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RP - Quand une griffe accroche une fleur...

Lagriffe
...et dévoile une moitié de Corleone !

Poc. Mhhhhhhhh ? Quoi ? Qu’est ce qu’il se passe ? De quoi ça s’agit ? L’esprit sortait lentement de sa léthargie. Les brumes du sommeil se déchirèrent peu à peu, laissant les pensées encore sacrément engourdies. Les muscles roulèrent, se tendirent, se détendirent, bref s’étirèrent dans des mouvements lents, soignés, presque délicats. Poc. Mais ! C’est pas bientôt fini oui ?! Je dors moi ! Et puis qu’est ce que c’est que ce truc d’abord ? La main se leva, prête à chasser l’intrus dans un geste vague effectué totalement à l’aveugle. Car les yeux, eux, restèrent clos. Mais l’intrus restait hors de portée, si bien que cette chose si agaçante se reproduisit. Poc. Ah zut à la fin ! Dans un emportement aussi vif que bref, les paupières se soulevèrent sur les yeux bleus à la recherche de l’importun. Et elles tombèrent sur…du vide. Rien. Tiens…Plissement de sourcils imperceptible. La carcasse se redressa lentement du pavé sur lequel elle s’était posée la veille au soir. Les muscles craquèrent. Diantre, ce qu’ils peuvent être durs ces pavés parisiens… Un petit tintement fit s’incliner la tête brune rousse vers le sol. Tiens des cailloux…Poc. Le regard se tourna brusquement pour heurter de pleins fouets les deux faucons qui s’amusaient à jeter des pierres sur la jeune femme au sol. Un rictus agacé macula un infime instant les lèvres rondes.

« Haha, ça vous amuse, vous deux ? Vous savez que si vous m’embêtez, je vous remets les chaperons ? »

Les deux oiseaux prirent un air outré et lui tournèrent immédiatement le dos. Clémence, elle, eut un sourire plus amusé et finit par se relever entièrement. Elle rattrapa son manteau qui lui avait servi de couverture et lissa ses vêtements du plat de la main. A ses pieds, une boule de poils ocre se mit à remuer. Elle lui attribua une caresse un peu brutale, lui ébouriffant les poils du crâne.

« Et toi, tu ne pouvais pas me défendre au lieu de ronfler, hein ? »

Mulot, car tel était le nom du chien qui levait la tête d’un air ahuri, eut un jappement heureux, n’ayant pas compris un traitre mot de ce que sa maitresse venait de dire. Clémence eut un air désespéré avant de secouer la tête, faisant s’agiter ses mèches rousses.

« Mouais, tu n’as rien compris…Allez la troupe, on se bouge. On a une auberge à trouver aujourd’hui. »

D’un geste elle enfila son manteau, tendit le poing au plus jeune des faucons qui prit sa place et fit un signe à l’autre. Celui-ci lui accorda un bref regard avant de s’envoler et de monter lentement en spirale au dessus de la ville encore engourdie de sommeil. Clémence l’observa un court instant avant de sortir de l’impasse qu’elle avait envahie pour la nuit. Dans la rue déjà plus passante qu’elle venait de rejoindre, les parisiens s’agitaient déjà en tout sens. La foule dense se pressait vers des destinations qui lui étaient inconnues. D’un geste protecteur, elle rapprocha son faucon d’elle et s’engouffra au milieu de tous, Mulot sur ses talons.

La poissonnière de la veille lui avait indiqué l’emplacement d’une auberge où une certaine Gaia Corleone avait été vue. Gaia Corleone…Sa sœur. Un étrange sentiment se distilla en elle. Dans quelques instants, ou une journée peut être, elle allait retrouver sa sœur. Elle avait mis des mois à apprendre son existence. Lorsqu’elle avait su que son père, un Corleone était mort, elle avait cru sa quête vaine et terminée. Elle avait même failli rentrer, retourner dans le sud, sur les terres de son seigneur. Elle savait qu’elle y aurait à tout jamais sa place. Mais il avait suffit d’un mot, d’un souvenir vieilli d’une bonne femme de village. Salvatore avait eu d’autres enfants. Alors, Clémence avait poursuivi ses recherches, quémandant, donnant un coup de main contre des informations. Elle avait passé une semaine ainsi, à parcourir de long en large les rues parisiennes avant que cette poissonnière ne lui parlât de l’auberge. Et la voilà en route. Tiens d’ailleurs, ce n’était pas là ? La jeune fille leva les yeux, parcourant la devanture de la bâtisse. Hé bah…ce n’était pas de première jeunesse. L’apparence miteuse, les murs délabrés où la chaux partait par morceaux entiers, les fenêtres crasseuses. Clémence avait déjà vu bien mieux. Soit elle avait vu bien pire aussi. C’est pourquoi, elle n’hésita pas très longtemps devant la porte. Elle leva les yeux à la recherche de Merlin, son faucon mais celui-ci était bien trop loin et le brouhaha de la ville l’empêchait de le rappeler. Qu’importe, après 10 ans en sa compagnie, ce n’était pas maintenant qu’il allait se faire la belle, celui là. Elle ordonna à Mulot de rester dehors mais garda Sterne, son second faucon au poing. Et d’une main, elle poussa la porte.

L’intérieur était à la hauteur de ce qu’elle avait pu apercevoir de l’extérieur. Clémence balaya les lieux du regard sans s’attacher aux nappes sales ou à la crasse qui s’accumulait dans la paille au sol. Lorsque les billes bleues accrochèrent enfin la tenancière, qui semblait presque faire partir du mobilier pour tout avouer, elle s’avança de quelques pas. Là encore le regard resta impassible. Des sales trognes, il y en avait plein le royaume alors en croiser une de plus dans Paris, ne semblait en rien étonnant. La jeune fille passa donc outre le sourire édenté et le visage parcheminée et s’adressa à elle d’une voix claire.


« Bon jour, aubergiste. Je suis à la recherche de quelqu’un et l’on m’a dit qu’il était possible qu’elle soit dans le coin. Une Corleone, fille d’un certain Salvatore. La connaitrais-tu ? »

Ces mots mille fois répétés, elle les prononça une fois de plus avec l’espoir que cette fois-ci serait la dernière.
_jeannette_


L’auberge, son auberge, n’était pas vraiment le parfait exemple du luxe, ça on pouvait le dire. Mais qu’importe après tout, du moment que sa taverne était remplie tous les soirs ? Pas de noble, pas de valets tous aussi chiants les uns que les autres, pas de gros bourgeois qui ne supportent pas de retrouver un peu de poussière dans leurs choppes, non, pas d’emmerdeurs en fait. Ses clients à elle, ils étaient simples, très simples même, mais surtout ils buvaient, et payaient –presque toujours – leurs verres, et s’était sans doute ce qui importait le plus. Et finalement, la petite Jeannette ne s’en plaignait pas. Durant sa vie, pauvre diront certains, pitoyable pour d’autres, longue dirait-t-elle, elle n’avait rien fait pour changer ce fait. Après tout, il fallait bien vivre, et comment vivre si l’on n’a pas d’argent, hum ?
Ce soir-là ressemblait donc à tous les autres soirs. Elle accueillait de son sourire édenté les quelques personnes qui passaient le pas de la porte, pour leur proposer aussitôt à boire. Et à ce niveau-là, elle n’avait rien à envier aux grands nobles de Paris. Une cave pleine de fûts de bière, d’hydromel, de génépi, d’alcool pour nettoyer les latrines, oui on y trouvait de tout, et en quantité monstrueusement importante.

Nettoyant, ou faisait mine de nettoyer quelques verres, en remplissant d’autres par moment, l’attention de la tenancière fut détournée vers la porte de son auberge. Et un nouveau client fit son apparition, mais à le voir, il n’avait pas l’air d’être un habitué. D’ailleurs à le regarder de plus près, on aurait même pu penser qu’il s’agissait d’une jeune femme. Diantre, mais c’est quoi s’truc ? Yeux grands ouverts, nez retroussé et toutes dents dehors – du moins celles qui lui restaient – elle fixait l’arrivante. Borf se dit après tout la petite Jeannette, du moment qu’elle vient boire, et pas faire le ménage, ça devrait être bon.


Bonjour !

Sa voix se voulait forte, presque trop d’ailleurs. On aurait dit qu’elle avait même fumé quelque chose de pas trop nette à l’entendre beugler avec tant de joie apparente. Mais cela faisait partie de sa technique de drague de client. Leur faire peur, ou du moins les dérouter, pour mieux les faire boire. Ça marchait à tous les coups.


« Bon jour, aubergiste. Je suis à la recherche de quelqu’un et l’on m’a dit qu’il était possible qu’elle soit dans le coin. Une Corleone, fille d’un certain Salvatore. La connaitrais-tu ? »

Son visage ne changea absolument pas, et elle continua même à faire ce qu’elle faisait de mieux, faire semblant. Sourire niais sur le visage, elle se gratta de temps à autres les rides qui lui parcouraient la face, autrement dit elle resta inerte. Mais seulement en apparence, car son petit esprit carburait plein gaz. Corleone. Corleone. Toux ceux qui les fréquentaient de près ou de loin, ou qui voulaient les fréquenter, n’étaient pas des gens à prendre à la légère. Des personnes louches, colporteurs de problèmes et d’embrouilles.
De son expérience, il n’existait pas de Corleone, aussi bien habillé soit-il, aussi bien parfumé soit-il, qui était un enfant de cœur. De la joie, elle passa progressivement à la méfiance, tout en déshabillant du regard la jeune femme devant elle.


T’as l’air d’être une nana sans trop d’embrouilles, alors j’te conseil d’éviter de fréquenter ceux qui les attirent.

Et bim, c’était dit. Servant un autre client en manque de ce doux liquide porteur de vie qu’on appelle alcool, elle quitta l’espace d’un instant sa jeune et frêle créature des yeux pour lui lancer finalement de sa voix toujours aussi forte.

Ha, et on sert pas ces trucs ici, sauf si ça picole de la bière ! Par contre, ma beauté si t’as soif, hésite pas !

Elle avait montré du regard l’oiseau perché sur le poignet de sa « cliente », et en avait profité pour donner le ton, pourtant quelque chose lui trottait encore dans la tête. Et si elle venait voir cette Corleone pour une histoire importante ? Et si cette Corleone apprenait que la Jeannette avait fait obstacle à leur histoire à eux, et si cette Corleone voulait demander des comptes à notre pauvre Jeannette ? Arg, la vie, c’est pas si facile que ça quand même. Faisant une mine étrange, bougeant ses lèvres avec frénésie, elle se rapprocha de son adoratrice des piafs. Elle se rapprocha comme jamais du visage de cette dernière, et d’une voix presque inquiétante, elle rajouta quelques mots.

Bon, si tu veux mourir, c’est ton problème. Mais après ici tout se vend. Qu’est-ce que t’aurais à échanger avec Jeannette contre une si précieuse information ?
Lagriffe
Acide. Oui mais un peu brûlé aussi. Avec des relents âcres. Ou peut être juste fades. En tout cas, sacrément entêtant comme truc. De ces trucs qui vous collent à la peau et que vous avez beau frotter en vain. Des trucs à vous rappeler des souvenirs lendemain, voire le surlendemain. Ah mais oui ! C’est ça ! Ça sent le chou ! Clémence eut comme un léger sursaut en mettant enfin la main ou plutôt le nez sur cette odeur qui lui titillait les narines depuis son entrée dans l’auberge. Le chou, c’était bien ça. Et l’odeur s’amplifiait tandis que l’aubergiste s’approchait d’elle. Elle semblait au plus haut de sa forme, la vieille. Sourire béat et un poil niais, le visage tiraillé par l’effort, la voix franche. La jeune fille la laissa faire sentant que cela faisait partie du rituel installé depuis de longues années face aux nouveaux arrivants. Elle accepta sans broncher le regard qui coula sur elle et son oiseau, ayant même un très léger mouvement au côté pour prouver qu’elle n’avait pas d’armes.

A l’annonce de sa demande pourtant, la vieille parut se figer. Ni son regard, ni son sourire, ni son attitude face aux autres clients de la salle ne changea mais elle semblait réfléchir intensément. Bien c’est que le nom devait lui dire quelque chose. Comme à tous ceux à qui elle avait posé cette question. Les Corleone avaient l’air plutôt connus dans le coin mais à chaque fois, l’évocation de leur nom provoquait stupeur et tremblements. Partout où elle allait, Clémence entendait des « brigands », « mercenaires », « assassins », « gens louches », « porteurs d’embrouilles », « malandrins » et autres joyeusetés. Leur réputation était-elle si terrible ? Et la tenancière ne fit que renforcer cette impression déjà bien forte. Éviter ceux qui les attirent…Facile à dire, si ce n’était pas sa famille.

Alors que la vieille s’éloignait pour servir un client, la fauconnière eut un sourire et un hochement d’épaules. Autant jouer la carte de l’assurance tranquille. Quitte à inquiéter un peu la vieille carne.


« Bah, si ce que vous dites est vrai, il faut croire que c’est juste un air que j’ai, hein…puisque j’en suis aussi une de Corleone. »

L’aveu fut lâché juste avant la seconde réplique de l’aubergiste. Clémence balaya à nouveau la salle et eut une petite moue dubitative. Après tout, elle n’avait pas mangé depuis hier et avait sacrément soif.

« Ne vous en faites pas pour mon oiseau, il ne becte pas de bière mais ne bougera pas de mes côtés. Vous ne le verrez même pas. »

Sterne comme pour confirmer les dires de sa fauconnière, restait impassible sur son poing, observant seulement la salle de ses yeux clairs.

« Moi, par contre, je vais vous prendre un verre. Ou p’têt deux. »

Son sourire franc se répandit à nouveau sur ses lèvres. Clémence faisait partie de cette catégorie de gens simples, droits dans leurs bottes, avec qui on discutait aisément et sans tabou. Elle avait grandi entre tavernes et marchés, gagnant sa croûte comme elle pouvait, sans jamais lever la main sur une pauvre âme et sans jamais ne serait-ce qu’avoir l’idée de voler. Elle avait mendié quelques fois, enfonçant son orgueil au fond de sa besace. Les gens faisaient souvent confiance à sa bouille franche et elle faisait perpétuellement en sorte qu’ils aient raison.

La tenancière revint finalement à l’attaque, s’approchant au plus près de la jeune fille. Tiens, elle sentait autant le chou que son auberge. Le ton menaçant ne fit pas réagir la fauconnière qui l’écouta, impassible.


« Je n’ai pas assez d’argent pour vous offrir un pot de vin, aubergiste. Ai-je l’air d’une bourgeoise, vraiment ? »

Le sourire de la gamine s’étendit un peu manquant presque de faire naitre un éclat de rire.

« Par contre, si vous avez besoin d’un coup de main pour quelque chose dans l’auberge, je peux vous donner un coup de main. Je suis une honnête fille et je suis débrouillarde. Je pourrais peut être vous aider. »

Son regard bleu s’accrocha à la vieille sans ciller, laissant paraitre sa tranquille assurance dénuée de toute malice.
Fleur_des_pois
Gaia examinait son reflet dans le miroir craquelé de sa chambre. A quelques jours de son mariage, l'Ortie se sentait seule. Elle n'avait encore trouvé personne pour la mener jusqu'à l'autel. Qui voulait se charger du rôle d'un père ? Ce père qu'elle n'avait pas connu. La nuit dernière, la Fée n'avait presque pas dormi. Les heures s'étaient égrainées, et elle, elle avait songé à ses parents. Elle ne les avait jamais vu, ou si peu de temps. On lui disait quelque fois qu'elle avait hérité de la beauté de sa mère. Était-ce à Isabella qu'elle avait dérobé la finesse de ses traits ? Et cette masse de cheveux, sa génitrice l'avait-elle arboré en son temps ?
D'ordinaire, Fleur ne se posait pas vraiment de question sur ses parents. Mais à l'aube d'un des jours les plus importants de sa vie, les souvenirs qu'elle n'avait pas vécu s'insinuaient en son esprit comme du poison. L'Ortie regrettait parfois de ne pas s'entendre mieux avec son frère ainé. Ensemble, ils auraient pu parler de ces personnes responsables de leur existence. Ensemble, ils auraient pu former une famille à part au sein de la Famiglia. Au lieu de cela, il lui en voulait. De quoi, la Fée elle-même l'ignorait. Ne le méprisant que parce qu'il avait attenté à sa vie, elle aurait bien tendu la main vers lui si fierté ne le lui interdisait.

La porte de sa chambre ne filtrait pas les bruits de l'auberge. En bas, quelqu'un venait d'entrer. La voix de la Mère Lablanche s'éleva bientôt, et presque malgré elle, l'Ortie tendit l'oreille. Quittant le tabouret sur lequel elle avait pris place, Gaia se glissa hors de sa chambrée. Discrète, à l'étage, elle pouvait observer en toute quiétude. L'inconnue semblait jeune, et sur son visage se lisait la franchise qu'elle-même ne possédait pas. Il ne se passait jamais rien d'intéressant, dans ce coin perdu et peu accueillant. Les jours d'affluence comptait deux clients en plus d'elle. Et il était bien rare que l'on s'arrête ici pour demander son chemin. Cette demoiselle ne semblait pas savoir qu'elle mettait les pieds dans l'une des auberges les plus crasseuses de Paris. Fleur ne retint pas une grimace de dégout. La vieille femme avait encore laissé cuire ses choux porte grande ouverte. La Mère ne devait plus avoir d'odorat, pour supporter sans piper mot une telle infection. L'Italienne secoua la tête, écœurée par l'affreux fumet qui semblait même suinter des murs. Pressée de regagner les effluves de plantes séchées de sa chambre, elle se détourna de la scène qui se jouait dans l'entrée.


... puisque j’en suis aussi une de Corleone.

Gaia s'apprêtait à pousser la porte de son logis lorsqu'elle se figea. Lentement, elle se tourna de nouveau vers la pièce, en contrebas. Une Corleone, qu'elle n'avait jamais ? Certes, la Fée ne connaissait pas tous les membres de sa famille. Mais les siens savaient où elle logeait, jamais ils ne seraient occupés de demander quoi que ce fut à Lablanche.
Dandelion, son petit chien noir estropié, passa le museau par l'encadrement de la porte. D'un léger sifflement accompagné d'un geste de la main, l'Ortie lui demanda de rester là où il était.

Les escaliers de bois craquèrent sous la légèreté de ses pas. Parvenue au rez-de-chaussé, Fleur se planta derrière l'inconnue qui portait son nom de famille. Chevelure hésitant entre le brun et le roux, silhouette mince, rapace au poing... Elle dénotait. Comme chacun d'eux, peut-être. Un léger sourire flotta sur les lèvres du Lutin, qui lissa du plat de la main une robe au tombé pourtant parfait.


Corleone, dis-tu ? Alors nous portons le même nom. Je suis Gaia Corleone. Que puis-je pour toi ?
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Lagriffe
La tenancière n'avait pas encore relevé sa proposition, qu'une voix légère se fit entendre juste derrière Clémence. Si elle avait entendu les escaliers craquer, elle ne s'attendait pas à ce que l'on s'adressât à elle dans son dos. Elle ne put donc réprimer un petit mouvement de surprise qui fit s'agiter Sterne sur son poing. L'oiseau étendit les ailes, claqua du bec et changea de position sur le gant avant de retrouver son calme. La fauconnière pourtant ne lui accorda pas la moindre attention. Son visage s'était brusquement vidé de toutes couleurs et ses lèvres entrouvertes par la surprise, tremblèrent très légèrement. Gaia. La voix avait dit Gaia. Le nom de sa sœur. Sa sœur. Comme s'il comprenait enfin ce qu'elle venait d'entendre, le cœur de la jeune fille s'emballa brusquement lui recolorant de rouge les joues. Sa sœur. Sa sœur se tenait juste là, derrière elle. Mais Clémence ne se retournait pas. Dans sa tête défilait cette quête, cette quête qui lui avait fait quitter le sud pour rejoindre Orléans, puis Paris. Cette quête qu'elle avait crue vaine et qui pourtant hantait à chaque instant son esprit. Cette quête qui lui avait fait découvrir son nom, ce nom que tant craignait de seulement prononcer, ce nom qui se marmonnait avec un signe porte bonheur. Cette quête qui allait prendre fin dans une poignée de seconde lorsqu'elle se serait tournée. Clémence se pinça les lèvres, les humectant puis prit une profonde respiration qui lui détendit les épaules. Et la toute frêle jeune fille, dans ses habits d'homme bien trop grands pour elle, fit face à sa sœur.

Le regard bleu coula imperceptiblement sur le corps de la jeune femme qui lui faisait face. Elle était plus petite qu'elle. Clémence ne put réprimer le petit sourire amusé qui passa sur ses lèvres à cet instant. Plus petite qu'elle. Comment était-ce possible ? Elle qui se trouvait déjà bien trop petite et qui avait du se contenter d'un arc pour enfant jusque si tard qu'elle en rougissait encore. Plus petite certes mais elle avait déjà plus l'air d'une femme que Clémence ne le serait jamais. Des formes rondes maintenues dans une livrée de femme. La fauconnière pensa un instant à sa tenue. Une chemise, un serre-taille, des braies et ce manteau qui devait bien avoir deux fois son âge. Ce qu'elle devait faire pâle figure face à sa sœur si féminine. Une nouvelle rougeur passa un bref instant sur ses joues avant que les azurs ne poursuivissent et s'attardassent sur son visage. Fin, délicat, relevé d'un regard brun pétillant et à l'instant curieux, de lèvres rondes et encadré d'une crinière sombre. Sa sœur était très belle. Elle devait tenir de sa mère. Clémence sourit à nouveau. Elle était presque son opposée. La crinière brune rousse de la fauconnière s’emmêlait en de larges boucles sur sa nuque. Elle y avait accroché trois plumes appartenant aux faucons de Joan. Ses épaules frêles et sa poitrine bandées, ses mains dissimulées soit dans le gant de cuir, soit dans les méandres du tissu de son manteau. Oui Gaia était autant femme que Clémence était homme.

Mais le temps devait paraître long à Gaia, elle qui devait bien se demander pourquoi une inconnue la fixait ainsi, passant d'une gêne évidente à une hésitation charmante. Clémence ouvrit donc la bouche mais son ton, habituellement si franc et volontaire, se fit rauque et troublé.


« Je…hum…Je m’appelle Clémence, Clémence Corleone, et je…je crois que nous avons le même père. »

Et maintenant se taire. Laisser le silence faire son œuvre. Laisser les mots étendre leurs ailes vaporeuses dans l’air alourdi par cette odeur de chou, les laisser voleter autour des deux jeunes filles avant de se poser dans l’esprit de chacune. Clémence baissa brutalement les yeux comme si les mots venaient de la heurter violement. Elle venait de rencontrer sa sœur. Sa sœur. Qu’allait-elle dire ? Comment allait-elle réagir ? Comprendrait-elle ? La croirait-elle ? Et si, elle ne voulait pas d’une sœur, d’une bâtarde qui plus est ? Qu’importe…Qu’importe si elle voudrait la revoir ou non. Elle l’avait vu une fois, elle avait vu son sang, et cela lui était déjà suffisant.
Fleur_des_pois
La jeune fille mettait bien du temps à se retourner. Gaia fronça les sourcil, aussi intriguée qu'étonnée. Qu'attendait-elle pour lui faire face, si elle était de sa famille ? Elle paraissait maigre, dans ses vêtements trop grands. Sa chevelure était en revanche, aussi belle que possible. Le roux se mêlait harmonieusement au brun, donnant une teinte chaude aux mèches qui retombaient dans son dos.
Puis, alors que la Fée s'apprêtait à poser une main fine sur l'épaule délicate de l'inconnue, celle-ci se retourna. Les premières secondes furent silencieuses, et l'Ortie en profita pour la détailler. Le visage était joli, le yeux saisissants. La bouche s'ouvrit, les paroles semblaient hésiter à venir. Et puis, les mots furet lâchés, si énormes que Fleur en resta sans voix, probablement la première fois depuis de nombreuses années.

Lentement, silencieusement, Fleur s'approcha de Clémence. Sa sœur. Se pouvait-il ? Sa main se leva, et effleura une mèche de cheveux. La fille de son père. Sa gorge se noua tandis que l'émotion la gagnait. Était-ce la vérité, ou un simple mensonge ? Pourtant quand elle regardait attentivement la jeune fille, ne retrouvait-elle l'ovale de son propre visage ? Ou bien n'était-ce qu'une illusion ? Elle qui avait toujours rêvé d'avoir une sœur, se pourrait-il que le Ciel exauce enfin son vœu le plus cher ?
Il lui fallait garder la têt froide, cependant. Réfléchir, s'assurer. Avant de céder à la joie, elle devait savoir.


Le même père, dis-tu. Comment s'appelait-il ?

Plus grande. Clémence était plus grande qu'elle. Cette pensée lui arracha un sourire. Elle avait toujours été petite, mais savoir que sa propre sœur la dépassait de dix bons centimètres, voilà qui était amusant. La petite Fée au pied léger, plus petite que la fauconnière !
Fleur eut envie de faire fi de ses doutes. Elle sentait, à la façon dont se tenait la jeune fille, qu'elle ne mentait pas. Clémence avait le visage franc, ouvert, vrai. Elle ne pouvait pas tromper aussi facilement qu'elle-même. L'envie de la serrer contre son cœur se faisait plus forte, attirée comme par un aimant à l'idée qu'elle pouvait n'être plus jamais seule. Une sœur, une amie, un double qui toujours serait à ses côtés. Son rêve d'enfant.


Tu es... sûre de ce que tu dis ?
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Lagriffe
Le monde s’était arrêté, mis en pause, juste quelques instants, les temps d’une poignée de battements de cils. Plongé dans un brouillard épais, il étirait sa course. Les gestes des clients de l’auberge se faisaient lents, ralentis. Les mouvements délicats de Sterne duraient une éternité. Les sons se faisaient étouffés, lointain, appartenant presque à une autre réalité. Les couleurs s’étaient adoucies, ternies presque. Tout flottait. Tout sauf l’image tangible, éclatante de couleur de sa sœur. Sa sœur qui se tenait devant elle. Sa sœur qui venait d’entendre ces mots, ces mots lourds de sens, ces mots qui changeraient leurs vies à toutes les deux. Rien n’était plus lumineux que le brun de ses yeux, que la clarté de sa peau, que l’ourlé de ses lèvres. Rien n’était plus réel que sa présence.

Clémence ne pouvait imaginer ce qui se passait dans la tête de son double à cet instant. Elle qui n’arrivait pas à remettre de l’ordre dans la sienne. Tout s’y mélangeait allègrement. Les souvenirs qui l’avaient menée ici, dans cette auberge miteuse, la sentence qu’elle venait de prononcer, ses espoirs, des craintes. Il régnait dans son esprit une joyeuse cacophonie. Mais lorsque Gaia s’avança vers elle, elle ne bougea pas. Elle laissa ses doigts s’enrouler dans ses boucles chaudes. Elle la laissa la détailler. Accrochée à son regard brun, elle crut voir le doute, l’hésitation mais aussi quelque chose de plus, ce quelque chose qui lui avait fait tendre la main. Comment croire une étrangère fraichement débarquée à Paris ? Comment lui faire confiance ? Pourtant ne remarquait-elle pas ? Cet ovale du visage, ces lèvres rondes, ce nez si fin, cette délicatesse du visage. Elles étaient si différentes et si semblables à la fois. Deux images de leur père. Leur père…Clémence ne l’avait jamais connu et n’aurait jamais cette chance. Elle ne pourrait jamais accrocher un visage, une voix, une attitude à cet homme qu’elle aurait tant voulu avoir dans sa vie. Irrémédiablement, les azurs piquetés de brun se firent brillants, emplis de larmes retenues.


« Je ne l’ai pas connu mais on m’en a parlé. C’était un homme bon qui pouvait se montrer si mélancolique parfois. Il a rencontré ma mère il y a 16 ans et en une nuit, ils se sont aimés. Je sais que ce n’était pas une relation légitime. Je le sais car ma mère m’a sans cesse rappelé que je n’étais qu’une erreur de parcours. Mais…mais je crois qu’elle l’a aimé sincèrement…Il s’appelait Salvatore Corleone. »

Les mots s’enchainèrent les uns après les autres, brisant la barrière qui s’étendait encore entre les deux jeunes filles. Ils s’écoulaient des lèvres de la fauconnière sans qu’elle ne pût réellement les endiguer. Ils roulaient, rauques, elle qui habituellement avait la voix si claire. Ils cherchaient l’approbation, l’acceptation de cette autre, de ces yeux noisette qui la fixaient encore. Ces mots, ils ne savaient pas mentir, ils n’avaient jamais appris. Alors ils portaient haut cette vérité douloureuse et pourtant porteuse d’une joie indicible, du bonheur d’avoir retrouvé les siens.

« Je ne pourrais rien te certifier. Je n’ai ni bijoux, ni armoiries, ni lettres comme preuves. Je n’ai que des histoires, des souvenirs que l’on m’a racontés. Et je ne peux qu’accepter d’y croire. Mais, les gens ne parlent pas des Corleones avec plaisir alors pourquoi m’aurait-on lié à cette famille, moi la fille sans histoires, si ce n’était pas le cas ? »

Et puis regarde-nous, Gaia. Regarde-nous et tu sauras. Lis dans mes yeux. Lis dans mon âme. Et tu sauras. Je ne suis rien, qu’un brin de fille un peu perdu qui trace son chemin dans ce royaume. Qu’une âme de plus à se débattre ici bas. Je ne sais pas mentir, je ne sais pas tromper. Qu’y gagnerais-je à le faire de toute manière ? Je ne peux pas te nuire, je ne sais pas faire. Je sais juste…être ta sœur.
Fleur_des_pois
Les faits semblèrent s'imposer d'eux-mêmes. Qui serait assez fou pour se prétendre sœur d'une Corleone si ce n'était pas vrai ? Cela n'apporterait rien à la jeune fille, outre des ennuis. Point d'héritage à quémander, ni de titre, ni de terres. Juste une réputation, celle d'être voleur, mercenaire, violent, aussi. Ce n'était sans doute pas ce dont pouvait rêver une orpheline. Fleur en savait quelque chose.
Son regard fouilla les traits de Clémence avec plus d'intensité. Oui, elles étaient identiques, et pourtant si différentes. Gaia se surprit à souhaiter ressembler davantage à la jeune fille. Posséder elle aussi un air franc, un regard si pur. Sa sœur. Le reste du monde s'était évanoui. Il n'y avait plus qu'elles au monde. L'une qui ne demandait qu'à être crue, et l'autre qui n'osait pas.

Clémence cependant, cita le bon nom. Seize ans ? Cela voulait dire que Salvatore avait eu une aventure lorsqu'il était sur ses traces. Pour la première fois de sa vie, Fleur remercia cette femme de l'avoir arraché à sa famille. Sans cela, Clémence ne se tiendrait peut-être pas devant elle.
Et puis Gaia en eut assez. Assez de douter. Elle pouvait sentir, dans ce regard bleu, que les paroles de la fauconnière étaient vraies. Sans doute le chemin jusqu'à elle avait été long, et difficile. Mais Clémence était pourtant bien arrivée jusqu'à elle. Si elle avait eu le moindre doute, aurait-elle poursuivi sa quête ?
La main de Fleur se glissa dans celle, libre, de sa petite sœur, pourtant plus grande qu'elle.


Je te crois.

Trois mots simples, mais lourds de significations. Le masque d'indifférence polie que l'Ortie affichait d'ordinaire s'était effondré depuis longtemps. Elle n'était plus Fleur-des-Pois l'Empoisonneuse, ni même Gaia Corleone. Elle n'était qu'une jeune fille de presque dix-sept ans, qui venait de rencontrer sa sœur.
Les larmes perlèrent sans que le Lutin s'en rendit compte. Un sourire timide étira doucement ses lèvres.
Même si tout cela n'était que supercherie, Fleur s'en moquait. Il lui aurait été au moins donné de connaître le bonheur d'avoir vécu cet instant. Pourquoi la croire, elle qui se méfiait de tout le monde ? Parce que le mensonge ne rapportait rien. Parce qu'il n'y avait rien de glorieux à vouloir s'associer aux Corleone si l'on en était pas un. Clémence mettrait sa vie en danger, si elle affabulait. Et qu'importait les doutes. Fleur savait, aussi simplement que cela. Avec autant de clarté qu'elle avait compris que les lettres d'Isabella parlaient bien d'elle.
La gorge nouée, l'Ortie écarta maladroitement son bras libre, l'autre toujours soudé par la main à celui de la fauconnière. Incapable de retenir davantage le flot d'émotions qui la submergeait soudain, Gaia fit un pas en avant, et serra contre elle cette sœur providentielle.


Je... Tu... Tu as soif ? J'ai de quoi boire là-haut, meilleur que la piquette de la Mère.
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Lagriffe
Clémence flottait toujours dans ce bourbier engourdissant, ses azurs ancrés dans les prunelles qui lui faisaient face. Au fond d’elle, son cœur battait la chamade en de grands coups puissants qui auraient presque pu la faire trembler. Après tout, elle les avait prononcés ces mots. C’en était fini. Elle les avait laissé s’échapper, pour de bon. Elle ne pouvait plus revenir en arrière. D’ailleurs, le voulait-elle seulement ? Depuis qu’on lui avait appris qu’elle avait une sœur, elle n’avait eu de cesse de la trouver, de la voir de lui parler. Elle avait traversé tout Paris, rendu tant de services, passé tant de nuits à même les pavés, roulée en boule contre Mulot. Et maintenant c’était fait. Un court instant, Clémence se sentit vidée, épuisée de tout ceci mais surtout totalement incertaine de la suite. Jusque là, elle avait eu un but. Jusque là son voyage était une quête. Qu’allait-elle devenir maintenant que c’en était fini. Maintenant qu’elle avait trouvé sa sœur, qu’elle se tenait face à elle ? Qu’allait-elle faire ? Où allait-elle aller ? Retourner dans le sud et abandonner son autre ? Rejoindre son cousin et sa compagnie ? Trouver un boulot ? Toutes ces possibilités sonnaient faux. Clémence se mordit l’intérieur de la joue.

Et pourtant, tous ses doutes, toutes ses craintes s’évaporèrent sous le coup de semonce de ces trois mots. Trois mots ridicules, trois mots minuscules, trois mots banals. Je te crois. Ils résonnèrent en elle, brutalement, acérés et violents. D’une rafale, ils brisèrent l’état cotonneux dans lequel elle était plongée. Tout autour d’elle, l’auberge reprit sa vie. Les clients se remirent à bouger, l’aubergiste les observait du coin de l’œil, mécontente certainement d’avoir raté un marché, la rue dehors se rapella à elle par ses bruissements et ses cris. Je te crois. Ils balayèrent ses interrogations car rien n’avait plus d’importance qu’eux. Je te crois. Trois mots et cette main dans la sienne. Cette main qui lui criait : « Sois ma sœur, sois elle et ne me lâche plus jamais. »

Les noisettes se mirent à luire et à s’écouler le long des joues satinées de sa sœur. Clémence sentit son cœur s’effondrer de la voir ainsi pleurer. D’un geste tendre, la fauconnière posa Sterne sur le dossier d’une chaise. Elle aurait voulu sécher ses larmes, les essuyer d’un revers de main mais la rugosité de son gant de travail l’en empêchait. Elle ne put que recueillir le corps de sa sœur contre elle, lui caressant légèrement les cheveux. Alors cette chaleur contre elle, le parfum de la peau de Gaia l’emplissant, la jeune fille se mit à son tour à pleurer. Des larmes silencieuses à la saveur douce. Des larmes qui marquaient la fin de son épopée, la fin de sa solitude. Certes, elle avait toujours été entourée. Elle avait son cousin, elle avait Joan. Oui mais désormais, elle avait également une sœur. Sa sœur. Son unique.

La réplique de Gaia eut pour effet de calmer les larmes. Le minois fin de Clémence se détendit en un moment de surprise. Soif ? Soif ? Avait-elle soif ? Elle ne savait même plus. Tout son corps semblait s’être mis en pause lui laissant ainsi le temps de savourer l’instant. Soif ? Quelle question normale presque banale et pourtant qui prenait à ses yeux un sens presque comique, incongru face au flot de sentiments qui la parcourait. Sans pouvoir s’en empêcher, un éclat de rire franchit la barrière de ses nacres tandis qu’elle se reculait un peu pour observer sa grande sœur. Un rire franc, léger. Un rire plein de promesses d’avenir, plein de complicité. Un rire qui brillait tant sur ses lèvres roses que dans ses yeux encore brillants.


« Oui…Oui, j’ai soif. »

Viens, viens allons boire. Raconte-moi ta vie. Raconte-moi toi, Gaia. Ma sœur.
Fleur_des_pois
Fleur ne réalisa qu'elle pleurait qu'en constatant que Clémence en faisait autant. Elle pouvait sentir une larme courir le long de son cou, alors que son nez avait trouvé refuge contre l'épaule de sa cadette. L'étreinte apaisa son cœur pris dans le tumulte violent de ses émotions. La Fée serrait ce corps contre le sien, ce corps dont elle ignorait l'existence seulement une poignée de minutes auparavant, mais qui était subitement devenu aussi nécessaire pour sa survie que l'air qu'elle respirait.
Clémence sentait bon. Elle sentait l'air frais, l'odeur délicieuse de la forêt, et celle, plus ténue et presque étrangère pour elle, de la plume d'oiseau. Souvent elle se surprenait à respirer ce parfum, lorsqu'elle rédigeait une lettre. Son nez se perdait sur la douceur des barbes, et elle humait à plein poumon, surprise d'aimer ce que son odorat lui transmettait.

La fauconnière se recula, et l'empoisonneuse planta son regard dans le sien. Le Lutin voulait passer ses doigts sur ce visage qui n'était déjà plus inconnu. Clémence se mit à rire, et il sembla à Gaia que c'était la plus belle mélodie au monde. Pourquoi riait-elle ? L'idiotie de sa question, peut-être. Fleur se mit à rire avec elle, et alors que les éclats de son hilarité se mêlaient à ceux de sa cadette, l'Ortie se sentit traversée d'un bonheur comme elle n'en avait jamais connu, ou presque.


Tu peux emmener tes amis si tu veux, lança-t-elle en désignant d'un geste le faucon et le petit chien beige. J'en ai moi aussi, des animaux. Deux chiens. Mais... viens ! Viens !

Sans plus attendre, Gaia escalada les marches, sautillant à chaque pas, impatiente que Clémence la rejoigne. Le couloir fut traversé en quelques bonds, la porte de sa chambre poussée à la volée.
A l'intérieur, le feu ronflait toujours dans la cheminée, et les volutes de vapeurs se dégageaient d'un chaudron suspendu au-dessus des flammes. Les plantes séchées baignaient la pièce d'un parfum entêtant mais agréable. Sur le lit, la couverture de laine à larges carreaux rouge et or accueillait Dandelion et Luzerne, ses deux compagnons. Dandelion, petit chien noir et blanc estropié de la patte avant droite, pencha la tête de côté, semblant curieux, lorsque sa maîtresse revint dans la pièce. Luzerne, avec ses poils marron et blanc, plus longs sur la tête, donnait l'impression de posséder des cheveux.

N'attendant que l'arrivée de sa sœur, Fleur se saisit de deux chopes de bois, et les emplies d'un peu de vin chaud, qui frémissait depuis presque une demie heure. La boisson préférée de Gaia, qu'elle s'était préparée pour elle seule, et qu'elle allait partager avec sa sœur. L'Ortie n'en revenait pas.
Ce fut la main tremblante qu'elle tendit à Clémence le bock de vin. S'asseyant prêt de la table, sur le petit banc de bois, Gaia ne parvenait pas à quitter du regard le visage de Clémence. Un sourire aux lèvres, elle contemplait comme un miracle cette jeune fille sortit de nulle part pour prendre en son cœur la place vacante qu'elle n'avait jamais espéré remplir.


Ma sœur, ma sœur. Dis-moi tout de toi. Dis-moi tout. Je ne veux plus jamais te quitter, Clémence. Où tu iras, je serai avec toi. Dis-moi tout, et je te dirai tout, toujours.
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Lagriffe
Gaia riait. D’un rire frais, d’un rire doux. Il se mêlait au sien, résonnant d’une évidente harmonie. Comme si ces deux rires étaient fait pour sonner ensemble, comme s’ils auraient du combler une enfance commune, une enfance heureuse au lieu d’avoir été durant de longues années séparés. Clémence l’écouta ce rire, elle l’écouta avec une avidité presque violente, un besoin impérieuse. Elle crut un instant avoir été toute sa vie assoiffée et ce rire, ces lèvres entrouvertes sur ces nacres, ce scintillement délicat l’abreuvaient. Le rire de sa sœur était quelque chose de merveilleux et elle sut à ce moment précis qu’elle s’en souviendrait toute sa vie.

Lorsque Fleur évoqua la présence de « ses amis », Clémence se retourna légèrement pour voir la trogne bienheureuse de Mulot qui était passée par la porte. Bien trop transportée par l’événement qu’elle était en train de vivre, la fauconnière n’eut pas le cœur de le gronder. Elle lui fit signe de s’approcher et le petit chien, son air ravi toujours accroché à son museau, vint se fourrer dans ses jambes. Gaia, elle, grimpait déjà quatre à quatre les marches, avalant la distance qui les séparait de sa chambre. La Griffe tendit donc le poing à Sterne qui y grimpa sans rechigner et prit la suite de ce tourbillon vert qui faisait désormais partie de son existence.

Elle entra dans la chambre juste quelques pas derrière sa sœur et s’arrêta le seuil passé pour découvrir les lieux. Cela sentait bon. Clémence inclina très légèrement la tête et ferma un infime instant les yeux. Cela sentait les épices, le vin, le vert, le sec, les poils de chiens, la laine et ce parfum délicat qui hantait le cou de son double. Un sourire étira les lèvres roses de la fauconnière.

Brusquement chahutée, elle rouvrit les yeux et baissa la tête pour voir Mulot qui se faufilait à la manière d’une panthère en chasse entre ses jambes. Le petit chien rampa quelques pas de plus avant de s’immobiliser, seule sa queue battant l’air lourd de fragrances. Son regard clair braqué sur les deux compagnons de Fleur pétillait de jeu et de plaisir. Clémence lui ébouriffa la tête, ce qu’il prit pour un encouragement. D’un bond, il s’approcha des deux autres canidés et se mit à les bousculer gentiment tout en sautillant sur place. La jeune fille laissa échapper un nouvel éclat de rire avant de s’approcher de sa sœur. Dans un geste lent, elle libéra les jets de Sterne qui vint se poser sur un coin de la table, observant avec un certain dédain les chiens qui jouaient près d’eux. Clémence le regarda faire avant d’attraper la chope que lui tendait son autre d’une main hésitante. Les billes bleues s’accrochèrent aux noisettes et le sourire devint tendre.

Les paroles prononcées sans la moindre hésitation de Gaia arrachèrent une moue houleuse à la fauconnière, mélange de larmes et de rire. Ne sachant que choisir, Clémence s’approcha de la table, posa son verre et l’enlaça sa sœur ainée, la plaquant contre son ventre. Puis, comme apaisée par cette étreinte, elle s’installa près d’elle. Sa main qu’elle avait fine glissa le long d’une mèche brune de Gaia avant d’effleurer sa joue.


« Il y a tant à dire…Je ne sais même pas par où commencer. Que veux-tu savoir, ma sœur ? »

Ce mot résonna étrangement dans la bouche de la jeune fille. Oui sa sœur…c’était désormais ainsi. Un flot de larmes naquit à l’orée de ses azurs et pour les retenir, elle attrapa sa chope et but une gorgée de vin chaud. Le liquide se répandit dans sa gorge, suave et délicat, lui réchauffant l’âme.
Fleur_des_pois
Les chiens s'amusaient, et les voir ainsi se chamailler gentiment arracha un sourire heureux à la Fée. Sa sœur partageait, semblait-il, la même passion des animaux qu'elle-même. Fleur détailla sa cadette du regard, émue toujours de la savoir de son sang.
La chope que tenait Clémence fut reposée avant que la jeune fille ne la serrât contre son cœur. Répondant à l'étreinte en nichant son nez dans le creux du cou de la fauconnière, Gaia profita en silence de rapprochement physique aussi soudain que bienvenu.
Comment, songea-t-elle, avait-elle pu vivre jusque là sans elle ? Et comment se faisait-il que tout soit si simple ? Pas de mise en doute des propos, pas même l'esquisse une rancœur. Rien d'autre qu'un amour sans borne né en un instant et que la Fée savait éternel.

Heureuse au-delà des mots, Fleur reprit place près de Clémence, savourant le contact de cette main délicate sur sa chevelure de soie sombre. Une gorgée de vin fut avalée, et le Lutin savoura silencieusement la douceur de l'alcool et le parfum de la cannelle. Une boisson sucrée mais légèrement âpre, pour une fée, cela semblait tout indiqué.
Que voulait-elle savoir ? « Tout » fut -elle tentée de répondre. Mais cela n'aurait pas été assez précis. Et comme le faisait remarquer Clémence, on ne savait pas toujours pas où commencer quand son interlocuteur se contentait d'un « tout ».
Se mordillant la lèvre inférieure, levant les yeux vers la droite, Gaia réfléchissait. Que voulait-elle savoir en premier ?


As-tu été heureuse, durant ton enfance ? Et d'ailleurs, où as-tu grandi ? Ta mère est-elle toujours de ce monde ? Je voudrais... que tu me racontes ton enfance.

La Fée ne pouvait supporter d'imaginer sa cadette maltraitée, et était déjà prête, si tel avait été le cas, à la venger méthodiquement, et à faire rendre gorge à tous ceux qui auraient pu froisser ce front et distiller la peur dans ce regard fascinant.
L'Ortie savait, se doutait, qu'ensuite, elle-même devrait raconter son passé. Qu'il lui faudrait revenir sur les sentiers douloureux de ces années passées au couvent. Mais peut-être pourrait-elle taire le pire ? Elle ne voulait pas choquer sa petite sœur. Cependant, elles étaient liées, désormais, et ce pour toujours. Elles devaient tout connaître l'une de l'autre. Elle pourrait conjuguer les deux. Tout lui narrer, sans que cela ne paraisse trop horrible.
Mais en attendant, c'était à elle d'écouter. Gaia s'empara de la main libre de Clémence, et ce faisant, lui accordait son entière attention.

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Lagriffe
Le vin s’écoulait à nouveau dans la gorge de la fauconnière. Suave, âpre, sucré. Une saveur complexe, forte et si délicate à la fois. Une chaleur douce, profonde, de celle qui ravive l’âme autant que le corps. Clémence ferma un court instant les yeux à ce contact. Cette boisson avait quelque chose de sa sœur. Un peu de son caractère, un peu d’elle.

Lorsque Gaia lui prit la main, Clémence eut un sourire, baissant les yeux sur leur étreinte. La main fine de sa sœur paraissait fragile dans le gant de cuir abimé. La jeune fille n’osa pas l’effleurer de peur de la griffer sur une aspérité. Délicatement, elle posa son verre puis dégagea sa main de celle de son autre. Oh pas bien longtemps, juste le temps de retirer ce gant, cet outil de travail qui faisait depuis des années maintenant partie d’elle. Sous les noisettes curieuses de sa sœur, se dévoilèrent un instant les cicatrices blanchâtres des poignets. Clémence les observa sans regret et sans animosité. Elle n’en avait cure pour tout dire. Ces marques avaient forgé sa vie et n’était que le reflet de l’apprentissage souvent houleux de la fauconnerie. Aujourd’hui encore, il arrivait que Sterne la blessât en se posant sur le bras non ganté, enfonçant dans les chairs ses serres acérées. Alors la fauconnière serrait les dents, se fustigeant d’avoir pris la mauvaise posture, d’avoir donné la mauvaise impression à son oiseau. Car bien sur, ce n’était jamais de leur faute. En bonne fauconnière, Clémence prenait la responsabilité complète de chacune de ces blessures.

D’un geste lent, elle tira sur la manche de sa chemise, dissimulant ses poignets avant de reprendre la main de sa sœur. Tendrement, la pulpe de ses doigts parcourut la peau blanche et un sourire naquit sur les lèvres roses. A la question de Gaia, Clémence laissa ses azurs troublants se perdre dans leurs opposés. Son enfance ? Son enfance…Son visage se détendit peu à peu, se faisant pensif et lointain. Voilà qui la faisait remonter bien loin dans ses souvenirs. Pourtant, la voix se fit claire et sereine.


« Mon enfance ? Hé bien, elle fut classique je pense. J’ai grandi en campagne orléanaise, aux abords d’une petite ville. Tu sais, ma mère n’était pas très aisée mais juste assez pour ne pas avoir à travailler dans les champs. Elle était tisserande et s’occupait de la taille des patrons. Je crois qu’elle ne m’a jamais réellement aimé…mais cela ne m’attriste pas. Ma mère rêvait de grand mariage et de riche époux et ma présence dans sa vie entachait ce rêve. Et puis, je n’étais pas et je ne suis toujours pas la fille qu’elle espérait. Je n’aimais pas l’immobilité et rester des heures à regarder les nuages passer et à écouter les trouvères ne me plaisaient pas beaucoup. Pour tout avouer, je préférais nettement courir la campagne et jouer avec les garçons. »

Le sourire de Clémence se transforma en petit éclat de rire qu’elle ne retint pas, plongeant son regard pétillant dans celui de sa sœur. Oui, elle avait parfois été une vraie chipie avec sa mère mais celle-ci le lui rendait bien par une indifférence chaque jour, un peu plus forte. Les azurs se brouillèrent un court instant, se faisant songeurs. Sa mère…qu’était-elle devenue ? Depuis sa fugue, elle ne l’avait jamais écrit et encore moins revue. Elles étaient devenues de simples étrangères, faisant chacune leur route dans le royaume. Etait-elle toujours mariée ? Avait-elle d’autres enfants ? Avait-elle enfin la position sociale qui lui tenait tant à cœur ? Clémence n’en savait rien et si une grande partie d’elle n’en avait rien à faire, une petite pensée restait toujours accrochée à ces questions. Le visage de la fauconnière se fit triste alors que la phase la plus désagréable de son enfance s’annonçait.

« J’ai quitté ma mère quand j’avais neuf ans. Je ne sais pas ce qu’elle est devenue. A cette époque, elle était mariée avec un riche bourgeois. C’était un homme dur et froid, un militaire certainement. Il n’appréciait pas mon manque d’éducation et s’était mis en tête de faire de moi une fille parfaite. Il m’a fait apprendre les lettres et les chiffres mais je t’avoue que j’ai douloureusement subi cet apprentissage. Tant et si bien que j’ai fini par partir. Depuis, je ne les ai jamais revu… »

Les mots s’étiolèrent lentement. Il y avait encore tant à dire, tant à raconter. Une vie entière à rattraper. Pourtant, le vin envahissait à nouveau la gorge de la fauconnière, noyant un moment les souvenirs dans l’âpreté.
Fleur_des_pois
Les yeux de Fleur se posèrent sur les marques blanches sur le poignet de sa sœur. Cela ne ressemblait aux traces qu'ont habituellement les personnes qui veulent quitter ce monde. Avec quoi pouvait-on se marquer ainsi, songea la Fée en fronçant légèrement les sourcils. L'oiseau, le gant. Cela avait sans doute un lien. Supposition de l'Ortie, qui n'avait jamais dressé que deux chiens. Intriguée cependant, Gaia se promit de poser la question, plus tard. Pour l'heure, elle se gorgeait de l'histoire de sa cadette. Un sillon creusa son front lorsque Clémence avouait supposer le manque d'amour de sa mère. Comment une femme pouvait bien regretter d'avoir une telle merveille pour fille ? Le Lutin secoua la tête, éberluée.

Tant de différences entre leur deux existences ! Et pourtant, tant de ressemblances. Le manque d'amour, le caractère. L'impression de ne pas être à sa place. Peut-être même la certitude de n'avoir aucune sorte de place en ce monde. Et ceux qui auraient dû les aimer les avaient repousser sans arrêt. Jusqu'à provoquer la fuite de la fauconnière, et le départ de l'empoisonneuse.
Gaia but à son tour une gorgée de vin. Les filles de Salvatore n'avaient pas eu l'enfance qu'elles auraient dû avoir. Depuis qu'elle savait d'où elle venait, Fleur idéalisait ses parents. Sans doute que si son père l'avait retrouvé, s'il n'était pas mort... Il aurait récupérer Clémence. Son épouse l'aurait accepté de bonne grâce. Et les trois enfants auraient vécu ensemble, et heureux. Bien sûr, tous auraient fini par manier la dague, à voler les passants et vider les mairies. Gaia n'aurait jamais porté ce prénom de Fleur. Elle aurait toujours tout connu de sa cadette, et leur ainé les aurait protégé contre vents et marées. Peut-être même auraient-elles parlé italien entre elles, pour ne pas que les habitants des villages traversés ne les comprennent...

La Fée papillonna des cils, pour chasser les larmes qui menaçaient de rouler sur ses joues. Achevant son verre d'un trait, elle esquissa un sourire ému. Plus rien ne pourrait désormais les séparer. Clémence était le seul avenir qu'elle envisageait.
Serrant de nouveau sa main nue dans la sienne, Fleur pencha légèrement la tête de côté, signe qu'elle était intriguée. Elle désigna d'un geste le faucon, un peu plus loin.


Et comment es-tu devenue fauconnière ? Tu travailles pour quelqu'un ? Et... Ta mère... Voudrais-tu la retrouver ?

Et après, songea-t-elle, et après, ce sera à son tour de se livrer. De tout dire, enfin. Pour la première fois. Se livrer entièrement à quelqu'un, sans rien craindre. Gaia aurait confié sa vie à Clémence, et mourrait pour elle sans hésitation, même si elle ne la connaissait que depuis moins d'une heure. Parce qu'elle était sa sœur. Parce qu'elle l'avait toujours attendu sans savoir qu'elle existait. Parce qu'elle l'aimait.
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Lagriffe
La présence de Gaia à ses côtés fit réfléchir Clémence. Et si son enfance avait été toute autre. Et si elles avaient grandi ensemble, deux sœur Salvatore, élevées au sein du clan Corleone, auraient-elles été différentes ? La jeune fauconnière ignorait tout de son père. Avait-il été un homme bien ? Avait-il été à la hauteur des Corleones ? Qu’aurait-il appris à ses filles de plus, de différent ? La vie de la rousse aurait-elle été si transformée ? Que serait-elle devenue ? Aurait-elle appris la fauconnerie ? Aurait-elle rencontré Joan ? Non à n’en pas douter, les choses auraient différé par bien des manières. Elle ne serait certainement ce qu’elle était actuellement. Mais, la jeune fille ne savait dire si cela aurait pire ou bien mieux. Après tout, elle n’avait jamais eu à se plaindre de sa vie. Certes, elle ne menait pas grand train et elle était passée par des moments douloureux. Pourtant, elle avait encore toute son intégrité physique, avait appris à manier les armes, était devenue fauconnière, savait gagner sa vie honnêtement.

Mais une enfance avec Gaia…Clémence se perdit dans l’observation de son ainée. Elle était si belle, si touchante. Une fleur délicate, fragile et si fière et pleine d’assurance à la fois. Quelle avait été son enfance à elle ? Avait-elle été douce ou mouvementée ? Son double avait tout d’une femme mais en avait-elle aussi l’esprit parfois si mièvre et sans intérêt ? Clémence eut un sourire en imaginant sa sœur sotte. Non c’était tout simplement impossible. Gaia était certainement très intelligente, de cette intelligence acérée qui trahit les femmes devant s’en sortir seule, sans la protection d’un père omniprésent. Tendrement, la jeune fille pressa la main de sa sœur dans la sienne.


« Fauconnière…Oh, c’est une longue histoire en fait. J’ai eu mon premier faucon, Merlin, à l’âge de six ans. C’est mon cousin, Meo, qui l’a récupéré avec moi. Ce n’était qu’un oisillon et nous l’avons soigné ensemble. Ma mère désapprouvait mon attachement pour cet oiseau mais elle n’a jamais pu m’en séparer. Au départ, je ne savais pas vraiment comment le faire voler. Les choses se sont faites naturellement… »

Le regard de Clémence se porta sur Sterne qui s’était détourné des chiens pour observer avec intérêt le chaudron qui bullait tranquillement. Son sourire se fit d’une douceur immuable alors que sa voix prenait des accords suaves.

« Merlin et moi avons appris l’un de l’autre. Parfois dans la douleur, ce qui m’a couté de belles cicatrices aux bras. Parfois dans la joie et le plaisir de le voir réapparaitre à l’horizon pour venir me retrouver. Nous avons chassé le rat, nous avons chassé pour des bourgeois ou des paysans aisés. Et puis, après mon départ de chez ma mère, j’ai rencontré Joan. Un fauconnier gascon. Et là, j’ai appris les gestes des fauconniers. Je lui dois tout. Il a été mon mentor pendant de longues années. Il m’a enseigné la chasse des seigneurs, le haut vol, le bas vol, l’éducation des jeunes faucons mais aussi des buses, des aigles, des éperviers. C’est lui qui m’a donné Sterne. »

Clémence détourna son regard de son oiseau et se perdit dans les reflets rougeoyants de l’âtre.

« Depuis, je collectionne les petits boulots. Je fais parfois des chasses, parfois j’élimine la vermine. Je vais là où se trouve l’ouvrage. Mais j’aimerais trouver ma place dans une mesnie noble… »

Les lèvres de la fauconnière retinrent de justesse l’argument qui lui faisait entretenir ce rêve. Enfin, trouver une maison où elle n’aurait plus à craindre les hivers pour ses oiseaux, où elle ne les verrait plus maigrir jour après jour jusqu’aux premières lueurs du printemps, où ils pourraient manger à leur faim chaque jour, voler quand bon leur semblait sur des terres grasses et fertiles. Ses yeux s’embuèrent brusquement et elle dut plonger le nez dans son verre pour que sa sœur ne s’en aperçût pas. Oui, ne plus craindre pour Sterne et Merlin et pouvoir rester à jamais près d’eux.

« Ma mère ? »

Clémence reporta son attention sur sa sœur, déglutissant la gorgée de vin qui avait chassé ses larmes.

« Non…enfin…pas maintenant. Vois-tu, je n’ai rien à lui offrir, rien à lui apporter. Une gamine qui traine les rues comme moi ne saurait que ternir ce qu’elle tend tant à être. A quoi bon la retrouver dans ces conditions ? »

Le regard de la jeune fille ne cilla pas, cette fois-ci. Après tout, si son respect pour sa mère restait entier, elle versait bien plus facilement ses larmes pour ses compagnons de tous les jours que pour cette femme qui lui semblait si indifférente à son sort. Puis l'attention de Clémence se cristallisa sur son autre. Assez parler d'elle désormais.

« Et toi, ma sœur ? Et toi, quelle fut ta vie jusque là ? »

Oui et toi, Gaia ? Raconte-moi. Raconte-moi celle que tu es. Dévoile-moi ta vie, tes errances, tes combats. Et ne crains pas car je t’aime déjà.
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