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[RP Ouvert] La guerre est une drogue

Kheldar


La minuit était passée depuis longtemps, et seule la Lune éclairait la scène de sa timide lueur. Une nuit sans étoiles. Une triste nuit. Et le rêveur s'agitait pendant son sommeil. Le campement du rêveur avait été monté avec une efficacité dû à une longue pratique. Les quatre alarmes avaient été méthodiquement disposées et la poignée d'une large épée restait à portée de la main en cas de réveil précipité. Les braies d'un feu mourant apportait au mercenaire la chaleur nécessaire à un sommeil qui aurait dû être paisible. Mais il n'en était rien. L'on dit que les guerriers ne dorment que très peu, et c'est une vérité vraie. Les raisons sont pourtant méconnues du commun des mortels, du paysan à la vie tristement banale, s'occupant de son champs la journée et rejoignant de sympathiques amis à la taverne après le labeur avant de retrouver leur maison, honorer leur femme et recommencer le lendemain. Une vie sans saveur pour qui avait choisit le métier de la guerre. Ils avaient des appellations différentes, des motivations différentes, mais tous étaient liés par une fascination envers les armes et la violence, à un degré différent toutefois. Soldat, Chevalier, Mercenaire, Bandit, Ecorcheur. Tous avaient le même métier, et les raisons qu'ils donnaient pour le pratiquer n'étaient à ses yeux qu'une façade. Ils aimaient combattre. Tuer pour la plupart d'entre eux. Faire souffrir pour un cercle plus fermé.

Vision d'un champs de bataille au milieu duquel le rêveur se tien. La scène se passe il y a plus de cinq ans, lors d'une guerre entre duchés voisins. L'Anjou et la Tourraine. Un champs de bataille classique, monceaux de cadavres brisés et mutilés jonchant le sol d'une prairie où il faisait encore bon vivre la veille de cet assaut sanglant, où la démence des hommes et leur propension à la violence s'étaient déchainés. Les hommes s'entretuent depuis le commencement des temps, les mentalités n'évoluaient, et n'évolueraient jamais. C'était la nature humaine. Bestiale et sans pitié. Les hommes se cachaient de leur nature de diverses manières. La bienséance, la civilisation et autre appellation courtoises. Mais les chevaliers qui parlaient de romance aux dames, de paix et de protéger les opprimés, avaient la même lueur dans le regard que les rudes mercenaires sans foi ni loi lors d'un combat. La même grimace hideuse qui déformait leur visage lorsque le sang leur montait à la tête, les submergeant d'adrénaline. L'appel du sang, de la gloire et du carnage raisonnait aussi fort dans leur tête. Seule la manière de l'exprimer était différente. Il le faisait au nom des autres, voire au nom du Très Haut. Il avait bon dos, ce fameux Très Haut au nom duquel les hommes s'entretuaient tels des fanatiques avides d'honorer cette entité en répandant le sang.

Le mercenaire croyait en Azazel, Démon Majeur. Il ne s'en cachait pas, et cela lui paraissait tout aussi légitime que d'adorer le Très haut. Que cela soit au nom de l'un ou de l'autre, les hommes tuaient au nom d'une entité. Peu importe qu'elle fut bonne et maléfique, leurs séides tuaient tout autant. Kheldar était son actuel nom d'emprunt. Il en avait porté plusieurs, tout comme il s'était composé plusieurs visages. Il avait combattu au nom du Très Haut, au nom de lui même, et désormais il combattait au nom d'Azazel, répandant le sang comme tout les guerriers, à la différence qu'il ne tentait pas de se trouver une raison morale autre que la plus primaire d'entre elles. La Loi du plus fort. La plus élémentaire et immuable des lois. Les autres lois, définies par ceux qui se faisaient appeler les puissants pour apporter un semblant d'Ordre à leur communauté, n'étaient qu'une façade destinées à masquer leur soif de combats. Car il y avait plusieurs reflets dans l'âme de l'homme moyen, et certains arrivaient même à se persuader qu'ils étaient pacifiques, n'ayant jamais ressentis de pensées sanguinaires ou cédés à la violence. Mais l'homme ayant assisté à l'odieux viol de sa mère et de ses sœurs, alors qu'il était agenouillé et enchainé, ne pouvait que songer à la violence. Il aurait pu se destiner à la vie de prêtre, mais la vie en avait décidé autrement. Et l'homme qui se targuait d'être imperméable à la violence, avait tout simplement eu la chance de ne pas avoir été à sa place. Il était aisé de s'en vanter, mais Kheldar était persuadé, dans le secret de son âme, que les meilleurs des hommes ne l'étaient que parce que la vie les avaient épargnés.

Le visage du rêveur se tendit alors que le rêve subissait de nouveaux cahots. L'épée avait transpercé les mailles et le mercenaire pouvait encore en ressentir la froide morsure. Cela faisait pourtant cinq ans. Il avait connu maintes guerres, même avant celle ci. Mais il avait été blessé pour la première fois par une lame angevine, et c'était un souvenir qui primait sur la plupart des autres, à l'instar de son premier mort, et du viol de sa famille ayant eu lieu sous ses yeux d'homme vaincu, humilité et en proie à une haine et une souffrance inextinguible. Le mal couvait en chacun des hommes. Ceux qui avaient soufferts avaient seulement plus de mal à le contenir que les autres. Ils étaient appelés meurtriers, assassins, brigands, et étaient traqués par les lois érigées par les hommes dont le mal restait enfouit. La volonté seule de l'homme ne permettait pourtant pas de décider. Un enfant dont le village avait été rasé par des soldats en temps de guerre, sera traqué comme un criminel après avoir tenté de se venger à l'âge adulte. Et les instances qui le poursuivraient seraient persuadé de sa culpabilité, de son gout prononcé pour la violence alors qu'il l'avait lui même subit par leurs soldats étant enfant. La justice était la plus grande farce de la vie car il n'y avait pas plus injuste que ses lois.

Le craquement sec d'une branche, témoignant de l'efficacité de ses alarmes, tira le guerrier de sa rêverie. La main se tendit vers la poignée de son épée, et l'instant d'après Kheldar était debout, genoux fléchis, lame au clair, ses yeux couleur gris acier à l'affût du moindres mouvement. La paranoïa était une maladie, mais elle avait ça de bon qu'elle gardait son propriétaire sur le qui vive en toute circonstance. La vie ne l'avait pas épargné, et la survie, plus que la vie, primait sur tout le reste. Un calme froid l'envahit alors qu'il compensait la décharge d'adrénaline que procurait la perspective d'un éventuel combat. L'envie de meurtre, l'envie de briser et de mutiler la forme de vie qui avait déclenchée l'alarme. Son sang froid prit lentement le dessus, ses épaules se relâchèrent et à pas de loups il entreprit de se diriger vers les fourrés, sans baisser sa garde ni sa vigilance. La guerre était une drogue, elle le suivrait où qu'il aille, même s'il changeait constamment de nom, de visage et même parfois de personnalité. La cruauté de la vie était telle qu'elle pouvait lui infliger tout les maux sans raisons particulières. Un homme torturé par les aléas de la vie pouvait l'attendre derrière ces fourrés, une absence totale de raison dans le regard et prêt à le torturer pour le plaisir s'il en avait l'occasion. Un homme qui aurait pu être un homme de bien si la vie l'avait laissé grandir dans l'innocence. La guerre, la violence, la haine. Ils étaient légions ces mots, et plus encore ceux qu'ils avaient pervertis.


A pas lents, le mercenaire se rapprocha de l'alarme brisée. Et son cœur manqua un battement lorsqu'il avisa la jeune femme dont la cheville était fermement emprisonnée par la corde.

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Umbra
[La guerre est dans la nature humaine.]*

- Tell me who's da monkey, can you tell me who's da man
I thought humans were like good
Beasts, now I'm thinking I was mad !-**

Qui de l’Homme ou de l’Animal est le plus sauvage ? L’Animal est géré par ses instincts quand l’Homme les assouvit par désir. L’Animal tue pour se défendre ou se nourrir pendant que l’Homme tue par plaisir. L’Animal s’adapte à la nature alors que l’Homme adapte la nature à lui. L’Animal est doté d’affects et l’Homme annihile ses sentiments. L’animal n’a pas de conscience mais l’Homme a conscience de ses actes. L’Animal ne raisonne pas lorsque l’Homme a perdu la raison. L’Animal, par beaucoup de points, est plus humain que l’Homme.

C’est ainsi qu’Umbra jugeait l’Homme : plus bête que l’Animal. Cette réflexion est née avec le temps, en apprenant, en observant et en subissant la férocité humaine. Du jour où elle avait franchi les remparts de sécurité aristotélicienne, elle avait pris conscience de l’inhumanité des Hommes. Dès l’instant où elle posa un pied dans le monde, elle du affronter la barbarie de son espèce. Dans ce règne, à son grand désarroi, l’Ombre comprit vite qu’il n’existait qu’une seule règle : La loi du plus fort. Que celui qui n’est pas riche serve celui qui l’est. Que celui qui n’est pas robuste s’épuise à la tâche. Que celui qui ne sait pas se battre meurt par la main du guerrier. De cet injuste précepte, la Noiraude en avait déjà fait les frais à répétition jusqu’à cette nuit, le bilan pitoyable de sa carcasse le prouvant aisément. Cependant, ce petit tas de chair meurtrie et d’os usés résistait encore à la fureur des siens. Quand certains succombaient sous les coups ou aux blessures infligées, la Noiraude, elle, encaissait, souffrait puis guérissait. Par conséquent, faisait-elle partie des êtres forts de ce bas monde? Si oui, elle n’en possédait pas la cruauté. Si non, elle en avait acquis la survivance. A vrai dire, elle ne voulait pas choisir un clan. D’une manière ou d’une autre, elle décéderait bien un jour ou l’autre et du sort naturel, Ombeline se faisait une raison. Parfois, elle souhaitait que son heure approche et quelques fois, elle désirait que le temps s’arrête. Comme sur beaucoup de sujets, elle était indécise. En constante guerre avec elle-même, elle était simplement humaine.

C’est entre autre une énième scission en son fort intérieur qui la mena sur la route malgré son état calamiteux. Il y a quelques jours de cela, la Bâtarde reçu un étrange colis dont elle garda le précieux contenu dans sa besace. Une petite statuette en chêne représentant un loup gravé d’un « K ». Perplexe de ce présent, n’en devinant ni la provenance ni la signification, elle renvoya un courrier à l’envoyeur pour plus de renseignements. Quel ne fut pas le choc de la jouvencelle quand la réponse arriva.

« K »…heldar.

Impossible. Tel fut le premier avis de l’Ombre. Elle s’interdisait de croire que c’était lui qui lui écrivait. Après quelques échanges épistolaires, le doute et la surprise partirent ne laissant que l’amertume de la nouvelle. Un Adieu est un Adieu et non un Au revoir, voilà ce qu’elle se promit de lui dire en face. Paradoxe ? Non, hésitation. Le lendemain de leur correspondance, Umbra fit son paquetage. Elle remplie sa besace de ses lettres, de la sculpture, d’une flasque d’eau-de-vie et d’une miche de pain. Dans sa tête, le voyage serait bref. Le temps de lui cracher son venin à la face, elle repartirait le cœur vidé d'animosité à son égard. Au vue de la réactivité des plis émis et envoyés, la Noiraude en conclut qu’il était dans les parages. Il lui faudrait donc peu de temps pour faire le tour des environs. Et voilà, comment Ombeline se retrouva à claudiquer sur les chemins.

Les badauds s’écartaient de son ombre. Il fallait avouer que sa présence n’avait rien de rassurante. La capuche baissée sur son faciès malgré l’ensoleillement du jour, les pans de sa lourde cape couvrait l’intégralité de sa carcasse. Seule sa dextre dont les doigts noueux étranglaient son bâton de marche restait visible. Sa démarche était chancelante, non pas à cause de l’ivresse cette fois-ci mais à cause du déséquilibre que provoquait sa besace en bandoulière. Les paysages défilaient à lente allure et aucun visage croisé ne lui était familier. Quand la Bâtarde remarquait un campement, elle s’en approchait pour dévisager leurs habitants. Le soleil déclina doucement et la jouvencelle poursuivit sa quête malgré l’ascension de la lune. Les rencontres se faisaient de plus en plus espacés et les rares voyageurs s'attelaient à monter leur bivouac provisoire. La récente cicatrice de sa cuisse droite la lançait douloureusement à cause de l’effort mais au lieu de céder à ses tourments, l’Ombre continua inlassablement, nourrissant sa rage de cette souffrance supplémentaire. Les heures passèrent et à l’orée des bois, les feux se mourraient petit à petit. La fatigue musculaire tiraillait de manière latente le corps d’Umbra qui refusait de s’arrêter. Elle savait que si elle s’accordait une pause, elle ne se relèverait pas. La fraîcheur de la nuit, le calme ambiant, tout était propice à la réflexion, cependant, une seule idée n’obnubilait : le retrouver. Chaque pensée qui traversait son esprit avivait toujours les souvenirs qu’elle possédait de lui. Bien des émotions modelèrent son humeur : la colère, la tristesse, le désir de vengeance, la pitié… Ce voyage prenait des allures de traque, il était vraiment temps qu’elle le rejoigne.

L’astre blanc détrônait doucement dans le ciel encore noir quand la Noiraude perçut un nouveau feu mourant. Sans plus de précautions, elle s’approcha des braises quand soudain, sa patte fol se retrouva entraver d’une corde. La panique fendit son regard et tordit sa bouche. Ses iris de jais balayèrent les alentours, cherchant l’apparition du danger. Sa main droite tenait fermement son bâton, prête à se mettre en garde si besoin. Ombeline commençait à agiter sa jambe blessée pour se libérer quand l’assaillant apparut. Sa carcasse se figea lorsqu’à la lueur des flammes s’étiolant, le visage du mercenaire recherché s’éclaircit.

Kheldar.


* Amélie Nothomb
** Human Bomb - Balck Bomb A



[Bonjour, merci de traduire chaque mot non français ou en langue morte :

- Tell me who's da monkey, can you tell me who's da man
I thought humans were like good
Beasts, now I'm thinking I was mad !-

Extrait des règles d'or des aRP' : Les passages de RP en langues étrangères/mortes sont admis, mais doivent être traduits en français.

Modo Eden]

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Kheldar


Il avait déjà vécu pareille situation quelques années auparavant. Une sauvageonne aux cheveux noirs de jais avait été prise dans ses rets. Celle ci était différente toutefois, et sa motivation ne l'était pas moins. Pourquoi l'avait elle cherché? Leur dernière rencontre ne s'était pas exagérément bien passée et la jeune fille avait écopé d'un carreau d'arbalète dans la cuisse. Une vengeance n'était pas exclue et le mercenaire en savait suffisamment sur la vengeance pour rester sur le qui vive en toute circonstance. Mais la situation avait quelque chose d'irréel. L'imprévu était certes le lot quotidien d'une vie de mercenaire, mais les événements qui en découlaient étaient toujours plus ou moins logiques. Pourquoi la jeune Umbra qui ne l'avait au début que médiocrement apprécié, se lançait elle seule dans un périple aussi vide de sens et presque sans espoirs de réussite que la vengeance? Il devait toutefois admettre qu'elle ne manquait pas de ressources pour l'avoir retrouvé alors qu'il s'évertuait, lors de ses rares passages en ville à cultiver l'anonymat. Seul son masque et sa stature imposante pouvaient marquer les quelques esprits qu'il croisait sur sa route.

Kheldar observait froidement la jeune fille prise au piège, sans songer un seul instant à lui venir en aide et encore moins à rengainer son épée. Il avait un mystère à éclaircir. Mystère qui restait pour le moment au delà de sa compréhension. Il se contenta de se rapprocher de sa captive, la toisant de son regard gris acier. Toutefois, et même s'il n'en montra rien, il ne pouvait s'empêcher de sourire intérieurement de ce coup du sort, d'un destin qui ne manquait décidément pas d'humour. Il en fallait beaucoup pour qu'il hausse quelqu'un, et la jeune fille, à leur rencontre, était méprisante dans ses propos lorsqu'elle s'adressait à lui. Il n'avait fallut que quelques jours pour que le ton change et que lui même ne la prenne en affection. Il en avait même été jusqu'à songer à l'emmener avec lui par la suite, mais les événements qui suivirent ces moments d'échange avaient réduit à néant ce projet.

Ne bouge pas fillette, tu risques de t'amocher encore plus. Et je doute que tu sois suffisamment remise de ta blessure pour te permettre de l'aggraver.

Kheldar fléchit les genoux pour observer plus attentivement la corleone. Il ne s'était écoulé que quelques mois depuis leur séparation, mais il put tout de même constater à quel point elle avait changé. Elle n'était déjà pas bien grosse auparavant, mais il semblait qu'elle avait encore perdue du poids, et elle donnait l'impression qu'elle n'aurait pas volé un bon bain. Des détails, certes, mais le colosse avait apprit à se fier aux détails. C'était probablement pourquoi il était toujours mercenaire alors que bien peu passaient la trentaine.

Je doute que tu sois venue à moi par désir de vengeance, ce serait absurde et rigoureusement sans objet. Quoique l'Homme en général semble avoir le monopole de la bêtise et de l'absurdité. Mais j'attends ta version des faits.

Le ton était donné, et le fait qu'il tenait toujours son épée dans sa dextre en disait plus que maints discours sur ses états d'âme. Apprécier quelqu'un ne suffisait pas à l'inciter à baisser sa garde, ou pire, à faire confiance. Là encore la complexité et l'imperfection de la nature humaine était démontrée. Les animaux ne disposaient pas d'un panel si élargit d'émotions, de sentiments ou d'états d'âme, et ils se portaient bien mieux que l'espèce humaine. Lorsque un loup rencontre un autre loup n'appartenant pas à son clan, il le chasse, ou s'enfuit. Il ne demande pas d'explications ni ne s'accorde de temps de réflexion. Tout était dans l'action.

Un battement d'aile, suivit d'un mouvement dans les buissons attira son attention, et Raven fit son apparition. Il avait donné au corbeau l'un de ses noms d'emprunts qu'il avait porté plus longtemps que les autres. Il ne lui faisait pas l'insulte de l'utiliser comme un vulgaire pigeon. Les Corbeaux n'avaient pas la bêtise de ces répugnants et serviles volatiles. Mais Raven était en quelque sorte sa dernière alarme. Et plus d'une fois ses croassements avaient permit au mercenaire de s'éveiller au moment propice alors que ses alarmes avaient été déjouées. Kheldar reporta son attention sur sa prisonnière. La nuit allait probablement être longue...

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Umbra
L’Ombre, à la lueur branlante du feu mourant, avait l’air encore plus décharnée qu’habituellement et Kheldar, d’autant plus imposant. Arme au poing, il l’avait reconnu mais ne baissait pas sa garde pour autant. Quel mal pouvait-elle bien lui faire dans sa situation ? Cheville entravée ou non, Umbra ne possédait pas d’arbalète à sa ceinture, elle. Malgré toute la crainte que pouvait inspirer le mercenaire, malgré cette crainte fondée, elle soutenait aisément son regard méprisant. Qu’il la toise du haut de sa stature colossale, il ne l’a jamais impressionné ni dans ses paroles ni dans ses actes. S’il avait, toutefois, su la surprendre en décochant son carreau, cela n’avait fait qu’amplifier sa méfiance envers lui, rien de plus. La Noiraude ne tenta pas de reculer à son approche, qu’elle le veuille ou non, elle était prise au piège. Quelle ironie de voir la traqueuse changée en proie, n’est ce pas ?

Ne bouge pas fillette, tu risques de t'amocher encore plus. Et je doute que tu sois suffisamment remise de ta blessure pour te permettre de l'aggraver.

A ces mots, Ombeline aurait voulu rétorquer son âge, histoire qu’il ôte cette appellation de son vocabulaire quand il s’adresse à elle mais ça n’aurait été que pur orgueil. Qu’à son âge ou non, les demoiselles soient mariées et mères, elle restait une gamine à ses yeux. Telle une bête de foire, elle se laissa dévisager sans broncher. Cette impression ne lui plut guère et cela se lisait sur son faciès creusé. La Bâtarde détestait qu’on l’observe et surtout aussi fixement. En réalité, elle ne supportait pas grand chose quand elle s’agissait de sa personne. Elle n’aimait pas l’intérêt qu’on pouvait lui porter, que ce soit en la questionnant ou en la regardant trop intensément. La jouvencelle ne désirait pas être le centre des conversations. Discrète, l’Ombre s’évertuait à ne rester qu’une Ombre. Le genre de personnes qui dérange sur le tableau mais qui s’efface vite des mémoires. Le badaud à qui on ne prête pas d’importance. Elle peaufinait l’indifférence d'autrui à son égard en se terrant dans son mutisme et sa froideur. Jusque là, ça fonctionnait bien.

Kheldar fléchit les genoux, quelle insolence. Umbra, quant à elle, ne bougea pas d’un millimètre. Essentiellement tenue en équilibre par son bâton de marche, elle n’essayait pas de se libérer. Se baisser mais pourquoi donc ? Être à sa taille ? Ce n’est pas avec une vingtaine de centimètres en moins que la vision du monde allait changer. Cependant, la Noiraude profita de ce bref instant pour croiser à nouveau ses iris de fer. Elle n’espérait pas qu’il se courbe assez pour la délier mais un souvenir de leur rencontre ressurgit à cette occasion. Ombeline se remémora le jour où elle avait créé le personnage de Marie-Sophie pour protéger son identité et surtout pour se moquer de quelques habitants crédules. Le mercenaire alias Georges s’était bel et bien agenouillé face à elle pour la demander en mariage. Un léger sourire étira ses lèvres quand la suite des évènements lui revint aussi. Ses lèvres se crispèrent puis s’aplatir de nouveau. Qu’il aurait été amusant qu’il reprenne cette position, de nouveau, pour la délivrer cette fois. Ils n’auraient pas été, ce soir, ces doublures affligeantes qu’ils furent dans le temps. Ils auraient été, aujourd’hui, les masques qu’ils se forgés hier et qu’ils porteront encore longtemps si ce n’est jusqu’à la mort. Ces carapaces de méfiance qu’ils étrennent depuis tant d’années. Ces armures de violences qu’ils endossent et qui, étrangement, leur vont comme un gant. La vie d’un Homme est un éternel combat.


Je doute que tu sois venue à moi par désir de vengeance, ce serait absurde et rigoureusement sans objet. Quoique l'Homme en général semble avoir le monopole de la bêtise et de l'absurdité. Mais j'attends ta version des faits.

Toujours en garde, le guerrier campait sur ses doutes. Voyant sa position, la Bâtarde s’affaissa légèrement sur son bâton. Debout, dans son état, avec le trajet effectué, sa cuisse la lançait douloureusement. La jouvencelle tentait vainement de répartir son poids plume entre sa jambe gauche et le manche en bois pour apaiser ses maux. Tout le reste de sa carcasse, tête comprise, était recouvert de la cape. Elle ne pourrait pas rester longtemps dans cette pose mais hélas, les retrouvailles ne faisaient que débuter.

Un pâle sourire brisa sa bouche en l’entendant parler. Il n’avait pas tort sur sa vision de l’Homme mais plus encore, il l’illustrait parfaitement bien à son goût surtout dans ces conditions. L’Ombre aurait pu se justifier. Elle avait de quoi vouloir se venger mais ce n’est pas en le blessant, quand bien même elle arriverait à l’atteindre, qu’elle guérirait davantage. Si le désir de guerroyer bouillonnait peut-être dans les veines de Kheldar, Umbra, elle, n’en était pas réduit à cette dépendance. La guerre n'est pas une aventure. La guerre est une maladie. Comme le typhus*. Ce sont les Hommes qui se l’injectent eux-même dans leurs pensées. Ce sont eux qui se rendent malades à se nourrir de haine, qui se dévastent à se battre et qui se tuent. La Noiraude n’était pas une sainte non plus. Elle connaissait le gout du sang, l’envie de le répandre mais pas assez pour en redemander. La différence entre les deux en était là ainsi comprendrait-il sa venue en paix? Du moins, sans armes apparentes.

Trêves de réflexion, il fallait passer à l'action maintenant.


Étrange que tu t’étonnes de ma venue quand c’est toi qui reprend contact.

Sur ces mots, Ombeline lâcha son bâton pour dégager sa dextre puis l’enfouie sous les pans de laine. Elle retira de sa besace la statuette que le guerrier lui avait tantôt envoyé sous l’œil vif de Raven, porteur du colis. La Bâtarde passa négligemment son pouce sur la sculpture avant de lui présenter. Son regard charbonneux se posa alors sur son visage mais l’obscurité ambiante ne lui permit pas de voir les nouvelles imperfections. A vrai dire, elle ne cherchait pas à le regarder lui physiquement, elle guettait simplement ses mimiques.

Allez, mercenaire, ta lame est de métal mais ton corps n'est pas de marbre...


* Citation de Antoine de Saint-Exupéry

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Kheldar
Le point soulevé par la jeune femme était exact. Cela ne le fit pas baisser sa garde pour autant car il ne songeait pas vraiment, lors de la rédaction du courrier, qu'elle viendrait à lui après leur dernière confrontation. Le mercenaire, sentant le poids du regard de l'Ombre sur lui, eut une brève hésitation. Ce fut suffisant. Kheldar esquissa un rapide mouvement de sa lame pour trancher la corde qui retenait l'Ombre captive, avant de se détourner pour se rapprocher du feu. Il ne comptait pas se justifier maintenant devant elle. Ce n'était pas lui qui avait fait des dizaines de lieux pour la retrouver à cause d'un simple échange de courriers. Le colosse prit le temps de s'installer contre la souche avant de daigner inviter la jeune femme à le rejoindre auprès du feu. La lame fut déposée sur ses genoux, plus par habitude que par réelle précaution.

Viens donc auprès du feu, nous serons plus à l'aise pour parler.

Il avait renoncé à lui donner du "fillette". Sans doute parce qu'il ne l'avait considéré ainsi qu'avant l’énergie et la ténacité déployées pour retrouver si habilement sa trace. Habilement était un bien grand mot toutefois, car si la traque avait une saveur particulière, elle était censée mal se terminer pour la proie, et non pas pour le chasseur. Mais la traque n'en était pas une cette fois ci, et il était rare que la proie invite le chasseur à se réchauffer par une froide nuit d'hiver. Kheldar attendit patiemment que l'Ombre s’exécute avant de poser son regard acier sur ce qu'il pouvait entrevoir de son visage. Un visage qui lui inspirait quelques émotions contradictoires... et pour cause.

Un bien long et pénible périple pour retrouver un homme après seulement quelques courriers...

[Quelques mois plus tôt.]

Les deux protagonistes étaient les mêmes, mais tout dans leur attitude semblait indiquer le contraire. Ils étaient dans une taverne à demi remplit, par quelques compagnons et villageois crédules malgré la prise de leur mairie la veille. Le colosse contemplait alors la brunette avec affection, sinon adoration. Le visage éclairé par un amour éperdu imité à la perfection et qui valait les expressions des meilleurs comédiens, Kheldar s'était répandu en tirades alambiquées, toutes plus émouvantes les unes que les autres, et la belle aux cheveux noirs de jais papillonnaient des cils en semblant réceptive à un amour qui frisait le fanatisme. Parmi les personnes présentes, il en était qui savaient à quoi s'en tenir et qui les accompagnaient dans leur interprétation du jeune et brave chevalier éprit de la belle et chaste demoiselle. Tout deux maniaient la bienséance comme s'ils l'avaient connu toute leur vie et l'interprétation était magistrale.

Quelques heures plus tard, Kheldar s'était isolé comme à son habitude, mais pas pour faire provision de solitude cette fois ci. Qu'était il arrivé au jeune homme de bonne famille adepte de la bienséance? L'homme qui se destinait à la Chevalerie avait emprunté bien d'autres chemins, bien plus sombres et moins honorables. Il était des questions dont il se savait incapable d'y répondre et pourtant il ne cessait de se les poser, de se demander pourquoi et comment serait sa vie s'il était resté sur le droit chemin. Il avait fuit deux semaines avant son mariage. Deux semaines avant d'épouser une jeune noble éperdue d'amour pour lui. Même maintenant il était incapable d'expliquer son geste. Ou plutôt... il continuait de se mentir à lui même. Le gout du sang, l'appel de la route, la soif inextinguible de combats. Voilà ce à quoi il ne pouvait renoncer. Mais à quoi devait il tout ces états d'âmes? C'était bien à cette question qu'il ne voulait pas répondre. Et pourtant il se souvenait de tout. La Crypte, les sables, les dagues se brisant sur le sol marbré, suivit de la chute de son propre corps impuissant à contenir la violence de ses sentiments, de sa haine et de sa peine. Le brasier de l'enfer et la pluie qui s'était abattue. Et Azazel à qui il vouait un culte assidu. Tout était gravé dans son esprit tourmenté.

Il était devenu bien des choses après la Crypte de Korrigann. Mais plus jamais l'homme de bien qu'il espérait un jour être. Il avait usé d'innombrables identités et pourtant toutes lui correspondaient. Lorsqu'il se sentait devenir autre chose, il changeait de nom, d'adresse, de mode de vie et oubliait tout ce en quoi il avait cru dans sa vie précédente. Hormis le brasier, la crypte et le Démon qu'il adorait. Ses rôles lui collaient à la peau, ou plutôt il s'adaptait à tout ceux qui s'imposaient à lui. Il n'était, et ne serait Kheldar que jusqu'à ce qu'une autre identité ne vienne s'imposer à lui. Il n'avait pas à s'en réjouir pas plus qu'à en souffrir. C'était ainsi, et il ne lutterait pas. Et pourtant, il sentait le besoin de réfléchir là dessus... de s'interroger, de peser le pour, le contre, d'aller au coeur de ce qui avait changé, et changeait constamment son existence.


Et c'était au milieu cette réflexion d'ordre existentielle que l'Ombre avait choisit d'entrer, épée à la main et ivre de sa récente explication avec un tonneau de bière...
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Umbra
Le mercenaire avait cédé et l’avait détaché. L’Ombre sourit en coin en rangeant la statuette dans sa besace puis se pencha pour retirer les liens autour de sa cheville. Le bras gauche toujours invisible sous la cape, on sentait une certaine maladresse dans les gestes exclusivement effectués de la dextre. Umbra ramassa son bâton et vint prendre place face à Kheldar devant le feu. La lueur des flammes dansait sur leurs visages respectifs, les ombrageant davantage pour rendre à leurs masques de chair, la noirceur de leurs véritables esprits. Les traits de la Noiraude restèrent éternellement inexpressifs : était-elle heureuse de le revoir ? Etait-elle rancunière ? Qu’attendait-elle de ces retrouvailles ? Rien. Rien ne transparaissait sur son faciès amaigri. Mais cette impassibilité était finalement rassurante car les rares fois où sa peau se défigurait, ce n’était plus Ombeline. C’était Elle, Opaline. Son double, son mal, l’incarnation de toute sa haine et de son mal-être. L’expression de toute sa cruauté et de sa fureur. C’était Elle, sa bataille.

La Bâtarde abaissa sa capuche pour dévoiler sa chevelure d’encre rayée d’une unique mèche blanche, imperfection restée suite à une altercation musclée. Elle croisa ses bras sous les pans en laines, prenant soin de ne pas montrer sa senestre.


Un bien long et pénible périple pour retrouver un homme après seulement quelques courriers...
-A qui le dis-tu… Avec une patte fol, pour sûr que la route est longue.


Le ton utilisé était empreint de lassitude. Peut-être un brin d’amertume résonnait dans ses mots mais rien de désagréable. Oui, le trajet n’avait pas été de tout repos. Dévisager tout les passants, guetter tout les feux de camp. Marcher, attendre, espérer, ne pas se décourager. Oui, c’est du temps foutu en l’air. C’est de la patience mise à l’épreuve. C’est de la douleur réveillée. C’est des heures à tuer. C’est du vide. C’est du vent.

Mais gratter un vélin ne sera jamais aussi bruyant que de te parler en face.

Les paroles étaient sorties sans hésitation malgré un court silence. C’est vrai que c’était beaucoup pour pas grand-chose. C’était paradoxal comme elle, comme lui. C’était imprévu comme son boitillement.

[Des semaines auparavant : le même soir]

Une bière, des verres. Des bouteilles puis du vermeil. L’ivresse avait engourdi ses sens et avivée sa faim. L’envie de chasser ce gout amer. Le désir de chasser avec le fer. L’alcool était l’addiction de l’Ombre. Elle ne résistait pas à se mettre à l’envers, à se tordre les boyaux, à déformer son triste quotidien. Mais cette dépendance, et inconsciemment, Umbra le savait, en appelait une autre bien plus dangereuse. La boisson lui donnait une faim de loup. L’instinct primaire revenait au galop, en perdant sa lucidité, elle en oubliait tout les principes qu’elle ou qu’on lui avait inculqués. La Noiraude sortait sa lame pour se tailler les crocs : Du sang ! L’ébriété la rendait violente, la renvoyait à l’état sauvage. L’alcool est l'aiguille qu’elle se plantait, la seringue qui distillait dans ses veines sa soif de brutalité. La guerre est une drogue : la sienne, la leur.

Cette nuit là, la fureur bouillonnant en son être, accompagnée d’une rouquine, elle partit en quête de sa proie. Bâtarde au poing, Ombeline menaça plusieurs villageois mais aucun ne daigna répondre à l’agression. L’excuse du soir était du canard. Elle demandait qu’on lui refile un pauvre morceau de palmipède mais tous taillait le bout de gras sans prêter lui prêter attention. Le désir de taillader la chair devint encore plus important tandis qu’on l’ignorait encore et toujours. Tout en titubant vers sa prochaine victime, la Bâtarde se jura que celle-ci saignerait. Le carmin était si beau quand sa vision se faisait trouble… Mais hélas, le futur innocent ne fut autre que Kheldar. Dans l’état où elle était, qu’importe qui était en face d’elle. Un ami, un ennemi, à la guerre comme à la guerre, la jouvencelle ne faisait plus de distinction. Que le sang soit bleu ou rouge, le gout du fer avait une saveur si particulière dans ces moments-là. Quand l’ivresse se glissait dans ses veines, quand la haine se faisait seconde peau, l’Ombre se sentait invincible. Prête à tout et surtout au pire, tuer, il n’y avait que ça de vrai dans sa réalité dénaturée. L’assaut ne dura qu’un bref instant avant qu’elle ne se retrouve clouer au sol. Que s’était-il passé ? Du sang à profusion, oui, mais celui-ci n’était pas bon. Cette hémoglobine était imbibée de rage, c’était bel et bien le sien qui coulait et non un mirage. La douleur fit vite dessaoulée Umbra et tout son désir sanguinaire s’évapora par la même occasion. Du loup, il ne resta plus que la carcasse d’un agneau ensanglanté.

Le temps s’était écoulé depuis cette nuit-là mais les luttes ne cessèrent pas. Son cuir se couvrait au fur et à mesure de cicatrices plus ou moins visibles. Cependant, malgré les coups encaissés et la douleur lancinante, elle buvait toujours autant. La Noiraude noyait son désir de violence dans son alcoolisme et si elle perdait beaucoup à chaque combat, elle gagnait toujours la guerre pour l’instant.


Tes courriers t’ont trahi même si ta plume n’est pas bavarde, je dois l’avouer… Alors pourquoi un tel geste ? Et ne me dis pas que c’est du remord…

Je te connais, Kheldar. Nous sommes pareils alors ne me mens pas, pensa-t-elle en soutenant le regard acier du mercenaire.

Toujours de sa main droite, Ombeline extirpa sa flasque d’eau-de-vie de son paquetage puis la débouchonna d’un coup de dents. Le brun n’était pas dupe et de nature trop méfiante, il ne tarderait pas à se demander pourquoi elle n’utilisait pas sa main gauche. A moins qu’il ne l’ait déjà compris. La Bâtarde détourna ses iris de jais vers le feu avant de prendre une longue rasade de prune. Les vieilles habitudes sont tenaces. Après s’être désaltérée, elle tendit silencieusement l’alcool au dessus des flammes pour inviter Kheldar à se servir.

A ta santé, mercenaire. Partageons nos maux.

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Kheldar
Cette fois ci, les rôles avaient été inversés. Le mercenaire baissa les yeux vers la lame aux reflets argentés, puis plongea son regard acier dans le ballet incessant des flammes. Il saisit une branche morte qui gisait à ses côtés, puis la jeta dans le brasier, sans mot dire. D'ailleurs que dire? Il ne regrettait aucunement son geste. L'Ombre s'était trouvée au mauvais endroit au mauvais moment, elle n'aurait pu plus mal tomber. On ne mourait pas d'un carreau d'arbalète planté dans la cuisse, du moins la plupart du temps, et il n'avait fait que répondre à une agression. Ce que d'autres pouvaient juger comme une réaction excessive, lui la trouvait mesurée et contrôlée, compte tenu des dommages qu'il pouvait causer à un homme. Ou à une femme. Mais ce n'était pas là le sujet qui les avait réunit autour du feu de camp. Le sujet n'avait jamais été évoqué, seulement ressentit, et prudemment passé sous silence. Un sujet commun semblait il, si l'intuition du mercenaire se révélait exact. Kheldar porta la main à son masque d'acier, plus par habitude que pour en vérifier la présence. Le masque ne lui dissimulait que la moitié basse du visage, et ses yeux, seuls détails apparents, restaient à l'air libre.

Ils étaient en Franche comté, près des montagne, et de l'ancien Margraviat de Bade. Le mercenaire appréciait le sentiment de calme et de puissance contenue qui l'envahissait à l'approche des montagnes. Ses craintes et ses attentes concernant la mort étaient exotiques, mais si ses souhaits ne pouvaient être réalisés, il savait que ce serait en ces lieux qu'il finirait ses jours. A trente ans l'homme moyen ne se sentait pas vieux. Mais les vrais mercenaires qui arrivaient à passer le cap de la trentaine n'étaient pas légions, et il ne pouvait s'empêcher de songer à l'éventualité que tout ses stratagèmes, toute sa science des armes et sa manie de garder l'anonymat seraient un jour déjoué par le plus redoutable des adversaires. La mort. Une décennie plus tôt, alors qu'il venait de remporter le tournoi de Veillefranche de Rouergue, un sentiment d'invincibilité s'était insinué en lui, aussitôt suivi par l'arrogance insupportable qui l'avait fait tomber de haut quelques années plus tard. Lui qui s'était targué d'être invaincu fut jeté à terre et laissé pour mort. Le médecin qui s'était occupé de lui avait alors clamé sans ambages, sinon brutalement : "La mort suit tout le monde et n'échoue jamais gamin. Mets toi un peu de plomb dans le crâne si tu veux passer la trentaine."

Le but avait été atteint, il avait guerroyé pendant une décennie entière, pour le bien, pour le mal, ou pour lui même. Et maintenant il était arrivé au bout du chemin, avec un choix à faire. Et l'Ombre dans tout ça? Elle attendait qu'il daigne lui adresser la parole, qu'il daigne justifier ses écrits, et sa présence. Le guerrier regarda la dextre tendue, puis s'empara de la flasque qu'il délesta d'une gorgée de son contenu avant de lui rendre. L'effort qu'elle faisait pour ne pas se servir de sa senestre ne lui avait en rien échappé, pas plus que la modification de son apparence générale, mais cela ne méritait pas d'être évoqué en cet instant. Kheldar plongea à nouveau son regard dans les flammes, qui seraient la source de son inspiration en cette froide nuit d'hiver.


Le sang à un gout métallique. Un gout... de cuivre. Une saveur que l'on sait apprécier avec un peu d'entraînement. Et je sais que tu sais de quoi je parle.

Sa voix avait jaillit sans aucun signe avant coureur, à peine plus audible qu'un murmure, mais suffisamment pour qui écoutait. Le mercenaire laissa planer quelques secondes de silence avant de poursuivre de son habituelle voix atone.

On a tous un exutoire, tout ceux qui décident d'écouter le chant de l'acier. Tu as fait les frais d'un des tiens, qui s'est retourné contre toi.

Aucune raillerie, aucune intonation particulière, une simple appréciation des événements passés. Ou plutôt une décomposition de la scène qui était entrain de se faire dans son esprit. Les expressions du visage, la lueur dans le regard, la crispation des doigts et l'absence d'hésitation. Il fallait être de marbre pour réagir ainsi, d'un côté comme de l'autre. Il était persuadé que même s'ils avaient été les meilleurs amis, ou même amants, leur réaction n'aurait pas été différente. Deux amants se seraient tout simplement entre déchirés.

Il y a des signes qui ne trompent pas. Le visage peut mentir, le corps tout autant, mais pas le regard. On ne peut pas dissimuler l'étincelle, la lueur d'inhumanité, ou plutôt d'extrême humanité, car l'humain est cruel.

Les flammes se reflétaient sur l'acier de son masque, tandis qu'il énonçait le résultat de sa propre réflexion. Le pouce caressait lentement la lame, parcourant les quelques mots gravés à même l'acier.
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Umbra
Les iris de jais fixés dans le feu crépitant, l’Ombre observait les flammes guincher. L’alcool lui réchauffait les tripes et perdue dans ses songes, elle écoutait le ton monocorde de son interlocuteur pensant à mi-voix. Il ne répondait pas, il déviait la question comme elle-même le faisait régulièrement. Un rictus fendit sa lippe à cette conclusion. Deux miroirs, deux personnes de glace… Ils étaient si similaires mais si différents. Tout deux bourrés de secrets, d’orgueil et de méfiance. Les mercenaires n’iraient pas bien loin à ce petit jeu. S’ils étaient aussi identiques qu’Umbra l’imaginait, aucun d’eux n’abaisserait sa garde face à l’autre. Les bruns resteraient perpétuellement à s’observer en chien de faïence, l’arme au poing dans l’attente d’un mouvement de l’autre. Mais cet autre qu’est-il en somme ? Pas un ennemi ni un ami pour autant. Une simple présence apparemment. N’est-il tout de même pas bizarre de recontacter après de longs mois, sans arrière-pensée, une Ombre qui a, un jour, croisé votre route? N’est-il pas encore plus étrange de se lever, de traverser milles lieues afin de répondre à cet appel ? Alors que sont-ils exactement ces deux -là?

La Noiraude éclusa une nouvelle lampée de prune avant de répondre, le regard toujours dans le brasier :


Certes… Nous ne pouvons trahir notre vraie nature. Et pourtant, regarde-nous…Vois les masques que nous nous infligeons un peu plus chaque jour. Nos corps sont couverts de cicatrices que nous voilons à la face du monde mais personne n’est dupe…Nous avons ça dans le sang.

Ombeline s’exprimait sur la même intonation que Kheldar. Ses propos n’étaient pas un jugement mais une simple constatation. Avec lui, elle se permettait de rester vague car il comprenait aisément le fond de sa pensée. D’ailleurs, la Bâtarde ne voyait pas l’intérêt de s’exprimer à ses côtés. C’était comme prouver quelque chose à une personne déjà convaincue, c’était brasser du vent, user sa salive. Les mercenaires n’ont pas besoin de mots pour discuter, ils parlent avec les gestes, avec le fer. La jouvencelle observait d’un œil sombre, le Brun frôlant les inscriptions de sa lame. Que de nostalgie dans ce mouvement, serait-il las ou impatient ? L’Ombre haussa vainement ses épaules sous sa cape pour chasser ses pensées. Elle reprit une énième gorgée d’eau-de-vie avant de lever les yeux au ciel. La lune déclinait lentement au dessus d’eux. Le temps leur était compté. A l’aube, Umbra rebrousserait chemin, elle ne pouvait s’attarder plus longtemps loin de ses décoctions médicinales dans son état.

Alors?

Cette interrogation voulait tout et rien dire. Elle laissait le soin à Kheldar de choisir sa version, en espérant qu’il apporte une réponse cette fois-ci. A se voir, à les voir, la Noiraude déprimait. Où étaient les combattants ? Bien feutrés derrière leurs armures. Les loups se terraient en solitaire au fond des bois ? Avait-il déjà trop vécu pour déclarer forfait maintenant ? Etaient-ils trop en vie pour attendre tranquillement leur mort ?

Alors Kheldar ? Tu deviens quoi, toi ? Alors Kheldar, t'attends quoi de moi ?

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