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[RP] Le choix du Roi

Aimbaud
La tête penchée vers celle du Maréchal de France, qui l'entretenait des détails de la nouvelle levée du ban royal, dans la salle du trône, le jeune marquis de Nemours avait pu observer les coiffes de Blanche de castille et de ses suivantes disparaître par la porte d'honneur. Leur traversée de la grand salle avait semé un fin nuage de parfum dans leur sillon, suivi d'une sorte de trouble éphémère parmi les hommes de la cour dont les regards pendaient par-là... Cette équipée en robes, leur meneuse plus particulièrement, provoquaient souvent ce genre d'attentat à la distraction, dans les grandes assemblées de la cour, par le seul bruit de leurs souliers sur les dalles, et le chuintement de leurs voiles sur leurs gorges.

Les yeux noirs d'Aimbaud restaient ainsi fixés sur le passage de l'escorte de la maîtresse du roi, qui se refermait lentement sous le poids des capes de quelques feudataires austères (les fameux "feuds austères" doués aux claquettes...). Les propos que le Talleyrand lui tenait à l'oreille lui parurent soudain parfaitement ennuyeux. Si bien qu'il se mit à tapoter d'un doigt nerveux le pommeau de son épée, et à cligner des yeux en attendant la première occasion de voir le prédicateur reprendre son souffle, afin de couper court.


Veuillez m'excuser. Dit-il enfin, en inclinant le chef, arrêtant Flavien au beau milieu d'une phrase.

Et puisqu'il n'avait nulle excuse, il n'en chercha pas.

Il s'engouffra par la porte principale, en allongeant le pas. Il se laissa mener à l'oreille, suivant les "Ma dame..." prononcés par les nobles de la cour sur le passage de la favorite. Il emprunta les arcades du Louvre à sa suite. Le coeur battant, il suivit du regard son entrée dans la chapelle royale, et ralentit sa marche devant la porte de l'édifice. Les dernières traînes des damoiselles d'atours passèrent derrière les barreaux... Le Bourguignon attendit sur le seuil, observant chacune prendre place sur un prie-dieu derrière leur maîtresse, sans mot et avec la discipline de petits soldats en dentelles...

Il hésitait à entrer, n'ayant pas le souhait de perturber la prière. Il resta donc debout près du premier bénitier, croisant les mains faute de savoir où les poser. Les épaules de Blanche lui apparaissaient près de l'allée centrale, droites et claires, support de son port de tête impeccable, dont il devinait à peine la nuque, éloignée, et dissimulée par un fin drap de lin. D'ailleurs il était myope... Mais son imagination lui suffisait pour voir la couleur de ses yeux bleu-gris mi-clos absorbés par la récitation du crédo, et ses lèvres frémissantes.

Il se surprit à expirer profondément. Et ce soupire le glaça, quand il réalisa qu'il le poussait aux portes d'un lieu saint. Dans un sursaut de conscience, il défit le noeud de cuir de son fourreau afin de déposer l'épée contre la porte de bois sombre, puis emprunta l'allée vide de la chapelle.

Il exécuta les gestes mécaniquement, puis, arrivé à hauteur de l'Espagnole, s'agenouilla sur le prie-dieu à sa gauche pour y joindre les mains posément.


Me permettrez-vous de prier à vos côtés ? Fit-il à mi-voix.
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Blanche_
Naturellement, elle s'était décalée vers la droite.
Naturellement.
La chapelle était petite, le premier rang ne comptait que cinq emplacements, quatre, si l'un des pieux accroupis était de forte corpulence. Aussi lorsque l'un arrivait, il longeait l'allée, et si son rang lui autorisait, il s'avançait au plus près de l'Autel, tout devant. Et tout le monde se décalait d'une place vers la droite. Naturellement.
Alors lorsqu'elle avait senti une présence s'approcher d'elle, quoique prise par la psalmodie de sa prière, elle s'était décalée. Mue, naturellement, par cette politesse toute parisienne qu'on lui avait enseigné sitôt qu'elle était arrivée. C'était devenu un rituel tellement habituel, qu'elle n'avait d'ordinaire pas même besoin de lever la tête et de voir qui s'installait près d'elle. Parfois c'était un courtisan. Parfois une courtisane. Parfois les deux. D'illustres inconnus dont elle ne connaissait jamais le nom, mais seulement le rang, se dégageant de ces mains gantées aux doigts d'or, de ces plis de velours, ces pourpoints aux armes magnifiques, ou au cliquetis tout argenté de leur pommeau qui claquait à l'entrée de la chapelle. Celui-ci, songea t'elle lorsqu'il s'accroupit près d'elle, était un homme, elle l'avait entendu au bruit des pas et du fer avant d'entrer dans l'édifice saint. Celui-ci, se demanda t'elle, était probablement riche au son des étoffes qui se frottaient les unes aux autres avec une douce suavité, un bruit sourd et lourd.
Elle inclina la tête et se déplaça de prie-dieu en prie-dieu pour lui laisser un emplacement. Puis, mains-jointes, elle se remit à prier.
Celui-ci n'était pas de cet avis, comprit-elle lorsqu'elle entendit dans sa bouche, le bruit d'une longue inspiration avant de parler.


Je vous en pr...
fit-elle en relevant le nez poliment.

Mais elle ne finit pas sa phrase.


Aim... Marquis de Nemours? demanda t'elle en penchant le front en avant, comme s'il eut été plus crédible pour ses dames de compagnie derrière elle, que leur maitresse s'adressait à Dieu plutôt qu'à lui lorsqu'elle murmurait d'improbables questions :
Que faites-vous ici? Elle diminua l'intensité de sa voix, rendant le fil des mots quasiment inaudible. A la manière, en fait, de ce latin que l'on récite en mâchant une syllabe sur deux. Elle gardait à sa main un chapelet de perles blanches et noires, en tenant une qui glissait entre ses doigts. Elle priait, ou malaxait par anxiété les sacrosaints rituels de pénitence de tout bon aristotélicien. Crédible?... Peut être.

Vouliez-vous me voir, pour me retrouver ici? A moins que ce ne soit le hasard...
fit-elle en pressant fort les doigts. Je vous sais fort pieux. De toute façon.
Sans queue ni tête son discours trouvait tout à coup une syntaxe plus bretonne que française. Le désarroi de cette situation, à trouver l'angevin au milieu du latin d'une église. C'est vrai qu'ils s'étaient ainsi déjà trouvés, une fois, mais elle songea que lui rappeler leur dernière escapade ne serait pas de très bon effet.

Ne sachant que dire, songeant qu'Aimbaud pourrait se signer, et réciter une prière en moins de deux avant de repartir, elle se sentie acculée par le temps et précipita le fil de ses pensées.
Oh, fit-elle d'une voix inconsciemment tremblante, je voulais vous dire à quel point j'étais... désolée...! Mais les mots lui manquaient. Désolée, oui. Pour tout.
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Aimbaud
[Jusqu'à la mort]

Le bord des poings sur le prie-dieu, le Bourguignon garda le front baissé sous les rais de lumière de la chapelle. L'aura sacrée du lieu ne lui chantait rien aux oreilles, l'encens n'avait pas de parfum pour lui, ses paupières abaissées ne contemplaient pas la sculpture de Christos ou les découpes bariolées des vitraux... Il ne sentait pas même la dureté pénitente du bois sous ses genoux. La chaleur du bras de Blanche, à peine perceptible près du sien, occupait tous ses sens. L'encart très léger de ses doigts blancs entremêlés, ceints de pierreries, attirait ses yeux dans un coin. Le parfum de ses vêtements, ses voilages, pourtant discret, lui montait à la tête comme une coupe d'eau-de-vie.

Il se mordait l'intérieur des joues en l'écoutant. Fort pieux... Il l'était. Voilà pourquoi il avait au ventre une si lourde boule de remords, à se sentir encore une fois poussé dans une église, non par piété, mais pour y trouver la femme de ses pensées. Avec au fond le souverain désir de revenir à sa belle, de courtiser, une dernière fois, la favorite du roi.

Désolé, il l'était tout autant qu'elle.

Désolé de la lamentable ironie de leur sort. Puisqu'ils fallait tous deux qu'ils servent la couronne, elle écartant les cuisses, lui s'en allant en guerre, ils pouvaient bien se le dire désormais... Ils étaient furieusement désolés. C'était le choix du roi...

Aimbaud avait abandonné l'idée de trouver un coupable. Blanche avait-elle sciemment joué de ses charmes pour obtenir cette place de choix à la cour ? Eusaias la forçait-il ? Astaroth l'avait-il jetée si bas dans la misère qu'elle n'avait eu d'autre choix que de se donner ? Il s'en contre-foutait... Mettre un visage sur l'auteur de sa peine ne lui aurait pas servi de remède... Voilà seulement ce qu'il pouvait en conclure : la belle Blanche de Castille rompait ses voeux de mariage, elle ne s'embarrassait plus de vertu. Toute la douleur d'Aimbaud était de voir commettre ce péché, sans en être le motif. Il était, comme toujours, pauvre benêt perclus de principes et d'éducation, fidèle petit marquis croyant, le seul homme de parole dans l'histoire qui se jouait sous ses yeux...

Et ce roi fornicateur, cet ami, ce père, qui lui avait juré "Aimbaud, tu es mille fois mon fils !" oubliait ses promesses, le nez plongé comme une lance dans la gorge de la castillane, à pourlécher ce sein infidèle comme s'il en valait de l'intérêt du Royaume, ne tournait pas même vers lui une main charitable pour lui accorder le droit de mener une vengeance contre le duc d'Anjou.

Il aurait voulu hurler sa colère. Meurtrir et se venger. Battre les cartes. Gifler le destin. Trahir... Il chuchota :


Je souhaitais seulement vous dire adieu. Je quitterai Paris au matin avec le reste de la cavalerie d'Isle de France, pour marcher vers l'Armagnac.

Les yeux clos, il baissa la tête. Comment trahir... Il transpirait la loyauté pour son roi, pour ses suzerains, pour la France, pour sa seule parole... Il lui semblait aussi insurmontable de désobéir que de tordre le fer de son épée. Et plus le temps passait, plus ses scrupules se durcissaient, plus il s'imposait de rigueur, s'incriminait en cas d'incartade, jusqu'à oublier même l'idée d'en commettre, n'aspirant qu'à servir dans la morale et correspondre aux prud'hommes tels que son père, dont il n'avait jamais noté les travers. Ce chemin-là le rendait aigri. Même franchement triste et rancunier... Il ferait un vieux jeune-homme à vingt ans.

En lui pourtant, la vie sursautait. Et l'envie de rire était là, bercée sur la pente du cou de Blanche. Elle faisait battre ses tempes, attirait le rouge à ses joues, et l'envie de l'y mordre, elle, à même ce siège d'église, à même sa robe de satin bleu-roi piquée de broches... La prendre ainsi, la prendre... Sa revanche.


J'ai...

Comment lui dire, qu'il n'avait plus souri depuis trois ans ? Qu'elle était son fléau et son seul désir. Que la mort chuchotait dans son bras à chaque fois qu'il la voyait auprès d'un autre. Qu'elle avait emporté avec elle son humour et ses plaisirs. Qu'il se racornissait de semaines en semaines, amer d'une plaie qui ne savait guérir, où saignaient encore les soubresauts d'un désir aussi vert qu'au jour du premier baiser...

J'aimerais venir à votre chambre tout-à-l'heure. Vous prierez vos dames de faire le guet, et m'accorderez une heure, si vous m'aimez...

Il détourna la tête, qu'il avait rouge, vers l'allée carrelée de la chapelle, prêt à partir sans attendre de réponse. Aux chapitres du coeur, il était plus ému que téméraire, le Josselinière...
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Blanche_
Les prémisses des problèmes que ce genre d'entrevue pourrait lui coûter lui venaient déjà aux oreilles. Pourtant au milieu de la sainte chapelle, avec pour seuls voisins des bancs vides et des écuelles de marbre ouvertes sur le ciel, et pleines d'eau, elle n'avait aucun bruit à entendre distinctement. C'était comme si ce silence, justement, cognait contre son front et sa résignation. Être raisonnable. Elle se l'était promis.
Flanchant, elle plongea, glissa les genoux à terre, mal-positionnés sur le prie-dieu. Y cherchait-elle un soutien ? Y cherchait-elle un réconfort ? Plus tard elle irait parler à Eusaias, et guetter le lien qui les unissait l'un à l'autre pour savoir -enfin- s'il y avait matière à rester ou à partir. A moins que, lorsqu'elle relèverait le front de ses génuflexions, elle ne décide de partir tout à fait.

L'un dans l'autre il lui semblait qu'elle n'avait jamais été que tiraillée d'un coté ou de l'autre par toutes les exigences des mâles de son entourage. Depuis son père, auquel elle avait obéi pour les convenances, il y avait eu son mari, son deuxième mari, Aimbaud, et maintenant Eusaias. Son sexe et sa place lui imposait de fléchir. Son âge maintenant, et la force qu'elle en dégageait exigeait, lui, à plus de libre-arbitre.

En sortant de la chapelle, elle se frictionna les mains. Doux et léger, un vent qu'on aurait dit d'automne vint taquiner ses yeux, qu'elle avait rouges et plissés. Bientôt, remontant jusqu'à chez elle, elle fut suivie d'une cohorte de dames, qu'un pas alerte ne parvint pas à semer. Et bien qu'elle gardait la tête fléchie vers sa main, comme pour empêcher un gémissement ou des larmes de sortir, la fuite fut vaine. Si elle ne leur avait pas claquer la porte au nez, elle n'aurait pas été libérée d'elles ; prête à accueillir toute sa tristesse et sa détermination. Décider, pour une fois, de n'obéir ni aux uns ni aux autres.
Oh, Aimbaud...

Il ne serait pas content. Pas content du tout. Elle en était certaine, tandis qu'elle se préparait. Oh, oui. Certaine. Il serait même très très fâché. Son mari. Il serait furieux tout autant. Il faudrait ruser. Énormément. Tout cela serait fort difficile.

Fin prête, elle se tint debout au milieu de la pièce peu avant l'heure dite. L’apanage différait d'ordinaire. Si la posture n'était guère différente, c'étaient les yeux. Et les cheveux, aussi, bien sûr, mais tout cela, tout cela Aimbaud le découvrirait lorsqu'il viendrait la voir. Unr Blanche aussi chevelue qu'au jour de sa naissance. Ou presque. Avait-on cheveux plus courts lorsque l'on était un garçon? Portait-on différemment les pantalons? Et la chemise ? Elle l'avait porté de la même façon, en d'autres chapelles, en d'autres temps.

Serait-il choqué ?
Serait-il dégouté ?
Serait-il... d'accord ?

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Aimbaud
[Qu'il est doux de revenir dans le jardin de nos premiers amours]

Un bruit d'eau berçait la petite cour du Louvre, à la tombée du jour. Sous le ciel rosissant, les façades noircies du palais, une simple fontaine saluait les promeneurs par un roulis de gouttes et de petits remous. Les chandelles de la grand salle et les rires des dames passaient au dehors, par les jalousies ouvertes à la fraîcheur du printemps. Aimbaud lui, restait adossé contre la pierre d'une arcade, le ventre vide, les pieds fatigués. Il jetait d'une main dans l'autre sa médaille aristotélicienne, reléguée au rang de balle de jonglerie tandis qu'il s'ennuyait mortellement. L'argent poli, entre ses doigts, promenait de timides reflets dans la pénombre du soir.

Les gardes s'étaient retirés depuis près d'un quart d'heure, au pied des escaliers privés que le jeune marquis surveillait. Il les avait vus converser avec une servante, puis s'accroupir à une partie de cartes du côté de l'aile sud. Personne n'avait pris leur place.

Les carillons chantaient dans le poitrail du Bourguignon... Cette entrée, c'était son salut. La voie libre... La promesse d'un paradis à portée de main. Blanche. Si c'était bien son fait... Il n'avait qu'à passer le pas, se laisser mener par le bout du nez, sans danger, à sa chambre... Elle ouvrirait sa porte. Elle ouvrirait ses bras. Il en aurait le coeur qui bat, des trémolos dans la voix... Déjà il souriait, à respirer l'air du soir...

C'est con, un amoureux. Ça se fait des romans. Ça sent sous ses doigts de longs cheveux blonds, quand il n'y a que le fond de ses poches. Ça remercie le ciel en silence, le coin des lèvres étiré, ça respire à pleine gorge le parfum des bons souvenirs. Ça n'a besoin que d'un coucher de soleil pour se sentir pousser des ailes. Ça écoute une fontaine, ça entend des "je t'aime". Ça reste hésitant, ça savoure l'instant, ça se répète des quatrains que ça aura oublié au moment crucial... Ça ne se doute pas de ce qui l'attend. Ça, jamais.

Les marches sautent sous ses pas. Ses yeux voient dans le noir. Personne ne lui barre la route. Tout était écrit... Le couloir accueille ses bonds impatients. Ses cheveux sont recoiffés du plat de la paume. Il reste béat. La main sur le coeur. Essoufflé de bonheur. Tracassé de désir. Ses yeux se ferment avec force...

Il toque.


Ouvre-moi ta porte...

Je suis venu te dire que je n'aime que toi...

[Au p'tit bonheur]
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Blanche_
Elle ouvre la porte en grand, happe d'un bras tendu le bras de l'homme pour le tirer à l'intérieur.
Une fois dedans, dans la seconde, la porte claque. Faisant voler les tentures derrière elle, sur le mur du fond. Accolées à elles, les rideaux aux fenêtres, sombre pour en cacher la lumière, dansent autour des tringles dans de voluptueuses élancées, bouffantes et indisciplinées, allant faire et défaire des nœuds, soulever des montagnes d'herbes et en retapisser le sol.
Douceur du jour. Moiteur d'un lendemain de pluie, quand le soleil peine à en ôter l'humidité ambiante. Qu'il fait chaud dans cette pièce... Blanche, bras croisés, a cette mimique agacée qu'elle porte inconsciemment à chaque fois que la température dépasse celle, plus aristotélicienne, du bassin breton. Aussi chaud, c'est l'enfer, c'est le diable, c'est intolérable... Bras croisés, elle tapote les doigts contre son coude, y joue une mélodie silencieuse.


On peut savoir à quoi vous jouez ?


Oui, non, mais quand même quoi.
Débarquer au Louvre pour cette stupide histoire de Yolanda, qui vraiment ne méritait pas autant de tumulte, puis insister pour un diner, à moins que ça ne soit elle, qui... Mais rester, rester ça c'est sûr, et puis prétendre prier et en vérité venir perturber un édifice saint pour quémander quelqu'audience, dont l'objectif, sûrement, était de confronter ses doutes avec elle, ou peut être de se fâcher, ou peut être d'exiger qu'elle quitte Eusaias, ou peut être tout à la fois.
Ah, non, c'est un jeu dont elle n'aime pas les règles. Reléguée à une simple participante, elle ne maitrise rien, et ne peut rassurer ni son cœur ni ses doigts, qui battent chamade à tout rompre dans l'attente de sa déclaration.

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Aimbaud
L'euphorie de notre héros lui grimpe à la nuque lorsqu'un bras blanc l'entraîne brusquement dans la chambre interdite. Il disparaît par le cadre de la porte, dans la pénombre d'une pièce à la nuit tombée. Les draps fleurent bon l'eau d'oranger, le parquet, la cire fraîche. Aimbaud ne prend pas garde aux vêtements qui gisent au sol, aux objets éparpillés qui pourraient lui mettre la puce à l'oreille. Il enjambe tout cela, et se laisse mener par le coude qu'on lui agrippe. Il voit à peine le visage de celle qu'il vient rencontrer, seule une épaule presque dénudée de sa manche de lin lui apparaît à la pâleur des fenêtres, des doigts renfrognés près du coude et une hanche, simplement une hanche...

On peut savoir à quoi il joue ? Un jeu ?... Dit-elle. Notre excité bourguignon croit comprendre là une invitation. Il précipite les mains vers ce qu'il discerne.

Les peaux mises à nu dans un champ de blé breton, le parfum des cheveux blonds, les collations dans le lin blanc des torchons, les caresses à la dérobée, les guignes mangées à même les branches, les lectures à joue contre joue, les mots tendres dans l'oreille, les pieds dans le sable gorgé d'eau, les baisers salés, les doigts sur le nombril, les cheveux brûlants de soleil, les premiers plaisirs... Tout arrive à l'esprit d'Aimbaud comme le fouet, tout lui cause des frissons.

Il cherche, il pousse à la renverse, il embrasse dans le vide, à côté, au bon endroit, il s'empresse, il s'octroie, il écrase. Il veut se rassurer, égoïstement. Vérifier que tout ce qu'il touche ne lui a pas été ôté, ne lui sera pas confisqué, que la propriété du roi est bien d'abord la sienne, que l'on ne le refuse jamais, lui, qu'on ne le relègue pas au placard des amants démodés, qu'on veut encore de lui, sans attendre !

Ça compte comme un objectif ?

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Blanche_
Mais ENFIN !

Non pas comme "enfin!", ultime soupir de soulagement, ultime sursaut de peur, déjà l'idée, la joie de retrouvailles, le temps d'attente qui disparait, l'euphorie d'une étreinte, non... "Enfin!" comme "voyons!", un reproche, une méprise, un bras repoussé et une ébauche de refus, deux pas qui reculent, les yeux écarquillés, un "enfin!" qui hurle une mégarde, qui crie de tout arrêter. Un "enfin!" inaugural, une ouverture vers une chaleur toute... rageuse.

Ne pouvez-vous simplement pas me parler avant de m'étreindre?


Elle se débarrasse de la chape de plomb que lui avait apporté l'étreinte de ses bras, comme toutes les obligations qu'elle se sentait obligée de suivre à chacune de leurs rencontres. Fais pas ci, fais pas ça, sois polie, sois meurtrie, gentille, immobile, muette, obéissante... La Blanche qu'il connaissait a perdu patience et raison. Elle s'emporte sans une once de retenue dans un petit monologue égoïste, et agacé.

Je ne peux simplement pas croire que vous sollicitiez une entrevue avec moi dans ce simple but... Mais qu'avez vous en tête Aimbaud?! Vos billevesées religieuses vous font garder tête froide quand il s'agit de nous retrouver loin de tous regards, mais ici... Sous le nez du roi vous escomptez que je... Je n'arrive même pas à croire que vous puissiez me faire ça, ici, et sans même me dire un mot avant...!

S'en suivent de nombreuses phrases sans suite logique, où elle fait part de sa déception. Quoique le ton, au départ fort agacé, se teinte d'une gentille excitation amoureuse.

..Je vous préviens, il faut qu'on parle maintenant! Il faut vraiment!
Je ne souffrirai pas de ne pas parler avec vous de cette terrible entrevue de tout à l'heure, où j'ai cru mourir tant vous croiser alors qu'Eusais se trouvait à coté de nous m'a coûté... Mon Dieu que c'était impensable... Je n'avais pas même imaginé que ce fût à ce point douloureux, j'en ai encore mal, c'est dire...

Et, de fait, elle mimait sans s'en rendre compte une forme de nœud, de poings clos contre son torse, entre les deux seins, d'où partait cet entremêlas de forces et de douleurs que l'on sentait presque tant ses doigts se crispaient et se tordaient férocement.
Je n'ai pas l'intention de rester, je ne veux pas rester, m'entendez-vous? C'était une erreur, qui m'a aidée, oui, et d'ailleurs sans cette erreur je n'aurais pas pu vous revoir ni espérer jamais vous revoir, mais enfin désormais je ne puis plus du tout continuer à prétendre y survivre innocemment, comme si après avoir vu votre regard, et non, ne me regardez plus ainsi Aimbaud, vous n'avez pas idée de ce que les reproches dans vos yeux me font, suis-je la seule fautive de toute façon? Non, vous n'avez pas idée, ne me regardez pas comme ça, continuez avec vos yeux plein d'amour, tendres, soyez amoureux, amant, soyez gentil. Je ne puis plus rester, je ne l'aime pas, je n'aime que vous, je n'ai jamais aimé que vous, asseyez-vous près de moi.

Mais elle était debout.
Dans son emportement, la nouvelle marquise tenait debout comme au bastion de son indépendance. Tanguant un peu, ayant faim, la boule au ventre de ce fœtus qui y vivait et pompait toute sa chair, se tenant la main à un pied du lit, l'autre contre la hanche, elle avait avec cette silhouette de femme en chemise et longue jupe brune, un semblant de ce que seraient plus tard les femmes du XIXème siècle, mis à part bien sûr, la coupe des cheveux courts qu'Aimbaud n'avait pas encore remarqué. Tout ce tableau, quoique emprunt donc d'une masculinité sans précédent, faisait d'elle en quelque sorte une ambassadrice du genre féminin telle qu'une définition plus fidèle n'aurait pas pu être donnée autrement. La précision de ses traits, soulignée par l'inégalité de coupe de tout ce duvet blonds, encore bouclé, qui tombait tout autour de sa tête en y laissant poindre les oreilles, et sa taille, que l'on voyait presque ronde par la ceinture de tissu brun et l’arborescence des fils brodés qui courrait avec plus d’entrelacs et de dénivelés autour de ses hanches, oui, tout cela était autant homme que femme, créant une misandrie malsaine et grandissante.

_________________
Aimbaud
Repoussé, le jeune marquis resta là planté dans son désir et son embarras. Il observait la dame de ses pensées le réprimander, le regard fuyant. Ses épouvantables craintes se concrétisaient... Elle demandait à parler. Elle se dérobait aux baisers. Elle ordonnait de s'asseoir. Sage, au coin... Gênant petit prétendant... Il ne fallait pas plus de preuves à Aimbaud pour se sentir complètement déshérité des bonnes grâces de la favorite. Ses mains vides de formes à caresser n'en pouvaient plus de se serrer de dépit. Il respirait fort, et ne parvenait pas à prêter d'oreille attentive aux mensonges tendres qu'on lui récitait.

Sa voix éclata, ainsi que sa main ouverte par devant lui. Il n'avait pas franchement l'air résigné à prendre un siège...


Arrêtez de dire ça ! Vous n'aimez que moi ? Et c'est le roi qui vous baise ! Comment souhaitez-vous que je vous regarde ?

Il aurait voulu la saisir par le poignet, ou même la gorge, et crier plus fort au risque d'être entendu dans les pièces adjacentes. Se contraignant toutefois à un chuchotement forcé, il poursuivit en redoublant de gestes illogiques, de ses mains papillonnantes, qu'il brandissait comme des armes dans l'obscurité — faute de pouvoir vraiment poignarder la Castillane — où ramenait à sa tête pour l'écraser de colère et d'incompréhension.

Je m'en tire toujours le plus mal, dans vos affaires ! Du papier et des mots ! Je me suis écarté pour ne pas compromettre votre mariage, abruti que je suis, qu'à cela ne tienne, ma mie se trouve un autre galant en la personne du roi de France !

Cette fois, il la poussa vraiment. Les mains jetées contre les bras croisés qu'elle lui présentait en bouclier, par trop provocants et fiers. Mais sous ce coup, sa voix se déforma et s'écharpa, abimée par le chagrin qui lui prenait la gorge.

Vous n'aimez que moi ! Qu'il me ravit de le savoir ! Il m'appert que vous chantez ce refrain à bien des têtes du Royaume ! Et je ne suis pas même en droit de me clamer cocu...

Il écrasa ses yeux du revers de la main, dadet de dix-huit ans qu'il était. Épuisé par ses espoirs corrompus, et jaloux jusqu'à la pointe du plus petit vaisseau sanguin. Les joues rougies, la face grimaçante, le coeur battant comme sur un champ de bataille. Il la regarda encore, respirant douloureusement, celle qui ne lui donnait plus de preuves pour vivre, seulement des promesses en coque vide... Il s'en voulut de l'avoir embrassé et poussé, et contempla le désordre commis, en ouvrant des bras ballants et impuissants, puis en poussant une plainte :

Et qu'avez-vous fait à vos cheveux ...?!
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Blanche_
Sa colère retomba sitôt levée.
Et, ainsi vidée, comme de toute son énergie vitale, elle s'assit comme un sac de plomb sur le rebord de son lit, peinant à trouver les mots. La main sur le front, elle caressait les ébauches de ces fils de paille, d'or, qui bouclaient de longueur inégale. A dire vrai l'un des cotés était même bien plus long que l'autre. Presque un fait exprès. Et pour lui, elle tendait sa tempe la plus féminine, dont la longueur encore préservée à peu près, rendait ce qui restait de son coté femme.
Elle cacha les mèches derrière son oreille, que l'on vit pendante d'une perle accrochée. Grimpant, une espèce de liane ou de lierre d'or montait à son oreille, que l'on avait pas encore remarqué. Encore un détail, minime mais provocateur, de la mode typiquement barbare. Qui d'autre irait à mettre dans une cage d'or son propre visage ?


Ne vous attachez pas à ça.

Elle soupira.

Qu'est ce que cela fait après tout, que je profite de lui et lui de moi? Je ne garde en tête que les avantages que cela m'apporte. Il faut bien que je fasse cela pour pouvoir continuer... Si je me mettais à penser à ce que cela implique je serais incapable de ne pas constamment penser à ce que vos propres obligations impliquent, votre propre lit, votre propre femme...!

Je préfère ne pas y penser. Cela me donne envie de vomir. Et je vous conjure de faire pareil tant que je n'aurai d'autre réel moyen de prendre l'indépendance vis-à-vis de mon époux. A moins, bien sûr, que vous ne soyiez venu que pour m'offrir enfin cette libération.


Se dressa vers lui une paire d'yeux gris, de Bretagne, dont on voyait une vague de sel arriver bientôt. Déçue, fatiguée, attendant de lui plus que dix-huit années, plus de retenue, plus de tendresse et de patience, elle se taisait plutôt que de lui dire, de lui reprocher, guettant dans les secondes ce que des années peut être feraient naître chez lui. Le pardon des fautes, l'ouverture de ses bras. Fallait-il qu'il vieillisse pour qu'elle soit heureuse comme à ses quinze ans?
La vie était-elle compliquée...


Nous ne reparlerons plus d'Eusaias car je ne l'aime pas, de cela vous pouvez être sûr. Il n'a aucune importance, cette situation n'a aucune importance, navrez-vous si vous voulez de ce que j’écartai les cuisses pour lui une seconde, mais je ne souffrirai pas pour ma part de devoir en parler une minute de plus. Je vous l'ai dit, je pars du Louvre, et si je me jette dans vos bras ça n'est sûrement pas pour entendre parler des sexes des autres !
Ou alors, il est de certains dont il faudra que l'on parle, parce que MOI AUSSI figurez-vous, que vous baisiez ailleurs cela me DÉRANGE ! ET D'AILLEURS PARLONS EN MAINTENANT !


Ridicule.
Elle baissa le ton et rougit jusqu'aux racines. Sans que l'on sût trop si c'était pas honte de cet emportement, ou par une colère inexprimée. Sitôt, elle renfrogna sa rage et répondit à sa question.


C'était pour vous suivre sur le chemin de la guerre sombre IDIOT !


Peut être encore un peu rageuse.
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Aimbaud
Il considérait le carnage accompli dans les longues mèches d'or qu'il avait toujours connues et adorées, comme les séquelles d'une époque révolue. Son seul amour était échevelé, sa pureté tombée de l'autel. Il ne restait que ce seul corps de femme désacralisé, blanc, décousu, dans la noirceur de cette chambre de maîtresse où elle s'était vraisemblablement donnée contre une bonne situation. À ses clavicules pendaient les lacets d'une chemise trop ouverte qui laissaient tout voir, en piqué, en bosselé, de ces vérités prêchées par un certain nombre de vassaux de France et d'Espagne... Elle était belle, la Blanche ! Dans son plus simple costume de poupée tombée du lit... Touchée par tant de mains. Salie, et pourtant impeccable. Fière dépravée qui montrait la nuque comme un flambeau, dégagée de sa jeunesse tranchée au couteau, à la racine de ses cheveux de jeune-fille.

Nom de Dieu, qu'il lui en voulait ! De se montrer comme ça. Impure ! De déchirer ses illusions de garçonnet, qui se croyait le premier, aimé d'une noble pucelle, une icône, un amour de loin, presque parfait, presque blanc, intemporel, unique... Pour Aimbaud, les valeurs du coeur était simplissimes : faire l'amour c'était aimer, aimer c'était être fidèle, jusqu'à la mort et au-delà.

Naïf débile !

Blanche aux cheveux courts lui démontrait tout le contraire. Faire l'amour c'était obtenir des intérêts. Le coeur était entourloupe, stratégie, jeu de pouvoir, et patiente dans le couloir que j'aie fini avec un autre. Le coup qu'elle lui portait l'abattait mieux qu'une lancée de fléau en pleine gorge. Ses serments se délitaient. Ses jambes se dérobaient. Il s'adossa à un meuble et porta le poing devant lui.


Qu'est-ce que cela me fait ? Qu'est-ce que cela me fait ? Que vous vous donniez à un autre, qui n'est pas même votre époux...! Qui est mon père, ou peu s'en faut... Ce que cela me fait ? Mais vous ne me ferez pas taire ! Non ! Expliquez-moi comment penser à la pluie et au beau temps quand je vous imagine bêler en pâmoison dans la lit de la couronne ! Oh la rude tâche... Que vous devez être à plaindre... À vous faire mignonner...

Martyr !... Mon cul !

Je sais pertinemment qu'Eusaias a beaucoup pris femme, qu'il plait à votre sexe, et que vous y trouvez bon plaisir ! Et que vous vous riez de moi ! Tous vos beaux mots ne sont que baume pour me calmer, et m'amener à ne pas vous tourmenter...! J'ai... J'ai trop de peine à en convenir...


Les sanglots l'étouffaient. Il promena une main sans force, pour la désigner comme un déchet sur le bas-côté... Un couple de larmes rondes tombèrent à son menton et au coin de sa lèvre grimaçante.

Vous êtes une traînée ! Vous vous donnez pour une principautée... pour des appartements ! Ainsi en avez-vous toujours fait les calculs...! À sauter de lit en lit ! Je gage que vous n'étiez même pas vierge avant les abus de Von Frayner !

Enfin un dernier aveu lui fendit les lèvres, comme un grognement sourd qui répondit à la secousse qu'il imprima au meuble qui le soutenait.

Et je ne suis jamais au lit de ma femme, moi...! Je n'ai de cesse d'être convoqué où paît la guerre ! Tandis que l'on vous saute. Je suis toujours abstenu !
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Blanche_
Il aurait fallu répondre à toutes les questions qu'il avait posées, mais Blanche n'avait en tête désormais plus que l'insulte qu'il lui avait lancée. Trainée, trainée. Elle occulta ses derniers mots, comme échappant à ses oreilles, cachés par l'écho. Trainée, trainée.

Trai... quoi ?

Il parlait d'Eusaias et de plaisir, elle avait la gorge serrée, parvenant à peine à articuler un mot. Mot sur lequel il fallait revenir pour qu'elle l'admette, qu'elle comprenne, qu'elle saisisse. Qu'elle sache son état d'esprit. Ses choix, ce qu'il lui restait à faire, à se serrer dans ses bras ou lui en mettre une.


A... Attends un peu. Trai...trainée? T..u penses vraiment que je suis une... Vraiment? VRAIMENT ?

Oh mon Dieu. Mon Dieu. Bordel de Dieu! Foutre-cul! Une trainée! Trainée! Je-ne-suis-pas-une-trainée! JE-NE-SUIS-PAS, faisait-elle en avançant à grands pas vers lui, faisant fi des possibles pas en arrière qu'il pourrait faire pour lui échapper. Le visage plus expressif qu'il n'avait jamais été, plissant ces sourcils blonds, serrant les dents, prête à cracher ou à mordre, ou à ce que ses petits bras de rien du tout balancent un coup contre lui. Elle en vint à lui, et cogna du plus fort qu'elle pouvait le torse d'Aimbaud, le repoussant encore jusqu'au mur. Il pouvait bien répondre et brailler, ou la frapper à son tour, mais elle n'accepterait pas, ça non, qu'il redise encore une fois ce qu'il avait déjà dit.


Je te défends de dire cela ! Petit con !

Elle était beaucoup moins polie quand il devenait vulgaire. Et un peu violente. Mais pouvait-on qualifier de violents ces petits poings qui cognaient, qui caressaient presque le Josselinière? C'était, bien plus qu'une battue, un dressage de sanglier domestique.

J'vais te dire, tu m'emmerdes énormément. Je commence à en avoir sérieusement raz-le-bol de ça, tout ça, tout CA ! MERDE !


Et foutu un coup de pied dans le meuble sur lequel il se tenait si péniblement.


AH FOUTRE DIEU !

Ça faisait mal. Oh oui ça faisait mal. Au cœur et au pied.

De toute façon je m'en fous, m'en fous mais alors... C'est pas le problème. Je vous l'ai dit, je viens avec vous, que vous soyez d'accord ou pas, je m'en fous aussi. C'est compris? Le moindre désaccord, la moindre insulte, je m'en FOUS, je viens quand même. Merde quoi.


Et ce disant, elle agrippa ses affaires et se dirigea vers la porte.
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Aimbaud
AH !

La caresse était rude ! Le sanglier, dont la cage thoracique essuyait les coups de poings de son maître en escarpins, souffrait trop de cette méthode de dressage pour y trouver du charme. C'est que si les mains de Blanche étaient petites, elles n'en étaient pas moins violentes... Battu comme plâtre, Aimbaud rentra tête et braqua épaule, pétrifié dans un réflexe de défense. Il encaissa tout ce que la vengeance faisait pleuvoir sur lui, avec un point au coeur, et une crainte certaine, car il ne l'avait jamais vu dans cet état de colère aveugle, sa Blanche. Des peurs sourdes passèrent par son esprit, qu'elle en vienne à lui arracher une oreille ou lui crever un oeil, avec ses ongles nacrés, à lui briser le nez, peut-être. À tout vous dire, il avait mal, et il retenait son souffle, incapable de répliquer, de peur de la tuer dans l'accès de colère et de honte qu'il sentait surgir en lui. Ce sentiment lui gonflait les joues de rouge et lui exorbitait les yeux, dont les reflets blancs furieux apparaissaient parfois dans la pénombre.

Oui, il était perclus de honte et révolté, de se trouver encore une fois à la merci de cette imbécile pimbêche, dérangée, violente et vulgaire, infidèle, manipulatrice, qui croyait avoir sur lui tous les droits, jusqu'à celui de le battre, ce que pas même son tout-puissant père ne se serait permis... Des larmes amères restaient encore accrochées entre ses cils et ses paupières rougies. Grand Dieu qu'il se sentait nigaud d'avoir poussé cette porte et de se trouver dans un pareil état...

Aimait-il Blanche ? Cette furie qui passait de lit en lit, parmi les plus nobles ? Cette teigne qui le corrigeait comme un enfant, à coups de poings ? Cette dépravée qui l'obligeait à une dépendance cachée, insatisfaite et déshonorante, à mettre en péril ses titres et sa réputation ? Comment avait-il pu s'abaisser à ce point pour la femme d'un autre, et s'obstiner si pleinement dans une voie sans issue ? Était-elle à ce point belle qu'elle vaille toutes ces peines ? L'aimait-il toujours ?

À croire qu'il courait après une ombre... L'ombre d'une jeune-fille disparue depuis déjà mille ans...

Quand les coups cessèrent, et que ne resta plus que le battement douloureux du sang dans les tissus meurtris, le jeune marquis avait prit sa décision. Il écouta la favorite vociférer, le visage tendu et sans plus d'amour. L'amour... Un terme bien général, pour désigner autant de désirs que de chimères.

Il ne la retint pas. Il ne la suivit pas non plus. Le visage bas.

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Aimbaud
[Désormais, ma voix ne dira plus je t'aime]

    Désormais, moi qui voulais être ton ombre,
    Je serai l'ombre de moi-même.


Enfin il redressa la tête, quand le silence eut assez parlé pour eux.

Il observa la pâleur de la silhouette dans la porte et, le front dans l'ombre, remit lentement son pourpoint en ordre. La pagaille en avait tiré quelques bouts de chemise. Il tira sur ses manches pour signifier qu'il en avait terminé. Puis, les épaules rentrées afin d'atténuer les maux à son sternum — assez fier tout de même, pour n'en rien montrer — il fit un pas vers la sortie.


Je vais vous laisser. J'ai eu tort en venant ici...

Il dit ces mots très simplement, avec désormais comme une sorte d'indifférence. Quelque chose s'était fendillé ce soir, comme tant d'autres soirs. Mais cette fêlure-là était le dernier pas vers la brisure. Ils allaient donc briser là... Ah, la douce brise. Le triste flot de paroles qui signe les fins de contrat. Les pourquoi qui font mal, à les dire, à les ouïr, et à les laisser là tomber du bout des lèvres... sur le tapis.

Il est devenu invivable de vous aimer... Je crois que vous êtes devenue folle... Vous avez changé, pour le pire.

Il parlait les yeux baissés, le marquis. Son courage était assez cuisant pour lui faire prononcer quatre vérités, mais lui faisait défaut lorsqu'il fallait affronter, en même temps, le poids cinglant des bleus-gris bretons... Il poursuivit pourtant, la voix flanchant parfois tandis qu'il articulait tout ce qu'il avait sur le coeur, s'en déchargeait à petit feu, à petits mots, comme un enfant qui récite son poème, butant, mais précis jusqu'au mot de fin.

Je ne souhaite plus entendre parler de vous. Vous m'empoisonnez. Je suis trop jaloux pour être capable de vous supporter...

Il n'y a plus rien de bon entre nous.


Soyons réalistes. Les amours de quatorze ans, ça ne peut pas durer toujours. À moins d'une Juliette, d'un Roméo... et d'une mort violente.

Adieu maintenant. On ne m'y reprendra plus.

Il inclina la tête en passant près d'elle.
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