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[RP fermé ] Toute vraie passion ne songe qu'à elle (*)

Alphonse_tabouret
(* Stendhal )

Le carillon du salon en sonnant quatre heures avait clos les portes de l’Aphrodite pour laisser le personnel pantelant des frasques qui s’y étaient célébrées. A minuit, un prince hispanique et sa suite avaient franchi la porte de la Maison Haute et avaient fait couler l’or avec une emphase presqu’écœurante, ne se refusant rien et se permettant tout, insistant auprès de chacun pour que les verres vides soient remplis aussitôt, ceux de la clientèle comme ceux des employés. Et quand le prince eut enfin arrêté son choix sur les courbes gracieuses de deux des catins de la maison, il avait fallu continuer à amuser ses hôtes, dont certains trop saouls, ne songeant même plus aux délices de la chair, s’abandonnaient dans des discours sans fin que l’alcool rendaient pour la plus part pâteux et inintelligibles auquel Alphonse avaient pris part, savant commerçant, avant d’être lui-même emporté par son taux d’alcoolémie et les discussions aux accents chantants . Si le personnel de maison avait l’habitude de garder tant que possible la tête froide, la soirée avait viré si rapidement à la bacchanale que même la soubrette avait fini par tanguer, les joues aussi cramoisies que le Porto qu’on lui tendait avec insistance.

A quatre heures enfin, le prince avait fini d’honorer les croupes de son choix et sortant, titubant, rajustant le luxueux ceinturon qui fermait ses braies et avait lancé le départ vers son hôtel particulier, laissant le salon baigner dans un calme aussi extravagant que soudain.
Saoul comme il ne l’avait pas été depuis longtemps, porté par le vin, le champagne et les liqueurs qui n’avaient cessé de danser dans les verres, il avait suffi d’un regard sur lequel l’alcool avait ôté toute pudeur et d’un sourire en coin à Dacien pour que ne démarre dans les escaliers menant à la Maison Basse, une étreinte célébrée par les tambours battant leurs tempes avinées. La proximité du bureau avait accueilli la fièvre de leurs lèvres, souhaitant échapper un instant à la vigilance de la maison qui, si elle était grisée, n’en demeurait pas moins éveillée. Debout, dans la lumière claire d’une bougie oubliée et désormais en fin de vie sur le bureau du comptable, jetant une ombre chancelante autour d’elle, les deux hommes, dans une empoignade fauve, mêlaient leurs souffles avec une avidité grandissante, dans le désordre de leurs mains.
Les odeurs mâles aiguisant sa faim, le félin tout à sa proie se délectait du souffle qui ricochait à sa bouche, de l’empressement de sa langue et du dessin de ses mains impudiques La bouche du flamand s’immisça dans le cou du courtisan pour remonter jusqu’à l’oreille et la mordre de tous ses crocs quand l’une de ses mains tenait sa nuque et l’autre s’appropriait ses cheveux, la voix, féline, demandant au creux de l’arrondi, le supplice du délice à venir, le ventre gonflé d’un désir aussi brusque qu' ardent narguant l’orgueilleux de son empreinte.
Et si le jeune homme n’entendit pas les pas dans le couloir attenant, ce n’était pas parce que l’odeur du courtisan emplissait toutes ses envies d’immédiat, mais uniquement parce qu’il était saoul…

_________________
--Adryan
Il se l’était pourtant juré, plus la moindre goutte d’alcool ne franchirait le seuil de ses lèvres tant que le dernier chiffre ne serait pas posé, droit et net, en bas de la page de comptes de la maison haute. Le souvenir de sa confrontation avec comptable était encore bien trop vif pour qu’il s’y risque. Encore trop impétueux à son ventre quand il se prenait à songer à la courbe arrogante des lèvres du brun le lardant de mots et d’images qui le révulsaient tout autant qu’ils l’animaient d’un désir sourd et violent. Convoitise outrageuse qu’il cherchait à oublier, à reléguer dans un coin sombre de sa cervelle, l’étouffant avec une force rageuse dès qu’elle tentait, vipère perfide, de soulever le couvercle de la boite de Pandore où elle se trouvait cadenassée.

Depuis cette journée, estampillée en lui jusqu’à la chair de son flanc, où s’il avait vaincu un ennemi, il en avait découvert un autre bien plus dangereux, les pas des deux hommes s’étaient à nouveau croisés dans la plus parfaite indifférence, monstres qu’ils savaient être à s’enfermer au plus profond d’eux même.

Mais ce soir là, le pieux serment qu’il s’était fait à lui-même avait volé en éclats sous les injonctions d’un prince à l’accent du sud et de sa cohorte bariolée et bruyante chantant la douceur des nuits d’Espagne. Et dans la chaleur de l’alcool coulant à flot, le Castillon s’était enivré de leur soleil avec trop d’imprudence. Et comme il grondait de sa légèreté alors que ses pas le conduisaient au bureau où sa tâche l’attendait encore. Avec une pointe de chance, le comptable tout aussi saoul que les autres, aurait directement rejoint sa chambre pour y cuver, reléguant les comptes pour le lendemain. Choix pour lequel Adryan aurait opté si le montant de sa dette ne s’était encore vu alourdi par le déplacement en pleine nuit d’une ombre, dont il se souvenait seulement qu’elle était verte et que rien de doux n’était sortit de ses doigts, satanée couturière. C’est la voie sage du repos qu’il aurait suivi s’il n’avait pas perdu de deux jours de travail, et surtout, s’il n’avait été à ce point obstiné à parfaire le travail demandé pour ne laisser aucune échancrure où le comptable aurait pu déverser son fiel.

Arrivé face à la porte, poing levé dans le formalisme de la toquer, son geste se suspendit devant le trait de lumière qui attira son regard. Et inconscient, et stupide, il y égara un œil en même temps que sa raison et se tétanisa…
--Dacien2
Depuis sa venue dans ce Bordel, Dacien ne passait pas une semaine bien loin des phalanges du patron de la ruche. Il avait ce goût subtil et enivrant de se laisser faire par l’Arrogant qui ne pouvait s’enlever de sa bouche lorsque son regard croisait le sien.
Ce soir-là, un prince espagnol arrosa allègrement tout le personnel. Les bouteilles tombèrent et l’alcool coula à flots. Tous étaient dans un sérieux état d’ébriété très avancé. Alors que les employés étaient en bas affalés pour la plupart sur les divans, deux hommes se dirigeaient dans le bureau du comptable. Le comptable et l’Arrogant.

La pièce n’avait qu’une flamme de bougie pour éclairer mais cela suffisait largement pour deviner les courbes masculines de son amant de quelques heures. La pulpe de sa bouche ne lâchait plus ses lèvres ou seulement pour parcourir finement son grain de peau. Ses dextres se baladaient sur le tissu qui recouvraient le haut de son corps. Dacien ne souhaitait pas s’écarter de sa victime. L’envie était trop présente pour le laisser s’enfuir ce soir-là. La cupidité prenait le dessus sur son inconscient et l’aversion ne se défaisait plus de ses tripes. L’Arrogant était dans le même état que les autres. La tête tournant facétieusement et ses gestes pas très sûrs. Mais qu’importait à ce moment-là. Personne ne viendrait les déranger puisqu’ils cuvaient tous leurs liqueurs qui avaient trop couler dans leurs gosiers.

La chaleur commençait à se présenter. En même temps, la quintessence y était pour quelque chose. Cependant, le fragrance de Alphonse, sentir ses doigts se déplacer sur son corps et ses baisers qui n’en finissaient plus de le dévorer sans fin…L’ardeur de la nuit se présentait sans équivoque. Les paupières fermées, Dacien s’abandonnait à son meilleur jeu qui était celui d’attiser encore et encore les meilleures faveurs du Flamand. Et ce petit jeu marchait à chaque fois et était encore plus intense à chaque minute passée en sa présence. Mais voilà. Était-ce parce que c’était le patron? Parce qu’il était délicieux à souhait? Ou alors parce qu’il attisait chez le Brun la convoitise de l’avoir rien que pour lui? Toute la question était là. Et s’il fallait donner une réponse de suite, Dacien était incapable de la trouver, trop happer par les circonstances du moment.


--Adryan
Dans le halo de lumière que déversait la chandelle, deux corps lascifs s’enlaçaient, s’embrassaient, s’embrasaient. Deux corps d’homme. La respiration d’Adryan n’était plus qu’un sifflement infime, avide d’un filet d’air pour s’extirper de cette vision démoniaque qui gonflait en lui comme un ouragan. Sa volonté terrassée, ses yeux ne pouvaient se détacher de ces lèvres qui s’entrouvraient, de ces langues impudiques s’affleurant pour se trouver, de ces mains caressantes, explorant le corps… d’Alphonse. La vision le faisait frémir tant d’une exhortation incontrôlable que de dégout. Dégout d’être témoin involontaire de cette débauche, dégout de lui même de ne pouvoir s’y soustraire et d’en souffrir quand chaque parcelle de sa peau résonnait d’une convoitise démesurée, outrageuse et implacable. Et si la réalité ne suffisait pas, ses souvenirs l’agressèrent encore. Quand ses yeux se consumaient sur le comptable s’abimant à un homme, dont le visage trop ombré restait anonyme, le regard de l’anglais l’acheva, ravivant la façon dont ses mains expertes l’avaient étreint, dont sa bouche l’avait mordu, déclenchant en lui une ferveur tout aussi clandestine qu’irraisonnée pour le mener à une extase dont jamais il n’aurait soupçonnée la puissance.

Là, le poing toujours stupidement dressé, ses yeux le brulaient d’une torture infamante de désir exacerbé et de pulsions écorchée vives. Depuis combien de temps était-il ainsi, hypnotisé, quand le profil de « l’autre » se dessina d’un trait de lumière? Il n’aurait su le dire. Il n’aurait d’ailleurs rien su dire tant le gouffre de la colère qui le happa était sans fond. Dacien. Dacien qu’Adryan n’appréciait pas. Dacien qui appelait les frimas du nobliau sitôt qu’il apparaissait même si tous deux, savaient prendre le recul nécessaire au bon fonctionnement de l’Aphrodite et se contentaient de ne pas trop s’approcher. D’ailleurs, le Castillon n’approchait personne sans y être contraint et forcé, se retranchant avec acharnement dans sa sacrosainte solitude.

La hargne le vrillait sans ménagement. Dans son esprit ivre, les trames d’un dessein pervers se dévoilaient. Le Castillon lui-même, s’il avait été en état de raisonner, les aurait jugés irrecevables. Les deux hommes avaient comploté de le provoquer. Les dernières paroles échangées avec Alphonse n’en avaient-elles pas été les prémices ? Tous les soirs, hormis les deux où sa blessure lui avait imposé le repos, quand l’Aphrodite s’endormait sur ses soupirs rassasiés, Adryan, immanquablement, se rendait au bureau pour les comptes de la maison haute. Emmuré dans ses certitudes bornées et égocentriques, la scène qui avait hypnotisée ses sens se colorait d’une mascarade destinée à le faire sortir de ses gonds. Et c’est ainsi qu’il en fut. Alors qu’il aurait pu s’éclipser et réduire à néant se qu’il croyait une indigne crânerie, victorieux imaginaire à laisser le comptable dépité de voir son plan échouer, son sang trop vif l’emporta face au vernis de son éducation trop érodé d’alcool, et frappa sèchement au pan de bois entrouvert qui s’ouvrit en grand sous impulsion du son poing.

Démunis de leur paravent fragile, il observait les deux hommes face à lui sans plus se cacher, droit, sans pour autant esquisser le moindre pas à l’intérieur de la pièce. Si son visage restait du marbre le plus parfait et le plus lisse, ses yeux hurlaient d’une fureur gelée.


Il me faut faire les comptes. Sa voix basse claqua dans le silence ouaté. Pour quelles raisons leur aurait-il épargné son intrusion ? Pourquoi aurait- il doublé la charge de travail du lendemain ? Par politesse ? Par déférence ? Par respect ? Par discrétion bienveillante ? En cet instant les conspirateurs ne méritaient en rien ces attentions. Il aurait été odieusement jouissif d’attendre le lendemain pour laisser fuser une remarque sur les causes de son absence, mais ce soir là, chaviré de vapeurs avinées, le Castillon était privé de cette fine perfidie. La recette doit être excellente, poursuivit-il en s’avançant dans la pièce, imposteur à feindre la normalité.
Alphonse_tabouret
Cueillant le souffle de Dacien d’une bouche avide, les sens du chat se hérissèrent en entendant un poing frapper à la porte, retrouvant un éclair de lucidité passager d’être ainsi dérangé, à la manière d’un animal surpris, tout voué au jeu qu’il venait de se trouver et délaissant les lèvres du courtisan qu’il venait de happer aux siennes dans un mordillement que l’indécence de sa main au bas des reins soulignait, porta un regard incrédule sur Adryan.
La silhouette du nobliau prit toute entière son essence dans l’encadrement de la porte, raide, droit, la mâchoire tranchante qu’accentuait cette moue qui retenait le dédain dans son flegme, laissant au comptable le soin de déchiffrer avec une netteté parfaite malgré l'ivresse , l’orage qui tonnait dans les prunelles grises et la grêle qui se fracassait sur chacune des pensées que le flamand lui suggérait à cet instant ci… Et rien que cela suffit à nourrir la colère endormie du flamand, étirant son sourire, langoureux, quand sa main achevait sa caresse doucement et lentement dans la nuque de Dacien, narguant d'une insolence alcoolisée , ce qu'il pensait être les valeurs du Castillon à ne pas se cacher et surtout, à ne pas s’emporter de cette intrusion…

Il me faut faire les comptes… La recette doit être excellente, annonça froidement Adryan en avançant dans la pièce, parasite propriétaire lui aussi d’une parcelle de ce havre.

Alphonse se pencha à l’oreille de Dacien, se demandant brièvement depuis combien de temps le Castillon était là, s’il avait déjà frappé sans qu’il ne l’entende… mais quelle que soit la raison pour laquelle il s’était entêté, l’animal se régalait de cette soit disante offense, sachant qu’il avait tout dans ces mains à cet instant ci pour agacer son puritanisme, car, aiguisé par les envies de Dacien, par les liqueurs qui parfumaient encore son souffle, Alphonse avait le parfum de l’arrogance mâle, encensée d’une énergie lascive dont la concupiscence s’était allumée dans la prunelle et dans son ventre, sous les caresses acérées du courtisan.


-Je crains que vous ne soyez pas au gout d’Adryan, mon cher… murmura le flamand au lobe arrondi de l’Arrogant, humant l’odeur de son cou, se retenant d’y apposer une morsure avinée encore… Je n’en ai que pour quelques instants, ajouta-t-il avec une certitude orgueilleuse, croisant le regard clair du jeune homme dans une promesse d’imminence quand il faisait un pas en arrière, reprenant, à l’attention du barman en se tournant vers lui, volontairement désinvolte, comme si cette interruption était des plus banales : Excellente ? La bonne humeur n’était pas égratignée et, gorgée des délices à venir, elle grondait joyeusement à l’idée de gêner Adryan jusqu’à la nausée puisque tel était son bon vouloir en venant jusque-là et telles étaient les dispositions du chat en montrant joliment la morsure de son sourire. Nonchalant, il n’alla pas s’assoir à sa place mais s’imposa en s’asseyant sur le bord du bureau, juste à côté du jeune homme pour pouvoir le regarder, proche, bien trop, effleurant de sa cuisse l’accoudoir du fauteuil. Parlez-moi d’argent, Adryan, le provoqua-t-il d’une voix douce et volontairement joueuse. Mais parlez m’en bien, poursuivit-il en baissant d’un ton, la tête accompagnant ses mots en se penchant doucement, comme s’il s’agissait d’un moment important, sachant pertinemment que la pique serait acide au vu du caractère du nobliau, mais saoul...trop saoul pour laisser filer une telle occasion... A quoi servait la torture muette de cette présence s’il ne pouvait pas la retourner contre lui?… aussi bien que vous parlez du Sahara…
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--Dacien2
La lumière dansante offrait des rétines de velours au Narcissique. Ses émeraudes se teintaient de cet air nouveau que le Flamand lui donnait pour peu que ce ne soit que le plaisir de la chair qui rentrait en compte. Tout son corps s’insérait dans un émoi qui avait bien trop longtemps disparut à l’égard de la gente masculine. Depuis son embauche de l’Aphrodite, pas un sexe mâle à se mettre sous la dent. Que des femmes. Pourtant bien belles, autant par leur grâce que par leur beauté ou leur soif de luxure.
Mais voilà. Par le biais de Alphonse, Dacien revenait à ses premiers amours. Cette impudicité de se sentir objet, dominant et dominé en même temps, cela le faisait frémir.

Sous les habiles de son partenaire de jeu, son audace ne cessait de s’accroitre. Tant bien que mal, qu’à force de frôler sa nuque, un léger frisson parcourut son dos et mit ses sens en éveil. Le voilà le point sensible du Brun. La fin de sa chevelure, la naissance du dos. Le creux que toutes les donzelles adoraient malaxer sans retenu. Un seul ongle se baladant là et l’avidité de convoitise se multipliait en l’emprisonnant dans cette ronde de plaisir qui devait être assouvi coûte que coûte. L’Arrogant se rapprocha du bureau du comptable. Ses lèvres ne se défaisaient plus de son cou avec quelques morsures douces signe de vouloir croquer la victime sur le champ. Et si le seul amusement dans ce bas monde devait ne jamais s’arrêter pour lui, ce serait celui-là….Ou presque.

Sans décence, une de ses dextres se posa sur le bureau de Alphonse. Prêt à tout faire voler dans la pièce, Dacien allait prendre son élan. L’alcool commençait un peu à se dissiper, le laissant revenir lentement à la réalité de cette nuit déjà bien avancée. Son organe charnu parcourant encore quelques endroits de l’épiderme du Flamand, ayant des difficultés à se défaire de ce grain de peau au parfum se délicat, un bruit sourd vint tout couper.

Son minois d’Arrogant se leva, observa qui était présent et un sourire en coin narquois fit son apparition. Un pouce essuya lentement un coin de sa bouche. Une mèche de cheveux descendit devant ses yeux cachant la lueur de ses rétines. Une petite lumière scintillante dans son regard presque jubilatoire de pouvoir entrainer le patron dans cette folie furieuse qu’il aimait atteindre. Dacien avait ce don de savoir ce que voulait ses partenaires de tout sexe et il avait en plus l’arrogance de le clamer haut et fort. Si Cersei avait des doutes sur ses virées nocturnes, les autres employés du Bordel n’en savaient rien et encore moins Adryan. Du moins, c’Est-ce que le Narcissique pensait. Le Brun aurait pu jubiler largement d’avoir ce droit d’emprise sur le patron mais il ne fit rien. Et alors que ses jades ne lâchaient plus le nobliau de l’Aphrodite, un drôle de sentiment passa dans ses tripes. Bizarrement, un picotement vint assaillir son for intérieur. Depuis déjà quelques temps, en osant l’observer plus attentivement, Dacien s’abdiquait à une accortise sans précédent envers l’efféminé. Au départ, à la première rencontre, cela n’était pourtant pas gagné. Cependant, à force de voir trainer le barman dans le Bordel, l’Arrogant appréciait de plus en plus son visage, ses traits fins et ses courbes longilignes camouflées par des vêtements qui tentaient à deviner les formes.

Le silence se faisait de glace. Adryan le rompit en déclarant devoir faire les comptes. Un sourcil se leva, Dacien se raccoutra comme il se devait et d’un ton arrogant comme à son habitude.


Tu es saoul Adryan. Tu vas mettre des zéros en trop.

Pas de cadeaux non. Il venait d’interrompre le meilleur moment de sa journée. Le nobliau venait de couper toutes les envies du Brun. Là, c’était bien mal joué. Et si l’efféminé n’avait jamais vu le Courtisan dans une rage folle, il risquait d’en être surpris, désarmé mais surtout de le détester encore plus.

Tu ne pouvais pas aller cuver ailleurs? T’as pas l’impression de déranger là?

Son œillade venait de se changer en noirceur intense. Malgré que le picotement devenait de plus en plus fort en lui parlant de la sorte, l’Arrogant ne se retint pas.

Adryan!! Cela ne pouvait pas attendre demain?

Le ton était limpide de sa voix rauque qu’il prenait lorsque son mauvais caractère revenait au premier plan. Ses phalanges se détachèrent du tissu de Alphonse pour dépoussiérer sa chemise là où il n’y avait aucun défaut. Un sentiment de gêne vint s’accroitre sur cette colère de quelques secondes. Le Flamand savait lui conter ce qu’il fallait pour le calmer quelque peu. Mais bizarrement, ce n’était pas le patron qui le calma mais plutôt la grisaille en furie qu’il venait de croiser dans les rétines du barman. La réponse à sa question se démontrait d’elle-même. Alphonse n’était qu’un jouet parmi tant d’autres, un cadeau de la nature que l’on prenait pour ensuite s’en défaire et y retoucher si l’envie nous prenait mais rien de plus. Alors qu’Adryan, avec ce regard de fureur, Dacien avait l’impression de lui avoir donné une douleur qui changerait peut-être beaucoup de choses dans l’avenir. Pour le Narcissique déjà, quelque chose venait de se démontrer sans le vouloir.

Pas à son goût, oui il était évident. Le nobliau préférait la conquête des femmes. Dacien n’espérait rien à part peut-être de faire naitre dans le Châtain une curiosité sans ambages pour le Courtisan Brun qu’il était. Et alors que Alphonse lui demanda de patienter le temps de régler quelques affaires avec le barman, Dacien reprit son haut de forme.


Remettons cela à plus tard. Ce sera plus simple. Si son Altesse Adryan a plusieurs choses à voir avec vous…

Humeur de chien d’un coup. Ton indélicat et emprunt d’animosité. L’Arrogant préféra sortir. Quelques minutes avant, la chaleur s’était emparé de la pièce sans équivoque, à présent, la glace se décuplait à une rapidité incompressible. Le Brun devait partir afin d’éviter le regard glacial du Châtain et d’avoir des remords qu’il ait pu les voir de la sorte.

--Adryan
« Parlez-moi d’argent, Adryan. Mais parlez m’en bien… aussi bien que vous parlez du Sahara… »

La colère suintait de chacun de ses pas, de chacun de ses mots, trop calmes, trop posés pour ne pas présager la tempête, quelques soient les visages dont elle s’affublerait, elle fuserait ce soir, dévastant tout sur son passage, et en premier, lui-même certainement.

Le comptable le piquait de ses sourires mensongèrement affables appelant cette fois non pas son poing, mais la pleine paume de sa main, plus outrageante, quand le défit était poussé à son paroxysme de l’exhortation à frapper là où cela ferrait mal. Plus mal encore que les méandres obscurs qui le tiraillait et dans lequel le flamand s’amusait, cruel jusqu’au bout des ongles, à s’insinuer. Pourtant, toujours aussi droit même si la tête lui tournait sous les effets de l’alcool, il ne broncha pas quand la cuisse téméraire s’invita trop près de son bras, il ne cilla pas quand ce visage d’une beauté diaboliquement renversante s’approcha, proche, trop proche, si proche qu’il laissait le parfum des liqueurs l’envelopper tout entier, et quand le comptable parla, l’effort pour ne pas s’abimer au mouvement de ses lèvres blasphématoires, pour ne pas deviner sa langue profanée le vrillait tout entier, laissant juste ses prunelles s’embrasser d’une colère avide de s’assouvir et de faire sien l’émeutier sans scrupules.

« … saoul Adryan… zéros en trop….cuver ailleurs…. déranger là? Adryan!! Cela ne pouvait pas attendre demain? »


Les reproches de Dacien, son indignation glissaient à ses oreilles bourdonnantes sans trouver prise tant elles semblaient aimables de franchise comparée à sournoiserie du comptable. Et tout aussi surprenant que cela puisse paraitre, le Castillon lui en fut reconnaissant. Et c’est d’une voix sourde, mais sans agressivité qu’il répondit sans quitter les prunelles ardentes du flamand.


Non, Dacien, les comptes n’attendent pas votre bon vouloir. Se retrancha t-il, abrité de cette assiduité à la tache à laquelle il se contraignait pour reprendre un semblant d’équilibre. La porte se refermait sur le courtisan furibond, laissant toute son ire se concentrer sur le comptable. Sa colère était sa défense, sa seule défense. Et remontant encore l’enchère de la confrontation, réduisit encore la distance entre les deux profils acérés, se retenant de mordre cette lèvre qui s’offrait presque à ces crocs aiguisés.

Je ne sais pas parler, de rien, ni en bien, ni en mal, feula t-il seuls les chiffres savent parler d’argent correctement. Le comptable que vous êtes doit le savoir. Il se leva, écartant le fauteuil de velours cramoisi sous l’impulsion brusque de son geste, s’échappant de ce souffle qui le rendait fou. Tête penchée sur le brun, croyant dans son orgueil mâle imprimer une domination désuète de part sa simple taille. Il me semble vous avoir déjà demandé de ne pas outrepasser vos droits en vous insinuant dans une vie qui ne vous regarde en rien. Et sa main gantée, faussement affable s’incrusta à la clavicule du brun, comme animée d’une volonté propre maitrisant confusément la violence qui s’étirait, excitée dans ses veines. Laissez donc le Sahara, sa chaleur vous écraserait. Conclut-il quand c’était sa propre main, malgré son écrin de cuir qui s’embrasait.
Alphonse_tabouret
La colère de Dacien tonna, frêle tempête au milieu de l’ouragan qui se profilait, signifiant au comptable en quelques mots qu’il serait bien inutile de venir le chercher quand il en aurait fini, et si en temps normal, Alphonse aurait pu s’agacer de voir s’échapper la fin de soirée la plus appropriée à une telle débauche d’alcool, la joie vicieuse de pouvoir faire danser Adryan au bout de ses griffes était telle que le fiasco lui glissa dessus… Et quelle danse… Quelle colère dans les perles grises…

Non, Dacien, les comptes n’attendent pas votre bon vouloir.

Le fauve ronronna quand sa jubilation s’enflammait au-delà de ses espérances dans le regard hivernal du barman qui pivotait sa tête vers lui et dans les mots si maitrisés, si soigneusement tenus à bout de souffle pour n’être trahis d’aucune forme d’émotion, glorifiant la sacro-sainte retenue dont il faisait preuve. Le comptable connaissait bien le sujet, il l’avait travaillé durant dix-sept ans d’esclavage et ne doutait pas une seconde que si le Castillon était esthète dans cet art, la subtilité de la maitrise lui échappait. Il fallait en avoir usé jusqu'à la survie pour bénéficier de ces leçons là...
La porte se referma derrière Dacien, les laissant seuls dans la grande pièce, sans plus de témoins, sans plus personne pour contenir le poison et la foudre de se mélanger dans l’air ambiant. Le cou du barman se tendit, futile provocation au félin dont l’ivresse grignotait la raison et encensait son impertinence naturelle, jetant quelques mots si près de sa bouche que le comptable en frémit, avant que l’amertume ne le pique en profondeur, rapidement balayée par les jeux auxquels il avait choisi de s’exercer ce soir puisque le parasite lui-même était venu mander son dû.


Je ne sais pas parler, de rien, ni en bien, ni en mal, seuls les chiffres savent parler d’argent correctement. Le comptable que vous êtes doit le savoir
La voix sourde était accaparée toute entière par un dédain si enraciné dans la chair que le flamand n’en lâcha pas son sourire, tellement satisfait d’être l’entière cause de ce fatras d’émotions, en proie à une crise d’égo que seule l’explosion pouvait désormais calmer. Qu’importaient les coups, ce soir, il pousserait le parasite à bout pour mieux l’écraser du talon de sa chaussure, sa joie résidant dans l'ivresse d'avoir fait sortir de ses gongs cet insupportable hôte que le destin avait choisi de lui imposer. Dans un geste étonnamment vif, le Castillon se leva, bousculant le siège qui se renversa, et déployant sa hauteur, força Alphonse à lever le museau pour le suivre une tête plus haut Il me semble vous avoir déjà demandé de ne pas outrepasser vos droits en vous insinuant dans une vie qui ne vous regarde en rien Le gant blanc vint ferrer la clavicule, dans une poigne qui bouillonnait de ce que le chat pensait être une colère à laquelle le nobliau ne saurait résister bien longtemps, si naïf de ce qui se tramait chez le Castillon, tellement loin de ce qui le menaçait vraiment quand il discernait les défenses du nobliau s’effondrer les unes après les autres en ayant subi les assauts répétés de l’alcool qui avait coulé sous presque toutes ses formes ce soir. Ignoble et beau, le flamand accentua l’insolence de son sourire en lui faisant prendre une teinte doucement repentante quand ses yeux trahissaient le fol amusement qui s’était emparé de lui, la déraison inévitable qui allait perler à ses lèvres. Laissez donc le Sahara, sa chaleur vous écraserait.

Alphonse resta silencieux , le regard planté dans les anthracites, dans un temps dont l’étirement avait quelque chose du supplice, le gout discret de l’étincelle sur le bout de la langue qui vint pointer à la commissure de ses lèvres avant d’en disparaitre une fois qu’elle eut dessiné une ligne humide sur la courbe de sa lippe.
La voix du jeune homme retentit enfin, volontairement distante, reprenant, exaspérant d’une paresse lascive dans la tonalité :


-J’ai l’impression que vos droit et mes outrepassements sont nés pour se rencontrer… Le silence s’attarda de nouveaux entre les deux visages qui se faisaient face, le chat choisissant de porter l’estocade, poursuivant en se levant avec lenteur pour ne point chasser la main qui le brulait ainsi fichée, d’un ton inutilement bas puisque personne d’autre n’était là pour l’entendre, mais de ces voix destinées à ne tomber que dans une seule oreille, privilégiée, espérée : Et si vous devez me toucher, faites-le au moins correctement, murmura-t-il en penchant la tête pour le narguer d’une moue badine, l’œil noir tout enrobé de velours, les pointes d’une ou deux mèches plus longues que les autres venant effleurer le tissu blanc du gant.

Le poing, paria le comptable avec lui-même. Le poing partira en premier.
Il imaginait aisément que le coup l’enverrait au tapis vu son état, il risquait bien quelques coups de pieds emportés dans les cotes si la morsure avait été assez vive, mais un coup ou deux de bâton, ce n’était pas cher payé pour une telle injure à la ferveur bigote du nobliau.

_________________
--Adryan
Pourquoi ? Cette même question, inlassable, le hantait jusqu’à s’insinuer dans chaque recoin de sa cervelle pour occuper chacune de ses pensées. Pourquoi ce brun infernal était-il à ce point désirable ? Pourquoi ce visage relevé vers lui s’auréolait-il d’une grâce presque angélique malgré la sournoiserie visqueuse et insupportable suintant de chacun de ses sourires, de chacun de ses mots ? La beauté du Diable. Eve finalement, dans sa folie étrange, était d’une lucidité écrasante quand lui n’était qu’un naïf. Lui qui à présent avait signé. Leçon de modestie lui claquant au visage comme une gifle cinglante dont l’empreinte resterait rougeoyante sur sa fierté choyée. Si seulement il n’avait pas été aussi radical à chasser d’un revers dédaigneux les mises en gardes de la rousse, peut-être n’en serait-il pas réduit à payer le prix fort. Et à cet instant, la langue effrontée glissant sur les lèvres pleines aurait pu être fourchue qu’il ne s’en serait même plus étonné.

« J’ai l’impression que vos droit et mes outrepassements sont nés pour se rencontrer… »

Pourquoi t’amuses-tu ainsi ? Pourquoi n’as tu pas continué de me bercer de ton indifférence Alphonse ? Qu’est-ce qui te forces à agir de la sorte ? Un bout de table dérobé ? Une jouissance gâchée ? Mets le nez dehors et dix proies te tomberont dans les pattes. Alors pourquoi perds-tu ton temps ?


Les anthracites, suivaient l’estocade de ce corps qui se dressait lentement, le froissement de l’étoffe hurlant l’alarme à ses tympans sans que sa main toujours à l’épaule n’esquisse la moindre résistance. Pourquoi vouloir le toucher toujours, sans pouvoir se contenir même si les gestes étaient emplis de brutalité ? Pourquoi ?

« Et si vous devez me toucher, faites-le au moins correctement, »

Parce qu’il fallait le faire taire. Parce que c’était inéluctable. Devant ce visage penché, devant ces yeux veloutés pour mieux tromper, un frisson fusa le long de son dos pour se perdre dans un picotement aigu au bout de ses doigts qui entérinèrent leurs prises sur l’épaule indomptable.


TAIS-TOI ! Rugit-il, les yeux délirants d’une fureur infernale quand sa volonté ployait, vrillée de trop d’alcool et de trop de provocations.

Et ce ne fut pas un poing qui s’écrasa à la mâchoire du brun, mais ses lèvres qui s’imprimèrent à la bouche odieuse d’arrogance. Le besoin viscéral de le faire taire, de gommer ce sourire, bataillaient avec férocité l’appétit abyssal de dénicher ce gout mâle s’insinuant à la pulpe de sa bouche. La faim l’emporta et le souffle du Castillon happa avidement la moue qui l’avait trop tentée pour rester impunie. Sa dextre se ficha à la nuque brune, intransigeante, quand la senestre s’appropria le flanc pour nouer ses doigts au tissu de la chemise, forçant le brun à reculer, l’acculant entre son corps labouré d’envie et d’abnégation et le bois de la table.
Tais toi, souffla t-il presque implorant avant de revenir à l’assaut des lèvres odieusement captivantes. Il les mordit, les suça, les lécha avec toute l’emphase de la déraison qu’Alphonse avait lui-même déchaînée. Et sa langue pointa, exterminant des années de mensonges dans son sillage pour venir cueillir, tel un animal blessé, le remède à tous ses maux au sein de son tortionnaire lui-même, dans une folie entêtante. Aucun alcool, même le plus fort, n’aurait pu l’enivrer autant que le gout des lèvres fermes d’Alphonse, que son odeur parfumé de bourbon éclatant à ses narines, que ce corps contraint contre lequel il se plaquait, volontaire, pour en extraire toute la chaleur, toute la vie, toute l’ignominie.

Ce ne fut qu’en se sentant enfler contre le bassin jumeau qu’il libera le brun de son baiser, laissant retomber ses mains en même temps que sa tête, essoufflé comme un noyé qui retrouve un instant la surface de l’onde. Sa mâchoire tremblait, brisée, quand il souffla, lèvres entre ouvertes
Fautif…
Alphonse_tabouret
TAIS-TOI !

L’ordre rugi par le Castillon se fracassa à ses tempes, tonnant comme un feu divin, animé d’une colère à ce point éclatante qu’elle en était belle, et sachant désormais que la limite état franchie, flegmatique, prévoyant la sentence qui devait forcément venir quand elle était couronnée d’une telle irritation, le comptable attendit presque mollement, que la main ne s’abatte.
Mais non, ce ne fut pas le poing qui trouva la bouche insolente.
Trop saoul, trop sûr de lui, trop absorbé par sa propre rancœur, les lèvres d’Alphonse accusèrent celles d’Adryan dans une stupeur blanche, surpris, les règles du jeu changeant avec une telle violence que l’espace d’un instant, plus rien ne sembla avoir de logique.
Le black-out fut total, immédiat, empirique, dévastant en une fraction de seconde l’attention du chat, la détournant en un clin d’œil quand il s’attachait pourtant à la tendre toute entière vers son jouet. A la tempête colérique du barman répondit la fièvre viscérale du flamand et, emporté par cette poigne passionnée dont les dernières entraves avaient cédé sous l’arrogance mielleuse du jeune homme, par ce déluge d’exaspération, le baiser du nobliau le noya dans un flot de souvenirs anglais qui anéantirent momentanément toute trace de raison entre ses tempes. La dextre serrant sa nuque quand la senestre l’entravait en le coinçant contre le bois patiné du bureau, acculant le fauve en lui interdisant toute échappatoire directe, éveilla la folie faune des années passées, et abandonné au délire d’un temps révolu qu’il retrouvait dans cette incohérence du destin, Alphonse ouvrit instinctivement ses lèvres pleines , offrant son souffle à son avide parasite, se laissant couler dans ce chaos improbable où la chair, sans crier garde, dispersait ses actes les plus odieux.

Tais toi

La voix faiblarde d’Adryan vacilla entre eux et bien loin d’apaiser la moindre tension, craquela plus encore le vernis de la relation qu’ils entretenaient si savamment depuis quelques temps. Aiguisé par la faim sordide d’un avant qui prenait la teinte d’un maintenant, le brun se laissa dériver le long des baisers fiévreux du nobliau qui le dévoraient littéralement d’une ardeur fébrile, chancelante, y répondant par son corps venant se plaquer au sien, par sa main s’insinuant dans les cheveux châtains pour les empoigner doucement, accompagner les gestes de cette tête dont la langue cherchait avec avidité la jumelle et par son souffle dont chaque inspiration se marquait de plus en plus quand leurs lèvres emportées se délaissèrent au terme d’une fougue qui les avait emportés dans la vivacité de minutes abyssales.

Fautif…

La réalité rattrapa le flamand avec une précision redoutable, jetant sur les nerfs mis à vif par cette étreinte soudaine, le gel foudroyant de sa saveur. D’un simple mot, le Castillon avait replacé le chat dans son rôle de félin, et la cupidité de sa chair se vrilla d’une nausée telle que la raideur contenue dans les braies du nobliau le ramena dans la réalité immédiate de l’instant.

Ce n’était pas son dégout de la déviance qui faisait couler le regard méprisant d’Adryan sur sa silhouette, mais sa concupiscence, et ce fait nouveau poignarda le fauve jusqu’à faire remonter une bile amère au travers de ses veines, les pensées tourbillonnantes le long des dédales de recoupements. Il s’était trompé… Il n’avait pas su interpréter, aveuglé par son autosatisfaction à aiguiser déjà chez le parasite, les réactions les plus tranchantes, ce qui aurait dû lui crever les yeux, lui qui cherchait pourtant toujours derrière l’insolence de ses manières contrôlées, à savoir ce que son interlocuteur avait en tête...
Adryan avait envie de lui et il ne comprenait que maintenant le pouvoir incommensurable qu’était cet aveu, l’éclat de la lame que le Castillon venait de lui offrir brillant, létal dans la prunelle, balayant , croyait-il si naïf encore, la plus petite trace de la concupiscence passionnelle que l’ardeur surprenante d’Adryan avait embrasé dans son ventre, la remplaçant par une humeur bien plus sombre dans laquelle son adolescence l’avait vu patauger avec une joie indicible… Le regard effaré, honteux et dégoulinant d’un bien être déjà gâté par la raison et les conventions des bigots croisant ses yeux noirs quand ils goutaient à la jouissance avait été un passe-temps idiot, oisif dont Thomas l’avait guéri à ses dix-sept ans… mais dont il retrouvait la saveur à cette bouche mâle...

Regarde-moi Adryan, sembla lui dire le doigt qui vint cueillir le menton avec une légèreté angélique quand c’était l’enfer qui menaçait le Castillon dans toute sa splendeur. Hypnotiques, serpentines, les prunelles d’Alphonse s’insinuèrent jusqu’au tréfond de l’âme du nobliau pour y distiller la caresse d’une promesse que son bassin, équivoque de son dessin, venait attarder aux braies entravées sans le moindre détour, bravant la pudeur piétinée du nobliau, agonisante sous le fardeau du plaisir , mais vivante tant le déshonneur le menaçait. Regarde comme je te plais, poursuivaient de susurrer ses yeux qui s’attardaient dans les perles grises, quand insolent, immature, il se refusait de démêler l’excitation qu’il ressentait de la sournoiserie qui louvoyait, incandescente depuis que la vérité le tenait entre ses crocs… Tout chez le barman le révulsait au plus haut point… de sa façon méprisante de signifier ce qu’il découvrait être de l’envie, à la violence bridée qui l’enlaçait avec tant de force, à cette bataille perdue contre lui-même… Et, certain qu’il n’y avait que le dédain le plus absolu dans son geste, aveuglé par cette répugnance qui menaçait de lui crisper la mâchoire à avoir perdu pied dans la symbiose de ces jeux où l’on se pousse à bout, écœuré d’avoir un instant désiré Adryan avec autant de sauvagerie que celui-ci ne l’avait amené à sa bouche, le flamand, avec une douceur folle, joignit ses lèvres à celle du barman quand il le faisait reculer d’un pas, l’enrobant d’une délicatesse neuve, lente, prenant le temps de gouter sa bouche, d’en savourer la pulpe, avant de s’y aventurer, langueurs volontairement distrayantes de plus en plus marquées, quand ses doigts venaient délacer le cordon des braies du Castillon et en écartaient les pans pour en faire surgir la pointe de l’obélisque. Regarde-moi Adryan, sembla répéter le regard d’Alphonse quand il s’attarda une dernière seconde à celui de son parasite, mettant fin à un baiser de plus en plus animal… Regarde-moi te perdre…

Et tombant à genoux avec une fluidité calculée, le fauve sans plus de préambule, avança sa bouche jusqu’au membre dardant au ventre du Castillon et se l’appropria.

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--Adryan
Il était pantelant, vidé de ce premier baiser qui s’était heurté à la fièvre du flamand quand il espérait le trouver froid, récalcitrant, naïf de croire l’adversaire assez charitable pour étrangler ce feu latent couvant en lui. Il avait aimé, il avait adoré cette langue offerte au gout d’interdit et l’envie d’y revenir pour s’y noyer définitivement lui tiraillait cruellement le ventre alors que la pensée que le brun ait pu s’abimer autant que lui à la folie de leurs souffles pataugeait dans un panache inextricable d’excitation et de dégout.

Les questions n’eurent pas même l’opportunité de s’aiguiser entre ses tempes renversées que d’un doigt bien trop tendre, Alphonse cueillit le menton du lutteur sonné qui cherchait à se relever. Cruauté sans borne quand un coup franc et bien placé aurait été sa rédemption. Mais à la lueur de son regard, à ce bassin traitre qui s’invitait, le Castillon comprit qu’il n’y aurait aucune pitié à attendre de son redoutable rival. Il ne lui épargnerait rien. Adryan le savait mieux que quiconque, lui qui, tout aussi pervers, avait fait subir le même châtiment à tant de femmes. Lui qui se gavait à les observer se tordre de désir d’être assouvies. Lui qui jouait avec leurs envies jusqu’à ce qu’elles implorent. Jusqu’à leur corps dans des élans infamants écrasent leur raison et leur lucidité. Voilà que les rôles s’inversaient et que c’était lui qui se trouvait réduit à l’impuissance quand les lèvres du brun revinrent à l’assaut, pleines de leur noir dessein. Et pantin désarticulé privé de toute volonté, il obéit, bercé d’une douceur abominablement trompeuse, assurément nauséeuse si ses sens n’avaient été à ce point engloutis d’un bien être aveuglant pour mieux le duper.

La délivrance de cette frustration engrangée depuis des années et des années était bien trop puissante et pour accepter être refoulée, encore, quand les lèvres trop extatiques s’ouvrant sous les siennes l’assourdissaient plus que l’opium dans leur cocon de soie dévastateur et trompeur. Et si tout en Alphonse, de ses mains, de son regard, de son corps contre le sien, aurait du le mettre en garde, il était bien trop englué dans sa propre fièvre pour chercher à s’y soustraire et resta indignement docile quand les doigts le mirent à nu, exhibant sa faille sans l’ombre d’un remord, sans la moindre étincelle de bienveillance.

Et le condamné, résigné à son sort, regarda son bourreau s’agenouiller. Lui qui l’avait espéré à genoux pour vaincre se trouvait vaincu. Un gémissement rauque résonna entre les murs du bureau quand la chaleur des lèvres du comptable emprisonna sa peau fine et tendue. Poignard d’or triturant vicieuse au plus profond de son âme. Tout le corps du Castillon se tendit, offrant l’arc bandé de sa défaite comme un ultime sacrifice destructeur, ses doigts crispés, en signe de capitulation, s’ancrèrent à ses mèches châtains, dégageant son front dans un geste tout aussi incontrôlé que le balancement de son bassin s’affolant sous la virtuosité de cette bouche impie. Sans rouvrir les yeux, le visage rejeté dans les méandres du plaisir sournois, ses doigts quittèrent le châtain pour empoigner le noir et imprimer à cette tête honnie la cadence qui le mènerait à cette extase qui gonflait, furieuse, lui qui pouvait compter ses jouissances pleines sur les doigts d’une main amputée. Sa respiration enflait démoniaque, dévorée de cette langue meurtrière. Et prit d’une envie bouffie de concupiscence, baissa la tête et ouvrit les yeux.

Voyeur, son regard s’accrocha à cette bouche rosée allant et venant sur son membre palpitant et offert, et la nausée le prit. Devant ses prunelles folles, sa déviance pleine et entière explosait. Un feulement de douleur arracha sa gorge aux portes de la jouissance soudain insupportable et refusée et d’un geste violent et brutal, instinct de survie, repoussa le comptable, l’arrachant avec force à son festin de fauve. Les traits ravagés par la lutte cinglante le saccageant, sa dextre enferra l’objet débauché de sa honte avec toute la dureté de sa poigne, le forçant à capituler et à baisser la tête, indifférent au sort du comptable. Celui-ci aurait bien pu choir assommé sur le coin de la table que le Castillon, retrouvant sa lucidité, aurait pu lui cracher dessus d’être à ce point ignominieux.


Non, cracha t-il mauvais, rabrouant tant ses propres pulsions que le comptable, quand d’une main sévère et intransigeante il refermait le cordon de ses braies en dardant sur Alphonse un regard fou, incapable de déceler s’il en voulait le plus au brun d’être à ce point désirable et cruel, ou à lui-même d’avoir été si faible.
Alphonse_tabouret
La résistance fut nulle, soumise à une abnégation terrible du bon sens moral au profit plaisir, et le gémissement rauque perlant de la gorge d’Adryan quand sa langue s’appropria pleinement sa mise en bouche, confirma en martelant le venin à ses tempes brunes qu’irrémédiablement, le jeu avait changé de règles. Si le Castillon redouterait plus tard ce qui pourrait sortir de cette redistribution , trop obnubilé par l’indécente lubricité qui trouvait à la bouche d’Alphonse de quoi nourrir sa fièvre, le comptable, lui, savait déjà où il posait le velours griffé de ses pattes, et sans se cacher de l’odieuse excitation qui le brulait en s’appropriant ce qui n’aurait jamais dû être à lui, tachant irrémédiablement la blancheur désormais factice du nobliau, percevait, froid calculateur grisé par l’alcool et le baiser échangé dans toute sa brutalité, le prix qu’Adryan paierait pour ce laisser-aller, ce coup de poignard au cœur même de son orgueil bigot... Et cela, valait bien n’importe quelle mise à genoux…
Echauffé par l’alcool, mordu bien malgré lui par la façon brusque, animale et finalement si soumise que le Castillon avait de se laisser guider par l’enfer qui se déversait à ses braies, le brun acheva de s’approprier son supplice à l’exacte mesure du corps qu’il choyait, terrible de ses attentions entêtantes. Libéré d’entraves qui reviendraient fatalement l’engluer, les reins du nobliau s’activèrent dans la volupté de son offrande, enroué dans l’extase des gémissements qui lui échappaient, chacun devenant une note victorieuse de son application qui, si elle était calculée, était indéniablement piquée d’une envie tout aussi vorace que son mépris le plus malsain.
Cloitré dans la gangue moelleuse de sa bouche au rythme de plus en plus cadencé de la chair à vif, laissant entrevoir une capitulation proche dans l’extase condamnable de ses sens, le membre du barman emplissait sa bouche d’un parfum féroce, jubilatoire, sans qu’il n’y démêle le vice du gel de sa nausée, et, les cheveux liés à la poigne virulente du Castillon qui s’abattait propriétaire sur sa tête, le brun se plia, docilement pervers, à la chorégraphie imposée par tant de frustration. Les yeux clos d’une ferveur glaciale à sa seule lubie, emporté par la fougue ardente de cette réalité arrachée à leurs confrontations habituelles, le jeune homme ne pressentit pas la hargne nouvelle d’Adryan devant sa propre concupiscence, tout dévoué à la raideur épaisse qui se gorgeait d’une lancinance de plus en plus fébrile.
Le cri de rage du Castillon vrilla les tympans du flamand au moment même où la poigne à ses cheveux l’arrachait sans mesure aux braies détendues, avec une hargne telle que le geste l’envoya contre le panneau en bois du bureau qu’il cogna du dos dans un bruit sourd.

Dans la quiétude nocturne du bureau, troublé par les halètements rauques de l’un comme de l’autre, l’odeur du stupre, et encore plus de la frustration, venait auréoler chaque parcelle d’ombres que soulignait la flamme de la bougie mourante. Alphonse, le dos avachi contre le bureau, la tête penchée en avant, les tempes embuées par l’alcool et l’excitation qui l’avait dépassé, trop saoul encore pour ressentir correctement la douleur qui le harcèlerait le lendemain, passa sa langue sur ses lèvres tandis que le bruit du tissu venait se mêler au silence coupable et que résonnait la dernière parcelle de fierté du nobliau.


Non

Comprenait-il le Castillon, qu’il était déjà perdu, se demanda le brun en laissant un sourire flotter à ses lèvres salées, encore voilées d’une ombre protectrice ne laissant rien entrapercevoir à son parasite, que la jouissance n’était peut-être pas la finalité de cette rencontre, que ce n’était pas de cela qu’il aurait fallu se protéger ? A l’instant même où il l’avait laissé gagner ses lèvres sans résistance, au moment où il l’avait laissé mettre un genou à terre, à la seconde où il avait gémi de plaisir pour la première fois, il avait permis à Alphonse de gangrener toute sa verve, saccager ce vernis impeccable qui jusque-là s’était contenté de craquelures légères… Jouir l’aurait au moins libéré de son fantasme dans sa forme la plus naturelle, et Adryan, masochiste, tellement obtus et ancré à ses convictions, s’était même refusé le sursis de la pensée engourdie par l’extatique plaisir de l’assouvissement.
Il releva enfin le nez, offrant à un mouvement de clarté diffuse l’éclat gelé de son sourire et vint, triomphal, s’ancrer au regard furieux d’Adryan, s’y attardant, funambule volontaire, toute son insolence brulant dans les vapeurs éthérées des liqueurs qui flottaient encore dans son sang, et se nourrissant du bouillonnement intempestif qu’il y trouva, murmura à l’attention de son parasite d’une voix douce, mais moqueuse, se désignant dans un premier temps d’un index gracile :


-Fautif… Chargé d’un mépris qu’enorgueillissait l’expression sévère qu’on lui opposait, Alphonse gardait les perles grises au creux de ses prunelles, arrogant, laissant volontairement sur son visage se dessiner un sourire narquois, exécrable, fait pour agacer quiconque en subissait le fil. Les limites étaient désormais franchies, pour l’un comme pour l’autre, et si les conséquences qui se dessinaient restaient floues, si le dédain s’offrait de deux manières radicalement différentes, le comptable acheva la présentation du sien dans un souffle en pointant l’index sur Adryan, dans une nuance infime mais absolue :… Coupable…
_________________
--Adryan
Si la tension de son corps s’apaisait, celle entre les ses tempes, malgré le feu de l’alcool qui l’enveloppait dans son cocon encore salvateur, se raidissait comme une corde prête à rompre à tout instant. L’anglais n’avait pas été une exception, et son acharnement à vouloir se cacher la vérité était trop égratigné pour faire encore illusion. S’il pouvait encore se trouver des excuses, le comptable, lui, jouait de la réalité entre ses doigts habiles. L’avantage était certain, l’équilibre rompu, mais le Castillon était bien trop fier pour lui laisser la victoire, et tout autant que le gout de ses lèvres était ancré aux siennes, tout autant que cette langue impie sur son désir à vif hanterait ses songes sans aucun doute permis, il ne s’aplatirait pas. Il n’était pas son père, et cet orgueil, ridicule certainement, serait son salut pour ne pas finir jouet brisé entre les pattes d’un fauve que la dolence rendait encore plus dangereux.

Indistinctement, le Castillon sentait que le comptable prenait un plaisir malsain à ce jeu de tout sauf de dupes, sans qu’il ne parvienne à en déceler la cause. Par simple cruauté ? Le Castillon n’aurait su le dire et refusait de s’y attarder. Cela n’avait plus d’importance. Sa lutte, c’est contre lui-même qu’il devait la mener, et chaque attaque, aussi désuète pourrait elle sembler, c’est contre cette déviance honnie qu’il la porterait. Sous ses yeux, ce visage et ce regard méprisant n’étaient plus ceux du comptable, mais celui du démon qui depuis son adolescence lui bouffait les tripes. Mais le nobliau n’était pas prêt encore à abdiquer, même si cet entêtement ridicule le détruisait, trop engoncée de valeurs qui invariablement le rattrapaient dès qu’un de ses pas s’égarait. Et finalement, la frustration était un mal plus doux que de se haïr soi même. Et plus la lutte serait acharnée, plus il parviendrait à s’excuser lui-même de ce qu’il était, et peut-être réussirait-il même à l’apprivoiser. Ce « ce » tellement profondément ancré en lui que ses traits le hurlaient quand ses yeux, vestige de sa volonté, luttaient pour les contredire. Mais le subterfuge n’avait plus prise sur le comptable qui lui signifia de la plus abrupte des façons.

« Coupable… »

Même à terre, même repoussé, sa hargne à le renverser restait intacte et splendide. Et une nausée encore plus virulente le prit en réalisant qu’il respectait son farouche adversaire, combattant hors paire qu’il s’avérait être. Le pire de tous, sans aucun doute. Encaissant le verdict implacable, il se redressa reprenant cette distance dédaigneuse d’un port de tête haut et noble, le regard emprisonné emprisonnant à son tour quand il s’avança de quelques pas vers la silhouette avachie dont la lumière faiblarde aiguisait la lueur et le fil droit du nez. A quelques infimes centimètres de ce flanc qu’il avait étreint et qu’il aurait pu rouer de ses bottes pour son impertinence, dans une paresse et un calme neufs, il s’accroupit, déposant ses poignets sur ses genoux repliés, les mains ballantes. Aucun sourire ne se dessina à ses lèvres, aucune expression n’anima son visage quand la voix abyssale égraina avec une lenteur volontaire.


Coupable…


Sa dextre se décrocha de sa jambe pour s’avancer vers le visage du brun. Et paisiblement, la pulpe de son pouce vint s’appuyer à la lèvre inférieure qu’il avait mordue, l’écrasant doucement sous une caresse appuyée avec maitrise pour frôler une tendresse feinte. Et s’engouffrant encore davantage dans le regard noir.

… mais pas entre vos lèvres.


Le rétorque pullulait de tant de sous-entendus que lui-même en aurait eu un haut le cœur s’il avait pu tous les mesurer. A cet instant quoique que puisse en penser le comptable, Adryan avait gagné contre ses pulsions, et cela lui suffisait pour garder la tête haute. Libérant et la lèvre et le regard, prenant appuis sur ses genoux, il se releva souplement, sans songer un seul instant à tendre la main à Alphonse pour qu’il puisse en faire autant, laissant claquer ses bottes en se retournant pour rejoindre la porte. Main sur la poignée, il offrit son profil à la lueur mourante de la chandelle et sur un ton presque badin, conclut avant de sortir dans un froissement de tissu.


Je ferrai les comptes demain, à la première heure. Bonne nuitée Alphonse.

La sienne serait assurément fiévreuse et agitée, malgré le vin qui coulerait encore à flot avant de pouvoir se glisser entre ses draps froids.
Alphonse_tabouret

La silhouette d’Adryan se déplaça, statue lente dont la grâce des traits restait figée dans une colère méprisante aussi bien adressée au brun qu’à lui-même, quand ses mouvements impliquaient une paix nouvelle, désagréable, signifiant au comptable que s’il était pris en faute, le Castillon avait retrouvé assez de sang froid pour canaliser sa rage. Accroché aux perles grises, il les accompagna dans leur descente quand le jeune homme s’accroupissait devant lui, prenant appui sur ses genoux, les mains pendant nonchalamment, ses doigts frôlant presque le tissu de leur pulpe.


-Coupable,
finit par répéter le nobliau, brisant le silence épais du jeu de regards auquel ils se livraient, adoucissant étrangement la tension encore vibrante quand son pouce venait toucher la morsure encore vive et visible, allumant chez le flamand une répulsion qui se sentit dans la fermeté de ses lèvres à refuser de s’ouvrir dans la mollesse de la tendresse. La brulure de cette fausse douceur manqua de dessiner une moue de contrariété sur le museau du chat qui s’il s’en retint de justesse ne put réprimer l’agacement de sa prunelle à se manifester. Le Castillon reprenait du poil de la bête beaucoup trop vite… mais pas entre vos lèvres…

-Goujat, souffla le flamand narquoisement dans un excès volontaire d’hypocrisie, choisissant de tous les sous entendus, le plus litigieux, tournant la tête pour abimer son regard ailleurs, fatigué, las, le tambour de l’alcool ayant transformé ses rythmes furieux en sons de plus en plus lourds et dissonants. Il ne suivit pas le jeune homme des yeux quand il se releva pour quitter la pièce, ne répondant pas plus au salut qu’il lui adressa, un gout amer se distillant à sa bouche, de manière de plus en plus prononcé, fermant les yeux quand sa tempe venait chercher appui sur le panneau de bois du bureau.

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