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[RP] - Mais putain, je t'haine.

Judas
*

    [Tu le verras, je te le promet. Tu le verras grandir et te ressembler, laisse moi lui donner une vie sans déshonneur...]
    De Judas, à Anaon. - Le triptyque d'hyménée part III.


Le seigneur est attablé, visage déformé de ses plis par une main qui le barre. Le vin a déserté les cruchons qui s'entassent, vides, non loin de la lettre. Le mutisme ambiant semble avoir figé la scène comme sur un tableau italien, l'oeil est vitreux. Judas a bu. Pas de cet alcool facile qu'il taquine tous les jours, autour d'une discussion. De celui plus perfide qui démolit les certitudes et fait refaire le monde, sa vie, des ennemis. Une à une, les questions sont revenues, myriade de petits rouages mal huilés qui se heurtent les uns aux autres. Et comme à chaque fois qu'il est ivre de cet alcool là, celui de l'Anaon, le seigneur s'épanche. Il s'épanche seul, en repli sur lui même. ôtage de sa tête.

Le visage a fatalement imprimé la marque de sa main, à force de cette pression qui rougit ses joues. Et Judas n'a fatalement plus rien imprimé après le second cruchon. Il en a brisé deux autres, qui gisent au sol, l'histoire ne raconte pas comment ni pourquoi. Mais les yeux, les noirs de jais, ceux là peuvent encore parler. Parler du vide. Du vide qui les a pris. La rengaine est toujours la même. Il pense à l'inextricable bourbier dans lequel il a laissé la Roide s'engluer, et les solutions avec, à force d'avancer sans vouloir regarder derrière. Il pense à son envie de rétablir les choses, puisque c'est en son pouvoir, et selon son unique bon vouloir qu'elles le peuvent être. Il rumine. Incapable de faire un geste, alors qu'il se laisse enfoncer dans ses propres précautions.

Pas d'échanges. Pas de signe. Pourtant il y a un mois il a brisé son omerta. Et ce fut un échec cuisant. Attablé, oui là, comme une statue de sel, Judas se débat. Elle n'avait pas compris. La mèche, elle n'avait pas saisit l'ampleur du message. Pourquoi n'a t-il pas pris la peine d'être explicite? Pourquoi toujours se persuader que c'est tout ce qu'il lui faut pour comprendre. Qu'elle s'en contentera et que les choses iront dans le sens qu'il aura défini comme étant le bon. Noyade interne. Bouffée d'angoisse. Comme un spasme, la main agrippe la plume. Il est ivre, et soudain luisant de lucidité. Serait-ce du bon sens... Ou enfin... Du courage? ... Il est temps se remuer le cul avant de couler par le fond, à le regarder enfler sur sa chaise jusqu'à se faire engloutir par son orgueil.


Citation:
    Ann

    mon Ann. Je n'ose croire qu'un coeur de porc en putréfaction et quelques poudres de chez moi peuvent à elles seules résumer ce que tu as à répondre à la mèche de cheveux brune de ton fils, celle que je t'ai fait parvenir il y a quelques temps. Je pensais qu'avoir des nouvelles de ton enfant t'apaiserait, mais je n'ai eu pour retour que le néfaste d'une colère qui a guidé ta vengeance. La vengeance, habituellement, c'est mon crédo. Je suis ce que je suis, et si jamais c'est mon image que tu cherchais à me renvoyer, abstiens-toi. Les longs mois de silence que je t'ai imposés devaient servir à bien autre chose qu'aiguiser ta rancune...

    Ce devait être un temps de latence... Comme un hiver pour amorcer un printemps. Non bien entendu, je ne suis pas entrain de te dire qu'après ces mois loin de l'enfant, j'escomptais revenir, lui dans mes bras. Te le ramener, comme un présent. Comme si je n'avais pas imposé une volonté à laquelle tu ne pouvais pas, au moment M, te soustraire... Ce serait t'insulter. Mais tu as raté l'objet de mon message. Oui, tu as réagi comme je l'aurais fait, avant. Vite et sans désirer comprendre les enjeux.

    J'étais venu te parler de notre fils. J'étais venu te dire qu'il se porte bien, et que ses cheveux ont poussés. Que son prénom complet est Amadeus Foulques Kenan Von Frayner, et qu'il a été baptisé par Rome. J'aurais pu ensuite, si tu m'avais laissé continuer, te dire qu'il a exactement les mêmes yeux que toi, et que ses cheveux sont raides, d'un noir ébène. Que sa peau est pâle comme l'hiver que tu affectionnes tant. Que parfois je crois y sentir ton odeur. J'ai craint seulement ton silence à mon pli, il m'aurait annoncé que tu avais renoncé. A ton fils, et à moi. Ta réaction me parle davantage. Elle m'est familière... C'est une réaction pour parler à ma façon, comme un message écrit de ma main. N'es tu pas lasse? C'est ce que je ressentais, lorsque j'agissais ainsi. Le vide de la lassitude après l'acte d'assouvissement. Depuis que je t'ai laissée à Saumur, j'ai accepté d'avoir pour compagnon ce gouffre. Je crois que j'ai vieilli. Et je crois que tu me manques. Je sais que je t'aime encore, et que ça n'est pas quelque chose que je puisse maitriser. Puisque par cet enfant nous sommes liés à jamais, je crains avoir renoncé à le maitriser. Puisque je ne t'aurais jamais comme il le faudrait et que je n'y puis rien, je crains avoir renoncé à le maitriser.

    Je ne veux pas que tu me répondes. Je redoute une nouvelle méprise, qui enrayerait ce que je me donne tant de mal à te dire. T'écrire. Lassitude n'engendre pas abandon. Lassitude n'engendre pas renoncement. Et c'est ce que je redoute oui. Que tu me pousses sur des sentiers escarpés, mauvais et glissants. Là où l'homme n'est plus rien, face à la nature. A sa nature. Face à l'irréversible. Je m'épanche ... Pour des mois à rattraper ce que je sais perdu.

    Le vingt et unième jour de décembre, je porterai ton fils aux bras sur le blanc manteau de la cour de Petit Bolchen. Je lui montrerai la fenêtre de la chambre qui fut la notre.

      Et je laisserai la herse ouverte.


    J.


Exhalaison salvatrice. Voilà. Il était temps de retrouver la saccade douloureuse et agitée dans sa poitrine. Judas s'écroule sur la table, lentement, mais sûrement. La nuit fait et défait.

_________________
Anaon

    *


    Les mains ont ravivé les braises, perçant l'obscurité d'un unique point de lumière. Pulsations ignées dans une poitrine d'ombre. Les ténèbres se froissent de minuscules chuintements de soie. La vie s'éveille. Des phalènes viennent s'échouer sur la frise de la cheminée comme des bourgeons de cendre. A l'image de ces grâces nocturnes, elle est venue froisser l'aile de ses paupières devant la lueur crépitante des flammes.

    L'Anaon s'est retirée, à la faveur de la nuit, loin de sa chambre où elle ne sent plus assez seule. Attendant l'écrin des ombres, comme les phalènes, pour s'ébranler d'un souffle de vie. L'œil perdu dans l'embrasement spectrale, elle n'accorde aucune importance à l'incongruité de leur présence. Ses doigts ont saisi plus surprenant encore...

    Elle avait reconnu le messager, elle avait voulu le tuer. Pour son acharnement. Pour cette lettre qu'elle aurait livrée aux flammes s'il n'y avait pas eu le sceau. Poinçon de carmin qu'elle n'avait vu qu'une seule et unique fois, pour sceller des mots froids, des reproches et des menaces. Curiosité plus que l'envie avait tranché pour la survie de cette missive. Alors elle avait attendu que le soleil se voile de son sommeil et que tout Paris s'endorme pour oser la révéler à nouveau. Comme une faute. Une récidive qu'on ne veut avouer à personne. Ou plutôt... par envie de repousser l'inéluctable instant. Un certain déni. Et le désir aussi de ne donner spectacle ni de sa rage ni de ses émotions. L'âme reprend son souffle. Le bras se délie et la main se tend dans l'âtre. Latence. La cire se met à luire. Les doigts décachettent le pli.

    Ann. "Mon" Ann. Le regard dévie. Les narines se plissent. Un soupire de dédain. Elle revient aux mots. Se force. A la fin du premier paragraphe, les poings se ferment dans une réaction épidermique. Le pli se broie. Le visage fait volte face dans une crispation brutale. Agonie du vélin. Ah ! Elle le reconnaît bien là, le Judas ! Qui l'accuse, qui la pose en coupable et la rabroue comme une gamine fautive ! Ainsi c'est elle l'immature ? Ainsi il s'acharne à lui gangrener l'existence pour lui cracher des insultes sous couvert de moral ?! La jambe tressaute nerveusement. Les azurites restent obstinément braquées dans les ténèbres. Pas dans les flammes, non. Comme si le feu était la source même de sa frustration. Lui qui révèle, agresse, blesse, attire, attise, consume. Les instants s'écoulent où le silence se peuple de craquements de bois et de battements éthérés. Les doigt se sont machinalement relâchés. L'âtre arrache à son visage des arrêtes de lumière. Alors elle succombe à sa chaleur, lui offrant un regard, puis revient sur la lettre.

    La balafrée marque un arrêt de surprise. Un insecte de cendre s'est posé sur ses mots, déployant ses poudreuses immaculées. De l'index elle le repousse doucement, forçant la bestiole à quelques pas patauds. Elle insiste, mais le papillon refuse de s'envoler. Alors la femme consent à le laisser au coin de la lettre comme une estampille vivante. Elle reprend sa lecture...

    Au second paragraphe, une boule d'acide lui noue la gorge, mais elle se fait violence pour ne pas s'interrompre une fois encore. Et puis.... et puis...


      J'étais venu te parler de notre fils.


    Elle s'effrite.

    Le corps se recroqueville sur les mots. Sa dextre plonge sur sa tempe et se ferme dans ses cheveux. Il ne parle pas de son fils. Il parle du Leur. Il lui dit qu'il va bien... Il lui dit qu'il leur ressemble... Dans sa poitrine s'éveille un écho. Le cœur s'ébroue, braise mourante soufflée par un vent d'espérance. Il s'ébranle. Il s'affole, naïf, crachant un sifflement moribond du trou qui lui perce l'enveloppe... mais il fait fi. Comme un chien aux derniers instants de son agonie, qui a soudain l'œil qui pétille et le cœur gonflé de joie à revoir son maitre une dernière fois. Il va mourir... mais ce n'est rien face à celui qu'il aime d'une dévotion inconditionnelle...

    Mère fragile. Battant de roc aux veines d'argiles.

    Un picotement familier lui remonte dans l'aile du nez, appelant les fêlures dans la pierre des azurs. L'ourlet de chair se borde, sans céder à cracher la pluie qu'elle a dans les yeux. Je sais que je t'aime encore... Tu n'as pas le droit de me dire çà... Tu n'as plus le droit. Et le cœur écoule ce que les yeux ne pleurent pas.
    Son âme s'emplit d'un parfum de Bolchen... La peau se pare des frissons de l'hiver. Dans ses veines l'acide se mêle au sucre, douceur et rancœur s'entre-dévore. L'âme éclate de sanglot et d'insulte. Et les yeux se ferment.

    Des pensées comme des aiguilles... La nuit de la Modra Necht. Espoir de revoir le fils à qui elle a donné le jour.... Presque un an après...

    Enfin.
    Ou bien... Peut-être.

    Absents, les doigts se pincent pour refermer la lettre. Un chatouillement l'arrête. Les paupières se relèvent. Le papillon a trouvé sa main. Elle le contemple un instant avant de lever les doigts pour lui souffler doucement entre les ailes et l'inciter à l'envol. Alors la mercenaire se lève, abandonnant les psychés dans le couffin des ombres.

    Elle regagne l'étage. Le couloir voit passer ses pas de loup et la porte de sa chambre est poussée sans plus de bruissement. Une main cajole la tête du grand chien noir qui s'enquiert de son retour. L'index sur les lèvres. Le canin se fait plus sage... Les doigts frôlent le long arc posé au coin de la pièce et la mercenaire s'approche du lit habité. Un baiser y est déposé.

    _ Fenrir... Un doigt se pointe vers la paillasse. Les oreilles animales se redressent. Tu gardes, Fils ! Gward' !

    Le jeune chien s'assoit en signe de compréhension. Alors l'esprit tranquille, l'Anaon se saisit d'arc et carquois, attrape son manteau et sa dague puis s'éloigne sans un bruit.

    L'écurie trouve grâce à ses yeux. Elle pousse les battants qui grondent doucement sur leurs gonds. Sa lanterne déploie vaguement sa lueur sur les ombres massives qui broutent ou qui somnolent. L'Anaon traverse l'allée des bêtes tranquilles jusqu'à frôler du bout des doigts un nez qui se tend vers elle. De souffle à souffle, comme un bonjour. Et les lèvres se posent sur le chanfrein soyeux. Une main affectueuse parcoure l'encolure de sa monture. Visgrade sera soigneusement préparé comme pour ces jours de longue chasse.

    Fuir.

    Elle fuit Paris pendant un temps. Quelques heures, une journée ou plus... Les sabots de l'étalon étouffent leurs sons sur la terre battue des ruelles dépavées. Fuir. Digérer la lettre. Calmer et trier les ressentis. Fuir. Anaon n'a jamais eu la prétention d'être de ces prédateurs qui font face à toutes choses en sortant les crocs. Elle n'a toujours été que biche. Héritage ancestral. Emblème de chair et d'os, jadis frappée d'argent sur les armoiries familiales. Il ne lui a toujours manqué que les cornes du cocu pour parfaire cette effigie vivante. Alors, comme le cerf impavide, l'Anaon retourne dans ses forets. Dans l'étreinte de l'automne. Se gonfler les poumons de l'odeur de la terre. Et n'aimer qu'elle, le temps d'un temps à la fouler du pied. Chasser ses fruits, l'en remercier. S'enivrer d'elle, en retournant à l'état le plus primaire. Le grain d'un tout. Fragment de la Grande Mère qui s'épanouit sur sa peau d'herbe et de montagne.

    Alors l'Anaon abandonne Paris et son aube grise, dans son percale de bruine.

    Elle reviendra, et des jours durant, elle se triturera les doigts comme si elle avait voulu se les arracher. Devant ce vélin qui demeurera obstinément vierge. Elle ne sait pas quoi dire... Elle aimerait le saisir. Le fracasser contre un mur de Decize. Le jeter par-dessus le bastingage de la Cardabella. Se noyer en lui. Le crever. S'effondrer à ses pieds...

    Comprendre...

    Comprendre les "je t'aime" quand ils sont des mensonges. Comprendre l'acharnement à blesser quand il n'a plus lieu d'être. Comprendre les amantes, les aimantes et son indifférence. Comprendre le pourquoi du tout cela...

    Au détour d'une ruelle, dans les quartiers réputés de la capitale, ses doigts auront pincé la tige d'une fleur de soucis...

    Le muet reprendra les chemins de France avec un bien léger paquetage. Un presque rien, qui symbolise tout.
    Une fleur et un mot.


    Citation:


      Pourquoi …




Gward : diminutif de "gwardoniañ", garder, protéger en breton.
Musique : " Evenstar ", reprise à la harpe puis original d'Howard Shore. Paroles et traduction ici.

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- Anaon dit Anaonne - [Clik]
Judas
    [Tu te souviens Judas, de cette nuit et de ces tout premiers jours d'hiver? Parfois j'aimerais mourir, si çà pouvait me permettre de remonter le temps. Pour te rencontrer encore, toujours. Juste pour avoir le frisson de revivre nos premiers moments...]
    De Anaon, à Judas. - Que reste-il?



Dans son habit de cuir, le VF éclate de rire. Une heure, une heure qu'il joue avec les limiers à l'orée de la forêt à courir des lièvres imaginaires. Tout n'était que prétexte. Sortir de cette demeure qui l'étouffait... Fuir Isaure, les cris de l'enfant. Sentir le vent sur son visage, frôler les poils luisants des chiens pris au jeu sans jamais réussir à mettre la main sur les plis douceâtres et agripper les peaux brunes. Au détour d'un bosquet, une silhouette de dessine. Les foulées s'évanouissent. Les chiens fusent sur la frêle stature du muet. Les zygomatiques du seigneur frémissent.

Il lui avait demandé de ne pas répondre.

Les chiens viennent happer de leur langues tachetées le visage adolescent, mettant à terre un muet qui se débat en silence, comme une pauvre carpe hors de l'eau. Les instants perdus lui reviennent pour le narguer, la prestance immuable dégagée par l'Anaon, celle qu'il a nommée Roide, celle-ci dont il a un jour pris la main entre les quatre murs défroqués d'un castel Bourguignon. Une main serrée jusqu'à bleuir. Une éternité... Une éternité suinte dans son esprit comme le fiel qu'il se fabrique. Il la revoit à sa fenêtre, guettant les premières neiges. Il revoit son corps entre ses mains, il entend ses cris dans la nuit. Les lits, les corridors, les cuisines, les dolmens, les chambrées d'auberges, l'immensité de ce qu'il a éprouvé en tout lieu où elle se tenait... Face à lui, son regard ne déviant jamais.

Il y a son sourire qui s'élève, c'est comme une lueur d'espoir. Il y a l'ombre et la lumière, au milieu... De leur trajectoire. Les routes à ses cotés, la chute de cheval, la perte de l'enfant, ses maitresses et sa femme, la mort du vieux garde, ses yeux si bleus qu'elle a soigneusement gardés si fermés. Un temps.

Fallait choisir une route, alors ils ont choisi la pluie acide à s'en brûler le coeur, pourvu que planent leurs esprits. La Bretagne. La Bretagne! Toutes ces blondes et ces rousses qu'il a pris comme exutoires, compensatoires, les nuits blanches et le stupre, toutes ces femmes à s'écoeurer, ces comtesses, duchesses, marquises, princesses à en vomir, et la pluie sur son visage. La pluie pour seule vraie compagne.

Il y a les lois de l'empire et les trous noirs dans sa mémoire, il y a le meilleur et puis le pire au milieu de leur trajectoire. Les coups portés à l'innocence, l'élimination des misérables lui rappelant de trop qu'il la perdait. Car il la perdait. L'esprit a volontairement occulté afin de toujours tenir, de toujours aller plus profond dans les chairs, Judas a oublié les victimes collatérales de sa passion roturière... Nyam. Ayoub. Marie. Amadeus. Et tous ces autres dont il ne subsiste qu'un rien dans le nid de la folie du seigneur. Les pas écrasant les ponts et les armes vivantes lui permettant d'atteindre l'Anaon en plein coeur.

Combien elle vend sa putain de liberté, dites combien elle vend sa poésie? Avec sa p'tite fleur de soucis, et lui toutes ses ancolies... Lui qui a même vendu mon âme au Diable... Pour son sourire de l'ange. Les jours sans fin à guetter son retour, à maudire Paris. Les jours à vouloir l'étrangler de la croire grosse d'un autre. Tous ces jours insensés à lui tendre la main pour claquer sa joue. Ces jours passés à lui faire un enfant sur un radeau de la méduse, et à l'entendre le mettre au monde, à la découvrir mère. Mère de l'ombre, rattachée à quelqu'un d'autre que lui. Une part de lui, était-ce suffisant? Jaloux jusqu'à son bâtard, toutes ces raisons qu'il imaginait l'éloigner de lui. Toutes ses raisons qu'il ne lui a pas laissées.

Puisque tout était aléatoire dans le chaos de leurs univers, puisqu'insoluble était la réponse et puisque déjà lui manquait l'air... Amadeus n'était qu'une arme. Une arme de chair et de sang pour se trouver une raison qui l'unissait à lui, au regard de tous les hommes et d'un dieu, une raison indissoluble et irrémédiable. Il lui avait imposé l'ombre en épousant une jeune créature qu'il continuait d'user, lentement mais sûrement, d'une façon plus douce mais pas moins insidieuse. En lui donnant son fils pour légitimer l'acte manqué. Il avait cru la perdre. Encore. Et pour la première fois de sa vie... Il avait tenté de reprendre les rênes autrement qu'en corrompant l'Amour. Judas avait parlé. Chose qu'il n'avait jamais fait avant, et pour personne. Il avait ouvert une brèche à l'encre, pour que s'épanche le mal qui rongeait ses veines. Pour calmer sa folie. Sa perte.

Mais qu'importent les directions! Jusqu'au delà de la limite, tous les chemins mènent à ses yeux, tous les chemins mènent à la fuite... Le muet n'a pas bougé. Judas fixe son attention sur son visage, la fleur séchée entre deux doigts. Il lui avait demandé de ne pas répondre. La perte de contrôle était inévitable, puisqu'en prenant le temps de lui écrire, il l'avait amorcée... Engendrée... L'acceptation était si dure. Ho , si alambiquée dans son envergure menaçante! Et le muet s'en cognait lui. Il se faisait le messager de tant d'années évanouies... En ignorant tout.

Gelegt!*



Citation:
Pourquoi, pourquoi...

Tu sais bien que je ne sais pas m'épancher. Pourquoi toujours chercher pourquoi? Pourquoi tout ça me coute tant... Mais putain je t'hai*n*e. C'est aussi simple que ça. C'est toi et pas une autre, c'est toi au dessus des autres. C'est toi que je ne peux pas avoir, c'est la seule raison qui m'a poussé à nous faire tant de mal. A te faire tant de mal.



Il ne signa pas.


* Couchés!
** entre les deux étoiles, la lettre est difficilement lisible.
En rouge, textes tirés ou inspirés de D.Saez - Il y a ton sourire

_________________
Anaon

"Diable, que t’es belle la Roide lorsque t’as mal… "
    - Cerdanne - " Voie sur berge"


    *

    J'avais arrêté. J'avais arrêté les folies qui laissent des trous dans la mémoire, le goût d'inachevé des jours qui s'enchaînent sans se rappeler de la nuit qui les a séparés. J'avais arrêté, les gueules de bois monumentales, les coups de sang et les blackouts. J'avais arrêté... tout tout tout... Et puis, et puis... J'me suis rappelé...

    Clac ! Du bois contre du bois. Claque ! Le froid assaillant de la nuit dévorante. Du froid elle croit, la peau ne sent plus. La main qui se pose sur un pan de mur. L'encadrement de la porte close. Un sourire qui dégouline.

    Absinthe.

    Peu la connaisse ou la consomme. Pour l'heure elle est médicinale. Elle n'a pas encore atteint sa renommée. Il faudra attendre deux siècles encore. Mais moi j'm'en fou. Dans l'uchronie et la folie j'lui donne son nom. Absinthe. On a fait pas mal de choses ensemble. Des plans foireux, des exactions qu'on cache toujours à ma Mémoire. Des saloperies d'amants qui se prennent entre quatre planches. Mémoire, elle sait juste qu'on a flirté ensemble, quand au petit matin elle voit Conscience revenir de sa fugue avec la langue en brique d'argile. Elle me pose pas de question, elle cherche pas à savoir. Parce qu'elle sait que c'est sa faute, tout çà. Parce que quand je travaille elle me dérange, quand je dors elle me parle de mes petits, quand je rêve elle me conte mes fils et elle me bourre de lui.

    Judas.

    Les pieds s'aventurent sur ce sol impalpable. Démarche de funambule. Précaution dans chaque pas.

    Je la sens dans ma tête. Qui me dévore le crâne. Des petits vers qui rongent comme un tronc d'arbre pourri. Folie. Folie. Tu veux pas me bouffer le cœur ? Mange-le, mange-le et déloge-le de là...

    Une main qui coule le long de son visage. Un œil d'un noir éclatant qui lui grignote le bleu de l'iris, dardant la ville, comme un chat dans les ténèbres, la pupille dilatée par toutes ses choses invisibles qu'elle semble voir soudainement. Deuxième état de conscience. Paris prend des airs de labyrinthes gardés par des géants de rocs noirs, avec leurs fenêtres comme de petites meurtrières, des yeux plissés qui l'épient dans la nuit. Ils se resserrent comme un étau. Elle va étouffer. Paris va la dévorer. Elle doit courir. Une lumière tremblotante dans l'ombre, la main se tend vers le messie. Elle se fait faucher la hanche.

    Comme ces premières tavernes... Pudique mais assumée où tu m'attirais à toi.

    Hameçon de chair à la taille. Elle n'a pas vu la troupe de joueurs attablés à même les rues pour palier aux tavernes bondées qui ne veulent plus d'eux. On l'a chopé de force pour la coller sur une paire de genoux. Alanguie, elle se love contre le torse.

    _ Bé alors jolie poupée, on s'est perdue ?

    Des odeurs d'hommes. Des bouches qui ont baisé le vin. Des relents de pulsion, de sexe refoulé, de violence en émulsion dans un bain aviné. Des montées d'hormone comme l'exhalaison qui suit la crevaison d'un pus immonde. Stimuli chimiques qui empuantient ses narines.

    _ Remonte tes mains...
    _ Hum ?
    _Remonte tes mains...

    Les pognes moulées aux hanches rampent lentement en caresses suintantes d'envie.
    Ascension du toucher.

    _Encore...
      Judas

    _Encore...
      Judas

    _Encore...
      Judas

    _Encore...

    Ses mains à elle se meuvent jusqu'à frôler la nuque en sueur dans son dos, trouver la ligne de la mâchoire, enfoncer ses doigts dans le fouillis de la barbe. L'autre se rive à l'arrondis d'un crâne, s'arrime dans les cheveux recouverts d'une couche grasse. Et les poignes empoignent ses orbes de chair, plaisir des hommes goûté dans un rire rauque qu'il lui expulse près de l'oreille.

    _ Comme çà ?
    _ Voilà...

    Les mains font levier. Un craquement sec. La tête se démet dans un angle improbable. La nuque se brise répandant des esquilles de cris et de stupeur parmi la petite l'assemblée. Il n'a pas eu le temps de hurler. Il n'a même pas compris. Crispation spasmodique sur ses seins. Les doigts se défont. La femme se lève. Çà tangue. Et le corps au cou flasque s'affale dans un bruit sourd en bas de son banc, secoué de quelques soubresauts saccadés. Commande nerveuse. Un goût de satisfaction au palais de la femme. Des raclements de chaise. Des insultes. Soupçon d'attention. Les azurites noires se relèvent étirant un sourire dans leur geste. L'éclat des lames.

    Ça tombe bien. Moi aussi j'adore danser.



    Blackout.



    J'ai mal. Je ne sais pas si c'est normal. Absinthe. J'ai la tête perforée d'elle et de toi. Des petits trous dans la chair là où t'as posé tes lèvres. Ça brûle. Je me gratte. Je voudrais m'arracher cette peau qui se souvient... Je...

    L'estomac se révulse. La femme se plie en deux agrippant le roc d'un mur à s'en péter les ongles. Et le corps recrache l'excès de rage et de folie qui lui brûle l'estomac. Gerbes acides qui s'accompagnent des bruit organiques d'une gorge qui agonise...

    Je ne veux plus de toi. Je t'ai trop mangé, trop bu, trop goûté. Je m'en suis noyé les bronches, j'me suis étouffée. A trop sentir le parfum des autres sur ta peau qui était mienne. A trop ravaler ma jalousie et à bouffer des silences. T'es comme une bille de plomb qui me perce les boyaux et que je ne peux extraire. Je veux te vomir. Te faire sortir de mon cœur et de ma tête... jusqu'à... jusqu'à...

    … Jusqu'à être vide, jusqu'à ce qui ne lui reste qu'une écume corrosive aux bords des lèvres. La main se presse en renforts sur son ventre. Çà pique. Comme une blessure. C'est humide. Les doigts se tournent vers les prunelles écarquillées.

    J'ai du sang sur les mains... Je sais pas si c'est le mien... Est-ce que j'ai mal ? Ma tête... Elle veut éclater. Mon sang va percer mes tempes. Il faut boire... pour anesthésier la douleur... Il faut... Il faut que je rentre.

    Le pantin désarticulé se redresse. Latence. Puis il se tourne, reprend sa route éthylique, mue par un instinct que sa déraison ne comprend pas, poussant les pas à travers l'enchevêtrement des rues de Paris.

    Je veux rentrer à la maison.... Je veux rentrer à Petit Bolchen. Tu as dis que çà pourrait être chez moi si je le voulais. Je veux que ce soit chez moi. Je veux que ce soit chez nous. Chez nous....
    Nous...
    Nous...
    Nous...
    Nous...
    Nous...


    Je suis arrivée...
    Je crois...

    Une rangée de palissade en bois que la main garde en béquille pour soutenir son ivresse. Elle essaie de compter les portes.

    Un... trois... trois... deux ? Non... Ce n'est pas celui, ni celui là. C'est... celui là.

    Le corps s'immobilise. Les yeux troubles... L'obscurité totale. Elle est aveugle. Un doux renâclement qui l'accueille. L'Anaon reste immobile devant le box.

    Je ne sais pas comment ouvrir... Je ne sais plus.... comment on fait.

    Elle se penche... Elle bascule par-dessus la porte et s'écrase dans le matelas épais de la paille. Un souffle chaud dans ses cheveux. Le nez de velours contre son front et les lèvres qui chatouillent. C'est doux. A bout de force, les bras se lèvent pour s'accrocher aux crins de l'animal. Alors l'étalon redresse doucement la tête, extrayant de la paille ce corps à la dérive. Les deux pieds retrouvent fébrilement le sol. Les bras restent férocement serrés contre l'encolure, la tête noyée dans le poil doré.

    Je veux mon fils...

    Et elle se laisse glisser, le long du cou animal, jusqu'au poitrail dont elle savoure la chaleur un infime instant, avant de s'agenouiller aux pieds de la monture. Vidée. Vaincue. Et de sombrer là, recroquevillée, entre ses quatre sabots, portée dans un sommeil de plomb.

    Un plomb qui lui dévore les boyaux.

Musique : " Room of Angel (instumentale)" d'Akira Yamaoka
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    | © Image Avatar : Eve Ventrue | © Image Signature : Cristina Otero | Anaon se prononce "Anaonne" |
Anaon


    _"... C'est ainsi que les dieux font l'amour, comme des rapaces fondant sur leur proies, comme des fauves assoiffés de sang frais. Ils ne caressent pas, ils broient. Ils n'embrassent pas, ils dévorent. Leur partenaire d'un instant n'est au fond qu'un leurre destiné à enflammer leur désir d'expansion, leur volonté de puissance. Même dans la fusion des corps, ils demeurent seuls avec eux-mêmes..."*
    _ Mais nous ne sommes pas des dieux, Mamm...

    La joue s'enfonce un peu plus dans la laine et le lin. Les paupières restent résolument ouvertes pour permettre à ses prunelles de contempler le vide rempli de la pénombre de la nuit. La poitrine s'ébranle d'un souffle profond et calme, comme accablée par le sommeil.

    _ Les dieux ne sont que la facette aboutie et assumée de l'Homme.
    _ Alors je ne veux pas les prendre en exemple...
    _ Il est trop tard, ma fille, car tu aimes déjà tout comme eux.
    _ Non ce n'est pas vrai... moi j'Aimes tout simplement, Mamm...

    Le corps se recroqueville légèrement, remontant un peu les genoux contre sa poitrine, subtil signe de défense, comme un enfant honteux cherchant à se préserver des reproches à venir. Instant de silence. Une caresse évanescente s'écoule sur ses cheveux.

    _ Tu as toujours été trop naïve, ma fille... Bien trop... et depuis toujours, çà a été ton plus gros défaut...
    _ Non... Si... Peut-être...
    _ C'est une certitude et tu le sais.
    _ Mais où est la naïveté Mamm ? Aimer... C'est la fibre même de l'humanité. Une nécessité incrustée dans notre instinct sans que nous n'y pouvons rien. Depuis toujours, les hommes et les dieux se sont déchirés par amour. Peut-on parler de naïveté quand on sait que Merlin a aimé sa sœur ? Est-ce naïveté dans le geste d'Odin qui a couché avec sa propre fille et y a pris un plaisir coupable ? Où est la naïveté dans la chute de ces royaumes, dans ces complots politiques, ces intrigues véreuses qui ont crevé des mondes et des peuples pour les beaux yeux d'une femme ou le cœur d'un homme ? Tout n'est qu'amour, Mamm... Amour vérolé, mais amour toujours... Naïveté, c'est le mot qu'emploient les écorchés et les frustrés pour se donner un masque, pour tenter d'humilier ces autres qui ont ce qu'eux n'ont pas. Menteur est celui qui s'octroie le pouvoir de n'avoir jamais voulu aimer ou désirer... Menteur et lâche celui qui ne s'assume pas... Il joue les dédaigneux, ils se croient forts... Ils sont bouffés d'en dedans et seront les premiers à tomber quand leurs cœurs auront cessé de se carapacer d'arrogance. Et ils ne sauront plus se relever. Moi... j'assume Mamm... même si j'en ai mal à l'égo....

    Le poing s'est crispé sur le drap et se relâche à présent que la voix a perdu toute son assurance. La main a cessé son geste apaisant sur ses cheveux. Silence. Les paupières se ferment un bref instant... Une seconde d'ombre où elle croit percevoir le corps penché sur elle, serti de ses deux prunelles d'un gris argent. L'odeur qu'elle croit saisir, des lourdes boucles rousses. A nouveau, les yeux s'ouvrent et la femme se fait enfant.

    _ Mamm... Où es-tu ?
    _ Tu sais bien où je suis... Tu sais que je suis passée dans l'autre monde...
    _ Tu mens... ce n'est pas vrai...
    _ Qui t'as mis une idée pareille en tête ?
    _ C'est mon oncle qui me l'a dit... Il m'a dit, il y a huit ans, que tu étais revenue...

    Silence encore... Les caresses impalpables ont repris dans ses cheveux.

    _ Tu me manques Mamm...
    _ Chuuuut.... ma chérie, une femme de ton âge n'a plus besoin de personne.
    _ Y'a-t-il un âge pour arrêter d'aimer sa mère ?
    _ Il y a un âge pour ne plus avoir besoin d'elle …
    _ Mais tu n'étais pas là quand j'ai eu besoin de toi... Tu es partie quand Tad est mort... On m'a dit que tu étais morte aussi... mais on m'a menti... tu m'as juste abandonné... Tu as préféré fuir ton chagrin plutôt qu'assumer ton enfant...
    _ Je ne t'ai pas abandonné …
    _ Alors pourquoi tu n'es pas revenu me chercher ? Ils m'ont pris, ils m'ont baptisé, ils ont cherché à détruire tout ce que Tad avait construit en moi...
    _ N'as-tu pas toi-même délaissé ta progéniture pour te confondre dans les bras de celui qui t'as soumise ?
    _ TAIS-TOI ! Tu ne sais pas c'que ça fait de voir tes enfants t'être arrachés devant toi ! Tu ne sais pas c'que çà fait de les entendre crier ton nom sans que tu ne puisses rien y faire ! Tu n'es pas allée déterrer le corps de ta fille que tu n'as pas pu sauver ! Tu n'as pas tenu dans tes bras son cadavre disloqué et ensanglanté ! Cette chair morte et putréfiée qui un jour était la mienne ! Tu ne sais rien ! Tu n'as pas même chercher à retrouve ta propre fille, toi !

    Les paupières ont ouvert leurs écluses, libérant des sillons translucides sur le tendre de l'oreiller.

    _ Est-ce que tu l'aimes ?
    _ Qui ?
    _ Tu sais bien de qui je parle.
    _ Je ne veux pas...
    _ Ce n'est pas ce que je te demande...
    _ C'est le père de mon enfant.
    _ Ça ne justifie rien. On peut très bien enfanter d'un homme que l'on estime point.
    _ Il ne me respecte pas... même quand je portais son fils, il ne me respectait pas...
    _ Tu n'es pas son épouse.
    _ Je sais... il a préféré sa terre et son rang à moi.
    _ Ainsi va le monde...
    _ Il est détestable.
    _ Le monde ou Lui ?
    _ Les deux...

    Les doigts se sont refermés sur un bout de drap qu'elle agrippe et fait rouler entre ses doigts, comme on le ferait avec une mèche de cheveux. Un geste qui apaise et illusionne une présence.

    _ Mamm... Qu'est-ce que je dois faire...
    _ Je ne peux pas t'aider...
    _ Tu ne m'as rien appris... Ni comment être une bonne mère, ni comment être une bonne amante.
    _ Nous t'avons appris à devenir une bonne épouse.
    _ Mais je n'ai pas de mari...
    _ Il n'est jamais trop tard pour faire vie honorable.
    _ On se marie par intérêt ou par amour, je n'ai plus ni l'un ni l'autre...
    _ Tu ne m'as toujours pas répondu, ma fille.
    _ De quoi ?
    _ L'aimes-tu ?
    _ Quelle différence cela ferait, s'il ne m'aime pas.
    _ Comment le sais-tu ?
    _ Quand on aime il y a des choses qu'on ne dit pas.
    _ N'est-ce pas toi qui disais que pour lui, tu serais prête à porter des cornes à t'en faire une traine ?
    _ … Si... Mamm... Je lui ai tout pardonné... Je lui ai pardonné ses aventures, je lui ai pardonné d'avoir violé Nyam, je lui ai pardonné de m'avoir frappé... Et si je ne pourrai lui pardonner d'avoir trouvé une épouse, j'aurais pu l'oublier...mais Mamm... J'aurais juste souhaité d'un rien... D'un peu... de considération quand je portais dans les entrailles le fruit de son ardeur. Mais non... Il m'a forcé a subir la présence de ces femmes qui le suivaient... Et ces regards qui ne trompent pas... mais çà..même çà j'aurais pu passer outre, s'il ne m'avait pas pris mon bébé en me disant ses horreurs pavées de sous-entendus qu'il n'avait jamais dites... Mamm, tu aurais vu son visage... Ce jour-là, plus que tout, il me méprisait...
    _ Ainsi sont les hommes...
    _ … Je n'aurais jamais cru ma mère si faible et fataliste.
    _ Et moi je ne t'ai pas élevé pour que tu sois si mièvre...

    Le corps se crispe. Les narines frémissent alors que les yeux ne sont que sècheresse.

    _ Je te déteste.
    _ Je croyais que je te manquais ?
    _ Oui... Il me manque ta présence... Il me manque de te revoir. D'avoir devant moi cette femme que je ne saurais reconnaître après vingt-cinq ans de fuite. Cette étrangère. Oui, j'aimerais te revoir, juste pour te prouver toute mon indifférence. Instiller dans ton regard tout ce "rien" qui m'habitera à ta vue... Je ne ressentirais ni joie, ni tristesse. Je n'aurai pour toi pas l'ombre d'un mépris. Car à mes yeux tu ne seras plus rien...
    _ Est-ce cela que tu veux aussi pour Lui ?
    _Non... Lui je l'hai-me.




    Quand la déraison sera vaincue et les songes laissés à leur place nocturne, le corps trouvera sa place habituelle devant ses lettres vierges. Il faudra trouver les mots avant de retrouver le muet. Et la plume se couchera d'une écriture hésitante et malhabile, indécise sur la ligne à tenir comme une bête mourante qui ne sait si elle doit geindre ou continuer à mordre. Tout comme Judas, elle ne sait pas mieux s'épancher que lui.

    Citation:
    Pourquoi, sera toujours le mot qui résume tout, tant qu'il n'obtiendra ni réponse ni conviction.

    Pourquoi, sera toujours ce que mes yeux demanderont quand je garderais mes silences. Des incompréhensions, des incohérences que j'ai toujours prises pour acquis et faits indiscutables sans jamais en chercher la raison. Des petits bouts de toi, hérissés comme des bris de verres. Des évènements et des défauts blessants que je n'ai jamais considérés, parce qu'ils étaient une part de toi... Et de toi, j'avais décidé de tout aimer. Mais désormais je ne sais plus où glisser les mains pour atteindre la chair sans m'entailler sur ton verre...

    Mes doigts saignent ces "Pourquoi" de ne plus réussir à éviter tes lames.

    Pourquoi ta morgue quand je portais ton enfant ?
    Pourquoi cette haine, ce jour où tu me l'as pris ?
    N'ai-je toujours été que le ventre, ne suis-je que des cuisses ?

    Pourquoi, les autres, pourquoi ne t'ai-je jamais suffis ?
    Pourquoi je n'arrive plus à discerner du vrai du faux entre tes mots...

    Pourquoi est-ce que je ne te comprends pas...


    Pourquoi est-ce que tu m'as dis "Je t'aime", cette aube là, à Petit Bolchen...



      S'il te plait… Parles-moi de mon fils...




Extrait de "La malédiction de l'anneau - Le chant de la Walkyrie" par Edouard Brasey que je recommande fortement aux amateurs de belle lecture et de mythes nordiques.
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Judas

    "On aime toujours ce qui ne nous revient pas. "
    - De Judas à Anaon - Poupée dopée t'es ma beauté.


    Et le muet était réapparu.
    Comme une corneille sur un gibet,
    une apparition redoutée.
    Le coi le plus bavard que Judas n'ait jamais connu...


L'attitude du seigneur était souvent la même. D'abord il feignait de ne pas l'avoir aperçu, avec cette application des yeux à ne pas buter sur le visage juvénile aux lèvres closes, vacant à son occupation interrompue... Puis il vérifiait furtivement, comme pour espérer qu'il avait mal vu ou que l'autre s'en était allé. Et lorsqu'il n'avait plus le choix d'ignorer les marques d'impatiences de son jeune messager, enfin, il acceptait de se tourner vers lui. C'était le moment où chaque expression, chaque mimique du faciès adolescent était décortiquée, interprétée, appréhendée. Comme s'il traduisait le contenu de message qu'il était venu remettre...

Qu'arrive- t-il? Judas et Anaon semblent renouer correspondance. Comme la surprise de voir les perce-neiges en fleur dans la persistance des longs mois d'hiver, la chose a un on ne sait quoi d'inattendu. Le souffle se retient, au fil de ces mots que l'on dirait fragiles sous leurs tournures si lourdes. Un point de trop ne pourrait-il pas rendre à l'état quasi néant ce renouement trop attendu? A une virgule près, à un ou deux lettres inverties, les choses peuvent elles revenir à la cruelle léthargie du froid, glacées...? Progression prudente, la réponse hésite, avant de se faire plus sûre d'elle.


Citation:
Il va bien. Il va bien et c'est toute la banalité que je pourrais te donner. J'aurais beau te raconter ses journées, te servir ses exploits, je ne parlerai jamais le langage maternel pour te raconter cet enfant. Car c'est le seul que tu veux entendre, et le seul véritable sans doute aucun. Il te parlera de lui mieux que je ne pourrais le faire, ce rejeton mi-breton, tu n'auras qu'à être à l'heure.

Ma morgue est née de ton absence et de tes retrouvailles, grosse d'une vie que j'imaginais n'être pas de moi. Ta Capitale absence, tous ces jours à Paris sans un mot. L'amertume finit par tuer jusqu'aux jeunes pousses de la vérité. Apres ces mois de disette, j'étais devenu stérile de toi, et même le rétablissement des choses n'aurait su le changer instantanément sur ton aveu. Toi qui connais la faim, tu sais combien après avoir été nourri de miettes s'attabler devant l'inespéré festin est une abomination. Tout est là, rien ne passe.

Il n'y avait pas de haine en cette naissance. Un simple constat, je ne peux me passer te toi, enracinée dans mon âme, ronce persistante... Pourtant je ne peux pas t'avoir. Je ne peux ni t'épouser, ni te faire descendance, je ne peux pas te donner mon bras dans la rue ou te mettre à l'abri du besoin après ma mort. Sauf dans l'officieux. L'officieux n'est-il pas ce que l'on réserve aux puterelles de sexte à none? Il faut que tu comprennes... Comprends que tu n'existe pas aux yeux du monde. De mon monde. Tu n'existe que pour moi, et que c'est là tout ce qui m'empêche d'être serein lorsque de toi nait un enfant que je ne peux pas élever dans les rangs les plus confortables. Et tu n'es pas une putain pour moi. Putain, tu n'es pas une putain pour moi...

Tu es ventre, cuisse, coeur, chair et damnation, tu es trop, souvent, pas assez parfois. Je n'arrive pas à te sortir de moi. Tu me révulse avec ta liberté, moi qui n'ai jamais que voulu que tu me la donnes. Je t'aime parce que tout l'univers a conspiré à me faire arriver jusqu'à toi, et je n'ai pas la clef de tous les pourquoi qui font ta serrure.

J.


    Et le muet avait disparu.
    Comme une bouteille jetée au lac,
    quelques points de suspensions redoutés.
    Qu'arrivait-il? Voilà que Judas devenait
    le plus coi des bavard que l'on n'ait jamais connu..
.

_________________
Anaon

    La lettre est tenue, entre ses doigts posés sur ses genoux croisés contre l'appui d'une fenêtre, où elle contemple Paris emmurée dans une chape de brume. L'hiver arrive, avec ses bises comme des coups de fouet, sa rudesse qui cristallise l'haleine de la Seine et les exhalaisons terrestres, et quand tous s'emmitouflent pour fuir sa froidure, l'Anaon est là, qui sort le bout nez, pour se laisser mordre la peau comme un moineau aux plumes gelées perché sur une branche de givre. Le froid, c'est un peu ce qui résume les derniers mois qui l'ont vu vivre. Pas le froid qui fait gercer les chairs, non, celui qui vient par dedans et glace les états d'âme, celui qui fige le temps et ne laisse de soit-même qu'une vaste plaine morte. L'impression que rien ne se passe malgré l'agitation et de n'avoir à la place du cœur qu'un bouquet de flétrissures. Anaon avait repris les méandres de sa quête primaire, certes, mais avec ce détestable sentiment de vide, comme si de ces dernières années qui l'avait vu aimer et enfanter, il ne restait plus rien, pas l'ombre d'un souvenir, comme une béance dans sa mémoire. La négation farouche de tout ce qu'elle avait pu y vivre, avec qui que soit, avec Judas surtout, comme si toutes les fibres de son être s'étaient mises d'accord à vouloir oublier et à ne plus se souvenir de ce qui les avait fait vibrer. Si son cerveau avait su effacer les années, en les cachant sous des monceaux d'indifférence, il n'avait su combler le vide en résultant. Il ne s'était pas récréer des souvenirs et n'avait pas réinventer ses joies.

    Les doigts froissent doucement un bout de la lettre. D'indifférence maintenant, il n'en est pourtant plus question et l'Anaon demeure dans l'expectative. Les lettres ont repris oui, avec la menace latente de se rompre à tout instant. Les yeux se baissent pour caresser le point épineux de la missive. Son mariage. Tout était parti de là. Le premier éclat, la première véritable algarade qui avait vu l'Anaon s'enfuir sur un quiproquo et qui avait ensuite pavée leurs retrouvailles de tous ces non-dit et ces zones d'ombres qui ne les empoisonnaient pourtant pas tant avant. La première chose aussi, qu'elle n'avait pas pardonné à Judas. Malgré toutes les excuses du monde, tous les arguments, toutes les convenances sociétale, rien de ce que pourrait lui avancer le seigneur ne lui serait recevable. Parce que par amour, Anaon avait toujours vécu au-delà des règles, que soit ce soit pour un homme ou un enfant, la mercenaire n'avait pour seule barrière que le contour de son affection et elle ne s'était jamais faite à l'idée que les autres ne vivent pas de même. Irrecevable aussi, parce qu'à vouloir appuyer leurs différences de rang, Judas brassait bien malgré lui les boues d'un passé où elle n'avait rien d'une roturière. Si l'Anaon avait eu la prétention en plus de la fierté, elle aurait pu claquer le bec du Seigneur plus d'une fois. Mais quoique pouvais en penser Judas, Anaon aussi, avait fait table-rase d'une part de son passé.

    Il y a tant de choses à dire, tant qu'il faudrait taire ou encore exhumer. Anaon si peu bavard doit encore sortir la plume. Elle a besoin des mots, autant qu'elle les exècre. C'est un jeu bien étrange auquel il joue maintenant. Un jeu qui n'est plus un jeu, sur un échiquier défoncé qu'ils ont niés pendant des mois. Les pieds osent s'y poser à nouveau, avec précaution et hésitation, sans plus respecter les cases, les pièces effondrées comme les pierres d'un cimetière. Où va-t-on encore...

    Citation:

    Ce jour-là, je n'ai pas voulu partir. Pas comme cela. Je voulais simplement m'éloigner, me faire à l'idée... Je ne voulais pas rester dans ton sillage, entendre parler de près ou de loin et par la multitude de ces bouches bavardes, de ce jour où tu as uni ta main à celle d'une autre. Tes noces ont été mes funérailles. Tu étais tellement beau ce jour-là... Et si je n'ai jamais sérieusement songé être un jour à la place de ta promise, j'avoue avoir jalousé que tout cela ne fut pas pour moi.

    Je ne voulais pas de ces longs mois d'hiver, je ne voulais pas tout ce silence. Je serais parti un temps. Le temps que le monde oublie que j'ai été à tes côtés, pour que tu fasses mariage honorable. Le temps que j'oublie, que j'ai pu y être et que je fasse le deuil de ces heures où l'on ne se cachait de rien. J'aurais voulu t'écrire... j'aurais voulu te dire avant tout autre que je portais la vie de toi. Et si tu ne l'avais pas voulu... Dieux, j'ai commencé à l'aimer, le jour où tu l'as aimé et parce que tu le voulais...

    C'était un devoir. Ma pénitence pour avoir denier cette vie que j'avais avorté ce mois de janvier. C'est devenu une raison de sourire quand tu as posé tes mains sur mon ventre, quand tu m'as écrit, quand tu l'attendais sans doute plus ardemment que moi. Je pouvais te donner quelque chose, quelque chose que seule ton épouse aurait dû faire. J'étais heureuse, puisque pour moi, comme tu ne me rejetais pas, comme tu ne le rejetais pas, c'est que tu étais heureux, aussi. J'étais fière peut-être. Ce fils, je l'avoue, avant de l'aimer pour être mien, je l'ai aimé à travers toi.

    Je l'aurais élevé. J'aurais pu l'élever. J'aurais pu lui donner bien plus que tu ne penses. Aux yeux du monde, il aurait été le fils de n'importe qui. Je n'aurais fait aucun ombrage sur ton union, aussi exécrable puisse-t-elle être à mes yeux. Tu l'aurais vu, si tu l'avais voulu. Je ne t'aurais pas privé de lui. A mon fils, j'aurais parler de son père comme j'ai pu l'aimer sans jamais voir ses travers. Et quand bien même, si tu avais quand même voulu me le pendre... Je te l'aurais laissé, sans ambages, si seulement tu avais su trouver les mots. Si j'avais été persuadé que tu ne le faisais que pour son unique bien. Si j'avais été persuadé que j'aurais pu le revoir. Si ta fille n'était pas morte, Judas, aurais-tu assumé un bâtard à la face du monde ? Je connais tes mots, leurs doubles sens et les tranchants voilés. Trompe le monde, mais ne prétends pas pouvoir te cacher à mes yeux.

    J'aurai pu te le céder...



    Ce jour-là, je serai à l'heure.


Musique : " Jane Seymour's Theme " ,The Tudors, Saison 3, de Trevor Morris
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