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[RP] La jeunesse du poète, par lui même et dans le désordre.

Bossuet
Chapitre V : D'un bleu si pur qu'il en fit mal aux côtes.



J'ai dix ans et je tourne une branche nue dans un seau de bois cerclé, écrasant des pigments bleus vif dans de l'huile de lin. Un passage furtif dans l'atelier de teinturerie pour y trouver la couleur en quantité suffisante. Aucune idée d'où elle provient mais cette couleur si vive qu'elle en parait surnaturelle me fascine. Jamais la morne ville de Calais ne m'avait offert cette teinte pure, brutale, presque violente et c'est avec une excitation à peine contenue que je touille ma mixture, tapi derrière une palissade branlante.

Rajoutes un peu d'huile, c'est trop pâteux. faut qu'ça leur coule sur l'plumage... dis -je à ma complice de toujours, enveloppée dans une robe rouge passé, trop grande, et déjà tachée par la couleur pure.

Elle sourit de toute ses dents, me donnant à voir la béance laissée par la perte d'une incisive de lait. Elle repousse mécaniquement une mèche aussi brune que rebelle, l'envoyant d'un geste gracieux rejoindre sa tignasse ébouriffée. Les manches de la robe usée, déchirée par endroit même, sont retroussées au dessus des coudes. Elle avance un gros pot de terre cuite, et en verse le contenu dans mon sceau.

L'huile de lin "emprunté" un peu plus tôt dans un atelier de menuisier, dégage un odeur sirupeuse et sèche, plutôt agréable, mais prenante. Je touille la couleur, jusqu'à obtenir la consistance du lait. Je jette un œil à mon assistante qui elle, observe attentivement la couleur liquide. Le bleu du mélange contraste puissamment avec le rouge de ses vêtements.
Je pose le seau, et me retourne pour guetter les environs.


-Ça à l'air bon, le vieux doit être à la messe à c't'heure là... Prête?
-Plus que jamais! me réponds t-elle, enjouée comme un pour un soir de gigue.
-Couleur ?
-Vive et bien touillée!
-Pinceaux ?
-Poilus à souhaits!

Elle se présente, fière et souriante, pieds nus dans la terre humide, un seau coulant de bleu roi vif, et dans l'autre deux bâtonnets dont à une extrémités on à ficelé peu soigneusement une poignée de crin de cheval.

Je m'engouffre derrière une planche mal fixée de la palissade et alors que j'ai un pied dedans, un pied encore dehors, je la regarde très sérieusement.


Si quelque chose tourne mal, Grayne, je veux que tu sache que... Tu auras été mon frère d'arme le plus dévoué dans cette noble cause. Lui déclare-je en plongeant mon regard affecté dans le sien.

Elle acquiesce, avec une moue d'une tristesse infinie. Je baisse les yeux, presque convaincant, puis nous éclatons tout deux de rire.

J'achève de traverser la palissade, elle me tend le seau et les "pinceaux", puis passe à son tour. Un rapide coup d'œil, pour s'assurer d'avoir le champ libre. Nous voilà dans une petite basse cour attenante à l'arrière d'une maison de torchis, où caquettent frénétiquement une douzaines de poules. Nous échangeons un regard entendu, saisissant chacun un des pinceaux aussitôt trempé dans la couleur, et le sourire aux lèvres, nous nous lançons à la poursuite des volailles.
Le joyeux désordre commence. Les poules paniquent et courent en tout sens, larguant dans leur sillages de petites plumes virevoltantes. Nous courons à leur suite en tentant de les attraper.


Viens là !J'en ai une! S'écrit -elle en plaquant sa proie contre le sol, d'une main, et la tartinant de bleu de l'autre.

J'accoure, seau en main, pour lui venir en aide.

Laisse tomber les pinceaux, ça marche pas ces machins là! Lui lance-je en posant le seau à coté de la volaille en détresse.
Je saisi la bestiole par le cou et les flans, et la plonge presque entièrement dans la couleur. Quelques finitions, c'est une poule tout à fait bleue que nous relâchons, heureux comme jamais du résultat.

Je regarde celle que considère comme ma sœur ou mon frère plutôt, hilare.


On continue?

Elle se précipite en riant vers d'autre proie en guise d'accord, et je fais de même. Nous chantons, crions, rions, dans ce ballet de plumes, de poules bleues au comble de la panique, nous dansons sur la symphonie des caquètement de détresse, saisissant les volailles pour les plonger toute entière dans le bleu roi. J'observe un moment le spectacle, émerveillée devant tant de désordre, riant de plus belle en voyant Grayne se débattre avec une des dernières poules intacte, elle même éclaboussée de bleu roi des bras au visage, et repart en hurlant pour effrayer un peu plus nos créations déjà terrorisées et faire voler un peu plus de plume et de volaille surnaturelle.

Quelques minutes plus tard, nous sommes assis sur le sol, essoufflés et maculés de terre et de couleurs, à contempler notre œuvre retrouvant peu à peu son calme.

Grayne me regarde en souriant.

-C'est quand même dommage qu'il n'y ai que nous pour voir ça... Me dit elle, en fronçant les sourcils comme elle le fait lorsqu'elle réfléchit, ou qu'elle à une idée derrière la tête.

-Bah le vieux sera notre publique, rétorque-je en riant, et pour ça il va aimer, ça oui...

-Oui...mais ces pauv' poulettes... Elles doivent avoir envie d'aller se montrer en ville...

Son sourire en coin suffit à nous mettre d'accord. Nous nous levons en souriant malicieusement, et recommençons une chasse aux poules mais cette fois, nous donnons à chaque proie désormais bleue un aperçu de ce qu'elles ont manqué en n'apprenant jamais à voler, alors que nous les lançons de toute nos forces d'enfants par dessus la palissade.
Sur le point de partir, je ramasse un de nos pinceaux inefficaces, et le trempe dans le reste de peinture bleue.


On peut pas partir sans laisser un souvenir à c'vieux fouettard...

En quelques gestes plutôt assurés, je dessine une poule bleue grandeur nature, sur le bas de la palissade, comme si elle était tranquillement en train de picorer quelques grains sur le sol. Je ris en me reculant pour contempler le résultat, et aperçoit ma complice en train de m'imiter, avec plus ou moins de bonheur. Nous éclatons tout deux d'un fou-rire en voyant l'état de la basse cours vide, éclaboussée à tout va de bleu roi et la terre couverte de plume, labourée par nos courses poursuites effrénées.

Un bruit retenti dans la maison attenante, et nous rappelle soudainement l’illégalité, bien que tout à fait exagérées, de nos actes créatifs.


Faut pas s’attarder là Grayne, sinon on va passer la semaine à se frotter le croupion qu’le vieux aura fessé à coup d’baton! Lui dis je en la poussant vers la planche branlante de la palissade.
Je jette un dernier coup d’œil sur notre terrain de jeu éphémère, et je remet la planche en place, comme on baisserait le rideau d’un théâtre. Et partons en courant en suivant les traces de pattes et les plumes bleues, se tenant par la main en hurlant comme seul les enfants comprennent pourquoi ils le font.

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Bossuet
Chapitre II : Le bruit délicat d’un melon qui explose.

    La nuit est tombé sur Paris comme un drap posé sur la volière. A cette heure, le Paris du comun se fait silencieux, scintillant de quelques chandelles dans les chambrées, et seuls quelques badauds attardés dans les rues, souvent sur le qui-vive pour les plus prudents, font encore résonner leurs bruits de pas sur les pavés. La rue de la Mortellerie est toute autre. A ces instants qui n'appartiennent dans d'autres rues qu'au chats et aux chiens errants, cette petite veine résonne des bruits de tavernes et des tripots, des jurons des soudards jouant leurs gains du jour et ceux du lendemain accroupi autour d'un tonneaux, dés plus ou moins pipés ou cartes marquées, comptées ou planquées dans les manches. On entend au ponant les exclamations des parieurs du tripot des "Trois Freux", hurler les noms des coqs, ou des chiens de fosse, selon les soirs, et les exhortations des rafleurs de mises à parier le tout pour tout à chaque nouveau coup de croc, ou de serres.

    Je suis avachi sur le rebord d'une fenêtre de la gentilhommière, varice au milieu de ce nœud de veinules bouchées et sclérosées que forme la cour Brissel, écoutant comme une douce musique les bruits de cette nuit encore frileuse de fin d'hiver. A quelques masures de là s'entendent les activités nocturne d'un bordel, dont le nom, changeant souvent pour en protéger l'existence des ordonnances du guet, doit être à ce jour quelque chose comme "Le Trou de Sainte Barbe" ou autre blasphème facétieux de bon aloi. Les bruits des ébats me titillent les oreilles, et je les écoute, comme une symphonie lointaine faites de plaintes et de cris, parfois de rires et de soupires.

    C'est étrange de voir à quel point l'extase la plus intense se confond volontiers avec la douleur la plus aiguë, la souffrance indicible de celui qui croit que le décompte touche à sa fin. C'est ce dernier masque que j'ai rencontrée la première fois, sur le visage d'une des filles du "Trou Margot", ce bel établissement pour marins en escales, ou autres ivrognes incapables de se satisfaire de leurs propres mains. C'est un souvenir qui jamais ne s'est effacé de ma mémoire.


Je dois avoir huit ans, et cette jeune fille, dont le nom m'est inconnu, était allongée, genoux relevés, sur un lit maculés de tout ce qu'un corps peut perdre en donnant la vie à un autre. Engrossée par un soudard de passage neufs mois plutôt, ma mère ne m'avait pas laisser le choix et m’avait planté face à ce visage déformé par la douleur pour porter une bassine de terre cuite remplie d'eau tiède plus lourde que moi.
Je n'avais jamais vu son visage auparavant, mais je me rappelle de la terreur que j’ai ressenti en contemplant cette face, cette bouche grande ouverte, ces dents jaunâtres et luisantes liées aux lèvre distendues par des filets de salive. Et ces yeux, tantôt fermés avec force, tantôt exorbités par un soudain éclair de souffrance, déversant des torrents de larmes sur des joues rougies par l’effort.

Je me souviens…je n’ai jamais pu regarder ma mère sans que mon imagination ne m’entraîne à lui prêter ce masque grotesque, qu’elle à porté, bien sur, et par ma faute.

Puis, la terreur se changea en autre chose. Je regardais ce visage tordu, malmené, avec la même fascination que l’on peut ressentir devant une flamme, dansante et hypnotique. Je n’entendais plus les cris, ni les exhortations sonore de ma mère, perdu dans cet océan de contraire, cette douleur de mort d’où s’échappe la vie nouvelle.
J’ai ressentis à travers tout mon petit corps d’enfant cette beauté démentielle et transcendante, comme une énergie terrassant la faiblesse des mots.

Puis la fascination s’est changée en contemplation. Je ne pouvais plus détacher les yeux de cette grimace de douleur, la détaillant, l’arpentant sans pudeur, l’explorant comme un explorateur s’approprie une nouvelle terre par son regard froid de scientifique.

Puis la contemplation s’est changé en doutes et en mal-être.
La douleur, intense et pure, qui ferait pâlir de jalousie le martyr de tout les saints réunis, et moi je la contemplais, et je la trouvait d’une indescriptible beauté. Étais je un monstre? Étais je encore humain de ne pas ressentir ce qu’à cet instant, j’aurais du ressentir? De la compassion? De l’empathie?

Non rien de tout cela. Et mon esprit me hurlait que j’étais mauvais. Un être vil et sans pitié, qui voyait la beauté dans l’horreur.

Bien sur je n’en suis plus là, mais imaginez cette idée dans la tête d’un enfant, qui se sent coupable de regarder avec délectation un poisson sur la grève, à moitié dévoré par les mouettes et les crabes, et voir sans la comprendre dans ses yeux d’une pâleur de mort la beauté des couleurs. La beauté est chose fort complexe, dirait on, affaire de sentiment. C'est faux. La beauté est une affaire d'énergie, de la puissance brutal d'une chose qui, soudainement, à décidé de dépasser sa propre existence, et de devenir bien plus que la somme de ses composants. Mais ça bien sur, dans mes yeux d'enfants, je ne le comprenais pas encore. Je ressentais, et sans comprendre, la beauté du monde me terrassait.


    Je souris à ce souvenir, aujourd'hui à la trentaine passée de quelques mois. Je descends de mon perchoir, étirant les jambes pour en faire disparaitre les crampes d'immobilité. En retrouvant l'intérieur étrange de la gentilhommière je songe qu’une bouteille de la plus infâme piquette serait la bienvenue.

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Grayne
Chapitre VII bis: De l'art d'être une soeur.




La ville de Calais est encore calme. Le jour n'a pas encore commencé à se lever et seul quelques habitants arpentent les rues sombres de ce milieu de l'automne. Quelques lèves tôt animent pourtant déjà la ville encore endormie, ne poignée de personne sur le port, chargeant ou déchargeant des cargaisons ou l'arrivée d'une pèche, ou quelques artisans levés de bon heure. L'odeur de pain chaud commence doucement à flotter dans les rues, pendant que quelques couche-tard et ivrognes s'en vont, eux, enfin se coucher d'un pas titubant au moment où les autres vont bientôt se réveiller.

Dans le fier château gaillard du "Trou Margot", les filles publiques comme la bordelière dorment encore, se remettant du travail de la nuit. Mais dans une petite chambre, isolée, une jeune fille d'à peu près treize ans, ou bien une douzaine, a bien du mal à retrouver le sommeil. Ses cheveux ébouriffés à force de tourner et retourner sa tête contre l'oreiller lui donnent l'air d'un buisson touffu. Elle à passé la nuit à se retourner, fixer le plafond, détailler les fissures dans les murs. Une boule compacte dans son ventre l’empêchant de s'endormir enfin pour de bon. Une boule d'impatience et d’excitation, avec ce petit quelque chose, qui titille, typique des bêtises et de l'illégalité, qui rongeaient le ventre tandit qu'elle pensait à la journée qui l'attendait. Elle se retourna une fois de plus sur sa paillasse, montant sa couverture de laine jusqu’à son nez et jetant un coup d’œil vers un tas de couverture plus loin. Le tas de couverture en question se soulevait doucement, au rythme de la respiration d'un bienheureux endormi. Elle ne voyait pas le visage de son ami, mais le souffle régulier et légèrement sifflant du sommeil profond ne faisait que lui rappeler qu'elle était éveillée, plus que jamais. Et pendant qu'elle se tourna une seconde fois, Grayne aperçu à travers le tissus poussiéreux qui recouvrais la fenêtre, que le jour se levait déjà. Elle sauta en dehors de sa couche, glissa par dessus sa chemise d'un blanc passé une robe qui semblait presque aussi vielle qu'elle et fila aux cuisines. Un grand projet les attendaient aujourd'hui.



-Viens Grayne, j'sais ou trouver s'qui nous faut !
Lança vivement le jeune Bossuet, un grand sourire aux lèvres en dévalant les rochers et les galets au bord d'une grande falaise.

Les deux jeunots avançaient de pierres en pierres, chacun portant au bras un panier tressé qui semblaient avoir subit bien des outrages avant de finir dans leurs mains. Les embruns fouettaient leur visage, la mer venant lécher les rochers à leurs pieds. Tachant de ne pas glisser, sa robe nouée haut pour ne pas la tremper, Grayne suivait son ami qui se dirigeais droit vers le flan de la falaise. Arrivé au pied, ils regardèrent avec avidité la parois. Bossuet posa alors son panier et plongea vivement ses deux mains devant lui. Ses mains s’enfoncèrent dans la terre. De l'argile. Des tonnes d'argile d'un gris presque vif. Grayne observa un moment son frère plonger et replonger ses mains dans la terre meuble et glissante et jeter ensuite de pleines poignées dans son panier, absorbé par sa tâche.

-Bah alors, qu'est tu fout ? Tu m'aide ou pas ?


Elle sortit de sa rêverie et plongea à son tour les mains dans l'argile, s'émerveillant de la douceur de la terre. Ce n'est qu'une fois leurs paniers remplis qu'ils firent demi tour, essayant de ne pas tomber sous le poids de leur chargement. Et sur tout le chemin, un mince filet d'eau grise s'échappait des paniers, traçant un long fil presque argenté derrière eux.

La journée était bien entamée, et les deux complices, prêts et leurs paniers garnis n'attendent plus que l’exécution du plan. Ils arrivent alors sur une petite place, peu fréquentée... L'endroit repérée quelque jours plus tôt, est parfait. Calme, et surtout, la pièce maîtresse, une statue se dresse en son centre. Plusieurs personnages se tiennent ensemble, avec leur air fier et dur. Leur visage de pierre semble presque autoritaire. Et Grayne n'aurait pas été capable de dire qui ils représentaient, deux choses en tout cas était sûres pour elle. Premièrement c'était sûrement des gens important pour avoir une aussi grosse statue, et ensuite, c'était un choix idéal pour l’exécution du plan. Elle se tourna vers Bossuet. Il était arrêté devant le monument, un drôle de sourire aux lèvres, presque énigmatique. Sans détourner le regard de la statue, il demanda, avec le ton des grands projets...

-Prête...?
-Toujours ! Lui lança la jeunette, avec un sourire impatient.

Et les deux compères se mirent au travail. Bossuet grimpa avec toute sa dextérité sur la statue, s'agrippant tantôt sur un genou ou bien sur un bras. Grayne lui passait de grandes poignées d'argile luisante. Il tirait la langue et sculptait, modelait dans la glaise avec application sans borne. Une moustache se dégageât bientôt sur le premier visage. Il se recula autant qu'il le pouvait, et tourna la tête vers son assistante, occupée à rajouter aux pieds de la scène, un chien de glaise maladroit et boursouflé.

-Qu'est ce t'en pense la Grayne ? Demanda il, scrutant le début de son œuvre avec attention.
La gamine leva la tête, recouverte de terre grise du front au menton et fronce les sourcils en réfléchissant un instant.


-On dirait l'gros George, l'portier de " Chez l'Dar"... Finit elle par dire en se grattant la joue.

L'établissement en question était une taverne miteuse ou enraciné aux tables, des ivrognes semblaient preste y avoir élu domicile. Les deux adolescents se regardèrent sérieusement avant d'exploser de rire et de remettre les mains dans l'argile fraîche. Tout les personnages finirent par gagner une moustache, un chapeau ou un gros nez difforme, et surtout de grands sexe démesuré. Grayne jetait de temps en temps un air fier à son compagnon, qui sculptait avec toute l'application qu'il pouvait y mettre la matière molle et souple.

-Dago... Bossuet, j'ai fini ! dit Grayne, les mains poisseuses posées sur les hanches, admirant leur œuvre en reculant de quelques pas.
-Moi... Aussi... J'met juste la touche finale ! Rajouta le garçon, esquissant un regard qui louche eu dernier personnage avant de sauter de son perchoir . Il se met alors au niveau de son acolyte, observant avec un regard fier la statue ainsi améliorée, toisant la place dans leur indécence nouvelle. Les deux compagnons se lancèrent un regard satisfait en hochant de la tête. Grayne observait la nouvelle scène dressée sur la place, jetant un regard vers ses mains maculées d'argile quand une goutte tomba sur son nez. Elle leva la tête, et ce n'était plus une goutte, mais deux, trois, quatre... Par surprise, la pluie s'invitait à la fête, battant les pavés de la place de sa musique bruyante.

-Mais... Oh ! Grayne se tourne vivement vers la statue d'où de grandes traînées grises commencent à couler. Elle se tourne vers son acolyte, son frère, qui fixe le monument fraîchement décoré avec un grand sourire.
-Oh non... C'est tout gâché... Soupira elle, ne pouvant retenir une moue déçue devant le grand spectacle de la nature effaçant leur création et balayant une journée de dur labeur. Maisle Bossuet ne répondit pas. Il souriait à présent largement, comme s'il ne pouvait détacher son regard du spectacle, observant les ruisseaux argentés suivant les jointures des pavés, les plis des vêtements de la statue, et bordant les visages de pierre.

-Mais non, c'est pas gâché...c'est encore plus beau.
répond il simplement.

Après une minute qui sembla durer des heures, il se penche alors et prend du doigt un peu d'argile détrempée au sol. Il se tourne vers Grayne et lui dessine d'un geste rapide une moustache sur son visage mouillé. Les deux jeunes explosent alors d'un rire sonore, accompagnant le bruit retentissant de l'averse qui balaye la ville. Trempés jusqu'aux os, ils joignent leurs mains et commencent à danser. Comme des fous sur une musique absente. En rond, puis autour de la statue, tout autour de la place, se mettant à chanter une paillarde bien grasse entendu au tripot. Les moustaches neuves de la figure de pierre fondent et le chien de glaise s’effondre tout doucement sur lui même, redevenant un simple tas de terre grise. Les chapeaux d'agile perdent des morceaux en mottes ridicules qui s'écrasent au sol en flaques grotesques et les énormes sexes eux aussi se mettent à retomber, mollement. Et les deux gamins dansent et rient à n'en plus pouvoir.
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Bossuet
Chapitre XI : La vigoureuse étreinte de la justice

Deux jours de cachots.

Deux jours à boire de l'eau croupie et du pain aussi dur que du bois de charpente. Deux jours à tuer le temps en regardant les rats se chamailler pour ma pitance immangeable et à décrypter les traces gravées dans la pierre des précédents locataire de cette piaule de roche froide. Des dessins qui sentent l'ennui, la colère, l'attente et l'insomnie.
Je vois presque ces hommes à travers leurs gravures sommaires, leurs noms laissés sur les murs, les dessins lubriques et les quelques traces d'urines, ou autre fluides corporels laissés en offrande à l'autorité.

Je vois ces hommes et ces femmes pour en connaitre si bien l'espèce. Des routiers, des écorcharts ou des coquillards, des vendangeurs, des bandouliers et leurs trois ou quatre muscardines, paillardes au rire gras comme leur cul, des taille-lards à la face plus rapiécée que mes braies, des bougresses de basse fosse qui pavanent leur viande à tout vents, le fer sous le jupon, prêtent à châtrer le premier qui aurait la bourse alourdie, des vétérans de trois guerre, la gueule de biais, et des yeux qui ont vu trop de sang pour encore s'en émouvoir, des harpailleurs, des coqueberts et des croque-lardons... Tout ce que la truandaille à trouver de meilleur à offrir à l'humanité.

Ceux qui vous racontent qu'il y a de ces familles terriblement soudées, des frères de misère prêt à y laisser une main ou une oreille pour protéger n'importe quel nigaud juste parce qu'il vivrait dans la même fosse à purin, ont abusé de la bouteille. Et ils y laisseront leur boyaux ou leurs niaiseries. Il y a bien quelques amis qui vous défendrons, mais il ne faut pas en être sur. La confiance aveugle, rien de mieux pour découvrir un beau matin une lame d'un pied et demi sous votre gorge, accompagnée du sourire édenté de ce bon copain de beurrière, que vous connaissez depuis trois printemps comme un joyeux larron.

Il y a aussi ceux qui vous apprennent, qui vous montrent et enseignent, et aussi surprenant que cela puisse paraître à un recteur d'université, ils ne font pas payer leur savoir.



    J'ai vingts et ans je crois, plus ou moins. J'ai compté quatre hivers depuis que je suis cette bande d'affreux. Il y a de tout et de toute régions. Je ne me souviens même pas de tous, juste quelques trognes plus moches ou plus imposantes que les autres.

    Il y avait le gros Bar-sur-aube, qui avait selon ses propres dires autant de dents que de doigts à la main gauche. J'en avais compté trois plus la moitié de l'annulaire, mais il n'ouvrait pas suffisamment souvent la bouche pour vérifier. Il se disait qu'il venait du Périgord, et qu'il était né dans l'abreuvoir d'une étable à la noël. Une paire de pogne accrochées sur des bras comme mes cuisses et un visage aussi angélique qu'un groin de sanglier. Il se baladait toujours avec son gourdin, un pied de table massif et clouté, long comme un bras, qu'il surnommait Lucile. Un fou dangereux qui vous regardait avec un œil écarquillé, pendant que l'autre regarder quelques part aux alentours, jamais d'accord ces deux là. Personne n'osait lui dire d'arrêter de s'astiquer le pilon en publique, même pas l'frère Cointreau, qui pourtant était bien assez frappé pour ça.

    Le frère Cointreau. Un moine défroqué, petit et grassouillet comme un barrique en soutane noire passé et blanc sale de cistercien. Il vendait des fausses reliques avant même de savoir réciter une messe en latin. Il récupérer tout les os qu'il trouvait pour les refourguer comme ceux d'un saint quelconque...Après tout, Saint George avait déjà avant lui une bonne centaine d'orteils et autant de vertèbres. Il avait les joues roses d'un marmot et pourtant la voix rêche d'un phtisique. Toujours saoul mais debout de bon matin pour bénir le vin de sa bourgogne natale.

    Et il y avait aussi l'autre, qu'avait qu'une oreille en moins, et la mâchoire de travers, un vétéran de Bauge, de Cravant, de Verneuil, devenu un Piètre. Il mendiait en boitant sur une béquille et du coup il faisait pas peur à grand monde, mais je l'ai vu un jour frapper un homme jusqu'à réduire son visage à l'état de purée rougeâtre pleine d'esquilles d'os. Et encore le grand maigrelet, et son frère qui souriait à tout bout de champ pour faire croire qu'ils comprenaient ce qui se disait. Deux beaux idiots de village, de belles têtes de violeurs d'enfants à peine sortie d'une geôle.

    Encore bien d'autre, des Hubains qui vendait aux rageux des dents de Saint Hubert, des Narquois qui mendiait l'épée à la main ou encore des Malingreux, décorés de faux ulcères aux jambes et au cou qui faisaient une aumône devant les hospices. Tous des Coquillards, à pionçer dans les hostellerie de pèlerins et y vendre au plus feignants des coquilles ramassées en Bretagne.

    Et le vieux Ian, qu'avait un nom de famille que personne n'arrivait à prononcer. Il venait d'Allemagne, et il avait été maître d'arme d'un petit nobliau du Berry avant de déflorer la moins jeune des rentières du domaine. Il avait réussi à se sauver sans se faire couper l’attirail, mais finit la vie de château.

    Il m’avait un jour levé de bon matin en me parlant de danser, de m’apprendre les secrets de quelques maîtres germaniques, de penser, de répulsion, de retirade et d’entailles, de gardes et d’estocades. Les quatre matins suivant furent de même, et je me couchais le soir, courbaturé, couvert de bleus et les doigts meurtris. Et la tête pleine de ses discours interminables qu’il étalait des heures durant auprès d’un feu.

    Garçon, c’est là l’art véritable de la lame te diront ces italiens bien peignés...
    Ils disent inventer une technique, ils se contentent de lui trouver un nouveau nom, chacun selon sa fantaisie. Ils n'inventent ainsi qu'une escrime bonne pour le spectacle et le brassage d’air. Souvent, avant de porter un coup, ils en donnent délibérément deux ou trois autres dans le vide, uniquement pour le paraître, dans l'espoir qu'en paradant joliment et s'escrimaillant ainsi, ils seront loués par les ignorants. Lorsqu'ils se mettent en posture pour combattre, ils portent d'une façon lente et paresseuse des coups larges et amples qu’ils ratent exagérément, et ce faisant ils sont ralentis et offrent de vastes ouvertures…
    L'escrime sérieuse se veut beaucoup plus simple et directe, sans autre perte de temps ni hésitation, comme suivant un fil ou comme si chaque élément était mesuré et pesé.

    Lorsqu'un homme veut en tailler ou estoquer un autre qui se tient là devant lui, alors il lui est inutile de se complaire en une escrime qui s'en remet au petit bonheur la chance et va chercher trop loin avec de nombreux coups de taille et d'estoc devant, derrière et sur les côtés, alors qu'un seul coup suffit. Au contraire, il doit frapper directement et immédiatement à son homme, à la tête ou au corps, au plus près et le plus rapidement possible, dès qu’il peut l’atteindre, et avec une vigueur et une célérité mesurée…


    Et moi j’écoutais chaque jour sa litanie, prenait la posture du toit, du fou, ou de la charrue, armée d’une lame courte qu’il me disait pouvoir rendre aussi mortelle qu’une lame bâtarde. Il m’enseignait le ballet des jambes d’appui, des estocs, des retournements et des désarmement. La philosophie du « même temps » me fascinait. Il m’apprenait qu’il ne fallait pas être en avance sur son adversaire, encore moins en retard, mais être en même temps. Agir de concert et sentir sa force au fer, sa vigueur à la taille ou à l’accrochage. Sentir le poids du corps se déplacer et connaître les membres et les articulations à tordre, malmener ou bloquer.

    Oublies ces sots qui te parleront de noblesse. L’art du combat n’a rien d’honorable. Uses de chaque faiblesses, chaque diversions, écharpes les doigts et le dos sans vergogne. J’ai connus bien bretteurs honorables, et ils sont tous morts.

    Ne laisse jamais ton adversaire prendre une bouffé d’air. Qu’il touche ou manque, comme le disait mon maître le grand Liechtenauer: "frappes dedans et assaille-le, submerge-le, que tu touches ou manques".

    N’écoutes pas ces beaux parleurs qui te dise que la lame est le prolongement de ton bras. Tu dois savoir lâcher ton fer, et frapper du poing, du pommeau ou de la garde.


    Après quelques mois, je pouvais tenir le fer correctement, et les occasions d’en faire usage ne manquait pas. Manier la lame rend arrogant et téméraire, et je l’étais déjà bien plus que mon comptant avant de savoir reconnaître un « coup tordu », parer un « coup furieux » ou briser une garde de « la charrue ».




Je suis assis sur la paille vermoulue qui me sert de couche dans mon cachot humide. Deux jours sont autant d’éternités dans ce trou étriqué. Ces vieux souvenirs réveillent une ardeur qui n’est jamais vraiment étouffée. J’ai envie d’action, de sentir du fer crisser, de sentir dans mon bras le coup de l’acier choqué par une pièce aussi rageuse que malhabile.
Je regarde autours de moi. Une courte latte de bois pour fer et un rat pour adversaire?


Fichtre-cul d’fiente de lépreux! Faut que je sorte de cette cave!
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