Fourmi.
La noble débandade de Kirke avait un certain mérite. Outre le fait que nombre de soldats angevins s’étaient poilés à ce spectacle navrant, elle permettait enfin d’offrir le répit tant espéré à ce couple de tourtereaux si gracieusement bien assortis…
Nobles, altiers… Cartel et sa délicate promise allaient pouvoir tendrement déguster leur compote sur un coin de rive de la Loire. Le cadre est idyllique. Le sol moussu offre le confort nécessaire, l’odeur du sous bois à l’arrière du décor embaume adorablement l’air, quelques papillons volètent de fleur en fleur. Le cadre est posé, tout comme les tentures sont au sol et recouvertes de coussins ; un saule parachève l’œuvre de la nature de son rideau de lianes retombant vers le sol.
Bucolique.
L’escorte menée par la Fourmi installe, veille et surveille l’alentour. Il serait inconvenant que la rencontre amoureuse soit une nouvelle fois dérangée. Sécurité oblige. Les derniers détails sont passés en revue : installation conforme aux normes pour les personnes à mobilité réduite, c’est fait ; tonnelets de vins et fromages pour la dégustation, c’est fait ; gardes armés jusqu’aux dents, fait aussi. Le mets principal étant amené par la promise, il ne manquait donc rien et pourtant...
L’essentiel…
Allez prévenir la duchesse et le vicomte qu’ils peuvent profiter de leur pause compote...
Et dès qu’ils seront là, ce que l’histoire ne dit pas, c’est qu’elle a bien prévu de se barrer en loucedé.
Pas folle la Fourmi. Enfin si. Mais dans les limites des bornes.
Calyce
Lecture d'un billet reçu plus tôt dans la journée.
Citation:Tout est en place pour votre pique nique au bord du lac.
L'escorte assurera votre sécurité.
Fourmi
Panique chez la Dénéré.
Pas qu'elle ait oublié cette histoire de pique-nique, non.
Elle espérait juste que les autres l'aient oubliée, eux.
C'était pourtant son idée, hein. Idée qu'elle avait balancé avec le sourire, entrain et tout.
Sauf que là, devant ces mots fourmiesques, la mômes a grave les chocottes.
Mirettes levées sur les deux hommes qui vont lui servir d'escorte, l'air de leur dire "mais dans quoi j'm'suis embarquée ENCORE ?!!".
Les épaules haussées par le couple de gardes devaient vouloir dire qu'ils ne savaient pas...ou qu'ils en avaient rien à faire. Aucune compassion ces hommes d'armes. Tous des brutes !
Soupir
Quand il faut y aller, il faut y aller.
De toutes façons un pique nique organisé par THE cheffe d'armée du moment en Anjou, alias la Fourmi, ça ne peut que bien se passer. Obligé.
L'escorte est priée d'attendre à la porte un petit moment, le temps que Calyce se prépare. Mais se préparer à quoi ? Le vicomte n'y voit rien. Pour l'odeur y a pas de soucis : elle a pris un bain histoire de se remettre un minimum du traumatisme dû à la bataille de la veille (elle s'est quand même fait tapé dessus par une naine, ç'est choquant).
Ah, et ne surtout pas oublier l'appât à Cartel : la compote.
C'est parti !
Escortée, le pot de compote dans les bras.
L'a le trac la Duchesse qui se dirige vers le lac.
-Et si il me poussait dans l'eau sans faire exprès ?
Et si il le faisait exprès ?!
Et si il lui poussait des yeux soudainement et qu'il se remettait à voir ? J'suis pas coiffée !
Non mais non, tout irait bien... Fourmi est là.-
Le lac est en vue.
Falco aussi. Il tâtonne.
Vlà ce que serait son avenir avec le vicomte de Cravant. Une vie faite de tâtonnement, d'erreur de direction avant de trouver la bonne voie...CA FAIT PEUR !
Elle pourrait faire demi-tour mais non, elle le fera pas. Elle est folle.
Ah ! Vous voilà... déjà ! Elle est contente dans le fond faut pas croire, hein.
Venez venez, c'est par là je crois. Improvisation de guide pour aveugle, elle lui prend le bras et l’entraîne jusque l'installation préparée par la Fourmi qu'elle salue d'un signe de tête.
Pfiou... vous déconniez pas quand vous disiez que c'était prêt...Vous partagerez bien un peu de compote, hein ?
Siouplééééééééé !_________________
Fourmi.
C’est y pas meugnon comme tout… Les promis qui arrivent bras dessus bras dessous, apprêtés pour l’occasion. Enfin, c’est juste un pique nique, pas de quoi sortir les banderoles et faire tonner les canons. Pas de foule en liesse pour acclamer le couple. Heureusement. Son mal de crâne lancinant ne l’aurait pas supporté.
Rien qu’une Fourmi et quelques gardes présents autant pour la sécurité et le confort des tourtereaux que pour veiller à ce que le seigneur Cartel ne trébuche pas sur une racine et n’atterrisse dans le lac.
Ah vous voilà… tous les deux…
Ca évite les répétitions, les bonjours en cascade, bienvenue de circonstances. Encore qu’il n’y ait guère à faire. Il ne s’agit ni d’une rencontre diplomatique ni d’une joute armée. Tous les éléments à disposition sont bien en vue. Et un garde se dévouera bien pour servir ces grâces…
Et là, la question qui tue, le piège tendu au pseudo témoin.
Je resterais bien… Mais j’ai un inventaire à faire… Compter les grains de maïs dans les réserves de l’armée me prend un temps fou… et j’ai perdu mon boulier.
Excuse bidon, certes. Mais sait-on jamais ? Passer pour une dinde sans cervelle peut avoir certains avantages parfois. Et elle aurait pu prétendre avoir un cours d’arrachage d’ongles ou encore qu’elle devait aller entrainer les recrues à la technique de guérilla urbaine en temps de conflit contre des couilles molles repliés à vingt lieues…
Et puis la compote sans foie gras…
Pas pire… Et elle n’a pas évoqué les éventuels problèmes de transit liés à une ingestion massive de fruits réduits en purée.
Mais prenez place, je vous prie…
Qu’ils s’asseyent et qu’elle puisse se carapater. Pas question de les écouter minauder ou les regarder se lécher la figure. Même Fourmi a ses limites dans le supportable.
D’un doigt elle désigne un tas de linges pliés non loin des victuailles.
Quelques serviettes… Pour la fin du repas… N’hésitez pas à demander aux
gardes un peu d’eau puisée pour vous rincer les mains…
Au minimum..
Elle imagine déjà une succession de scènes. Calyce donnant la becquée à Falco. La compote qui s’étale à droite à gauche. Des rougissements gênés, des sourires niais…
Une seconde les paupières se ferment pour chasser ces images de sa tête. Respirer. Lentement. Le martèlement dans ses tempes se fait presque supportable et le vide revient.
Désirez vous autre chose ?
Elle se mord la lèvre… Se maudissant d’avoir posé la question…
Fourmi.
Elle le savait que c’était une mauvaise idée. Dès le départ. Dès que Cartel avait réclamé le rendez vous en taverne… Dès qu’ils avaient tous convenus qu’elle devrait être un témoin non consentant.
Falco est digne de poser comme modèle pour les gargouilles de Notre Dame dès lors qu’il sourit. Cette extension qui rend son visage si asymétrique le rend plus effrayant encore que lorsqu’il aboyait ses ordres en Gascogne ou en Guyenne. Effrayant pour les âmes sensibles. Comme Calyce par exemple.
Le pas léger malgré l’armure, Fourmi commence à s’éloigner, pas à pas. La fuite programmée en quelque sorte, pour la préservation de sa santé mentale. Jusqu’à ce qu’il la fasse sursauter. Ce nom qu’il emploie… La fait frémir. Plus personne ne l’appelle ainsi, et pour cause. Plus personne ne le sait ce nom. Il n’est plus dit, il appartient à ce passé si lointain que presque tous les acteurs en sont morts. Sauf lui et quelques autres éparpillés dans le royaume. Ce nom qui finalement la fait se rapprocher.
Préférez donc les coussins au côté de la Duchesse…
L’excuse est trouvée. Elle fait mine de l’accompagner et glisse à son oreille…
Ne m'appelez pas comme ça… Ou bien vous n’aurez pas besoin de rencontrer les buses pour qu’il vous manque un nouveau morceau… de choix… Et vous tenez tant à avoir descendance… Seigneur…
Le tout avec le sourire, toujours. Et s’il ne peut le voir il peut le percevoir dans sa voix. C’est tellement plus savoureux, avec le sourire. Et ainsi Calyce ne risque pas de s’inquiéter de ce qui a pu se dire.
Et votre descendance… Vous l’envisagez… plutôt romaine, réformée ou bien spinoziste pour le coup ?
Lancement de sujet épineux, histoire d’éviter que la proximité des deux ne se fasse inconvenante pour les gardes et pour elle. Fourmi au grand dam de Calyce s’éloigne à nouveau. Au plus loin qu’elle le peut pour les converser juste à portée de vue.
Au pire, elle serait toujours à temps de dégainer son arme ultime…
Un fromage de brebis.
Corse.
Et habité.
Un ravissement pour le nez.
Fourmi.
A une dizaine de mètres du couple, Fourmi s’est adossée à un arbre. Une brindille entre les dents, elle laisse son regard vagabonder sur la rive, suivre le vol d’une libellule audacieuse au fil de l’eau. Il fait beau et la nature éclate enfin de vie. Les abeilles bourdonnent et disputent à des papillons colorés la faveur des fleurs tandis que de petits oiseaux picorent les baies rouges dans les buissons.
Une vision presque parfaite.
Les gardes alentour veillent aussi discrètement que possible à ce qu’aucun intrus ne vienne déranger le pique nique.
Quelques bribes de conversation parviennent jusqu’à ses oreilles sans qu’elle n’en saisisse le sens. Trop diffuses. Et surtout, elle ne tient pas vraiment à entendre ce que les fiancés ont à se dire. La situation est déjà trop incongrue. Participer même passivement à la suite serait superfétatoire.
Par chance, ou pas, elle n’entend donc pas certains détails susceptibles de la faire passer par toutes les couleurs de l’arc en ciel… Robe… grelots... rien que ceux là lui feraient froid dans le dos. Déjà qu’elle envisage d’attaquer en solo Le Mans histoire de s’assurer mort et félicité et surtout de pouvoir échapper aux noces et à cette sordide affaire de témoignage de la consommation du mariage.
Il y a dans son esprit suffisamment d’horreurs implantées pour éviter d’en rajouter de nouvelles. Là, elle regrette de n’avoir pris un verre de vin avant de s’éloigner. Elle qui ne boit jamais aurait grandement apprécié le soutien illusoire d’une dose alcoolisée. Un soupir lui échappe, puis elle s’ébroue doucement à la manière d’un jeune chien, pour chasser une nouvelle fois ces images avant de tourner le regard sur les fiancés et de sourire.
Finalement, ils en sont touchants, presque mignons tous les deux. A leur façon.
