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[RP] 25 décembre 1461 : Le premier jour du reste de ta vie.*

Axelle
*

Les jours avaient coulés, longs, violents, terriblement, depuis que la porte de l’Empreinte s’était refermée sur les pas d’Alphonse. Chassé, quand elle était restée de longues heures recroquevillée dans un coin, abasourdie par des événements qui lui avaient échappés, dérapant entre ses doigts comme un savon mouillé. L’esprit embrumé, incapable de savoir si elle en avait entendu trop ou pas assez. Incapable de savoir si elle regrettait, ou non, ceux qu’elle avait dit avec une sincère désarmante et presque naïve. Incapable de savoir si cette colère qui avait animée le brun, devait être la preuve d’un attachement profond ou simplement humiliante. Incapable de savoir si elle était furieuse contre lui ou contre elle-même. Incapable d’accepter la vérité d’Alphonse quand elle lui avait injustement imposé la sienne. Incapable de revenir mais tout autant de fuir, de fermer sa porte à jamais. Incapable de savoir si ces mots qu’elle avait tant entendu par le passé, elle voulait les remplacer par une autre voix ou laisser à jamais, tel son fardeau, ce dernier « je t’aime comme un damné » hanter ses nuits comme la preuve implacable que l’amour, la passion, n’étaient que destruction et tourments infernaux. Ou oser encore…

Alors elle s’était cloitrée dans la chambrée de son auberge, cherchant en vain à démêler ses sentiments, à s’apaiser. Mais la découverte de sa grossesse n’avait que décuplé son trouble. Ce ventre gorgé de vie la replongeait dans un passé douloureux, ramenant à son esprit les pleurs de cet enfant ignoblement abandonné, mais aussi ce regard gris, plein de colère ou d’un amour trop lourd, qui persistait à la terrifier et à la faire pleurer quand son attention se posait sur la petite statue de bois taillée. Pleurer encore, en silence, d’avoir tant souffert et d’avoir tant fait souffrir. Et cet enfant qui avait choisi de s’accrocher à son ventre sonnait comme le pire châtiment que lui infligeait cet être Très Haut auquel pourtant elle ne croyait plus. Punition si brutale, si cruelle, qu’elle avait voulu l’anéantir, reflexe ultime et paradoxal d’altruisme pour épargner à un innocent la souffrance de l’avoir pour mère. Pourtant, au détour d’un cul de sac, tout s’était brisé avec une rage démentielle, anéantissant toutes les certitudes qu’elle s’imposait.

A nouveau, elle avait embrassé la mort à pleine bouche. Mais quant à Dijon ses yeux l’avaient trahi en s’ouvrant malgré sa volonté suicidaire sur le plafond de la tour du Bar, une rage de survivre phénoménale l’avait envahit quand ce fut le plafond de l’appartement des Ligny qui accueillit son réveil. Rage de vivre, rage de vaincre qui avait balayé tous ses doutes, toutes ses interrogations d’un revers de la main, futiles quand la vie qu’elle portait en son sein la poussait à se battre contre cette odeur de souillure tenace à ses narines. A batailler pour apprivoiser cette vue traitre qui se jouait d’elle. A lutter pour redresser la tête encore une fois, malgré l’ignominie. Et Etienne avait été là, à chacun de ses pas hésitants, protecteur, doux, lui prouvant par chacun de ses baisers, chacune de ses caresses, chacune de ses étreintes, que malgré le sentiment de saleté l’engluant comme un sirop poisseux et nauséabond, elle restait femme et désirable. Et Axelle, d’ordinaire si sauvage et prudente, lui avait offert toute sa confiance. Comment aurait-il pu en être autrement quand il l’avait sauvé, elle et l’enfant ? Quand jour après jour, il pansait ses blessures dont les plus ravageuses étaient pourtant invisibles ? Quand elle l’enchainait à un secret écrasant, même si elle en ignorait le poids véritable ? Elle ne pouvait que se lier à lui, farouchement.

Si de ces épreuves elle apprit quelque chose, ce fut d’accepter ce que la vie suffisait à lui offrir, sans plus jamais demander davantage, à personne.

Cachée des regards extérieurs, à l’abri sécurisant et suavement parfumé d’Etienne, elle attendait patiemment que les plaies trop visibles se referment. Elle ne cherchait plus à en savoir davantage, à deviner les réactions d’Alphonse quand elle le reverrait, car c’était inutile, simplement. Et si l’envie la tenaillait de le revoir, de sentir sa présence, là juste à coté d’elle, elle refusait catégoriquement qu’il puisse la savoir blessée, souillée, boiteuse et irrémédiablement abimée. Quand elle reviendrait, elle voulait pouvoir lui sourire sans se forcer, ou s’il la repoussait après cette absence trop longue, pouvoir s’évanouir dans ses souvenirs sans qu’il n’ait pitié, sans qu’il ne se sente obligé de l’accueillir par charité. C’est ce qu’elle voulait, mais même si les griffures et les hématomes s’évaporaient sur sa peau brune, le courage lui manquait encore de connaître son jugement, trop habituée qu’elle était aux sentences pour concevoir que peut-être, il n’était pas homme à flageller.

Endoloris, les jours flânaient sans avoir de réelle prise sur la gitane, mais pourtant, quand la veille elle avait accompagné Etienne jusqu’à l’Empreinte pour le couvrir de l’or de son costume, l’odeur de la peinture l’avait tirée de sa somnolence, l’éperonnant à faire face seule à cet extérieur hostile qu’étaient devenues les rues de Paris. Aussi au matin de ce jour de noël, elle s’était préparée avec concentration, comme un cavalier remontant en selle après la chute, confortant sa décision par le fait qu’après toutes leurs attentions à son égard, elle devait s’effacer pour laisser le frère et la sœur partager cette journée particulière ensemble. Elle avait déposé un mot à l’écriture paisible à l’attention du Griffé, le prévenant qu’elle sortait remettre de l’ordre dans ses affaires et promettant de dormir à son auberge si la tombée de la nuit la surprenait. Nuit qu’il savait ennemie par trop de peurs et surtout, nuit noire même quand la lune était pleine.

Et elle était sortie, longeant les murs, le visage caché sous la capuche d’une longue cape noire, camouflant le rouge jugé encore trop vif de sa robe jusqu'à son auberge. Là, elle avait réglé son loyer en retard devant les yeux vaguement inquisiteurs de sa logeuse, qui pourtant, discrète, ne posa aucune question sur son absence. Dans sa chambrée, elle avait passé de longues heures à mettre de l’ordre dans ses commandes de peintures, s’excusant pour le retard de celles en cours, annulant purement et simplement celles qu’elle n’avait pu commencer. Ce ne fut qu’en milieu d’après midi que ses pas la conduisirent enfin devant l’Empreinte, souriant doucement en arpentant le petit chemin pavé, heureuse de retrouver son chez elle et fière aussi, d’avoir réussi à dépasser ses craintes. Arrivée devant la porte, elle fouilla sa poche pour en tirer la clef qui lui permettrait de renouer avec sa passion. A peine le battant grinçant de bois entrouvert, l’odeur tant aimé picota ses narines, et son sourire s’élargit. Elle fit un pas pour entrer, retrouvant ses habitudes mais son pied butta doucement sur un obstacle inopiné. Surprise et les sens déjà en alerte devant cette anomalie, ses yeux se baissèrent avec vivacité, se plissant doucement pour aiguiser sa vue déjà fatiguée par les missives écrites auparavant. Là, sur le seuil, un livre, une boite de bois rouge sur laquelle était déposé un coquelicot étonnamment frais et éclos pour la saison. Son cœur sauta un battement. Alphonse. La fleur fragile était sa signature. Fébrile elle s’accroupit, prenant la tige fragile entre ses doigts comme le plus précieux des trésors et à fleur de peau, une larme discrète roula sur sa joue. Larmes, pleurs, elle qui avait horreur des pleurnicheries ne pouvait plus empêcher ses yeux de s’embrumer à la moindre émotion. Trop vulnérable ainsi hors de murs protecteurs, après avoir glissé la fleur dans ses boucles, elle prit délicatement livre et boite et pénétra dans l’atelier, refermant la porte à clef sur elle. Etrangement patiente et posée, elle s’assit sur l’une des causeuses, posant la boite à coté d’elle sans encore ni la regarder ni l’ouvrir et se défit de sa cape, le livre pesant lourdement sur ses genoux. Il était grand, épais, énorme, et d’une main attentive qui semblait minuscule, caressa la couverture de cuir superbement reliée, désireuse de profiter de chaque détail. Et elle l’ouvrit. Et ses yeux brillèrent de mille feux. Sur les pages précieuses s’étalaient des myriades de croquis, de calligraphies, de palettes de couleurs d’Italie, de Grèce, d’Afrique du nord, la laissait essoufflée d’émerveillement. Elle aurait certainement passé la nuit à étudier ce trésor d’inspiration si sa hanche, en s’avachissant dans la causeuse, n’avait doucement heurté la boite. Presque à regret, elle referma l’ouvrage et le déposa sur le guéridon avant de saisir le sobre petit écrin de bois rouge. Un sourire tendre glissa à ses lèvres en découvrant sur le coté son prénom gravé. Avec la délicatesse de ceux qui connaissent la valeur d’un cadeau, elle l’ouvrit. Et à nouveau, ses yeux s’embrumèrent. Nul sanguines ou fusains comme elle l’avait supputé à la découverte du livre. Non.

Peureusement, ses doigts d’abord s’enlacèrent au long et fin lacet d’argent au bout de laquelle se balançaient nonchalamment une perle sans prétention de taille, mais à la rondeur et aux reflets absolument parfaits. Les yeux perdus aux reflets irisés de la nacre louvoyant doucement, une seule pensée tambourinait entre ses tempes.


Comment as-tu pu douter de lui ?


Perle serrée dans l’écrin de sa paume, telle une furie, elle se précipita vers la porte, bataillant avec la clef pour l’ouvrir. La patience n’était plus permise, l’envie de le retrouver bien trop forte pour seulement refermer l’atelier derrière elle. Elle courut, sans s’arrêter, sans prendre le temps de rendre son salut à Hubert qu’elle appréciait pourtant, sans prendre le temps de frapper à la porte du bureau du comptable qu’elle ouvrit à la volée. Et ce ne fut qu’en le voyant, là, finalement devant elle, qu’elle se figea, soudain consciente de ce que son irruption après tant de silence pouvait avoir de grossière. Ses lèvres s’arrondir sans encore pourtant qu’aucun son ne franchisse leur seuil. Elle aurait pu dire pardon, le hurler même, merci, sans aucun doute possible, bonjour peut-être ou même où as-tu réussi à dénicher un coquelicot à noël ?, mais ce fut un Alphonse enroué et essoufflé qu’elle articula doucement quand tout tenait dans le premier regard qu’il poserait sur elle.

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Alphonse_tabouret
Lorsqu’il avait quitté l’Empreinte en novembre, il avait enfoui ses mains dans ses poches, n’avait pas cherché à ranger les pans de sa chemise dans ses braies, et avait rejoint la maison basse l’esprit vide, dépecé de toutes pensées, bercé par le propre chaos figé qui lui avait pris les tempes. Il avait grimpé les escaliers sans adresser le moindre mot aux gardes en passant, repoussant d’un geste Hubert lui signalant un rendez-vous impromptu et avait refermé la porte de sa chambre derrière, seul et unique rempart que la Vie avait bien voulu lui céder entre les murs de sa prison.
Longtemps il était resté appuyé à la fenêtre qui embrassait les toits les plus bas de Paris sans les voir, le corps recroquevillé de la gitane gravé dans ses prunelles, la chair oscillant entre l’apaisement d’une délivrance nécessaire et la honte de la violence qui l’avait submergé, vacillant dans cet exutoire qui avait pris les reflets troubles de la folie qui mène au viol et ne devait son salut qu’à la clémence d’Axelle à ne pas avoir laisser la moindre négation franchir ses lèvres lorsqu’il l’avait dévoré.
Monstre il était né, des entrailles d’une bigote doloriste et d’un tyran affamé, monstre il demeurait, échoué aux portes d’une cohérence qui imprimait le gout de la bile à son palais, mis à nu dans l’horreur qu’il portait en lui. Il se croyait vide, désossé par la mort de l’Anglais et se découvrait plein d’une rage animale, grondante, à ce point virulente qu’elle en fendait le masque poli du peu de sociabilité qu’il avait su gagner ces derniers mois au contact de la gitane. Et pourtant, malgré le dégout de lui-même, malgré cet écœurement persistant, la conscience était froide, posée, réfléchie. Ce qui à ce moment-là le submergeait, c’était cette dualité ignoble dont l’équilibre persistait, ce calme qui coulait dans ses veines, et quand n’importe quel autre aurait sans doute cherché la rédemption de la bestialité perpétrée sur un corps choyé par un moyen ou un autre, lui demeurait là, coupable, condamné, avec la certitude que ça n’aurait pu se passer autrement qu’en mentant.

Et puis Axelle avait disparu.
Coquelicot, elle s’était transformée en poudre d’escampette et du jour au lendemain, l’atelier n’avait plus ouvert, la robe rouge n’avait plus claqué dans le vent piquant de l’automne, les boucles brunes avaient cessé de sautiller au pas dansant de la brune. Les premières semaines ne l’avaient pas alerté, conscient qu’il avait laissé derrière lui un champ de ruines au milieu du désordre hérité d’un autre, qu’il avait saccagé dans cette renaissance des acquis qui avaient germé sur des terreaux pourtant presque stériles et jamais il n’orienta son pas vers l’atelier, ni même vers sa chambre d’auberge, respectueux de ces enceintes qu’ils avaient toujours disséminés le long de leur parcours, sachant qu’il ne tenait qu’à elle de venir ensoleiller de nouveau l’horizon qu’ils partageaient . Le temps était une denrée précieuse, nécessaire, et il savait s’en accommoder, qui plus est lorsqu’il se savait fautif, aussi avait-il laissé filer les jours, et quand ceux-ci avait pris le poids de l’absence avérée, il fut convaincu qu’Axelle ne reviendrait pas
La réalité de cette disparition lui avait mâché le cœur sans qu’il le laisse pourtant s’enrouer, préparé au fond depuis son retour de l’Empreinte ce jour-là, préparé en fait depuis que le corps de Quentin avait rejoint la terre froide du cimetière sous un soleil d’avril, à cette possibilité que les autres s’évaporent, tout simplement. La mort n’était pas seule blâmable, il était même presque rassurant de se savoir fautif cette fois ci, et, bien loin de l’accablante vérité, du germe dans le ventre d’Axelle, des soins prodigués par de Ligny au creux de son hôtel et des secrets qui se tissaient dans son dos à la chair meurtrie de la danseuse, le chat s’était résolu à ne voir que l’évidence. La liberté d’Axelle n’appartenait qu’à elle, et il n’appartenait qu’à lui d’oublier cette vérité dans l’abrutissement des taches, dans le feu qu’Etienne semait à ses tempes, dans les contrats qu’ils répercutaient soigneusement jusqu’aux premières lueurs matinales pour ne se coucher qu’épuisé, certain que le sommeil l’emporterait avant qu’il n’ait le temps de penser, rompu à l’exercice depuis son plus jeune age.

Le vingt-quatre, au soleil déclinant de l’après-midi étaient arrivées les dernières livraisons visant à égayer le bal et trouvant au milieu du lot la brassée de coquelicots qu’ils avaient fait venir pour elle depuis les serres réputées d'un fleuriste vivant à la lisière de la capitale, il fut tenaillé par l’envie absurde de respirer son odeur, fragrance diffuse qui sommeillait, lointaine et pourtant entêtante, jusqu’au relents encore frais de certaines peintures achetées le mois précédent pour les heures dédiées à la grande soirée qui approchait.
Le lendemain, au son étouffé d’un mince tapis de neige, il était venu jusqu’à l’Empreinte, saisi d’une nostalgie doucement amère en longeant de nouveau la petite allée, les émotions liées au lieu ne cessant de se contredire, malmenées. Il avait déposé sur le perron le carnet de croquis acheté à ce peintre italien trop vieux désormais pour tenir les pinceaux qui avaient fait sa gloire un temps, la boite rouge et une unique fleur au-dessus, les autres trônant dans un vase sur son bureau, tache carmine aux pétales dansant du moindre courant d’air, remplaçant pour quelques heures avant qu’ils ne s’étiolent et chutent, la présence rougeoyante de la brune au sein de ce matin de Noel. Qu’importait au félin qu’elle les trouve ou pas, il restait déterminé à croire que certains gestes, aussi inutiles soient-ils, se devaient d’être faits.


Quand la porte de son bureau s’ouvrit à la volée, le comptable rangeait dans les hauteurs des étagères un livre de comptes épais, corné, d’où il avait extrait les chiffres du bordel l’année précédente, et dans la seconde, les nombres qu’il avait pourtant l’art de retenir, se diluèrent dans la silhouette qui venait d’apparaitre devant lui. Axelle, se tenait là, les boucles piquées par la vermeille végétale, enrubannée d’une pointe de fraicheur amenée de l’extérieur, les joues brunes rosies d’effort, le souffle soulevé, et ses yeux bruns si désespérément suspendu sur lui.
La raison n’eut pas le temps d’intervenir, ni même la leçon pourtant retenue, et franchissant la distance qui les séparait de quelques pas, le fauve referma sur elle ses bras pour l’y envelopper et l’y serrer avec une force qu’il ne chercha pas à juguler, les noyant quelques secondes dans l’étreinte du manque enfin comblé, de celle qui compresse, comprime, raréfie le souffle et dont on ne souhaite pourtant pas interrompre le fil. Le parfum d’Axelle inonda ses sens, amenant le sourire à enfin fendre la surprise de la trouver faite de chair et d’os, et il se mit à rire doucement, mais clairement, retrouvant aux courbes gracieuses dessinées contre lui, dans les cheveux glissant à ses doigts, la légèreté de l’été, le gout frais des fruits, le bruissement de l’eau, une quiétude qu’elle savait semer dans chaque plaie qu’il lui avait montré.
Consentant enfin à la relâcher sans oser porter ses lèvres sur elle, rattrapé par la chaleur de ce corps menu qu’il avait soumis jusqu’à la brisure, il s’écarta d’un pas, prudent, soucieux sous le vernis du flegme qu’il opposait dans le dessin de ses lèvres, et lui prenant la main pour la faire virevolter d’un tour sur elle-même, la croqua d’un regard conquis, heureux tout simplement que le pardon soit consommé au point de la ramener là.

-Où diable as-tu donc été danser si longtemps ?, lui demanda-t-il enfin en guise de bonjour, la pulpe des doigts le picotant agréablement dans le lien tissé par les siens, le sourire repu.
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Axelle
Quel sentiment teintait ces retrouvailles de la plus vibrantes des couleurs ?
L’air surpris d’Alphonse ? Pouvait-elle réellement s’en étonner quand après tant de silence elle déboulait ainsi, sans prévenir, sans même frapper.
Le bouquet de coquelicots délicatement déposé sur le bureau du comptable que le coin de son œil avait furtivement perçu ? C’était poignant, émouvant comme rien, et certainement, si elle s’était appesantie à en décrypter la signification, ses amandes noires trop sensibles se seraient à nouveau embrumées devant cet aveu éphémère.
Peut être aurait-elle jugé le livre de comptes trop rapidement oublié, ou encore aurait elle pu se mordre les lèvres d’embarras de n’avoir elle, hors sa simple présence rien à lui offrir, si tant est que cela puisse faire office de présent.
Certainement ce qui aurait interpellé la gitane aurait été cette ardeur précipitée qui ne lui ressemblait pas quand Alphonse avait l’art, toujours, de se parer de nonchalance de réflexion dans chacun des ses actes.
Mais il n’y avait pas de place pour tout cela. Il n’y avait de place que pour ses bras qui se refermaient sur elle, emprisonnant son souffle sans pourtant un seul instant qu’elle ne chercher à s’y soustraire. Tout au contraire, elle s’entravait et s’essoufflait encore davantage en enfouissant son museau aux creux de l’épaule mâle, respirant de son parfum musqué à pleines goulées jusqu’à y perdre l’esprit. Animale, instinctive quand les doigts de sa senestre s’agrippèrent au tissu de la chemise, s’y accrochant quand la tête lui tournait trop de l’entendre rire. Ce rire cristallin, si clair qu’il semblait fragile, si rare qu’aucun mot, qu’aucun regard, qu’aucun geste n’aurait pu vibrer d’autant de vérité. Mais d’un pas en arrière, il s’éloignait déjà, la laissant orpheline et soudain frileuse. Toxicomane comprenant combien le manque était gouffre et n’avait encore eu sa dose suffisante pour se calmer son besoin. Elle allait même grogner contre ce pas qui à cet instant sonnait idiotement comme une déchirure, mais rit quand il la fit tourner sur elle même, petit coquelicot à nouveau, auquel, en apparence, aucun pétale ne manquait.

Ses doigts se nouèrent aux siens avec emphase, petit fil rouge serpentant doucement entre eux, geste d’apparence si anodin pour les autres mais tout symbolique pour eux. Ce simple enchevêtrement de phalanges, parlant une langue bien à lui, sonnait comme la preuve que rien n’était brisé, énonçait avec une clarté sans pareil ce qu’ils étaient simplement incapables de se dire, par trop de pudeur, par trop de soucis de ne jamais s’imposer à l’autre.


"Où diable as-tu donc été dansé si longtemps ?"

Bien évidement que cette question tombait. Comment pouvait-il en être autrement même si Axelle ne parvenait pas savoir si le Chat désirait réellement une réponse ou si la demande était purement rhétorique. Elle posa un regard complice sur leurs mains nouées avant d’avancer d’un pas, faisant voler en éclat la distance qu’il avait voulu mettre entre eux dans un pas de deux dont eux seuls avaient le secret. Retrouvant sa chaleur en ancrant ses formes aux siennes, lentement, avec application, elle se haussa sur la pointe des pieds, effleurant son menton de ses lèvres humides. Danseuse à nouveau contre lui, son bras serpentant se glissa dans son dos large, alors que quand elle ouvrait sa dextre, la perle chuta, juste retenue par le lacet d’argent enroulé à son index, et se balança à l’ombre du regard félin laissant sa paume libre de s’ancrer à la nuque brune. Si la bestiole était blessée, si elle avait été dévorée et violée, en aucun cas cet acte immonde ne revêtait les traits du visage d’Alphonse malgré la hargne avec laquelle il l’avait prise, car au fond d’elle, elle savait qu’un simple non aurait suffit à tout arrêter, et non, elle ne l’avait pas dit. Alors elle l’embrassa, sans même lui demander son avis, vengeance sournoise et espiègle. Le baiser fut long, intense, plein d’une tendresse et d’une sérénité neuve, animé d’un feu virulent qui pourtant n’avait rien d’un appétit concupiscent malgré le gout de son amant à sa bouche, à sa langue, résonnant en elle jusqu'à la pulpe du bout de ses doigts pour mieux l’envelopper toute entière. Daignant enfin le libérer de ses lèvres, son front se reposa au sien, quand d’une voix claire mais basse, la seule réponse qui lui semblait importante s’articula Tu m’as manqué. Elle remonta son regard, l’ancrant sans détour dans les prunelles de son amant. J’repartirai, tu l’sais, encore, toujours, pour mieux revenir, encore, toujours. Un sourire léger se dessina à sa bouche. Mais j’prendrai d’l’encre maintenant en plus d'mes fusains, pour t’écrire où j’suis. Une lueur espiègle s’invita dans son regard comme ça, s’t’as un besoin urgent d’poser, t’sauras où m’trouver. Et d’un air volontairement travaillé pour être badin quand pourtant elle en pensait chaque lettre, ajouta. Ou b’soin d’aut’chose. Sans décrocher son regard du sien, la mine soudain sérieuse ses talons retrouvèrent le sol. T’veux vraiment en savoir plus ?

Ne me demande pas de te mentir Alphonse, car je le ferrai sans l’ombre d’un scrupule. Tu as mon cœur, mais tu n’auras pas les méandres sombres et brisés de mon esprit. Tu auras mes sourires, mes rires, mes projets, mes envies, mes joies, même le nom de ceux qui volent mes soupirs de leurs caresses si tu le souhaites, mais de mes maux, de ma souillure, de mes secrets les plus ravageurs, de mes frayeurs, de mes blessures, tu ne sauras rien de ma bouche. Laisse moi rester coquelicot vaporeux et jamais fardeau.

S’il te plait.

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Alphonse_tabouret
En réponse à sa question, vint le baiser, langage à lui tout seul, prémices d’un silence qu’opposerait la gitane sans le dire, le laissant se contenter d’effleurer du bout des pensées, les contours de nouveaux non-dits sans pour autant s’en trouver contrarié, le mutisme ayant fait partie intégrante de leur entente dès la première fois qu’ils s’étaient trouvés. Si au fil des derniers mois, certains secrets avaient été éventés, il ne paraissait pas illégitime au chat qu’elle reprenne ce droit-là, et il laissa passer, stoïque volontaire, détaché formaté, la pointe d’amertume frôlant ses sens, préférant plonger au sucre des lèvres offertes avec tant d’application. Abandonné aux souffles mêlés, il savoura le miel à la bouche brune, pressa délicatement les courbes femelles à son corps, laissa le parfum changé de la gitane se frayer un chemin à son nez sans chercher à démêler les nouvelles senteurs qui n’avaient, s’il avait choisi d’y réfléchir plus assidument, rien de nouveau si ce n’était une association qu’il n’aurait jamais soupçonné, mais définitivement trop accaparé par la joie de ces retrouvailles inattendues.

Tu m’as manqué
La confidence coula à son oreille, étirant un sourire teinté d’une émotion qu’il lui laissa entrapercevoir en guise de réponse tandis qu’elle enchainait, égrenant les mots, jonglant de départs et d’arrivées, égrenant néanmoins une résolution neuve, une promesse lancée au-dessus de ce qui semblaient être de nouveaux dictats, d’aspirations plus personnelles qui prévoyaient l’absence.
J’repartirai, tu l’sais, encore, toujours, pour mieux revenir, encore, toujours. Mais j’prendrai d’l’encre maintenant en plus d'mes fusains, pour t’écrire où j’suis.
Sans se démunir du sourire reposé à ses lèvres, le comptable haussa un sourcil espiègle lorsqu’elle le taquina, silencieux toujours, intentionnellement flegmatique jusque dans l’attitude nonchalante du corps qui avait cédé à l’impulsion quelques instants plus tôt. Axelle avait choisi de repartir sur les bases communes de leurs jeux les plus anciens et attaquait cette fin d’après-midi avec une gaieté dont la force de conviction ne laissait que peu de place à la culpabilité qui lui avait étreint les tempes
…comme ça, s’t’as un besoin urgent d’poser, t’sauras où m’trouver. Ou b’soin d’aut’chose.
T’veux vraiment en savoir plus
?
acheva-t-elle de demander sans arriver cette fois à se départir du sérieux qui reposait sur cette question, les méandres de la détermination nimbant les prunelles d’un éclat diffus dont la source lui échappa mais dont le message lui parvint clairement, feuilles de couleurs vives au beau milieu d’un champ d’opacité.

Voulait elle le sauver, qu’elle lui courbait l’échine, la pieuse maitresse dont la dévotion à l’équilibre du monde qu’ils partageaient, emmenait Alphonse aux conclusions erronées et égoïstes dont il se pensait l’accusé, ignorant tout des coups, du viol, de la lente récupération, critique inculte devant l’œuvre, à la façon de ceux qui ne voient pas l’intégralité du tableau tel qu’il a été peint et donnent tout de même leur avis.


Tu veux m’épargner gitane…
Tu ne veux m’épargner le délit alors tu m’offres la rédemption au profit de ton silence, tu m’offres le pardon au prix de ma curiosité.
Vraiment savoir… tout n’est-il pas dit dans ce simple adverbe ? Dans le sourire que tu as suspendu, dans ce regard noir et épais que tu poses sur moi avec cette flamme résolue?
Bien sûr que je veux vraiment savoir.
Je veux savoir si tu as pleuré, si tu as eu froid ou faim sans même t’en rendre compte, si tu as compté les jours ou s’ils t’ont échappé, si je t’ai laissé des bleus que tu as préféré faire disparaitre plutôt que de m’y confronter, si je t’ai répugné, si tu as eu peur de revenir ici et surtout… pourquoi tu as choisi de me pardonner…

Jouons Axelle puisque c’est de cette façon que tu me gracies.
J’accepte tes règles
.


Diable non, bavarde comme tu es, il y en aurait pour la nuit toute entière, la taquina-t-il d‘un de ces mensonges qui ne vivent que pour l’amusement, léger, coupable acceptant la sentence sans rancune. Je préfère me concentrer sur l’heure en cours. Il la ramena à elle pour l’enserrer de ses bras avec plus de douceur, laissant quelques secondes de silence s’égrener en respirant ses cheveux, retrouvant tout près de l’oreille, un rayon de soleil estival avant de poser le menton sur le haut de la tête et de lui demander : As-tu faim ou soif ? Y a-t-il quelque chose que je puisse faire ?, rajouta-t-il en laissant la rondeur de la question s’étendre dans tous les sous-entendus que faisaient naitre entre eux cette obstination du respect à ses choix et sa liberté, la dextre venant s’égarer dans la chaleur de la nuque pour y déverser l’apaisement de la caresse, heureux tout simplement de cette présence vaporeuse contre lui, repu de la journée qui jusque-là avait semé ses heures comme toutes les autres et se démarquait enfin de la monotonie hivernale pour habiller son bureau d’un peu de printemps.
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Axelle
Il avait beau se retrancher derrière son flegme habituel, derrière sa nonchalance apprise sur le bout des doigts, elle savait qu’elle l’égratignait. Que son silence sonnait aux yeux Flamand comme une confiance reprise. Comment aurait-il pu en être autrement après le chaos de leur dernier après midi ? Quand des affronts de ces semaines, il ne soupçonnait rien même si, petit Poucet, elle semait des indices dans son sillage. Le corps d’un homme retrouvé étranglé et braies aux chevilles dans une ruelle aux portes de l’Aphrodite jusqu’au masque doré d’Etienne portant sa signature dans chacune des ciselures, en passant par la fine estafilade sinuant à sa tempe qui s’étendrait aux maladresses traitresses de ses yeux malades. Tout serait à portée de la patte du chat dont les yeux, encore cléments, restaient aveuglés par une vérité tronquée.

Et pourtant, pleine de la certitude de la justesse de sa résolution, elle laissa s’éteindre ses scrupules, persuadée que là se trouvait la seule issue possible pour le protéger. Pour la protéger. Pour les protéger. Oh oui, elle avait eu froid. Oh oui, elle avait eu faim. Oh oui, lui aussi avait laissé des bleus épars auxquels elle avait refusé de le confronter. Oh oui, elle avait pleuré de ces jours échappés, et pleurait encore. Mais, jamais, jamais, s’il l’avait répugné ou trop meurtrie, si elle n’avait su faire taire cette fierté idiote qui rongeait ses veines, si elle avait eu trop peur, elle ne serait revenue se blottir au creux de ses bras. Ne lui avait elle pas prouvé en refusant de porter à nouveau ses pas vers les monts d’Embrun ? Vers cet homme aimé à en crever dont il connaissait tout sans pourtant qu’elle n’en ait jamais rien dit ? Consciente par-dessus tout qu’elle devait se préserver même si cela la déchirait ? Si. Là encore, il lui suffirait de vouloir regarder pour savoir.

Il lui ferrait mal, encore, elle aussi, peut-être. Ainsi allait la vie. Mais elle aspirait à dépasser ces méandres profanes, à gravir un à un les échelons de l’échelle qui la conduiraient là où plus rien ne pourrait ébranler le cocon duveteux qu’ils avaient pris tant de soin à tisser. Elle avait bien du chemin à parcourir pour y parvenir, encore formatée d’un passé tenace, mais n’en était pas effrayée. Au contraire, l’espoir la gorgeait de force. L’espoir, mais aussi la vie qui gravitait au fond de son ventre.

« As-tu faim ou soif ? Y a-t-il quelque chose que je puisse faire ? »

Son front se fit plus lourd au menton d’Alphonse alors que la réponse trainait, prolongeant volontairement le silence pour mieux demander pardon quand ses bras refusaient encore de le libérer de leur geôle attentive. Oui il pouvait faire. Il pouvait faire tant qu’il ne s’en rendait pas même compte. Pourtant, reléguant les réponses qui assaillaient ses tempes elle releva le museau vers lui, un sourire léger aux lèvres et les yeux pétillant.

Oui ! T’peux !
Et lentement, déroulant son bras de la nuque brune, laissa la perle miroiter devant les yeux du comptable. J'suis pas très habituée à ça t’sais. Du coup, j’ai b’soin d’aide pour la mettre. Son sourire s’étira encore, laissant place à une mine d’enfant rebelle qui ne peut masquer sa joie devant un cadeau dont pourtant elle s’escrimait à faire croire qu’elle ne voulait pas, par fierté, pour masquer la déception de ne pas en recevoir de tels. Merci. Souffla t-elle sincère jusque dans la pression de ses doigts sur le lacet d’argent. Pourtant, ses sourcils se fronçant soudainement, elle recula sa main d’un geste vif. Attends. Elle remonta ses yeux limpides dans ceux d’Alphonse quand pourtant ses lèvres tremblaient, cherchant leurs mots. Alphonse… sa voix se brisait, hésitante, peureuse. Tu m’as dit qu’tu prendrais soin de ce que j’t’ai déjà offert. Sur l’coup, j’ai pas compris. C’vrai. Son regard se perdit un instant sur les reflets irisés de la perle avant de replonger dans ceux du brun. Maintenant, j’ai compris, mais… cette réponse suffit plus. Instinctivement sa main se posa à son ventre encore taiseux du secret qu’il renfermait.

Alphonse, si... elle inspira profondément en proie à un trouble évident… si j’te donne autre chose, qui t’fais peur aussi, p’tet même plus encore qu’tous les mots qu’j’pourrai encore dire… Si elle l’avait souvent regardé, jamais pourtant son regard ne s’était planté au sien avec une telle intensité, fouillant sans plus aucune pudeur dans les méandres des tempes brunes face à elle... Crois-tu pouvoir en prendre soin tout pareil ?


Alphonse, fais moi oublier le sens du verbe abandonner...
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Alphonse_tabouret
La perle au bout de son filin accrocha les yeux du chat qui suivirent son discret mouvement de balancier au bout de la main gitane, le sourire dévoyant ses lèvres d’un contentement sincère à discerner le plaisir délicieusement maladroit d’Axelle et il allait s’exécuter quand elle l’interrompit, la mine chiffonnée.

Attends.
Les yeux noirs des amants se trouvèrent, et le chat ne chercha pas à s’y soustraire, attentif, curieux, craintif de ce qu’elle pourrait dire une fois la joie des retrouvailles édulcorée par le présent persistant, sentant l’empoignade qu’elle livrait avec elle-même pour faire naitre les mots qu’il comprendrait.
Alphonse… Tu m’as dit qu’tu prendrais soin de ce que j’t’ai déjà offert. Sur l’coup, j’ai pas compris. C’vrai
Il démêla dans le timbre de sa voix une peur qu’il ne s’expliqua pas, jugulant les images qui lui revenaient de cette après-midi malheureuse et pourtant nécessaire, la sentence prononcée après l’affront perpétré à son corps, car si le retour d’Axelle signifiait l’acceptation d’accueillir en son sein cette âme malade aussi lascive qu’animale, il n’en demeurait pas moins aux souvenirs du jeune homme, le corps recroquevillé de la gitane et cette sensation d’avoir brisé quelque chose.
Le velours des yeux de la danseuse erra sur la perle et il le suivit, précautionneux, attentif à ne rien perdre de ce qu’elle avait à offrir à cet instant ci, conscient que planait au-dessus d’eux une remise en question mais loin, si loin d’imaginer qu’il avait semé dans la vie dans le ventre brun.

Maintenant, j’ai compris, mais… cette réponse suffit plus
Le geste au ventre ne lui échappa pas mais bénéficia d’une mauvaise interprétation. Certains se tordaient les mains d’angoisse, d’autres trépignaient, d’autres encore faisait les cent pas, et ce réflexe de la mère à son ventre passa à coté de ses interrogations.
Alphonse, si… Les mots se bousculaient chargés tous d’intentions dont il n’élucidait pas le sens, perdu dans le chaos opaque d’émotions auquel tachait de s’extirper la gitane et auquel il assistait, spectateur impuissant qui aurait tant voulu intervenir mais qui restait sagement pétrifié par cette conviction que certaines choses devaient être dites par soi-même, quitte à n’accoucher que dans la douleur.
...si j’te donne autre chose, qui t’fais peur aussi, p’tet même plus encore qu’tous les mots qu’j’pourrai encore dire... Crois-tu pouvoir en prendre soin tout pareil ?

L’étonnement effleura son visage, ouvrant ses yeux noirs dans une rondeur brièvement désorientée remontant chaque mot pour en flairer le contenu, le contenant, et l’évaluer, soucieux de comprendre sans la forcer à parler plus quand chaque mot semblait être un tel calvaire. Le silence ne dura que quelques secondes avant qu’il n’attrape lentement la perle vacillant au bout de son filin d’argent, égrenant les mots d’une voix calme

-Axelle, je ne dis rien que je ne sois capable d’assumer… D’une main posée à l’épaule rouge, retrouvant à la pulpe des doigts le moelleux de la peau tant de fois caressée au travers de l’étoffe pour dispenser le feu visant à l'oter, il la fit pivoter sur elle, focalisé sur un autre horizon jusqu’à ce qu’elle lui offre la vue plongeante de son dos. La dextre écarta les boucles brunes du cou pour laisser apparaitre la nuque gracile sur laquelle il se pencha, spontanément, pour y déposer le sucre d’un baiser léger, complice. C’est peut-être pour ça que je parle si peu, poursuivit-il dans un sourire fantomatique en reprenant de la hauteur, détachant le fermoir du collier pour le passer au cou de la gitane.
J’aurais bien du mal à croire que tu ne saches pas faire les bons cadeaux, poursuivit-il en refermant délicatement l’agrafe du bout des doigts tandis que la perle venait instinctivement se loger à la naissance des seins graciles de la danseuse, la contournant pour l’admirer parée. Belle, , délicate à la manière des pétales de soie carmine lovés sur son bureau et si férocement bouillonnante, elle se tenait là, si troublée, si inquiète qu’il ne résista pas à faire un pas de coté pour la distraire :
Il me plait de savoir qu’il faut passer tes griffes pour la trouver, la taquina-t-il tendrement en opposant à son air grave un sourire doux avant de tendre la main, enfantin et pourtant tellement sûr de lui.
Donne-moi, conclut-il.
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Axelle
Elle avait peur. Oui. Tout en elle trahissait l’angoisse sinuant dans ses veines, de sa voix hésitante à son regard trop intense. Nier, cacher était futile quand sa respiration même s’alourdissait. Quand cette crainte s’enroulait à chacune de ses pensées comme une liane vénéneuse depuis Lyon. L’incongruité était de douter d’elle-même. D’échouer, encore. Et plus que de demander à Alphonse d’accepter l’enfant, c’était son aide sans condition qu’elle suppliait, pour pouvoir accueillir, elle. Pour être mère, vraiment. Pour faire face à l’outrage passé sans égratigner ce futur qui se dessinait au creux de son ventre.

Le brun semblait confusément la déchiffrer, jouant de malice pour l’apaiser même si ses paroles taisaient encore leur sens véritable. Et dans son ignorance salvatrice, il entamait la médication en la forçant à poser des mots sur son mal, aveugle de cette main posée sur ce qui déjà lui appartenait. Mais clément, il lui offrit un répit de quelques certitudes égrainés de ses lèvres pleines et d’un baiser rassurant à la ligne de sa nuque.


« Axelle, je ne dis rien que je ne sois capable d’assumer… C’est peut-être pour ça que je parle si peu. »


Comme il avait raison. Alphonse, et peut-être se tenait là le secret de l’attachement féroce de la gitane, demeurait, malgré les confidences soufflées au gré de leur horizon, une énigme permanente dont il fallait démêler les fils l’un après l’autre. Elle qui se targuait de deviner les autres sans qu’ils n’ouvrent la bouche, elle qui ne croyait qu'aux actes quand les mots à ses yeux se gorgeaient du spectre du mensonge, devant lui, seulement lui, s’échouait à ce besoin ridicule d’entendre les paroles qui la rassureraient. Définitivement idiote, ou simplement honteusement vulnérable quand pas un instant depuis qu’il avait passé le seuil de son atelier bourguignon, la contrariant dans sa bataille avec un pot de céladon récalcitrant, débarbouillant ses doigts du poisseux de la confiture, lui posant sans scrupule le dilemme de la place du fromage sur la tartine, il ne l’avait dédaignée. Toujours, il avait été là, présent sans s’imposer quand elle avait eu besoin de lui, que ce soit pour redresser la tête ou pour rire. Si elle était coquelicot vaporeux, il était roseau subtil. Si le flamand était bourreau, ce n’était que n’avoir rien à lui reprocher. De se trouver désarmée devant lui, quoiqu’il fasse. Quoiqu’il dise. Lui ôtant de la bouche toute révolte, toute rebuffade, ou simplement toute moquerie qui ne soit pas la preuve d’une complicité enflant lentement, jour après jour. Il l’apaisait de sa simple présence qu’elle devinait attentive, et les mots finalement étaient inopportuns, presque grossiers dans cette relation aussi éthérée qu’innommée, quand il suffisait de regarder pour voir, pour deviner, pour comprendre et pour puiser la force d’affronter l’agitation qui les empoignait l’un après l’autre.

La perle roula doucement entre ses seins, et elle y abima son regard, découvrant la beauté d’un bijou dans le contraste du clair et doux irisé sur l’ambre de sa peau. Et elle, si détachée des artifices, du charme qu’elle pouvait dégager, se sentit belle et le réalisa, le temps d’un battement de cil.


« Il me plait de savoir qu’il faut passer tes griffes pour la trouver, »

Là, devant le sourire d’Alphonse, la perle s’effaça, tout comme les murs du bureau, entrainant dans son sillage le passé pour faire étinceler le futur. Cet enfant, serait-il un garçon ou une fille ? Sans prendre trop de risque, il était prévisible qu’il serait brun et que ses yeux seraient noirs, mais sa bouche aurait-elle l’ourlé de celle d’Alphonse ? Sa peau serait-elle d’ivoire ou d’ombre ? Son sourire serait-il celui de son père ? Un léger sourire effleura sa bouche quand elle se prit à espérer qu’il ait tout d’Alphonse.



« Donne-moi, »


Lentement son regard coula jusqu’à la main tendue et se perdit dans les lignes la parcourant, se demandant si vraiment, tout cela était inscrit au creux de sa paume à lui aussi. Rirait-il sans plus de retenue devant les joues rondes et les facéties enfantines ? Passerait-il des heures et des heures à le regarder, sans que le temps n’ait plus la moindre importance ? Céderait-il au sommeil, paisible et insouciant, calquant sa respiration sur celle endormie de son enfant ? Les doigts bruns, légers, vinrent perdre de lentes volutes à la paume tendue, redessinant chaque méandre d’un destin impénétrable.

Malgré la brulure soudain vive et pressante d’apercevoir ce que la vie lui réservait, sa voix fut calme et posée comme rarement elle ne l’avait été, presque claire derrière sa brisure coutumière.


La paume d’une main n’suffit pas à recevoir un enfant…
Lentement, serpentins, ses doigts se nouèrent aux siens et elle releva les yeux vers lui, gorgés d’espoir, laissant les doutes et les peurs loin derrière elle, le cœur implosant de la certitude qu’il ne mentait pas. Ton enfant… elle se reprit, s’incluant finalement elle aussi dans le tableau… Notre enfant…
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Alphonse_tabouret
Aux mots qui s’enrubannèrent pour venir se déposer en offrandes à ses oreilles, il répondit par un silence d’abord surpris, les syllabes éclatant à ses tempes au fur et à mesure qu’elles y pénétraient, fusion magmatique de craintes, d’espoir, et de rêves un temps caressés, savamment oubliés. Voilà qu’après des semaines d’une absence qu’il avait nié pour ne point y penser, Axelle lui revenait, porteuse de la joie immaculée qu’ils avaient à se retrouver au creux du pire comme du plus doux, ballotés l’un l’autre par les écumes salées des accidents de parcours, et déposait à ses pieds les prémices d’un rêve qui le fascinait autant qu’il le terrorisait.
Père.
N’était-on pas le reflet de ceux qui nous faisaient ? Un héritage malgré soi, une continuité envers et contre tout, non pas que par les gènes mais par l’apprentissage partagé, l’éducation, les leçons dispensées… Il se savait fruit de la bigoterie malsaine d’une petite bourgeoise et de la perversion d’un ogre, et avait étiqueté chacune de ses ressemblances avec l’un et l’autre au travers de longues observations, visant à les corriger avec une volonté inébranlable, nauséeux à l’idée même qu’ils subsistent à travers lui une simple étincelle d’eux, pour se rendre finalement à l’évidence quelques mois plus tôt : Né d’eux, même loin, même ailleurs, il restait le reliquat de leur union, de leurs envies de réussite, de leur avidité au paraitre. Trop jeune et trop couvé pour se servir de ce legs comme d’un dû, Alphonse, fraichement déraciné, encore plus fraichement replanté, trainait son patrimoine à la manière d’un fardeau auquel il devait tout, malade à l’idée de devoir lui rendre un jour des comptes.
Que pouvait il offrir à un enfant, lui qui n’en avait jamais été un, esclave en pantomime dès qu’il avait compris qu’on n’attendait pas de lui ce qu’il était, mais ce qu’on en voulait ?Que savait-il des rires, des mots, de la spontanéité qui les bâtissait ?

Une poignée de secondes s’écoula après que la voix d’Axelle eut retenti, nécessaire à ce que le foudroyant de la nouvelle ne cède la place à un regard plus perçant, la découvrant enfin derrière les volutes corrompues de ses pensées affolées, déterminée dans sa robe rouge, amenant le chat à un infime instant de distraction en se souvenant de cette journée d’été où ils avaient visité les boutiques parisiennes pour remplacer l’ancienne. « Pas assez rouge », « Trop décolletée », « Il y a des rubans sur celle-là … » … Autant de mots qui amenèrent inconsciemment un début de sourire sur les lèvres fauves s’amusant fugacement de la dérive des idées dans l’œil du cyclone.
Axelle avait eu le ventre rond deux fois déjà et s’était retrouvée orpheline dans des circonstances dont il ignorait tout, mère cruellement amputée de sa propre chair, spectatrice malmenée de cet enfantement breton auquel il s’était émerveillé, inconscient, cruel jusque dans le sourire qu’il avait adressé à Morvan en le tenant dans ses mains, femme dont on avait contrarié chaque envie pour l’étouffer d’une autre soi-disant plus justifiable… S’il se doutait de la violence des choix qui l’avait jeté au sol à plusieurs reprises, il discernait à peine les affres et le doutes qui l’avaient tenue au silence et amené jusqu’à lui.
Elle faisait bien de taire son agression la gitane, de passer sous silence le viol qui avait profané son ventre déjà essaimé, un mal pour un bien, laissant au futur le soin de gérer une vérité qu’elle ne voulait pas lui faire entendre car à cet instant ci, elle eut évidemment tout gâché cette sentence, viciée cette joie incompréhensible qui serpentait aux veines félines, contaminé le dessein dévoilant les crocs, entravé cette étrange plénitude qui irradiait le ventre du brun aussi chaudement qu’un soleil nouvellement né, et défait les doigts qu’il nouait plus forts aux siens. A ce moment-là, dans le trouble du non-dit, plus rien n’avait d’importance que cette évidence, que cette conviction incroyable qui trônait, éthérée, aussi outrageante que vivifiante et agitait à son museau la courbe d’un sourire repu : il allait être père.
Ce qui jusque-là lui était apparu comme un questionnement sans fin, comme une réflexion qui nécessitait d’être pesée encore et toujours aux valeurs que la vie se chargeait d’égrener en travers de ses pattes, le laissait ému par ce choix qu’il n’avait pas eu à prendre et qui bouleversait son horizon avec la force qu’il avait redouté quand elle n’était que chaleur là où il craignait la brulure, perspectives alors que c’était une prison supplémentaire qu’il avait redouté, certitude défiant les doutes jusqu’alors enracinés. Eclairé, radieux, le visage illuminé d’un sentiment encore méconnu mais à ce point tendre qu’il transperçait le flegme pour le sucrer de douceur, le chat mêla le cœur à l’insolence, avec la sincérité de l’apaisement :


-Il est heureux que l’un de nous sache compter jusqu’à quatre, répondit-il enfin sans quitter ses yeux noirs, attrapant l’autre main de la danseuse pour la porter à ses lèvres, y dispensant un baiser appuyé avant de la joindre à leurs jumelles déjà entremêlées, et l’attirer d’un mouvement contre lui pour les enfermer, elle et ce ventre qui avait désormais quelque chose de lui, au creux de ses bras, délaissant les nœuds de leurs doigts pour encercler le corps de la gitane à la chaleur du sien, glissant le long des hanches, chutant jusqu’à la cambrure des reins, les soudant l’un à l’autre dans une intimité neuve.
Est-il normal que j’ai autant envie de te faire l’amour ? , demanda-t-il finalement à mi-voix, dispensant son souffle juste au-dessus de son oreille ronde, laissant au soin de la brune le loisir de démêler la provocation espiègle de la sincérité, la pauvreté des mots telle qu’il la concevait au langage de la chair, incapable de dire plus quand ses idées s’élevaient de plus en plus haut, porté par le sourire d’un enfant qui n’était pas encore né, par le ventre rond d’Axelle qui serait cette fois de son fait, par cette étrange sérénité à voir son monde se remodeler sans qu’il n’ait plus envie de rien y changer.

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Axelle
« Si tu crois un jour qu'je t'laisserai tomber
Pour un détail pour une futilité
N'aie pas peur je saurais bien
Faire la différence »


Plantée là, devant lui, muette et immobile, sans même un mordillement de lèvres, son regard guettait chaque expression qui s’afficherait sur le visage du Chat. Tout n’était que silence dans ces secondes s’écoulant hors du temps. Pourtant les battements du cœur gitan éclataient entre ses tempes comme une fanfare dissonante, trop forte, trop enchevêtrée encore à des brides de mots passés, effrayant.


« Un enfant souillé, j'en veux pas. Une femme infidèle, encore moins.»

Un instant, infime, furtif, volé, la Gitane voulut tout dire. Le viol. Etienne. La pulsion première de vouloir anéantir ce petit être au fond de ses entrailles. L’autre aussi, abandonné sans un regard mais le cœur déchiré de culpabilité. Lui dire pour qu’il sache qui se tenait devant lui. Lui dire pour lui donner la possibilité de dire non, lui aussi. Pour s’épargner le risque de s’être trompée, peut-être, et de se porter elle-même le premier coup de poignard. Mais les lèvres d’Alphonse, doucement, commencèrent à s’étirer…


« N'aie pas peur personne d'autre n'pourrait
Si facilement te remplacer
Oh non pas toi
Vraiment pas toi »


Mais pourquoi ? Pourquoi risquerait-elle de tout détruire à nouveau quand, tant et tant, elle bataillait pour se reconstruire? Ne lui en voudrait-il pas encore davantage de dire toute la vérité que de la cacher ? Pourquoi saper ces mois et ces mois à tisser méticuleusement un futur sur un champ de ruines ? Ca n’aurait été que cruauté envers elle-même et envers lui dont le sourire s’épanouissait, illuminant son visage avec tant de tendresse et d’émotions neuves qu’il la vrillait toute entière.


« Parce que j'avoue j'suis pas non plus tentée
D'rester seule dans un monde insensé »


Un sourire qui lentement, comme s’il pelait une orange, la délestait, uns à uns des poids trop lourds ployant ses épaules. Sans en être consciente, elle redressait la tête, déployait son dos, dressait son menton. Les insultes, les blessures, toutes aussi méritées qu’elles puissent avoir été, s’envolaient, chassées d’un simple sourire qui l’acceptait, elle et surtout cet enfant niché là, au creux de son ventre. Cet enfant, son enfant, serait aimé, sans devoir batailler. Juste aimé d’exister.

« Si tu crois un jour q'tout est à refaire
Qu'il faut changer; on était si bien naguère
N'aie pas peur je n'veux pas tout compliquer
Pourquoi s'fatiguer »


« Il est heureux que l’un de nous sache compter jusqu’à quatre »

Enfin Alphonse parla, même si son visage éclatant avait déjà tout dit, et les amandes noires se gorgèrent d’émotion jusqu’à déborder quand les lèvres du flamand se déposèrent sur sa main. Pourtant cette fois, elle se moqua de sa sensiblerie exacerbée par un ventre plein, par des événements qui s’enchainaient avec une telle rapidité qu’ils lui échappaient. Elle ne chercha pas même à s’en cacher quand le sens de chaque mot, de chaque geste du brun se démêlait sans le moindre doute à l’abri de ses tempes brunes. S’il avait embrassé chaque parcelle de son corps, ce baiser là, chaste, sage, respectueux s’ancra en elle avec la ferveur d’une promesse. Il serait là. Il ne disparaitrait pas dans un nuage de fumée. Il ne fuirait pas dans le sillage de feuilles séchées.

« Et commence pas à te cacher pour moi
Oh non, je te connais trop bien pour ça
Je connais par coeur ton visage
Tes désirs, ces endroits de ton corps
Qui m'disent encore »


Evidement, il aurait sa vie en dehors d’elle, en dehors d’eux, et elle aurait la sienne de la même façon. Et alors ? N’était-ce pas finalement l’assurance de ne pas se perdre ? Fébrile, elle baissa ses yeux troublés sur leurs mains entrelacées. Quatre mains. Tout tenait là. Il suffisait de ne plus avoir peur.

« Parce que c'est toi j'oserais tout affronter
Et c'est toi à qui j'pourrais pardonner
Parce que c'est toi
Rien que pour ça »

Enfin, elle comprenait, ressentait jusqu’au fond de son être que le bonheur ne tenait pas dans le partage idiot, aveugle et immesuré. Qu’elle pouvait offrir et recevoir tant tout en taisant le reste sans que ce ne soit par lâcheté, tout au contraire. Chaque secret, chaque non dit ne revêtait plus que l’auréole d’une preuve. D’un attachement farouche. D’une volonté tenace à ne vouloir, jamais, faire mal. La seule vérité fondamentale à dévoiler n’avait pas trait aux autres, mais à eux, seuls. Parce que rien ni personne n’était parfait, et surtout pas eux. Et tant pis pour ce qui pourrait néanmoins être deviné quand le but ultime n’était que le bonheur de l’autre. Et celui d’un enfant.

« Parce que c'est toi j'veux aujourd’hui un enfant
Et non pas parce que c'est le moment
Parce que c'est toi
Je veux te voir dedans
J'verrais dans ses yeux tous ces petits défauts
Parce que parfait n'est plus mon créneau
Parce que c'est toi »*


Les mains du Chat quittèrent les siennes pour mieux les protéger de sa chaleur, tissant le dernier fil du cocon.

« Est-il normal que j’ai autant envie de te faire l’amour ? »


Elle remonta enfin son regard vers lui et mêla le rire aux larmes. Un rire apaisé, léger, fragile, amusée de son espièglerie, émue de ses mots quand elle connaissait le véritable langage d’Alphonse. Alors sur ce chemin, elle le suivit, refermant la boite de mots épuisés de leur pauvreté.

Màćka**, tu m’volerais donc la souveraineté d’mes envies d’femme enceinte ? Si son ton était gentiment moqueur, ses mains s’enroulant à sa nuque, son corps se pressant encore contre le sien jusqu'à sentir son sang palpiter, l’intensité de son regard, reniaient avec fracas la plaisanterie dans une vérité pleine et vibrante.

Ne m’dis pas… Montre-moi…

Et ses lèvres se perdirent à celles du flamands, légères de cette intimité neuve, mais lourdes, si lourdes de lui montrer combien elle avait compris, tout, et n'en demandait pas plus. Simplement.




* Axelle Red – Parce que c’est toi, légèrement remanié pour les besoins du rp.

** Chat en romani

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Alphonse_tabouret
Le rire d’Axelle éventra le silence dans lequel il n’avait osé que le chuchotement, prudent volontaire de ne pas érafler les choses pour ne point les détruire tant que le besoin ne s’en ressentait pas, précautionneux des instants qui nouent et dénouent les choses, craintif qu’il ne se défausse d’un mot trop fort quand il ne craignait jamais l’aboutissement du geste.

Màćka**, tu m’volerais donc la souveraineté d’mes envies d’femme enceinte ?
Mmm, je vois où commence et où s’arrête notre partenariat, la taquina-t-il d’une moue tirant vers le bas dans un dessein faussement boudeur, tandis que leurs corps mêlaient leurs lignes, se reconnaissaient eu travers des étoffes, curieux de la fin de cette absence, étonnamment fébriles de ces retrouvailles. Des semaines s’étaient écoulées et chacun avait livré en pâture son corps à d’autres, l’une par médicamentation, l’autre par folie, tous les deux pour se réchauffer, enfants toujours désorientés lorsqu'il s'agissait de marcher droit, et dont la proximité allumait le soleil d’une facilité qui n’appartient qu’à l’entente tacite des serments échangés dans des mondes qui disparaissent sitôt l’âge adulte délivré.
Ne m’dis pas… Montre-moi…

A la demande, succéda la preuve de ses lèvres qui ferrèrent les siennes, de ses mains qui s’ancrèrent lascivement aux reins, glissant sur le tissu de trop, devinant la peau chaude dessous, retrouvant des sensations égarées nourrissant le feu de son ventre, la brulure de ses tempes, la lave de ses envies. L’odeur d’Axelle se retrouvait, nette dans les hauteurs du cou mais délavée d’une autre qu’il n’identifiait pas dès que le tissu exhalait l’odeur de frais de la propreté, fil conducteur ténu qui les liait, elle et De Ligny et qui lui échappait encore. Les souffles mêlés s’attardèrent dans l’écrin des lèvres, jumelant les envies au travers des gestes qui s’enchainaient, spontanés, instinctifs, dans le bouillonnement discret du manque qui se réveille enfin et darde son museau aux premiers frissons qui hérissent l’échine.

Où dors-tu ce soir ?, finit-il par lui demander quand ses crocs s’appliquaient à mordiller le lobe de l’oreille, dispensant le souffle en même temps que l’unique réponse qu’il avait envie d’entendre, incapable de demander autrement que par la nonchalance, une entorse à son propre règlement, chat fuyant la compagnie ensommeillée quand il s’amourachait si ardemment de la nocturne et la réclamant pour la deuxième fois à la gitane.
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Axelle
De cette nuit là, elle garderait sans doute aucun un gout étrange mais délectable de retrouvailles ancré à ses papilles. Si cette saveur n’était comparable à nulle autre, confusément pourtant elle ne voulait plus s’abîmer à y gouter. Jamais. Plus avec lui. Plus dans ces circonstances. Cette peau là, cette voix là, ces mains là, elle ne s’autoriserait plus à s’en séparer par un silence trop lourd de doutes. Un silence de fuite. Un silence de peur. Un silence qu’elle avait elle-même imposé. Silence buté, silence idiot, silence d’incompréhension peut-être ou même pudique. Silence honteux certainement.

Un autre jour. Une nouvelle vie. Sans pourtant qu’elle ne s’en doute quelques heures plus tôt en ouvrant un œil. Là au fond de son ventre grandissait une vie qui bouleverserait tout, raz de marée pas plus grand que l’ongle d’un pouce. Elle. Lui. Eux. Tout changerait, et en même temps tout resterait pareil. Les bras d’Alphonse, inlassablement depuis sa première étreinte, la laisserait frémissante d’envie, l’apaiserait, lui insufflerait la certitude que tout était possible à la seule condition de le vouloir. Funambules, toujours, jongleurs invétérés des silences bavards, acrobates de pudeur quand leurs corps, leurs souffle, leurs peaux se mêlaient inextricablement, sans qu’ils puissent lutter.

Il lui avait manqué, elle l’avait dit, mais ce ne fut qu’à l’ombre de leurs mèches brunes qu’ils se l’avouèrent au travers de chacun de leur souffle avec une sincérité désarmante. Désordonné mais sans brutalité aucune, son corps cherchait le sien que pourtant elle avait déjà trouvé. Mais l’envie sournoise d’allonger le temps, de ne pas prendre dans l’instant ce qu’elle désirait avec fougue, paresseusement cruelle, alanguissait chacun de ses baisers, chacune de ses caresses d’une attention renouvelée quand son sang déjà s’enflammait.


« Où dors-tu ce soir ? »


La demande était rare, bien plus précieuse encore que la perle roulant docilement sur sa peau et Axelle le savait. Un sourire étira les lèvres gitanes, et privant son oreille des crocs félins, vint fureter à la bouche enviée pour essaimer la seule réponse possible au creux d’une échappée de baisers dérodés.


Ici.


Si tout n’était que murmure, aucune hésitation pourtant de vibra dans sa voix. Cette nuit là, remarquable entre toutes, elle la passerait dans ses bras et l’étirerait bien après l’épuisement.

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