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Ainsi moururent Yolanda Isabel de Josselinière et Clotaire de Mauléon-Penthièvre

[RP] - Je ne t'aime pas, moi non plus.

Yolanda_isabel
[Quelque part en Touraine.]

Prodigieux..

Ils étaient prodigieux, ou du moins, c'est l'impression qu'ils avaient. L'impression qu'elle avait, quand le courage l'a prise sur ses ailes et l'a portée loin devant les lignes ennemies. Autour d'elle, il y avait des gens qu'elle aimait, il y avait son fiancé, sa mère et des gens qui étaient venus défendre leurs intérêts, mais ils n'étaient pas assez nombreux. En somme, ils étaient misérables, elle surtout, quand la lune a éclairé les lames d'en face, et que les rênes se sont serrées et qu'elle a cru pouvoir ralentir dans sa charge le grand shire, et trop tard, bien trop tard, les lames les ont prises. Madone et elle. Elle ne se souvient pas, elle ne sait plus.

Elle se souvient le hennissement désespéré de la jument, la chute et plus rien. La vieille chez qui on l'a logé, lui a raconté comment ils ont du la sortir de sous sa monture qui a cru bon de tenter quelques foulées de plus en arrière avant de s'effondrer et de broyer sa jambe sous son poids. Mais voilà, elle n'a pas entendu, la douleur était là, pas uniquement physique. Madone est morte, et la sorcière croit bon de rajouter qu'ils ont tué des chiens qui rôdaient autour de la jeune fille, immenses chiens noirs, certainement tout droit sortis de l'Enfer Lunaire. Tués pour avoir protégés leur maîtresse. Tout est parti, tout est détruit. Ils ont perdu, elle a tout perdu.

Prostrée depuis deux semaines, elle n'ouvre les lèvres que pour étouffer des gémissements désespérés. Ils ont pris leurs terres, ils ont tué ses enfants, ses tout petits, ses merveilles. Elle ne sait plus où est Clotaire, où est sa mère, et ne pense pas à les réclamer, tant elle a peur qu'on lui révèle qu'ils sont morts, tués par le duché qui l'a vue naître. Et abrutie par la drogue pour taire la douleur, elle ne veut pas sortir de cette mélancolie, que la vieille met sur le compte de sa blessure, pérorant de bonheur en lui racontant comment les gars de l'endroit ont du se mettre à plusieurs pour tuer les bêtes démoniaques et la sauver. Quand tout à l'horizon se profile désastreux, on pourrait espérer une rédemption du Destin, un petit « Allez je te fous la paix, jusqu'à la prochaine. » mais non, rien ne saurait lui être épargné, puisque l'horrible femme revient un jour avec un papier qu'elle a fait lire par l'écrivain public, d'un prince qui vient pour rencontrer la jeune fille, un prince rendez-vous compte, qui lui somme de se rétablir assez pour le recevoir.

- « Qu'il aille se faire foutre par qui il veut. Je ne veux pas le voir. Dites-lui que je suis morte et barrez-vous. »

C'est tout comme.
Charlemagne_vf
Malgré tout, le prince arriva, sans croire un instant à la mort de Yolanda de Josselinière, qui eut été une trop heureuse nouvelle.
Charlemagne ne l'aime pas, la blonde aux rondeurs sucrées qu'il a le malheur de connaître depuis l'enfance. Mais elle est fille de Josselinière et de Penthièvre, et duchesse. Lors, parce qu'Aimbaud est aimé de l'Infant, en une façon singulière et chaste, et parce que le nom et le sang ne sauraient subir d'outrage sans que Castelmaure ne s'en mêle, l'Aiglon n'a pas compris le renoncement de son aînée de quelques ans.
La réclusion puis la roture ne conviennent pas à la fille d'un Tri-Duc, à la soeur d'un Marquis, à la favorite d'une reine. C'est une offense trop grande faite à l'ordre du monde, que de déroger à son rang. Une offense plus grande encore que la simple existence de miss-rose-bonbon. Alors, offense pour offense, et comme Dieu ne pardonne pas tant à ceux qui nous ont offensés, l'Infant entend faire justice, et sermonner, en bon curé.
Il s'approche. C'est une masure, à peine un châtelet, dans la campagne des environs de Chinon. Circonspect, le Prince s'arrête et quitte sa monture, attachée sans cérémonie à la barrière d'un champ sans grande beauté. Derrière lui, Jehan Fervac pour seule escorte. Le garde n'aurait pas quitté son maître. Jamais, et moins encore pour le voir s'enfoncer entre les ombres d'une forêt qui menait là. Une rivière, non loin, se faisait entendre. Bel écoulement des flots sur le flanc des rocs.

Le duc de Nevers entra. Il n'y avait là qu'une sorte de vieille femme, d'un âge où la différence entre les sexe n'est plus que grammaticale.
Il ne prêta pas attention très longtemps à cette apparition grotesque, qui s'accordait mieux au lieu que la borgne assise là. Charlemagne posa ses yeux bleu-marine sur le visage qu'il avait tant vu, à tant d'époques, et de tant de façons. Joviales, rieuses, rageuses, inquiètes, douces, aimantes, amères, bouffies, squelettiques, roses, rouges, percales, les joues de Yolanda avaient pris des milliers d'airs aux yeux du Prince. Il n'y avait jamais vu qu'une chose infecte et désagréable.
Ainsi, il la salua.


Ma pauvre Josselinière, vous êtes minable.

La créature d'un blond fané se tourna vers sa servante.

"Oh putain... Mais c'est quoi que vous avez pas compris quand j'ai dit que je voulais pas voir sa gueule.
Bonjour Votre Altesse."

Duchesse.

Avec nonchalance, l'Altesse alla s'affaler sur un fauteuil détraqué. Rude dans la voix, et sévère dans le port, il affichait un sourire goguenard, rare.

Vous n'avez pas répondu à mon courrier. J'en suis marri, car comme vous le devinez, je ne l'ai pas écrit avec la joie de correspondre avec vous m'enserrant les tripes.

Le courrier en question apprenait à la jeune femme qu'une terre, c'est tout ce qui compte, et qu'avoir remis la sienne à l'ennemi par lassitude était tout sauf convenable et respectable. Grosso modo.

Ladite jeune fille essaie de se redresser, grimace en relevant sa jambe en charpie.


"C'est que j'ai eu des obligations voyez-vous. Une armée à nourrir, des étendards à broder, une armée à prendre dans la raie. Un tas de trucs en somme. M'en voulez-vous plus que d'ordinaire ?"

L'Infante d'Anjou dodeline de la tête en attendant quelque réponse qu'elle sait d'avance désagréable.

Je ne sais. Vous en ai-je jamais voulu ? Encore eut-il fallu que je nourrisse quelques espoirs en vous, mais votre stupidité m'afflige, assurément. Ne songez-vous jamais qu'à vous, qu'à votre petite gloire lointaine et fanée ? Regardez l'horreur de votre face, et vous n'avez pas seize ans... Vous êtes plate, laide. Mais je ne suis pas venu pour vous faire la cour.
Je rentre à Nevers. Vous avez forcé votre frère à se battre pour vos erreurs, mais je n'ai plus la force de supporter pareille déchéance. Je venais dire adieu.

Éclatant de rire, elle grimaça derechef.

"Tout cela ? Tant de mots pour cela ?"
Vous avez donc promené votre petit cul ici pour me dire adieu ? Et vous prétendez ne pas m'aimer ? Allons, c'est un honneur bien trop grand pour l'horrible mégère que j'ai l'heur de représenter à vos yeux.
"Quand j'irai mieux, je pourrai m'en vanter. Charlemagne est venu me dire adieu. Quant à songer à moi, j'ai un temps songé à vous.
Un temps, et ce temps vous l'avez vous-même révolu."

Et ? Dois-je m'en affliger davantage ?

"Pensez donc, j'ai pensé tellement fort à vous que je vous ai préservé de l'union que vous me réclamiez.
Vous m'en devez une, voire deux.
Mais je ne suis pas égoïste, et je passe sur la dette de vie que vous me devez, et puisque je vous aime bien, je passe aussi sur celle de la moralité que nous avons tous trois."

A la vieille, elle siffla.

"Passez moi à boire, on crève ici."

Sur quoi, l'Aiglon seulement répondit.

Une dette à v... Auriez-vous l'outrecuidance de penser que... Non. Non. Décidément, c'est trop fort. Vous avez raison, Josselinière. Je n'ai rien à faire dans la demeure d'une vieille radasse décatie avant l'âge. Encore que la crasse ne soit pas condition rédhibitoire au mariage. Mais objectivement, vous n'avez plus aucune valeur pour personne. Pas même pour les morts.

"J'avais de la valeur pour votre mère.
Parlons peu, parlons bien. Je me suis toujours posée une question.
Avez-vous toujours eu une si mauvaise opinion d'elle pour croire qu'elle pouvait vous chérir moins qu'autrui ? Franc ne s'est jamais posé ces questions-là.. C'est étonnant.
Oh ! Une autre !"

Levant le doigt, et un zeste de sarcasme dans la voix, le duc renchérit.

Tutut. Une à la fois.

"Vous deviez drôlement vous faire chier pour venir me rejoindre pour me faire la morale, au lieu d'aller baguenauder dans la campagne avec quelques adorables puceaux.
Je vous manquais !"

Au sarcasme, à la légèreté du doigt qui avait fendu les airs, ce fut la lourdeur du poing qui succéda. Le Prince venait de resserrer le poing, et de le lancer dans le visage de la fille. Il l'avait frappée, le coeur serré. Puis il avait soupiré d'aise. Ce geste, il l'avait tant retenu. Tellement longtemps. Rêvé, même. Puis elle avait commis l'affront : l'accuser de sodomie.

"Humpf..."

Jamais plus, Yolanda, jamais plus.

Mais Yolanda se frotte la gueule et regarde ses doigts, hébétée pour constater qu'il y a du sang qui coule de son nez.
Lui, il continue, frénétique.


Quant à ma mère... elle nous vous aimait pas davantage que moi. Elle était dure et froide. Absente. La mort fut son occasion ultime de fuir : elle a fait le choix de ne pas revenir.
Ma mère, je n'en ai pas souvenance.

Il tremble alors, ses yeux vaguement embués. Il a oublié le public. La vieille, sans doute surprise du geste, stupéfaite de voir la conversation continuer, comme si rien n'avait troublé le flot des paroles.


"Tain.. Ca fait mal."

La jeune déchue jette un regard à la vieille, un haussement d'épaules aussi avant de chopper le drap sale pour appuyer sur son nez.

"J'aurai pu vous raconter votre mère. Mais vous ne m'avez jamais rien offert d'autre que le mépris. On n'attrape pas les mouches avec du vinaigre, et pas moins les radasses décaties avec des insultes.
Je crois bien que vous m'avez cassé le nez cette fois, hé !"

Une fois encore, il sentit ses oreilles geler.

Me raconter ma... Mais c'est la mienne, justement. Vous êtes une immonde petite ingrate, un déchet. Quels parents vous manquait-il ? Que vous... Et que peut vous faire mon. Mais. Mais non, non non non !

Sa jambe se mit à trembler.

Vous n'auriez jamais du savoir. J'ai été faible avec vous. Tout ce temps. Toujours... Je... Non. Non. J'aurais du vous faire taire. A la première parole, à la première révérence. Toujours...

"Oh, bast à la fin. Arrêtez-vous un peu ! Je préfère le mépris, vous ressemblez au gamin geignard qu'on a du faire sortir du Louvre. Je veux ! J'aurais .. Mais fermez un peu votre gueule Charlemagne et redescendez sur terre. Vous avez toujours eu ce que vous méritez voilà !
Et je pense que vous avez bien de la chance que vos parents soient morts finalement, si votre père pouvait voir le sodomite qu'il a engendré, je crois qu'il vous en décollerait deux avant de vous envoyer à votre chambre avec des jouets pour enfants pour vous calmer les nerfs.
En vérité, vous me saoulez."

Yolanda Isabel a un mal de chien à parler sans foutre du sang de son nez partout, et d'ailleurs, a un mal de chien tout court, parce qu'un nez pété, ça envoie un peu du pâté question souffrance.
Lui, il l'a écoutée, bouillant. Fi du stoïcisme. Pas placide pour un sou, la glace ayant fondu sur son coeur.


Je vais vous tuer... Je vais vous tuer. Je vais vous tuer.

Alors il s'approcha, ses mains blanches tendues vers le cou gras de la demoiselle de Molière. Il en saisit la peau. Il y fit des plis. Il serra le cou, et sentit battre la jugulaire. Dans son regard, il n'y avait plus que folie. LA vieille criait-elle, ou Jehan l'avait-il déjà assommée ? Il n'en savait rien. Lui, il était tout fait de haine. Enfouie depuis l'enfance, et voilà que venait la vengeance. Chaude plutôt que froide, et violente.

"Mais .. Vous êtes fouuuu !"

Il n'entendit rien.
Elle lâcha le drap qu'elle tenait pour essayer de le repousser, griffer ses mains ou quelque chose.


"Ai..ez moiiii."

La voix aussi tremblante que celle de la duchesse de Château-Gontier était étouffée, le prince répondit entre ses dents serrées.

Oh nooon, je n'ai jamais été aussi lucide. Jamais, jamais plus, Josselinière, jamais plus...

Et la seule étreinte qu'il ait jamais consenti à lui donner, il la serra plus fort encore.
Elle commence à avoir la vue qui se trouble, et venant d'une borgne, c'est encore plus contraignant, la voici qui happe l'air de son mieux, en essayant de lui griffer le visage en vain.
Lui bat des coudes, frénétique, pour parer les maigres coups, se fichant de la douleur comme d'une guigne.
Fou.


Et dites à mère que... AHAHAHAHAH ! Vous serez en Enfer, vous !

"Sal.. Grec.. Arghh.."

Ce furent les derniers mots de Yolanda de Josselinière. Classes, raffinés. Son visage vira du bleu au mauve, puis son oeil valide rejoignit le mort. Vide.
Elle esquissa une grimace navrée en expirant un dernier soupir. Ils auraient pourtant pu s'aimer.
La lâchant, et sans s'horrifier de son geste, il expira. Vivant. Il ne l'avait jamais été tant qu'en tuant. Une chaise vola, et la vieille avec, quelques dents molles frappant le sol en même temps que sa tempe sanglante. Le Prince fixa son amant.


Une duchesse déchue et dont les fiançailles ont été rompues, seule dans la campagne de Touraine, avec une vieille folle. Et si peu de sang. Trouve-moi une corde.
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Clotaire.
Il n'y avait qu'une chose dans sa vie. Une chose et une seule depuis que sa mère avait été tuée par on ne sait qui, puisque personne n'avait pris le temps de rechercher l'assassin, sur une estrade angevine, devant ceux qui étaient censés être ses amis, sa vie, son oeuvre.

Il n'y avait donc depuis qu'une chose dans sa vie. Une chose et une seule. D'aucuns auraient dit la glande, ce qui est faux. Ne rien foutre arrive en second dans l'ordre de ses priorités, depuis qu'il a rencontrée dans la campagne angevine celle qui devait devenir sa femme, l'unique amour de sa vie, l'unique raison de sa vie.

Il n'y avait qu'elle, et c'est pour elle qu'il s'était laissé convaincre, puis qu'il avait aidé à mener cette guerre aussi inutile que foirée, cette guerre qui ne resterait dans aucune mémoire, à part d'une dizaine d'angevins que ça aura occupé quinze jours avant qu'ils ne replongent dans l'ennui crasse d'une province trop petite pour être indépendante.

Il n'y avait qu'elle, et c'est pourtant elle qu'il avait délaissée ces derniers jours. Trop lache, trop couard, pour assumer de l'avoir embarquée dans cette dernière charge qu'il savait suicidaire. Ressusciter est pratique, mais c'est épuisant. Et pour quelqu'un qui s'était déjà éteint bien avant d'avoir à se réveiller, l'épreuve pouvait s'avérer fatale. Clotaire, adolescent à peine adulte, n'arrivait pas à se remettre de ce qu'il avait infligé à celle pour laquelle il aurait du tout donner, sans rien avoir à lui prendre...

Ce matin, armé du courage d'un alcool qu'il n'avait pourtant que peu consommé avant de mourir cinq fois dans la même nuit, et de ressusciter tout autant, il a pourtant décidé d'affronter la mine défaite et le corps délabré de celle à laquelle il aurait du promettre sa vie si les membres de l'EA n'avaient pas été aussi lents à le baptiser qu'un escargot neurasthénique à faire Paris-Berlin. S'il n'avait pas été destitué. Si elle n'avait pas du rendre ses terres pour lui. S'il n'y avait pas eu cette guerre...

L'heure des regrets n'est pas passée avec celles des aubes qui se sont succédées avec acharnement depuis. Cependant, un peu ivre, mais toujours plus amoureux, du courage titubant de l'adolescent qui ne sait pas ce qu'il va bien pouvoir faire, il se dirige vers l'endroit, miteux, tout serait miteux pour elle de toute façon, elle ne mérite que le meilleur, où elle se terre. Que lui a-t-il fait, à cette femme qui ensoleille le monde ? A cette femme qui est capable du meilleur et du pire par amour ? à cette femme qu'il a juré de protéger ? Que lui a-t-il fait, et comment pourra-t-il un jour se le faire pardonner ?

Aimbaud est au loin, et tant mieux, Clotaire n'aurait pas pu supporter de faire face à ce cousin, devenu ami, qui redeviendrait un ennemi sanguinaire quand il saurait ce que Yolanda avait du vivre et subir. Et Clotaire ne sait pas pour les chiens, ne sait pas pour le shire, ne sait pour rien, il sait qu'elle a souffert et qu'il était lui même trop épuisé pour y changer quoi que ce soit, quand bien même il l'aurait pu.

Il passe aussi facilement que le Prince, lui le duc déchu, parce que la vieille n'est pas à l'entrée et que le vin le fait avancer, jusqu'à une chambre dans laquelle il n'aurait pas franchi le seuil en d'autres temps. Yolanda et Clotaire, le seul couple du Royaume qui s'aimant, aura essayé d'attendre le mariage et n'aura jamais partagé la couche de l'autre. Naifs. Amoureux. Crétins.

Sauf que le spectacle de cette seule chambre, la masure est vraiment pauvre, comment Yolanda aurait-elle pu se remettre dans un endroit pareil, comment ne l'a-t-il pas cherchée, comment ne l'a-t-il pas emmenée chez Ellesya, comment a-t-il pu être si couard ? Pauvre môme, tout ça était trop grand pour toi, Héritier, Orphelin... Elle était trop bien...

Une gorgée machinale de l'Anjou qu'il tient en main, pas rancunier, il assiste à la pire scène de sa vie. Il aurait pu mourir là. A la voir, le nez en sang, le carmin tachant la robe, tachant le sol. Si peu, et beaucoup trop pour ce qu'il supporte. Yolanda, si belle, si pale, si rouge sur le col qu'elle portait si fier. Un homme, qu'il n'a pas croisé, qu'il ne reconnait pas tant la correspondance ne permet pas d'imaginer un visage. Un homme qui se tient là. La bouteille vole.


"Fils de pute ! Qu'est-ce que tu lui as fait ? QU'EST CE QUE TU LUI AS FAIT ?"

Et d'un pas crevé de s'avancer, aussi menaçant qu'un nourrisson titubant vers ses premiers pas, ivre de colère, ivre de vin, ivre de tristesse, et ayant déjà compris qu'il n'avait plus rien à perdre, il ne faut que peu de temps pour sentir qu'on a perdu sa raison de vivre...
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Charlemagne_vf
La vieille expira. Noyée dans son sang, son âge avancé lui avait donné la grâce de mourir sous le choc. On avait entendu le craquement de ses os, à peine dissimulé sous celui des meubles qui avaient chu sous et sur son corps. L'Infant resta un moment stoïque, songeant à l'annonce qu'il devrait faire à Aimbaud de Josselinière et aux proches de l'Infante d'Anjou. Il était prêt à s'entraîner à pleurer. Mais la tristesse de Charlemagne de Castelmaure n'aurait pas été crédible, puisqu'il s'agissait du passage à trépas de Yolanda de Josselinière.
Il lui faudrait être sec, sans être affable ni éploré. Austère et réservé, portant un deuil de circonstance. Les paroles qu'il aurait à proférer commençaient à se dessiner dans son esprit comme si on les avait tracées d'une traite sur un parchemin neuf. Il était arrivé pour dire au revoir et encourager la duchesse de Château-Gontier à ne pas se laisser aller à la décadence, il n'avait voulu qu'activer en elle le sang et l'esprit nobiliaire, lui enseigner qu'une protégée de Béatrice de Castelmaure ne se terre pas dans la campagne tourangelle. Or, quand il était arrivé, il avait trouvé un corps pendu. Juste un corps pendu. Et rien d'autre. La servante, on la jetterait dans la Loire, et le fleuve la portera jusqu'à l'océan, ou alors les poissons sauront s'en repaître. Peu importait le sort d'une gueuse décatie. Qui s'inquiéterait de son devenir ? Qui s'inquiétait de son existence, sinon un être qui venait de mourir froidement entre les mains d'un prince du sang.
Jehan Fervac semblait résolument hagard. Pourtant, l'Aiglon savait qu'il avait un certain goût pour la violence et la chair en putréfaction. Avait-il été stupéfait de voir son suzerain se salir les doigts ? De fait, le duc de Nevers ne tue pas lui-même. Il se contente bien souvent d'énoncer le verdict, et de donner la hache au bourreau. C'est si peu. Le Fils de France fit quelques pas dans la pièce, cherchant ce qui pourrait bien servir de dernière parure au cou de la meringue désormais sans vie. Il la regarda, d'ailleurs, pour chasser son fantôme. Elle était laide. Sa grimace aussi. L'absence dans son regard était surprenante : elle était morte sans rancune. C'était du moins ce que l'Infant songeait, peut-être pour s'assurer qu'elle ne reviendrait jamais le hanter.
Alors le mur d'en face se trouve soudain injustement frappé. Du verre et des éclats, puis un liquide incolore qui coule, qui coule le long des pierres froides de la masure. Charlemagne l'entend, cette voix qui l'injurie. Il déglutit, un frisson parcourant son dos, et quelques sueurs froides perlant sur sa nuque. Il pivote pour apercevoir ce zombie, ce cadavre vivant, ce déchet qui ne demande, lui aussi, qu'à rejoindre le cimetière. Compatissant au deuil du fiancé, l'Aiglon étend ses ailes pour recevoir cet être titubant dans ses bras. Dans son avancée, il s'est saisi d'un couteau mal aiguisé, à la pointe un peu rouillée, même. Un bras couvert de velours noir se glisse sous celui de Clotaire, puis l'autre vient serrer son poing contre son buste. Il perfore un poumon, le regard navré, puis il se presse contre le corps qui va gésir, peu de temps après. Il susurre.


Je suis désolé, votre Grâce. Tellement désolé.

Et il l'était, d'avoir fait couler un sang pur sur le sol crasseux d'une masure. Il l'était, d'avoir fait deux morts de plus qu'il l'avait prévu. Il l'était d'avoir tué Clotaire de Mauléont-Penthièvre. Il l'était de devoir faire un brin de ménage de ses propres mains.
Le corps s'affaissa sur son épaule, il le poussa à terre sans lui accorder un regard. Ses yeux bleu-marine, c'est sur l'Ours qu'il les posa. Sur Jehan Fervac. Inerte. C'était bizarre, soudain. Yolanda, il l'avait tuée dans un excès de folie meurtrière, en colère, plein de ressentiment. Clotaire n'avait été qu'un pauvre hère, et n'avait commis que le crime de se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment. Il l'avait assassiné de sang froid, comme s'il avait été un vulgaire coupe-gorge, sorti de la cour des miracles. Il était un peu répugnant. Mais était-il bien temps de se trouver dégoûté de ses actes ? Charlemagne ne pratique pas la remise en question, ni le retour sur lui-même. Aussi, platement, il avise son capitaine.


Pends-la.

Déjà, Charlemagne s'était accroupi, remettant le couteau entre les doigts du macchabée, juste là où s'était trouvée la bouteille, plus tôt. Puis il avait approché son corps de celui de la jeune femme, comme s'il avait eu le temps de l'étreindre une dernière fois. Comme s'il l'avait découverte ainsi et s'était suicidé. Puis, vint une idée au Castelmaure.

Ne la pends pas. Non.
Voici la scène : Yolanda, navrée par sa vie, s'est pendue. Clotaire, de retour, trouve sa fiancée ainsi et s'enivre, la dépend, et se tue après une ultime étreinte faite à un corps encore tiède. Si. Pends-la, puis coupe la corde et installe-la sur sa chaise. C'est comme ça que ça s'est passé, n'est-ce pas ?


C'était tout à fait cela. Et le metteur en scène était ravi de son scénario.
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Clotaire.
Le deuil n'est même pas démarré qu'il s'achève déjà. Un poumon perforé en met du temps avant de provoquer la mort, et si le ressuscité gît, il ne manque pourtant rien de la suite.

Le temps que les sanglants longs de la mort s'épuisent à faire battre un coeur qui se fatigue à gonfler un poumon crevé, Clotaire peut faire une mise au point. Reconnaitre au moins l'assassin, reconnaitre au moins le crime. Reconnaitre qu'il n'a plus rien, et ce "Votre Grace" qu'on lui consent au moment même de l'ultime déchéance est celui de trop. Y'a de quoi être désolé...

Glacée, salée, la larme roule au coin de l'oeil jusqu'à chatouiller l'oreille qui commence à ne plus rien sentir à force de tous ces bouillonnements de sang affolé qui ne sait plus quoi gonfler, quoi charrier, mais que fout donc l'oxygène ? Il ne vient pas, n'entre pas, en baskets à la soirée privée du poumon perforé, no pasaran, crève d'asphyxie.

Et ce gout métallique qui remonte dans une gorge désespérément crispée, n'en serait-ce pas, du sang, cherchant l'air à la source, n'ayant rien compris ? Il meurt Clotaire, il meurt et contre ça, point de lutte, pas de salut, même si le nom n'est pas dessus.

Mais après tout pourquoi pas ? Quelle raison il aurait de vivre encore ? Celle qui le maintenait, le faisait même rayonner ces derniers temps, celle pour laquelle ce poumon se gonflait, d'orgueil, d'amour, de tendresse et d'air, elle est morte, le meurtrier le confirme. Le regard déjà vitreux du Penthièvre essaie de suivre ce qu'il se passe, mais il ne se passe plus rien. Il meurt, se noie, s'asphyxie, souffre, encore, et l'Autre qui se la joue metteur en scène.

Si ce n'était l'heure de son dernier souffle, Clotaire éclaterait de rire, là , tout de suite, au mot étreinte... Clotaire de Mauélon-Penthièvre, fiancé à la plus belle, rayonnante, intelligente et généreuse femme de France, Yolanda de Josselinière, n'aura partagé en tout et pour tout qu'une étreinte de main avec sa belle et pure Duchesse. Une dernière étreinte pour des puceaux morts... l'ironie se niche vraiment dans tous les coins et recoins, et bien souvent dans les pires moments.

Un râle. La Fin. Il connait, ça lui est arrivé cinq fois le mois dernier. Mais cette fois-ci, il répond "non, merci" au Très Haut qui lui donne, encore, le choix. Cette fois-ci il ne redescend pas. Sa mère, son éternelle fiancée, sont déjà là-haut, et il n'y a plus rien qui l'attend, à part ce satané gout métallique, cette gorge noyée, bon sang de bon sang... qui ne saurait mentir.

Il meurt donc.
Déchu.
Puceau.

Mais de la main d'un Prince de France. La classe, jusqu'au bout.

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