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[RP] Prolégomènes d'une barque.

Saens
Un an plus tard.

Il roupillait, pas sous un olivier - au bord du Rhône. Toque rabattue sur les yeux, dos contre le tronc d'un chêne vert qui avait eu la malchance de se trouver là et qui supportait, depuis bientôt deux heures, le poids du gaillard. Pis encore, on l'avait garroté, le chêne. C'est qu'une corde lui ceignait l'écorce, et à l'autre bout la corde, un mulet moribond. Les yeux plein de mouches noires, il avait un vrom-vrom zozotant qui lui sortait des mirettes, c'était surnaturel. Saens ronflait, du ronflement du bien-heureux, c'est à dire régulier et tout rempli de bonnes choses. C'est qu'il dormait là où il trempait ses pieds dans la flotte il y a de ça vingt ans, tout gosse, et de se trouver là, ça le rendait bien. Chaque nouveau ronflement cicatrisait un peu plus ses petites écorchures de l'âme, il ne savait d'ailleurs lesquelles, n'étant pas tellement penché sur lui-même ces derniers temps ou de manière si diffuse, versifiée et absconse qu'il n'y voyait pas clair. En somme, s'il ne faisait habituellement pas de cauchemars, il s'adonnait cet après-midi à de fort belles rêveries, qui allaient à sauts, et même à gambades - une brune nue, un ciel gris, un ouvrage qui prend la poussière, deux brunes nues, quelques miettes, beaucoup de lard.

Après le ronfleur, après la bête, gisait une barque, la poupe renversée dans la terre comme le derrière d'une grosse dame perdue dans une lande de thym et résignée à attendre le premier passant venu. La toque noire se souleva et Saens ouvrit un œil pour admirer sa trouvaille. Il avait empruntée cette antiquaille à un vieux qui avait fait semblant de le reconnaître. Sourire d'occurrence et gestes de main :


- Ta barque le vieux, pour une semaine ?
- Non non, trois jours.
- Trois jours ?
- Oui oui, trois jours.
- Trois jours ? Stari čovjek, tu te rappelles du petit Saens qui venait déguster les olives dans ton champ ?
- Si si, je me rappelle, tu les volais mes olives, trois jours.
- Hum. Et quand je te ramenais de la sauge ? Et la sarriette ? Et le serpolet ? Tu l'as oublié la sarriette et le serpolet ?
- Non non, je m'en souviens. Trois jours.
- Ecoute le vieux...


Ils avaient eu une longue discussion, Saens garderait la barque trois jours. Dans sa poche, le pli qu'il enverrait à sa femme quand il serait réveillé. Où il était dit qu'il avait réussi à négocier férocement une barque, pour quelques jours - c'était assez imprécis, qu'ils allaient devoir la traîner jusqu'à la mer, qu'elle devrait le rejoindre, que l'eau était plus chaude que dans le Lot et autres fadaises de son cru. Je t'aime.

Les mouches poursuivaient lentement leur ouvrage sur les paupières du mulet, qu'elles grignotaient avec patience - après tout, et malgré la façade, il n'était pas encore claqué. Le Rhône couvait la scène de son ronron apaisant, qui donnait comme une envie de compisser la noble terre provençale en y gravant des dessins circulaires. Mais les oreilles du dormeur sont sourdes, du moins jusqu'à l'éveil, à ces appels fugaces que la nature envoie à la vessie, et le brun sommeillait sans gêne. Remua même un bras, pour vérifier qu'il sentait toujours sa main au bout, et le laissa mollement retomber. Jambes croisées loin devant, lancées sur la jetée des songes. Sueur le long de l'arrête nasale, torpeur dans la touffeur. On va le laisser là.

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Saorii
Les yeux pour finir... C'était le plus difficile à réaliser, mais le plus fascinant aussi. Quand on avait saisi un regard, c'était l'âme du personnage capturée, presque pour l'éternité. Quelques gestes sûrs et précis - il fallait une grande rapidité d'exécution, les couleurs séchaient vite - et elle s'éloigna légèrement du panneau de bois, satisfaite. Fini pour aujourd'hui. Elle plongea ses mains dans un seau à ses côtés, effaçant les traces de pigments sur sa peau.

Quelques minutes plus tard, une brune arpentait les rues d'Arles d'un pas sûr et décidé, sifflotant un air indéfinissable. Elle n'avait pas menti au brun. Elle se sentait bien, ces derniers temps. Avait replongé dans une ancienne passion depuis longtemps oubliée, presque par hasard. Elle avait eu besoin d'un cheval, le curaillon d'une église perdue dans les montagnes d'un retable, et Sao, isolée pour quelques jours du monde extérieur, avait retrouvé les gestes de sa jeunesse, les odeurs de peinture et d'œuf, la concentration ubéreuse et solitaire qui l'amenait à s'oublier tout en laissant sa trace anonyme sur des ouvrages qui défieraient le temps. Au brun, elle n'en avait pas touché mot. L'ironie de la situation l'aurait probablement amusé, pourtant. La vagabonde avait disparu plusieurs jours, lui disant qu'elle avait pris un travail un peu spécial, il n'avait pas posé de questions, et elle avait goûté le plaisir simple de garder cela pour elle. Depuis, la brune s'en faisait un jeu, et à Arles où elle avait obtenu une nouvelle commande, elle prenait garde à se faire discrète. C'est qu'il aimait les églises, ce grand cynique de Saens, et elle ne tenait pas à le croiser. Sûr qu'il aurait trouvé ça louche.

Parvenue jusqu'à l'auberge avachie où elle avait élu résidence, elle poussa la porte dans un grincement, et le blafard taulier aussi sec que son canasson - elle ne manqua pas de le redarguer mentalement: Un aubergiste, M'sieur, ça se doit d'être rougeaud et rondouillard, non mais - le taulier, donc, lui tendit un pli que venait d'apporter un volatile déplumé et gringalet. Elle en oublia de relever l'analogie en reconnaissant l'écriture, et se mit à lire sans attendre, sous les yeux indifférents du hâve tenancier. Lui lança un sourire enjôleur qui le laissa coi, et ressortit aussitôt.


[Au bord du Rhône.]

Un brun adossé à un arbre, un mulasson et une barque. C'est surtout le brun qu'elle regardait. Le brun et son attrait magnétique et animal. Bon, là, évidemment, précédé de ronflements sonores et vautré qu'il était dans ses fripes usées, il fallait faire un effort d'imagination. Mais même pas faraud, quand il vous adressait un de ses regards pensifs, ça vous prenait aux tripes en traitre, sans prévenir, surtout si vous étiez une jeune rêveuse éprise de liberté, et vous inoculait une saleté de virus incurable qui vous en privait aussi sec. La brune n'avait pas failli à la règle, et si elle s'en sortait un peu mieux que les autres, c'est qu'il l'avait pour une raison inexplicable épousée deux minutes après leur rencontre. Elle se disait qu'un jour ou l'autre, une jalouse lui ferait la peau, et considérait l'idée non sans satisfaction. Il fallait bien y passer un jour, et cette mort-là lui siérait autant qu'une autre. Surtout si elle survenait avant de perdre le seul être auquel elle tenait, mais de manière totale et viscérale.

Pour le moment encore vivace, malgré la chaleur moite et écrasante de ce début d'été, Saorii s'approcha, s'accroupit près du dormeur, soulevant la toque d'un doigt pour fixer les yeux hyalins qui émergeaient péniblement de leurs draps de chair tout plissés. Elle regarda la vénusté masculine déplier paresseusement sa carcasse avec un petit sourire en coin narquois qui lui hameçonnait la lèvre. Enfin regoulée du charme juvénile de ses mèches folles, de sa grâce rêveuse et barbue ? Du tout, elle s'amusait juste d'une idée fugace, qui lui traversa l'esprit et s'enfuit aussitôt.

Et quelque part, sur le dyptique flambant neuf d'une église d'Arles, trônait un Christos qui avait le visage d'un trimardeur slave.

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SAO.
Saens
Déroulage de la défroque de chair et de tissus en règle, les éveils du brun sont longs, sacro-saints et thermiques. Sera passée sous silence la dislocation des membres, l'ouverture douloureuse des deux grisettes et l'affalement général. Dès qu'il eut recouvré un soupçon d'entendement, Saens fixa le visage de son réveil - un brin roublard le minois, pis beau, activité paralysante s'il en est, qui ne mangeait pas de pain, et qui dura bien une minute. Mais, ma douce, je contemplerai la grâce de votre frimousse plus tard, céans il y a quelque chose que je dois vous montrer - si d'aventure vous étiez aveugle et ne l'auriez pas vu. Et céans il tendit un bras où sur la peau la sue avait collé quelques plumes de coton blanc, au coude, à l'endroit des froissures, désignant la vétuste, peu rassurante, mais flottante tout de même, du moins il l'espérait, barque. Arborant l'air fier de l'homme qui vient de réussir à faire du feu, sous la pluie, dans une lande normande, au mois de novembre, il la regarda d'un air de dire : Alors ! C'est pas beau ça !

[Au bord de la mer.]

Ils avaient traîné la barque jusqu'au rivage, ainsi que les deux rames - parce qu'avec deux rames, c'est quand même mieux. L'une appartenait au brun, l'autre, au vieux. D'ailleurs, pour la rame non plus, ça n'avait pas été chose aisée.

- Et une rame, trois jours aussi ?
- Non, la rame un jour, j'en ai besoin.
- Mais qu'est-ce tu vas faire avec la rame toute seule ?
- J'en ai besoin, ça te regarde pas.
- Tu me prends pour un cornichon ?
- Oui et la rame, c'est pour les souris.
- Ah.


Après tout, c'est vrai qu'elle avait de drôles de tâches sombres sur le bout. Et si le vieux se plaisait à torcher les petits muridés à coup de rame dans la tronche, il n'allait pas l'en priver. Un jour donc. Le brun, en braies et bras de chainse, laissa son amante prendre place dans la nef de bas étage, sans voiles, avant d'embarquer à son tour. Et de caler les rames dans des dames de nages improvisées, larges trous dans le bois, et de prendre le temps de la regarder enfin. C'est qu'ils allaient passer un moment en tête-à-tête maintenant, et si ça se chicanait, ils n'aurait pas l'excuse d'aller marcher sur l'eau. Il lui sourit, à la brune. Peut-être allait-il louvoyer jusqu'en Istrie finalement. Il aurait simplement dû penser à amener un peu plus d'eau. A peine le périple commencé, il s'arrêta - une rame faillit elle se faire la malle dans les eaux encore peu profondes, il la rattrapa de justesse.

"Ça ne va pas te plaire ma sauterelle mais..."

Voilà qu'il se mettait à paterner. Saens, ours ascendant poule couveuse. Il plongea la main dans sa besace, en sortit le dernier objet qu'il tenait de sa mère feue, soit une chiffe de linge ternie par le temps qu'il immergea dans la flotte, tordit entre ses deux mains, étrange et fugitive colonne torsadée, avant de la tendre à la brune, objet de ses attentions nourricières. Explications de son cru, donc succinctes et pour une fois, claires.

"Pour ton crâne sous ce joli soleil."
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Saorii
Il fallait se méfier des idées du brun. Quoi de mieux en effet, en plein cagnard de début d'après-midi, que d'aller traîner une barque, à deux, des rives du Rhône jusqu'à la mer ? La brune était une fille du Sud, d'accord, mais justement. Dans le Sud on est pas fous, on fait la sieste à c'te heure, et les déménagements, c'est le soir, quand la brise marine vient caresser les murs brûlants des bastides, à la fraiche. M'enfin, elle n'allait pas faire la fine bouche. Elle était en Proença, les cigales faisaient "kss kss", la mer était bleue et le brun était tout jouasse, ça lui suffisait pour le suivre, même jusque dans un nid d'asticots s'il le fallait. Les pieds dans la grande flaque salée, et à la limite de l'insolation, donc, elle prit un instant pour admirer son amant qui, manches retroussées et teint halé, avait les choses bien en main. Non seulement il ne s'était pas trompé sur le chemin à suivre, fait hautement exceptionnel, mais il dirigeait les opérations en mâle dominant, passe moi la rame la brune, si vous voulez bien embarquer madame... Hum ? Ah oui, je monte.

Ce fut ensuite les rames, qu'il eut bien en main - si on excepte un petit incident, mais une donzelle amoureuse ne relève pas ce genre de détails - et Saorii eut tout le loisir de se demander ce qu'elle devait faire maintenant. L'ours avait visiblement pris le rôle de l'homme et menait sa barque avec virilité, il lui incombait donc de camper... la femme ? Fichtre, la promenade se révélait plus ardue que prévu. Trimballer le rafiot, ça au moins, ça rentrait dans ses compétences, mais là... Heureusement pour Sao, le brun, ingambe et efficace décidément, qu'il ait lu l'embarras sur son visage ou non, s'empara hardiment du deuxième sexe aussi et lui tendit un linge humide pour s'en faire un couvre-chef, en mère attentionnée.

"Pour ton crâne sous ce joli soleil."

Les deux composantes du couple étant réunies de main de maitre, et incarnées par son compagnon qu'elle avait rarement vu aussi pétulant, ne restait plus à Saorii que la meilleure part, faire l'enfant. Elle s'y attela donc avec zèle, nouant le foulard trempé autour de sa tête, qui lui donna l'air d'un pirate, mais rasé de frais et un peu trop propre. S'assit en équilibre sur le bord de l'embarcation, les pieds dans l'eau, sans prendre garde au fait que le fragile esquif penchait dangereusement. Brève réminiscence d'une autre barque, sur le Lot, tout près du mas familial, vraiment gosse alors et déjà amoureuse. Sauterelle trop vite grandie qui rêvait de voir du pays et se faisait mener en bateau par un amant déjà marié à Aristote. Dieu, que c'était loin...

Elle tourna une frimousse réjouie vers le brun qui ramait consciencieusement. Cela faisait un moment qu'il la prévoyait, sa balade en canot. Avait-il une idée en tête ? En parlant de tête, elle fronça les sourcils en avisant les mèches brunes de la tignasse adverse, quelques unes collées au front par la sueur, les autres libres, aux embruns et au soleil de plomb. Farfouilla dans sa besace et en sortit d'une main triomphante un fichu, qui subit le même sort que la relique familiale de Saens. Elle lui tendit avec un sourire narquois, mais un brin tendre tout de même.


"Tu ferais bien d'en faire de même... A moins que tu ne cherches à t'encagnarder pour que je rame à ta place ?"
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SAO.
Saens
Il n'osa pas lui dire qu'il avait une toque dans sa besace et noua le linge autour de ses tempes sans demander son reste. Lui aussi il avait l'air d'un pirate, mais pas fraichement rasé. Ou d'un type, pas fraichement rasé, qui aimait mener sa barque, avec des tendances bonne femme avouées sur le caillou, ou, à son grand dam croate, une pythonisse romni barbue.

"Merci, chérie."

Noterons-nous tout ce que "chérie" avait d'ironique. Le brun tout enfichué rame plus lentement, et même, lentement tout court. Y a l'arcelet d'Héliosinne là-haut qui a tôt fait de remettre les ardeurs des hommes à l'heure. La barque s'éloigne, ou c'est la rive qui s'éloigne, il ne sait plus trop.

Dans sa tête à lui, les verts souvenirs des plages languedocienne, une brune qui mord sous un procès de plomb et une envie de rejouer tout ça là maintenant, sans les différends juridiques. La barque s'éloigne encore, à pas de loup, il ne faut pas réveiller les poissons en sieste. L'eau nettoie sur la rame du vieux les marques de ses violentes poursuites avec la gent des souris. Le sang part à l'eau froide.

Le brun attend que le rivage là-bas s'amenuise et comme il rame pianissimo, ses bras tiennent le coup. Probablement, le seul avantage d'être chemineau, et même si chez lui ça ne saute pas aux yeux, c'est d'avoir assez de rocaille dans les membres pour entraîner une brune dans une plaine d'eau. Pense-t-il. La liberté aussi, concept rabâché qu'il a parfois l'illusion de goûter. Avait. Maintenant, c'est une conditionnelle à deux.

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Saorii
La brune sortit tout à fait de sa rêverie rouergate, analepse non analeptique, pour s'intéresser au regard dont le rameur, maintenant singulièrement enturbanné, la couvait. Ne releva même pas le "chérie" moqueur dont il l'affubla, car les yeux démentaient le reste, et les yeux du brun ne savaient pas mentir. Elle balança ses jambes dans le rafiot, menaçant à nouveau son précaire équilibre, s'installa confortablement, et se laissa aller à des occupations plus contemplatives.

Il ramait lentement, ses longues jambes reployées et l'air désinvolte, sans effort apparent. Les rayons de soleil venaient s'aventurer jusque dans les plis de sa chainse lâche, dans une caresse révérencielle, et laissaient entrevoir les ombres sinueuses de ses muscles déliés. Le silence accompagnait la barque dans son cheminement, seulement troublé par le clapotis de l'eau quand les rames se soulevaient de la surface. Et juste après, le bruissement de l'étoffe contre la peau nue tandis que les bras abandonnaient leur position angulaire pour se détendre, aller chercher le point où les deux jumelles de bois se fondraient à nouveau dans l'élément liquide, propulsant la frêle embarcation un peu plus loin du rivage.

Saorii disposait d'une faculté étonnante, celle de trier ses sentiments avec un pragmatisme qui la mettait à l'abri des questionnements tortueux de son âme, du moins temporairement. Sans doute était-ce ce qui lui valait d'être encore - tout est relatif - plus ou moins saine d'esprit. Elle avait donc soigneusement écarté les rémanences des événements de ces derniers jours, ceux qui étaient venus agripper ses tripes, les tordre sans aménité, bien qu'elle fasse toujours bonne figure devant son compagnon, fierté oblige. Une demande en mariage, la perspective d'un baptême, et une sourde angoisse, diffuse et à peine consciente, sur laquelle elle ne mettait pas encore de mots. Se complaire dans l'inconscience est parfois une question de survie. Elle jouissait de la vue, surtout celle qui s'offrait à ses yeux fauves en premier plan; elle ne pouvait plus les détacher de l'échancrure de la chemise, qui s'ouvrait sur des clavicules mouvantes, et une peau halée et luisante de sueur.

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SAO.
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