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[RP] Quand le chat n'est pas là, les rats chantent...

Bastogne
La faible lueur du jour commençait à poindre à travers les carreaux de parchemins jaunis et poussiéreux qui bouchaient les fenêtres. Il se passa machinalement la main sur le visage. Si le jour en plein hiver arrivait à le tirer du sommeil à travers ces amas de crasse opaque, il devait être déjà bien tard.
Le goût du mauvais vin de la veille dans la gorge, la bouche pâteuse et le regard trouble, il avisa la forme tiède endormie sous la couverture élimée à côté de lui.

Et merde.

Il s'était juré de ne plus s'endormir dans la paillasse d'une putain pas fraiche. Mais l'alcool et la besogne bien faite aidant, il faut croire qu'il s'était encore assoupi tel une souche à côté de ce qui lui semblait être, à la silhouette, la blondinette aux dents de travers.

Il s'assit sur le bord du lit au sommier branlant et enfila ses bottes couvertes de boue. Il renoua ses chausses et passa son manteau par dessus ses larges épaules.

La lumière blafarde de décembre lui piqua ses yeux encore engourdis de sommeil. L'air froid et humide charriait le relent lourd et âcre des pots de chambre qu'on vide au matin. On ne pouvait pas compter sur l''odeur de pain chaud des premières fournées matinales dans la rue de la Mortellerie, le seul four était situé plus loin, et les commerçant du coin qui avait l'audace d'appeler "nourriture" leur marchandise refourguaient des morceaux de miche sombre et dure qui semblait toujours avoir été cuite il y à des semaines.

Bastogne avança d'un pas résigné jusqu'à un bâtiment à l'apparence décrépie où pendait une enseigne délavée représentant trois corbeaux à l'air hargneux.

"les trois freux".

Il poussa la lourde porte et pénétra dans la bâtisse. L'air était chargé et poussiéreux, les odeurs de la soirées de la veille, qui s'était surement achevée peu de temps avant, imprégnait encire les lieux. Bière, mauvais vain, sueur, et vieux ragoût. Le ventre de Bastogne rugit presque à l'odeur de la marmite. Il faut dire qu'il avait mangé bien pire pendant sa vie, et la faim commençait à se faire sentir. Ignorant l'appel de son estomac, il s'accouda à une grande table huileuse près des larges étagères et frappa une des chopes vides de trois grand coups sec sur le bois. Quelques secondes plus tard, un homme de grande taille avec un oeil glauque déboula de l'arrière de la salle, frottant un bol en bois avec un torchon sale. un sourire en coin s'afficha derrière sa moustache fournie.

-Tiens, Bastogne. j'pensais pas t'revoir si tôt. Y t'on r'fourgué à l'entrée du bordiaux ou quoi ?

Bastogne émit un rire de gorge qui ressemblait plu sur le coup à un grognement.

-L'jour ou qu'il m'ferment la porte au nez, les putains auront pu qu'à mendier. Faut qu'on parle La Guigne. Les canards nagent et batifolent. La place est libre.

Le patron des lieux haussa les sourcils et le gratifia d'un léger sourire. Il avança de sa démarche clopinante jusqu'au feu et rempli généreusement le bol qu'il avait dans les mains de bouillon visqueux avant de le poser devant Bastogne. celui-ci, ne se faisant pas prier s'en enfila une large gorgée bruyante.

-Qu'est ce tu veux que j'dise bastogne. Les canards, ça migre et ça bouge. Ca reste pas en place. Y sont en vadrouille tout l'temps.

-Pas souvent si longtemps. parait même qu'les frangin s'sont perdu par d'la la mer.

Le moustachu resta silencieux quelques instant, versant une gnôle épaisse dans deux godets. Il vida celui devant lui et poussa le second vers son interlocuteur.

-Et t'crois qu'ça change quoi ?

Bastogne vida son verre et tapa sur la table.

-T'crois pas qu'ça s'rait l'moment de chais pas... ravitailler ton bouge moisi en cargaison qui vaux l'coup sans d'voir verser l'morillon* ? Ou bien... Ou bien... Pouiller quelqu'gros poissons sans qu'ces canards prennent les choses en main ou prennent la part palmé sur l'butin... Ou ptet même ben organiser la meilleure séance de paris dans ta cave 'vec les meilleurs marchandises d'puis longtemps ans d'voir verser la moitié d'la r'cette à peine la dernière pinte versée...


Bastogne avait perdu un peu de sa patience. Il était assez rare que les piques s'aventure loin de la cour très longtemps, et ce foutu trouillard en pissait dans son froc rien qu'à l'idée. Alors que quand une occasion se présente, il faut la saisir au vol. Et qui dirait quelque chose ? Ce n'était pas comme si ils prévoyaient de cambrioler la Gentilhommière... Quoi que... Bastogne secoua la tête à cette idée et regagna en calme. Il fixa le tavernier des trois freux, posant brusquement son godet sur la table.

-d'toute façon, j'vais faire jouer ma chance....

-D'la chance ? Toi ? Mais Bastogne, j'ai jamais eu d'client qu'à autant perdu dans mon foutu tripot ! Et pourtant, s'moi qu'on appelle la Guigne ! Faut croire qu'on à pas 'core trouvé l'surnom qui...

-Laiss'moi finir bougr'd'con ! Moi, j'vais forcer l'destin; t'en ai ou qu't'en est pas. Peut pas m'lancer dans s'brin tout seul, m'faut ben quelqu'un pour r'fouguer s'que j'trouverai. S't'en ai pas, ptet ben qu'ça sera d'la puterelle que j'irai dégotter et que j'refourguerai au tripot d'en face...

Il bu une nouvelle gorgée bruyante de soupe. La Guigne s'agita un moment et soupira.

-J'en suis foutu tas. mais s'tu m'fais attirer des ennuis, ou même qu'les canards s'repointent, crois moi, j'te ferai bouffer ton pied avant même qu'tu t'en rendre compte !


Bastogne s'écarta un peu de la table, les mains posés derrière son crâne et se fendit d'un large sourire. La chance lui sourirait peut être bien cette fois, car s'est connu, quand les chats ne sont pas là, les souris dansent...


*impôt des piques sur les commerces du coin
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