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[ RP Ouvert ] Exaucez-moi...

Madeline
Après sa courte participation au tour de table poétique, la brune aux traits fatigués adopte son sourire doux des soirées mélancoliques et laisse de nouveau son esprit vagabonder. Ils sont bons, vraiment bons, ces soûlards aux allures de seigneurs déchus. Princes de leurs apparences, princes de leur instant, ils agissent, à l'aise, au milieu de la foule de troisième main qui leur sert de public. Soldats stupides, maris alcooliques, rebuts de la société, tout se côtoyait dans cette taverne qui n'avait rien à envier à celles qu'elle avait déjà occupé dans ses pérégrinations provinciales. La seule différence, peut-être, tenait en ce qu'ici, la bonne humeur semblait encore plus feinte qu'ailleurs où, parfois, elle arrivait à être sincère et simple. Misère et malheur semblaient envelopper tous les sourires, tous les regards et poignées de main, aller des mentons forts des hommes aux seins remontés et serrés dans des corsets des quelques femmes.

Madeline, donc, écoutait distraitement les vers de ses camarades de tablée. Tous semblaient avoir pour la poésie et la création cette aisance dont elle se savait évidemment dépourvue. Elle se trouva ridicule - pourquoi donc avait-elle pris la parole ? Puis elle se surprit à envier ces signes évidents d'éducation poussée, d'intellect avancé. Elle en avait fréquenté, des seigneurs avec de l'éducation mais plus cons qu'un cailloux (sans doute, d'ailleurs, était-ce la raison pour laquelle ils avaient fait appel à ses services plutôt que de s'offrir une courtisane de haut vol ou bien plus simplement de mener de front une véritable cour à une femme qui le mérite). Qu'aurait-elle aimé avoir cette aisance dans la pensée ! Elle aurait alors trouvé moyen d'exploiter de façon plus honnête ces réactions qu'elle provoque chez les hommes, les tournant en sa faveur, menant une vie faite d'intrigues et d'ascension sociale. Au lieu de cela elle avait lâchement abandonné à 14 ans tout projet de vie honnête et, défaitiste, s'était laissée devenir la femme à tout le monde.

Elle se surprit à imaginer ce qu'aurait été sa vie, eut-elle été moins physiquement allumeuse. Couturière dans un atelier jusqu'à trente ans, peut-être aurait-elle pu ouvrir le sien ensuite. Mariée à un homme du pays, sans aucun doute. Artisan ? Commerçant ? Non, probablement artisan dans un atelier. Jamais un commerçant aurait pu d'une vulgaire apprentie couturière s'enticher au point d'en faire son épouse. Elle aurait ensuite eu peut-être deux ? Trois enfants ? Plus ? Son mari aurait fini par aller aux putains, sachant mieux donner le change qu'une épouse-mère pauvre et fatiguée... Finalement, peut-être que son parcours de débauche avait été meilleur, lui permettant de découvrir les paysages de France et ses habitants, tous uniques dans leurs malheurs, malheurs qu'ils lui racontaient volontiers et qu'elle recevait, sans juger, sans parler, simple réceptacle d'une douleur difficile à supporter.

Le verre de prune de nouveau rempli par l'éphèbe à la main, elle se sortit de force de ses pensées et reporta son attention sur les bateleurs. Le plus jeune des deux donnait spectacle, superbe dans son rôle, et elle l'observa dans son duel masculin. Il venait de vider cul sec son verre et déclamait maintenant, doucement, des vers qui rappelèrent à Madeline qu'il fallait surtout qu'elle profite du moment présent.

Elle renversa sa tête en arrière, renvoyant sa chevelure dans son dos, faisant tomber une ou deux fleurs, et les premiers effets de l'alcool firent leur apparition. Le regard un peu plus vague, la tête un peu plus légère, les pensées comme un filet d'eau qui dégringole le long d'une vitre un jour de pluie. Elle se prit à sourire d'aise. Enfin, elle pouvait se laisser porter par les évènements. Tant pis s'ils étaient meilleurs poètes qu'elle. Tant pis si elle n'aurait pas de client ce soir. Tant pis si elle avait l'air ridicule, vieillie du regard par l'expérience du haut de ses dix-sept ans. Ce soir serait un soir de congé. Congé d'elle-même.

C'est à ce moment-là que la balafrée choisissant de quitter les deux messieurs en plein duel vint s'installer à son côté. Elle se sent observée mais ne dit rien. Après tout, elle en a bien l'habitude. Puis comme elle lui adresse la parole, Madeline tourne son visage redevenu doux vers elle, les lèvres tendues en un sourire léger.

_ Il faudra être raisonnable si vous comptez garder votre dignité ce soir...

Les verres pleins encore une fois sont désignés. Madeline s'interroge sur le concept d'intégrité. Peut-on encore vraiment l'être lorsque l'on donne son corps au tout venant ? Peut on réellement l'être une fois mis au monde, d'ailleurs ? N'a-t-on pas, tous, piétiné ce bien précieux dès l'instant où l'on a menti, triché, volé ? Ou plutôt : n'est-ce pas un concept qui par nature n'existe pas, le fantasme que les humains auraient d'un eux-même supérieur en tous points ? Le but illusoire d'une vie sur laquelle ils n'ont que très peu de contrôle ?


"Vous savez, la dignité est quelque chose de très propre à chacun. Mais vous avez raison. Il serait dommage de ne pas avoir de souvenirs de cette soirée."

Combien de verres avait-elle déjà bu ? Trois ? Quatre ? Plus ? Il était toujours temps de s'arrêter. Madeline désigna les deux garçons de la tête.

"Vous les connaissez depuis combien de temps ?"

Et elle attendit la réponse, contemplant le visage barré par la cicatrice blanche, se promettant qu'elle poserait la question plus tard, lorsque la prune aura dépouillé les hôtes de la table de leurs inhibitions.

[Cheffe Aldraien
Retrait de l'image, cf Règles d'Or. Bon jeu.]
Anaon
"Je sais que je suis... encore plus ignoble que la pire des bêtes, pourtant... j'ai le droit de vivre ! J'en ai le droit non ?!"
    -Old Boy-


    La dignité est quelque chose de très propre à chacun...

    _ Tout comme l'ivresse. Et pourtant, on court tous bel et bien après le même lapin...

    La main oublie le jeu des vers, portant le godet aux lippes qui s'entrouvrent. Elle a pris le pli de la jeunesse, mais pour cette fois, elle ne se livre pas au cul-sec. Une gorgée est avalée, gardée au palais qui se brule. Elle ne justifie rien du sibyllin de ses propos et le regard qui s'était à nouveau porté sur les jeunes hommes revient à la donzelle qui l'interpelle. Instant d'attente. La langue agonise, la prune est avalée.

    _ Eux ? L'œil retourne à l'étrange "couple". Le gamin depuis quelques prunes, l'autre depuis quelques pichets...

    Rencontre d'un soir, pour un soir. Compagnons de dérive qu'elle contemple. Elle colle le rebord de son verre à ses lèvres sans le boire pour autant, appréciant seulement son odeur fruité aussi corrosive que sa saveur. Elle se demande si tous toucherons le fond et qui, le premier, se laissera trépasser. Comme un jeu, elle s'amuse à parier sur le dénouement de cette soirée. A défaut d'avoir la réflexion en échec, autant s'en servir pour se divertir un peu.

    _ La sauterelle est surprenante à tenir si bien debout... mais c'est l'autre qui sombrera le premier.

    Réflexion murmurée, partagée à voix haute. Une courbe légère s'étire sur ses lèvres. Amusée, moqueuse d'imaginer les autres perdre au jeu en devenant aussi joyeux que des pinçons ou bien aussi ronds que des barriques. Comme le vétéran gouaille la bleusaille... envieux pourtant de l'inexpérience qui lui confère une innocence qu'il a depuis longtemps perdu. Jalouse, oui... Au fond d'elle, elle est jalouse quand elle regarde la foule qui ne parle qu'à coup d'éclat de rire, cette foule qui se débauche et qui arrive à oublier au fond de leurs coupes leur journée, leur vie et jusqu'à leur propre nom.

    _ Ne sont-ils pas beaux... rendus tous aussi naïfs que des enfants ?

    Moi aussi, je veux... Les azurites placides parcourent la taverne et ses visages déformés par l'allégresse jusqu'à ce qu'elle réalise que ses doigts triturent depuis un moment la fiole pendue à son coup. Le geste s'arrête. Dans cette petite prison de verre, son salut et sa damnation. Elle est là, son ivresse... Elle a toujours été là. Collée contre sa poitrine, oubliée de toujours y sommeiller... Jamais descellée. Son Poison. Les doigts essaient machinalement d'ouvrir le pendentif, cherchant le clac qui en fera sauter le sceau, le sens qui dévissera le capuchon. Et l'esprit prend grand soin de refouler la signification qui lui a un jour fait porter ce bijou.

    _ La dignité... Ce n'est ni plus ni moins que le respect de soi-même... et pour se respecter il faut être intègre. Intègre et entier. Voyez, ils ne se sentent entier que lorsque qu'ils oublient ce qui les ampute. Ils se sentent vivants, quand ils désinfectent leurs vies à l'alcool qui injecte dans leur tristesse comme une anesthésie. Une illusion de joie... Buvez donc jusqu'à vous sentir entière... Mais restez raisonnable, l'ivresse est un mirage, elle aura tôt fait de virer au cauchem...


    Un sursaut la coupe. Frisson glaciale. L'ongle se brise et s'écorche de concert avec un "clac" qui l'immobilise. Le regard se baisse, la paume s'ouvre avec lenteur. Elle grimace en découvrant la pulpe entaillée qui commence à suinter du carmin. Puis elle voit surtout la fiole ouverte... et la poudre libérée. Latence... Presque hésitante, religieusement, elle recueille un peu de la drogue sur l'index martyrisé et pensivement, la dextre s'en va remboiter la fiole à sa prime place. Poussière de rêve... Il faudra courir... Courir oui, avant que la drogue ne la rattrape... Oui, courrons alors.

    Elle s'est coupée de la foule, de la femme à côté d'elle. Seul point qui l'accapare est cette promesse poudreuse qui lui assure le gouffre qu'elle désire tellement.... Comment ne pas y avoir pensé plutôt? Elle sait pourquoi... Parce qu'elle ne voulait pas penser à çà... ni à lui. Les yeux se ferment et à l'index de bénir les lèvres dans un goût amer mêlé au ferreux sucré de l'hémoglobine. Elle frissonne par anticipation... bientôt son corps ne frissonnera plus. Les yeux s'ouvrent. Lui a-t-on parlé ? Elle n'a rien entendu. L'a-t-on frôlé ? Elle n'a rient resentit. Le sourire se fait moindre, mais pourtant, c'est tout son visage qui semble s'illuminer.

    Sans mot dire elle se lève lentement, attrapant un pichet de bière relativement plein, puis se penchant, elle repousse son verre de prune encore rempli vers sa voisine.

    _ Je crains qu'au final je ne perde la première... Buvez à ma santé.


    Et elle s'éloigne, ignorant les soulards, ignorant les rires, jusqu'au comptoir où elle demande au tenancier une chambre. Une grande. Un regard se tourne vers ses compagnons de soirée. Les bougres ont été bons ce soir... Ils méritent meilleure couche que le pavé souillé. Déjà les écus teintent en guise de caution. Déjà elle s'efface derrière le gamin qui la mène à l'étage. Ce décor-là n'est plus le sien. Elle laisse aux autres le soin de suivre ou non. Elle, elle s'en va sombrer à l'abri des badauds.

    Broder mon linceul, gravez mon épitaphe,
    Ce soir, je rejoins les cadavres.

_________________

Images originales: Charlie Bowater, Eve Ventrue - Proverbe Breton - Anaon dit Anaonne[Clik]
Alphonse_tabouret
Le rire de l’adonis retentit en réponse, tandis que la balafrée snobait sa main tendue pour s’accroupir à sa hauteur, et un instant, bref, les regards se croisèrent, manquant peut être de peu de déceler la boue bouillonnant sous l’alcool, déviés, in extremis d’une collision par la voix du jeune orateur.
Les onyx du flamand se reportèrent sur Valtriquet qui s’accaparait l’auditoire en jetant à la foule le tissu et la beauté, corps effilé doucement androgyne affuté dans sa panoplie, et la première chose qui lui vint naturellement aux lèvres fut un sourire gracieux un de ceux qui fleurissent quand on ne s’y attend plus, qui vous fauchent, vous entravent quand on n’a pas la prune pour amortir le choc des idées, des ressentis, de la mémoire… mais si les gestes d’Alphonse restaient mesurés, si son éloquence restait nette, nullement entravée par le pâteux de la langue, son ivresse se mesurait là, dans la sincérité des dessins de ses traits.
Le verre de prune vidé d’un coup finissait de lui chauffer agréablement la gorge et de diffuser son parfum capiteux à son palais quand le jeune homme entama un nouveau service en jetant quelques vers affilés à l’assemblée, avançant vers eux à la façon de la proie qui se croit hors d’atteinte des griffes. Pris à parti, récoltant le rythme imposé par son poing frappant, l’éphèbe fit disparaitre de son verre toute trace d’alcool, suivi par un cri d’approbation des frais galériens, qui l’imitèrent de concert en portant leurs chopes à leurs lèvres.
A la bouteille que le Criquet lui offrit, il tendit la main, rencontrant ses doigts délicats au creux d’une seconde plus vibrante qu’une autre, égarant dans la pulpe de sa dextre le fourmillement délicieux de l’éveil à la faim… Alphonse était grisé, assurément. La caresse du blond n’avait pas ravivé les souvenirs du Lion mais amusé le chat, et son sourire s’affina, tendrement carnassier une fraction de seconde, avant que la voix de l’adonis ne se baisse jusqu’à la confidence.
Chaque mot sonna comme une pulsation des tempes, sourde, incandescente, éternisant ses ondes dans l’air quand même elle s’insinuait dans la phrase suivante, et hypnotisé par sa voix, comme sa bouche, comme ses propos, le flamand oublia un bref instant le public, les acteurs, la scène…
La disparition de l’Anaon lorsqu’elle rejoignit le banc des soiffards lui échappa de la même façon, ou du moins, perçut il le retrait de la balafrée sans en mesurer le vide encore, saisi par un émerveillement de sentir le poids de ces mots sortant d’une bouche qui n’aurait dû avoir que l’extase à la commissure…

Alors, mon ami
est-ce que ces moufles ont un goût de paradis?

La question l’arracha à cette hypnotique aparté dans lequel, spectateur choisi et solitaire, il avait vibré durant toute la représentation, et il retint fermement sa main de s’aventurer plus avant, prenant la bouteille pour la porter à ses lèvres. La survie était une affaire de famille chez les Tabouret, surtout quand il s’agissait du paraitre, et Alphonse dans la rasade qu’il laissa couler à sa gorge, reculait instinctivement le moment où il lui faudrait répondre, bannissant par là même les mots premiers qui lui venaient en tête et qui tous auraient visé trop vivement les sensations que l’éphèbe venaient de déverser dans ses veines : quelque chose de lancinant, quelque chose de chaud, quelque chose qui savait naitre dans le néant.
Alphonse était presque saoul, il retrouvait non seulement le chat qui s’agitait en lui, mais les perceptions si longtemps oubliées. Ses lèvres délaissèrent l’embouchure de la bouteille pour y laisser apparaitre un sourire où l’insolence coutumière de ses vingt-quatre ans, ravivait celui qu’il ne savait plus être
.

-Vos moufles ont le gout du fruit
Et vos mots ceux du paradis…


Qu'il entende, l’éphèbe, le vrai sens des mots, quand les autres percevraient juste son plus simple homonyme. Sans se départir d’une moue vaguement impertinente, il humecta son pouce d’un coup de langue et vint le passer sur le menton souillé du Criquet, comme il l’aurait fait à un enfant, l’amusement dans ses prunelles toute tournées vers celles de l’Adonis, trahissant un jeu tout autre dans la lenteur de son doigt à effacer le trait de prune, dans sa précision à effleurer la lèvre en finissant son geste.

Cela dit Très cher,
J’en connais un bout sur les enfers lunaires…


Le sous-entendu le plus délictueux ne tenait que pour celui dont la peau gardait encore en mémoire la chaleur de la sienne, les autres y virent juste leur propre condition car dès lors que l’on était mal né comme tous ceux qui présidaient à cette assemblée, on n’avait pas le moindre espoir de flâner sur un rayon de soleil… Qui parmi tous ceux-là pouvait se targuer d’avoir le profil type du bon aristotélicien ?
Ce fut la balafrée qui ,en se levant du banc sur lequel elle avait retrouvé la brune et ses fleurs défraichies , le détourna des quelques mots qui lui restaient sur le bout de la langue. De balafrée elle était devenue fracturée, les traits de son visage reflétant un ailleurs duquel on ne pouvait plus l’atteindre, et Alphonse la regarda s’éloigner de la tablée après s’être penchée vers la quatrième comparse de la soirée quand la serveuse posait à nouveau pléthore de pichets sur la table, distrayant les autres qui n’eurent même pas le temps de protester de ce brusque départ.


-Nous gardons celle-ci, fit-il aux assoiffés du bout de table en leur montrant la bouteille de prune qu’il tenait toujours, et s’appropria l’épaule de l’éphèbe d’une main… Et je vous emprunte celui-ci, conclut-il en l’entrainant avec lui vers le banc où Madeline siégeait désormais seule… car il me semble, mon ami, que nous avons un mystère sur les bras, fit il plus bas en regardant la silhouette de la duelliste glisser au comptoir, s’évaporer dans les méandres de cette fin de nuit.

Il ne délaissa la pression de sa main qu’une fois qu’ils furent près de la brune, s’asseyant à côté d’elle, laissant assez d'espace au Criquet pour qu’il y prenne place aussi, les jambes à l’extérieur, tournant le dos à l’assemblée qui ne souciait plus d’eux, trop occupée à remplir les chopes :


-Alors Demoiselle, a-t-on changé de jeu sans nous prévenir ? la taquina-t-il d’un sourire que l’alcool détendait assez pour le rendre léger. Avons-nous délaissé les rimes pour un jeu de pistes ? demanda-t-il en désignant du doigt la balafrée qui disparaissait dans les étages.

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Valtriquet




Il avait toute son attention. Pourquoi être allé si loin, avoir pris le risque de se dévoiler sans protection aucune.... Valtriquet ne se posa pas la question. C’était comme ça, c’est tout. Il était aussi jeune et impulsif qu’observateur en retrait...sur la réserve.
Le brun l’avait inspiré, là, tout de suite. Les mots avaient suivi, ses défenses se fissurant un peu pour laisser entrevoir le reflet de son âme. Le temps semblait suspendu, comme l’était son regard ancré à celui d’Alphonse, guettant, quêtant même une réaction. La tête penchée de côté, il se délecta du spectacle de l'ivresse future qui s'écoulait en longues gorgées entres les lèvres entrouvertes du brun, la prune traîtresse s'insinuant dans ce corps qu'il détaillait avec un désarmant naturel.


-Vos moufles ont le gout du fruit
Et vos mots ceux du paradis…


Tes mots à toi sonnent comme un souffle divin, le parfum originel, juteux, sucrés et.... entendus

Il entendait bien le blond, et savourait même. Mais il n'eut guère le temps de s'extasier sur la réponse de son partenaire de bons mots. Sourcils froncés il subit le mouvement du pouce, virgule appuyée sur son menton souillé comme pour le ramener à la représentation de ce qu’il était,un impertinent freluquet jouant dans la cour des grands, et qui avait encore besoin d’être mouché. Faussement froissé, il en aurait presque happé, mordu ce doigt taquin, restant sur une expression colérique s'il n'y avait eu le prolongement du geste qui finit sa course dans un effleurement de sa lèvre, confirmant avec les mots qui s’ensuivirent le jeu habile des sous entendus.

Cela dit Très cher,
J’en connais un bout sur les enfers lunaires…

Tout comme les animaux, l'homme, qui en est la représentation la plus évoluée, émet des signaux que seule son espèce reconnaît. Des gestes, des mots, des regards... Ce qui est nettement moins perceptible et moins reconnaissable étant les signaux émis par ce qu'il croit être des odeurs. Hors ça vient de bien plus loin que cela.
La voix grave, suave, d'Alphonse fit vibrer au fond du jeune blondinet ce signe de reconnaissance qui allait au delà des mots et de la parade du paon. Un instinct animal, une musique au diapason avec son semblable. Derrière l'esquisse de son sourire, derrière ce regard d'onyx, le brun possédait ce même instinct. Val le sentait.

La bouche juvénile et charnue esquissa un léger sourire au jeu du chat et de la souris ,si bien perçue que la jubilation au seuil de son esprit lui laissait entrevoir d'autres jeux moins innocents.
Pendant tous ces instants, Val avait ressenti l’intimité de leurs regards, de leurs gestes et paroles à demi-mots couverts. Pour cela il devenait un expert, autant dans l’art du paraître que dans celui de taire ce qui aux yeux du commun serait sacrilège.
Mais parfois, lorsque ses démons le poussaient, il allait au plus loin , accentuant même cet état ambigu, par jeu, par défi. Ce qui lui avait valu ce soir encore d’en avoir la lèvre fendue.

Pour l’heure, les rires et les voix, auparavant relégués au second plan, refirent surface dans un bruit presque assourdissant, lui rappelant le lieu où il se trouvait.
C’est presque avec reconnaissance qu’il accepta la main d’Alphonse sur son épaule. Cette simple apposition de ses doigts le ramenait sur une terre ferme que son esprit avait quelque peu quitté. Pas si simple, ni anodin. Il aimait.
D’ailleurs c’est en suivant le brun, attentif à ces mots, qu’il prit conscience de la disparition d’un élément important de la pièce. Pièce maitresse qui s’était esquivée après un dernier salue une fois les rideaux tirés.
Les jambes tendues dont les talons reposaient sur le sol brut, séant bien installé sur le banc, le criquet regardait l’endroit désigné par Alphonse d’où avait disparue la balafrée, songeant à la raison pour laquelle la belle leur avait faussé compagnie.
Etait-ce un jeu de pistes comme le brun semblait le penser? S’était-elle lassée?
Le cercle formé par les trois compères se refermait dans une concertation de comploteurs, supputant sur les causes de la disparition du quatrième éléments.
Voilà matière à alimenter l’intérêt que Val lui porta et occuper ses idées à d’autres choses que folâtrer... du moins tant que les onyx ne passaient pas à l’abordage, prenant le risque cette fois ci de le faire chavirer comme une vulgaire coquille de noix.... ou pas.
En attendant, il commençait à ressentir insidieusement les premiers effets de l'alcool échauffant et fluidifiant le flux de son sang. Et ça aussi ça lui plaisait. Le seuil entre son cerveau réactif et ses idées quand elle seraient confuses n'était pas encore atteint, ni le dernier palier où son corps affalé ne pourrait que suivre l'univers vaporeux dans lequel il plongerait.

D'abord silencieux, écoutant les questions posées avec légèreté par leur compagnon de la nuit, il se tourna ensuite vers la mignonne , prenant le temps de regarder ses traits gracieux et doucement lui demanda:

- Vous qui avez eu les faveurs de sa compagnie et de ses confidences, dites nous. Dites nous donc quels étaient ses derniers mots avant de s'esquiver ainsi.




Edit pour remise à norme d'image
Madeline
Des quelques mots échangés avec la balafrée, Madeline apprit que ses compagnons de tablée n'avaient aucune histoire commune au-dela de la soirée qu'ils étaient en train de vivre. Ainsi, ils partaient tous du même... "point". Point d'exclamation, point d'interrogation, point virgule, poing dans ta gueule, poids, pas... Et déjà, l'esprit de la brunette mignonnette s'est envolé vers des contrées lointaines et accessibles qu'aux alcoolisés. Elle écoute à peine le discours que lui tient sa voisine sur la dignité, d'une oreille distraite tout au plus. Elle parle d'intégrité, d'amputation... Madeline ne comprend plus très bien mais elle acquiesce, silencieusement.

Silence, d'ailleurs. Un silence se fait, un silence inattendu, dérangeant. Un silence au milieu d'une phrase ? "Non, d'un mot" dit la part de conscience qui écoute encore. Cauchem... Cauchemar. Le sang s'écoule, un petit peu, au creux de la main. Une poudre est répandue - qu'est-ce ? De rêveuse, la catin est devenue observatrice, fascinée, obsédée presque par la personne qui d'elle est la plus physiquement rapprochée, ses pensées étant toutes tournées sur son comportement, ce qu'elle peut bien penser, imaginer. Qui est-ce qui se cache derrière ce visage balafré ? Quelle est l'histoire de la cicatrice ? D'où vient cette poudre ? Pourquoi ? Comment ? Trop de questions se pressent à la porte de sa réflexion et elle est soudain submergée.

Instinctivement, sans réfléchir, elle se penche, passe un doigt là où la poudre s'est répandue. Le porte à sa bouche, y laisse courir doucement sa langue. On lui pousse un verre de prune, elle le vide. On pourrait lui tendre un contrat de mariage au plus laid des hommes de la taverne et elle le signerait, sans le lire. Et voilà que la balafrée la quitte, elle aussi. Est-elle donc destinée à n'être que seule, où qu'elle puisse se trouver ? Elle se verse un nouveau verre de prune. "Buvez donc jusqu'à vous sentir entière" qu'elle avait dit. Alors elle boit.

La voilà rejointe par deux autres, liés par un ruban fait de flirt et de tension sexuelle qu'elle a bien été forcée de connaître sur le bout des doigts, le sexe étant son travail. On l'interroge, elle sourit. Sourire naturel et non plus forcé. On lui désigne le quatrième larron qui se fait la malle en direction des escaliers. Jeu de piste ? Oui ? Non ? Elle ne sait pas. Mais sa curiosité est piquée, tout à coup. On la presse, on l'entoure, elle se sent aimée, elle voudrait plus... A moins que... seraient-ce les effets de l'alcool ? De la poudre blanche ? D'autre chose encore ?


"Il me semble qu'elle nous a enjoint de boire à sa santé."

Alors on but. On but tant et tant qu'on décida, ivres, maîtres de nos corps et de nos sensations de rejoindre cette femme mystérieuse qui s'est si vite éclipsée. Madeline la première, quitte le banc, chancèle un peu, se tient aux tables, à une épaule, à un torse contre lequel elle se cogne. On passe devant le comptoir, on grimpe les escaliers. Le monde autour d'elle semble tanguer comme un bateau amarré. Le décor également change petit à petit, comme dans ces rêves oppressants où on ne distingue plus bien le plaisir et la joie de la souffrance ou de l'angoisse. Les escaliers sont sans fin, tortueux, elle manque de trébucher, se reprend au dernier moment. Les deux autres la suivent derrière, elle n'ose pas se retourner, de peur de perdre l'objectif de cette montée fastidieuse des marches.

Enfin, elle arrive dans un long couloir sombre, éclairé de temps en temps par une torche brûlante, dansant dans l'obscurité. Inconsciente qu'elle chante à voix haute, sa petite mélodie mélancolique se distingue au-dessus du brouhaha lointain des ivrognes de la taverne.


"Ivre, Je vous veux ivre d'émoi
Tout à moi , fiévreux, transit d'effroi
Même si j'ai honte parfois.

Oh et tes mots comme des mains
Qui nous tiennent et nous soumettent enfin
Tu nous rêves contraints.

Mais la nuit mes rêves ont des formes de théâtre sans décor
J'attends l'aurore.
Libre, la nuit mes rêves dérivent
En ces lieux qu'on dit tranquilles
Qu'entendent-ils? " *


Où dort-elle, la balafrée ? Où est-elle donc ? La catin veut se perdre dans son giron, veut la couvrir de baisers, lui tirer les cheveux, lui poser mille et une questions, l'ignorer, porter ses vêtements et d'autres choses encore. Bières, prunes, drogue... Quelle inspiration vous suscitez !

Alphonse_tabouret
Tout avait un gout d’ailleurs ce soir-là, et si la pièce qui s’était jusqu’alors jouée avait tout de la comédie bon enfant à laquelle on se livre parce que le public le réclame, parce que le metteur en scène rêve de vous voir marcher dans la lumière, parce que soi-même, on ne sait plus comment faire pour que les choses reprennent leur place, elle s’enfonçait désormais dans un autre style, plus redoutable… celui de l’improvisation. Les comédiens buvaient de trop, les spectateurs plus encore, et entre ses tempes aux accents éthérés, dansaient désormais des bribes de pensées qui n’avaient plus d’ordre, remettant à la bouche du flamand, ce gout de chaos qui l’ensevelissait et qui, étrangement ce soir-là, lui rendait l’envie de mordre et non pas de s’asservir à ses lignes de comptes pour en apaiser la déchirure.
Balloté entre le frôlement de la cuisse chaude du criquet à côté de lui, s’accrochant comme dans un demi rêve aux fleurs fanées de la jeune femme à leur côté, saisissant les verres aussi souvent qu’on les lui proposait, buvant comme l’avait demandé la balafrée, Alphonse s’enfonçait doucement dans une cacophonie des sens où le fauve exultait de cette liberté soudaine. Plus de texte, juste les sens mis à vif par cette bouffée d’air inespérée, par ces envies turbulentes qui l’agitaient dès que le frôlement des tissus lui rappelait la proximité de la peau de son voisin, l’impression, fugace, passagère, de vivre un peu… comme avant… pensa-t-il un instant, piqué, indéniablement, mais désormais trop saoul pour s’attarder dessus. Elle avait parié sur sa perte première, l’Anaon… Elle n’avait pas tort, si ce n’était que perdu, il l’était déjà. Il aurait pu lui dire le gout de la terre, de la boue, du désespoir, il aurait pu lui raconter le chant de la mélancolie, celui de la rage, et celui de l’abime. Il aurait pu lui narrer le froid, glacial, l’étouffement brulant, l’incandescence des nerfs dès qu’il pensait de trop à ce monde qui déployait ses charmes pour mieux les annihiler… la chute avait été vertigineuse.

Notre dame lui avait secoué les tripes, Thomas avait soufflé sur les braises d’un passé engourdi, le grain de folie avait tout accepté, et malgré tout, ce n’était ni Axelle, ni le Talleyrand, ni même Annelyse qui faisait éclater ce premier soleil sous son crâne… c’était cette tablée d’ivrognes, et ses trois partenaire de scène… Ingrat le jeune Tabouret, oui, ingrat, dans une vie ingrate. Les mains aimées l’avaient saisi, agrippé, épaulé autant de fois qu’il les avait repoussé, vaillantes, déterminées, et c’était avec de parfaits inconnus qu’il retrouvait le gout premier de l’existence…
Il noya les derniers mots dans un verre dont il ne savait plus le contenu, aiguisant un sourire doucement vaporeux, vaguement insolent quant aux interpellations des autres, rajoutant çà et là, un mot à la cantonade pour ne point frustrer ceux qui l’avaient aimé si fort que ce soir, il avait été à eux tous lui qui n’était plus à personne.

Au fil des minutes, des anecdotes glanées, des verres posés et repris sur la table, la nuit poursuivait son cours, impitoyable avait-il appris, car rien, rien n’empêchait le monde de continuer à tourner et lorsque Madeline se leva, chancelante, il se souvint qu’à cet instant, le monde suivait son cours en claudiquant, criant la disparition de l’une de ses protagonistes principales. Allumé d’une envie neuve, de ses vingt-quatre ans qui lui en semblaient parfois le double, il abandonna ses ruines personnelles pour laisser quelques mots perler à son museau félin, s’adressant au Criquet dans un sourire que l’alcool et l’espièglerie faisaient vibrer de concert, retrouvant la dorure si agréable de cette jeunesse dépensée aux bons soins de la fortune parentale, privilège des nantis :


-Boire à la santé d’une qui n’est pas là, pourquoi pas… Mais quand elle se trouve en haut des marches, n’est-ce pas de notre ressort de lui amener le verre qui lui est dû ? demanda-t-il en se penchant vers lui, réduisant honteusement la distance de leurs visages. Son sourcil se haussa dans une moue de défi tandis qu’il se levait, saisissant une bouteille au liquide ambré trainant sur la table, repoussant l’envie brusque de s’abimer un peu plus dans cette proximité que le vin, la bière et la prune aiguillonnaient en lui lorsque ses onyx s’égaraient sur le visage juvénile de son voisin. Le décor chancela un instant, fébrile, et ce déséquilibre amena un rire rare à la gorge d’Alphonse, non pas de ceux dont il avait couvert son auditoire ce soir, mais un de ceux qui viennent aux lèvres sans qu’on les ait forcé. S’accrochant à la voix de la serveuse qu’il manqua de percuter, lui assurant dans le prolongement de son rire qu’il ne tomberait pas, refusant dans un sourire parfumé son bras joliment potelé pour marcher droit, il se tourna vers l’éphèbe et lui tendit une main pour le relever. L’entrelac des doigts du Criquet aux siens fut court, trop court, et Alphonse pour la première fois depuis bien longtemps, maudit la lumière encore trop crue de l’auberge crasseuse, ce public pas assez indifférent de leur spectacle, et même la taverne de ne pas être quatre murs vides dans lesquels il aurait laissé se déverser tout ce que son corps irradié lui chuchotait de plus déplacé. La laisserons nous seule découvrir ce qui se trame dans les hauteurs ? demanda-t-il au jeune homme en lui désignant la silhouette de Madeline qui continuait sa progression diffuse. Se retournant vers l’assemblée en les quittant, il salua d’une voix forte, posant une poignée d'écus sur la table : De quoi nous oublier, nous, et notre absence.

Il agrémenta le geste d’un court penchement du buste, une main posée sur le cœur, jouant une dernière fois d’une raideur empruntée pour déclencher quelques rires, et voyant la crinière de fleurs fanées s’agripper aux premières marches de l’étage pour y disparaitre, entraina le blond dans son sillage d’un pas plus chaloupé que prévu, un sourire aviné et idiot sur les lèvres.Curieux de ce qu'ils trouveraient en haut, happé par la sirène qui les avait si merveilleusement régalés avant de les quitter, il se rendit compte que soudain, seule comptait cette nouvelle quête commune, cette pénombre nouvelle, ces sons qui s’étouffaient dès que l’on quittait le tumulte des tables pleines, ce brusque changement d’atmosphère qui n’arrivait pas à dégriffer le chat qui remontait en ondulant le long de ses nerfs trop longtemps engourdis.

Anaon, où es-tu ? Que fais-tu ? M’entends-tu ?

La présence de l’Adonis grignotait lentement dans cette fraiche obscurité la raison la plus abrupte de ses penchants, et il se surprit à guetter dans un sourire en coin, le moment où Madeline disparaitrait dans les hauteurs du couloir éclairé par la flamme mourante d’une petite torche, et lorsqu’il ne resta d’elle que quelques mèches et qu’un filet de voix entonnant une mélopée aussi douce que triste, le fauve se retourna, surplombant brièvement le dernier acteur de cette comédie dramatique, un index posé aux lèvres pour lui intimer le silence, ce sourire toujours plein de morgue dessiné sur le visage, car aussi intrigante que soit la duelliste et sa brusque disparition, les envies enfin éveillées du chat passeraient avant.

Dans le bleu jauni des marches, il prit quelques instants pour savourer le visage qui lui faisait face, la seconde de surprise, le doute sur ce que le fauve lui réservait comme jeu, avant de se pencher, la senestre habile délaissant sa pose pour cueillir la nuque blonde délicate, et posa ses lèvres aux siennes pour les mordre doucement.
Ils avaient tellement joué avec le Lion à ces moments volés, à se satisfaire de si peu quand leurs corps demandaient tant, que s’il n’avait pas déjà eu l’oreille dressée depuis l’enfance, à reconnaitre les sons qui jalonnaient la vie des maisons, il aurait pu tout apprendre durant ses dix années d’apprentissage… mais le chat connaissait les bruits, ceux des pas qui viennent, ceux des pas qui frôlent, ceux des pas qui s’éloignent et il se permit, aux aguets par reflexe, de s’attarder plus à cette bouche, d’en découvrir la chaleur au détour de cet escalier providentiel, de la gouter avec une avidité qui ne se mesurait qu’au bref instant qu’il avait devant lui. La bouche du Criquet fut happée, mêlée à la sienne, prise avec une conviction à laquelle il ne s’attendait pas, sentant s’éveiller en lui le désir de posséder à la langue qu’il rencontrait, tordre son ventre d’une chaleur bienvenue. La pulpe de ses doigts fourmilla et il resserra sa prise sur la nuque gracile, presque féminine du jeune homme, la marquant de ses envies les plus instinctives pour mieux la relâcher.
Son index délaissa les cheveux blonds pour remonter en une caresse lente à sa joue et finalement se poser sur les lèvres de l’Adonis, lui intimant à son tour le silence dans un sourire impertinent. En haut, les pas de Madeline avaient ralenti en même temps que le débit de ses mots. Quelques marches suffisaient pour la rejoindre, et passant sa langue sur ses lèvres pour emporter les dernières paillettes du Criquet avec lui, le flamand entreprit de rejoindre les hauteurs définitivement, plus saoul encore de ces quelques secondes volées aux yeux de tous que de l’alcool qui pourtant, tempêtait avec emphase dans sa tête..

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Valtriquet





Amateur de névroses dont il collectionnait les troubles, comme d’autres punaisaient sur les murs de superbes papillons expirant leur dernier souffle de vie sous la torture, Valtriquet , victime consentante, avait réussi à fleurir la traîne de son angoisse enfantine d’un labyrinthe tortueux de repaires, d’alertes, de signes aux codes imbriqués, mis en place par son jeune esprit, et dont la capacité de maîtrise n’avait jamais été mise en déroute jusqu’à ce jour. C’est ce qui lui permettait d’être, d’exister dans le paraître, d’afficher cette désinvolture propre à la jeunesse décadente dont il se faisait le porteur, comme un vêtement taillé sur mesure, de bonne facture, sans le moindre petit fil qui ne dépasse. Il veillait à ne pas laisser là, prise à démonter la trame que lui même avait tissé année après année.

Toujours impeccable dans sa tenue. Même sa nonchalance ne souffrait retenue. Sauf quand l’animal en lui se réveillait, le fougueux, l’espiègle goupil se jouant des apparences et usant de tromperie pour s’adonner à quelques jeux de dupes dont il se sortait bien, la plupart du temps. Quelques coups échangés c'était bien peu payé pour se sentir vivant.
La maîtrise était sa seule forteresse, infranchissable, sans faille, dont il ne pouvait, ne voulait pas nier ou approuver l’existence. Elle était devenue concrète, il l’amadouait, l’entretenait comme la plus vénale et sublime des catins, car elle était... sa seule ancre, l’arrimage de sa raison sur la proue du vaisseau fantôme voguant comme un no man’s land et l’empêchant de dériver. Tant que les choses étaient tues, elles n’étaient pas dites. Tant que le nom des choses n’était pas prononcé, ce que le mot représentait n’avait pas d’existence. Le verbe est le mot qui affirme l’existence de toute chose. Val s’employait à en jouer. Mais il était si jeune le Criquet, et se sentait si fort tant qu’il avait la conscience de l’être.
Seulement....sa faiblesse, son talon d’Achille, qui était paradoxalement aussi sa force... c’était un sentiment qu’il refusait inconsciemment de recevoir ou de donner, un sentiment si naturel pourtant...l’amour....l’abandon totale, la reddition de toutes ses défenses érigées à force de volonté, et oublié avec le temps.


Le Criquet était un peu comme un jeune animal suivant son instinct. Instinct de survie primaire qui n’avait rien à voir avec la bonne éducation qu’il avait reçu en pension. Chapitre de sa vie qu’il haït pendant de longues années, lui donnant encore plus de rage. De cette période il ne prit que le meilleur, la ruse du renard, l’habileté à vivre au milieu de ses contemporains, à les observer pour surtout ne pas leur ressembler, mais se fondre plutôt en eux comme étant un des leur, jeunesse insouciante de laquelle sortiraient de grands hommes... véreux, à l’image de leurs pères, politiciens ou grands seigneurs. Tout ce qu’il exécrait. Patiemment il apprenait, jour après jour, pour parfaire ses connaissances, pas seulement les matières fondamentales, mais la matière tout court...la chair. L’homme était son sujet de prédilection. La faune ne le dérangeait pas. Limite si ce n’est pas là qu’il se sentait le plus en sécurité. Son terrain de jeux préféré où il pouvait maîtriser, s’amuser. Voir même frôler le danger en se mettant dans des situations cocasses ou dramatiques. Rien ne l’arrêtait. Son but? Brûler cette vie qu’il ne pensait pas mériter. Et surtout...Expier.
Expier ce passé qui lui faisait horreur. Acteur d’un drame dont il se croyait l’auteur, comme si lui même en avait écrit la divine tragédie... de sa main enfantine, de ses doigts graciles où sa tête, alors auréolée de boucles blondes soyeuses, rêvait de chevalerie, de batailles et de victoires, armé d’une simple épée de bois..
Et toute sa jeune vie s’était construite depuis sur cet acquis. Une erreur...

Seulement voilà. L’adonis n’avait pas choisi de sortir de la taverne ce soir, sa bouteille commandée à la main, pour s’enivrer entre des bras dont il n’avait que faire.
Son intérêt s’était porté sur une joyeuse tablée, et un couple en particulier. La donne allait-elle être changée? Elle l’était déjà. Quoique fasse Val, les dés étaient déjà jetés.
Il appréciait particulièrement cette soirée, plus détendu qu’à l’accoutumé. Le vin y était pour quelque chose bien sûr, le rythme des tournées, les visages du peuple des assoiffés, tribu dont il était si facile de s’intégrer quand l’ambiance bon enfant est de mise, pourvu qu’aucune anicroche ne vienne perturber l’ensemble parfait du château de cartes. Le trio tirant nettement son épingle du jeu dans l’échelle de son appréciation.
Et, le brun...virtuose de la prose, violoniste dont l’archet suspendu faisait vibrer en lui la seule corde qui le ramenait à la vie, la vrai. Celle où l’on ne triche pas. Celle dont il avait le plus peur.
Mais pour l’heure il jouissait de sa présence, de sa proximité, sans rien laisser paraître de l’effet qu’il lui faisait, attentif pourtant au moindre frôlement de la cuisse d’Alphonse sur sa peau réceptive . Le message de l’Anaon était clair.

Soit. Buvons puisque le vin est tiré.

Alors il trinqua le criquet, vidant et absorbant le breuvage qui s’insinuait dans son corps, imaginant le parcours de l’alcool qui étape après étape cheminait dans tout son être, jusqu’à ce qu’il ne puisse plus compter ni les verres, ni la construction de sa déchéance éthylique, et qu’il baigne dans des fragrances olfactives où l’odeur de la prune se mêlait au parfum de la chevelure de la brune où il noyait son visage pour la humer à loisir tout en effleurant son corsage, et le parfum naturellement musqué du brun dont il s’imprégnait l’odorat pour ne jamais en oublier la trace. Ou même assister, bouche bée, au rire en cascade du Tabouret, ébloui par la symphonie des notes qui s'échappaient de sa bouche.
Mais la pièce n’était pas finie, même si le lourd rideau pourpre s’était refermé. Le scène suivante se faisait en coulisse, loin des regards indiscrets.


-Boire à la santé d’une qui n’est pas là, pourquoi pas… Mais quand elle se trouve en haut des marches, n’est-ce pas de notre ressort de lui amener le verre qui lui est dû ?”
Le souffle d’Alphonse avait à peine atteint la frontière de ses lèvres que déjà celui ci se levait et si par la suite il n’avait pas tendu la main vers l’Adonis, entrelaçant ses doigts aux siens dans un trop court échange, il aurait bien été en mal de se relever, ses pensées l’emportant dans un univers clos où les images provoquées par le corps trop proche du brun le laissait rêveur.
- La laisserons nous seule découvrir ce qui se trame dans les hauteurs ?

Il avait envie de dire oui le Valtriquet. Au lieu de cela, souriant évasivement, il regarda la danse chaloupée de Madeline, s’attachant sans raison aux petites vagues de ses jupons qui tanguaient autant que sa vision .
-Evidement que non. Comment résister à une telle attraction.

La balafrée...Une énigme de plus à déchiffrer. Il se prit à imaginer la pulpe de son doigt caresser lentement le prolongement du sourire de la belle qui s’étirerait éternellement, trouvant une beauté dans le tragique, comme le masque mystique d’une déesse à vénérer non pas que pour sa beauté, mais aussi sa fragilité si humaine.

Raflant au passage son plastron jeté négligemment à terre précédemment, et qui lui valut par ce geste une seconde d’étourdissement auquel il répondit par un léger rire, l’ éphèbe suivit le brun qui suivait la petite fleur fanée, qui elle même suivait quoi? Des traces...
Jeu de piste de l’Anaon vers... ce qu’ils finiraient bien par découvrir.
D’une démarche pas très assurée, tête droite pour éviter le vertige d’une vue plongeante sur le sol, Val esquissa un sourire en tentant de deviner sous le rempart du tissu, les chevilles d’Alphonse, ses mollets, ses jambes qu’il imaginait longues aux muscles étirés et son... Visage qui soudainement apparut.
Le mouvement de retournement brouilla sa vue. Point de fessier à imaginer sous le frottement du vêtement dans la montée des marches. C’était un sourire. Son sourire si charmant, si charmeur. Pas encore trop profondément enfoui dans les vapeurs de la prune, l’Adonis observa les deux moitiés de sourire qui encadrait l’index intimant le silence, et leva lentement son regard étonné vers les onyx d’Alphonse.
En lui se réveilla le rappel. Première impression qu’il avait eu, quand penché vers le brun, il lui avait servi le premier verre. Sensation mêlant un de ses signes d’alerte et l’envie de pas en tenir compte. Et lorsque, essayant de trouver une assiette stable à son équilibre précaire, le visage du brun dans une semi-obscurité s’inclina de côté pour venir mordiller ses lèvres , les happer ensuite dans un doux baiser, le criquet ne dut son salut qu’à la grâce des doigts qui retinrent sa nuque, l’empêchant de perdre sa stabilité de funambule, autant sur l’angle de la marche, que sur le fil de sa raison si correctement raisonnable. Il goûta à cette bouche, d’abord avec prudence, douceur, appréciant la texture fine des lèvres, la saveur d’une langue prometteuse qui se faisait plus possessive, pour ensuite répondre au baiser avec une passion qu’il dut freiner.
S’ils n’avaient pas été dans une situation où, la proximité d’autres errances vagabondes et la voix chantante et atténuée de Madeline traçaient le fil rouge auquel sa réalité s’accrochait encore, il lui aurait montré au brun en le collant doucement contre le mur, le visage noyé dans son cou, sa bouche en parcourant la peau frémissante, comment son désir tordait son ventre par de délicieuses souffrances, comment son baiser l'émoustillait.

La douceur avec laquelle l’index d’Alphonse remonta lentement sur sa joue pour sceller ensuite ses lèvres à peine délaissées le troubla , apaisant le feu de ses reins.
Reprendre le chemin des dames, et subtiliser l’espace de ce souvenir fortuit et furtif d’un instant volé sur les marches de l’escalier, l’amena à esquisser un sourire sur ses lèvres qui gardaient en mémoire l’empreinte de la bouche gourmande. Son esprit était trop vaporeux pour avoir pleinement conscience que ses bottes de sept lieux trop habituées à fuir, le portaient là sur un terrain en pleine mouvance.


Anaon

    Elle a suivi le gamin jusqu'à une porte qu'il a ouvert sur une pièce de taille appréciable. Un lit se tenait là, assez grand pour tenir deux personnes, un autre plus petit demeurait enclavé dans une alcôve. Les azurites se foutent bien du mobilier. A peine le petit page l'a-t-il laissé entrer qu'il s'éclipse sans un bruit en abandonnant sa lanterne sur un guéridon. Sans même se retourner, une main chasse d'un geste vague la porte qui se pousse sans totalement se refermer. Elle a trouvé ce qu'elle voulait. Sans se presser, elle rejoint un fauteuil où elle prend place confortablement. Elle pose son pichet de bière sur une table basse qui lui est accolée. Elle attend.

    Les voix ne sont plus que des sons inarticulés et sourds qui roulent sous ses pieds. Elle croit percevoir parfois une vibration dans le plancher. Un frisson paresseux ébranlé par une acclamation plus osée qu'une autre... Une ambiance de coton. L'ouaté des rires assourdis. L'aura sibylline de la lanterne qui crache sa lueur à travers les fentes de son cuir parchemin troué. L'œil s'accroche au plafond. Elle attend.

    C'est plus long que la première fois... Elle n'a pas le cœur qui bat à tout rompre. Ni les lèvres qui s'électrisent d'en avoir connu d'autre de trop près. Et pourtant, elle ne s'impatiente pas. Sage Anaon... Sa patience se fait d'or et sur les lèvres flotte l'ombre d'un sourire anticipé. Sourde au monde, elle prend soin de repérer le subtil empoisonnement qui s'empare de ses chairs. A l'affut de la moindre trace de son chemin. Au bout d'un instant, elle subit le paradoxe étrange qui lui assèche la langue. Elle la sent pourtant pâteuse, glaiseuse, pareille à un pavé d'argile qui imbibe la moindre goutte d'humidité avant qu'elle n'ai le temps de saliver. Ses sens la trompent déjà ? Et quand le goût de l'ipomée s'estompe, quand elle ne devient qu'une parcelle de saveur qu'elle ne peut même plus sentir, la mercenaire porte le pichet à même ses lèvres pour s'inonder la gorge de bière. Non, elle n'aurait pour rien au monde gâcher le goût de cette si précieuse poussière, elle, qui n'avait jamais quitté son cou dans sa fiole inviolé...Mais elle veut chasser Bourgogne qui tente de s'immiscer dans le fil de ses pensées.

    Un frisson timide la cueille jusqu'à se muer en un picotement qui afflue jusqu'aux bouts de ses doigts. Elle lève la paume devant ses yeux. Ses doigts se font gourds... comme lorsque que l'on a des fourmis dans le pied et qu'on ne sent même plus le sol sur lequel il se pose. Un sourire béat s'étire sur ses lèvres. Oh oui... Viens donc petite folie.... J'attends que tu me fauches. Viens habiller ma nuit...

    Les paupières papillonnent. Un son plus clair que les autres perce le mur vaporeux qui emmure ses oreilles. Drogue et alcool n'ont pas encore eu raison de sa raison. Elle peine pourtant à se concentrer pleinement sur les paroles indistinctes et ce constat ne la réjouit que plus encore. La tête pivote sur sa gauche pour jauger la mince ouverture laissée par la porte entrebâillée. Vague curiosité qui l'étreint. Une chanson. Une gorgée de bière. Elle s'appuie dans son fauteuil. La nuque repose sur le haut du dossier. Les yeux se ferment.

    _ Vif, il vous faudra être vif... En effet il faut s'attendre au pire...Aux caresses et aux griffes...
    Oh.... Et tes mots comme des liens qui nous tiennent et te délivrent... enfin...
    Tu nous rêves mille contre un... Mais la nuit mes rêves ont des formes de théâtre sans décor.
    J'attends l'aurore...


    Murmures sans mélodie. Un soupire. La conscience dégringole. Elle n'est soudain que vertige. La poitrine s'affaisse, les épaules s'abaissent. L'oreille frémit au son qu'elle perçoit.

    _Libre... La nuit je dérive.... dans des rêves que j'aimerais tranquilles...
    Je t'entends...

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Images originales: Charlie Bowater, Eve Ventrue - Proverbe Breton - Anaon dit Anaonne[Clik]
Alphonse_tabouret
Le palier de l’étage étalait ses quelques mètres dans une pénombre crevée par le halo doucereux de la torche qui avait été installée, et un instant, Alphonse crut que la silhouette vacillante de Madeline, flottait au-dessus du sol, emportée par la mélopée qu’elle fredonnait.
Les cheveux bruns aux fleurs fanées ondoyaient paisiblement au fur et à mesure de la marche silencieuse qu’elle avait entamé et Alphonse, enfin vainqueur de son ascension, posa un pas dans les siens, comme s’il le distinguait nettement au sol, empreinte bleue, comme l’apparat de ses boucles, trace iridescente laissée là pour que les suivants prennent le bon chemin. Le regard voilé par l’ivresse qui grimpait à ses nerfs toujours plus avant et mordait les chairs dans l’espoir de les rendre indépendantes de la tête, il laissa trainer ses prunelles sur les portes qui se présentaient le long du couloir, conscient que quelques verres de plus finiraient de le noyer dans l’oubli qu’il avait si ardemment désiré. Bientôt le final, la dernière scène, les ultimes répliques avant que le rideau ne tombe sur les protagonistes et ne les enveloppe d’un voile improvisé et oublieux, un ultime rappel pour eux seuls, où les plus chanceux sauraient avec certitude ce qu’il était advenu des dernières heures de la nuit…
Et le Fauve rugit dans les entrailles du flamand, brusquement vorace, avide, fiévreux d’être si proche de ce but miraculeux qu’il n’osait plus espérer, aiguisé par le gout laissé en bouche par l’Adonis, l’œil accaparé par cette porte vaguement entrouverte, par la luminosité faiblarde de la lampe à l’intérieur qui dardait son halo dans le couloir. Quelques mots lui parvinrent, diffus, épars, écorchant son oreille d’un flot qui ne lui était pas inconnu. La duelliste, quelque part, aussi près qu’elle était loin, répondait à l’appel de la poupée aux fleurs fanées …

Le bras du flamand se tendit, la pulpe de l’index trouva le bois du panneau et y donna une légère impulsion pour que le battant dévoile un peu plus ce qu’il lui cachait, laissant apparaitre à ses onyx la silhouette avachie de l’Anaon lovée dans un fauteuil dont il ne voyait quasiment que le dossier. Ce qu’ils étaient venus chercher gisait à quelques pas, et un sourire ravi étira ses lèvres.
Un seul pas le rapprocha de Madeline dont l’avancée se poursuivait au dépit de la quête achevée, et sa main attrapa la sienne pour la faire se retourner vers lui, comme s’il l’avait faite danser, dans un mouvement de poignet fluide visant à la faire pivoter tout en la rapprochant de lui. Un air faune dans la prunelle, il prit le temps de s’assurer qu’elle avait noté sa présence tandis que derrière lui, il sentait la silhouette du Criquet les rejoindre. Son regard sombre où dansait, joyeuse, la lueur de l’alcool s’accrocha à ceux de la jeune femme, et, reculant d’un pas tout en exécutant une révérence polie dont la saoulerie en cours n’altérait nullement les années de pratique, sans mot dire, lui indiqua la porte entrouverte à leur gauche
L’état n’était pas critique, Le flamand savait encore ce qu’il faisait, où il était, qui il avait embrassé, vers où il allait… c’était ce moment parfait où le corps s’engourdit mais reste docile, effectuant les ordres avec un début de gaucherie, ce moment de grâce où la tête est libérée de son quotidien et n’affiche plus à la raison que des bribes d’envies, sans pour autant se départir de la réflexion… bientôt peut être les mots viendraient tous seuls, bientôt peut être il abandonnerait çà et là sur la route, un peu de lui à ces parfaits inconnus… mais qu’importait… Qu’importait, si poison de l’alcool le terrassait enfin…
Tandis que Madeline entrait et qu’il se redressait, son regard remonta sur le Criquet, déjouant le piège de ses boucles blondes pour venir s’ancrer à ses yeux, souriant, choisissant de taquiner cette proie dont la saveur hantait encore le palais, grignotait d'une morsure neuve ses nerfs et sa raison, pour mieux en aiguiser le goût :


-Les femmes et les enfants d’abord,
lui glissa-t-il d’une voix feutrée, doucement insolent, son sourire s’étirant à sa bouche où une lueur enfantine et la danse lascive de la brulure laissée par le jeune homme qui lui faisait face égayaient son regard.
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Valtriquet




Il faut croire que le baiser du beau brun l’avait quelque peu enivré car le jeune Val, tête penchée en avant, eut du mal à calquer ses pas sur les précédents, cachant sous sa chevelure blonde un sourire béat.
Le couloir était sombre mais le criquet s'arrêta pour envelopper d'un regard Alphonse et Madeline et la scénette animée afin de les mettre dans une boite à musique qu'il pourrait remonter pour qu'elle se répète à l'infinie. Danse entre une mignonne marionnette aux pointes effleurant le sol et son cavalier, gracieux, galant. Il referma la boite et s'approcha, notant que la jeune fille venait de disparaître dans la pièce. Le jeu de piste était déjà fini. La porte trouvée. Une autre boite s'ouvrait, sur quels souvenirs? Serait-ce un début ou une fin.. en soi. Val capta les onyx ancrées à ses prunelles, incapable de s'en détacher, esquissant un sourire à la bouche encore désirée.


-Les femmes et les enfants d’abord. Amusé par l'invitation à entrer, le criquet s'avança presque à le toucher.
Les femmes et les enfants d’abord...”
-N’est-ce pas ce que l’on dit quand l’embarcation prend l’eau? Les rats quittent le navire.
Ses yeux pétillant de malice se détournèrent des onyx pour balayer d’un regard l’antre ouverte, puis glissèrent à nouveau sur le visage qui lui faisait face et répondit sur le même ton feutré.

Êtes-vous de ceux qui après une soirée lancent “ il n’y a pas de meilleure compagnie qui ne se quitte” et partent pour ne plus revenir?
Les émeraudes luisirent dans la pénombre, balayées par un mouvement de cils quand les paupières se baissèrent sur la bouche adulée.
J’espère que non.Vos lèvres ont un goût de.... revenez-y. C’est un appel à les prendre, et les reprendre...encore... et encore...

Avec un sourire en coin qui dessina une fossette sur sa joue, Val se détacha du brun avec une maîtrise parfaite et entra dans la chambrée, prenant le temps de découvrir l’envers du décors, les coulisses à malice, l’antre de l’enfer où le plaisir n’était pas forcément celui de la chair, mais le moyen d’y parvenir. Le criquet suivait toujours son instinct. A cet instant pourtant il ne savait sur quoi s'en tenir encore. Son instinct, sa raison, ses impulsions?
Il s’approcha un peu titubant du fauteuil à haut dossier, remarquant la main blanche et fine qui en dépassait, comme une colombe avachie sur son perchoir. Il posa sa main sous le délicat volatile et le porta à ses lèvres tout en découvrant la belle naïade baignant dans sa baie des anges. Malgré tout il lui murmura:


Ma dame, votre absence nous faisait tant défaut que tout trois sommes venus remédier à cela. Permettez que nous vous accompagnions dans votre ...

Les paroles du blond s’évanouirent sans franchir le seuil de ses lèvres. Les sourcils froncés devant sa découverte, il passa le gras de son pouce lentement sur la bouche ourlée par un boucher, recueillant la trace d’une fine poudre. Il la porta à ses lèvres, goûta le bout de son doigt puis grimaça..... s’en était bel et bien.. de quoi envoyer l’Anaon dépasser le septième enfer sous des couches de terre et lui... de quoi fissurer ses plus vaillantes défenses, et le mettre en transe. L’alcool il arrivait à gérer, tout au plus il pouvait sombrer et se réveiller le lendemain en maudissant le ciel un peu trop bas. La drogue avait sur lui un côté si néfaste qu’elle lui ouvrait les portes de l’enfer, les cerbères à ses basques mordant à belles dents sa cuirasse.

... parcours éthylique.

Le regard que le jeune homme jeta à Alphonse s'assombrit....Eloigne toi si tu ne veux pas sombrer avec moi.
La pâle colombe était blessée en son sein. Au creux de la paume quelques larmes carmins égayaient une vilaine blessure. Val plongea ses doigts sous son plastron, et comme un magicien sortit de sa poche un mouchoir du tissu le plus fin dont la blancheur se confondit avec la main féminine quand il l’en entoura. Du bout de l’index il caressa rêveusement les armoiries brodées et abandonna là dans ce dernier effleurement une trace de plus de son passé.
Agenouillé pour panser la main blessée, en relevant la tête il observa l’état vaporeux de la balafrée dont le souffle semblait comme apaisé. Allait-elle mollement le repousser comme un insecte, son bras lançant l’escarmouche ou le regarder jusqu’à ce que ses yeux voilés ne puissent plus distinguer la mouche du criquet? Détournant son regard, il le porta sur l'habitat, désireux de découvrir le territoire qui l'entourait. Un petit lit sous une alcôve, un plus grand qui lui donnait envie de s'avachir dedans. Le blond prit le pichet de bière pour s'en abreuver, ses émeraudes pensivement fixés sur l'Anaon.

Madeline
Doux chant, petit chant, comptine sans fin. Voix qui monte et qui descend, intériorisation de son destin. Prostituée, catin, fille de joie, putain, servante de Vénus, marcheuse. Tant de mots pour un unique destin. Elle est là, elle divague, l'esprit perdu dans une nébuleuse de désir et de curiosité, les yeux mobiles et à la fois fixés sur le mur d'en face.

Les épaules et la tête reposés contre le bois d'une porte, elle se tend sur la pointe de ses pieds, décolle son bassin, cambre son dos, laisse pendre ses bras. Petite poupée articulée, marionnette sans marionnettiste, sa tête se fait lourde et c'est avec effort qu'elle la lève pour apercevoir, au bout du couloir, les deux silhouettes masculines - le sont-elles toutes deux ? Ne posons plus de questions, on s'approche !

Contraction des muscles abdominaux, crissement des orteils sur le parquet ciré lorsqu'elle s'élance dans un gracieux (et inattendu) tour sur elle-même, bras levés comme dans une danse. Elle cherche à se remettre droite. Il faut chercher l'Anaon, mais où peut-elle bien être ? Tend une main vers une porte, qu'y découvrira-t-elle ? Un couple fusionné ? Un alcoolique noyé dans son alcool ? Un voyageur énervé qui lui lancera un bougeoir à la face ? Un prédateur au sommeil rare qui l'attirerait dans sa tanière ?

Mais la voilà déjà attirée contre un torse, le poignet tenu par une main ferme. Elle pivote, pose une main contre un muscle pectoral. Etonnant contraste que celui de sa main sur le tissus du vêtement. La douceur de l'ivoire, le côté rêche du tissus. Elle voudrait s'absorber dans la contemplation des mailles tissées mais la prune lui fait monter le regard jusqu'à celui, faune, de l'homme dont elle... connaît-elle son prénom ? Il était à la table mais...

Révérence. On lui montre une porte, elle y entre. L'Anaon est là. Enfin, il lui semble. Ne dépasse d'un fauteuil qu'une main blanche sur laquelle se précipite le garçon au col tâché de sang. Baisemain. Bandage. Madeline ne regarde plus, n'entends plus. Elle lève la tête. Le plafond zébré et cloqué par l'humidité absorbe son attention. Elle y voit des formes et des dessins, des arabesques et bientôt des volutes qui n'existent que dans sa tête. Puis son regard se porte sur la fenêtre, de laquelle elle s'approche pensive. Dans un coin, l'éphèbe boit une bière dont Madeline ne questionne même pas l'arrivée. Plus rien n'a de sens et tout fait sens à la fois.

Puis elle s'approche de la balafrée. Elle a un joli visage, ainsi révoltée - que s'est-il passé ? Derrière le fauteuil, Madeline lui caresse distraitement le visage d'une main. Penche la tête. Pense à voix haute.


"Vous êtes belle. Il faut faire éclater ces nuances au jour de la nuit. Que votre mort si elle vient ce soir, ne vous trouve pas..."

Ses mots sortent de sa bouche sans vraiment qu'elle y fasse attention. Pensées et verbe ne font qu'un, l'alcool et la drogue sont trop forts pour la décence qui petit à petit, rebrousse le chemin qu'elle défendait depuis si longtemps becs et ongles et à chaque rendez-vous "galant".

"Eblouissons-la."

Elle prend une des fleurs de ses cheveux, la tisse dans ceux de l'Anaon. Perd ses doigts fins dans le délicat noeud de la douce chevelure de la balafrée. La voilà déjà mieux arrangée. Une ou deux roses de plus et elle aurait l'air d'une Orphée. Madeline sourit, l'embrasse sur le front. Puis, comme elle en avait éprouvé l'envie un peu plus tôt, vient poser la tête sur le giron de l'Anaon.

Ferme les yeux, écoute les conversations ou le silence qui les remplace, bien plus éloquent.
Anaon
    Exaucée.

    Immobile, statue hiératique qui se targue d'un sourire. Ça y est, elle voit le gouffre qui s'ouvre devant elle. Elle sent des vipères vaporeuses lui ramper dans le crâne. Des exhalaisons viciées qui l'enivrent et la perdent. Elles sectionnent une à une les amarres de son âme, celles qui enchainent sa Raison à la moindre de ses parcelles. Comme des points de suture qui claquent pour épancher les plaies, sous le pue de la conscience se cache le germe des rêves. Alors qu'on la saigne, ce soir elle se défait de toute sagesse.

    Elle subit, avec une satisfaction naïve, la sensation physique de son corps qui se détache de tout contrôle. Puis elle ne ressent plus rien... Elle ne sent plus le dossier dans son dos. Ni le toucher du tissu sur sa peau. Une âme nue de tout corps. Elle perçoit le monde à travers des parois de coton. Un mouvement... Sur sa main ? L'esprit cherche à se concentrer, mais ses sens sont aussi maladroits qu'un jeune faon sur ses échasses. Une perception floue sur... Elle ne sait. Le trouble.

    Elle flotte sur des limbes brumeuses et des milliers de mains spectacles la frôlent, l'agrippent pour l'attirer vers le fond. Si elle se laisse aller, elle sombre, elle le sait. Elle bascule. Et soudain... la chute.

    Exhaussée.

    Explosion de la conscience. La main se referme comme un piège à loup. Sa catalepsie se brise, broyant sans vergogne son seul contact avec la réalité. Les sens se hérissent soudainement pareils à mille aiguilles. Les paupières s'ouvrent sur des pupilles éclatées de noir comme un chat dans la nuit. La dextre file, choppe la mâchoire gracile avec brutalité. Elle s'immobilise, à deux poils de son minois. Elle a compris. Il a frôlé ses lèvres. Il a voulu lui voler sa poussière. Pour cela, elle voudrait lui éclater les os entre les doigts comme une bulle de verre. Et les lèvres éclosent avec un timbre de velours qui tranche net avec la fureur de son geste.

    _ Je ne partage pas mon homme...

    C'est mon rêve. Mon poison. Mon délire. Mes regrets. Acérées, les azurites rongées d'onyx ne se défont pas du regard à sa portée... et elle s'y perd. Mensonge des sens. Elle voit dans l'iris verte du gamin des teintes qui n'existent nul par ailleurs que dans ses visions droguées. Elle est... fascinée. Les doigts contre la peau se font soudainement aussi doux qu'ils ont été violent. Et la pulpe frôle la merveille qui s'épanouit sous ses yeux. Il est... magnifique.

    Un frisson l'ébranle soudain avec une intensité qui en surpasse mille autres. Elle sent tous ses sens qui se galvanisent alors qu'une poigne violente lui agrippe les entrailles. Après la mort des sens, le renouveau. Sans le sentir, ses mains lâchent sa victime et elle se soumet à celle qui se glisse dans ses cheveux. Faiblesse décuplée par la poudre, d'une main dans ses filins elle se noie dans un océan de plaisir qui font de sa peau un frisson continuel. Les doigts quittent la peau du criquet, les doigts quittent le mouchoir.

    Exaltée.

    Docile, elle ferme les yeux et se laisse aller aux mains qui attisent. Puis les doigts l'abandonnent et les lèvres la frôlent. Étrange sentiment. La tête se pose tout contre elle et dans un geste réflexe la dextre vient caresser la chevelure brune.

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Images originales: Charlie Bowater, Eve Ventrue - Proverbe Breton - Anaon dit Anaonne[Clik]
Alphonse_tabouret
L’éphèbe vacillait sous ses airs contrôlés, faisant naitre au coin des lèvres flamandes l’étirement d’un amusement teinté d’un certaine vanité à voir sa proie aussi joliment ferrée, sa main refusant de s’aventurer malgré son envie vers les boucles blondes pour se pencher au nacre de l’oreille et venir lui confier qu’il connaissait des endroits où le soir ne s’arrêtait jamais, des confins de velours où la nuit durait aussi longtemps que les volets clos l’autorisait… Mais il restait doucement indolent, feuille jetée à la brise qui la fait frémir et qui aiguise les bords de l’âme, accrochés aux jades du jeune homme, s’abimant dans ses pensées, se demandant quel âge avait l’adonis, pour avoir dans ses yeux la lueur de ces années infinies et aux lèvres le gout de l’impertinente jeunesse. Le souvenir moelleux du baiser échangé dans les hauteurs de l’escalier acheva de dessiner un sourire plus franc sur son visage tandis que le Criquet passait lui aussi cette porte qu’ils étaient venus chercher, emportant avec lui une envie partagée, mais tue malgré son évidence... Ne donnait-on pas le nom des acteurs à la toute fin de la représentation, une fois que le rideau était tiré, que l’opprobre des spectateurs se mesurait à la fortune qu’il restait alors au cœur et dans les poches ?

A son tour il entra, repoussant dans son dos, sans même s’en rendre compte, la porte d’un mouvement du pied, avant d’avancer pour assister à la suite de la scène dont il reconnut immédiatement des accents qu’il connaissait fort bien depuis que la mort de Quentin l’avait précipité dans les murs de la Maison Basse.
L’Anaon était là, poupée envolée bien loin déjà, le sourire flottant exagéré sur les joues blanches ne semblant exister que pour mieux l’asservir à la réalité qu’il avait fui avec tant d’entrain les heures passées. Il connait cet air-là, nul besoin du Criquet et de ses émeraudes noircies par un obscur démon pour le prévenir de ce qu’il y avait à trouver auprès de la duelliste… Certains clients de la sorcière, lovés dans le salon rougeoyant du bordel, avaient cette tête quand ils n’avaient pas la raideur des cadavres qu’elle semait derrière elle… Le visage d’Aethys s’empara de ses tripes pour les tordre avec une violence à laquelle il ne s’attendait pas, et le chat, frappé de plein fouet, sonné par le rugissement haineux de sa chair, s’immobilisa, l’odeur indéfinissable de l’herboristerie de l’Aphrodite se créant à son nez, écorchant ses nerfs dans une myriade de pensées que l’alcool avait pourtant si soigneusement engourdies.
La descente, raide, nette, l’incompréhensible moment où le voile de l’alcool se dissolvait partiellement au profit d’un autre, se profilait, vertigineux et ce fut le geste de l’Anaon, sursaut brutal la de la vie à la mort, qui l’arracha à la nausée qui l’envahissait, choisissant d’aiguiser ses réflexes plutôt que sa bile. Le geste vif le surprit, et le corps du brun retrouva dans l’instant toute sa mobilité, faisant un pas, un seul dans la direction du fauteuil et de ses satellites avant de le figer, tout comme la poigne de la belle au bois dormant s’arrondit, assouplissant son geste jusqu’à le suspendre sur la joue de l’éphèbe.

Elle s’immerge, gamberge, diverge, converge et finalement émerge… docile, douce image pieuse dénaturée par le fil du rasoir, dont une nouvelle vérité vient encenser les traits jusqu’alors tirés, relâchant la proie qu’elle tenait à la main dans un soupir qu’il n’entendit pas, conversation privée de l’éther à la terre.


"Eblouissons-la."

La voix de Madeline attira son attention, comme s’il l’entendait pour la première fois et il la regarda, doucement fasciné , encore vaguement mis à mal par les réminiscences brusques venues l’assaillir, sans esquisser encore le moindre geste, sortir de ses cheveux bouclés les fleurs défraichies qu’elle avait pris soin d’essaimer à sa crinière pour les accrocher à celle de l’Anon, transformant la balafrée en une sorte de poupée de chair dont la nouvelle grâce semblait inviter à venir s’engouffrer dans la chaleur de ce giron incongru. Il envia brièvement la jolie catin dont les brumes étaient assez mouvementées pour oser au-delà de la curiosité à s’assouvir à la chaleur si maternelle qui perlait désormais du visage fendu et se refugia une seconde derrière les préceptes premiers inculqués par son bagage familial.
L’alcool était bien là, épais, coulant dans les veines, mais il ne bouillonnait plus comme les minutes précédentes, enthousiasmé par la montée de l’escalier, par le chant de la petite brune, par le baiser suave et salé de l’adonis… Redescendu d’une marche, effilé, à défaut d’être encore pleinement conscient, il avisa la quiétude, la paix quand ils avaient cru au courroux et lui et le Criquet. Il accorda un pas et un second jusqu’au fauteuil, s’accoudant nonchalamment au dossier haut, surplombant de ce fait le front divin de l’Anaon, de sa prêtresse fanée et de son angelot assoiffé, ses doigts venant effleurer, aériens, aimables, sincères, une mèche échappée de la balafrée.


-Je connais des familles qui n’ont pas d’aussi jolis tableaux d’eux à leurs murs, fit-il dans une remarque tendrement narquoise.
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Valtriquet




Un instant... Juste une infime fraction de temps, son regard s'était détourné de la balafrée pour se poser sur la brune à la chevelure parsemée de fleurs qui d'heure en heure s'étiolaient en perdant leurs pétales, quand un sursaut de celle sur laquelle il avait parié un moment plus tôt, choisit de tirer aussi vite qu'une salamandre chopant un asticot.
Le mouvement le surprit plus que la force avec laquelle l'étau enserrait sa mâchoire. Subjugué par le regard noir aux pupilles dilatées, le criquet ne fit pas un geste, sa lèvre se fendant à nouveau sous la pression des doigts arrimés à sa peau sans qu'aucune goutte carmin ne perle. Dans un état hypnotique, sa conscience se fit la réflexion que nulle faille ne s'efface sans quelque part en garder la trace. Leçon de chose, leçon de vie.
Le résultat de la drogue faisait passer l'Anaon d'un état de méfiance à un autre plus extatique. Ses prunelles rivées aux siennes fascinaient le Criquet. Comme à regret il sentit l'étau desserrer sa prise, perdant ainsi l'intensité du moment pour se voir effleurer sa peau cuisante avant que la main batte en retraite. Pour l'avoir vécu, le blond frémit à la jouissance émanant de la jeune femme, enviant la dérive de son esprit, alors que pour lui ce ne serait que descente aux enfers dans une longue agonie s'il se laisser aller à goûter l'interdit.

-Je connais des familles qui n’ont pas d’aussi jolis tableaux d’eux à leurs murs.
Comme un rappel à l’ordre, loin de se douter dans quels affres plongeait le Criquet, la remarque innocente et légèrement narquoise d’Alphonse confirma auprès du jeune homme que quoiqu’il fasse, les signes seraient toujours là, bordant sa vie, la culpabilité grignotant peu à peu son âme... La vision qu'avait Alphonse, accoudé avec nonchalance au dossier du fauteuil où trônait avachie la reine de la nuit avec une nymphe comme compagnie, réveilla Valtriquet de sa torpeur et le fit se lever avec lenteur.

Je connais de jolis tableaux inutilement accrochés aux murs qui n’ont pas non plus de famille pour les admirer.

Presque aussitôt lâchée comme une toquade, sa rétorque rendit Val furieux contre lui même. Reprends toi...
Laissé trop longtemps et trop jeune livré à lui même, il n’arrivait pas toujours à maîtriser son arrogance et ses pulsions. La distance des quelques pas entre lui et le brun lui permirent de reprendre un semblant de contenance et d'afficher l'esquisse d'un sourire teinté d'ironie. Il happa avec aisance la bouteille de prune qu’Alphonse tenait toujours à la main pour s’en offrir deux ou trois gorgées qui devraient le calmer avant de lui rendre dans un geste presque tendre, effleurant sa peau de la pulpe de ses doigts et tourner le dos à l'idyllique tableau. Le grand lit lui tendait les bras. Il fit quelques pas et s'y affala après avoir arrangé le plumeux oreiller , prenant une position négligemment adossée. Tout en englobant d'un regard la scène, il tendit le bras, esquissant le geste du tracé d'un pinceau.


Permettez que j'ajoute quelques détails à ce sublime tableau,
Parant la déesse Aphrodite de voiles ne cachant rien de sa peau,
Rafraîchir les fleurs de Léthé, nymphe lampade, d'un rouge éclatant
Sur une tunique légère d'un blanc éblouissant.
Pour vous mon cher j'hésite entre le Dieu Chaos
A l'origine de la création , naissance des...maux
Et Adonis, amant de...
Sourire provocateur en plongeant son regard émeraude dans les onyx du brun dont il ne pouvait nier l'attirance, ses lèvres gardant l'empreinte d'un baiser qu'il ne demandait qu'à renouveler.... la déesse de l'amour.
Divine peinture aux délicats contours.


L'ivresse, lancinante comme le reflux des vagues jetant puis ramenant les échoués sur le sable, se distillait puis ravivait le flux sanguin du Criquet, le baignant dans un léger état d'abandon.

Ne sont-elles pas belles ces jeunes femmes si sensuelles... enivrantes...? Désarmantes même.... Quoique.
L'éphèbe se massa la mâchoire encore un peu échauffée par la poigne de la balafrée et éclata de rire. Surprenantes aussi.

Madeline
Bercée par la main qui caresse ses cheveux et la chaleur du giron sur lequel elle a posé sa tête, la Madeline, un instant s'endort. La réalité peu à peu s'est effacée. Les sons se sont étouffés, les couleurs délavées et les sensations de son corps envolées. Elle déambule dans un univers cotonneux où le passé et le futur ne comptent plus. Seul existe le bienêtre présent et les vagues d'un plaisir inconnu qui parcourent tout son corps. Un mot lui vient à l'esprit, un seul : "maison". Elle se sent à la maison.

Mais plus pour longtemps. Des milliers de tableaux ont envahi son rêve. Les personnages qui y figurent s'agitent, pointent du doigt Madeline et rient, rient plus fort les uns que les autres. "Catin !" lui crie-t-on, "putain !" lui crache-t-on. Aucun moyen d'échapper aux quolibets : où qu'elle aille, ils sont aussi. Dans une dernière tentative, elle creuse de ses mains nues un trou dans le sol, dans la terre humide et s'y enterre vivante. Mais, les tableaux étaient dans la tombe et regardaient Madeline (*) avec mépris.

Suffocation.

Réveil brutal. Larme à l'oeil.

"Permettez que j'ajoute quelques détails à ce sublime tableau,
Parant la déesse Aphrodite de voiles ne cachant rien de sa peau,
Rafraîchir les fleurs de Léthé, nymphe lampade, d'un rouge éclatant
Sur une tunique légère d'un blanc éblouissant.
Pour vous mon cher j'hésite entre le Dieu Chaos
A l'origine de la création, naissance des...maux
Et Adonis, amant de la déesse de l'amour.
Divine peinture aux délicats contours."


Assurément un charmant tableau. Mais un tableau qui se moque d'elle. Qu'a-t-elle donc fait de son existence ? Qu'a-t-elle donc fait de sa soirée ? Ne s'était-elle pas promis de ne plus penser à ses soucis et de profiter, pour une fois, de ses rencontres nocturnes ?

Hagarde, elle se relève, approche son visage de la fenêtre et l'y contemple. La pluie qui dehors commence à tomber fait courir sur ses joues des rides malvenues. Elle aurait vraiment pu être belle s'il n'y avait sur son visage imprimée à jamais cette impression de honte. Honte d'exister. Honte d'être ce qu'elle est. D'une main blanche, elle caressa son reflet, penchant la tête.

Soudainement, elle eut chaud. Si chaud.


"Si chaud... Vous ne trouvez pas ?"

(*) Ancien Testament : "Et l'oeil était dans la tombe et regardait Caïn."
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