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Nouvelle version du RP, complète cette fois-ci.

[rp] Les vieux péchés ont de longues ombres (v1.2)

Umbra
- Dans ce bas monde, il y a des gens dont la présence dérange. Ces derniers ne devraient jamais naître et pourtant, ils sont bel et bien là. On cherche alors à étouffer leur existence de quelques manières quitte à payer le prix fort. Ce que le monde ignore, c’est que ces êtres n’ont rien demandés et ce que ces derniers ne savent pas, c’est qu’ils sont redoutés. Leurs apparitions peuvent briser des mariages, des familles, des alliances et réduire à néant les plus grands… -

[Le 12 Février 1445, au milieu des terres bretonnes]

C’était une nuit plutôt douce pour la saison malgré les flocons qui tombaient en abondance sur le hameau. Le village semblait endormi quand des bruits de sabots étouffés résonnèrent à travers les rues défoncées. Deux pur sang jaillirent soudainement à l’orée du patelin et s’enfoncèrent avec aisance à la lisière de la forêt bordant la bourgade. Leurs cavaliers drapés de noir tenaient un flambeau à la main afin d’éclairer leur chemin.

Tout le monde savait que derrière la densité d’arbres se cachait le logis de la dicte "Sorcière". Peu d’habitants osaient franchir le bois pour lui rendre visite : les plus téméraires étant les enfants curieux de la véracité des rumeurs qui courraient sur cette recluse. On racontait que plusieurs nuits par semaine, le "Cavalier Noir" frappait à sa porte: certaines versions supposaient que c’était un serviteur du Sans-Nom et d’autres affirmaient que c’était lui en personne. En tout cas, il finissait toujours par entrer et on percevait leurs rires démoniaques par delà les plaines. Si tous entendait le "Destrier des Ténèbres" traverser le village, personne ne savait quand il repartait. Là encore, l’imagination des badauds était débordante.

En vérité, par-delà la végétation résidait Rosa Corleone de la grande Famiglia1. Loin du brigandage qui faisait la renommée de sa lignée, la jeune femme s’était installée au fond de la Bretagne. Son isolement et son attrait pour la nature lui avait donné la réputation de "Sorcière".par les résidents du coin. Le mystérieux hussard, quant à lui, n’était autre que le richissime et détesté armateur Yves Lisreux. Ce dernier excellait dans l’art de masquer son identité aux yeux d’autrui quand il le souhaitait. Mouillé jusqu’aux coudes dans moult magouilles, il avait le don pour ne jamais se salir les mains ni entacher sa notoriété.

Cette nuit-là derrière leurs chaumière barricadées, les bretons attendirent le terrible passage de celui-ci avant de reprendre paisiblement leur soirée sans songer une seconde à ce qu’il se passait de l’autre coté de la pinède.

Les deux silhouettes descendirent de leur monture respective et les attachèrent au tronc d’un arbre nu. L’un des profils avait l’air d’être aussi svelte et élégant que l’autre paraissait imposant et grossier. Le plus petit –d’une taille raisonnable tout de même- frappa à l’huis de la maisonnée couverte de lierre tandis que l’autre restait en retrait dans son dos. La porte s’ouvrit et dans l’encadrement de cette dernière apparut une dame blonde comme les blés et aux iris ambrés. Son regard doré redessina l’ombre face à elle alors que ses lèvres charnues s’étirèrent en un large sourire :


Oh mi amo…s’exclama t-elle d’une voix teinté d’un fort accent italien avant de remarquer la seconde présence. C’est alors qu’elle baissa la tête et recula dans la salle afin de les laisser entrer. Son attitude se fit plus distante et son ton varia instinctivement, se faisant bien plus respectueux:

Buonasera signori…2 J’espère que le trajet fut agréable…

Le premier homme prit rapidement son aise et détacha sa cape de cuir, révélant une toilette luxueuse. Il jeta le vêtement sur la table au centre de la pièce avant de balayer celle-ci de son regard noir. Tout en restant sur le pas de la porte, le deuxième retira simplement sa capuche, dévoilant un faciès écrasé à l’air simplet surmonté d’une brosse rousse.

La "Sorcière", qui n’avait rien du physique caricatural que les campagnards lui attribuaient, dévisagea le colosse avant de reporter son attention sur le bourgeois devant la cheminée. Après avoir retiré ses gants, le Lisreux tendit ses mains vers les flammes avant de briser le silence pesant:


Rose, je te présente Albin, mon homme de main. C’est un homme de confiance en plus d’être muet.

A ces dires, la Corleone ne sut si cela devait la rassurer ou l’inquiéter davantage. Elle se rapprocha à son tour du feu et murmura :

Mais…Est-il au courant pour…enfin de… ?
Bien évidement , trancha-t-il presque sévèrement. L’Italienne se redressa donc et demanda poliment:

Puis-je vous servir un verre de chouchen, signori ?

Bien que le géant n’aurait surement pas refusé une goutte d’alcool pour se réchauffer du long voyage, le bourgeois répondit sèchement :

Non, merci Rose. Venons –en aux faits, il me reste bien des affaires à régler.

Le muet réprima une moue vexée quand son employeur se retourna vers son interlocutrice. Ses bottes, d’excellente facture, claquaient lentement les lattes de bois tandis qu’il contournait la table afin de faire le tour de l’unique pièce du logis. Ses yeux perçants détaillaient chaque objet rencontré et l’analysait, sans doute à la recherche d’indices. Un rictus fendit sa bouche quand son regard se posa sur la couche. Emmitouflé dans une couverture, un nouveau-né langé dormait innocemment. Avant qu’Yves ne se baisse pour l’observer de plus près, Rosa expliqua :

Voilà deux jours qu’elle est née…
- As-tu enfanté seule ?


L’intonation trahissait une certaine curiosité même si dans le fond, l’Armateur se fichait royalement des réponses comme son attitude détachée en témoignait.

- Si… 3
- As-tu crié en le mettant au monde?
- E una ragazzina, signore.4
- Parles donc en françois, Rose ! Je ne comprend rien à ton charabia.


Les ambres de la jeune femme fixèrent d’un air de reproche le brun dont l’attention était rivée sur l’enfançon.

Je vous disais que c’est une petite fille, signore.
- Comment l’as-tu nommé ?
- Ombeline.
- Hum…Excellent choix, Rose.


L’homme contempla un instant le nourrisson puis sortit de sa fascination tout en se relevant. Ce n’était pas son premier fruit mais celui-ci était défendu par les liens sacrés du mariage qui l’unissait à une autre.

- Portera-t-elle votre nom, signore ?
- Mon nom ? C’est une bâtarde, bien sûr que non, voyons…
- Ma…5
- Mais quoi ?
- C’est votre fille… Puis je n’ai pas les moyens de l’élever seule, signore. Elle sera comblée dans votre famille…
- Si tu n’es pas capable de l’éduquer, pourquoi l’as-tu mise au monde ?


Pour appuyer ses propos, le Lisreux lança un regard sévère en direction de la blonde, la défiant d’ajouter un mot de plus. La bouche lippue se pinça en signe de résignation et le bourgeois conclut par un bref :

- En ce cas, tue-la.

Les yeux de la Corleone s’écarquillèrent, s’imprégnant d’un profond désespoir et quand son corps lui permit à nouveau de s’exprimer, elle supplia :

- No, ve ne supplico, signore !6 Tout mais pas ça ! Ce n’est qu’une bambina7 ! Elle a tant à vivre, à découvrir…Je vous en prie, signore.

Yves ne semblait pas affecter par les jérémiades de l’italienne et les sanglots qui suivirent ses paroles l’irritèrent davantage.

- Une enfant ?! Un rejeton, oui ! Une bâtarde qui n’a pas la place en ce monde !

Le "Cavalier Noir" vociféra à en réveiller le bébé. Aux cris stridents de l’enfant, il éructa :

- Albin, fais la taire !

Le colosse, effacé jusqu’à présent, réagit à l’ordre et s’empara du nouveau-né tandis que sa mère, éplorée, agrippait le géant, l’implorant de le lâcher. Le roux l’écarta d’un geste de la main et sortit de la maisonnée avec le nourrisson.

-No ! No, signore ! Vous ne pouvez pas faire cela! C’est votre fille ! Elle se nomme Ombeline Lisreux quoi que vous décidiez !

En fureur, l’Armateur gifla Rosa pour la faire taire et se plaça dos à la porte afin qu’elle ne tente pas de retrouver Albin.

Dehors, le muet dévisageait le bébé qui brayait. Il essuya les larmes de l’enfant puis s’enfonça davantage dans les bois. Après quelques mètres, le nouveau-né s’était rendormi au creux des bras de l’homme de main.

Si ce dernier n’avait pas de voix, cela ne voulait pas dire qu’il n’avait pas de cœur. Au contraire, il était très sensible aux enfants sachant pertinemment qu’il n’en aurait jamais de descendance. Pour tout l’or du monde, ce mercenaire lassé ne tuerait pas la vie d’un innocent. A l’abri des regards indiscrets, il bâillonna à contre cœur le nourrisson et le glissa maladroitement dans la sacoche de sa monture. Pour plus de crédibilité, le colosse s’entailla même la jambe et se badigeonna les mains avec. La nuit, son employeur ne remarquerait surement pas la blessure.

Une fois que son plan semblait assez certain, il revint dans la maisonnée, ensanglanté et fit signe au brun que tout était réglé. La "Sorcière", en voyant l’état d’Albin, devint hystérique et se jeta sur lui en hurlant :


Assassino ! Perché?! Il Signore Dio ! No ! Assassino ! Ombeline ! Mia cara ! Assassino !!![b]8

Le Lisreux, excédé, fit signe discrètement au mercenaire de mettre un terme à toute cette agitation et le colosse exécuta. Il plaqua son énorme main sur la bouche de la jeune femme et l’égorgea rapidement, proprement.

[bAssas…


Tandis que le corps de la blonde gisait à terre baignant dans son propre sang, les deux hommes se rhabillèrent et remontèrent en selle comme si de rien n’était. Le bourgeois nota tout de même avec une pointe de cynisme et de condescendance envers son homme de main:

La bougresse n’avait pas si mal choisi le prénom du rejeton… Ombeline vient du latin "Umbra" qui veut dire "Ombre", assez ironique pour une bâtarde qui doit rester dans le secret, non ?

[Cara bella, cara mia bella!
Mia bambina, o ciel!
Ché la stimo...
Ché la stimo.
O cara mia, addio!]
9

1 Famille
2 Bonsoir messieurs
3 Oui
4 C'est une petite fille
5 Mais...
6 Non, je vous en supplie !
7 Fillette
8 Assassin ! Pourquoi ?! Seigneur Dieu ! Non ! Assassin ! Ombeline ! Ma chérie ! Assassin !!!
9 Chère belle, ma belle chérie!
Mon bébé, oh ciel!
Je l'estime ...
Je l'estime.
O ma chérie, adieu!

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Mode tamago pour quelques temps...
Umbra
Les deux hommes chevauchaient depuis un bon quart d’heure quand des pleurs étouffés s’entendirent, proches de leurs montures. Le "Cavalier Noir" arrêta son destrier et tendit l’oreille. De son côté, le muet feignait la surdité.

Des animaux sauvages rôderaient-ils dans les parages, Albin ? questionna l’Armateur d’un ton passablement agacé.

Mais à voir la mine pâle du colosse, le brun devina tout de suite l’entourloupe.

Sors cet enfant avant qu’il ne meurt asphyxié, bougre d’andouille ! grinça-t-il entre ses mâchoires crispées de rage.

Sans perdre plus de temps, le géant sortit le nouveau-né dans sa besace et retira le bâillon. Le nourrisson pleurait à coffre ouvert tandis que le roux plaquait affectueusement sa grosse main sur son visage afin de le calmer. Le Lisreux observait la scène, se contenant tant bien que mal pour ne pas s’emporter davantage.

Pourquoi ne l’as-tu pas tué, Albin ? C’était un ordre, il me semble… Si je te paie, c'est pour que tu m'obéisses.

Le ton était monocorde, glacé et le débit si calme qu’on devinait toute la fureur qui pouvait se terrer derrière tant de retenu. Le roux regarda le bourgeois et haussa les épaules, ne pouvant répondre à l’interrogation. Yves se détourna du mercenaire et inspira profondément.

Malgré l’emprise sur l’homme de main, le "Cavalier Noir" redoutait la force de ce dernier. Il était conscient que la rébellion du muet lui causerait une mort certaine, lente et douloureuse. L’Armateur avait su bien s’entourer grâce à sa richesse et son pouvoir de persuasion. Il manipulait aisément les plus dangereux, les plus avares, les meilleurs du pire par son éloquence. Pas pour rien qu’il avait eu pour amante une Corleone. Cependant derrière tout cet or et cette puissance, le brun ne valait rien en matière de violence. Il prit donc quelques instants pour examiner à la situation et chercher quelques solutions. Pendant ce temps, Albin veillait en bon père sur le sommeil de l’enfant.

Après un court moment de réflexion, le Lisreux demanda :


Tu veux garder ce bâtard ? Ce n'est même pas le tien...

Le muet haussa les épaules d’un air mitigé.

Tu n’as ni le temps ni les moyens de l’élever, tu le sais. Cet enfant est une erreur, un problème, un rejeton !

Le colosse fronça les sourcils en voyant le bourgeois s’énerver à nouveau. Ce dernier inspira lentement avant de reprendre plus calmement :

Il est hors de question que quiconque connaisse l’existence de ce rejeton. Il ne franchira pas les portes de la ville, tu entends ?

Le géant observait son employeur d’un regard froid, presque détaché. Quoi que propose Yves, le mercenaire avait décidé que l’enfant vivrait et rien ni personne ne s’opposerait à sa force…de conviction. Le "Cavalier Noir" soupira une énième fois puis il marmonna :

Fous-le dans un couvent loin de la Bretagne. Je prélèverai sur ton salaire de quoi faire un don conséquent chaque mois. Anonymement, bien sûr. Personne ne devra savoir qui elle est, tu comprends ? Raconte n’importe quoi…

Puis réalisant le paradoxe de ses paroles, l’Armateur se reprit :

Garde le silence tout simplement. Fais attention à ce qu’autrui ne t’aperçoive avec l’enfant.

Albin semblait satisfait de l’offre et sourit niaisement. Le brun insista une dernière fois :

Que cette bâtarde reste dans l’ombre à jamais. Que son existence soit un secret pour tous…Maudite Corleone !

Le Lisreux décrocha une bourse en cuir richement garnie de sa ceinture et la lança au colosse.

Emmène là au bout du royaume ! Qu’elle soit oubliée par le monde! Et que je ne te revois pas avant deux bons mois…

Sur ces dires, le bourgeois claqua le flanc de son pur sang et disparut dans la nuit.

Le muet resta un petit moment à fixer le bébé puis il se décida à partir dans la direction opposée. Comme convenu, il voyagea un mois et remonta le plus au possible au bout du royaume.

Près de Dunkerque, il trouva un couvent aristotélicien et y déposa le nouveau-né à contre-cœur. Le géant offrit ces derniers écus aux religieuses, promettant un don chaque mois jusqu’à sa seizième année.

La parole fut tenue et les Sœurs reçurent toutes les quatre semaines un généreux don anonyme venu de Bretagne…

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Mode tamago pour quelques temps...
Umbra
"Comment me nomme-je, Sœur Marie-Claire ?
- Voyons, ma fille, vous vous appelez Ombeline…
- Oui mais n’ai-je point de nom de famille ?
- … Avez-vous nettoyé le dortoir, Ombeline ?"

"Qui est mon père, Sœur Marie-Claire ?
- Comme chacun ici-bas, vous êtes l’enfant du Très-Haut, ma fille.
- Mais un père à la forme humaine ?
- L’Homme a été créé à l’image du Tout-Puissant, ma chère.
- Et une mère ? Ai-je une mère ?
- …
- Est-ce vous, Sœur Marie-Claire ? Ou une autre sœur peut-être ?
-… Allez aider Sœur Clémence au potager, Ombeline."


Tant d’interrogations sans la moindre réponse depuis si longtemps…

"Je me nomme Ombeline, simplement Ombeline. Le Seigneur est mon père, je le partage avec chacun d’entre vous, Aristotéliciens. Autant dire qu’il n’est pas le mien à proprement dit, n’est-ce pas ? J’ai pour mère, la mère supérieure du couvent qui m’a accueillit à ma naissance. Je ne possède ni les traits ni les postures de mes parents. Je ne ressemble à rien car dans le fond, je ne suis personne…"

Accompagné d’un soupir, tel était le discours que la demoiselle répétait à chaque fois qu’elle croisait son reflet. Nourrie, logée et éduquée aux valeurs aristotéliciennes parmi les religieuses, la jeune fille rumina pendant moult ans, maintes doutes quant à son identité.

Les nonnes n’avaient pas fait vœux de silence pourtant leurs paroles étaient remplies de tabous et de non-dits. Cloitrée depuis son arrivée, la brunette ne connaissait que peu de choses du monde extérieur. Elle commença à découvrir réellement son environnement lors de sa quatorzième année, lorsque les Sœurs l’emmenèrent avec elles au marché de Dunkerque. C’est d’ailleurs là-bas, entre l’étalage d’un maraîcher et celui d’un poissonnier, qu’Ombeline entendit pour la première fois le mot "maman". Au grand dam des religieuses qui essuyèrent par la suite une nuée de questions sur le terme.

Plus l’enfant grandissait et plus, elle paraissait curieuse. Ses yeux et ses oreilles semblaient toujours aux aguets mais les nonnes restaient sur leurs gardes et le trop peu d’informations poussa la demoiselle à abandonner ses recherches. Elle finit par se résigner à n’être "Rien, la fille de Personne". Ce profond trouble d’identité provoqua chez l’adolescente un dégoût face à la religion. Que penser d’un père absent et d’une mère silencieuse ? Comment se forger une image à soi, un caractère si le modèle n’est que néant ?

A force, cette aversion se trahissait par un certain détachement de tout. Bientôt, son regard se glaça, son sourire se déforma en un rictus amer et sa bouche ne s’ouvrait que très rarement, par nécessité. Cadavérique, Ombeline n’était qu’une ombre. L’ombre d’une vie cachée, prisonnière de lourds secrets dont elle-même ne soupçonnait à peine le poids.

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Mode tamago pour quelques temps...
.opaline.
Tu n'es encore qu'un dôme luminescent lorsqu'elle te voit pour la première fois. Elle ne parle pas encore et commence juste à prendre conscience qu'il existe autre chose que les bras nourriciers lorsqu'enfin elle pose ses grands yeux noirs sur toi.

Tu devines sur l'ovale de son visage pâle une esquisse de sourire et sais que c'est à toi qu'il est adressé. Les autres d'ailleurs, n'en profiteront que quelques semaines plus tard après une bonne demi heure de grimaces en tout genre. Mais là encore tu étais dans le coin.

Les premières années de ton éxistence marquaient aussi les siennes. Terriblement ennuyeuses. Les jours se succédaient, laissant inlassabement place aux nuits que tu aimais tant. Tu rôdais autour de son berceau comme l'aurait fait une louve autour de son petit. Ta réalité, ton existence même résidait dans cette présence quasi quotidienne autour d'elle.
Tu épiais ses faits et gestes et appréciaient leurs précisions. Tu te félicitais de chacun de ses progrès en sachant que c'est à toi qu'ils seraient bénéfiques. Que sa force ferait la tienne. Que ses colères te forgeaient. Que son caractère affirmé ne te rendrait que plus réelle.

Vous ne vous êtes pas choisi, l'inconscient l'a fait pour vous. Les choses auraient sûrement été différentes si elle n'avait pas de prédispositions.

Tu l'aimes autant que tu la détestes. Tu peux t'émerveiller de tant de douceurs comme rire de ses malheurs, n'est ce pas ce qui lie deux soeurs?


Umbra est ce qu'on appelle une orpheline. De mère et de père. Une pupille du Royaume, un bien joli mot pour désigner un enfant dont le futur est aussi sombre que le présageait son passé.

Tu es, toi, l'enfant discret. L'enfant que personne ne regarde. A qui personne ne parle. Tu ne comprends pas, tu as attéri ici et ne sait pas quel sens donner à ta vie. Tu restes dans ton coin, comme invisible. Tu aimes la discrétion. La pudeur est ta maison, mais ta vie va changer et tu ne le sais pas encore.

Elle n'a pas quatre ans lorsqu'elle t'adresse la parole pour la première fois. Tu t'en étonnes. Aussi solitaire qu'elle tu n'avais jamais envisagé autre chose qu'un regard. Tu prends acte de ta naissance ce matin d'hiver. Jamais auparavant, ses prunelles ne t'avaient fixées avec une telle intensité, puis enfin sa voix s'est fait entendre dans cette grande pièce sombre. Tu es restée muette, feignant de ne pas comprendre. De ne pas voir. De ne pas exister. Complètement figée par ses grands yeux sombres innondant de colère.

Il a fallu vous apprivoiser pourtant. Umbra quittant l'innocence de la petite enfance pour rejoindre celui de l'enfance. Les disputes entre gosses te terrorisent et tu restes en retrait. C'est toujours Elle qui vient te trouver. Tu sais qu'elle est en colère, tu le sens, et pourtant il faudra quelques années pour qu'enfin un son sorte de ta bouche...
Vous devenez complice, à l'abris de toutes agitations vous échangez des regards bien plus causants que des mots.

Jusqu'à cette colère plus affirmée que les autres.
Jusqu'à ce que tu penses fort à la venger.
Jusqu'à ce que sous tes yeux, elle se fasse vengeance seule.

Alors tu comprennes ta puissance, et plus rien ne sera jamais pareil.
Moran
Implacable vérité. La voix du Paternel résonne encore à l’oreille du Lisreux, souvenir d’une dispute entre père et fils à la suite d’une révélation du plus vieux. La demeure bretonne a vibré de leur colère, les voix se heurtant violement sous les supplications hystériques de sa mère, cette femme humiliée une fois de plus par les actes d’un époux intenable. Les faits ont été dévoilés par un domestique trop bavard que Moran a surpris tandis qu’il s’évertuait à salir son nom à coup de commérages immondes. Le bougre s’en était sorti roué de coups mais en vie, car n’est pas né le jour où Moran deviendra meurtrier. Il craint bien trop les représailles de Dieu pour en déclencher la colère... et ce, malgré ses propres frasques déjà bien difficiles à réparer.
La scène est vive dans son crâne et il tente d’en atténuer la force en y posant une pression de l’index, tandis qu’il avance vers ce couvent près de Dunkerque, qu’il imagine retenir la honte de sa famille. Il se rappelle avoir empêché la gifle qui allait s’abattre sur la joue maternelle, quand elle pleurait de desespoir et incendiait le Patriarche « Dios Mio ! Tengo vergüenza ! Porque no me quieres como yo te quiero ! Ah.. tengo un esposo tonto ! »*. Mais la colère d’une femme bafouée n’aura jamais grande valeur aux yeux d’un homme tel qu’Yves Lisreux. Celui-ci avait préféré la parole bien plus estimable de son fils, dont la fureur avait fait exploser les veinules de ses yeux sombres.


Une bâtarde ! La fierté de notre nom ne vous inspire donc plus aucune valeur Père. Nous ne devrions pas subir les conséquences de vos coups de reins, aussi agiles soient-ils ! Regardez dans quel état vous mettez notre mère ! Lastèle et Zoé ne sauront être évincées par cette fille de putain que l’on ose nommer « fille Lisreux » dans les couloirs ! Moi vivant, cette boiteuse ne sera jamais des nôtres, que le Très-Haut m’en soit témoin.

Avait-il craché au visage du père avant de s’adoucir devant celle qui l’avait mis au monde. La main vint relever le menton de cette dame aux rides marquées par les chagrins récurrents. Il était conscient d’avoir participé à certains d’entre eux, l’envoie de Zoé au couvent entre autres… mais cette femme aux allures de soumises, semblait dotée d’une force inépuisable et c’est bien ce qui le rendait fier. Aussi la releva-t-il en séchant ses larmes d’une caresse du pouce.

Mama**...ne soyez pas triste, cette usurpatrice n’a pas l’étoffe ni l’élégance que nous avons reçu de votre sang. Mama**… ne pleurez pas, vous êtes plus forte que ça. Je ne vous dis pas Adieux, mais Hasta pronto***. Quand j’estimerai que le pardon sera de mise.

Il l’avait embrassée et était parti, sans un regard pour son géniteur dont il avait pourtant hérité son goût pour les femmes. C’est dans ce capharnaüm mental que le Grand franchit les portes du couvent, remerciant d’un signe de tête distrait, la pauvre sœur qui se démène pour trottiner à la même allure que sa monture. Il annonce finalement le but de sa présence : voir la Mère Supérieure, afin de parler d’une certaine Ombeline. L’ibère suit donc la nonette, ne donnant que quelques réponses polies mais brèves aux tentatives de conversations de la pieuse guide, alors que le claquement pressé de ses bottes annonce d’ors et déjà le ton de sa visite. La Matriarche ne semble même pas surprise de le voir, certainement habituée à ce genre de secrets de famille, rémunérant rondement ses coffres ventrus. On l'abandonne devant la porte d’une cellule, puisqu'il a négocié une entrevue privée, et il finit par entrer sans plus de manières.
Moran est peut être doué en ronds de jambes, mais il voit mal comment il peut nier son lien de parenté avec la jeune femme qui se tient devant lui. La même chevelure sombre, l’onyx vif qui pare le minois d’une lueur d’arrogance, le teint hâlé, cette moue fâchée qui amincie les lèvres de la Noiraude. A coup sûr, elle a bien hérité du gêne Lisreux, ce qui ne fait que raviver l’orgueil de l’homme.

Ah décidément, même avec une catin, mon père sait se débrouiller pour refourguer son héritage ! Bonjour Ombeline. Je suis Moran Lisreux, ton frère mais j’aimerais autant que tu ne t’appuies pas trop sur ce détail.

*Mon Dieu ! J'ai honte ! Pourquoi ne m'aimes tu pas, comme je t'aime ! Ah...j'ai un époux stupide.

**Maman

*** A bientôt

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Umbra
"Un nouveau pli de Bretagne, ma Mère.
- Encore un, Sœur Marie-Claire ? Montrez-le moi, je vous prie…"


Après quelques minutes de silence, la supérieure reprit :

"Mais qui donc est cet enfant à la fin ? Serait-elle de sang bleu pour la cacher de la sorte ?
- Je ne saurai vous dire, ma Mère…Quoi qu’il en soit, il nous faudrait des réponses rapidement, la petite passe son temps à poser des questions sur ses origines. Nous ne pouvons lui mentir ad vitam eternam…"


Voilà la bride de conversation des religieuses qu’Ombeline surprit, une matinée d’été, alors qu’elle finissait sa prière matinale. De quoi éveiller doutes et soupçons sans parler de la tonne de questions soulevées dans l’esprit juvénile. La jeune fille, aussi discrète et effacée qu’une ombre, retourna au dortoir, la tête bourdonnante d’interrogations.

Comme à chaque colère noire, depuis la prise de sa conscience vers trois ans, elle savait qu’elle retrouverait Opaline dans sa cellule. Cette dernière était comme sa sœur, son double. Quand tout allait mal dans la caboche enfantine, c’est Opaline qui reprenait les rênes pour l’apaiser ou la blesser davantage. Cependant, l’adolescente ne se plaignait aucunement de sa présence. Inconsciemment, elle ne parlait jamais de son Alter Ego en public…

Assise au bord de sa couche non loin d’Opaline, la brune tenta de récapituler les informations apprises et de les sonder.

Premièrement, la Bretagne : Ombeline en avait déjà entendu parler lors de ses études. C’était un duché à l’Est du Domaine Royal connu pour ses multiples guerres et rébellions ainsi que ses nombreux païens et hérétiques. Pourquoi des missives en provenance de ces terres impies parlaient-elles de sa personne ? Aurait-elle de la famille là-bas ? En tout cas, il devait certainement avoir quelqu’un qui connaissait son existence.

Deuxièmement, le sang bleu : la jeune fille releva sa manche droite et observa attentivement son poignet. De fins ruisseaux bleutés se dessinaient sous la peau livide. Les nonnes avaient-elles raison ? Comme à chaque hésitation, elle releva ses iris de jais vers Elle, adossée contre le mur de la cellule, attendant son probation. Les deux sœurs avaient rarement besoin de discuter dans ces moments là. Un simple rictus ou une œillade insolente et les voilà sur la même longueur d’ondes. Étrangement, les traits se déformaient de la même manière semblable un toc héréditaire. Bien qu’elles fussent si différentes physiquement, l’une aussi blonde que l’autre est brune. L’une aussi belle que l’autre est moche…Il y a des tares génétiques qui ne trompent pas.


"Sœur Marie-Claire ?
- Oui, ma Mère ?
- Allez donc chercher Ombeline… Nous allons lui parler.
- Je me dépêche, ma Mère."


Pendant ce temps-là, dans le dortoir, sous le regard moqueur de son Alter Ego, Ombeline avait brisé un miroir et s’emparait d’un de ces fragments. Ses yeux charbonneux s’accrochèrent aux mille morceaux qu’était devenu son reflet et l’impression de voir son âme fut si présente qu’elle eut un haut le cœur. Oui, l’esprit de la jeune fille était fissuré comme cette plaque à terre. Elle n’était que des petits bouts de silences, de peurs et de mensonges, maintenus dans une carcasse squelettique et si celle-ci venait à faillir, voilà ce qu’il resterait d’elle : rien que les bris d’une existence secrète.

Consciencieusement, la pointe aiguisée trancha la fine chair blafarde laissant derrière son passage une profonde entaille et un épais filet vermillon. Le liquide giclait au rythme des battements de son cœur quand la Sœur entra dans la pièce :


"Ombeline ? Ombeline ! Seigneur ! Que se passe-t-il ?!"

Le temps de se précipiter à son chevet que l’adolescente sentit son corps s’engourdir. Le morceau de miroir glissa de sa senestre tandis que son regard luttait pour rester ouvert. La religieuse, paniquée, agrippa le drap et le pressa contre la plaie.

"Sœur Marie-Claire…Je n’ai pas le sang bleu…Qui suis-je alo…"

La brune n’eut pas le temps de finir sa phrase que ses forces la quittèrent.

Alitée sous la croix aristotélicienne, Ombeline se réveilla quelques heures plus tard aux côtés de la Mère supérieure. Un bandage sanglait son poignet et emprisonnait sa dextre.


"Pourquoi un tel acte, ma fille ? demanda-t-elle encore sous le choc.
- Mon sang n’est pas bleu comme vous le pensiez, ma Mère…Il est roug…
- Ne dites pas de sottises, Ombeline. Où avez-vous trouvé de telles idées ?
- Je vous ai entendu parler ce matin avec Sœur Marie-Claire, ma Mère. Vous-même ne connaissez pas mes parents, n’est ce pas ? Ainsi…Je suis la fille de person…
- Vous vous trompez, Ombeline. Vous êtes l’enfant de Notre Père."


Ne supportant plus ce genre de discours, la jeune fille feignit d’être fatiguée pour clore la conversation qui n’aboutirait nulle part.

"Nous en reparlerons plus tard, mon enfant. Pour le moment, il est préférable que vous vous reposiez quelques jours. Sœur Marie-Claire restera à votre chevet. Que le Très-Haut vous garde, ma fille."

La nonne posa le Livre des Vertus sur les jambes de l'adolescente avant de se signer et de repartir. Le regard haineux de la brune se posa sur le saint-livre avant que d’un coup de genou, elle fasse chavirer ce dernier à terre…

[Un an et quelques mois plus tard…]

Posée sur son lit, les jambes battant le vide, Ombeline comblait sa solitude en présence d'Opaline. Elle passait la plupart de ses journées en sa compagnie, isolée dans sa cellule. Lorsque l’heure des visites des pensionnaires approchaient, la jeune fille allait se cloitrer dans ses quartiers, sachant que personne ne viendrait la voir. De longues années, elle avait espéré une rencontre, guettant la moindre missive, le moindre mot de la part d’un inconnu mais tous l’ignorait. Toutes les demoiselles du couvent recevait plus ou moins régulièrement quelque chose de l’extérieur, un avant-gout de leur liberté prochaine. L'adolescente, elle, se demandait quand elle quitterait cet enfer. Comme d’habitude, lorsqu’elles entendaient des bruits résonner dans le couloir, les sœurs se taisaient. Elles ne voulaient pas attirer l’attention sur leurs existences respectives, se contentant de l’importance qu’elles se renvoyaient mutuellement. L’une n’existait pas sans l’autre et vice-versa, à elles deux, elles se suffisaient amplement pour vivre. Autrui n’avait pas sa place dans leur monde.

Ce jour-là, les pas se stoppèrent devant le seuil de sa cellule. Normalement, les religieuses auraient frappé avant d’ouvrir l’huis mais cette journée n’était pas quotidienne. Un homme entra dans la chambre de la brune, qui sursauta à l’apparition inopinée. Elle se leva d’un bond pour lui faire face tandis qu’il rompit le silence religieux aussi vite qu’il fit irruption dans sa vie. L’apparence de cet inconnu lui semblait si familière. Ombeline aurait pu deviner la texture de sa chevelure sans même glisser la main dedans. Elle reconnaissait aussi ce regard ténébreux, c’est d’ailleurs avec le même qu’elle le dévisageait. L’aura d’insolence qu’elle dégageait se choquait avec celle du visiteur. Moran n’avait pas besoin de parler, la jeune fille avait l’ultime réponse de son calvaire devant les yeux. Son cœur manqua un battement à cette conclusion. Son existence prenait tout à coup un virage à cent à l’heure, lui donnant le vertige par la même occasion. Tout le bonheur de savoir que nous existons quelque part, pour quelqu’un. Toute la haine de comprendre que nous ne comptons pas pour ces personnes. Ces extrêmes là si intenses neutralisèrent l'adolescente. Elle avait tant à hurler, tant à pleurer, tant à maudir, tant à sourire, tant à rire, tant à aimer. Depuis sa naissance, la brune avait refoulé tant de choses en Elles, qu’aujourd’hui, au moment fatidique, elle n’avait plus rien à dire. Au fur et mesure, Ombeline avait enterré toutes ses émotions aux tréfonds de son âme. Avec le temps, elle s’était créée une carapace si dure, un masque si froid, que tout la rendait impassible. Tout jusqu’à l’effondrement de Soi. La jeune fille observa un long moment le Lisreux avant de répondre avec amertume.


Moran Lisreux...Que de familiarité pour une première rencontre. Que me vaut cette visite impromptue ? Un mariage ? Un baptême ? Ou peut-être un enterrement ?

Le ton utilisé était cynique, son arme exclusive. Sa seule défense contre le silence de tombe. Son unique rempart contre la soudaine vie qu’on lui insufflait sans son accord.
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Mode tamago pour quelques temps...
.opaline.
La solitude de cette journée te pesait. Tu ne pouvais expliquer pourquoi, dès l'aurore, tu avais eu le pressentiment que ce jour ne serait pas comme les autres. Seule tu angoissais, admirant le calme et la sagesse d'Ombeline. Tes yeux la détaille, elle, la brune. Elle et son regard sombre, elle et ses cheveux de jais. Elle et sa peau d'opale, Elle... Et son poignet marqué.


Tu te souviens parfaitement de l'incident.
La journée était calme et tu savais que la conversation qu'elle avait surpris ne la laisserait pas de glace. Tu avais entendu les mêmes mots qu'elle et tu avais sourit. Simplement sourit. Elle si calme l'instant d'avant, était soudain entrée dans une colère noire. Tu regardais Ombeline sombrer dans sa fureur. Mais surtout, tu sentais monter en toi la sève de la vie.
Tu n'avais eu besoin que d'un regard pour qu'elle soulève sa manche. Un rictus déformait déjà ton visage et tes yeux la défiait. Tu n'avais rien dit. Simplement attendu que l'idée fasse son chemin, alors que ton regard valsait du miroir à son poignet.
Et comme tu l'avais souhaité, c'est bientôt en mille éclats que se reflétait la faible lueur du jour.
Tu t'es approché, le regard se faisant plus doux. Tu faisais tes gammes. Ombeline n'était que la feuillet où, dans sa colère, tu pouvais dessiner tes notes, vous le saviez, l'une comme l'autre.

C'était la première fois que tu la touchais, et tu n'avais jamais pensé lui faire du mal. Elle était ta soeur. Ton autre. Elle était toi aussi, un peu. Pourtant alors que ta main se referme sur l'un des éclats de verre, tu ne peux que soupirer. D'aise. De plaisir. Un plaisir malsain qui ne fera que grandir avec le temps. Lui faire du mal. Il faut tomber pour se relever, alors il faudra qu'elle souffre pour avancer. Elle ne pourra rester indéfiniment dans son ignorance.

Et tu la pousses dans ses retranchements, au fur et à mesure que l'éclat s'enfonce sur son poignet, lacérant derme et épiderme pour enfin entailler les veines. Le liquide carmin glissant sur le sol vous apporte délivrance et tu comprends dans son regard vitreux que votre communion ne fait que commencer.

Soeurs. De Sang. Envers et contre tout.



[Vivons le présent.]


Des pas devant votre chambrée te sortent de ta rêverie. Tu ne sursautes pas. Un battement de cils plus rapide que les autres, tout au plus. Tu es habituée aux allées et venues des soeurs et t’apprête à subir l'un des nombreux psaumes que connait ton autre. Un soupir se garde alors que tu cherches du regard le Saint Livre, celui même qui chavire subitement lorsqu'il est entre tes mains.
Et tes yeux clairs tombent sur l'entrant.

Tu sais. Qui il est. Ce qu'il vient faire ici. Ce qu'il s'apprête à dire. Tu sais qu'il est celui qui t'angoissait depuis le lever du jour. Et sa présence te dérange.
Tes mâchoires se crispent et ton visage se fige dans une moue angoissante. Tu guettes. Ses faits. Ses gestes. Ses cheveux, les mêmes que ton autre. Tu sens monter en toi la rage qui t'as si souvent valu des punitions. Des mises en quarantaine.
Oui, tu sais.
Pourtant lentement tu te lèves et retourne dans l'ombre.

Et c'est du coin de la pièce, la fureur s'amplifiant, que tu fermes les yeux. Tu n'abandonnes pas, et tes pensées sont dirigées vers Ombeline. Pour qu'elle te pardonne. De ne pas parler. De ne pas agir. De ne pas tuer cet homme qui s'apprête à la voler. A te la voler. Car tu le sais désormais, ce lien qui vous unie est plus fort que tous les autres mais surtout... Elle t'appartient.

Tu ne feras rien.
Car ce combat n'est pas le tien.
Moran
Tellement obnubilé par Ombeline, Moran ne remarque même pas l'étrange lueur dans la pupille de celle ci, qui lui voue secrètement, les pensées les plus mauvaises qu'il soit. Le regard perce la brune bâtarde, la disloque, la défragmente, tente de comprendre comment elle est faite, comment elle peut lui ressembler autant en n'étant qu'une demie Lisreux. Ça le dérange, il replie sa lèvre en une moue de dégoût, laisse couler son observation sur la pièce dépourvue de personnalité pour s'arrêter une seconde sur les effets personnels de la jeune femme.
Puis il y a la voix qui s'élève, une voix qui se rapproche de celle de l'aînée rousse. Un timbre posé qui même sans avoir le même accent, est familier à l'oreille du brun. Les onyx reviennent à la source du son et il remonte sa main contre sa joue, massant sa propre cicatrice dans un geste de nervosité contenue.


Fichtre. Tu as même appris à parler. Elles savent en faire des choses les nonnes.

L'orgueil piqué au vif, ça saccage fort dans la caboche espagnole. Intolérant au possible, incapable d'aller au delà des préjugés dans lesquels il s'est endoctriné, il prône l'honneur familial pour excuser la cruauté envers son propre sang. L'accent ibérique revient teinter ses phrases, comme à chaque fois qu'il se laisse surprendre par ses propres émotions. L’essor de sa fierté, n'a d'égale que celle de ses sœurs. Il ne fera aucune fleur à cette illégitime, engendrée dans le péché, humiliant sa propre mère qu'il vénère. Il ne sera pas dit que la maman de l'espagnol sera rabaissée pour les beaux yeux d'Ombeline !

Je venais vérifier de mes propres yeux, les conséquences de la faiblesse des hommes. L'un pour avoir engrossé ta génitrice. L'autre pour t'avoir épargnée. Tu es née pour causer des problèmes et je sens déjà à ton insolence, que t'es pas prête de t'arrêter là.

Les pupilles glissent, arrogantes billes pleines de rancœur qui découvrent et détaillent chaque parcelle visible du corps d'Umbra. Aucun vice ne les habite, juste de la curiosité, comme si l'on découvre un objet qu'on sait nous appartenir, sans pourtant l'avoir déjà vu. C'est un sentiment similaire, qui s'immisce chez le Grand, accentuant sa maussaderie qu'il compense par un sourire narquois. La vacherie fuse une fois de plus, système d'auto-défense assez rôdé chez le Lisreux.

Mui. Pour ce qu'il en est sorti.. ils auraient pu s'abstenir.
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Umbra
Figée sur place, Ombeline dévisagea l’homme face à elle. De quel droit s’immisçait-il dans sa vie de la sorte ? De quel droit imposait-il cette soudaine bride d’existence ? De quel droit remaniait-il jusqu’à sa naissance alors qu’elle venait à peine de se faire une raison de son abandon? Le droit du sang… Sous la peau livide de la jeune fille coulait le même filet carmin que sous le cuir ibérique.

Mensonge !

Et voilà que la colère reprenait le dessus sur l’adolescente.

Ce n’est pas notre frère, n’est-ce pas ?

Lentement, les iris de jais se détournèrent de leurs semblables pour fixer l’angle de la cellule. Quelque part dans ce coin vide se trouvait son réconfort. Quelque part dans le recoin de sa tête, Elle veillait. Opaline observait la scène sans pouvoir agir tandis que son hôte ne cherchait qu’à fuir.

A toi de savoir, Ombeline… Ouvre-lui les veines et regarde ! Trouve tes réponses, maintenant !

Les poings de l’adolescente se crispèrent, prête à bondir à l’ordre de son Alter-Ego, mais la voix rauque de l’ainé arrêta net son élan, si bien que sa carcasse ne bougea pas d’un millimètre.

Fichtre. Tu as même appris à parler. Elles savent en faire des choses les nonnes.

Le sarcasme aussi devait être un trait de famille puisque l’un et l’autre en usaient et en abusaient. Que répondre à un tel jugement hâtif, peut-être lui rappeler son âge ? Lui faire comprendre que les péchés de leur père avaient de longues ombres ? Tant d’idées se choquaient dans l’esprit adolescent, tant de sentiments cognaient dans le cœur juvénile, tant de sensations se heurtaient à la carcasse enfantine. Un surplus de tout, un excès de rien…

Je venais vérifier de mes propres yeux, les conséquences de la faiblesse des hommes. L'un pour avoir engrossé ta génitrice. L'autre pour t'avoir épargnée. Tu es née pour causer des problèmes et je sens déjà à ton insolence, que t'es pas prête de t'arrêter là.

Étrangement, ces propos sur ses soi-disant parents ne l’émurent guère. Que pouvait-elle ressentir pour ses géniteurs ? De l’amour ? De la haine ? Non, simplement du détachement. Moran aurait pu injurier le Pape que ça lui aurait fait le même effet. Quelques instants plus tôt, la Noiraude ignorait encore l’existence de ses reproducteurs, le Lisreux pensait-il qu’il suffisait de faire référence à eux pour toucher la Bâtarde ? C’était mal la connaitre. Dans sa caboche détraquée, ils n’existaient toujours pas et ce, jusqu’au jour où elle leur ferait face. La seule personne dans ce bas monde qui lui importait, c’était elle. Elle et son reflet. Elle et son orgueil. Fierté mal placée qui fut atteinte de plein fouet dans la suite du monologue. Le brun n’avait pas tort sur un point maintenant qu’il lui avait accordé un soupçon d’importance, qu’il avait laissé une brèche dans l’indifférence qu’on lui vouait, la Boiteuse allait gratter, effriter ce mur de silence oppressant jusqu’à se frayer un chemin vers la sortie. Ombeline allait fuir cette négligence, sortir de l’ombre qu’on lui avait imposé et…Non, elle ne s’arrêterait pas là.

A l’identique de son Autre, un rictus malsain fendit sa bouche mais qui, à cet instant, songeait à cet avenir vermeilleux* ? De qui découlait la folie et laquelle en héritait l’aliénation ? Leurs liens étaient plus étroits que ceux qui la liaient à l’Ibère. Le sang… Rien qu’un liquide qu’une plaie saurait déverser mais l’âme, qui pourrait la scinder ? De légers spasmes ébrouaient le corps d’Ombeline devant le regard insistant de son frère.


Mui. Pour ce qu'il en est sorti.. ils auraient pu s'abstenir.

Un rire nerveux résonna dans la chambrée. Le premier depuis des lustres, des éclats de voix brisé, rien d’amusant mais quelque chose de terrifiant. La carcasse s’agita frénétiquement lors de cette hilarité soudaine. Essuyant une larme due au fou-rire perlant au coin de son œil gauche, la jeune fille reprit contenance en inspirant longuement. D’un ton beaucoup plus moins drôle, comme si de rien n’était, elle répondit :

Comme tu pourrais t’abstenir de ce genre de propos. Qui es-tu pour juger, grand frère ? Ta curiosité a du être profondément touchée pour te déplacer de Bretagne jusqu’ici… Non, j’ai du mal à te croire, Moran. Parcourir tant de lieues dans l’unique but de venir me dévisager, c’est un peu dur à avaler ?

Avec le même regard accusateur que lui, l’adolescente observait son ainé. Elle le défia sans crainte. en somme, qu’avait-elle à perdre à part la vie qu’il lui avait avouée quelques minutes auparavant ? La Noiraude se redressa légèrement pour pallier à sa petite taille. La même allure hautaine, ils n’étaient décidément pas frangin pour rien. Le sourire moqueur toujours en coin, la Bâtarde reprit d’une inflexion doucereuse :

Lisreux…Mon engeance t’effraie-t-elle à ce point ? Mon existence fait tâche sur le portrait de famille, n’est-ce pas ? Je suis l’ombre sur le tableau doré. La mauvaise graine fécondée...

Un infime gloussement rompit l’intonation mielleuse avant qu’elle ne reprenne plus assurément de vive voix :

La boiteuse ! Le rejeton ! La bâtarde Lisreux ! La tâche qui encrasse l’immaculé ! Je suis ton cauchemar, avoue-le ! Alors, Moran ! Dis-moi, que viens-tu faire ici ?! Tu viens nettoyer le linge sale de ton père ?!

Petit à petit, la phonation se fit de plus en plus violente jusqu’à s’époumoner sur les dernières paroles. Le regard écarquillé d’horreur, la respiration haletante et le cœur battant dans les tempes. La vie est un tel tourment… A cet instant, Ombeline se sentit comme le nouveau-né qui inspire sa première bouffée d’oxygène, celle qui lui ravage les poumons, qui l’enchaine au bas monde. Cette ultime inspiration qui le rendra accro à la vie jusqu’à son dernier soupir. Miséricorde que ça fait mal ! Ce hurlement suraigu n’est autre que son désespoir car dans son inconscience, il sait que son calvaire ne fait que commencer et elle, elle éructe tout son mal de vivre. La jeune fille rejette cette existence, cette souffrance. Elle se consume de l’intérieur, ses bronches sont un brasier ardent, l’enfer ne fait que débuter…

* vermeil => merveilleux => vermeilleux

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