[RP fermé] Nos hématomes crochus qui nous sauvent (*)

Alphonse_tabouret

( Noir Désir, les Écorchés)

Sortant d’une taverne pour retrouver l’air nocturne de Paris, Alphonse soustrayant mentalement l’argent qu’il avait dû dépenser dans cette chasse aux informations qu’il avait ouverte pour l’un des contrats de la Maison Basse et repassant quelques-unes des confidences faites dans l’une des arrière salles de local , s’engageait sur le chemin le menant à l’Aphrodite, le pas allongé sans être pressé, pensif, mais attentif perpétuel. S’il avait l’air ailleurs, le chat n’en avait pas moins ses oreilles aux aguets, sur le qui-vive d’une curiosité et d’une prudence savamment entremêlée, et tout occupé qu’il était à faire le tri de ce qu’on lui avait confié plus tôt dans la soirée, entendit une centaine de mètres plus loin, des éclats de voix nourris de quelques cris d’’encouragements. S’arrêtant au milieu du carrefour des petites rues qu’il empruntait, son regard chercha, courant le long de l’onde bruyante, le spectacle qui se jouait à proximité et le trouva sous la forme d’une dizaine de silhouettes agglutinées autour d’une rixe qui dégénérait visiblement au profit de l’un pour le plus grand désarroi de l’autre.
Juché à califourchon sur un corps qui avait à peine la force de lever les bras pour se protéger des coups, le présumé vainqueur laissait pleuvoir une pluie de poings acharnée, laissant naitre dans le jeu de clair-obscur d’une lune blanche dans des ruelles claires, des éclaboussures de sang voletant à des hauteurs qui hypnotisèrent le flamand. Ce qu’il avait pris pour des cris d’encouragements n’en était pas, et c’était la dissolution de cet étrange couple que réclamait la foule, tentant parfois, de les séparer mais se faisant rejeter dans un cri de rage par le démon blond qui avait le dessus. Quelques secondes le chat resta immobile, jaugeant la scène qui se déroulait, habituant ses yeux à l’obscurité tiède de la ruelle, et remarquant enfin, un détail qui plissa doucement ses yeux… Seize, dix-sept ans peut être… la troupe en face de lui de ne devait pas dépasser cet âge-là, songea-t-il quand un autre détail attirait son attention. Jusqu’ici aux cris de la horde s’était joint le son plus guttural de la victime, et désormais, c’était le silence qui accusait sa place, déréglant la mélodie de la plus atroce des façons, écornant le félin dont la moue s’étira, mauvaise sur les lèvres.
S’il n’était pas plus courageux qu’un autre et n’avait jamais usé ses mains à combattre, Alphonse ne gardait pas moins en mémoire les empoignades fraternelles qui avaient jalonné son enfance, avant de se transformer en dédain silencieux de la part de son ainé comme de lui-même… Sans plus réfléchir, et espérant jouer d’un effet de surprise suffisant, le jeune homme prit la direction du groupe, bien trop occupé pour le voir arriver, et bousculant l’un des convives, passa dans le dos de la tempête blonde. Abattant la dextre sur l’épaule, la senestre dans la nuque, le jeune homme profita de cet infime instant de surprise pour saisir le jeune homme et le relever d’un coup, s’étonnant presque de sa légèreté quand d’un mouvement de bras, il l’envoyait valser face au mur et l’y maintenait en basculant son poids dans son dos et en bloquant ses jambes des siennes pour se prémunir d’un mauvais coup.
Après la seconde de silence observée par le groupe entier, vint le chaos, les injures fleurissant par bouquets monstrueux dans la bouche du gamin qu’il tenait contre lui, la voix déformée d’une colère enflant d’une rage qui se trouvait décuplée à être privée de son exutoire. Si quelques-uns s’étaient précipités sur le corps qu’ils relevaient à grand peine, les autres, bras ballants, restaient bouche bée à contempler le démon épinglé contre le mur.

-Il ne restera pas inoffensif longtemps, leur lança Alphonse en sous entendant qu’il ne comptait pas s’éterniser lui-même plus que nécessaire, sans même leur jeter un coup d’œil , mais sentant, dans ce nouveau jeu de texte, la stupeur enrobant encore le cerveau et la langue. Les bruits des pas désordonnés résonnèrent dans la ruelle mais Alphonse n’y prêtait plus réellement attention, un parfum entêtant venant lui obscurcir les tempes, le regard trainant dans les cheveux blonds, et, désormais seuls, sans plus de victimes à portée de rancune, la main desserrant la poigne quand l’autre relâchait également sa prise, le brun gagna en légèreté, réduisant le poids qu’il imposait aux épaules .
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--Valtriquet

[ Puisqu'on est Jeune et Con...]

Valtriquet et Aaron.
L'un blond quand l'autre est brun.
Deux personnalités diamétralement opposées.
De milieux différents quand l'un évolue dans les salons raffinés et parfumés et que l'autre survit dans les bas-fonds nauséabonds de Paris.
Pourtant alors que tout les sépare, ils vont se rencontrer. Se lier d'amitié, pour Aaaron. Etablir une complicité, pour le Criquet. Et ce en commençant par se battre. De là naîtront les folles échappées nocturnes où viendront les rejoindre par la suite d'autres errants aux visages multiples, certains issus de la noblesse décadente, d'autres de la roture ascendante. De beuveries en sorties dont le but établi est de se battre, confondre sa force dans des dualités auxquels ne se rattachent que l'attrait du jeu sans toutefois en percevoir la nuance des enjeux.
Ce soir là était différent. Ils ne le savaient pas encore, ces adolescents dont l'ivresse désinhibait les réactions des écorchés, que leur jeu prendrait une tournure tout autre.
Aaron, admirant en secret le blond, voulait toujours être meilleur que les autres, se surpasser pour éblouir le Criquet. Seulement il allait commettre l'irréparable. La seule faute que le blond ne pouvait pardonner. Car il était de ces personnalités névrosées dont la complexité n'avait d'égale que les labyrinthes aux parcours sinueux où le néophyte se perdait dans le dédale des fausses pistes.
Une nuit, une seule nuit, où Val s'était laissé aller à baisser sa garde, ouvrant un passage vers la cause de ses tourments, Aaron avait entraperçu une vérité pesante. Depuis ils n'en avaient plus reparlé. Aaron , fier de ce secret partagé, se garda bien d'aborder le sujet devant le regard foudroyant dont Valtriquet le couvrit au petit matin. Le blond disparut plusieurs jours durant, mal et angoissé d'avoir failli à sa propre règle. Ne jamais montrer sa faiblesse, sa faille. Ses valeurs étaient toujours poussées à l'extrême, la trahison étant de celle qu'on ne pardonne pas...

Une légère brise fraîche faisait onduler la chemise de soie noire sur le buste du blond. Il leva son visage d'albâtre vers la Lune toute aussi blanchâtre, suivant la ligne épurée qui éclairait la ruelle.
- Ici .
Son choix confirmé par un regard complice adressé à Aaron, les festivités commencèrent sous les chuchotements des deux compères, chacun à tour de rôle mettant au défi un autre dans une danse qui n'avait rien d'anodin, mais toujours à la limite de ce que eux considéraient comme violent.
Quand vint le tour du Criquet, sourire en coin il traça de ses pas les contours du cercle formé par ses comparses et pointa le doigt sur le brun, qui amusé à son tour entra dans la ronde. Les rires et quolibets fusaient, bon enfant, à l'encontre des deux jeunes coqs s'affrontant. Etait-ce la mésalliance de l'ivresse, couplée à l'influence de la pleine Lune sacrée.... l'esprit d'Aaron, emporté, le rendant provocateur, défiait le blond qui plissa les paupières dans une interrogation muette. Le brun ne voulait pas céder du terrain, bien que Val l'emportait haut la main.
La hargne assombrissait les prunelles d'Aaron quand les émeraudes du blond se teintèrent d'incompréhension à la phrase qu'il reçut en plein visage, incapable d'admettre les mots prononcés comme une profanation, au vu et su de tous, même s'ils n'avaient pas été crié. Profitant de l'effet escompté, l'autre lui asséna un violent coup de poing qui mit le blond au tapis, le nez en sang. Le Criquet se ressaisit , entrant dans une rage folle, le visage transfiguré par la haine qui décupla sa force. A califourchon sur Aaron il le martela de coups rageurs en hurlant des injures, repoussant les bras qui tentaient de les séparer, les autres jeunes conscients que la bagarre dégénérait. Ni ses mains se teintant du sang de la victime de sa fureur, ni les appels à cesser ne parvenaient à l'arrêter.

- RACLURE!...COMMENT AS-TU OSÉ ?!!

On tentait de le maîtriser. Il se débattit de plus belle. Soulevé comme un vulgaire fétu de paille, le Criquet se vit avec horreur arraché à sa victime et solidement plaqué face contre un mur, rendu prisonnier du moindre mouvement. Il injuriait et criait tellement fort, empli de rage, qu'il n'entendit pas la voix de celui qui le maîtrisait, ni ne ressentit les estafilades que la pierre dure imprégnait à sa peau quand il se racla la joue contre sa rugosité en tournant la tête vers le groupe qui s'éloignait.

- NON! Reviens... AARON... TRAITRE.. sa...lop... t'avais pas le droit... T'AVAIS PAS LE DROIT!!

Sa voix hoquetait. Etouffant un sanglot de rage et de dépit quand ses émeraudes embuées se fixèrent avec désespoir sur sa vengeance qui s'échappait.

- Lâche moi toi!

Dans un dernier sursaut, le Criquet tenta encore de fuir la poigne solide qui lui maintenait les épaules et les jambes quand la pression se desserra un peu, lui permettant de se retourner. Il repoussa brutalement son assaillant, crachant sur les pavés le goût ferreux qu'il avait en bouche. Haletant, l'éphèbe ferma les paupières en reposant l'arrière de sa tête contre le mur, le visage balayé par ses cheveux dont son souffle soulevait quelques mèches aux pointes ensanglantées. Le silence s'était installé, parcheminé de sa respiration désordonné sous son torse imberbe retenant à peine la chemise déchirée. Et quand il ouvrit enfin les paupières, au travers de ses boucles blondes, son coeur faillit, saisi, en reconnaissant celui qui se trouvait en face de lui, si près qu'il pouvait le toucher... qu'il aurait pu, s'il ne s'était pas soudain figé. La colère sourde qui habitait le jeune homme et menaçait de remonter de ses tripes le freinait dans une crainte de ses réactions épidermiques, pudeur, fureur. Peu importe pourquoi le brun se trouvait là.
- Alphonse.... Il détourna ses jades vers la ruelle maintenant silencieuse. L'aveu du Criquet mourut sur ses lèvres.- J'aurais pu le tuer....Puis son regard perdu, où sa conscience livrait bataille à sa hargne, se posa à nouveau sur les onyx d'Alphonse, se rendant compte dans le brouillard qui obscurcissait ses pensées combien il lui avait manqué.

Alphonse_tabouret

Repoussé mais s’y attendant, le brun accusa le coup sans surprise, et recula de quelques pas, prudent, le regard détaillant plus attentivement la silhouette devant lui. Si la voix vibrante de rage en avait déformé les moindres teintes jusqu’à la rendre méconnaissable, il ne pouvait soustraire à ses tempes la logique de ses sens, et au travers du parfum blond, de la silhouette, de cette respiration saccadée, l’éphèbe apparut en se retournant. Un froid méfiant se distilla immédiatement à la chair d’Alphonse, le souvenir doux et amer de la brulure de leur dernière rencontre s’imposant, royal, sur les plaies du chat, nouant son ventre quand se multipliait au travers des traits défaits du blond, la myriade d’expressions qu’il avait eu durant leur étreinte fauve.
Sur le visage du jeune homme, une fleur rouge, mourante, dont les pétales carmin avaient déteint jusque sur le menton, inondait les traits délicats de l’adonis, et sa joue râpée sur le pavé du mur affichait une trainée vive, égratignée, soumettant le chat à une avalanche de questions en notant que chacune de leurs rencontres présentait le Criquet de plus en plus abimé. Mai lui avait fendu la lèvre, Juillet lui avait bleui les cotes, et Aout le laissait le nez en sang, froissé, anéanti, égrenant dans un murmure l’évidence qui venait tout juste de le rattraper.
Silencieux, le chat ne broncha pas quand les jades se posèrent à ses prunelles, revoyant la fureur brusque de Val à quitter la chambre sur un malentendu dont le félin était seul responsable, et laissa un silence s’étirer quelques secondes dans le jeu de regards. Impassible quand le visage du Criquet reflétait une souffrance aussi sanglante que bouillonnante, il jugulait savamment les contradictions qui venaient lui lécher les flancs et embrumer ses pensées, résistant à l’envie la plus immédiate de venir cueillir le jeune homme pour le consoler, le temps qu’il reprenne pied dans la réalité, mais prudent, déjà battu froid une fois par cette main blonde quand il avait trop joué de provocation, Alphonse rejeta stoïquement ce trop plein d’émotions qu’il ne savait assumer qu’en présence de très rares personnes, et avançant d’un pas, attrapa le menton du Criquet entre ses doigts fermes, sans pouvoir se départir d’une certaine douceur, lui faisant pivoter la tête, observant les traces , les coups, laissés à même sa peau.

-Tu es dans un piteux état, fit-il enfin quand il fut sûr que le regard vidé du blond ne le traversait pas, délaissant le menton, trop tenté d’apposer une caresse à la joue meurtrie, pour épingler le tissu déchiré de la chemise noire et faire jouer à la lune, les accrocs et les marques de crasse, retenant une quelconque démonstration d’intérêt trop poussée de peur de ne voir le blond détaler encore une fois, songeant brièvement qu’il était hors de question de le ramener dans cet état-là à ses parents tout comme il ne pouvait se résoudre à le laisser seul aller panser ses plaies. Le comptable retint un soupir, se sentant déjà vaincu jusqu’au tréfonds de ses résolutions et, sachant qu’il serait difficile d’amener le Criquet jusqu’à l’Aphrodite ne serait-ce que pour le rendre à peu près présentable, opta pour tout simplement ne pas lui demander son avis. Viens, conclut-il en posant sobrement une main chaleureuse sur son épaule pour lui donner l’impulsion du mouvement, espérant vaguement qu’il serait trop vide à cet instant là pour résister à quoique ce soit, les mettant en route vers les portes de la Maison Basse.
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--Valtriquet

Le Criquet balançait doucement la tête, les yeux rivés à ceux du chat si envoutants qu'ils en étaient apaisants dans la bulle de silence qui s'installait. Si bien qu'il ne résista même pas quand les doigts maintenant fermement son menton lui firent osciller le visage sous l'oeil scrutateur du brun.

-Tu es dans un piteux état. Haussement d'épaules du blond qui passa brièvement sa manche sur son nez qui avait cessé de couler, essuyant comme un morveux la trace de son sang. Ses mains qui n'étaient guère mieux, écorchées des coups donnés, vinrent se cacher sous ses aisselles quand il croisa les bras, un peu honteux et penaud qu'Alphonse le vit dans cet état. Lentement sa colère retombait, et le vide qu'il ressentait le laissait pantelant.Viens..Il se pensait sans force. Alphonse avait-il seulement conscience de ce qu'il ressentit sous la légère pression de sa main.... sa main qui s'était déjà posée sur son épaule, si légère, lors de leur première rencontre en taverne avec l'Aanon et la petite fleur fanée... Puis à L'Aphrodite... le souvenir fut fugace mais les souvenirs , là bas, ne le furent pas, le hantant nuit après nuit. La chaleur se diffusait à sa peau presque douloureusement. Renfrogné et d'un ton bourru, Val se dégagea l'épaule de l'empreinte trop vive en murmurant:- C'est bon.. je peux marcher tout seul.
Les émeraudes accrochant les tâches de sang au sol, à l'endroit où il avait frappé Aaron, se détournèrent pour se fixer droit devant, et marchant en silence aux côtés du flamand, une pensée l'effleura....Je suis mauvais Alphonse...
Vidé, mais malgré tout ressentant les bienfaits de la balade nocturne. Il lui avait dit, viens. Ce simple mot avait suffit pour qu'il le suive sans chercher à comprendre, ni à savoir vers où. En chemin, le Criquet jetait parfois un coup d'oeil vers Alphonse, sans s'étonner qu'il soit là.. qu'ils soient là tous les deux. Mais il ne pouvait s'empêcher de penser à ce qui l'avait mis hors de lui. Pour conjurer les images qui s'abattaient, implacables, sur son esprit à vif, Val entama entre ses lèvres muettes un air qui devint des mots chantés à voix basse, mêlés à ses pensées.

Ils s'éteignent un matin , dans le battant des foules...
Ton sang sur ma main
brûle et s’écoule
Ils ont le regard du vin , quand parfois leurs yeux coulent...
J’ai le regard de Caïn
Ma foi en toi s’écroule
Ils n'ont pas de couleur , pas de drapeau tendu...
Tu n’as plus de valeur
Plus d’existence, tu n’es plus
Alors ils traînent un peu , comme des bateaux perdus...*
Aaron tu m’as trahi par jeu
Sois maudit...tu m’as perdu..

Alphonse n'avait pas pipé mot. Quand ses pas les menèrent sur les pavés de l'Aphrodite, Le Criquet resta interdit. Son ventre se vrilla aux pensées de ce qu'ils avaient vécus dans l'antre du bordel. S'il devait décrire ce qui avait pris naissance entre les bras de son amant ce soir là, il aurait répondu:" Ma vie..."
Se tournant vers le brun en désignant l'édifice du menton:
- Qu'est-ce que ça veut dire? Pourquoi ici?

* Ils s'éteignent un matin , dans le battant des foules....Alors ils traînent un peu, comme des bateaux perdus...*
Extrait " Les échoués" de Damien Saez

Alphonse_tabouret

Rabroué comme il s’y attendait, imperceptiblement déçu s’il avait dû l’avouer, le flamand avait laissé sa main être chassée de l’épaule blonde sans rien laisser paraitre, se retournant pour tracer le chemin qu’il leur réservait, presqu’étonné que le Criquet le suive aussi docilement, silencieux pour ne pas effrayer le jeune homme qui semblait si profondément enfoui dans ses pensées, vaguement perdu lui aussi dans un flot où se heurtaient tout et son contraire. L’envie d’étreindre le Criquet ainsi ramassé sur lui, lui crevait le ventre et pourtant tout chez le chat sonnait des alarmes qu’il connaissait bien. Le moindre geste de trop serait absolument fatal, le brun en était convaincu, se reconnaissant dans le frémissement craintif de ses épaules abimées, jusque dans la pâleur de sa peau éraflée de sang.
Si Val parla sur le chemin, ce fut trop bas, Alphonse ne l’entendant pas, tourné vers ce moment où l’adonis comprendrait forcément où leurs pas les menaient et à ce qu’il faudrait dire ou faire à cet instant-là, remisant leur avancée sur le simple mécanisme de ses pas jusqu’à la cour du bordel.

- Qu'est-ce que ça veut dire? Pourquoi ici?

Alphonse s’arrêta, à un pas de l’étroit passage de la Maison Basse et regarda le Criquet, calme quand la pulpe de ses doigts se mettait à picoter, sage quand le chat feulait en se retournant, encore échaudé par la fuite si soudaine du blond, paisible quand il prenait sur lui pour prendre la parole.

-Parce que je travaille et vis à l’Aphrodite…, commença-t-il en posant ses yeux sombres dans les jades, le fauve le suppliant de ne pas en dire plus, de laisser planer ce malentendu aussi longtemps que nécessaire, de jeter aux orties tout ce qui de près ou de loin pouvait ébranler ce monde tout neuf d’une affliction affectueuse. Mais la suite suivit dans le même souffle, sans même marquer une pause, surprenant presque le comptable de cette capitulation immédiate, suspendu aux vertes prairies dont l’onde secouait follement chaque herbe d’une rage désespérée à ce point émouvante qu’elle en était cruelle... en qualité de comptable, conclut-il en se retournant, laissant au Criquet le loisir de digérer cette information loin de son regard, tandis qu’en quelques pas, il rejoignait la porte de la Maison Basse pour frapper le butoir contre le chêne épais. Il était à parier qu’Hubert ait reconnu sa voix, attendant son retour, fébrile à la manière de ses mères poules qui ne cessent jamais de regarder derrière vous, même lorsque vous êtes sagement assis, car le judas de la porte ne fut même pas poussé et la porte ouverte sans préambule laissa filtrer la lumière tamisée de la maison basse dans l’opacité du passage. La haute silhouette de l’homme de main apparue, un air soulagé sur le visage et s’il eut envie de parler il ne pipa mot en voyant la mine doucement accablée de son patron. Demande à Fleur de quoi soigner quelques plaies et à ce que l’on remplisse la baignoire de ma chambre, se contenta de demander le comptable quand le garde jetait un coup d’œil à la silhouette de Val avant d’opiner et de s’écarter du passage. Le flamand tourna la tête vers le Criquet, s’appuyant dans l’encadrement, et répéta, la voix adoucie: Viens.
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--Valtriquet

Etrange retour en arrière. Retour sur ses pas, retour en soi. Le lieu où il avait été heureux, l'espace d'un instant que le temps avait étiré, égrainé, pour ensuite mieux l'étouffer en déversant son sablier sur son désarroi. Val regardait Alphonse avec cet air à la fois intrigué, perplexe, perdu, son corps figé devant la belle, l'énigmatique et perverse Aphrodite. S'il s'accrochait aux onyx sombres pour s'empêcher de dériver, la voix du flamand, qui au demeurant l'apaisait par le ton calme et posé, le balaya par la suite aussi sûrement qu'une faucheuse quand sa phrase, jumelée par un silence, se referma sur une vérité qu'il n'aurait pas soupçonné.

-Parce que je travaille et vis à L'Aphrodite... Ca, il ne le savait que trop le blond, pour le lui avoir reproché sous couvert d'une évidence. Celle d'avoir cru au travers de chaque parcelle de sa peau au plus sublime des maux.... offrir et recevoir, le don de soi, pour ensuite en subir l'absence dans la plus totale errance..... en qualité de comptable.
De pâle il devint blême en prenant pleine conscience de ce que cette information impliquait, tandis que ses paupières se refermaient sur la douleur vive qui irradia de ses entrailles, troublant un peu plus les émeraudes vacillantes. En déglutissant pour chasser la nausée qui menaçait, le Criquet se rappela les derniers mots de son amant:Reviendras-tu ?... il l'avait pris pour un courtisan, comme si cet état de fait réduisait, avilissait ce qu'ils avaient vécu .. dans sa folie, trop prompt à juger parce que trop échaudé, à fleur de peau dans cette découverte de l'autre et de lui même. La colère reflua. Ire implacable contre le brun, contre lui même et honte de s'être trompé.
L'éphèbe se redressa, les mâchoires serrées. Alphonse se tenait à l'ouverture de la maison basse, dialoguant avec une silhouette qu'il entraperçu se dérobant à la porte cochère.Viens.
Dans la douceur du mot prononcé, dans le regard profond du brun, il retrouva celui à qui il s'était donné corps et âme.
Val tourna son visage vers la ruelle sombre, songeur, puis s'en détourna pour franchir les quelques pas qui le séparaient du flamand. A peu près de la même taille, ses yeux étaient à la hauteur des siens quand il se planta devant lui, trop près pour que les mots qu'il murmura ne soient pas dit autrement que sur le ton de la confidence., alors qu'il aurait souhaité baiser ardemment la bouche d'Alphonse, étourdi d'être happé si vivement par l'odeur musquée de sa peau.

- Dis... est-ce que les choses qui ne sont pas dites sont mensonge? S'il tenait encore debout, fier et droit, le corps abîmé et la tête vidée, c'est qu'il puisait dans ses dernières ressources pour ne pas flancher devant le brun, garder encore un peu l'illusion que dans cette mémorable soirée il n'aura pas tout fichu en l'air, et qu'il faudra franchir bien des barrières pour retrouver ce qu'il espère ne pas avoir perdu.

Alphonse_tabouret

Attentif quand il avait l’air désinvolte, le comptable jaugeait la silhouette abimée du Criquet aux prises avec l’odieuse révélation, la vérité qui venait cisailler les non-dits et les faux semblants. Un instant, le brun pensa qu’il ne lui pardonnerait jamais d’avoir tu à plusieurs reprises ce qu’il aurait été si simple de dire, mais le fauve, engourdi de bien être, avait poussé le jeu, sournois, impitoyable, et n’avait récolté que ce qu’il avait semé… La fureur du Criquet, s’il ne se l’expliquait pas, était pourtant étrangement limpide et il se savait fautif, autant que l’emportement subit de son amant, peureux, l’un comme l’autre. Il retint une moue soulagée quand enfin le jeune homme s’approcha mais resta immobile, lent, sur le qui-vive, toujours, lorsqu’il s’agissait de pouvoir se retourner à n’importe quel moment pour éviter qu'une inattention ne poignarde l’âme.
S’arrêtant à sa hauteur, Val l’enveloppa de son regard vert, terrible de rage et de rédemption, d’un conflit muselé par quelques mots et dont à cet instant ci, Alphonse prenait toute la mesure de la contamination. Egoïste, le chat n’avait pas pensé une seconde que l’éphèbe aurait pu coudre et recoudre la soirée qu’ils avaient passé et sa fin désastreuse à la manière d’une plaie dont le mouvement ne permet jamais la cicatrisation et il décelait, dans les jades, une apocalypse menaçante, qu’un murmure acheva de faire enfler :

- Dis... est-ce que les choses qui ne sont pas dites sont mensonge?

-Peut-être un peu, répondit le flamand dans un sourire doucement vaincu, en ne pouvant s’empêcher de venir cueillir la nuque de l’éphèbe de sa paume chaude, légère, touché par cet énigmatique blondinet dont le vacillement avait tout de la chute. Les doigts se refusèrent à glisser dans les boucles, prudents, mesurés, mais attardant le temps dans la pression d’un cercle dessiné d’un pouce apaisant et dans la ligne des picotements qui brulaient sa peau à contact de celle de l’adonis. Mais l’intention n’était pas là… rajouta-t-il en arrachant sa main au moelleux de la peau blonde, baissant les yeux au sol, abimant son regard sur le sol patiné de l’entrée quand il reprenait son chemin vers la chambre qu’il occupait.

Un jeu, un bête jeu, du chat sur son petit monde… L’aliénation du flamand à ne jamais se positionner de peur qu’on le cerne, persuadé de cette solitude, de cette incapacité à susciter chez un pendant, autre chose qu’une simple convoitise. N’avait-il pas été élevé pour ça ? Pour plaire en toutes circonstances aux riches clients de son père, tour à tour laquais, homme de main, esclave docile aux sourires courtois à la moindre lubie qu’on lui demandait, témoin privilégié de frasques qui l’avaient laissé ravagé sur la qualité de la condition humaine… Froid, distant, implacable dès lors qu’il s ‘agissait de sa survie, le fauve avait choisi de considérer le grain de sable qu’était le Criquet comme insignifiant lorsqu’il avait claqué la porte de leur chambre, et se rendait compte, à cet instant ci, que la nausée était toujours aussi vive.

Le couloir fut traversé, les escaliers montés, Alphonse se concentrant sur les pas du blond derrière lui, à la façon d’un Orphée désabusé qui aurait peur en se retournant de constater qu’il était seul, et offrant un sourire de commande à la soubrette qui sortait de la chambre avec un seau encore fumant de vapeur, s’effaça pour faire rentrer le Criquet et refermer la porte derrière eux.
Le silence ouaté de la chambre prit immédiatement le dessus tandis qu’Alphonse regardait l’éphèbe aventurer ses pas dans ce sanctuaire. Vaste, élégante et pourtant sobre, la chambre du comptable s’offrait la vue d’une échauguette élancée et d’un escalier personnel menant à un jardin privatif, et si tout était fait de matériaux d’excellente qualité à défaut d’être rares, le véritable luxe du comptable ne résidait pas dans l’opulence d’une décoration excessive mais dans la grande baignoire de marbre dont le modèle avait été emprunté à l’Antiquité grecque, fumante pour l’heure d’une eau chaude parfumée, installée dans l’un des coins de la pièce, près d’une fenêtre. Aucun bibelot personnel n’aurait su marquer les lieux d’une empreinte vive, personnelle, et si l’ensemble était indéniablement de gout, tout y était usuel, fonctionnel, à l’exception étrange d’une bourse pleine, posée sur un bureau parfaitement rangé. Ainsi était Alphonse, au sein même de son nid : incapable de se l’approprier par crainte de s’y attacher.

-Je travaille ici depuis quelques mois maintenant… depuis la mort du propriétaire des lieux plus précisément. Disons, pour faire simple, que je suis chargé de mettre les choses en ordre pour palier à sa disparition… , commença-t-il, crevant le silence d’une voix pourtant douce en approchant du blond, ses doigts venant saisir les quelques boutons encore valides sur la soie noire pour les détacher de leurs encoches, méthodique, tendre sans même s’en rendre compte, redécouvrant lentement et avec une langueur qu’il tut en évitant volontairement les yeux du blond, ce corps possédé jusqu’à l’extase la plus inattendue, laissant son regard noir courir sans s’attarder sur la multitude de coups que la peau laiteuse du Criquet accusait, dans une violence de rouges, de bleus et d’ombres plus ou moins profondes. J’aurais dû te le dire quand tu me l’as demandé… Un silence pensif abima le chat quelques secondes quand ses doigts frôlaient le nœud des braies, reprenant leur distance promptement. Mets-toi dans la baignoire, l’invita-t-il enfin en lui tournant le dos, presque abruptement, renouant avec ses réflexes les plus immédiats, troublé , méfiant, que ça puisse être aussi simple. je vais te chercher de quoi te débarbouiller…
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--Valtriquet

Pendant un instant il aurait pu s'abandonner à la paume rassurante accueillant sa nuque, à la légère pression du pouce qui fut bien vite retirée, presque avec pudeur, hésitation. Val n'aurait su dire s'il s'agissait d'une geste affectueux d'Alphonse donné avec espoir...ou regret. Quand le brun emprunta le couloir puis les escaliers, le Criquet le suivit naturellement, calquant ses pas aux siens jusqu'au seuil d'une porte qu'il franchit, étonné de se trouver dans un tout autre décor que la chambre où ils s'étaient retrouvé à l'Aphrodite.
Silencieusement le blond découvrait l'intimité de la pièce, plus sobre, plus masculine, un peu intimidé en se rendant compte qu'elle ressemblait à Alphonse et qu'ils devaient se trouver dans sa chambre. Sobre, nette, mais aucun cadre ou objet personnel qui auraient pu dévoiler une autre partie de sa vie, un fil conducteur qui le reliait à lui.

-Je travaille ici depuis quelques mois maintenant… depuis la mort du propriétaire des lieux plus précisément. Disons, pour faire simple, que je suis chargé de mettre les choses en ordre pour palier à sa disparition…
Val se retourna à la voix qui crevait le silence, attentif aux mots qui sortaient de la bouche du flamand, ne bougeant pas d'un pouce quand il s'approcha, incapable lui même de sortir un seul mot. Son regard s'attarda sur lui puis vogua à nouveau sur le moindre détail de la chambre, s'arrêtant sur l'étrange baignoire dont l'eau fumante dissipait des volutes parfumées, sans se rendre compte que son amant commençait à le déshabiller.J’aurais dû te le dire quand tu me l’as demandé… Les émeraudes se fixèrent sur le regard baissé d'Alphonse qui ne vit pas le premier sourire tendre qui affleurait aux lèvres du Criquet.... _Regarde moi... lève les yeux et regarde moi. Accorde moi ton pardon... Alphonse.._ Le jeune homme était incapable de faire le moindre geste, ni de desserrer les mâchoires pour aller vers le brun, alors qu'il se trouvait à nouveau si proche de lui, craintif de faire un faux pas, gêné par ce silence et cette distance qui s'étaient installés entre eux. Encore plus en voyant qu'Alphonse lui même délaissait ce moment qui aurait pu les rapprocher intimement.Mets-toi dans la baignoire, lui dit-il en se détournant....je vais te chercher de quoi te débarbouiller…

Oui...
Le Criquet soupira, vaguement convaincu que le brun faisait en quelque sorte sa bonne action, paternaliste. Il jeta un coup d'oeil sur sa chemise en loque qui avait glissé à terre et ne s'attarda même pas sur son torse couvert d'ecchymoses plus ou moins récentes, ni sur ses mains de pianiste dont les phalanges écorchées délacèrent ses braies pour les laisser aller au sol.
Planté devant le bain fumant, nu comme une statue d'albâtre marbrée de nuances sombres, l'éphèbe s'abima dans la contemplation des vapeurs chaudes qui ondulaient sur l'eau comme des ondes en perturbant la surface, mais si attirantes qu'elles l'hypnotisaient. Il tressaillit à la différence de température quand ses pieds en crevèrent la surface pour s'y enfoncer, saisi de frissons. Glissant dans le bain où il s'enfonça jusqu'au menton, le corps presque entièrement immergé, il grimaça. Cette fois ci il sentait bien le picotement de ses chairs à vif.

Enveloppé dans la chaleur de l'eau qui prenait possession de son corps , dans les nappes de volutes délicatement parfumées que son odorat humait, il se détendit... en partie, car derrière les paupières closes Val sentait sa désastreuse soirée s'éloigner mais ne cessait de penser douloureusement à Alphonse, à sa peau, son odeur, ses mains sur lui. Sur les souvenirs de leur étreinte venaient se juxtaposer leur brusque séparation et tous les regards fuyants où toutes flammes s'étaient éteintes dans les onyx du flamand. Et pourtant, il l'avait ramené ici, chez lui, lui expliquant son rôle au sein de l'Aphrodite, levant le voile sur la méprise qui les avait injustement séparé.

Alphonse_tabouret

Fear's just in your Head
Only in your Head
Fear is in your Head
Only in your Head
So Forget your Head

David Bowie, Fill your heart

Un coup léger fut toqué à la porte et l’ouvrant après avoir saisi quelques linges, le flamand tomba sur le minois de l’une des employées de maison, un plateau dans les mains où se trouvaient quelques fioles, baumes, verres et une bouteille de vin.

-Mademoiselle Fleur dit que ça suffira pour des contusions, que pour plus il faut aller la voir… Le regard gris de la souris coula derrière lui, interrompant une seconde le flot de la parole, et le chat jeta un coup d’œil silencieux sur ce qu’elle regardait. Le Criquet, splendide de nudité et lézardé de traces bigarrées s’immergeait dans la baignoire quand les pommettes de la jeune fille se coloraient et que ses yeux papillonnaient, brièvement hagards en les reportant sur le comptable. La bouteille c’est Hubert, expliqua-t-elle à la va vite, rougissant de plus belle en apercevant le sourire en coin du félin l’observant et qui semblait dire qu'il savait exactement ce qu'elle avait pensé. Il dit aussi que vous devriez manger.

-Remercie Fleur et Hubert. Le chat la débarrassa du plateau d’un geste élégant, typique d’un serviteur de maison, une certaine grâce en plus. Je ferai savoir si nous avons faim.

Refermant la porte sur un hochement de tête presque trop emporté de la soubrette, il se dirigea vers la baignoire où le blond se délavait doucement, les premières volutes roses apparaissant dans l’eau chaude, vapeurs disparates autour des doigts longilignes et du cou où avait eu le temps de rigoler la sanguine. Alphonse posa le plateau sur un petit guéridon à portée de bras, examinant vaguement les étiquettes où courrait l’écriture de l’herboriste, préférant se rabattre sur le vin dont il servit élégamment deux verres, posant l’un à la vue de l’adonis sans pourtant le lui proposer, lui laissant le loisir de l’attraper selon son humeur.
Tirant un siège, il s’assit à hauteur de la tête du Criquet dont seul le visage émergeait de l’eau, et posant sa dextre sur le front du blond, lui fit lentement basculer la tête sur le côté jusqu’à ce que la tempe s’appuie au marbre et que les jades ne rencontrent les onyx. Le visage du Criquet, constellé d’infimes gouttelettes de sang, de la trace grossière d’une manche pour essuyer la fleur mourante à ses lèvres, d’une rage qui se dissolvait lentement, tenait à lui tout seul toute l’attention du comptable, animal méfiant dont le calme apparent contrastait avec la furie des pensées. Il resta ainsi, quelques instants, grave sans pourtant en avoir l’air, le réflexe de sa nonchalance venant habiller sa moue sans qu’il n’y prête attention, capable de tout lorsqu’il s’agissait de survivre aux autres, sondant les émeraudes qu’il surplombait, tardant mais transformant doucement la pression de sa main en une caresse légère quand le silence perdurait, perdant de sa distance, retrouvant un soupçon de moelleux.

-Qui était ce ? demanda enfin le jeune homme à mi-voix, sans douter une seule seconde que le Criquet comprendrait parfaitement de qui il parlait, la fureur du son des poings s’abattant à la chair lui revenant avec une netteté qui lui rappela sa fuite des Flandres
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--Valtriquet

Valse d'été à quatre temps
Quand sonne l'Hivers sans Automne
Valse éthérée au passé troublant
Ôte ton masque morne

Valtriquet était comme ces tableaux inachevés, abandonnés sur le coin d'un mur, à peine esquissés que déjà délaissés par la main du peintre créateur.
Entre monts et vallées, entre Val et Criquet, la rivière sillonnait, indomptable et rebelle. Rien ni personne n'avait pu calmer sa course folle.
Incapable lui même de remonter à la source de ses tourments pour reprendre le pinceau et finir le tableau.

Imperturbable, impénétrable, le corps de l'adonis flottait dans les délices faites à sa chair d'une bienheureuse chaleur enveloppant la moindre parcelle de sa peau, tandis que son esprit vagabondait, errant en les terres stériles et orageuses de Seth. Un mouvement de sa tête, mue par la main d'Alphonse, le ramena à l'instant présent, les onyx du flamand venant cueillir ses jades. D'un oeil à l'autre leurs regards se contemplaient en silence, jaugeant avec prudence le mystère de l'autre.
-Qui était ce ? Abimé dans le dessin des lèvres du brun qu'une moue rehaussait d'un délit tentant, Le Criquet fronça les sourcils, les émeraudes traversées d'une ombre furtive. Le silence se prolongeait tandis que de sa bouche entrouverte et hésitante, les mots tentaient de se former, bousculés par le flot de ses pensées, pour finir pas lâcher.

- Aaron... Il s'appelait Aaron. J'ai failli le tuer parce que... Un soupir résigné accompagna sa confidence...il a dit la vérité.... et que je suis un meurtrier...

Val eut un de ces sourires dont on hésite à le décrire teinté d'ironie ou de fatalisme. Puis lentement il se laissa glisser, s'enfonçant dans l'eau jusqu'à ce que ses boucles blondes disparaissent en s'immergeant complètement. Plus aucun bruit ne lui parvenait si ce n'était la pulsion sourde qui battait à ses tempes. Après quelques minutes, quand ses poumons relâchèrent l'oxygène qui vint crever la surface de l'eau en bulles anarchiques, le Criquet émergea brusquement, happant douloureusement une grand bouffée d'air et aspergeant dans son mouvement les abords de la baignoire.
Haletant il se tourna vers Alphonse, collant son buste contre le marbre tandis que sa main venait se plaquer sur la nuque douce pour l'attirer à lui. Derrière le rideaux des cheveux dégoulinant en fines rigoles sur le visage blême, les jades, interrogatives, plongèrent dans les profondeur des onyx.
- Et toi, Alphonse, me trahirais-tu aussi si tu détenais mon secret?.... Troublé par le souffle du brun mêlé au sien, par la proximité de cette bouche adulée et conscient soudainement de la brusquerie de son geste, Val relâcha la pression de ses doigts qu'il détacha de la nuque dans une délicate caresse pour revenir s'adosser au marbre, sans voir encore le verre qu'Alphonse avait posé à son intention.
Silencieux à nouveau, il contemplait le flamand, guettant sa réaction.

Alphonse_tabouret

Personne ne garde un secret comme un enfant
Victor Hugo

A la question fut opposé un silence qui n’avait rien de têtu mais tout de perdu, alignant dans les secondes qu’il laissa passer, la difficulté des tempes blondes à délier les informations pour les mettre en ordre.
Les mots finirent pourtant par venir, donnant un semblant de réponse, suscitant ailleurs mille autres questions que le chat garda soigneusement, continuant de mirer les jades hésitantes jusqu’à ce que le sourire ne vienne assombrir le visage. La vérité était une chose cruelle, le comptable le savait, dévastatrice à n’en pas douter, et une fraction de seconde, la main de son père, fantomatique, s’abattit sur sa joue sans qu’il ne bronche.
L’éphèbe se laissa glisser dans la baignoire, s’immergeant complètement, abandonnant la main du brun qui voyant là le refus d’un contact, la ramena lentement sur le rebord, l’y laissant, observant les cheveux blonds flottant hagards dans l’eau désormais discrètement teintée et le visage mortuaire qu’affichait le Criquet sous sa chape translucide. Statue attentive, le flamand ne bougea pas une seconde, même lorsqu’il trouva le temps long, inquiétant, et gardant sa main, nonchalante, sur le rebord en marbre, cherchant de quelle vérité on pouvait bien s’affliger pour se dégouter ainsi, compta les secondes jusqu’à ce que Val n’émerge, pantelant, éclaboussant autour de lui le dallage qui découpait le parquet, faisant brièvement sursauter le chat trop abimé dans ses pensées.
Sans qu’il le comprenne, la main du Criquet se trouva fichée à sa nuque, son visage à un souffle du sien, délayant à ses yeux une expression saisissante qui donna envie au félin de noyer la question qui suivit dans l’étreinte d’un baiser assez fiévreux pour panser d’oubli quelques instants, pour retrouver le gout de cet amant longtemps éthéré, reliquat lascif et entêtant d’une soirée avinée, et trop brièvement dévoré lors de leurs retrouvailles.

- Et toi, Alphonse, me trahirais-tu aussi si tu détenais mon secret?....

Les lèvres du Criquet s’étaient animées, si tentantes, si tristes, et s’éteignirent, abandonnant leur offensive en reculant quand la main glissait, lente, douce, pour quitter son cou, y laissant la trace nette d’une brulure au parfum de souvenirs. S’il avait cru un instant que c’était sa déviance et la possibilité qu’elle soit sue qui avait mis l’éphèbe dans une telle colère au premier abord, il doutait désormais de cette possibilité, puisque ce secret-là, ils l’avaient partagé, extatiques, consumés.
En guise de réponse, le flamand tendit la main, poing clos, petit doigt tendu, à la manière des enfants qui pactisent dans la gravité la plus absolue de leur jeune âge et qui ne peuvent pas s’empêcher ce sourire discret en guise de moue, entente tacite , surréaliste mais bêtement concrète malgré sa légèreté : A la vie, à la mort.
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--Valtriquet

We are the wild youth.
*Nous sommes la jeunesse sauvage .

Joue posée sur le marbre froid, yeux levés vers Alphonse, un sourire rehaussa un coin de sa bouche au geste enfantin et si reconnaissable de tous les gamins et adolescents. Il aurait rajouté " Croix de bois, croix de fer.." que le geste n'aurait pas été plus entendu, reçu. Le jeune homme hocha la tête, sans sceller le pacte, et s'inonda le visage de l'eau recueillie dans la coupelle de ses mains jointes, effaçant les dernières traces de sang de son visage impur. En regardant les écorchures sur ses phalanges, Val repensait à la fureur qui l'avait envahi en assenant une volée de coups sur Aaron.
Et le pire, pensa t'il, c'était la jubilation qui s'était emparée de lui, au seuil de sa folie, une force et une jouissance dont il ressentait encore la cruelle reconnaissance.
Seul un plaisir le surpassant aurait pu reléguer au second plan une telle découverte du danger qui le guette. Le Criquet se tourna vers Alphonse .. toi... toi, tes mains.. ton souffle, ta....bouche. Toi si délicieusement, insidieusement lancinant en moi... Jamais il n'avait connu telle ivresse.

Sa dextre abandonna la surface de l'eau pour se poser sur le poing du flamand, tandis que son buste se rapprochait du marbre, seul rempart entre la chaleur de son amant et sa peau ruisselante. Les jades, où se lisaient la détermination qui l'habitait, plongèrent dans les onyx tandis que sa voix basse et inflexible murmurait :- Je veux te retrouver Alphonse. Peu à peu il retrouvait la maîtrise de ses pensées, mais son corps quand à lui ne pouvait abandonner ses sens aiguisés en la présence du brun quand s'éveillaient en lui les souvenirs de leur nuit fauve. Val plongea sans détour vers la bouche dessinée pour les baisers et pressa ses lèvres fraîches, effleurant, mordillant, s'appropriant le souffle et la langue d'Alphonse. S'il ne pouvait lui dire tout ce qu'il ressentait pour lui, son baiser langoureux et profond, la valse de sa langue caressant la sienne sauraient lui prouver.
Sentant son désir s'éveiller, vrillant son ventre, le Criquet détacha ses lèvres à regret de leurs souffles mêlés, fixant et sondant les prunelles du flamand, puis il reprit sa place en s'adossant à la baignoire, le regard cherchant ailleurs un point d'ancrage, droit devant, et d'un ton bas et monocorde il commença le récit de son passé, imperméable à tout ce qui pourrait dés lors l'extraire de ses souvenirs vifs et écorchés.
Il revoyait dans les moindres détails toute la scène de la nuit qui fit basculer sa vie dans l'horreur.

C'était il y a huit ans. Je devais avoir dans les neuf ans. Nous habitions alors un grand manoir. Il me semblait si immense, avec ses tours et ses corridors... Le jeune homme eut une absence, absorbé dans les souvenirs d'avant... avant le drame. Puis il se reprit et continua le cours de son récit, sans plus rien laisser percevoir de ses sentiments d'alors.
- Guillaume de Vendôme, Camille de Vendôme, Tancrède...de Vendôme. Ma famille. Je les ai tué tous les trois.

Sans en avoir conscience, au souvenir de son jeune frère, sa main posée sur le rebord de la baignoire se crispa, les tendons mis à blanc.- Souvent le soir, je me postais à la fenêtre de ma chambre, ne trouvant pas le sommeil. Nous avions à notre service un majordome. Il me paraissait déjà vieux à cette époque... Fidèle, paternelle. Il me connaissait bien et passait parfois vérifier si je ne dormais pas. Auquel cas, il me menait à la bibliothèque où nous conversions jusqu'à ce que je m'écroule de fatigue dans un vieux fauteuil inconfortable.
Ce soir là je regardais les étoiles, encore, une chandelle à la main. Il m'a fait signe de le rejoindre. Il faisait si chaud cette nuit d'été. Toutes les fenêtres étaient ouvertes. J'ai posé la chandelle et je l'ai suivi....
Le Criquet s'arrêta de nouveau, les mâchoires si serrées que ses pommettes saillaient.
Nous nous étions endormis tous les deux. Lui parce qu'il était vieux, et moi parce que je m'étais épuisé à compter ses ronflements. C'est en toussant que nous nous sommes réveillés. Une fumée noire et épaisse envahissait la bibliothèque. L'alarme était donnée mais le manoir flambait déjà, surtout du côté des chambres. Nous étions à l'autre bout, vers les cuisines, en bas...ça nous a sauvé... en quelque sorte.
Val se redressa. Apercevant les deux verres, il en prit un et le vida d'un coup, la gorge sèche. Après l'avoir reposé, il entoura de ses bras ses genoux repliés.

- Dans l'incendie qui ravagea la presque totalité du manoir, mes parents et mon jeune frère de cinq ans perdirent la vie... J'ai perdu la parole pendant une année... parce que je savais. Je savais que ce qui avait causé cet incendie, c'était la bougie restée allumée à ma fenêtre ouverte. Pas difficile de supposer que les rideaux en mouvements ont pris feu. Ils n'avaient aucune chance... et c'est moi qui les ai tué....
Ensuite on m'a envoyé en pensionnat durant six années. Le Criquet laissa le silence s'installer, songeur, le menton reposant sur ses genoux repliés, puis soupira.
- Et s'il te plaît... ne me dis pas que ça n'était pas de ma faute. Pas toi.

Alphonse_tabouret

Le baiser sala ses lèvres, les inondant du parfum soigneusement remisé jusqu’alors par la mémoire du chat dont le masochisme se refusait depuis toujours à l’alimentation superflue, ayant récemment frôlé l’indigestion la plus subite et effaça en une seconde, les doutes les plus immédiats sur la scène lugubre que le Criquet et lui avaient joué en guise d’adieux. Le corps coloré du jeune homme avait émergé de l’eau à moitié pour venir murmurer à ses lèvres l’exigence plénière et assouvir sans plus s’interroger ce qui les narguait tous les deux avec tant d’insolence : l’envie.
Et le baiser sala donc, oscilla, s’appropria, enfla jusqu’à ce que les parfums se déploient aux bouches mâles, jusqu’à ce que la tendresse émotionnée de cette réconciliation ne prenne la vibrance d’une impatience instinctive de la chair à s’apaiser au met qui lui plait. Une main tenue par celle de Val, l’autre alla gagner le cou où les mèches blondes serpentaient alourdies d’eau, répondant au besoin viscéral de toucher l’adonis quand leurs bouches se nouaient d’une fragrance égrenant à l’âme un soulagement tel que le sourire resta discrètement sur le visage du comptable malgré l’éloignement de son amant, ronronnant d’un apaisement jusque dans les prunelles. Ce qui peinait le Criquet, ce n’était plus lui, et égoïstement, cela égaya l’âme du chat d’une joie puérile.
Retranché sur lui-même, créature dont la chaleur de l’eau engourdissait le corps quand l’âme grelottait, le Criquet commença son histoire, voguant tantôt dans les souvenirs, tantôt dans les idées noires et Alphonse écouta, présent sans être envahissant, présence sans être tangible.

Elle était donc là, la folie de l’éphèbe, nichée au chaud d’un repenti qui ne viendrait jamais, attendant une absolution que les morts ne donnaient pas, trop définitivement absents, enchainés uniquement à la mémoire des vivants mais incapables de délivrer un quelconque message, muets, contraints à jouer encore et encore les scènes dans lesquelles on voulait bien d’eux. Il en savait quelque chose le chat, laissé à moitié mort par cette simple constatation qui l’avait hantée jusqu’à la colère la plus destructrice: Si j’étais resté, rien de tout ça ne serait arrivé.
Accablé par les visions qui naissaient à ses lèvres, le corps de Val réagissait, marqué, violenté par les affres de ce passé brulant, et après avoir éclusé son verre d’une lampée, conclut par une demande légitime :

- Et s'il te plaît... ne me dis pas que ça n'était pas de ma faute. Pas toi.

- Pourquoi te dirais-je ça ? , demanda le chat en venant caresser, délicat, la tempe blonde du dos de l'index, d’une voix légèrement absente, plongé dans les pensées qui affleuraient, avant de se redresser pour attraper la bouteille de vin et remplir le verre de l’amant à nouveau. Il porta le breuvage à ses lèvres et but une gorgée avant de soupirer : La mort de ceux qu’on aime n’a aucun sens, jamais, quelle que soit la faute qui nous y attache… Un sourire triste habilla ses lèvres quand il tournait son regard vers Val. Je ne te dirai pas non plus qu’ils n’auraient pas voulu te voir comme ça… Si mon père devait mourir ce soir, je pourrais parier qu’il me souhaiterait la syphilis autant que par la peste, tout pourvu que l’agonie soit longue… Un rictus vaguement amer, délaissé à peine né pour retrouver toute l’attention due au Criquet, passa sur son visage. Je ne connais rien des tiens, mais je te connais, toi… fit il quand le doigt dérivait pour cueillir le menton et tourner son visage vers lui. Cette nuit partagée, la chair avait parlé un langage né d’elle seule, liant si fortement l’un et l’autre dans cet apaisement émerveillé de l’instant, qu’elle laissait, stigmatique, un certain savoir sur un monde pourtant complètement inconnu. Il se pencha et déposa un baiser sur ses lèvres, ne s’en écartant que de quelques millimètres pour poursuivre : Je sais que tu as froid, Val… et que pourtant tu te consumes… L’antinomie des choses est un drôle de concept, n’est-ce pas ?…. Un sourire doux s’étira à ses lèvres, frôlant celles du blond, frémissant à ce contact et choisissant de s’en écarter, non plus par méfiance mais par crainte du manque de contrôle. Certaines retrouvailles étaient faites pour être célébrées avec toute la fougue de l’attente frustratoire, mais celle-ci avait un accent particulier, comme une danse en contretemps, où les envies les plus immédiates oscillaient dans l’ombre de la véritable urgence… Et l’urgence tenait à cet instant dans la mine ravagée du blond, dans cette histoire sordide qu’il croyait comme un enfant tient à son jouet, bercé tous les soirs par la lancinance des souvenirs aigus. Si on ne peut plus rien pour eux, que peut-on faire pour toi ?, lui demanda-t-il enfin, posant son verre sur le petit guéridon, chassant l’exclusivité de la tâche, répudiant la solitude derrière une connivence tenant à un seul mot, partageant le fardeau d’un regard calme, tranquille, patient.
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--Valtriquet

Lorsque le corps abandonne son enveloppe charnelle
L’esprit emprisonné éructe l’âme rebelle
Errant à la recherche de sa jumelle

Les paupières fermées, alourdies par le poids des confidences échappées de son âme en errance, frémirent à l'effleurement de l'index. Mais la valse des mots, dont la consonance et l'importance atteignaient son cerveau, crevèrent la brume qui l'entourait. Dans la douleur égoïste douce-amère dont il nourrissait ses névroses, Val n'avait pas envisagé que Alphonse puisse être autre chose qu'un être lumineux, dont la présence, l'aisance et les mots l'apaisaient ou le survoltaient. Penser qu'il ait pu souffrir d'un manque ou de trempes résonna en lui d'une façon étrange, douloureuse... mais le rendait soudain plus accessible.
Et quand le doigt du brun vint cueillir son menton, le visage suivit le mouvement sans aucune réticence, les lèvres affleurant les siennes.
Je sais que tu as froid, Val… et que pourtant tu te consumes… L’antinomie des choses est un drôle de concept, n’est-ce pas ? Et de ses mots murmurés au seuil de leurs souffles, l'éphèbe s'abreuva, émerveillé par la justesse et la finesse des propos. L'antinomie étant chez le Criquet sinon un concept un état d'esprit au regard de cet être plein de contradictions. Alphonse ne cessait de l'étonner, le rendant peu à peu plus curieux de le découvrir un peu plus à chaque fois. Si on ne peut plus rien pour eux, que peut-on faire pour toi?
...Si on ne peut plus rien pour eux..Si on ne peut plus rien pour eux..Si on ne peut plus rien pour eux...
Abimé dans sa réflexion, le jeune homme laissait le temps dériver, entamant de sa voix suave aux accents juvéniles une prose mélancolique .

Dans le creux de l’hiver
Au goût doux et amer
Sommeille le calice
De la fleur de Lys
Le froid vif et mordant
Sévit dans les tourments
La plus téméraire des âmes
S’y aventurant

Et pourtant...

L’onde légère
De l’éphémère
Attend
Sa saison est passé
Son parfum délaissé
Sa robe salie
Sa beauté flétrie

Et pourtant, elle attend...
Le téméraire, le vaillant

Les émeraudes se glissèrent vers le regard attentif du brun, accrochant la douceur des onyx.
Et si on disait... que peut-on faire pour nous?
Habillé d'une nouvelle lucidité dont l'étincelle brilla un fugace instant dans les jades, Val se leva, émergeant entièrement sa silhouette ruisselante et emportant dans son élan le bras d'Alphonse pour qu'il se relève en même temps. Le corps de l'éphèbe était peut-être abimé, son esprit serait peut-être toujours habité par les fautes de son passé, mais il était allé si loin ce soir qu'il ne pouvait que remonter.

J'ai froid. J'ai froid de toi...

Alphonse_tabouret

Les mots de l’éphèbe chutèrent dans les vapeurs humides du bain, laissant le chat aux portes de l’interprétation, trop prudent pour poser un quelconque sens aux paroles du jeune homme encore endolori de sa soirée, encore lacéré par les fautes qu’il se reprochait, enfant perdu, comme lui, sur le sentier voisin auquel il voyait désormais plus nettement les embuches acérées…
Sortant de sa mélopée, les jades remontèrent vers lui, brillant à nouveau d’une étincelle microscopique mais suffisante à clamer une volonté vibrante à poser un pied dans ce monde délaissé à la faveur du sang et des coups, laissant le brun y joindre l’opacité de ses prunelles fauves pour en savourer chaque sursaut, apaisé sans se l’expliquer par ce regard qui n’était plus vide, qui se discernait enfin tel qu’il l’avait fait avant… avant le malentendu, le désastre de cette fin de nuit et ce début de soirée courroucée

Et si on disait... que peut-on faire pour nous? Le sourire du comptable n’eut pas le temps de s’étendre à l’entente de la proposition qu’il trouva agréablement naïve mais vibrante de sincérité, emporté par le mouvement de Val, retrouvant la hauteur dont l’assise l’avait privé, enchainé brièvement au visage qui lui faisait face, occultant volontairement à ses tempes les expressions qu’il y avait semé tout au long d’une nuit juilletiste, quand le jeune homme poursuivait, dans le creux pudique d’une confidence : J'ai froid. J'ai froid de toi…

Les mains du comptable saisirent le cou de l’adonis, emprisonnant le fil de sa mâchoire dans leur coupelle et sans un mot de plus, dispensa la brulure aux lèvres pales de l’éphèbe, sommant aux souffles de ne faire plus qu’un quand les ventres se trouvaient, rapprochement instinctif de la chair à la chair. Dégoulinant d’eau, contaminant la chemise blanche que le brun portait encore des délices des ressentis plus exacts au travers de l’étoffe ainsi transfigurée, les pieds toujours plantés jusqu’aux genoux dans le bain parfumé, le corps du Criquet fut soumis à l’étreinte délicatement animale du comptable dont les mains s’égarèrent dans le dos quand les lèvres quittaient les siennes pour venir chercher la ligne de son cou, goutant avec une attention féline cette peau si longtemps soustraite à ses crocs. Délicat dans l’amplitude maitrisée de ses gestes mais étonnamment présent dans chaque caresse qu’il dispensait au derme perlé, le chat se laissa porter quelque secondes par le gout de son amant, par la sensation vive de le tenir au creux de ses bras et de le sentir, enfin, de plus en plus éloigné des supplices imposés par la soirée.

-Tu as froid de toi, le contredit il doucement en venant lui mordiller gentiment l’oreille, câlin plutôt qu’abrasif, sensuel plutôt que charnel, délayant une tendresse chaleureusement épicée à chacun de ses gestes, persuadé à tout jamais de cette leçon difficile mais salvatrice qu'il expérimentait encore lui-même au hasard des facéties cruelles de la camarde. Je ne suis qu’une étincelle, lui expliqua-t-il doucement, incapable de se penser plus, déterminé à n’être rien de plus, et modelé par ses propres soins à ne jamais croire plus loin que cette aspiration-là, coquille qu’il croyait vide, dont l’âme avait été tant de fois broyée par les mains paternelles qu’elle ne savait plus dans quel sens se mettre pour n’être pas difforme, mais fier, de voir les rares qu’il estimait relever la tête avec une telle vaillance … Une étincelle mouillée, conclut-il dans un sourire léger en volant un baiser à l’adonis, butinant ses lèvres quelques instants avec une langueur d’esthète, avant de s’écarter d’un pas pour attraper le linge qu’il avait sorti à son attention. As-tu faim, ou soif ?, lui demanda-t-il en dépliant l’immense drap de bain brodé au nom du bordel pour la lui tendre.
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[RP fermé] Nos hématomes crochus qui nous sauvent (*)

--Valtriquet

Ca l'amusait de penser que son appétit il le devait à sa faim du brun. Nul doute que le pain craquant n'avait jamais eu si bon goût. La taquinerie d'Alphonse le fit sourire. Lui aussi aurait besoin de se remplumer un peu. Il lui semblait que les ombres dessinées sur les joues de son amant, si infimes soient-elle, n'y étaient pas auparavant, lors de leur dernière rencontre. Et ce n'est pas la tartine tendue qui y changerait quoique ce soit, puisqu'il la dédaigna du bout des doigts, profitant de son poignet à portée pour l'attirer à lui et porter à sa bouche un souhait que Valtriquet se fit un plaisir...
-A choisir, ce n‘est pas le gout de la confiture que j’emporterais dans mes songes.
.... d'exaucer, se laissant mordiller les lèvres où les picotements de douleur se mêlaient au plaisir ressenti. Alors que le moelleux de l'oreiller recueillait la tête alourdie de fatigue du flamand, le Criquet mouilla la pulpe de ses lèvres en les faisant glisser l'une contre l'autre, savourant la morsure qui les enflammait. Je crois que mes rêves ne me laisseront pas tranquilles longtemps, murmura le brun dans un soupir, les paupières alourdies de fatigue. Attendri par cet aveu sous entendu, Val ne réagit pas tout de suite, savourant quelque part de voir le félin dans un abandon qui le rendait encore plus désirable.
Avisant tout de même qu' Alphonse était encore habillé, Val déposa la tartine restée dans sa main sur le plateau qu'il enleva du lit pour le déposer sur le bureau et approcha sa bouche assez près pour que les ouïes, encore sensibles au son, entendent son murmure.- Laisse moi te déshabiller. Que tes rêvent ne soient pas empêtrés par des habits qui les engonceraient...

Ses mains n'avaient pas attendus pour commencer à délacer les braies du brun et lui ôter, prenant soin de ne pas freiner sa plongée dans le sommeil, aidé par les mouvements lascifs de son amant. Le blond suspendit son geste au moment de rabattre la couette sur le corps nu exposé à sa vue, submergé par les images de leur étreinte, leurs peaux se frôlant, le bassin du brun épousant le sien. A ses souvenirs, son ventre se durcit sous la naissance d'une folle envie. Il secoua la tête en souriant et remonta sagement l'épais duvet sur le corps du flamand. Même endormi il faut que tu provoques mon désir... Il ne put résister à l'arrondi de l'épaule sur laquelle il pressa doucement ses lèvres en lui murmurant.
- Que ta nuit apaise tous tes maux...

En raflant les vêtements éparpillés pour les déposer sur une chaise à côté, Val enfouit son visage dans la chemise d'Alphonse, humant profondément l'odeur musquée dont elle était imprégnée. Il l'enfila en s'abîmant dans la contemplation de la silhouette endormie de son amant, l'esquisse d'un sourire énigmatique sur les lèvres et s'attabla au bureau pour laisser un mot sur un vélin.

Cher Comptable de l'Aphrodite,

Je retiens en otage ta rebelle chemise. Si tu veux la récupérer sans que nul mal ne lui soit fait,
tu as intérêt à ramener ton illustre fessier Rue de L'Oseroie, près de Nostre Dame , non loin des quais.
Quand tu y seras, lève le nez. La première demeure parmi celles bariolées de
colombages, une seule au dernier étage déborde d'une luxuriante végétation.
Sur la porte de bois, deux mains entrelacées en cuivre.
Tu es arrivé...

Val

Une fois habillé, le Criquet s'approcha du dormeur profondément endormi. Ecartant les quelques mèches qui barraient le visage apaisé, il le contempla encore une fois avant de s'en aller en refermant doucement la porte. Rien n'aurait pu présager de l'issue de cette soirée. Le retrouver ainsi...En traversant les ruelles de Paris qui s'éveillait, le Criquet repensa au sauvetage du chat sauvage s'acharnant sur son compagnon de jeu. Qui avait été véritablement sauvé cette nuit là, Aaron ou lui?..

Alphonse_tabouret

La déchirure du sommeil au profit du réveil était un spectacle dans lequel Alphonse s’abimait peu, fuyant d’habitude la couche et la chambre sur la pointe des griffes dans l’écho d’une respiration paisible, et si un instant il se sentit de trop dans ce tableau au parfum de rêves, il ne put s’empêcher de céder un sourire sincère à la voix embuée du blond, à ses gestes encore engourdis du repos venant pourtant le chercher dans les décombres du cocon moelleux.
Gracieux, le temps s’attarda sur la main blanche s’égarant à sa cuisse, sur les yeux verts babillant à la lumière d’un jour nouveau, sur la lente montée des doigts à son torse jusqu’à l’amener à chuter dans les couvertures, emprisonné par l’odeur de son amant et le poids de son corps encore brulant d’une nuit délaissée au confort de la plume d’oie. Les yeux un instant clos, il s’autorisa l’abandon aux caresses, aux lignes lascives que le Criquet appuyaient aux siennes, et par besoin de toucher ce qui devenait désir, égara dans les cheveux blonds, les mains brunes, gardant toujours au creux des doigts la douceur des boucles blondes , que la bouche de l’éphèbe soit à l’épaule ou bien au cou, à l’oreille comme aux lèvres.

Tu sens le pain chaud...

Happé par le baiser dispensé, par la mouvance soyeuse du corps effilé dont la chair s’animait, instinctive, privée à hauteur de celle du félin de l’agonie des sens dans laquelle ils s’étaient noyés avec une telle emphase quelques temps plus tôt, le chat s’y déversa, dans un soupçon de propriété, dans l’étreinte ferme que la dextre apposa à la nuque, gardant le souffle du blond au sien aussi longtemps que nécessaire pour faire passer le gout de cette attente.
A la faveur d’une accalmie, croisant leurs regards, les corps ensemencés d’un désir qui se dessinait à la chair, l’éphèbe attarda sur le chat un regard où la froideur de la réalité s’immisça, prenant note des cernes pointant sous le velours du regard noir, et, étirant malgré lui un sourire sur les lèvres félines, se détourna, pris d’une résolution aussi enfantine qu’irrésistible au travers de quelques mots lancés comme autant d’excuse à sa faim.

- Mmmh voilà un repas bien copieux. Habituellement je ne prends qu'un bol de lait. Mais mon dernier repas remonte à hier matin et j'avoue que ce plateau me met en appétit.
C'est délicat de ta part de songer à nourrir ton... chaton errant

Abandonné à la couette encore tiède de son précèdent locataire, Alphonse, étendu, laissa son regard courir le long du dos blond, les yeux s’accrochant aux traces encore nettes qui apparaissaient quand d’autres s’étaient atténuées, plus superficielles, et tendant un bras, vint attarder, du bout des doigts, une caresse sur la hanche.

-Mange autant qu’il te fera plaisir… Tu es maigre, le taquina-t-il en dérivant la pulpe de l’index jusqu’au dessin des côtes, un sourire espiègle s’entendant nettement dans son timbre, aimant le mensonge quand il n’avait aucune importance. Si le criquet était fluet, il n’en était pas moins parfaitement dessiné, et la pique ne visait qu’à amuser l’amant.

- Tu devrais te restaurer. On dort mieux l'estomac léger, mais je doute que vide tes rêves te laissent tranquille.

Avisant la tranche de pain sans appétit, il la repoussa du bout des doigts, une moue d’enfant peu convaincu aux lèvres, s’autorisant un caprice au creux de son lit pour la première fois depuis longtemps, attrapant le poignet pour tirer le Criquet au geste entravé par cette bête tartine, au bord de ses lèvres

-A choisir, ce n‘est pas le gout de la confiture que j’emporterais dans mes songes, glissa-t-il à la bouche du jeune homme en venant mordre doucement mais fermement la lippe à portée de ses crocs, ne le relâchant qu’en devinant la douleur se mêler au plaisir, laissant sa tête retomber mollement dans l’oreiller, exhalant discrètement la discrète odeur de Val, portant à ses lèvres un sourire lascif et irrémédiablement touché par la somnolence. Je crois que mes rêves ne me laisseront pas tranquilles longtemps, soupira-t-il dans un murmure salé, déversant le sous-entendu au timbre de sa voix trainante de fatigue et à la façon qu’il eut de rabattre un pan de l’oreiller à son nez pour en cueillir tout le parfum.
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--Valtriquet

Ce dormeur de Val
Demande à être réveillé
Que lui soit enlevé ce voile
Qui l'a prématurément aveuglé...

Sous la masse de boucles blondes les paupières frémirent, imperceptiblement.
Caresse...
Le souffle cassa son rythme régulier dans une inspiration légère.
Douceur...
Les cils frémirent à nouveau au contact de l'effleurement sur sa peau, avant de se lever pour laisser la lumière effleurer les émeraudes.
Val esquissa un sourire et referma les paupières en murmurant:
- Tu es là....
Il savourait la présence d'Alphonse et l'agréable réveil du jour en sa compagnie, découvrant d'abord la jambe repliée sur laquelle il posa sa main sortie de sous l'épaisse et douillette couette. Dans le silence où ses sens s'éveillaient, son regard remonta le long de la silhouette assise, souriant en découvrant le sourire de son amant, avant de venir ficher ses jades dans les yeux sombres et chaleureux, laissant encore un peu en suspend la ligne du temps.
- Bonjour ...

L'air embaumait le pain tout juste sorti du four, comme ces échoppes de boulangers devant lesquelles il passait au petit matin quand il rentrait après une folle nuit.
Le Criquet remonta sa dextre lentement le long du torse penché sur lui, agrippant la chemise sur laquelle ses doigts se nouèrent pour l'attirer dans le lit. Dégageant la couette d'un mouvement de sa jambe, il la plaça repliée entre celles du flamand tandis que ses mains, en lents mouvements mesurés, effleuraient, caressaient, le corps de son amant.
La tête d'Alphonse reposant à présent sur le moelleux de l'oreiller, Val huma son cou en y pressant délicatement ses lèvres jusqu'à remonter à l'oreille dont il saisit le lobe pour le mordiller et lui chuchoter:- Tu sens le pain chaud...

De ses lèvres pleines et arrondies de la chaleur de sa nuit, il cueillit la bouche du brun en s'allongeant sur lui, son ventre s'éveillant à l'amour autant que son corps au jour. C'était un délice de retrouver le goût de sa langue qu'il savourait dans un profond baiser. Retrouver et reconnaître les gestes naturels des amants qu'ils furent, dans la douceur et la démesure.
Quand l'éphèbe chercha les onyx et que malgré le désir qu'il y lisait, les traits tirés du brun lui révélèrent son état de fatigue, il se traita d idiot et posa doucement son front contre le sien, essayant de freiner son envie de lui et réguler son souffle haletant.

- Ta nuit a été longue et moi... je suis un sombre crétin. Tu as besoin de te reposer. Un sourire d'excuse affleura à ses lèvres et son regard capta le plateau du petit déjeuner, débordant de victuailles. . Tu m'as donné faim avec....ahem.... ce réveil odorant et appétissant.

A regret il se détacha du brun pour s'allonger sur le dos, sa senestre dégageant les mèches de cheveux qui lui barraient le front. Néanmoins il sourit en regardant le plafond. Avoir Alphonse si prêt en freinant ses ardeurs était une vrai torture qu'il préférait quand même au vide de ses réveils.
Il tourna la tête vers lui puis roula sur le lit pour se retrouver près du petit déjeuner.

- Mmmh voilà un repas bien copieux. Habituellement je ne prends qu'un bol de lait. Mais mon dernier repas remonte à hier matin et j'avoue que ce plateau me met en appétit. Se redressant en position assise, Val mordit de bon coeur dans une tartine beurrée en faisant suivre sa bouchée d'une longue gorgée de lait.
- C'est délicat de ta part de songer à nourrir ton.... Un regard espiègle adressé au flamand, il poursuivit... chaton errant.
Puis il étala une cuillère de confiture sur une tartine et la tendit à son amant.- Tu devrais te restaurer. On dort mieux l'estomac léger, mais je doute que vide tes rêves te laissent tranquille.

Alphonse_tabouret

La nuit avait filé, pleine, n’épargnant ni l’attention, ni les réflexes du comptable puisqu’il avait fallu délayer les informations rassemblées et les transmettre avec la plus grande concentration quand ses pensées ne cessaient de se délier vers le corps abimé qu’il avait laissé dans sa chambre.
L’aube avait fini par pointer et avec elle, le mouvement inhérent au ventre de la maison et du personnel allant et venant pour finir de rendre au bordel son air de fraicheur constante quand bien même la nuit avait tout juste fini d’y agiter ses reins. Hubert avait clos la discussion d’un départ décidé vers la suite des opérations et, abandonné à son bureau, Alphonse avait fini de reporter patiemment les diverses colonnes de chiffres qui avait jalonné les heures de la maison.
Paris avait définitivement levé les limbes du potron-minet quand il referma son livre de comptes pour s’étirer, harassé mais étonnamment alerte encore, baillant avant de frotter des yeux cernés en se dirigeant vers le couloir desservant la maison basse. Profitant de cette sempiternelle balade pour saluer les domestiques qui prenaient leur fonction, optant au choix, d’un sourire pour l’une, d’un mot aimable pour l’autre, le chat discrètement n’eut qu’à poser quelques questions pour savoir que nul n’était sorti du bordel depuis qu’il y était rentré, étirant bêtement au fond de son ventre une satisfaction moelleuse.

Lorsqu’il passa la porte de sa chambre, ce fut dans un silence félin, découvrant la silhouette longiligne du Criquet enfouie sous les couvertures, instant partagé entre la nausée de voir son lit occupé et le contentement simple qui en découlait, incapable de choisir entre les deux émotions celle qui le ravagerait le moins, soucieux de cette distance salvatrice entre lui et les autres à la manière d’une main froide auprès de laquelle il trouvait l’assurant réconfort d’être seul maitre à bord. Côtoyer les autres n’était pas facile, vivre avec eux encore moins, et leur attacher de l’importance relevait de l’improbable… Et pourtant il ne se leurrait pas, se sachant contaminé depuis les toits de Notre Dame, peinant depuis lors à mettre un pied devant l’autre pour marcher au même rythme que les autres, mais avançant obstinément, et trouvant à cette vie qui n’avait plus le parfum de l’anglais, des accents à ce point vibrant dans le sourire des autres qu’il persistait à son calvaire, sans être plus léger, mais en s’habituant au creux béant de son cœur.
Il referma la porte derrière lui, silencieux, pour poser à côté de la tête de lit le plateau préparé par les cuisines, débordant inutilement de fruits, de brioches et de pain toastés, et d’autant de confitures que les soubrettes avaient pu en disposer entre le bol de lait chaud et le pot de beurre. Ce n’était pas tous les jours que le comptable réclamait un petit déjeuner et les caméristes avaient choisi de voir large, d’autant que le bruit s’était rependu rapidement qu’il n’était pas seul, là-haut. Poulailler innommable pour la plus part des bonnes gens, fange que l’on préférait cacher dans les sous-sols d’une cuisine, il n’en demeurait pas moins chez chacun des employés de la maison basse, une vue directe sur le déclin lent dans lequel le chat s’était empêtré depuis qu’il avait choisi de se faire avaler par l’Aphrodite, et de ce fait, exauçaient la moindre de ses demandes avec un enthousiasme débonnaire, prenant chaque désir exprimé comme un signe de vie.

Il s’assit dans le moelleux de la couette, cherchant d’une main légère les cheveux ensommeillés de Val jusqu’à les trouver, l’index dégageant l’édredon jusqu’à laisser entrapercevoir le profil, attardant un sourire à trouver le visage du blond ainsi délassé de sommeil, heureux flottant à la dérive de quelques heures qui n’appartenaient qu’à lui, en toute quiétude et laissa ses doigts s’enrouler aux pointes des boucles désordonnées sans encore chercher à le réveiller.
Attentif à la respiration altérée par les songes, lente, posée, il laissa glisser son doigt le long de la joue blanche, premier signal envoyé au rêveur dont l‘imaginaire ne devrait plus tarder à se fendre, jusqu’à effleurer les lèvres, joyaux sertissant le masque angélique, l’appela doucement, allongeant la caresse en suivant le fil de la mâchoire et accueillit le réveil du Criquet dans un sourire et une odeur de pain grillé.

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--Valtriquet

Ce soir je te laisse partir.....

Comme les aiguilles d'une horloge mal réglée dont les rouages cliquetaient sur les mêmes dents usées et fêlées, la silhouette endormie de l'Adonis se déplaçait anarchiquement dans le lit trop grand pour lui sans la frontière du corps bienveillant de son amant. Tantôt étendu de tout son long en travers des draps soyeux, une heure plus tard recroquevillé en son centre comme un ilot perdu, puis affalé le bras suspendu dans le vide, à la limite de tomber, sur l'arrête d'un angle. Pantin de chiffon dont le corps abandonné au sommeil enveloppant laissait au temps la distraction de tourmenter encore son esprit à la dérive.

La barrière des cils s'entrouvrit sur un regard ensommeillé, le temps de prendre conscience de l'endroit où il se trouvait et laisser les souvenirs affluer. Le silence aidant, ses pensées vagabondaient, nébuleuses. Le brun l'avait retrouvé. Peu importait dans quelles circonstances. Val prenait les choses comme elles venaient, parfois comme un cadeau, d'autres fois comme un fardeau. La suite de leur rencontre lui avait paru pour le moins étrange. D'abord qu'il y ait une suite et non une fuite. Ce qui le titillait, ce qui prenait naissance alors l'avait dérouté, effrayé. Encore maintenant il ne se l'expliquait pas. Ce qui avait changé c'est qu'il laissait venir à lui ce qui émanait de son autre.

Sa main avança à tâtons, aveugle, sur le lit défait à la recherche de son amant. Absence... Alphonse l'avait prévenu. Il n'en resta pas moins un peu déçu et se glissa à la place qu'avait occupé le flamand pour humer son odeur musquée dans la douceur des draps et s'en enivrer.
Dans l'encadrement de la fenêtre, la nuit bleutée avait perdu le voile sombre qui l'en recouvrait, laissant apparaître la découpe des toits enchâssés les uns aux autres.
Les bienfaits du bain chaud s'étaient évaporés tout comme l'alcool de ses veines. Le blond grimaça à peine au réveil de son corps endolori. Encore somnolant il referma les paupières, le nez plongé dans l'oreiller de son amant et se laissa glisser lentement dans la nuit écorchée.

Alphonse_tabouret

Entrainé par l’air irrésistiblement ensommeillé du Criquet, par la main chaude qui saisissait la sienne pour l’entrainer vers le lit quand la voix qui lui répondait, s’arrondissant d’un jeu lascif tout en espièglerie, chant répondant de l’amant à la taquinerie du félin, Alphonse se laissa faire.
Parce que le regard que portait Val sur lui avait la limpidité de l’envie ou bien tout simplement parce qu’en d’autres heures il aurait mené la danse avec la même langueur, le comptable su qu’il allait chuter et ne profita que plus de la brève gravité qui abima son corps dans le tendre de la couverture. Ses doigts instinctivement s’enfouirent dans la crinière blonde, massant le crane arrondi dans l’étreinte qu’ils accordèrent quand la bouche du Criquet prenait sans qu’aucune résistance ne s’y oppose, la sienne. Les baisers suaves du blond s’égrenèrent à sa peau quand sa voix vacillait, et qu’il détachait, somnolent vaillant dont le parfum de sommeil embaumait le brun au travers des gestes lascifs mais de plus en plus engourdis qu’il dispensait.
Le corps livré aux caresses pourtant irradiantes et volontaires accusa soudain le poids du rêve à son torse et redressant doucement la tête pour jauger du spectacle, il trouva, endormi, son amant livré en pâture à un ailleurs, chaton sagement assoupi. Le sourire, doucement narquois, étira la commissure des lèvres quand il soupirait autant d’amusement que pour chasser les prémices d’une nervosité qui menaçait d’éveiller son appétit, passant une main douce dans les boucles blondes.

-Bien… j’annule le bol de lait chaud alors… murmura-t-il à l’attention des paupières closes dont le frémissement indiquait l’abime dans lequel le jeune homme plongeait.

Un instant immobile il laissa le poids du Criquet raviver à sa chair ses nuits d’antan, trouvant dans la masse effilée du corps jumeau, un bien être nostalgique, une quiétude qui ne lui appartenait plus. L’idée ne l’effleura même pas de rester, d’essayer de s’endormir lui aussi dans le cocon de cette chaleur unique de la chair à la chair, non pas par la faute des obligations qui pourtant le réclamaient, mais par la plus sinistre des habitudes. La pensée était rejetée systématiquement depuis si longtemps qu’elle n’existait plus.
Habile à s’extirper de tous les bras, entrainé depuis bien longtemps à se mouvoir hors de la couche sans que nul bruit ne le trahisse, Alphonse, lentement, quitta le corps délicat et abimé du Criquet pour le lover dans les épaisses couvertures froissées par la chute et, silencieux, sans se retourner, gardant pour lui l’espoir de revenir au matin et de le trouver encore là, quitta la chambre où résonnait à peine le souffle discret du rêveur.

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Alphonse_tabouret

Les lèvres de l’adonis vinrent effleurer le coin de siennes une première fois, duveteuses, pelucheuses presque, avec ce gout tendre et délicat des choses qui se passent de mots, dessinant leur caresse à l’antipode première, couvrant la mâchoire, laissant un instant le chat entre les pattes d’un autre.
Les bras d’Alphonse se refermèrent définitivement sur le Criquet quand celui enfouissait son nez dans le cou brun, l’y serrant précieusement, devinant sur sa peau, la respiration du blond, lisant dans la façon que son corps désormais collé au sien avait de se soulever, l’attention particulière à se nourrir de l’odeur de l’autre, ébréchant la pellicule flegmatique du félin.
Les doigts du comptable se crispèrent doucement à la chair blonde, poigne ferme mais douce, s’appropriant égoïstement dans l’instant, la chaleur de ce corps dont la dévotion avait tout du feu sacré, s’y nourrissant, sensible à cette application qu’avait Val à lui avoir toujours donné la sincérité plutôt que l’acidité, songeant une seconde que des deux, c’était peut-être définitivement le blond le plus sincère. Ne se cachait il pas en permanence le chat, derrière le fil des sous-entendus, jouant de l’ombre pour échapper à la clarté la plus diffuse, griffant chaque âme qui présentait un intérêt pour constater la véracité de sa découverte, sans arriver à s’émerveiller d’avoir survécu et à son père, et au Lion.
Le temps fila, éphémère, bercé par l’étreinte dans laquelle les deux jeunes hommes étaient plongés et il s’écoula une poignée de minutes avant qu’Alphonse ne rompe le silence, s’écartant lentement de l’adonis, remontant sa main à porter de son visage pour éclairer ses jades fatigués en poussant une boucle blonde, se perdant brièvement dans le dessin délicat des traits, dans l'air désormais calme qui auréolait son amant.

-Veux-tu dormir ici ?, lui demanda-t-il à mi-voix en lui désignant le vaste lit qu’était le sien. Les doigts caressèrent l’arrondi de l’oreille quand le sourire venait ombrer les lèvres du brun. Je ne pourrais pas rester, j’ai encore quelques affaires à traiter à la Maison Basse, lui expliqua-t-il en le libérant définitivement de ses bras, attardant une main à la hanche. Un étage en dessous, Hubert, mère poule dévouée à ce fils qui n’était pourtant pas le sien, attendait certainement le rapport de la rencontre qui l’avait initialement fait sortir du bordel. Je ne suis pas sûr de pouvoir te rejoindre avant l’aube, rajouta-t-il dans un sourire doux qui ne comportait pourtant pas l’ombre d’une excuse, car aurait-il eu le choix, que le chat ne serait pas remonté à son nid pour y dormir en le sachant occupé. Dormir avec un autre était une preuve d’affection rarissime, et, gardien esthète de ses nuits les plus noires, le félin entendait rester l’unique spectateur de ses propres tourments blêmes et de ses faiblesses les plus sordides, sans personne pour le juger... Pourtant, il rechignait à laisser l’adonis repartir chez lui, dans ce paysage fantomatique qu’il avait aperçu dans les mots douloureux qu’il avait semé dans l’eau ensanglantée du bain, seul, trop… Qu’en dis-tu ? L’espièglerie vint saler la tendresse de la proposition : Deux mètres de lit uniquement pour toi, un sommier fraichement remplumé… Tandis qu’il parlait, la main sur la hanche avait tourné le Criquet vers le lit, et désormais dans son dos, le comptable se pencha doucement pour gagner l’oreille et taquiner l’adonis d’une voix sourde, lascive, zestée d’une insolente assurance, tachant de le convaincre d’un dernier argument : … des draps empreints de mon odeur…
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--Valtriquet

Il l'avait retrouvé... enfin.
Là, dans l'étreinte des bras du brun.
Là, dans le silence ténu des respirations qui se lient, qui se reconnaissent.
Là, dans la pression des doigts à même sa peau.
Là, dans sa main qui frôle le tissu pour longer aussitôt la cambrure des reins.
Là, dans le regard qui recherche le sien.
Il l'avait retrouvé, la mémoire du corps. Celle qui ne trompe pas.

Val, éternel jongleur de névroses, obsessionnel maçon d'un même mur monté jour après jour jusqu'à l'enfermement, découvre qu'il peut exister autre chose. Accepte l'idée même de ce concept nouveau.

Tandis que Alphonse lui parlait, tandis que les mots lui parvenaient par vaguelettes, le Criquet sentait une faible mais naissante lueur pulser. Etrange sensation, dérangeante mais agréable. Une mécanique du coeur au tic- tac entêtant. Le blond secoua la tête pour chasser ce bourdonnement et sembla à nouveau voir les onyx après cette courte absence.Qu’en dis-tu ? Tourné habilement vers le lit, il esquissa un sourire en s'adossant au torse du brun, l'oreille chatouillée par son murmure lascif et taquin.
… des draps empreints de mon odeur…
Epuisé mais non dépourvu d'espièglerie, Val tourna légèrement la tête de côté pour murmurer sur le même ton: Tous ces efforts pour m'attirer dans ton lit? Il fallait le dire tout de suite...

Sa main saisit celle d'Alphonse fichée à sa hanche et se retourna pour lui faire face, reculant pas à pas en attirant le brun vers le lit. ...C'est fort tentant dis moi....
Quand ses talons rencontrèrent le lit il se laissa choir sur le dos, emportant avec lui son amant sur lequel il s'allongea de tout son long.....Encore faudrait-il que je te laisse t'en aller.....
Il ceuillit la bouche gourmande pour se l'approprier .... que j'accepte de perdre quelque temps ce que j'ai retrouvé...
Les mains blanches et abîmées délacèrent lentement le haut de la chemise pour goûter à la peau, s'enivrant du parfum musqué déployé à cette parcelle dénudée. ....me faire violence pour cesser toute errance sur ton corps attirant... Au fil des mots la voix de l'éphèbe se faisait plus suave, marquée de petits silences, les gestes plus lents.... alors que.... je suis censé te donner...du courage... élan... pour continuer ton ou... vrage.
La tête reposant sur le torse du brun, sa jambe repliée entre les siennes, vidé de toute la force qui avait quitté son corps abîmé, le Criquet avait fini par s'endormir d'un souffle apaisé et régulier.

--Valtriquet

Alphonse avait tout ébranlé en lui. Les fondations d'un mur qu'il pensait inébranlable. Ses convictions à ne rien ressentir, pour ne plus se perdre et souffrir. Il avait grandi comme ça. Il s'était fait comme ça. Sans penser qu'un soir il croiserait sa faille à la faveur d'une soirée qui aurait dû, qui aurait pu, être comme les autres. Et peu à peu les événements l'avaient déstabilisé, lui faisant perdre de sa prestance, de son assurance, de sa foi envers son dogme qui faisait loi. Il s'était rebellé, agissant avec impulsivité, conscient du danger sans pouvoir pour autant rien changer à la marche de cette mue qui le déshabillait, fragilisant son équilibre et sa volonté. Comme une danse macabre le faisant valser deux pas en avant pour trois en retrait, illusionniste et manipulateur de sa propre marionnette.
.... mais maintenant, là, qu'il m'est doux de t'avoir contre moi...
Avec fébrilité et pudeur, Val savourait cet instant, ses doigts caressant la nuque de son amant, effleurant les cheveux bruns.

Ne t’excuses pas d’être vivant... J’ai provoqué tout ça, je le sais bien, je suis comme ça… La voix d'Alphonse chuchotant le fit tressaillir. Je t’ai poussé et tu n’as pas voulu tomber… Val écoutait chaque parole dans un silence presque religieux dont se vêt la confidence ou l'aveu. Pourtant ça lui était incompréhensible. Il savait, lui, que c'était de sa faute. Se pourrait-il que le brun pense être coupable de quoique ce soit? Le Criquet trouvait cette idée... nouvelle. Ce qu'il ressentit à ce moment précis était étrange. Comme un soulagement. Il ne se sentit que plus proche encore d'Alphonse. Cette soudaine prise de conscience envoya quelque part au fond de lui un signal apaisant.
Je te pardonne si tu me pardonnes...Plus proches en dehors, tandis que leurs corps se rapprochaient. Plus proches en dedans tandis que la voix chaude poursuivait.Je n’accepterai ton invitation qu’à cette condition Val… Les yeux plongés dans les onyx, si loin qu'il s'y noyait, son souffle léger frôlant les lèvres adulées, le Criquet comprit enfin et hocha lentement la tête avec un sourire qui se voyait à peine tant il était serein.
... oui... Naturellement le blond pressa doucement ses lèvres sur un coin de la bouche de son amant.... oui.. Continua t'il en baisant l'autre commissure des lèvres. Doucement la chaleur de ce corps si près se diffusa contre sa peau frissonnante. Val longea le fil de la mâchoire, posant ses lèvres sur la peau au parfum envoûtant par petite pression, puis noya son visage dans le cou du brun, son corps pressé contre le sien. Pour la première fois il n'avait plus envie de courir, plus envie de s'enfuir. Est-ce pour cela qu'il sentait les prémices d'une lente torpeur gagner son corps affaibli... Doucement son souffle effleura la peau d'Alphonse, humant son odeur boisée.
...content que tu acceptes de venir... et... que tu me pardonnes...

Alphonse_tabouret

La réponse du Criquet fut tellement spontanée qu’elle le laissa livré à une stupeur totale, chat incapable de l’être ou presque, heureux locataire de ces chaines qui le conditionnaient et qui, si elles l’étouffaient, lui montraient toujours le chemin le plus sûr à suivre. Ses yeux s’écarquillèrent légèrement, arrondissant ses onyx d’une lueur étonnée, effaçant presque l’attention délicate du blond à attarder la caresse à sa main quand celui-ci se retournait justement, surpris, peut-être plus encore par ce qu’il venait de dire, que par ce que le comptable avait entendu. Le poids des mots étaient à ce point changeant tout en restant denses selon s’ils perlaient à la gorge ou à l’oreille, qu’Alphonse eut l’impression une seconde, d’avoir l’âme gangrénée de chaleur mettant à vif son flegme et sa tranquillité d’un bouillonnement éphémère.

Les mots de l’adonis achevèrent de noyer cette ambiance au gout de pudeur, délayant avec une certaine parcimonie les détails qui achevaient de prendre place entre les tempes brunes, recoupant, refugié dans l’analyse et la froide logique qui le réconfortaient tant, les informations que délivrait le blond. A l’entendre apprécier le gout on ne peut plus sommaire de la pièce, l’imagination si pauvre d’Alphonse n’eut aucun mal à se représenter la silhouette solitaire du Criquet entre les murs d’une maison trop grande pour lui et finissant son verre quand Val posait la ressemblance entre leurs univers, il le laissa sur le guéridon adjacent, suivant des yeux la silhouette qui se tournait à nouveau vers lui

- Personne n'y vient, parce que...... je ne l'ai jamais souhaité. Seul Lothaire y est autorisé. Lui est à demeure. C'est en quelque sorte le cerbère de cette antre. Mon repère. J'aimerais un jour t'y emmener. Si tu acceptes.
Etait-ce parce que leurs blessures avaient quelque chose en commun que le comptable sentit l’importance tacite d’une telle invitation au-delà des mots qui le lui assuraient ? Il ne répondit pas de suite, attentif toujours, silencieux éternellement à ne jamais interrompre l’autre pour le laisser aller au bout de ses pensées, suspendu aux mouvements de son amant dont le corps exprimait encore une envie de parole. Le verre de vin fut posé permettant à la dextre de s’enfouir dans la nuque du chat, frémissant à ce contact, laissant ses yeux se voiler et s’alourdir de chaleur quand le front du blond vint s’appuyer au sien et que sa voix flottait à la lisière craintive de sa conscience, bercé par les accents de douceur et de sincérité :
Pardonne moi... Je ne sais pas ce qui m'a pris. J'ai été impulsif et sot...Tout est de ma faute.

L’envie d’envelopper le Criquet dans ses bras le démangea jusqu’à lui irradier la pulpe des doigts mais il ne broncha pas, suspendu à cet instant gracieux, à la fragilité d’une rédemption qu’on lui offrait, lui qui ne demandait jamais, ou presque, réchauffé par une brise incandescente qui vint effacer la bile aussi surement qu’elle aurait chassé une poussière. Il frotta doucement son front au sien, mêlant mèches et brunes et mèches blondes, répondant, les yeux rivés vers le sol, au chaud de cette main enveloppant sa nuque

-Ne t’excuses pas d’être vivant, chuchota-t-il enfin. J’ai provoqué tout ça, je le sais bien, je suis comme ça… La cruauté des chats jouant de leur proie n’avait rien de la légende, animal égoïste, curieux autant de distant, le félin taquinait sa victime souvent jusqu’à ce qu’elle cesse de bouger ou qu’elle se retourne contre lui. Je t’ai poussé et tu n’as pas voulu tomber… La main du comptable s’aventura sans même qu’il s’en rende compte vers la hanche blonde pour y glisser, le corps réclamant le contact sans pourtant montrer des crocs, cherchant le moelleux de la chaleur qui s’entendait dans la voix de son amant. Je te pardonne si tu me pardonnes, poursuivit-il en réduisant la distance entre eux d’un geste du bras enlaçant désormais le bas du dos tout entier, jusqu’à ce que les ventres se rencontrent. Je n’accepterai ton invitation qu’à cette condition Val… conclut il quand il mourrait pourtant d'envie de lui dire oui de suite. Son visage se penchant aux élans de son corps, arrêta ses lèvres à un souffle de celle de l’adonis, se torturant pour ne pas y plonger, attardant dans le plaisir d’y fondre, la torpeur qui venait lui lécher les tempes, suspendu à la réponse du jeune homme aussi bien qu’à ses envies.
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--Valtriquet

La réponse il l'avait provoqué, espérant entendre ce qui devait le rassurer. Si chaque phrase que prononça Alphonse abondait dans ce sens, pourquoi ne ressentait-il pas son bienheureux apaisement? Le Criquet demeurait cette esquisse que la vie n'avait pas encore achevée, instable, imperméable à certaines attaques qui feraient ployer des natures plus solides, mais sensible à ce qui affleure à l'esprit. Attentif à l'explication de son amant, il n'en était pas moins troublé, autant par ses réponses que par leurs nuances, sans pouvoir définir la teneur du voile ténu et sombre qui en couvrait les propos. Une certaine retenue, ce qui serait logique après la façon éprouvante dont ils s'étaient quitté. Ce n'était pas cela... Il y avait un fil mélancolique qui liait tous les mots d'Alphonse, et le grain de sa voix avait cette fragilité et cette pudeur qui lui était familière.

Ce n’est pas très joyeux, n’est-ce pas ? Il faut croire que je n'ai pas beaucoup de gout en matière d'aménagement... ou que je ne suis pas matérialiste… La voix était passée à un ton moqueur. Par mimétisme, un sourire s'afficha sur les lèvres du blond en réponse à celui, léger, du comptable. L'effleurement de sa main ,quand il lui tendit le verre qu'il était allé chercher, électrisa sa nuque au souvenir de leur première rencontre. Les doigts de Val caressèrent ceux d'Alphonse avant de se refermer sur le vin proposé. Et toi, pourquoi m’as-tu suivi ? La réponse pour le Criquet était tellement évidente que spontanément elle jaillit de ses lèvres.- Parce que c'était toi!

Confus, le Criquet détourna son regard des fascinants onyx et s'absorba dans la contemplation de l'appartement.- Tu as eu raison de m'amener ici. Oui... je m'y sens en sécurité. Il regarda le bain, amusé.- On peut dire aussi que tu as bien fais en sorte de me détendre...Occultant volontairement qu'il venait tout de même de se détendre au point de confier ce qui avait fait de lui ce qu'il était.- J'aime bien. C'est sobre, simple. Un peu comme chez moi... Au moins si le brun venait à lui un jour, il ne serait pas surpris par la décoration sommaire de son appartement dont l'espace noyait les quelques désuets meubles qui s'y trouvaient et dont la fonctionnalité primait sur le paraître. Avec néanmoins la liberté qu'il s'était accordé pour la terrasse donnant sur la Seine et Notre-Dame. Ca lui plairait de lui montrer, de l'étonner. Etrangement, depuis la nuit où il avait tiré sa révérence d'une façon peu cavalière, malgré le mal qu'il s'était donné chaque jour à remonter son mur pierre par pierre, le Criquet ne pouvait se défaire de ce manque de lui. Ce qui ne lui était jamais arrivé auparavant. Il avait envie de se montrer autrement. De laisser entrer Alphonse dans sa vie par un autre chemin moins imbriqué que celui, tortueux, auquel il avait habitué les rares personnes qu'il avait laissé l'approcher.

- Personne n'y vient, parce que...... je ne l'ai jamais souhaité. Seul Lothaire y est autorisé. Lui est à demeure. C'est en quelque sorte le cerbère de cette antre. Mon repère. J'aimerais un jour t'y emmener. Si tu acceptes.

Val porta le verre à sa bouche, entrouvrant les lèvres pour goûter et savourer le vin. Les émeraudes glissèrent de la pièce aux onyx pour se laisser aller à leur envoûtement. Sa dextre reposa le verre et vint se nicher sous la chevelure du brun, caressant des doigts sa nuque tandis que dans un profond soupir il apposait son front au sien. D'une voix basse il murmura:Pardonne moi... Je ne sais pas ce qui m'a pris. J'ai été impulsif et sot...Tout est de ma faute.

Alphonse_tabouret

L’offre de se sustenter fut rejetée, poliment, l’éphèbe occupé à se sécher, livrant au regard noir du chat toute la blancheur de sa lascivité, et Alphonse attarda ses envies les plus saines à la lisière de ses tempes en le regardant faire, retenant le moindre geste à se joindre au spectacle, trop fragilisé par le bouillonnement laissé à ses lèvres si sages quand elles auraient voulu être outrancières.
Un silence se posa, éphémère dans une curiosité mutuelle, presque pudique, à se retrouver l’un et l’autre, si près quand ils avaient été si loin, laminés quand ils avaient pourtant fusionné avec tant d’emphase. Il suivit le regard verdoyant du Criquet sur son ventre, brulant sa peau d’une appétence qu’il reconnut, sans broncher, soumis avec un plaisir ineffable à la convoitise lorsqu’elle appartenait à ces rares qui amenaient le chat à la caresse, jusqu’à ce que les prunelles s’enlacent longuement et que la voix du blond ne demande, dans ce que le comptable prit, à tort ou à raison, pour une pointe de défi, non pas de conquête, mais de prise sur soi.

- Et si elle me plaît à moi cette étincelle.... même mouillée? L’idée même de voir quelque chose l’intéresser au point de lui plaire semblait nouvelle à l’adonis, et cette impression de « malgré tout » arracha un sourire ténu mais tendre au brun tandis que son hôte lui tournait le dos, offrant aux yeux du chat la courbe de son dos, la finesse délicate de ses épaules affirmées, jetant un œil sur la pièce dans laquelle il avait été amené. Ainsi c'est ici que tu vis? Ton chez toi?, demanda-t-il en laissant son attention dériver d’un objet à un autre en découvrant le dépouillement quasi monastique de la pièce.
Mon chez moi… Un bien grand mot…, songea le comptable,, qui avait pourtant cesser de lutter à l'idée bileuse qu’il n’avait plus de toit, errant au vent salé de la Bretagne dans un chemin de coquelicots, et que sa cage dorée était finalement ce qui y ressemblait le plus. Le rire de Quentin résonna, lointain, et ce qui lui aurait, quelques semaines encore auparavant, arraché l’âme pour l’enfouir six pieds sous terre, égaya pourtant momentanément ses yeux. Au moins, cette cage-là avait une porte d’ouverte, il ne tenait qu’à lui de la franchir.
S’il avait choisi chaque couleur, chaque meuble et chaque tapis qui venaient s’agencer dans l’espace, Alphonse n’en avait pourtant jamais fait un lieu de vie et se demanda brièvement si cela reflétait exactement ce qu’il était ou son plus mirifique contraire. Pourquoi m'as-tu amené ici, chez toi?...

La question lui fit délaisser les siennes et il porta un regard presque curieux sur le blond, attardant sa réponse le temps de savourer le visage pale mais de nouveau vivant de l’éphèbe, convoitise fruitée aux couleurs d’un été qui refusait de disparaitre.

-Parce que c’est ici le seul endroit que je… possède… Le mot lui écorchait encore le cœur, victime consentante d’un legs dont il ignorait jusqu’à peu l’amplitude de la tâche mais attaché à cette pièce vierge de tout jusqu’à ce qu’il emménage dedans. Aucun souvenir à ces murs, à ce lit, la chambre était née en même temps que lui… Parce que, étrangement, ici, ça n’est pas vraiment l’Aphrodite… Etait-il finalement là, le choix volontaire de la sobriété quand le bordel regorgeait de trésors chatoyants faits pour accaparer les yeux autant que l’admiration ? Une rupture nette, tranchée, unique choix qu’il avait pu réaliser sans se déliter de la promesse sur laquelle il ne reviendrait jamais, dut elle le consumer jusqu’à la moelle, dut elle continuer à creuser les cernes encore diffus qui ombraient son regard… Parce qu’il ne rentre personne ici sans mon consentement… Si son bureau pouvait se voir envahir malgré lui, ici, personne n’osait rentrer ici sans que la porte ne s’ouvre de l’intérieur. On pouvait bien y toquer avec toute la furie de l’empressement, si Alphonse n’en tournait pas la poignée, rien n’en franchissait le seuil, et l’on pouvait constater, six mois après son installation, qu’il avait toujours trop des doigts d’une seule main pour compter ceux qui avaient découvert ce lieu… Parce que j’avais envie que tu te sentes en sécurité… conclut-il dans un sourire en haussant doucement les épaules, regardant lui aussi les rares effets qui habillaient la pièce, choisissant l’esquive à cette inquiétude avouée, preuve délicate d’un attachement que la chair avait noué aux âmes en poursuivant, doucement moqueur quant à la décoration en place : Ce n’est pas très joyeux, n’est-ce pas ? Il jeta un coup d’œil sur le Criquet, son sourire glissant, amusé, à la commissure de ses lèvres. Il faut croire que je n'ai pas beaucoup de gout en matière d'aménagement... ou que je ne suis pas matérialiste… De fait il ne l’était pas, converti depuis toujours à la perte inéluctable des choses que l’on s’appropriait pleinement, du plus petit objet au plus grand amour. Il fit quelques pas pour aller chercher les verres délaissés et revenant tendre le sien à Val, lui demanda, arrivé à sa hauteur, d’une voix basse, presque moelleuse, empreinte d’un ton qui permettait le secret le plus absolu, en effleurant ses doigts des siens :
Et toi, pourquoi m’as-tu suivi ?
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--Valtriquet

Le bain avait lavé ses souillures, celles données, celles reçues. Et tandis que les gouttes salvatrices dispensaient encore leurs rigoles apaisantes sur le corps abîmé de l'éphèbe, les mains en calice d'Alphonse apportèrent cette nuance de douceur que ses lèvres s'appliquant aux siennes ne démentirent pas. Le blond frémit à leurs souffles mêlés, la mémoire de son corps reconnaissait le parfum naturellement musqué du comptable. La chaleur des corps plaqués, pressés, acheva de redonner aux amants le filigrane éthéré et perdu d'une page écrite en été. Sous les gestes délicats du flamand, les souvenirs mordants et vifs de la soirée arrosée de coups s'étiolèrent dans les derniers reflux des vapeurs d'eau chaude, tout comme les images trop présentes d'un passé lourd à porter qui marqueraient à jamais la chair tendre.

-Tu as froid de toi. Sur ce constat murmuré à son oreille aussitôt mordillée, le Criquet ne le contredit pas, l'esquisse d'un sourire affleurant à ses lèvres. Je ne suis qu’une étincelle … Une étincelle mouillée.D'un baiser butinant ses lèvres, le brun scella ses mots qui éveillèrent dans l'esprit du Criquet un fol espoir. Fragile mais présent.
Le dessin de sa bouche au délicieux arrondi surmonté de deux cimes arrogantes fit encore sourire le jeune homme qui trouvait dans cette esquisse une nette ressemblance avec les caractéristiques de la personnalité d'Alphonse.

- As-tu faim, ou soif ? La faim insatiable qui l'habitait n'était pas de celle à se rassasier de nourriture terrestre. L'éphèbe enjamba le marbre et prit le drap de bain qu'il lui tendait, frottant d'abord ses cheveux dégoulinants dont la pointe des mèches gardèrent encore quelques gouttes récalcitrantes, accrochées là par un équilibre défiant toutes les lois de la pesanteur.- Non merci. Pas pour l'instant: Lui répondit-il en secouant sa tignasse blonde, achevant de passer le drap sur sa peau pâle marbrée d'ombres violacées dont la chaleur du bain avait pour un temps chassé du corps endolori l'écho des coups.
Les mots qu'il s'apprêtait à prononcer ne franchirent pas le seuil de ses lèvres entrouvertes, quand entourant ses hanches de la grande serviette, les émeraudes se figèrent sur la chemise du comptable dont l'humidité imprégnée par endroit plaquait le tissu à la peau. Assailli des images sulfureuses d'une nuit de Juillet dont le ventre deviné au travers du tissu blanc mouillé ravivait le souvenir, Val se contint à grand peine de ne pas arracher ce que portait le brun et qui ravivait ses sens. Serviette nouée sur ses hanches, il glissa son regard sur le torse d'Alphonse, remonta à la bouche sur laquelle il s'attarda et accrocha ses jades aux onyx.

- Et si elle me plaît à moi cette étincelle.... même mouillée?

Au travers du rideau de quelques boucles retombées devant ses yeux, Val fixa le regard sombre puis s'en détacha pour faire un tour d'horizon sur ce qui les entourait.

- Ainsi c'est ici que tu vis? Ton chez toi? Déambulant dans la sphère d'Alphonse, un peu pour s'éloigner de ce corps par trop tentant, et aussi pour découvrir l'intimité dans laquelle il pourrait imaginer son amant à présent, Le Criquet observait chaque objet, chaque coin d'ombre qui eut pu répondre à son questionnement sur l'énigmatique flamand, laissant la pulpe de ses doigts aux phalanges écorchées glisser sur la surface des rares meubles qui s'y trouvaient. Puis il se retourna vers le brun, une question lui brûlant les lèvres.

- Pourquoi m'as-tu amené ici, chez toi?... Dans sa phrase directe et succincte, le jeune homme laissait en suspend un filet de mots et de pensées, tout ce qui le traversait. Le début du rien et le tout.

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* Ils s'éteignent un matin , dans le battant des foules....Alors ils traînent un peu, comme des bateaux perdus...*
Extrait " Les échoués" de Damien Saez

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