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[RP] Un petit coup en douce

Priam
-- [ L'habit ne fait pas le moine ! ] --


Un pari ! Pour un simple pari ! Être obligé de supporter cela ! Et pour la troisième fois en seulement 7 jours. Devoir rester là sans bouger, pendant de longues minutes, trop longues.
Sur le navire, pour passer le temps, les possibilités étaient assez restreintes ; parier à propos de tout et surtout de rien était aussi naturel que de respirer. Il n'avait pas perdu cette mauvaise habitude.

Il supportait donc en silence cette séance de torture. Le sacrifice à faire pour gagner ce maudit pari. Ne pas bouger, surtout ne pas bouger !


Aie !

L'aiguille venait de s'enfoncer dans le muscle de sa cuisse.

Une voix féminine : Pardon ! ... Mais tu n'arrêtes pas de bouger, comment tu veux que j'y arrives ! C'est presque fini, reste tranquille ! Encore une retouche et ce sera parfait !

Priam serra les dents et tenta de garder la pose. D'interminables minutes plus tard, la femme se releva enfin et lui ordonna :

Tu peux te déshabiller maintenant ! Fais gaffe ! Arrache une seule épingle et je dois tout recommencer ! Tu s'ras bon pour reprendre la pose, mon joli !

Délicatement, sans précipitation, veillant sur chaque épingle comme s'il s'agissait de son trésor, Priam retira sa tenue presque achevée. Le calvaire était fini ! Fini les essayages interminables ! Dire qu'il y avait des femmes qui aimaient cet exercice !
Il s'approcha de son bourreau, l’attrapa par la taille et lui souffla dans la nuque.


On a mérité une petite pause non ? Ton mari ne rentre pas tout de suite.

La proposition ne fut pas assez alléchante, la belle couturière repoussa les mains baladeuses.


Tu veux que ça soit prêt pour demain, alors fiche le camp et laisse-moi travailler. Reviens en fin d’après-midi.


Il insista, elle résista. La cruelle le repoussa jusqu'à la porte.
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Priam
-- [ Taverne municipale de Limoges "A la Porcelaine d'Aristote" - le lendemain soir ] --


L'habit ne fait pas le moine ? Pas cette fois ! Il allait gagner son pari, c'était certain.
Sa couturière complaisante avait des doigts de fées et pas seulement avec une aiguille et des épingles.
Sa tenue lui avait couté une petite fortune en tissus et ornements, mais cela en valait la peine. Le règlement de la couturière, de son temps et de son talent, avait été particulièrement agréable, au point qu'il envisageait de la dédommager encore plusieurs fois. Elle le méritait tant !

Tout avait commencé il y a une semaine. Cela faisait plusieurs jours que la chance lui souriait et il avait ramassé une fortune sur le dos de ses partenaires de jeu. En fin de soirée, ses compagnons malchanceux avaient commencé à le chercher sur ses gains et sa chance, arguant qu'il était aussi riche qu'un seigneur, maintenant.
Surement inspiré par la Grâce de Sainte Boulasse, l'un s'était lancé, l’appelant "Mon Seigneur" et se lançant dans des courbettes qui frôlaient l'acrobatie, tant il avait déjà du mal simplement à conserver son équilibre. Les autres avaient suivi, l'entourant, l'interpellant avec tous les titres de noblesse qu'ils pouvaient connaître, gesticulant dans une danse hésitante et vacillante.

Plusieurs fou-rires plus tard, le pari était lancé. Un autre avait objecté : Seigneur oui, mais pas dans cette tenue ! L"ambiance et l'ivresse aidant, Priam avait répondu "chiche" !
Chiche qu'il revient dans une semaine, vêtu comme un titré, chiche qu'il arrive à se faire passer pour un seigneur !
Voilà comment il en était arrivé à dépenser les gains de toute une semaine de jeux, particulièrement chanceuse, pour quelques fanfreluches. Le prix du pari ne le rembourserait même pas... La fierté est un luxe, mais il pouvait se l'offrir cette fois-ci.

Il était temps de faire son entrée. Ils étaient tous présents, déjà installés dans la taverne, en train de trinquer à leur victoire et à sa défaite.
Il entra, tête haute, sa tignasse noire retenue en arrière par une lanière de cuir. Arborant une élégance inhabituelle : un pourpoint de velours vert sombre, portée sur une chemise claire, une petite cape encore plus sombre bordée de fourrure, des braies confectionnées dans un tissu aussi doux que la peau d'une femme, des bottes de cuir.
Le temps de parcourir la distance que le séparait encore de ses joyeux lurons, il constata avec plaisir que les regards se tournaient vers lui et celui des femmes s'attardait.

Il sourit. Il se posta devant les parieurs.


Par la barbe du capitaine, n'ai-je point l'air seigneurial ? Que dis-je au moins la mise d'un baron ! Les gars, je crois que vous aller encore m'enrichir ! Sortez vos bourses, n'entendez-vous pas ? Elle veulent s'alléger !

Le Tristan rétorqua :
Pas si vite, le baron. L'est pressé le bougre à nous délester ! Faut d'abord qu'tu nous prouves qu't'y va bien te faire prendre pour baron. Faut quelqu'un qui te connaisse pas d'avant ! Pis tu lui joueras ton pipeau ! Faudra voir si ça mord !


Et tous de scruter la salle à la recherche de la proie idéale. Beaucoup de connaissances, forcément, des habitués et même des piliers. Pas de voyageurs... sauf cette inconnue, la-bas.

D'accord ! Je vais lui jouer la sérénade à l'inconnue. Elle va pas croire à sa chance ! Même c'est elle qui va venir me chercher, vous verrez ! Mais faut que vous jouiez le jeu aussi !

Il sortit sa bourse bien dodue encore, puis lança quelques belles pièces dorées à Tristan et commenta, en haussant le ton pour que tous l'entende :


Mon brave Tristan, daignez étancher la soif de votre maitre ! Ramenez -moi un grand pichet de bière, la meilleure qui soit, et offrez la tournée à tous ! Que Sainte Boulasse nous bénisse !

Il épousseta le banc d'un mouvement leste du poignet, avec un mouchoir immaculé, avant de poser son derche enrobé de soieries dessus. Il jeta un regard sur la foule, s'attardant à peine sur l'inconnue, faisant mine de surveiller son laquais.
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Valkyrie9
    « Les amants en allés viennent à peine de se rencontrer,
    Ils sont étrangers de s’être tant connus. »

    Yann Apperry


- Préface d'une guerre intestine, une piaule étroite dans une auberge miteuse -

Un lit, ou plutôt un sommier rudimentaire, sur lequel reposent un matelas calleux et des draps jaunis. Sous le linge, une masse informe, une touffe brune ébouriffée, c'est la tignasse en bataille de notre héroïne qui s'étire, froissures du lit imprimées sur la peau et paupières encore closes. Un revers de main s'en vient essuyer un coin de bouche d'où s'écoule un fin filet de bave avec une grâce toute particulière. Puis un grognement. Mahaut émerge de sa torpeur avec grand mal. Chez elle, le réveil ne revêt pas un caractère de simple formalité et le sommeil est au moins aussi difficile à vaincre que l'Hydre de Lerne.
Début de journée, début des hostilités.

Treize minutes se sont encore écoulées, dans une demi-conscience léthargique que la clarté blanche éclatante d'une journée d'hiver parvient difficilement à perturber.
La brune déroule sa carcasse lascivement, étire une longue patte après l'autre et se décide à quitter le capharnaüm bouillonnant de sa couche.
Elle s'est redressée, mollement, s'est assise dos au mur et grimace au contact froid des planches.
Premier soupir d'une longue série qui rythme ses journées.

Ses traits sont marqués par la route, le manque de sommeil, le manque de nourriture, le brigandage dont elle a été l'heureuse et malheureuse victime en Bourgogne, qui lui a valu un arrêt pour un procès dont le dénouement devait la rendre plus riche qu'à l'allée, si elle avait daigné revenir sur ses pas pour récupérer son dû. Mais faire marche arrière ? Non, pas dans les plans de la brune. Au diable l'oseille, elle parvenait toujours à faire son affaire. Elle trouvait les moyens.

Un bâillement sonore étire les lèvres joliment ourlées de la jeune femme en cheveux. Elle enroule le drap autour de sa poitrine et jette un œil endormi à la fenêtre. Le jour est levé, le soleil est déjà haut dans le ciel. Quelle heure est-il ? Aucune idée.
Une scène de ménage dans le couloir achève de sortir son esprit de l'ouate cotonnée qui l'encercle.
Réveil amorcé, pied à terre, le second suit, on se dit qu'on prendrait bien un bain, que ça ne nous ferait pas de mal et que ça n'en soulagerait que le flair délicat de son entourage futur, rencontres hasardeuses dans des tavernes qui le seraient tout autant.
Finalement l'odeur, ça devrait pas trop les déranger.

Mahaut entr'ouvre la porte de sa chambre avec appréhension. 'Ne pas croiser l'aubergiste, ne pas croiser l'aubergiste, ...' à qui elle doit encore une semaine de loyer, deux repas chauds, et au moins un tonnelet d'une vinasse aigre et dégueulasse.
Dans le couloir, toujours le même couple éperdu d'amour qui se dit des douceurs.


- « Salaud ! J'ai point tord d'être méfieuse ! Tu rentres ni du soir ni de la nuit et puis tu reviens avec ton sourire de r'nard pelé qui minaude "J'vais t'expliquer, ma douce, c'est qu'un affreux malentendu !" Salaud ! Dégage ! »
- « Crie donc pas, Marion, tu vas rameuter tout le quartier ! »
- « Mais c'est qu'il aurait peur que j'froisse les oreilles de sa maîtresse ! Elle dort ici ? Salaud ! Me dis pas que t'as eu le culot ! Elle dort au bout du couloir ! »


Et à l'adresse de notre Mahaut qui observe la scène par l’entrebâillement de sa porte.

- « Garce ! C'est donc toi ! Quand j'aurai tranché les bourses à mon homme, j'te ferai ton affaire ! Ma dague à moi est bien plus dure que celle qu'il a entre les jambes ! »

- « Mais ma pauv' Marion, j'la connais point la gamine ! »
- « Je ... euh ... la salle d'eau est occupée ? »




- Plus tard, taverne municipale de la Capitale, tromper l'ennui au fond d'un verre -

L’observation des soiffards est divertissante. Un quidam, du type même des soûlauds qui étanchent la moindre soif avec des litres de tord-boyaux, avait maugréer quelques injures et venait de fermer ses meurtrières. Endormi ! Les tripes noyées dans ces mêmes litres d'un alcool qu'elle ne tiendrait pas non plus, la brune.

Le spectacle terminé, il faut trouver un autre objet de contemplation, qui permet aux heures de s'égrener sans qu'on les sente trop. On délaisse donc les vieux croulants pour un jeune coq à la pupille embrumée, impertinent petit bourgeois qui fanfaronne.
Mais sa bourse sonnante et trébuchante active les radars de la brune. Elle lui décoche quelque chose dans le goût d'un :


- « Pssst. Sa Grandeur aurait-elle l'amabilité d'étendre la tournée qu'elle paie à la table que j'occupe ? »
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Ce qui ne peut danser au bord des lèvres s'en va hurler au fond de l'âme.
Christian Bobin
Priam
Sa Grandeur ! La proie venait de mordre, il allait gagner son pari. Facilement ! La tenue faisait tout !

Il adressa un clin d’œil appuyé à ses compagnons de tablée pour leur signifier sans prononcer le moindre mot : Votre Grandeur ! Elle me prend pour un baron, non mieux un... enfin comme la juge quoi. Préparez vos écus, j'ai de la place dans ma bourse !

Puis il se tourna vers l'inconnue qui quémandait un rafraichissement, lentement, dans un mouvement guindé comme tous les titrés. Un regard appuyé sur la silhouette, pas vilaine, la vilaine ! Tellement même qu'elle méritait un sourire en plus de la réponse :


Pas question, Damoiselle ! Pour la tournée, il faudra accepter notre compagnie. Mes valets vont vous faire de la place.

Un geste vif de la main vers les autres parieurs malchanceux : de l'air, allez boire la-bas à ma réussite, faut que je négocies finement.
Quand la place fut libérée à ses côtés, il invita la belle assoiffée à prendre place.


Quel est votre choix ? Que dois-je commander ? Quel est votre bon plaisir ?
Priam de Revenance, pour votre service.


Il avait manqué d'inspiration pour son nom à particule, il aurait du y réfléchir avant, l'improvisation a ses limites, souvent.
Il héla la servante pour qu'elle vienne prendre la commande.

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Valkyrie9
    « Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse. »
    Alfred de Musset


Un sale petit noble pédant, arrogant. Détestable. Et ça l'enchante, la brune, toute vénale qu'elle est. En plus elle est à sec, elle manque cruellement de liquidités et ça l'a conduite à un départ précipité de la chambre qu'elle louait sans intention de payer, dans l'auberge miteuse - on l'a déjà dit - qu'elle a quittée le matin même.
Mais qu'on se rassure, elle n'est pas si mauvaise, elle a tout de même laissé un petit quelque chose pour le tenancier : le cadavre vidangé d'une excellente bouteille d'hypocras, empruntée à la réserve personnelle du propriétaire à l'heure de sa sieste. Et puis un morceau de tissus froissé arraché aux draps du lit qui, si on le renifle, fleure bon la sueur amère de la brune. Et dessus, au fusain, de son écriture malhabile : son prénom, le vrai, pas celui qu'elle lui à donné à son arrivée et quelques mots moqueurs « Merci pour tout ».

Retour à la scène qui se déroule à présent. Admirable tableau d'une brune qui se régale d'avance, ruminant ses plans de richesse et toisant sa victime toute désignée avec un air narquois. Elle sait exactement ce qui lui reste à faire, le déroulement précis des étapes. Elle connait le boulot par cœur, ses longues errances lui en ont appris toutes les ficelles. Et puis rien n'est plus transparent que le désir d'un homme.
En fait, rien n'est plus facile à duper qu'un homme.


- « S'il n'y a que ça pour vous faire plaisir Messire, je me joins à vous. Quant au breuvage, choisissez. Je ne doute pas que vous ayez du goût et sachiez reconnaître ce qui est bon et beau. Mh ? »

Le plan est simple. D'abord l'alcool et les vapeurs éthyliques dans lesquelles s'envoleraient le bon ton et la décence. Ensuite les herbes. Il les accueillerait sans doute avec réserve mais elle ferait le mélange sans entendre ses réticences et lui ficherait la pipe dans le bec avec ses mains caressantes. Il cèderait bien vite, faisant naïvement confiance à sa tentatrice. Il n'aurait qu'à inspirer. Inspirer de cette pernicieuse fumée qui épaissirait un peu plus le brouillard autour de son esprit embrumé. Elle fumerait aussi. Mais elle avait l'habitude, elle, et elle regarderait la scène de loin, de haut, comme sortie de son corps pour admirer leur spectacle. Dans cet état second qu'elle affectionnait tant. A la limite entre bien et mal être.
Et puis quand les psychotropes leur auraient ôté toutes inhibitions, elle l'entrainerait à l'étage, enveloppante, pleine de sourires et de caresses. Là-haut, elle lui assènerait un coup qu'il ne verrait pas venir, défoncé qu'il serait. Ensuite elle l'allègerait de sa bourse et partirait aussi vite qu'elle lui était tombé dessus, l'Infamie.

Ça, c'était le plan. Or on sait bien que le comble des plans, c'est qu'ils ne sont jamais respectés.

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Ce qui ne peut danser au bord des lèvres s'en va hurler au fond de l'âme.
Christian Bobin
Priam
La belle ne sembla pas rétive, elle prit place à son côté et lui demanda de commander pour elle. Du bon et du beau !
La beau piège que voilà ! Priam ne savait même pas si le taulier disposait d'autres choses que la piquette ou la bière habituelle qu'il leur servait depuis des semaines.
Et puis le palais délicat d'un femme ne devait surement pas apprécier ce qui le mettait facilement en joie, lui et ses potes piliers de taverne.

Il trouva le moyen d'éviter toute faute de goût éventuelle qui le ramènerait de son rang de titré à celui de roturier auprès de la délicate. Il pensa même à user de politesses dont il ne faisait jamais usage par ici.


Tavernier, vient nous servir, la dame et moi. Sort de ta réserve ta plus belle et ta meilleure bouteille de vin, celle que tu gardes pour les grandes occasions. Ajoutes-y une petite prune doucereuse et sucrée, qui fait briller les yeux de plaisir ! N'oublie pas quelques délicieuses gourmandises pour faire descendre tout cela plus facilement. Merci... Mon brave !


Il était satisfait, le ton y était, poli et exigeant à souhait. Il se tourna vers sa compagne du soir.


Vous laissez planer le mystère, je me suis présenté à vous. Vous avez dédaigné cette silencieuse invitation à me suivre. Comment dois-je vous nommer : charmante, délicieuse, mystérieuse ?

Il omit d'ajouter d'autres qualificatifs, plus dans son registre. Corne de brume, jouer le jeu de la séduction comme un titré n'était pas une mince affaire, il sentait qu'il manquait de naturel. Il espérait qu'elle prendrait cela pour la retenue guindée que ces bien-nés affectionnaient. Il avait l'impression d'avoir le cul posé sur un canon prêt à tirer.
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Valkyrie9
    « L'orgueil, c'est croire qu'on a gagné
    Avant même le début de la partie. »

    Dicton populaire (?)


Jusqu'ici, nul sentiment dans ses relations amoureuses. Seulement la quête du plaisir. Et surtout du pécule. Mais selon la brune, le premier est indissociable du second.
Enfin c'est ce qu'elle s'était imaginée, idéalement. La réalité fut tout autre, dure, douloureuse, parfois violente. Faut être honnête, elle était pas toujours tombée sur du client de première qualité, souvent des soldats en campagne, de deux catégories : des jeunes enrôlés à peine ils avaient quitté le tétin de leur mère, pour qui c'était une première, aux armes autant qu'avec les femmes et qui s'y prenaient, faut le dire, comme des manches. Qui savaient pas trop y faire avec celui qu'ils avaient entre les deux jambes. Mais ceux-là encore ils lui faisaient pas trop mal. Et puis ils étaient pas avares de leur maigre solde qu'ils lui filaient en la remerciant, niais, transis d'amour. Et puis il y avait les plus vieux, les plus aguerris, les plus rustres. Qui avaient besoin de décompresser et qui se défoulaient sur les malheureuses qui croisaient leur sillage.
A part les soldats, il y avait une multitude de vicieux en tous genres, des pervers qui ne pouvaient décemment pas assouvir leurs pulsions malsaines dans la tiédeur du lit conjugal. Et rares étaient ceux qui avaient vraiment plu à la brune, finalement.
Plus ils étaient laids, mieux elle simulait. Ça les faisait finir plus vite.

Cette fois-ci c'était différent. Il était beau, il était jeune et fortuné qui plus est. En son for intérieur la brune songeait qu'elle allait passer une soirée plus agréable que de coutume. Elle regardait son interlocuteur s'agiter et débiter un flot de paroles aussi pompeuses que maladroites, à l'adresse du taulier d'abord et à la sienne ensuite.
La nommer ? Elle avait été tour à tour Rose, Linon, Enora, Amarante ... Il lui était même arrivé de s'y tromper et de s'empourprer aux rires moqueurs d'un homme qui constatait qu'elle avait maquillé son identité avec si peu de finesse qu'un soir sur la couche c'était Manon et le lendemain, au détour d'une nouvelle auberge, c'était Marie.
Ce soir, une force étrange lui inspirait un peu plus d'honnêteté qu'à l'accoutumée. Rien qu'un peu. N'allez pas penser qu'elle était tendre, non. C'était encore une chose qu'elle avait perdu avec sa virginité.


- « Doux seigneur, tu peux m'appeler Mahaut. Ou bien la Valkyrie, si tu aimes mieux ce qui est exotique. »

Elle était passée du vous au tu sans se soucier que ça puisse déranger son interlocuteur. Après tout, dans les tavernes miteuses qu'ils fréquentaient, la hiérarchie se diluait dans les verres d'alcool. Et de rangs, il n'y avait plus que celui de femme et d'homme.

Mahaut se pencha sur le nobliau avec un air de malice et lui déposa un baiser sur le coin des lèvres.


- « Faut-il que je m'abreuve à ta bouche ou ce pingre de tavernier va-t-il se décider à nous servir ? Est-ce bien raisonnable de faire patienter un homme de ton rang ? »

Et de sourire. Ce soir encore, elle userait de tonnes de ces faux sourires qui, si on y regardait de plus près, dévoilaient des dents aussi tranchantes et acérées que des lames de rasoir.

A moins que ?

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Ce qui ne peut danser au bord des lèvres s'en va hurler au fond de l'âme.
Christian Bobin
Priam
-- Brûler d´une possible fièvre
-- Partir où personne ne part...
(*)


Mahaut, son étoile du soir se prénommait Mahaut. "Doux seigneur", était-elle en train de s'adresser au Très-Haut, à ses saints ou à lui ?
Devenir la source de son mysticisme lui plaisait bien, beaucoup, à la folie. Il était d'ailleurs prêt à lui rendre la pareille et à se vouer à ses seins. Il frôlerait l’idolâtrie même, paré pour cette quête, son Sein Graal.

Un court silence ! Il aurait dû répondre mais ses approches de séduction directes et franches lui semblaient inadaptées au rôle qu'il endossait, il imaginait qu'un titré serait plus subtil, pas moins libidineux, mais plus louvoyant. Du coup, il ne savait plus trop comment s'y prendre. Jouer le coincé, le niais, le ferait entrer dans son personnage. Il calquait son jeu d'acteur sur tous les préjugés qu'il avait des grands à dentelles et des préjugés et clichés, il n'en manquait pas.

Heureusement, la belle jouait son rôle à la perfection, elle ! Et elle ne s'encombra pas d'une retenue feinte ou subtile, elle lui offrit un baiser avant qu'il ne décroche un mot.
Il plongea son regard étrange, souvent source de troubles chez les autres, dans le sien et afficha son ravissement par un sourire.


Tu as raison, je devrais aller lui enseigner à servir les autres ! Mais je ne peux lui faire reproche de se trainer, encore moins le corriger, et c'est de ta faute.

Il avait repris son tutoiement naturellement, sans y prendre garde. Quelques secondes, jugeant sa réaction :

J'aimerais qu'il traine encore, pour que je puisse savourer plus longuement la douceur de tes lèvres. Que tu respectes ta promesse de t'abreuver aux miennes. Une autre soif me tenaille, qu'aucune des boissons servies ici ne pourra assouvir. Je vais le féliciter cet escargot, le récompenser.

Il s'approcha, imperceptiblement, de son étoile. Il glissa sa main sur la table vers la sienne, sans l'effleurer toutefois. Il ne cherchait pour le moment que sa chaleur, elle illuminait tant qu'il avait peur de se brûler.

Qu'il brûle encore, bien qu´ayant tout brûlé
Brûle encore, même trop, même mal
Pour atteindre à s´en écarteler
Pour atteindre son accessible étoile.
(*)

(*) Merci Brel !
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Valkyrie9
    « La vie commence là où commence le regard. »
    Amélie Nothomb


Jusqu'alors la brune l'avait regardé sans le voir, mettant machinalement en œuvre la mécanique huilée de son dessein.
Et puis il avait plongé ses iris vaironnes dans les siennes et elle avait été comme transcendée par ce halo de lumière si singulier.
L'instant était figé, en suspens. Le temps s'était arrêté et il lui semblait qu'elle allait se noyer dans la mer verte et bleue des prunelles de Priam, avalée par les flots immenses qui bordaient son regard.
Autour, tout s’était obscurci. Des bribes de paroles indistinctes arrivaient à ses oreilles sans parvenir à passer la barrière des ses tympans. Pas de reproche, ta faute, la douceur de tes lèvres, une autre soif ... Autant de mots qui donnaient un ton d'une poésie inouïe à une scène qui était cependant dénuée de tout romantisme. Un homme qui s'amourachait d'une putain. C'était d'une banalité affligeante et pourtant ...

La brune attrapa la main qui s'était subrepticement approchée de la sienne, elle glissa ses doigts entre ceux de Priam et les attirèrent jusqu'au versant satiné de sa joue. Elle lui imprima le mouvement d'une caresse et lui fit effleurer sa peau jusqu'au bord de ses lèvres entr'ouvertes. Elle l'y embrassa. Le pouce, l'index. Goûtant au cuir salé de cette grande main, prise dans le feu d'une étrange passion.
Et au moment où la vague allait l'emporter, l'engouffrer au plus profond et au plus noir de l'océan, arriva le taulier, salutaire sauveur de son hérésie, de cette brune qui basculait dangereusement du côté d'une complaisance qui lui était formellement interdite, pour le bien de son âme par trop de fois tourmentée. Mahaut prit donc la tangente en soupirant de soulagement, où l'expression sauvée par le gong - en l'occurrence un aubergiste massif - prend tout son sens ...

Le taulier donc, les bras chargés de victuailles, bientôt sacrifiées aux hanches de la brune, et d'une bouteille - la meilleure, de sa réserve personnelle, avait-il annoncé en mentant.
La scène avait pris une allure toute nouvelle. Débauche, cette fois de senteurs et d'odeurs, qui firent s'allumer une étincelle dans les prunelles océaniques de la brune.


- « Ne sois pas si pressé de boire tout ton soûl, doux seigneur, tu ne sais pas encore si je suis comestible ... Certains disent même que je suis imbuvable. »

Il l'apprendrait bientôt, à ses dépends. Et comble de tout, il en demanderait encore.
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Christian Bobin
Priam
Initiative, mot féminin qui ne se transformerait jamais au pluriel en maux, tant il aimait cette audace dont son étoile faisait preuve. Elle agissait, elle décidait, il se laissait enjôler. Sensation nouvelle et enivrante, se laisser charmer plutôt que de séduire.

Il aurait dû se méfier, tout semblait trop beau pour être vrai, mais il mit cela sur le compte de Dame Chance qui l'accompagnait depuis des jours, sur le compte de son travestissement aussi. Les titrés avaient l'habitude d'être servis et de ne pas faire eux-même ce que les autres pouvaient faire pour eux... Il profitait de sa position usurpée, pour le pari... C'était agréable de se laisser aller, de ne rien contrôler, de subir. Il en oublia sa méfiance coutumière.

Sa main se baladait, faisait du tourisme, guidée par une autre main plus délicate, plus douce, sans destination précise : une joue soyeuse, des lèvres gourmandes.
Il vivait cette balade si intensément, qu'il était sur le point de s'envoler dans une promenade imaginaire et prometteuse... Mais son élan fut coupé par l'arrivée de la commande. La table se remplit et sa main se retrouva abandonnée, solitaire sur le bois usé.

Un sentiment d'urgence l'envahit, la peur qu'elle ne se soit évaporée... Un regard suffit à l'apaiser. Elle était là, face à lui, des étoiles dans ses yeux. Elle lui parlait.


Je prends le risque. Imbuvable, dis-tu ? Tant mieux, je préfère te croquer !

Il saisit une des briochettes exposées sur la table et mordit dedans avec un plaisir évident. Il remplit aussi leur deux coupes avec le breuvage contenue dans la fameuse-fumeuse bouteille. Il tendit un verre à la si tentante friandise qui l'observait. Le péché de gourmandise le perdrait. Ce soir, le plus tôt possible...
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Valkyrie9
    « Dans la vie, j'ai eu le choix entre l'amour, la drogue et la mort.
    J'ai choisi les deux premières et c'est la troisième qui m'a choisi. »

    Jim Morrison


Femme de mauvaise vie, mauvaise fille : femme exerçant le métier de prostituée, qui est de mauvaise fréquentation (sic). Mais tellement plus amusante. Et tellement plus bandante.

Les minutes, les heures, s'étaient egrenées sans se faire ressentir. Ils ont bu, au verre l'un de l'autre, aux lèvres l'un de l'autre ; ils ont mangé, laissant sur la table un champ de bataille chaotique, de miettes et de restes ; ils ont parlé, rit, chanté, se sont murmuré des obscénités au creux de l'oreille ; se sont caressés, frôlés. Et ont bu encore.
Sans s'en apercevoir la brune lascive s'était laissée aller à l'ivresse, elle avait troqué sa carapace de méfiance et son ennui chronique contre cette sensation enivrante. C'était une fuite agréable et il lui semblait que la volupté était un lieu tout à fait propice à l'existence ...

Elle eut soudainement envie de fumer, point d'orgue de leur exaltation, espérait-elle. Elle récupéra ses mains d'entre celles de Priam, sourire rieur accroché aux lèvres. « Tu vas voir, » lui avait-elle dit dans un murmure « je gage que ça va te plaire ... » et les avait fourrées avec empressement dans son corsage, à la recherche d'une bourse de soie, précieux écrin qui contenait tout son trésor.
Ses mains tremblaient puisqu'elle était déjà trop soûle, la poche lui échappa des doigts et s'ouvrit sur la table. Elle rit et se pencha sur ses jupes, les releva jusqu'à mi-cuisse et décrocha une pipe, coincée sous un ruban de dentelle jaunie qui encerclait sa jambe.
Elle cala la pipe entre ses lèvres, le temps de réarranger ses jupons et, ce faisant, il lui vint à l'esprit qu'elle venait d'offrir à son acolyte, gratuitement, le spectacle affriolant de sa peau nue, de son entre-jambe. Trop de promiscuité, trop d'aisance. Ç'aurait dû l'alerter mais elle leva les yeux et lança à Priam un regard oblique, malin, grivois, qui lui signifiait qu'elle le soupçonnait de s'être rincé l’œil mais qu'elle ne lui en tenait pas rigueur. Et elle rit encore. De bon cœur mais surtout d'ébriété.

La brune mouilla son doigt et ramassa les herbes étalées sur la table en les y collant. Elle les frotta entre le pouce et l'index pour les faire atterrir au fond de la pipe. En récupéra plus dans la bourse et les y ajouta, tassant le tout avec une infinie délicatesse, presque maternelle.
Elle sortit, toujours de cette poche, son trésor, une mèche ensoufrée qu'elle alluma à une bougie qui ornait leur table. Et mis le feu aux psychotropes, posant ses lèvres sur le bec. Aspirant tout son soûl. Elle avait occulté Priam. Aussitôt qu'elle avait inspiré de cette fumée délétère, sa pupille s'était embrumée, son œil s'était voilé, ses muscles relâchés et elle ressentait un indicible frisson lui parcourir l'âme.

La brune expira lentement, la cervelle encerclée dans un étau de plomb. Mais pas de douleur, au contraire. Absence de maux, sensations poussées à leur paroxysme. Douce délivrance. Elle tourna mollement la tête en direction du jeune homme, se laissa couler au creux de ses bras et lui glissa la pipe au bec.


- « Tiens, fume, tu me remercieras plus tard ... »
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Christian Bobin
Priam
"Le meilleur moment de l'amour, c'est quand on monte l'escalier."
Georges CLEMENCEAU


Du pain, du vin, une catin... Ce petit coin de taverne avait un goût de paradis solaire ! Il avait oublié ses comparses, presque oublié le pari, et il était sur le point d'oublier son rôle de coincé bien titré.

Il se laissait ensorceler, cajoler, enivrer. Le corsage de la belle cachait plus d'un trésor, elle en extirpa une bourse prometteuse. Il imagina reprendre les fouilles et dévoiler l'autre trésor toujours dissimulé, trop recouvert. Perdu dans sa contemplation rêveuse, il manqua rater l'autre cadeau... qu'elle dévoila en relevant ses jupons.

L'éclat de sa peau dénudée attira son regard aussi surement qu'un éclair dans l'obscurité, vive tentation pour ses mains désireuses de suivre le chemin emprunté par son regard. Elles semblaient animées d'une volonté propre, il eut toutes les peines du monde à les garder sur la table... Il n'y réussit pas, elles s'envolèrent mais un ultime contrôle les obligea à agripper le rebord du banc, effleurant ce cruel tissu qu'elle remettait en place.
L'envie d'entendre crisser le tissu, de voir ses fibres arrachées le tenaillait ; au lieu de cela, il accomplit l'exploit de se contenter de sourire à celle qui le torturait, à celle qui vint se loger dans ses bras armée d'une invitation explicite et d'autres sous-entendues.

Il la remerciait déjà, il obéît à l'impérieuse tentatrice, tétant le bec de la pipe avec assiduité, naufragé dans une mer vaporeuse. Ses bras se refermèrent sur elle, sa bienvenue bouée, son rivage sur lequel il voulait s'échouer.

Le marin reprit la barre, balançant le baron fictif et les bonnes manières par-dessus bord. Sans effort, il se releva, entrainant la belle au creux de ses bras.


Ma Délicieuse, larguons les amarres et envolons-nous !


Il tanguait à peine, en traversant la salle, l'esprit trop embrumé toutefois pour imaginer de belle tirades. Les mots perdaient leur sens, ses sens étaient trop exacerbés.

Bougre de tavernier, ta plus belle chambre et vite ! Presse tes pas ! Ne m'oblige pas à poser cette Dame pour te botter le derrière !

La menace fit son effet, et il suivit dans l'escalier qui menait à l'étage le bonhomme subitement empressé.

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Valkyrie


    « Les amants pensent à la mort et s'étreignent.
    De nous tous qui vivons, ce sont les plus vivants. »

    Pieter Viereck


La tête lui tournait. Il lui semblait qu'elle pouvait ressentir sa cervelle endolorie, anesthésiée, aussi bien qu'elle ressentait le bois du banc sous ses paumes. Ça n'était pas l'ivresse, ça n'était pas l'amour. C'était bien plus, bien mieux, cette acuité de la pensée, cet éveil des sens, toute sensation décuplée.

Lovée dans les bras de son amant, la brune avait la tête penchée en arrière, affichant un sourire ivre, les yeux rivés au plafond. Elle observait les volutes de fumées dessiner des formes aussi sinueuses que les méandres tourmentés de son esprit fiévreux. Elle riait. De qui ? Pourquoi ? Et lorsque son ravisseur la souleva comme si elle n'avait plus pesé que le poids de son âme, elle crut un instant qu'elle s'était mise à voler, parmi ces si douces et si délétères vapeurs opiacées.

Mahaut approcha son visage de celui de son amant, frôlant l'arrête de son nez du bout de ses lèvres souriantes. Elle glissa sa tête dans sa nuque et y murmura quelques vérités qu'elle ne put retenir.


« Tu sais, tu risques de le regretter. On me regrette autant qu'on regrette de m'avoir rencontrée ... Harpie, lascive, toujours regarde de l'autre côté de la rive ... »

Elle avait doucement fredonné les derniers mots comme s'ils avaient été ceux d'une chanson qu'elle connaissait bien. Et c'était certainement un refrain qu'elle connaissait par cœur, puisque c'était celui de sa vie.

Soudainement le visage de la brune s'assombrit, les circonvolutions de son esprit avaient pris un tour aigre et désagréable. Son regard, jusqu'alors embrumé mais scintillant, s'était voilé d'un rideau de fer. Ses yeux étaient noirs alors qu'on les crut gris l'instant d'avant. L'opium est lunatique et il avait insidieusement empli l'esprit de son hôtesse d'idées noires, qu'elle tenta de chasser en cachant son visage dans le cou de Priam, resserrant son étreinte.


« Délivre-moi, beau prince ... Oublions tout. »
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