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[RP aout] La découverte est un plaisir…

Adryan
…aussi subtil et intéressant que la connaissance.
Jacques Lamarche



La lanterne rouge n’était pas encore allumée et le soleil de cette fin d’aout encore bien haut dans l’air étouffant de la capitale. Pourtant le Castillon était déjà présent, l’air poisseux et lourd gâtant les rares heures de sommeil qu’il pouvait s’attribuer. Au loin encore confusément le tonnerre roulait, et Adryan n’avait qu’une envie, que des trombes d’eau s’abattent sur la ville et la lave de cette puanteur tenace et de cette poussière collante.

Mais une autre envie le taquinait depuis quelques temps, chatouillé par une soif de connaissance qui ne le quittait jamais. Tiphaine, la presque fiancée au visage parsemé de taches de rousseur, lui avait enseigné les secrets de l’astronomie. Perdu dans le Sahara, un vieux touareg, Adhughmas, lui avait ouvert les yeux sur la géométrie et les trésors mathématiques. En Grèce, c’était le prêtre Pankratios qui lui avait révélé quelques arcanes philosophiques. Aujourd’hui, c’est le savoir de Fleur qui lui titillaient les méninges. L’envie lui était venue peu après leur première rencontre. La jeune femme l’avait séduit par son savoir faire, sûre de sa main, efficace dans ses gestes, virtuose dans l’art des plantes pour en tirer le meilleur ou le pire. Une femme qu’il appréciait, même s’il s’amusait à taquiner son peu de douceur à recoudre les flancs, était une donnée bien assez rare pour ne pas s’en repaitre. Ce fut donc le pas décidé qu’il arpenta les couloirs jusqu’à la droguerie. Le prétexte était trouvé, et si elle rechignait à lui allouer un peu de son temps, il trouverait bien comment la convaincre.

Devant la porte close, il frappa tout en hélant

Fleur ?
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Fleur_des_pois
La chaleur était lourde. Il n'y avait plus aucun plaisir à se trouver dehors par un tel temps. L'air était empesé d'humidité. On se surprenait à espérer la pluie.
Fleur ne faisait pas exception. Mais terrée dans ses quartiers, la Fée avait aménagé la droguerie de telle sorte à ce que l'atmosphère soit aussi frais que possible. La fenêtre avait été masquée par ses soins à l'aide d'un rideau de lin. La lumière filtrait à travers le tissu. Mais la chaleur s'en trouvait légèrement amoindrie.

Suspendus devant la vitre entrouverte, divers bouquets séchaient, têtes en haut. Les étagères accueillaient plus de sachets et de pots qu'elles ne pouvaient en contenir. La grande table de bois était jonchée de plantes en vrac, de fioles pleines ou vides. Et en son bout, un grimoire était ouvert. A ses côtés, un herbier dont les pages voletaient au gré d'une brise trop légère pour être rafraichissante. Et au pendant de l'herbier, un carnet relié d'une peau verte et souple. Un couple de plumes de chouette hulotte trainait non loin. Accompagné d'un encrier au liquide mauve.


Tout ici témoignait d'un joyeux bazar. Jusqu'à la maîtresse des lieux. Accablée de chaleur mais n'y prêtant guère attention, Gaia avait troqué ses habituels oripeaux élégants contre une tenue légère. Jupe verte légère et fortement plissée, chemise blanche, lâche, dénudant ses épaules. Ceinture de soie marquant sa taille fine. Ses cheveux étaient remontés au sommet de son crâne, tressés en une natte elle-même tournée en chignon, maintenus par un foulard sapin.
Les pieds nus sur le carrelage frais, l'Ortie examinait avec attention le fruit noir maintenu entre son index et son pouce.


Fleur ?

Les coups à la porte la firent sursauter. Reposant le fruit dans la coupe, le Lutin s'en vint ouvrir la porte. Un sourire ravi illumina ses traits alors qu'elle reconnaissait son visiteur.

Adryan ! En voilà une bonne surprise ! Qu'est-ce qui t'amène ?
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Adryan
La porte s’ouvrit sur le minois souriant de l’Ortie, ne pouvant en appeler qu’un en retour, exceptionnellement chaud et franc à la bouche du Castillon. Sans s’expliquer vraiment pourquoi, il se sentait furieusement bien en sa compagnie. Fleur était une meurtrière redoutable. Devant elle, son épée, tout aussi habile qu’il soit à la manier, serait inutile face à ses potions. Pourtant, il se sentait en confiance comme rarement il l’était, et abandonna ses manières et son vouvoiement surfaits quand la brunette affichait tant de spontanéité et de fraicheur.

D’un œil expert, sans être gourmand, il enveloppa la donzelle de son regard gris, s’échouant sur les épaules nues où quelques mèches échappées de son chignon ondulaient paresseusement, lui conférant un naturel adorable invitant aux baisers mutins et aux plaisanteries chuchotées au coin de l’oreille.

Ca te va bien, lâcha t-il sans chercher à la flatter, sans même y prendre garde tant il le pensait. Il remonta le nez, curieux de découvrir ce qui se cachait derrière elle, les narines déjà palpitantes de l’odeur particulière de fleurs séchées planant dans la droguerie.

Reportant toute son attention sur la savante, sa moue se fit gênée, presque enfantine.
Ne crois surtout que je vienne me plaindre, ni que je sois un homme coquet, ça c’était un mensonge, mais ma cicatrice est encore un peu rouge, et je me demandais si tu n’avais pas un baume pour m’arranger cela. Il se gratta la gorge, peu habitué à demander quoi que ce soit à qui que ce soit tu comprends, s’il me faut reprendre des clientes, je ne suis pas certains qu’elles apprécient une balafre rougeaude. Puis affichant un sourire enjôleur, mélange de courtisan et de gamin que la curiosité démange, tu veux bien me laisser entrer et t’occuper de moi? Juste un peu…
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Fleur_des_pois
Le compliment étira sa bouche en un plus large sourire. Savoir qu'on est belle est une chose. Se l'entendre dire en est une autre. La justification d'Adryan fit fondre le sourire de l'Ortie. Cela ressemblait presque à une remise en cause de son travail. Ne prenant pas la peine de répondre, la Fée se saisit de la main du jeune homme. L'entrainant à l'intérieur sans ménagement.

T'as tort, tu sais. Les femmes adorent les balafrés. Mais fais voir quand même. Désignant le tabouret, Gaia se saisit du plat gorgé de baies noires, appétissantes. Un fruit ? Puis, riant doucement, écarta le mêt proposé. Je déconseille. La belladone... n'est pas bon pour la santé.

Se plantant devant ses étagères, Gaia plissa les yeux. Repoussa d'un geste la grenouille conservée dans la sciure. Et attrapa un pot d'argile. L'ouvrant, elle renifla le contenu avant de le reposer en grimaçant. Puis, enfin, ses doigts s'emparèrent d'un autre pot.
Retournant auprès de son « patient », l'Ortie souleva la chemise. Il n'avait pas tort, la cicatrice était encore rouge. Trempant les doigts dans le baume, Fleur l'étala doucement, tandis qu'une agréable senteur de lavande se répandait autour d'eux. Déposant le pot sur les genoux d'Adryan, Gaia se releva en souriant.


Etale-toi ça matin et soir et tu verras, dans quelques jours, il n'y paraitra plus.

Prenant elle-même place sur la table, les jambes pendant dans le vide, Gaia pencha la tête de côté. Le jeune homme lui était sympathique. Elle pouvait peut-être s'en faire un ami ?

Tu veux boire quelque chose ? Je veux dire, ajouta-t-elle en souriant à demi, quelque chose qui se boit sans autre effet secondaire qu'une bonne vieille gueule de bois.
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Adryan
Un instant, le sourire de l’Ortie s’effaça et le Castillon craignit que son mensonge ne se retourne finalement contre lui. Il le savait pourtant, ne jamais mentir, tel était le secret pour éviter les bévues et, encore une fois, l’expérience lui donnait raison. Mais le doute fut de courte durée et déjà, tout en le tirant par la main, le rire malicieux de Fleur virevoltait entre les bocaux. Bocaux qu’il prit enfin le temps d’observer à sa guise.

Combien pouvait-il y en avoir ? C’était indénombrable tant ils se chahutaient de formes et de couleurs diverses. Des grands, des petits, des droit, des biscornus. Leur seul point commun était que pas un n’était vide. Le Castillon en restait stupéfait, bouche entre-ouverte, regard ne sachant plus où se poser tant il avait envie de les étudier les uns après les autres, d’ôter les cabochons miroitants pour perdre ses narines à chaque effluves neuves et poser un nom sur chacune.

« T'as tort, tu sais. Les femmes adorent les balafrés. Mais fais voir quand même. Un fruit ? Je déconseille. La belladone... n'est pas bon pour la santé. »

Que les femmes aiment ou non les balafrés était bien le cadet de ses soucis, mais le prétexte avait joué son rôle à la perfection. D’une main intriguée quand la Pâquerette farfouillait ses étagères, il prit une des baies noires pour l’observer et la faire doucement tourner entre son pouce et son index. Observation dont il fut tiré par une nouvelle senteur et des doigts délicats sur sa peau qui lui arrachèrent un sourire ravi. Se faire dorloter était tant agréable finalement pour le solitaire qu’il était.

« Etale-toi ça matin et soir et tu verras, dans quelques jours, il n'y paraitra plus. Tu veux boire quelque chose ? Je veux dire, quelque chose qui se boit sans autre effet secondaire qu'une bonne vieille gueule de bois. »

Il suivit le mouvement de l’Ortie prenant place sur la table, jambes adorablement ballantes, et ne put à son tour que rire tout en se défaisant sans pudeur ni gène de sa chemise, la touffeur était écrasante et le blanc du tissu devait rester impeccable pour la nuit à venir. Prenant le baume pour le glisser dans sa poche, il délaissa le tabouret pour venir s’asseoir à ses cotés. La proposition était plus que tentante bien que le Castillon redoute d’être ivre pour affronter la séance de compte en tête à tête avec le flamand, gardant de sa dernière expérience un souvenir cuisant et bien trop voluptueux à son gout. Mais l’invitation était si joliment lancée, son désir de prolonger la récréation si tenace, qu’il hocha la tête. N’était il pas venu pour partager son temps avec elle ? Si.


Merci Fleur, matin et soir, et tant pis pour les femmes aimant les balafrés. Tu as de plus été merveilleusement douce, méfie toi, je pourrais y prendre gout. Il la toisa d’un petit air amusé et goguenard. Fais tu partie de ces dernières toi ? Si oui, je te rends le pot sur le champ ! Il secoua la tête devant sa propre bêtise se surprenant lui-même à tant de laisser aller. Avec plaisir je boirai en ta compagnie, après que tu aies bu dans mon verre, évidement lâcha t-il une lueur moqueuse nichée au sein de ses prunelles grises. Mais promets-moi que si je suis trop ivre, tu sauras me donner une potion pour que je sois frais comme un gardon d’ici à ce que je doive prendre mon poste. Tu comprends, mon travail consiste à enivrer les autres, pas moi... Sa voix s’enroua légèrement en lâchant ces quelques mots crus de vérité sur ce que lui, Adryan de Saint Flavien, Duc de Castillon était devenu. Mais peu enclin à laisser ses rancœurs noircir le tête-à-tête, releva son regard vers elle. Que me proposes tu donc ? Cet après midi, comme un pacha, je me laisse servir, conclut-il dans un petit sourire réjoui avant de remonter sa main où était toujours prisonnière la baie noire.

Explique moi, raconte moi, si je mange ça, que ce passerait-il ?

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Fleur_des_pois
Il l'amusait. Comme en témoignait l'immense éclat de rire qui résonna dans la pièce. Cristallin, il semblait se répercuter joyeusement tout autour d'eux. S'il cherchait à lui plaire, il avait réussi. Légère et aérienne, la Fée déposa un baiser sur la joue d'Adryan. Décidée qu'elle était à s'en faire un ami. Et étrangement pour elle, Gaia ne ressentait pas le besoin de le séduire pour attirer son attention. Elle qui se plaignait en elle-même fort peu de temps auparavant de n'être avec personne absolument naturelle. Peut-être que cela changerait, aujourd'hui.
L'Ortie fit quelques pas vers ses étagères. En ôta une bouteille apparemment anodine. Fort différente des autres en le sens ou elle ressemblait plus que jamais à une bouteille ordinaire. Ce qu'elle était, de fait.


J'ai emprunté ça à un marchand de spiritueux. Une liqueur de mûres !

Deux verres firent leur apparition. Tous deux emplis rapidement. Et pour prouver sa bonne foi, la Fée trempa ses lèvres dans celui qu'elle tendit à Adryan.

Tu sais ce qu'on dit, dans ces cas-là ? Quand on boit après quelqu'un, dans le même verre ? Qu'on peut lire les pensées de celui qui a bu avant soi. Alors, Adryan ? Vas-tu pouvoir découvrir ce à quoi je pense ?

Un sourire espiègle étira les lèvres pleines de l'empoisonneuse. Et dans une envolée de jupons, Gaia réintégra sa place sur la table. Un verre dans une main, l'Ortie posa dans une tape l'autre sur la cuisse de son voisin.

Si tu ne manges que ça, répondit-elle en désignant la baie, ça ne te ferait pas grand mal. Enfin... dessèchement de la bouche, la figure rouge, hallucinations. C'est tout de même quelque chose ! Même s'il faudrait que tu en consommes plus d'une pour que les effets soient vraiment impressionnants. Et au bout de la dixième, tu passes de vie... à trépas ! Un rire léger lui échappa, et elle se tourna sur le côté, s'allongeant à demi sur la table. Attrapant une feuille entre ses doigts, elle se rassit convenablement. Et là, ce sont les feuilles. On les utilise en infusion. Elles ont un délicieux goût fruité, très agréable. Elles provoquent des hallucinations aussi. Et l'avantage, avec les Solanacées, c'est que les plantes de ce groupe donnent des délires vraiment très précis, très réels. Tu rencontres au gré de tes... songes... des personnes connues, dans des lieus connus. Parfois, les gens deviennent dépendants, parce que dans leurs hallucinations, ils retrouvent des personnes disparues, et ils discutent avec elles. La Fée fit tourner la feuille entre ses doigts. Ce qu'il y a de fascinant avec la belladone, c'est que toute chez elle est toxique. As-tu remarqué comme parfois, la nature est facétieuse ? La digitale, par exemple. Une autre plante mortelle. Elle est très belle à regarder, mais tue d'une simple ingestion. La nature glisse dans ses plus beaux réceptacles ce qu'il y a de plus dangereux au monde. Un sourire presque enfantin se dessina sur ses lèvres. Comme moi ! Mais je dois t'ennuyer avec mes histoires d'herboristerie.

La façon dont Fleur parlait des plantes pouvait étonner Adryan. Comme si elles avaient une conscience. Une identité propre et à part. Comme si elles étaient dotées d'une âme bien à elles.
Se tordant de nouveau sur le côté, Gaia attrapa une graine marron.


Nul besoin de potion contre les effets de l'alcool. Ceci rafraichit les idées ! Mange cinq amandes, ou un peu plus, et tu conserveras les idées bien claires.
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Adryan
Sans même en être conscient, le Castillon se laissait faire, et s’il avait été de nature expansive certainement se serait-il perdu lui aussi à embrasser le velours de la joue de la petite ombre avec désinvolture. Elle était simplement désarmante à papillonner ainsi, naturelle, sans rien jouer et encore moins sur jouer, quand le temps semblait simplement s’être suspendu dans cette pose fleurie.

De sœur, il en avait une, empesée de rubans, de parfums entêtants, de minauderies agaçantes, et l’ombre d’une seconde trop brève pour être détourner avec soin, le Castillon se pris à vouloir que la frangine ressemble à la Pâquerette, espiègle et chavirante.

Elle parlait, et Adryan buvait chacun de ses mots, notant chaque nom, chaque effet tout en sirotant tranquillement la liqueur réchauffant sa gorge d’un feu doux et suave attisant les pirouettes fantasques de l’Ortie. La dévorant d’un regard attendri, il ne put que se fendre d’un sourire diaboliquement sincère en regardant son verre vide.


Liqueur empruntée tu dis ? Il releva son regard vers elle, feignant la contrition, je crains que tu n’aies quelques difficultés à lui rendre son bien. Un petit ricanement fusa de ses lèvres, peu dupe sur l’origine du breuvage. Mais ce qui me chagrine vois tu, ce n’est certainement pas le sort de ce malheureux caviste, mais que mon verre soit vide, et que de tes pensées, je n’ai réussi à en lire aucune. Il pencha la tête, vaguement dépité de sa constatation. Pourtant, il semblerait que me fasse bien curieux en ta présence. Il remonta un regard moiré vers elle. Pour les plantes, tu ne m’ennuies pas, bien au contraire, dis moi encore, je veux savoir… Et croquant dans une amande …Tout sur les plantes, mais pas seulement. Il se leva pour s’approcher d’une étagère et laissa glisser son index précautionneux sur les bocaux chamarrés. Mais pas que sur les plantes. Il se retourna et la toisa de haut en bas, sans aucune retenue. Sur toi aussi. Revenant vers elle, il replaça une mèche brune derrière l’oreille délicate de Fleur d’un geste anodin. A qui voulais-tu faire du mal pour me réclamer un baiser ? Penchant la tête, doucement méditatif, il enchaina, me voici bien impoli, aussi je te propose l’équité, si tu le souhaites, cela va sans dire. Je te propose qu’à chacune de tes réponses, je t’en doive une en retour, c’est puéril, mais, haussant des épaules penaudes, je ne trouve pas mieux…
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Fleur_des_pois
Les lèvres pleines vinrent cueillir le bord du verre. La liqueur était délicieusement fruitée. Elle accompagnait à merveille la présence d'Adryan. Lorsque celui-ci avoua n'avoir pas eu connaissance de ses pensées, l'Ortie se mit à rire légèrement. Il était ainsi curieux de savoir ce qui lui passait par la tête ?
Et alors qu'il se levait, le voilà qui demandait à apprendre. Et si la Fée lui aurait sans peine donner les renseignements désirés sur les plantes... Elle se trouvait fort étonnée de devoir aussi parler d'elle-même.
Quittant à son tour le confort relatif de la table, Gaia inclina la bouteille au-dessus du verre vide de son visiteur avide de savoir. Emplissant dans le même temps sa propre coupe vidée.


Tout savoir sur moi ? Je crains que tu ne sois déçu, l'histoire est assez banale. Mais, ajouta-t-elle alors que la proposition d'Adryan résonnait encore dans la pièce, si je te raconte, tu devras en faire autant !

L'Ortie savoura une nouvelle gorgée. Se laissant doucement gagner par la douceur de la liqueur. Et si de sa vie elle n'avait jamais été ivre, Fleur savait néanmoins profiter d'un verre d'alcool.

Tout d'abord, je m'en vais répondre à ta dernière question. Je ne sais pas si tu l'as vu, il était accoudé au bar, et il était avec moi en entrant. Un jeune homme blond, qui se tenait avec une rousse aux cheveux courts. C'est lui que je voulais blesser.

Et s'il fallait à présent se livrer, Gaia hésitait quelque peu. Adryan n'était pas un inconnu. Cela ne l'ennuyait pas de lever ce voile en sa présence. Ses tergiversations venaient plutôt du fait que justement, lui parler d'elle ne la gênait pas. Depuis quand, songea-t-elle, n'avait-elle pas fait confiance d'emblée ? La réponse état fort simple. Jamais. Et cela la chagrinait quelque peu, de réaliser qu'elle pouvait parler avec lui si naturellement. Quant avec son frère, tout n'était que ressentiment, colère et coups bas.

Mes parents... Je ne les ai pas connu. J'avais quelques mois, et ils étaient en voyage. Leur chemin a croisé celui d'une femme sans doute très seule, car elle m'enleva à eux. Mais son crime devait la tarauder, et elle m'abandonna, au milieu des pois de senteur. Une famille de pèlerins m'a sauvé d'une mort certaine, et m'a confié au couvent le plus proche, perdu dans la forêt. Ils me nommèrent Fleur-des-Pois, en référence aux fleurs dans lesquelles ils m'avaient trouvé. Je passais dans ce couvent dix ans de ma vie, une décennie particulièrement pénible, les nonnes me considérant comme la fille d'êtres malins, comme elles disaient. Jusqu'au jour où une femme débarqua au couvent pour la nuit. Elle s'appelait Isolda, et était guérisseuse. Elle n'avait pas d'enfant et avait besoin d'une apprentie. Elle m'emmena avec elle... Un sourire nostalgique flotta sur les lèvres du Lutin. Et elle reprit bientôt son récit. Elle m'apprit tout ce que je devais savoir. Comment soigner, comment reconnaître les plantes, où les trouver, comment les conserver... Mais ma soif de savoir ne pouvait pas s'arrêter là. Avec les nonnes, je n'avais qu'appris à lire, et les Vertus en plus, ce qui n'était pas folichon. Je forçais la serrure de son armoire, et lus tout ce qu'elle refusait de m'apprendre encore. Les mauvaises plantes, comme elle disait. Et en cachette, je maniais les poisons. Elle le découvrit, malheureusement, et furieuse après moi, Isolda me chassa, deux ans après m'avoir recueilli. Nous vivions à Paris, ce ne fut pas très dur de m'en sortir. Je trouvais d'autres femmes, qui m'apprirent d'autres choses. On les appelait les sorcières. Une autre année fut nécessaire pour qu'elles m'enseignent leur savoir. Et... je me débrouillais, par la suite. Et me voilà ici, trois ans plus tard, apprenant il y a quelques mois mon identité et nouant quelques liens avec ma famille.

Et tandis que son verre se trouvait de nouveau vide, Gaia sourit légèrement. Haussant une épaule comme pour chasser de la pièce l'histoire de sa vie.

Et voilà. J'espère, fit-elle dans un sourire charmant, ne pas avoir perdu tout attrait à tes yeux maintenant que tu sais tout !

Posant une main sur l'épaule d'Adryan, l'Ortie leva les yeux vers son nouvel ami. Sourire irrésistible accroché aux lèvres, et le bras s'enroulant autour de celui du Castillon.

A présent c'est ton tour ! Comment se fait-il que tu te retrouves ici, et... raconte-moi tout ! Et ensuite... Son index effleura délicatement les fioles alignées devant elle. Ensuite, je t'apprendrai ce que tu veux savoir sur ça.
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Adryan
Sirotant son verre, lui, l’éternel indifférent buvait pourtant chacune des paroles de Fleur. Indiscutablement, s’extraire de son univers sombre et tourmenté l’apaisait comme le plus lénifiant des baumes. Pourquoi la laissait-il écorcher son isolement volontaire ? Pour ses connaissances botaniques ? Il en était certes intrigué mais pas au point de lui faire baisser sa garde de la sorte. Peut-être finalement car c’était elle qui la première lui avait offert un peu de sa confiance en lui réclamant ce baiser avec un naturel désarmant. Et si, quand le récit planait entre les murs de la droguerie, il se questionnait, il n’en cherchait pourtant aucune réponse.

Fleur avait un gout semblable à Tiphaine. La seule femme à qui il avait pu parler sans que, malgré certains écarts, la concupiscence ne dégénère tout. Et curieusement cela l’attirait bien plus surement que celles qui ondulaient de tout leur corps pour chercher à provoquer une réaction dans ses braies. Le sourire du lutin suffisait à lui donner tous les charmes.

Il ne chercha pas à s’extraire de l’emprise de son bras cajoleur, au contraire, il se pencha doucement vers le petit visage de mutin et déposa un baiser à ses lèvres ourlées, plein de tendresse à défaut d’être avide.


Je préfère aux baisers qui font mal, ceux qui font du bien
lui confia t’il dans un brin de malice et vois tu, tu ne perds rien de ton attrait, tout au contraire. Il se redressa, vaguement pensif un moment avant de reprendre. Ton histoire est loin d’être banale Pâquerette, et si tant qu’elle le soit, j’aime la simplicité. Il posa doucement son verre, son tour était venu et il ne décevrait pas l’Ortie en se défilant à sa promesse. Ses traits se durcirent quand l’anthracite s’effilochait au loin. Si tu trouves la tienne banale, tu risques bien de trouver la mienne honteuse. Et sans vraiment en avoir conscience il se rapprocha d’elle, baissant la voix, comme si les mots qui allaient suivre étaient innommables au sein d’un bordel. Je m’appelle Adryan de Saint Flavien, Duc de Castillon. Le sang qui coule dans mes veines est plus bleu que le chèche d'un touareg et ne me destinait en rien à échouer ici. Il se tut un long moment, prenant le temps de revêtir l’identité qu’il accrochait au seuil du lupanar. J’ai vu le jour à Fez*. Mon enfance a baigné dans l’opulence la plus ostentatoire, dans l’insouciance la plus douce, bercée de nombreux voyages sur les rives méditerranéennes qui rendaient légère l’éducation stricte à laquelle je me pliais. J’étais plein de fougue et empli d’orgueil pour mon nom. Mais à la mort de mon grand père, le retour à Paris s’est imposé. Mon père devait reprendre les rennes de la famille. J’ai cru étouffer, livré sans plus d’autres distractions que les salles d’armes et d’études, à ce ciel morne, fugitivement sons regard se perdit dans la lourdeur de l’orage à venir. A peine mes 17 ans sonnés je suis reparti, l’Afrique, les Indes, imaginant naïvement pouvoir vivre la vie que je désirais. Mais les lettres de ma mère se faisaient de plus en plus alarmantes. Mon père que je croyais si droit et fort se révéla incapable de gérer la fortune familiale. Ses narines se retroussèrent de mépris. Il n’a su que dilapider, organisant des soirées outrageusement fastueuses. Ma mère lui pardonnait, arguant que l’ennui le tenaillait lui aussi en la capitale, qu’il devait reprendre sa place au sein de la société après tant d’absence. Incapable du moindre discernement, prenant gout aux jeux, il nous a ruinés. Un coup d’œil rageur se posa à sa dextre privée de sa chevalière et il grimaça en songeant à quelle main elle se trouvait à présent, bien qu’il la préférait mille fois au doigt du comptable qu’à celui du chauve gisant le crane transpercé à six pied sous terre. Je suis l’ainé. Lentement il tourna la tête vers l’Ortie sans parvenir pourtant à lui sourire. Il m’a donc fallu rentrer pour, comme je le pouvais, comme je le peux, subvenir aux frasques de mon père et éviter à ma mère et ma sœur d’user leurs yeux à des travaux de couture. J’avais 22 ans, je ne savais rien faire de mes dix doigts sauf donner du plaisir aux femmes et manier l’épée. Mais l’épée paye mal. J’ai commencé à trainer ici, le soir, pour calmer mes insomnies. Et lointain, un sourire douloureux glissa à sa bouche après une nuit que je qualifierais de particulière, je me suis retrouvé à trousser tout ce qui passait cette porte, belle ou laide, vieille ou jeune, feignant d’y prendre plaisir pour gonfler une bourse paternel prestement vidée. Dès que l’opportunité s’est présentée de me retrancher derrière le bar, j’ai bondi, ça rapporte moins certes, mais c’est plus supportable. Il baissa les yeux, sans dévoiler la seconde blessure, l’ignominie latente qu’il refusait encore, dont il était le seul fautif cette fois, sa déviance réprimée qui lui brulait les chairs.

Voilà… conclut-il la voix défaite. Puis attrapant son verre le vida d’un trait, comme pour effacer les mots dits autant que ceux tus. Un rire railleur s’échappa de sa bouche quand il vint cueillir à nouveau le regard de la fée. Affligeant n’est-ce pas ? Mais dans moins d’un an, je repartirai. Mon père pourra bien aller au diable, il n’a déjà plus rien et je ne peux lui donner plus que je ne l’ai déjà fait. Mon honneur. Lentement, avec précaution, comme craignant que ses doigts souvent trop brutaux ne brisent le visage de porcelaine fine, il prit le menton de la jeune femme entre ses doigts, comme cherchant le réconfort dans ses prunelles Une de tes potions peut-elle me rendre… normal ? La question était purement rhétorique, mais incapable de tout dire, la nécessité de laisser entendre était irrépressible.


*ancienne orthographe de Fès
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Fleur_des_pois
Les lèvres d'Adryan se posèrent sur les siennes. Baiser tendre auquel l'empoisonneuse répondit. La bouche rosée effleura celle du jeune homme, comme si elle était papillon et lui fleur épanouie. Douceur et légèreté dans cet instant si particulier.
Puis ce fut son tour d'être silencieuse. Ecoutant avec attention l'histoire de ce presque frère un peu incestueux. Fronçant les sourcils devant les déboires familiaux. Ainsi donc, son ami était de haute naissance ? Et il avait vu le monde ? L'immensité des terres sauvages dont on lui avait parfois parlé ? Et qui tant de fois l'avait fait rêvé. L'Inde. On disait la contrée riche en plantes merveilleuses. Tout comme la Chine. Voyageuse dans l'âme et dans la chair, parfois il prenait l'envie à l'Ortie de mener ses pas vers ces pays fantastiques. Mieux qu'un conte, une réalité.

Le récit achevé sembla plonger Adryan dans la honte. Le regret peut-être. La rancœur sans aucun doute. La main fleurie vint cueillir celle du Castillon. Les doigts fins serrèrent tendrement les prisonniers. Comme pour ôter de ce front fier les vestiges de la trahison paternelle.


De mon avis... Ce n'est pas toi, qui a perdu ton honneur. Un père, c'est quelqu'un sur qui on devrait pouvoir compter. Eponger les dettes du géniteur ne fait pas parti des devoirs d'un fils. C'est lui, qui l'a foulé aux pieds, son honneur, en te faisant agir tel que tu as agi. Tu devrais être fier, toi, d'avoir tout tenté pour sauver ta famille. Il ne peut se vanter de la même chose.

Le ton était ferme. Les paroles sortaient du cœur, sans niaiserie. Pour elle qui n'avait jamais connu son père, la description de celui d'Adryan la faisait grimacer de mépris. Son père à elle était mort en la cherchant. Et sa femme avait trouvé la Faucheuse également sur son chemin. Depuis qu'elle savait cela, la Fée idéalisait quelque peu ces parents inconnus. Dont tout ce qu'elle avait d'eux se rapportait à une poignée de lettres jaunies.

Mais tu vas repartir, dis-tu ? souligna-t-elle tristement. Ne t'éloigne pas trop longtemps, en ce cas. Sinon, emmène-moi !

Était-elle sérieuse ou plaisantait-elle ? Fleur elle-même ne savait point. Et si les contrées lointaines l'attiraient, pouvait-elle vraiment quitter les siens pour un si long voyage ? Son cœur balançait. Mais elle avait le temps.
Et une autre affaire, bien plus pressante, faisait surface. Les doigts d'Adryan relevant son menton. Victime consentante du désir du Castillon de la regarder dans les yeux.


Une potion pour te rendre normal ? s'étonna-t-elle. En quoi es-tu différent ? Et d'ailleurs, qu'est-ce que ça, la normalité ou la différence ? Adryan, tu vaux mieux que ça, que de rentrer dans le moule que l'on impose. Regarde, au sein même de ma propre famille, on me considère comme différente. Parce que, contrairement aux autres, je n'ai pas choisi de cogner sur tout le monde et d'être désagréable avec les autres. Je passe pour une excentrique ! Et tu sais... c'est parce que, je crois, ils ont peur de ce qu'ils ne peuvent voir. Et quoi de plus discret qu'un poison ? De vicieux, même. Ils ont beau frayer avec les ombres... ils ont toujours peur du noir. Un sourire tendre étira les lèvres de l'Ortie. Sa main se posa sur celle d'Adryan. Il n'existe pas ce genre de potion, et même si c'était le cas, je ne t'en donnerai pas. Tu es très bien comme tu es, quelque soit le reproche que tu te fais. On m'a appris une chose. Il faut tirer de sa faiblesse une force inépuisable. Que dis-tu de cela, Monsieur de Saint Flavien ?

Un rire léger s'évapora dans l'air à la mention du nom d'Adryan. Rien de moqueur dans cette sonorité mélodieuse. Une tendresse était en tout cas perceptible.
Bondissant en arrière, Gaia se saisit d'un bocal transparent. A l'intérieur, un crapaud flottait dans son liquide d'embaumement. Le petit être parfaitement conservé dans son mélange d'aromates, de sel et de vin blanc.


Veux-tu apprendre à faire ça ? Gaia déposa le batracien sur la table. Un nouveau saut, et la voilà qui offrait comme voisin au crapaud, une fiole mauve. Ou alors ceci ? Et pour finir, la Fée tira à elle le grimoire épais, ouvert encore en son milieu. A moins que tu préfères... cela ? Ou tout autre chose ?
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Adryan
S’il avait craint une rebuffade à ce second baiser, il n’en fut rien. Les lèvres de l’ortie ne séquestraient aucun venin. Leur douceur était un havre de paix auquel le Castillon s’abimait, emporté par une indicible envie d’y revenir sans qu’un seul moment il ne songe à la réfréner. Et Adryan sut à cet instant que si l’amitié les lierait sans l’ombre possible d’un doute, le désir de gouter encore et encore, même avec parcimonie, à ce petit papillon ne le quitterait plus.

La tête basse, non par contrition, mais car les paroles de Fleur résonnait en lui comme une vérité éclatante qu’il n’avait jamais envisagé, il écoutait. Il se gorgeait d’une force dont les tenants restaient ignorés de la petite fée, le laissant vibrant d’espoir. Espoir que lui aussi, modelé de principes et de fières théories sur ce qu’il devait être, pouvait s’accepter, avec ses travers.

Quand elle se tut, il releva la tête et lui sourit. Sourire pourtant où planait la tristesse, la repentance de ne pas pouvoir tout lui dévoiler quand elle s’offrait à lui, du moins le pensait-il, sans la moindre retenue, sans même cacher que son départ pourrait lui causer de la peine.


Merci.
Murmura t-il simplement, se faisant le serment qu’elle serait la première à connaitre l’entièreté de son être à la seconde même ou les mots pourraient sortir de sa bouche sans l’arracher. Elle ne le jugerait pas, il aurait pu y mettre sa main à couper tant en cet instant si rare pour lui, cette petite ombre qui avait recousu son flanc dans la douleur, raccommodait son âme d’une généreuse douceur.

De la mâchoire, sa dextre coula sur le cou en une caresse à peine posée jusqu’à ce qu’un index distrait s’enroule à une mèche brune échappée à la nuque gracile du Lutin. Mais Fleur était trop pleine de vie pour ne pas s’échapper et papillonner gaiement entre ses bocaux, chassant la chape de plomb qui risquait de s’abattre à nouveau sur lui quand il n’aspirait qu’à la légèreté. Il la regardait, conquis et amusé, bondir, ne portant encore son attention que sur elle quand pourtant les bocaux étaient tous plus improbables les uns que les autres. Et quand elle le regarda, elle le trouva, sourire aux lèvres et regard limpide posé sur son visage mutin et exalté. Tout accaparé par elle, il délaissa encore les curiosités qu’elle déballait.


Je t’emmènerai où tu veux Pâquerette.
Souffla t-il, sincère. Puis ses yeux la quittèrent pour se poser, incrédules, sur le batracien. Il remonta son regard sourcils dressés sur elle, avant de le rebaisser, pour le remonter encore et enfin réussir à articuler. Mais tu es une sorcière ! Que fais tu donc avec ça ? Un rire léger secoua ses épaules. Tu transformes les gens en crapauds ? C’est une de tes victimes ? La plaisanterie était enrobée d’un regard suintant de complicité. Puis se frottant les mains, à son tour excité comme une puce. Dis moi, dis moi, et après la fiole mauve, et après, tous les secrets de ton grimoire !
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Fleur_des_pois
Où je veux ? murmura-t-elle, rêveuse. Comme ce serait formidable...

Et elle s'imaginait déjà, la petite Fée ! Chapeautée sous un soleil de plomb. Les terres arides de l'Afrique s'étalant à ses pieds. Et l'astre du jour comme un disque d'or. L'inondant de ses rayons tels des gouttes de métal précieux. Découvrant avec émerveillement les peuplades étrangères. Apprenant les vertus de plantes dont elle ignorerait tout. Et l'Inde ! Ne disait-on pas que les femmes de ce pays étaient si belles que les hommes mouraient d'amour ? Aux cheveux plus noirs que la nuit. A la peau d'ambre plus douce que la soie. Les palais étaient de marbre, se murmurait-on. L'air lui-même était parfumé de mille senteurs enivrantes. Puis enfin, la Chine. Les autochtones aux yeux bridés. La chevelure d'ébène aux reflets bleus. Et leurs plantes pimentant les nuits des amants. Oui, Fleur s'y voyait déjà. Protégée par les bras d'Adryan. Qui devait manier les verbiages de toutes ces contrées. Qui lui ferait découvrir des endroits merveilleux, où les feuilles des arbres étaient d'émeraudes. Le cœur des roses n'étaient autre que de scintillants rubis. Et la pluie n'était qu'averse adamantine. Regretterait-elle quoi que ce fut, ici ? La France, Paris, sa famille, ses quelques amis ? Qu'était tout cela comparé aux voyages fabuleux décrits par Adryan ? Pour peu qu'elle puisse emmener son chien à trois pattes, alors non, Gaia ne regretterait rien. Et pleurer sur son sort, alors qu'elle serait en compagnie du Castillon ? Cela ne lui viendrait même pas à l'esprit. Regretter dix connaissances quand on était avec un ami ? C'était comme de pleurer après une journée vaguement tiède quand on se trouvait sous un ciel éclatant.

Sortant cependant de ses songes aux goûts de découvertes, Gaia sourit à la remarque d'Adryan. Et si parfois on l'avait qualifié de sorcière, jamais cela ne fut prononcé sur ce ton-là. L'Ortie, amusée, extirpa d'une étagère une vipère aspic tout pareillement conservée que le crapaud. Tournant le couvercle de liège, celui-ci sauta dans ses mains. Le serpent fut libéré juste avant le batracien. Et dégageant une place devant elle, Fleur y posa une planche de bois. Se munissant de pinces, le Lutin étala délicatement le crapaud sur le dos. De la pointe d'une plume de hulotte, Gaia appuya doucement à l'endroit de la vessie.


Ce malheureux ne comptait pas parmi mes ennemis, mais s'il s'avérait que je doive m'occuper de l'un d'eux, il me servirait à accomplir ma vengeance ! Surtout, ne le touche pas. Je vais t'expliquer. La hampe se fit plus tatillonne et après qu'elle fut trempée dans l'encre violette, dessina un rond entre les cuisses de l'animal. L'urine de crapaud est toxique, c'est un poison incroyable. De même que la peau de ce gras Buffo *. Tu vois, je l'ai endormi doucement, et cousu l'orifice des évacuations. Il n'a ainsi pas souffert et j'ai rendu son sommeil définitif. Et je le conserve là-dedans le temps qu'il me soit utile. De même pour la vipère. Ce fut au tour du rampant d'être étalé sur la planche. Ses crochets renferment un poison, qui, s'il n'est pas toujours mortel, peut tout de même causer quelques jolis dégâts.

Un sourire innocent étira ses lèvres pleines. Son regard plongea dans celui d'Adryan. Lui faire la leçon était loin d'être déplaisant. Sa présence lui était agréable. Etrangement, l'Ortie avait l'impression de se retrouver face à un double d'elle-même. Un double masculin. Peut-être plus torturé et un peu moins enclin par la nature à la légèreté. Mais elle sentait au fond d'elle qu'il ne fallait pas le pousser beaucoup pour le dérider comme il l'était actuellement. Et d'un geste, la main de Gaia s'empara de celle d'Adryan. La tournant paume vers le plafond. Et y déposant après un baiser, la fiole mauve.

Je te donne ça ! Colchique ! Si tu veux te venger de quelqu'un discrètement, c'est idéal. La mort peut survenir dix jours après ingestion.

Un sourire léger flotta sur les lèvres rosées. Le temps filait-il qu'elle ne s'en apercevait point. Prenant plaisir à transmettre son savoir à son ami.

Tu sais, normalement, les effets d'une infusion, d'une décoction, ou d'une macération ne dépasse pas les trois heures. Mais moi, je conserve tout dans l'alcool. Pas du fort ! Un bon vin blanc ou rouge. Les propriétés alors durent... jusqu'à une année au moins !
Soudain, la Fée referma le grimoire. Et le tendit à Adryan, souriante, toujours. Ouvre, à n'importe quelle page ! Et je t'apprendrai ce qu'il faut savoir.




* Buffo buffo est le nom scientifique désignant le crapaud commun

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Adryan
[I've got sunshine on a cloudy day
When it's cold outside I've got the month of May
I guess you'd say
What can make me feel this way ?]*



Au murmure, le regard du nobliau ne tarda pas à se reposer sur le gracile Lutin. Et quand elle s’égarait dans son voyage immobile, les prunelles grises du Castillon soupiraient devant le voile sombre de ses cils rêveurs, à la courbe fragile de sa bouche rose picorant d’envie la pulpe de ses doigts de s’y poser, à la ligne de sa mâchoire soulignée d’un rayon de lumière que ses lèvres ordonnaient de dévaler.

Le Castillon bouillait pour les chairs masculines. S’il se rudoyait pour bâillonner son fléau, ces colloques forcés avec le comptable avait fait éclater la vérité brutale entre ses tempes brunes, le harcelant avec une force effroyable quand il chutait à laisser son esprit vagabonder et se déchirer au râle extatique encore vibrant à ses tympans qu’il avait poussé quand le fourbe flamand l’avait emprisonné de ses lèvres, le libérant tout autant qu’il l’enchainait. Mais Fleur était différente. Elle réveillait en lui des sentiments oubliés, enterrés profondément et dont il se croyait privé depuis le départ forcé de Tiphaine.

Avec Fleur, à nouveau, il se sentait bien, léger, capable d’insouciance. Mais incapable de mots, c’est son corps qui résonnait pour exprimer ce que sa tête était incapable d’articuler.

Il avait cru Quentin l’exception, il n’en était rien. L’exception, c’était elle, cette petite Fleur. Petite Fleur qu’il était venu trouver par curiosité, sans se douter un instant de l’importance qu’elle prendrait, presque spontanément dans sa vie, comme si tout avait été écrit d’avance.

Adryan n’était plus seul, simplement. Et si le matin même, il était encore persuadé que seul l’isolement lui était profitable, la Pâquerette venait de faire voler en éclat cette certitude. De ce tête-à-tête là, il sortirait gorgé d’une vigueur neuve, plus heureux qu’un môme.

Appliqué, élève studieux, il observait chaque geste du Lutin, retenait chaque mot de la leçon aussi ensorcelante que le professeur quand sa bouche chatouilla sa paume d’un frisson mutin. Fiole mauve dans la main, il sourit. Il n’en userait pas, il le savait. Faire disparaître ses ennemis, il ne le faisait qu’à la seule ombre d’une l’aube brumeuse, signant son crime aux yeux de tous par la béance d’un crane laissée par sa lame. Mais de cela, par soucis de ne pas froisser le Lutin, il ne dirait rien, se contentant de refermer sa main sur le verre en hochant la tête, menteur pour la bonne cause.
Merci, lui glissa t-il dans un sourire vrai, touché de l’attention, je choisirais bien ma cible, sois en certaine. Il posa un baiser caressant sur son front, quant au Buffo, je crois bien que le seul fait de savoir avoir bu de la pisse de crapaud suffirait à me tuer, toxique ou pas, conclut-il sur un ton se voulant rebuté mais qui ne parvenait qu’à dégouliner d’amusement.

Puis d’une main pleine de regret, il caressa le cuir du grimoire, regard bas.
Il me faut prendre mon poste, la soirée s’étire et j’ai une commande à réceptionner. Remontant des yeux pétillants vers elle, le grimoire, la prochaine fois ? Et tout en renfilant sa chemise, d’ajouter comme si l’évidence de la question ne suffisait pas. Et bien sûr, si tu as besoin d’alcool pour tes décoctions, viens me voir surtout. Si j’ai les meilleurs alcools de la capitale, j’ai aussi quelques piquettes qui ne sont pas piquées de hannetons. Il se tourna vers elle caressant la soie de sa joue du revers de la main. Je peux compter sur toi ?



* The Temptations, My Girl

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Fleur_des_pois
L'Ortie pouffa d'amusement. L'idée de boire de l'urine, quelle qu'elle soit, avait il est vrai le don d'en dégoûter plus d'un. Même les plus coriaces. Cependant, Adryan avoua qu'il devait la quitter. Le pincement que la Fée ressenti au cœur se traduisit par une moue dépitée. Déjà, faillit-elle lâcher. L'absence du Castillon laisserait sa tanière plus froide qu'avant qu'il n'y entre. Mais il n'était pas loin, songea Gaia. Fort heureusement, elle n'aura qu'à descendre quelques marches et parcourir une poignée de mètres avant de le retrouver. Et d'ailleurs, pourquoi ne pas le faire dès maintenant ? Rien ne la retenait véritablement ici.

Promis, répondit-elle. Et tu sais quoi ? Il n'y a pas que pour mes poisons que j'ai besoin d'alcool.

Un large sourire s'épanouit sur ses lèvres. Faisant pétiller son regard brun. Passant un bras autour de celui d'Adryan, elle leva vers lui un minois décidé et rieur. C'était de sa faute à lui, après tout. S'il n'était pas si agréable compagnon, il ne lui serait point venu en tête de quitter l'herboristerie pour un coin de bar. La Fée siffla quelques notes aigües. Faisant sortir de son la table son estropié de chien noir et blanc. Celui-ci, une oreille en l'air et langue de côté, se tenait déjà tout prêt à suivre sa maîtresse où qu'elle aille.

Au fait, mais oui ! Tu ne connais pas Dandelion. Lui comme moi, nous venons avec toi ! J'ai hâte de goûter à tes alcools, mon cher Adryan. A tous ceux qu'il te plaira de me faire boire.

Et entrainant Adryan, Gaia ouvrit la porte. Délaissant pour quelques heures son nid de plantes. Pour une toute autre réserve qui n'en serait pas moins attrayante.
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