appelle Bargilia.
C'est un cheval de Frise, ceux qui sont connus pour leurs capacités guerrières.
Et tu vois l'autre ? C'est le tien, je te présente un Barbe qui a cette particularité d'avoir une robe noire pangaré.
Tu peux remarquer les petites tâches blanches.
Elles montrent la noblesse de l'animal. Il est rapide et supporte bien les chaleurs.


Au premiers sifflements, les deux juments s'approchèrent.

Vois-tu, elles sont scellées, je pense que c'est plus qu'un appel, elles nous supplient de les monter.
Je me demande bien d'ailleurs qui les a harnachées ?


Avec un éclat de rire, Equemont se hissa sur son destrier et attendit qu'Aloan fasse de même. L'air peu assuré de celui-ci laissait fort à parier qu'il montait comme un pied.
Cependant, il n'irait pas l'aider, sauf si celui-ci le demandait, il ne voulait pas blesser l'orgueilleux jeune homme. Parce que dans l'esprit d'Equemont, c'était au cours de cette ballade à cheval qu'il allait raconter ce qu'Aloan n'avait jamais su sur sa famille, sur ses parents et sur lui-même.

Mieux valait pour s'arrimer à sa selle pour ne pas tomber à terre après ce qu'il allait apprendre.

_________________
Colombe_de_singrist
[Dans une chambre d'auberge,
15 avril 1461]



Plusieurs jours s'étaient écoulés depuis que Colombe avait reçu la dernière lettre d'Aloan, mais Colombe n'avait pas eu le loisir de pouvoir y répondre. Et nul doute que cela serait ainsi dans les prochains jours à venir.
Aussi se leva t-elle plus tôt ce matin là. Il fallait répondre, même de façon succinte. Mais elle s'était jurée depuis bien longtemps, que jamais une missive reçue ne resterat lettre morte.

Sortant son nécessaire à écriture, elle constata avec dépit qu'elle n'avait plus de vélin ordinaire. Seuls restaient des parchemins de qualité inférieure, et supérieure. Elle opta pour cette dernière.




Bien cher Aloan,

Je vous écris depuis les routes que je sillonne encore et encore, et je puis vous assurer que ce n'est poinct pour vous fuir.
Vous me dictes avoir enfin retrouvée vostre frère et j'en suis heureuse pour vous comme pour lui.
Les membres d'une mesme famille ne devraient jamais estre séparés.
Je vous dis cela en toute connaissance de cause puisque j'ai moi-mesme été séparée trop longtemps du reste de ma famille. Mais ceci est une autre histoire que je pourrais peut-estre vous raconter une autre fois, si tant est que vous ayez assez de patience pour l'écouter jusqu'au bout, car vous verrez, elle est pleine de rebondissements.

Je me faisais la remarque, en lisant vostre missive, que vous aviez un don certain pour tenir vostre auditoire en haleine. Vos récits sont vivants et donnent vraiment l'impression que nous les vivons au fur et à mesure que vous les contez.
Ainsi j'ai partagé vos retrouvailles avec vostre frère, vostre dégustation de cancoillote, et -mais dans une moindre mesure, vous m'en excuserez - vos chansons paillardes.
J'ai mesme entendu le soldat de l'Ost ronfler, c'est vous dire !
Et voilà que vous me faictes encore sourire à l'évocation de tout cela !

Ici, les jours s'écoulent lentement, et les tavernes sont si pleines qu'il est parfois impossible d'y entrer. Mais qu'importe, car j'ai tant d'autres choses à faire, et entre autre, préparer ce fameux voyage en Kalmar Union, dont je vous ai certainement parlé dans mes précédents courriers, à moins que ce ne soit de visu.
D'ailleurs, si le coeur vous en dict, je commence déjà à chercher quelques personnes qui ne seront pas rebutées par les 3 semaines de bateau qui nous séparent de la ville de mon oncle.

Aloan, je ne puis malheureusement m'attarder plus longuement sur cette missive, car l'on m'appelle déjà.
Donnez-moi encore de vos nouvelles, et je vous répondrai toujours.

Saluez vostre frere pour moi, et soyez prudent, de surcroit si vous veniez à prendre la route.

Que le Très Haut vous guide et vous protège.

Vostre amie,

Colombe



En effet, cela faisait quelques secondes déjà qu'elle entendait frapper à sa porte.

Colombe, vos cousins vous demandent. Il vous faut descendre au plus vite.

La jeune fille ouvrit la porte et tomba nez à nez avec le jeune garçon de l'aubergiste. Elle lui fit signe d'avancer d'un pas, roula le parchemin, et l'entoura encore une fois d'un ruban de satin rouge. Puis elle le tendit au garçon, et lui dit :
Trouve un pigeon, et attache cela à sa patte. Ce soir, reviens me voir quand cela sera faict, et je te paierai pour la course. Et si tu ne trouves poinct de pigeon, alors débrouille-toi pour que cette missive arrive à Dôle dans les meilleurs délais, et qu'elle parvienne jusqu'à un certain Aloan.

Disant ces mots, elle continuait d'enfiler son mantel. Elle glissa un écu au jeune garçon, lui laissant sous entendre qu'il y en aurait d'autres s'il menait sa mission à bon terme.
Puis, elle sortit de sa chambre, après l'avoir fermée, et dévala les escaliers quatre à quatre. Si elle était demandée, c'es qu'il y avait urgence, et qu'il ne valait mieux pas les faire attendre.

_________________
Aloan
12 avril 1461,
dans les rues de Dole.


Vous êtes-vous déjà pris un arbre en pleine face? Non? Et bien Aloan non plus, mais ce fut tout comme lorsque son frère lui rentra dans le lard au coin d'une rue.


PAFF!!

Plus de peur que de mal heureusement, même si au lieu d'un seul marteau ils étaient deux à présent, à s'en donner à coeur joie dans sa tête.
Par chance, Al s'était rattrapé en s'appuyant contre le mur d'une maison et il n'avait pas lâché la lettre destinée à Colombe qui aurait fini sa course sur les pavés détrempés par la pluie.

Ouf!


- Bah te voilà ? Ca serait dommage que l'on s’entre-tue dès le deuxième jour de nos retrouvailles !

Pour sûr. Ce serait même complètement stupide! pensa Al, en aidant son frère à se relever.

- Bon, ça va ? enchaîna Equemont.
- C'est plutôt à moi de te demander ça.
- Je me suis payé un de ces maux de ventre avec ta cancoillotte pas fraiche. J'ai vomi toute la nuit.

Al rit de bon coeur avec son frère. Etrangement, lui ne souffrait pas du même mal.
- Moi ça va. Juste un peu la gueule de bois. Rien dont je n'aie déjà l'habitude!

Se rappelant soudain de la raison qui l'amenait à arpenter les rues de si bon matin - nos lecteurs les plus assidus auront déjà compris qu'Al n'est pas homme à se lever avant les douze coups de midi - il agita la lettre sous le nez de son frère.
- Au fait, j'allais porter cette missive au pigeonnier situé au bout de la rue. Tu m'accompagnes?
- Dis-donc, tu serais pas en train de jouer le sentimental ? J'parie que cette lettre est pour la damoiselle Colombe !


Grrr. Il lit en moi comme dans un livre ouvert.

Aloan se contenta de hocher la tête avec un petit sourire.

- Tu lui racontes avec moult détails, vu la longueur du parchemin, à quel point la soirée a été belle.
- C'est ça. Tu as tout deviné décidément.


Tandis qu'ils marchaient côte à côte, Al éprouva un sentiment dont il n'était pas coutumier.
Pendant leur brève correspondance, il n'avait pensé qu'à une chose: retrouver au plus vite celui qui était le héros de son enfance. Mais à présent qu'Equemont se tenait à côté de lui, le dépassant d'une bonne tête et se plaisant à l'asticoter sur sa relation épistolaire avec Colombe, Al se sentait mis au défi par son frère aîné.
Il émanait du physique d'Equemont une intensité, une sagesse - ce qu'on appelle la maturité, mais le jeune freluquet ne le savait pas encore - qu'Aloan lui enviait. Oui, c'était de l'envie ce sentiment qui lui étreignait le coeur.
Une pensée fugace lui traversa l'esprit, associant Equemont et Colombe. Et l'envie se transforma l'espace d'un instant en jalousie. Mais Al la chassa bien vite, refusant de se laisser aller à de telles pensées.

Lorsqu'ils ressortirent du pigeonnier, son frère lui toucha l'épaule et dit:

- Bon c'est pas tout mais je t'ai promis une surprise. Elle t'attend par là.
Al avait complètement oublié cette histoire de surprise. Ses yeux se mirent à briller sous le coup de l'excitation.
- Je te suis!

Durant la petite marche qui suivit, ils reparlèrent de leur soirée de la veille et Al se détendit enfin, toute mauvaise pensée et sentiment d'infériorité balayés.
Leurs pas les menèrent devant un carré d'herbe où deux montures broutaient tranquillement.
Cette vision rappela aussitôt au jeune homme la passion de sa famille pour les équidés. En effet, leur père avait gagné sa vie comme éleveur et marchand de chevaux pendant quelques années, parmi les plus heureuses de l'enfance d'Aloan pour autant qu'il s'en souvint. Si Equemont en avait gardé un profond attachement envers ces animaux et une parfaite maîtrise de leur monte, il en allait autrement pour Al qui n'avait jamais persévéré dans ce domaine, plus par esprit de rébellion que par réél désintérêt.

Toutefois, entrevoyant les intentions de son frère, il prit le temps d'observer les deux juments et hocha la tête d'un air appréciateur.

- Voilà deux beaux destriers. Leur propriétaire a certainement du en payer le prix fort.
- Tu vois le plus grand ? C'est ma jument, je l'ai depuis un petit moment, elle s'appelle Bargilia. C'est un cheval de Frise, ceux qui sont connus pour leurs capacités guerrières.

Et Al de hocher à nouveau la tête et murmurer:
- Splendide.
- Et tu vois l'autre ? C'est le tien, je te présente un Barbe qui a cette particularité d'avoir une robe noire pangaré.

Le jeune homme posa sa main sur le bras de son frère, comme pour l'arrêter.
- Que... quoi? Tu m'as acheté une jument?
Sa poitrine et sa tête se mirent à cogner sous le coup de l'émotion.
- Mais je... elle a du te coûter une fortune! Kem...

Tu es complètement fou, je n'ai pas monté de cheval depuis des années!

Mais Equemont semblait amusé en lisant la surprise sur le visage de son jeune frère et poursuivait déjà:

- Tu peux remarquer les petites tâches blanches. Elles montrent la noblesse de l'animal. Il est rapide et supporte bien les chaleurs.
Al relâcha sa prise et suivit son frère vers les deux juments qui avançaient au trot dans leur direction. Toutefois il ne trouvait toujours pas ses mots pour exprimer sa stupeur et son embarras.
- Vois-tu, elles sont scellées, je pense que c'est plus qu'un appel, elles nous supplient de les monter. Je me demande bien d'ailleurs qui les a harnachées ?

Mon Dieu... Qu'est-ce que je vais faire d'un canasson, moi? Je sais à peine m'occuper de mes braies!

Son frère lui souriait comme un enfant impatient d'essayer son nouveau jouet. Il en allait bien autrement pour Al, dont l'appréhension devait se lire sur son visage.

- C'est trop, Kem. Tu n'aurais pas du. Merci beaucoup!

Il regarda son frère se hisser sur la selle et dut se résoudre à l'imiter s'il ne voulait pas entendre quelques remarques assassines sur son manque d'entrain.
Il dut cependant s'y reprendre à trois fois pour grimper sur la selle.

- Hum. Je n'ai pas monté depuis longtemps, j'espère que... qu'elle a bon caractère cette peeeet....ite
Déjà sa monture tirait les rênes et avançait, mais Al se redressa, serra les fesses et parvint à la maîtriser.

Pfiouuu! Va falloir que je me souvienne comment ça marche tout ça.


- Bon, on y va? lança-t-il d'un air faussement détendu à son frère.

Et la balade débuta.
Les deux montures marchaient côte à côte, apparemment familiarisées à la présence de l'autre. Mais Al ne put s'empêcher de remarquer que sa jument gardait toujours une petite marge de retard sur sa congénère qui avait visiblement le rôle de meneuse. Petit à petit le jeune blanc-bec retrouvait ses sensations d'antan même si il était encore loin d'être à l'aise.


- Et ma jument, elle a un nom au fait?
Comme son frère lui faisait signe que non, il se mit à réfléchir.
- Voyons... comment je vais t'appeler? Germaine? Cunégonde?
Il laissa échapper un petit ricanement et tapota sa monture.
- Bon très bien, ça ne te plaît pas? Je vais me creuser un peu plus la cervelle alors.
Lançant un clin d'oeil à son frère, il continua:
- Tu te souviens de cette jument alezane... comment s'appelait-elle, déjà? Je me rappelle qu'un jour son poulain s'était faufilé hors de l'enclos et qu'elle s'y était reprise à plusieurs fois pour sauter par dessus la barrière et rejoindre son petit. Elle avait passé des heures à faire rempart entre lui et les prédateurs, jusqu'à ce que Père les retrouve tous les deux et les ramène. C'est la bête la plus courageuse qu'il m'ait été donné de voir...
Ah! ça y est je me souviens! Mérida! Elle tenait son nom d'une ville située en Espagne, je crois bien.

Se penchant vers sa jument, Al murmura:
- Mérida, ça te plairait comme nom?
La jument se contenta de faire frémir ses naseaux, chassant probablement une mouche.
- Elle a dit oui, Kem! Me voilà un homme comblé!

Il avait retrouvé sa bonne humeur, tout heureux de sa trouvaille. A tel point qu'il ne vit pas une branche basse qui vint lui fouetter le visage, lui rappelant qu'il fallait rester attentif. Grimaçant, il ignora les rires d'Equemont et essaya de changer rapidement de sujet:
- Bon, où est-ce que tu m'emmènes, mon frérot? J'imagine que tu as une idée derrière la tête, te connaissant..
Equemont
12 avril 1461, Dôle, Extra Muros

Intérieurement, Equemont jubilait. Montrer à son frère qu’il avait encore certaines choses à lui apprendre lui donnait l’impression de rattraper le temps perdu. Pourtant il comprenait heure après heure qu’Aloan n’était plus ce petit garçon effronté de dix ans qui aimait provoquer ses aînés. Espiègle, il l’était certes encore. Mais déjà, des signes de la première maturité se faisaient voir. Mais il n’était probablement pas capable de les percevoir lui-même.

La réaction de son frère l’amusa. N’étant pas homme à se laisser berner, il comprit instantanément que cette lutte fraternelle rythmerait leurs relations. En aucun cas, Aloan n’aurait accepté de perdre la face devant Equemont.

- Bon on y va ?
- Allons-y doucement, on ne va pas les claquer tout de suite.


La fausse assurance du jeune le fit sourire. C’était l’illustration parfaite de ce qu’il venait de penser. Et c’est alors qu’il trouva le mot qu’il cherchait depuis le début, celui qui décrivait l'Aloan d'aujourd'hui : le courage.

Bien sûr le courage pouvait être fils de l’orgueil, mais il n’en demeurait pas moins que c’était du courage. Equemont avait toujours trouvé que cette qualité était une des plus honorable parce qu’elle était toujours une acquisition volontaire. Le fou n’est pas courageux mais simplement inconscient. L’homme de courage connait la peur mais la dépasse.

C’étaient ce genre de pensées mélangées qui lui trottaient dans l’esprit alors que les deux juments allaient au pas. Elles semblaient avoir décidé elle-même où aller, ce qui semblait arranger Aloan. Au moins, il n’avait pas à se battre pour la gouverner. En effet la jument d’Equemont connaissait bien le chemin parce qu’il le prenait régulièrement pour aller sur la colline se recueillir.

Aloan rompit le silence, encore captivé par cette surprise.

- Et ma jument, elle a un nom au fait ?

Il nia de la tête, tout en pensant qu’elle en avait certainement un mais qu’il ne le savait pas…

- C’est ta jument, c’est qui en est le maître, c’est donc toi qui lui donne un nom.

Les propositions les plus farfelues sortirent et étonnement l’animal semblait comprendre et récuser vigoureusement. L’alchimie semblait fonctionner entre les deux !

Puis son frère lui rappela cette belle Mérida. L’histoire lui restait gravée dans la mémoire par l’acte de courage qu’elle avait posé ce jour-là. Encore une fois, l'enfant d'alors avait retenu cette vertu.

Equemont regarda la nouvelle jument. Elle était fine et vive. Le genre de cheval qui pouvait avoir des ressources insoupçonnées. De plus, elle montrait des signes d’intelligence. Certainement cette jument irait loin par attachement à son maitre. Puisse cet animal être digne de Mérida !

L’aîné commençait à préparer ce qu’il allait dire à son frère. La peur commençait à l’étreindre, il ne savait pas comment il allait réagir.
Soudain, Aloan s’accrocha par mégarde sur un branchage déclenchant ainsi un rire partagé qui détendit l’atmosphère.


- Bon, où est-ce que tu m'emmènes, mon frérot? J'imagine que tu as une idée derrière la tête, te connaissant.

Une idée derrière la tête… S’il savait ce qui allait lui tomber dessus.

- Allons jusqu'en haut de cette colline.

Equemont piqua sa jument pour qu'elle passe au trot et regarda du coin de l'oeil pour voir si tout se passait bien pour Aloan. Finalement, il ne s'en sortait pas si mal. Ils y seraient vite.

Le printemps avait fait apparaitre les signes de cette nouvelle vitalité qui, bien que répétitive , surprenait toujours. L'odeur de la renaissance stimulait les sens, cela aida Equemont à se convaincre qu'une deuxième vie était possible. N'était-ce pas d'ailleurs ce que voulait lui dire Elysa en lui accordant inconditionnellement sa confiance alors qu'en extrayant ce qu'il avait commis de leur contexte, il n'était qu'un monstre.

La vue s'étendait sur toute le ville. Toujours il avait aimé ce spectacle. Le soleil qui se couche pour se relever. Enfin, pour peut-être se relever...
N'était-ce pas un acte de foi que de croire qu'à nouveau une nouvelle journée était encore possible, que l'on pouvait essayer de réussir ce qui a échoué la veille ? Encore une histoire de renaissance...


Il attendit que Mérida vienne se mettre côte à côte. Laissant Aloan contempler le décors quelques instants, il caressa l'encolure de sa jument, comme pour y puiser de la force. Puis il regarda son frère, dans les yeux.

- Te souviens-tu de ces jours où nous allions avec Esébia au bord des falaises pour observer le soleil se coucher ?
Et bien c'est ce souvenir que je souhaiterai que tu gardes à l'esprit tout en écoutant ce que j'ai à te dire.


Le grand blond se gratta la gorge. Il lui fallait maintenant dérouler la bobine du récit préparé. Son regard était maintenant parti dans le vague, cherchant à ne pas envahir Aloan par son émotion.

Il était une fois l'histoire d'un pauvre homme qui gagnait sa vie en élevant les chevaux pour un grand seigneur. Un jour, alors qu'il devait en livrer un certain nombre au castel, il aperçut une pauvre malheureuse dans la cour. Il fut stupéfait de sa beauté. Blonde et fine, les premiers mots qu'elle lui adressa le transirent de peur tant par leur douceur que par leur accent. Jamais il n'avait vu pareille beauté. Jamais il n'avait entendue une langue aussi surprenante. Laissant parler son cœur, il la recueillit chez lui si bien que neuf mois plus tard, elle était enceinte.

D'elle naquirent des jumeaux, tous deux blonds, révélant ses origines celtes. Elle resta très discrète sur son passé et se trouva très heureuse auprès de son époux et de ses enfants, finissant par s'intéresser à la passion de son sauveur. Cinq ans plus tard elle lui donna un autre fils. Le bonheur irradiait dans ce foyer. Les deux aînés grandissaient. Le garçon se fortifiait à vue d'œil et la fille embellissait chaque jour un peu plus. Le cadet était profondément aimé de ses aînés. Ce qui arriva ensuite ne se fit pas pressentir.

Un jour le père se blessa la jambe en tombant d'une jument rebelle et par conséquent envoya son épouse accompagnée de serviteurs et de son fils aîné qui avait alors douze ans s'occuper de la livraison prévue. En arrivant dans la cour du castel, il se trouva que le maître des lieux était en train de gourmander son majordome. Au moment où cet homme posa son regard sur la mère, le jeune adolescent comprit qu'il se passait quelque chose. En tout cas, ce fut après réflexion le seul signe précurseur que sa mémoire ait bien voulu lui fournir.

A partir de se jour la santé de la mère déclina et elle ne semblait plus être présente à elle-même. On la voyait fuyante, écrivant de mystérieuses missives. En six mois, elle mourut. Pour la première fois, les enfants virent leur père pleurer et comprirent qu'une part du monde venait de se dérober sous eux.

Alors que le père se noyait dans son chagrin, les jumeaux entreprirent de mettre de l'ordre dans les affaires de leur mère. Cachée dans un coffre en nacre, cadeau du père, ils trouvèrent une lettre tachée de larmes.

Equemont parlait sans s'arrêter, disant ces derniers mots, il sortit de sa poche un parchemin vieilli. Il le donna à Aloan.

Tu la liras à tête reposée, c'est une lettre où elle raconte son histoire, et où...

L'émotion étreignit Equemont.

.. elle te livre son testament, à toi son fils.

Equemont passa sa main devant ses yeux pour y effacer les traces de larmes. Il devait reprendre son récit. A la troisième personne, cela l'aidait.

Les jumeaux comprirent ce qui s'était passé et comptaient bien aller expliquer dans leur grande naïveté au responsable de leur misère qu'il avait brisé leurs vies. Mais ils n'étaient pas au bout de leurs surprises.

Le garçon d'ailleurs, lorsqu'il se retrouva seul avec le seigneur, réalisa subitement ce qu'il avait toujours perçu intuitivement. Tout le dégoûtait chez cet homme, et pourtant, ils faisaient la même taille et la même carrure, ils avaient ce même visage large et puissant. Par son regard, le jeune homme comprit que son interlocuteur avait lui aussi saisit cette terrible vérité. Ne demandant pas son reste, se retourna, prit par la main sa sœur, restée dans l'antichambre et partirent au triple galop. Dans un dernier regard depuis la cour vers le fenêtres du salon de réception du bourreau de leur mère, il s'aperçut qu'il les observait.

De retour à la maison paternelle, ils confièrent tout ce qu'ils avaient compris à leur père qui eut du mal à accepter la vérité. Cela acheva sa transformation d'homme heureux à vieil aigri.

Quelques mois plus tard, alors que partis en cavalcades sur un chemin le long des marais, les jumeaux furent accostés par une bande de brigands. Croyant au début à un vol, ils comprirent vite que leur intention était d'une autre nature. Ils en vinrent vite aux mains et le garçon, déjà fort, tenta de défendre sa sœur. Assénant un grand coup avec une lourde branche sur la tête de l'un d'entre eux, il lui écrasa le crâne. Furieux, les malandrins oublièrent leur rapt commandé. A plusieurs, ils bloquèrent sur le sol le garçon, prirent la fille, la violèrent et l'égorgèrent. Repus de leur méfait, il réalisèrent qu'ils avaient commis une énorme erreur. Leur fuite ne prit que quelques instants. Ils eurent tout de même la présence d'esprit d'emporter le corps de la jeune fille. Le jumeau, une fois libéré, hurla comme un loup à la pleine lune. Encore aujourd'hui, il ne se souvient plus des événements qui ont suivit.

Juste quelques semaines plus tard, il reçut aussi des missives de menaces envers lui et sa famille. Celles-ci devenant de plus en plus oppressantes, il comprit qu'il devait affronter son destin, seul, pour les protéger.


Equemont releva la tête après ces paroles.

Et c'est ainsi que je suis parti de chez Père.
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