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RP - Dans mon exil, j'essaie d'apprendre à revenir

Fleur_des_pois
Le retour s'était effectué comme dans un rêve. Les derniers mois passés dans les bois s'étaient presque effacés lorsque la vie était réapparue devant elle. Les villes et les villages traversés. Les gens aperçus. Le monde était vaste, et si vivant ! Déserter les autres l'avaient changé, mais ces changements étaient restés dans la grotte. Cachés tout au fond, entre ces murs naturels de roches grises. Et peut-être aussi quelque part, dans son cœur, trop bien dissimulés désormais pour qu'elle osât s'y aventurer. La Fée s'était rencontrée dans ces bois. Elle savait pouvoir se retrouver quand elle le voudrait vraiment.

Si Alphonse n'avait pas été là... Durant le voyage de retour, le Patron avait été son seul point de repère. Le nord d'une boussole brisée que lui seul pouvait de nouveau indiquer. Les autres ne comptaient pas, pas autant. Tynop était haï, Umbra tendrement aimé, mais ni lui ni elle n'aurait pu la tirer de sa mélancolie comme Alphonse. Pourquoi ? Le Lutin l'ignorait. Elle ne pouvait tout savoir, et son cœur recelait autant de mystère pour elle que celui d'un total inconnu. C'était ainsi, et parfois, Gaia ne souhaitait pas lutter contre les évidentes réalités.

Le Comptable avait été fort différent de ce qu'il était à l'Aphrodite. Joyeux, démonstratif. Et là pour elle. Comme un ami. Il était peut-être devenu exactement cela, au cours de cette traversée. Un ami. Une épaule où se réfugier quand elle sentait poindre un trop plein d'émotions lié à son retour au monde.
Paris s'était dessiné lentement, de loin. Puis ils avaient pénétré dans la plus belle ville de France, d'avis de Fleur. Elle avait humé les odeurs qui lui avaient manqué. Avait apprécié le spectacle des jongleurs, les cris des marchands ambulants, les toilettes des dames, la mine des messieurs. Oui, la Fée pouvait enfin le dire. Elle était revenue chez elle.

Alphonse s'était arrêté devant le bordel. Gaia avait jeté un regard affectueux aux pierres qui composaient l'édifice. Elle aimait cet endroit où on l'avait accueilli. Et Adryan... Adryan se trouvait en ces murs, à quelques mètres d'elle, et elle mourait d'envie de se jeter contre lui. Complète, enfin, par cet homme qu'elle aimait. Qu'elle aimait comme un ami, comme un frère, comme un époux. Qu'elle aimait de toutes les façons, et dont elle ne pourrait plus se passer, elle le sentait.
L'Ortie se tourna vers Alphonse, qui redevenait ici le Patron. Où allait-il la mener ? Qu'allait-il lui demander ? Lui en voulait-il ?


Merci de m'avoir... ramené.

Ramené ici, à Paris. Ramené à la vie. Ramené vers les siens. Ramené d'entre les morts. Ramené, tout simplement.

Où... Où dois-je... Puis-je entrer ?


Titre librement inspiré de la chanson de J.J.G "Puisque que tu pars"
Alphonse_tabouret
Quand ils avaient trouvé l’herboriste, il s’était laissé étreindre par un apaisement plus violent qu’il ne l’avait pensé, soulagé de ne pas avoir à contempler le cadavre froid d’un de ceux qui avait croisé sa route et de ne pas avoir à annoncer la nouvelle qu’il redoutait aux habitants du bordel. L’Ortie y avait fait son nid avec la facilité de ces lutins tantôt facétieux, tantôt cruels, double masque dont l’Aphrodite elle-même, grimée de son fond et de sa forme, n’avait pu qu’aimer l’intrusion dans son antre.
De son séjour là-bas, à Guéret, il tairait tout. Nul ne savait pourquoi il était parti de Paris, et n’avait eu vent du courrier alarmant reçu à l’occasion, l’emportant lui et sa résolution sur les routes chaotiques de la province. De Fleur, on croyait un simple départ, une absence que l’on taisait quand les stocks s’amenuisaient, comme si ne rien dire laissait la possibilité à la verte de surgir comme elle était apparue. Et c’était exactement ce qui se passerait, avait décidé le comptable quand il avait senti chanceler Fleur lorsqu’il avait fallu la convaincre de la sortir de cette retraite forestière, usant de la douceur comme de l’accusation, départi exceptionnellement de la moue de dédain qui lui venait aux lèvres quand il évoquait Adryan, ce point faible qu’il savait cher à la Corleone, abimant le dessein de ses lèvres dans un air de reproches sans en éprouver la moindre culpabilité. Une fois la main pâlotte conquise et tirée de cette retraite froide, il s’était contenté de se laisser porter par les envies silencieuses de la jeune femme, agissant comme il l’aurait fait avec l’une de ses sœurs cadettes, diluant la bonne humeur de son insolence autour d’elle, espiègle, souriant, chat qui s’étire jusqu’à la caresse pour que s’immisce le début du sourire, que s’endorme la crainte dans le regard vif de la jeune femme, que naisse enfin la possibilité de se réchauffer à son épaule lors des heures avalées sur les chemins.


Merci de m'avoir... ramené.

Ne me remerciez pas Fleur, je vous ai déjà dit que ma démarche était tout égoïste… je tenais juste à m’éviter les insupportables soupirs d’Adryan lors de nos séances comptables, la taquina-t-il en dénouant ses muscles endoloris par la longueur du trajet, un sourire trainant au coin de ses lèvres, la rejoignant d’un pas pour lui tendre le bras.

Où... Où dois-je... Puis-je entrer ?

Si vous pouvez entrer ? Le sourire prit de l’ampleur, sincèrement amusé par la question, et déposant un baiser frais sur le front de l’Ortie, le réconfort se mêlant à l’espièglerie avec facilité, le chat répondit en plantant son regard noir dans le sien : Auriez-vous mieux à faire ?
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Fleur_des_pois
Adryan. La seule mention de ce nom rendit la petite Fée fébrile. Il lui avait manqué, chaque seconde qui passait le lui rappelait. Elle voulait le revoir. Maintenant. Gaia espérait presque que penser fortement à lui l'amènerait droit vers elle. Comme s'il avait pu détecter sa présence. Comme s'ils étaient aimantés, ou attirés l'un vers l'autre rien que par leur proximité.

Je soupirais aussi sans me rendre compte de ce à quoi j'aspirais...

Si elle avait mieux à faire ? Un large sourire étira les lèvres de l'Ortie. Non, rien d'autre n'aurait pu l'attirer ailleurs. Elle se trouvait à sa place, sans pour autant l'être tout à fait. Il lui manquait quelque chose, quelqu'un. L'odeur des plantes en train de sécher près de la fenêtre. Le « blop blop » d'une potion sur le feu. Le manche de bois d'une cuillère tenu entre ses doigts. L'herbier, gardien de son savoir. La délicatesse des feuillets de papier qui composaient le grimoire où tout était écrit. Les pinceaux et les pigments qui lui servaient à colorer les dessins de plantes qu'elle couchait sur ses pages. Les notes qu'elle prenait dans son carnet. Le crissement de la plume sur le parchemin lorsqu'elle avait une idée. Le verre de liqueur de mûres qu'elle affectionnait tant. Les conversations à bâtons rompus avec le Castillon. Le Lutin alors serait à sa place, lorsque tous ces éléments seraient de nouveau réunis.

Je n'ai nulle part où aller, outre ici, Patron, répondit Fleur en souriant toujours. Je me demandais si vous alliez me renvoyer directement dans mes quartiers, où si j'aurais la chance de... boire un verre en votre compagnie pour trinquer à mon retour ?
Alphonse_tabouret
Vous renvoyer dans vos quartiers ? Le sourire se dessina plus abruptement, allant jusqu’à secouer les épaules comptables d’un de ces rires silencieux dont il était à peine capable lui qui ne connaissait rien aux secrets des gorges déployées, discret perpétuel, jusque dans la joie qui lui irradiait parfois le ventre, comme si la présence de son père n’avait jamais cessé de l’observer, capable de le trouver par-delà n’importe quelle fortification si la spontanéité lui échappait de trop.
Ah par Dieu, si j’avais le pouvoir d’envoyer les femmes dans leurs chambres d’un simple mot, c’est au Panthéon que vous me trouveriez, entouré de mille hommes me suppliant de leur fournir la recette, rétorqua-t-il avec espièglerie.
D’un geste il se lesta d’un des rares sacs ramenés de cet ailleurs où l’Ortie avait erré de longues semaines, faisant un pas vers le chemin menant à la maison basse, entrée réservée aux artistes des lieux, passage obligé de ceux dont les destins se liaient à l’affamée déesse.

Allons poser vos affaires chez vous et je vous emmènerai vous désaltérer par la suite.

A cette heure-ci, Adryan devait certainement être déjà arrivé, inventoriant avec cet air austère les bouteilles derrière son comptoir marbré et s’il était curieux de voir son visage prendre des couleurs avec l’apparition inattendue de l’herboriste, il ne restait pas moins aux veines comptables l’envie de fuir aussi loin possible ce parasite qu’il supportait déjà de trop.
La petite allée par laquelle passaient les fournisseurs se substitua à la cour pavée et l’entrée de la Maison basse qui fut franchie en quelques secondes, sous le regard silencieux d’Hubert. Sans un mot, Alphonse s’écarta pour laisser passer Fleur, et rejoignant la chambre qui lui était allouée, déposa le sac à l’entrée avant de se retourner vers elle.

Etes-vous prête ? Question anodine au premier abord mais dont il savait tout le poids, fardeau des retrouvailles pesant sur les épaules vertes dès lors qu’il fallait affronter les amis après un silence trop long.
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Fleur_des_pois
Evidement, songea Fleur à la remarque amusée d'Alphonse. Qu'est-ce qui lui prenait, exactement ? L'habitude de côtoyer des corbeaux et des loups affamés lui avait oublié qui elle était. S'était-elle seulement une fois laissée dicter sa conduite par qui que ce soit ? Et Alphonse lui avait-il donner ne serait-ce qu'un ordre ? Gaia secoua la tête, étonnée. Il lui faudrait plus de temps qu'envisagé pour se remettre dans le bain. Pour revêtir de nouveau les vêtements de la Fée, et non ceux de la sauvageonne qu'elle était devenue.
Silencieuse, désireuse de retrouver celle qui autrefois arpentait ces couloirs, Gaia s'imprégnait de ce qu'elle percevait au-delà de la brume de ses souvenirs. Elle s'attendait presque à passer à côté de cet elle-même, de cette femme sans faille apparente qui se mouvait avec la grâce d'un lynx. Ce soir pourtant, elle était encore cette étrange petite femme vêtue d'une robe sale et les cheveux piqués de brins d'herbe.


Etes-vous prête ?

La question la ramena à l'instant présent. L'Ortie jeta un œil à sa chambrée. Elle avait envie de se coucher là et d'attendre que la nuit passe. Mais elle avait encore des choses à faire. Des personnes à voir. Une personne à voir. Le repos attendrait, la Fée avait tout le temps pour cela.

Oui. Allons-y.

De nouveau, le Lutin se laissa guider par Alphonse dans les couloirs de la maison basse. Ses pensées étaient ailleurs. Elle regrettait de ne pas s'être changée. Peut-être aurait-elle dû passer une robe propre. Et ses cheveux, quelques coups de brosse n'aurait pas été superflu. Un brin de toilette n'aurait pas été du luxe non plus. Était-elle donc si sotte qu'elle n'avait pas pris le temps de se faire belle pour lui ?
La porte du bureau se dessina, et à peine eut-elle le temps de le réaliser que déjà la Fée foulait le sol de cet endroit qui avait tout changé pour elle. C'était ici qu'elle était venue la première fois. Ici que Hubert l'avait mené pour sauver la vie d'Adryan. Ici qu'Alphonse avait songé à l'engager.
Gaia prit place sans un mot, sans même attendre qu'on l'y invite. Elle était de retour. La petite Fée venait de retrouver sa tanière.
Alphonse_tabouret

Le lutin déambula dans le couloir, et quand Alphonse s’attendait à la voir grimper les marches menant au comptoir marbre d’Adryan, ce fut à son bureau qu’elle se refugia, laissant une brève lueur d’étonnement amusé dans les prunelles félines.
Son bureau était donc devenu le rendez-vous des heures oisives où l’on s’accordait un battement de rien au milieu du tumulte du tout ? Lui qui avait consciencieusement coupé le monde extérieur de cette pièce pour y assurer sa survie la plus élémentaire, le voyait partagé avec tant de spontanéité qu’il ne réussit même pas à en prendre ombrage, se promettant juste de taquiner l’ortie à loisir sur les aises qu’elle prenait.

Dans le bureau, nulle trace du parasite dont l’heure de la cohabitation ne venait que bien plus tard, juste les fauteuils vides ou l’herboriste se lova, joyeux de verdure dans un écrin parisien, et s’apprêtant à passer la porte pour la rejoindre, Alphonse avisa une soubrette qui filait vers le haut.


S’il vous plait, la héla-t-il, figeant les chausses vernis sur une marche de bois , captant le regard juvénile et l’apaisant d’un sourire doux, conscient qu’en ces lieux il avait tout du loup qui jauge la brebis. Pouvez-vous demander à Adryan de descendre une de ses meilleures bouteilles de vin ?

Adryan serait agacé, et c’était exactement ce que souhaitait le comptable, esthète à ne provoquer chez le Castillon que des éclats visant à le sortir de sa léthargie qu’entretenaient le temps et les chaines de la ruine familiale, curieux de ce qu’afficherait son visage en trouvant la Verte lovée dans les murs du bordel à la façon d’une apparition à laquelle on ne croit plus. Entendre les pas pesants de mépris de se voir dérangé et délogé de son comptoir pour le service, lui qui n’acceptait sa servitude qu’au marbre et au verre de ses flacons, pousser la porte avec tout le dédain du monde figé dans le regard pour voir le monde se dérober à l’attention et n’exister qu’en un seul point de mire… Oui, il serait bon de toucher du doigt la faiblesse d’Adryan.
Attendant d’être exaucé, il choisit le fil de son bureau pour s’assoir, faisant face à Fleur, et lança après un instant de silence :


Vous avez du remarquer que j’étais un homme discret, Fleur… Penseriez-vous convenable de ne point vous étendre sur mon rôle concernant votre bienheureux retour parmi nous ?
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Fleur_des_pois
Était-ce la fatigue du voyage qui l'empêchait de réfléchir convenablement ? Ou bien le fait que durant presque deux mois, elle ait vécu comme une sauvage ? Son instinct l'avait alors guidé en tout. Habitude qu'il fallait abandonner, oublier même. Cela devait prendre le moins de temps possible, la Fée commençait juste à réaliser la somme de choses qu'elle devrait accomplir en peu de temps.
La discrétion. Oui, Alphonse était discret. Pour sa propre personne, mais aussi pour les autres. Gaia hocha lentement la tête, les sourcils froncés.


Oui. Il vaut mieux que personne n'en sache rien. Si jamais quelqu'un pose des questions, il n'y aura qu'à dire que l'on m'avait confié une tâche qui devait en tout rester secrète.

Qu'ils y croient ou non, ce n'était pas important. Ce qui comptait, c'était d'occulter la vérité. L'erreur de parcours d'une jeune femme se déclarant au-dessus de toutes faiblesses humaines, et qui finalement avait été rattrapée par ses émotions.

Pensez-vous que l'on aura remarqué votre départ ? Si c'est le cas... Il faudra trouver quelque chose.

La mort de Sybelle... Cela aussi devrait être oublié. Relégué au second plan, dans les souvenirs qu'elle consultait parfois, comme on relit un vieux conte. Ne devrait rester que les instants heureux passés en sa compagnie. Puis eux aussi, devront être rangé, parmi les souvenirs heureux, ceux qu'elle chérissait et qu'elle se remémorait la nuit, quand le sommeil la fuyait.
Cacher la vérité. Fleur ne serait jamais officiellement partie vivre dans les bois. Seuls ceux qui s'étaient trouvés là pour l'en sortir sauraient la vérité. Ce n'était pas tant qu'elle en avait honte. L'Ortie redoutait surtout que l'on utilise un jour cette faiblesse contre elle.
La Fée releva le nez, désireuse déjà de ne plus faire mention du passé.


Nous n'avons plus qu'à oublier cette histoire.

Peut-être même qu'un jour, elle-même finirait pas croire qu'elle était réellement partie remplir une contrat loin de tout. Elle savait très bien faire semblant.
Le sourire gagna ses lèvres pleines. Autant commencé tout de suite à tourner la page. Il ne servait plus à rien de s'attarder. Tout ceci était terminé, définitivement.


Mais tout ceci m'a donné atrocement soif, vous savez.
--Adryan
Ses bottes claquaient sur le plancher de la maison basse, vifs, longs, agacés. Etait-ce donc la nouvelle lubie du comptable que de le considérer comme un domestique à devoir lui-même faire livraison des boissons ? S’il avait pris l’habitude de laisser titres et nom aux portes du lupanar, ceux-ci ne manquaient jamais d’égratigner son orgueil dès lors que l’asservissement d’une tâche pointait. Le Castillon était capable d’accepter la condition à laquelle il s’asservissait de lui-même, mais jamais ne pourrait s’abaisser à courber l’échine devant celles que d’autres se croyaient en pouvoir de lui imposer. Et certainement pas Tabouret.

Arrivé devant la porte, il frappa, et jetant aux rebuts l’habitude d’attendre l’invitation à entrer, pénétra dans le bureau. Après tout, la demande supposait que sa venue soit attendue. Et pourtant, oubliant sa fierté malmenée, oubliant le comptable, oubliant les murs suintant de lubricité, il se figea, stupéfait de découvrir, nonchalamment installée dans le fauteuil, Fleur. Immobile, soudain pâle, la pièce tournoya un instant quand sa dextre, traitre, laissa échapper la bouteille de Pomerol, la rattrapant dans un réflexe ultime par le goulot avant qu’elle n’éclate au sol dans une marrée rougeâtre.

Fleur. Vivante. Là. Comme si de rien n’était.

Les yeux fixés sur elle, ombrageux pour mieux percer cette petite enveloppe verte aux cheveux ornés d’aiguilles, il s’avança vers elle, taiseux. Saint Thomas incrédule même devant la réalité que lui renvoyaient ses yeux. D’un geste tâtonnant, il déposa la bouteille miraculée de sa stupeur sur le bureau et se pencha sur le siège où trônait la petite fée. L’inondant de son ombre et de son souffle, la senestre posée sur l’accoudoir, la dextre gantée de cuir noir s’éleva lentement vers le visage de Fleur et emprisonna la fine mâchoire. Les anthracites naviguèrent sur le visage, en scrutèrent chaque traits d’une inquiétude maladive. Nulle cicatrice, nul hématome sur ce visage qu’il avait vu haleter de souffrance quand il avait du s’astreindre à suturer les plaies lacérant ce corps qu’il n’avait par la suite que pu choyer de caresses et de baisers. Ses traits étaient peut-être un peu tirés, mais elle était saine et sauve, et l’examen enfin achevé, quand ses prunelles s’ancrèrent à celle du Lutin son ventre se noua d’un fatras inextricable de soulagement et de colère. Comment avait-elle pu, elle, sa Pâquerette, disparaître ainsi, sans un mot, sans que rien ne présage de sa fuite, et le laisser en proie à l’angoisse et l’inquiétude qui avaient rongé ses jours et ses nuits ? Sa mâchoire se crispa à en faire saillir la ligne avec une netteté féroce. Ingrate de l’amitié, de la confiance, de la complicité qu’il lui avait offertes, à elle. Elle pour qui il aurait pu enfouir au fond de sa mémoire les sables rouges du Sahara. Il n’avait qu’une envie, serrer sa poigne sur le menton tendu jusqu'à ouvrir cette bouche pour en extirper les explications de cette conduite qu’il ne comprenait pas.

Mais pourtant, jamais, jamais il n’exigerait d’elle le moindre mot, le moindre geste. Alors en guise de représailles, c’est son silence qu’il lui offrit en retour au sien, et un long baiser déposé avec fièvre sur son front bombé. Et il la libéra, prestement, comme brulé, se redressant dans le même mouvement, détournant le regard d’elle pour d’une mécanique servile, déboucher la bouteille et emplir deux uniques verres, habitude commode pour reprendre pied quand la pièce et la silhouette du comptable s’ourlaient à nouveau à la lisière de son regard.


Et contre toute attente, ce fut au comptable, parfait bouc émissaire, témoin indésirable de son trouble, que sa voix profonde et monocorde s’adressa, incapable de faire peser le poids de son ire glaciale sur les frêles épaules vertes. Vous trouverez les comptes de la maison basse pour vos jours d’absence dans le dossier attribué. Lentement, il remonta les yeux vers le flamand, l’épinglant dans sa nonchalance travaillée, des envies d’effacer l’éternel sourire de ses lèvres pourtant si désirables lui tailladant les doigts.

Si tu savais où elle était, Comptable, si tu savais où elle se terrait toutes ces nuits, toutes ces semaines, et que tu ne m’en as rien dit, choisissant de laisser, jour après jour, l’inquiétude me ronger les sangs jusqu’à l’insomnie, je te promets, Comptable, que je te ferrai valser au bout de mon épée, sous les sourires des pendus de Montfaucon.

Si vous n’avez plus besoin de mes services, lâcha t-il acerbe après avoir laissé les secondes trainer, dois-je me retirer ? Conclut-il en posant un regard lourd d’intensité sur l’Empoisonneuse quand, malgré son amertume, il n’aspirait qu’à une chose, qu’elle chasse l’arrière goût lancinant et nauséeux de trahison qui entravait sa gorge de mots choisis pour justifier et pardonner l’absence et le silence.

Entier, sévère, dur, intransigeant, sans concessions. Le Castillon l’était avec lui-même en premier lieu. Mais aussi avec les rares personnes qu’il aimait. Apre leçon qu’apprenait la Fée quand le choix lui était laissé de l’accepter. Ou non. De reprendre la place qui était la sienne auprès de lui. Ou non.
Alphonse_tabouret

Il n’en loupa pas la moindre miette, tortionnaire affamé de ces petits riens qui filtraient malgré eux au travers de la carcasse nobiliaire, et dont chaque estocade au flanc le faisait exulter d’une joie mauvaise depuis que ce soir-là, Adryan lui avait déclaré la guerre en s’imposant dans son bureau.
Il suivit la ligne de la bouteille rattrapée in extrémis, le baiser dispensé au front à la manière des serments qui n’ont pas besoin de mots, et le service, impeccable derrière lequel Adryan se refugia pour retrouver le calme qu’il avait tant de mal à s’imposer entre ses murs quand il était olympien derrière son comptoir. Il reçut toute la bile du Castillon sans broncher, chat si près du ronronnement que son sourire seul invitait à la caresse autant qu’à la cravache selon celui qui le recevait, et il savait qu’à cet instant ci, que son parasite bouillonnait de lui faire ravaler chaque esquisse de ses lèvres jusqu’à la suture.


Vous trouverez les comptes de la maison basse pour vos jours d’absence dans le dossier attribué

Incapable de résister à piquer Adryan lorsqu’il servait lui-même les armes sur un plateau, Alphonse poussa à ses lèvres un de ces soupirs d’enfants gâtés qu’il ne se permettait qu’au fil des défis lancés à la contenance des autres, se disputant l’ennui et l’indifférence, mais se voulant courtois en vue du travail effectué.

J’y jetterai un œil, oui.

Les regards se trouvèrent, épais, pleins, l’un de la lave de la colère, l’autre de la plénitude d’un savoir qu’il ne partagerait jamais. Oserait il, le Castillon, lui reprocher le silence désiré des autres quand il le tenait lui-même au secret forcé d’une chevalière passée à son doigt. N’était-il pas le premier en ces lieux à lui avoir demandé la discrétion sur ses affaires, ses motifs, ses envies ?...

Si j’avais su je n’aurais rien dit, qu’importe tes soupirs, tes affres et tes lamentations… As-tu épargné Dacien, toi au travers de tes silences et de ceux que tu m’as imposé?
As-tu déjà oublié qu’il y a quelques semaines encore c’était toi, le bourreau, et que j’étais ton involontaire et pourtant fidèle complice ? T’es-tu seulement demandé le prix qu’il m’en coutait à moi, de couvrir ton ombre?
Imbécile arrogant que tu es, nombriliste des douleurs, tu ne savoures même pas la chance que tu as de retrouver l’objet de ton angoisse…


Si vous n’avez plus besoin de mes services , dois-je me retirer ?

En aucun cas , répondit Alphonse en se levant sans plus s’attarder sur lui, prenant la main de Fleur pour y déposer un baiser léger, effleurant la peau plus que ne l’embrassant. Il faut bien de la compagnie à notre herboriste pour trinquer à son retour parmi nous, fit il en remontant ses prunelles dans celles de l’Ortie, un sourire doux aux lèvres, aiguisé par une ombre d’insolence, lâchant à voix basse mais parfaitement audible pour le nobliau , une de ces semis vérités dont il aimait tant l’usage. Ces nuits en votre compagnie resteront précieusement à ma mémoire, très chère, mais la prochaine fois, de grâce, promettez moi quelques heures pour dormir confortablement…

Il se redressa pour mener ses pas vers la porte, sans hâte, les saluant d’un sourire aiguisé en la refermant derrière lui, laissant aux amis, l’intimité nécessaire à se dire qu’ils s’aiment.
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Fleur_des_pois
La porte s'ouvrit, et le sourire de la Fée trembla, puis disparut. Adryan venait d'ouvrir la porte. Elle suivit des yeux la chute de la bouteille. Admira en silence la dextérité du Castillon lorsqu'il la rattrapa avant que le verre ne se brise.
Il s'approcha sans mot dire, et l'Ortie n'articula pas un son lorsqu'il enferma entre ses doigts sa mâchoire. Il lui sembla qu'elle avait perdu sa voix, quelque part, et qu'elle ne la retrouverait jamais. Qu'il la lui avait volé lorsqu'il avait franchi le seuil du bureau. Il la scrutait, et elle en faisait de même. Quelque chose lui entravait la gorge, lui emplissait les poumons, et elle peinait à respirer tandis que dans sa poitrine, le Lutin avait l'horrible impression que son cœur doublait de volume. Pouvait-on survivre à une telle inspection ?

Le baiser qu'il déposa sur son front fut comme s'il avait appliqué du bout des lèvres un fer rougi par des braises incandescentes. Brûlant, puisque désormais il ne la regardait plus. Il servait le vin, et parlait de détails futiles à Alphonse lorsqu'elle aurait voulu qu'il la serre dans ses bras jusqu'à l'étouffer.
Mais qu'avait-elle espéré ? Qu'avait-elle imaginé ? Qu'il arriverait en riant, prêt à pardonner deux mois de silence ? Qu'il la prendrait tout contre lui et qu'ils pourraient discuter la nuit durant, sur de futiles sujets dont tous deux se moquaient ? Comment avait-elle pu croire qu'il ne lui en voudrait pas ? Ne lui en aurait-elle pas tenu rigueur, elle, s'il avait déserté sa vie sans explication ? Son caractère emporté l'aurait certainement incité à le frapper sur toutes les zones possibles, elle qui n'avait pas plus de force qu'un moineau nouveau né. Peut-être même aurait-elle fondu en larmes, elle qui ne pleurait jamais. Mais ce silence... Ce silence si froid qu'il lui glaçait les os...

L'espace d'une brève seconde, elle songea aux morts, et à l'ironie qui parfois, faisait des vivants des êtres plus inaccessibles que ceux qui n'étaient plus. Adryan lui fit cet effet. Et tel un prince dans une haute tour d'ivoire, elle tentait de l'atteindre par son regard, muette toujours, mais lui restait sourd à ses appels silencieux.


Si vous n’avez plus besoin de mes services , dois-je me retirer ?

Se retirer ? Vraiment ? Allait-il la quitter comme cela ? Sans un mot échangé ? Le souffle lui manqua quelques instants, et incapable de respirer, elle se cramponna aux accoudoirs, se forçant à inhaler un air qui lui parut saturé de souffre.
Alphonse. Alphonse venait à son secours, semblait-il. Il demandait - voire ordonnait ? - à Adryan de rester ici. Le Comptable s'approcha, et aux mots murmurés fut apporté un sourire qui eut bien de la peine à voir le jour. C'était comme si les muscles de son visage refusait de bouger, comme si brusquement, elle se retrouvait paralyser.
Il quitta la pièce, et ce ne fut que lorsque le bruit des pas d'Alphonse se fut évanoui dans le néant qu'elle réalisa qu'elle était seule avec le Castillon.
Toute la glace qui l'empêchait de se mouvoir fut rompue. La Fée quitta son siège d'un bond, fit quelques pas dans la direction du jeune homme.


Adryan...

Mais par où commencer ? Elle avait l'esprit trop engourdi pour être capable d'inventer une histoire cohérente. Il voudrait des détails, qu'elle n'avait pas encore imaginé. Il voudrait savoir, tout savoir, et se rendrait compte qu'elle mentait. Alors le fossé les séparant serait à jamais infranchissable. Le mensonge ou le silence ? Non. La vérité, éventuellement ? Il comprendrait. Et méritait de savoir. Il était Adryan. Il pouvait tout entendre.

Adryan... Je suis... Je suis désolée. Je n'aurais pas... Mais j'ignorais encore la veille que... Je suis partie. Je suis partie parce que je n'étais pas prête à affronter... Oh, Adryan, c'est tellement compliqué.

La Fée se tordait les mains, ne sachant par où commencer. Que dire, et comment ?

J'ai perdu... une amie, comme une sœur pour moi. Et puis cette agression... Tu m'as soigné. Tu te souviens ? J'étais affreusement affaiblie ensuite, et coincée comme je l'étais dans cette ville stupide, j'ai... Fichtre, c'est malheureux et tellement idiot... J'étais toute seule, le soir, et je me mettais à boire comme une idiote en pensant à ce que j'avais perdu. J'ignorais le matin même que j'allais... Je me suis enfuie. Je n'ai prévenu personne, tu sais. Je suis simplement partie, comme ça, avec mon chien et mon âne. Je suis retournée chez moi. Elle esquissa un sourire léger. Tu sais... la forêt. J'ai guetté les fées et les lutins, les gnomes et les elfes, mais je ne les ai pas trouvé. La seule fée que j'ai vu, c'était lorsque je me penchais au-dessus d'un court d'eau, ou d'une flaque. Gaia ferma les yeux quelques secondes, se mordant les lèvres. Je n'étais pas mal, là-bas, hormis quand je devais faire fuir les loups, bien sûr. Ils ont bien failli m'avoir, mais ils ont peur du feu. Heureusement j'avais caché mon âne à l'intérieur de la grotte sinon, il serait mort. J'allumais de grandes flambées tout le long de l'entrée, et ils nous laissaient tranquilles. Je devais veiller à ce que ça ne s'éteigne pas. Tu sais, j'étais ailleurs, je n'étais même pas moi. J'ai pansé mes plaies, comme l'aurait fait un animal sauvage, et puis... On m'a retrouvé. Et me voici.

Décousu et s'attardant sur des détails sans importance, tel fut son discours. Si seulement il voulait bien adoucir son regard sévère... Fleur avait l'impression que chaque parcelle de son corps la brûlait. Elle n'aspirait qu'à se blottir contre lui. A goûter à la saveur de ses lèvres.
Elle fit un nouveau pas en avant. Et trouva la force de tendre le bras pour glisser dans la main d'Adryan sa main à elle.


S'il te plait. Je te demande pardon, Adryan.
--Adryan
« Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais s’il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. »

Alfred de Musset, extrait de On ne badine pas avec l’amour




« Ces nuits en votre compagnie resteront précieusement à ma mémoire, très chère, mais la prochaine fois, de grâce, promettez moi quelques heures pour dormir confortablement… »


L’effort du Castillon pour ne pas rugir et attraper cet homme par le col pour le clouer au mur d’une poigne mauvaise fut à ce point pénible qu’il serra les poings à s’en blêmir les jointures. Oh non, ce ne fut pas le sous entendu égrillard qui aiguisa sa colère, le Comptable était bien trop discret sur ses coucheries pour en faire étalage. Là avait été sa maladresse. Rien, jamais, sans même prendre la peine de lui demander le secret ne filtrait de ces lèvres trop joliment ourlées, et Adryan à défaut d’y voir une noblesse d’âme, le supputait bien trop conscient du pouvoir sur les autres que lui conférait une confession. Non, le coup de griffe infligé était bien plus sournois, affichant la volonté pleine et entière d’agacer, de titiller jusqu’au limites permises de la patience. Etrange façon qu’il avait de prendre soin de la Pâquerette que de jeter en pâture entre les pattes de l’Eniveur une éventuelle raison supplémentaire de lui en vouloir. Pourquoi chercher à le courroucer davantage, le rejeter encore plus profondément dans sa glace s’il ne voulait que le bien de la Fée quand tout au contraire il ne faisait que la mettre davantage en danger ?

Pourtant, paradoxe, il visa juste, réveillant au creux du ventre noble ce besoin viscéral de protéger l’Ortie. Le visage fermé, les yeux perdus sur le mur face à lui, le regardant sans pourtant le voir, le Castillon sentit la nausée l’envahir alors que la porte se referma dans le dos d’Alphonse, exaspérant de nonchalance. Lui qui n’avait qu’une envie, se retirer derrière son bar et s’enfoncer au plus profond de lui même pour retrouver son calme et réfléchir à la situation, se retrouvait coincé avec Fleur. Idiot qu’il se sentait à cet instant d’avoir laisser un choix au lieu de claquer la porte sans un mot de plus.

Le Lutin sautilla vers lui, de cette démarche légère et souple dont il se refusa pourtant le plaisir. Et elle commença à parler, d’abord hésitante quand le gris de son regard refusait inébranlablement de se poser sur elle. Mauvaise tête ou besoin inextricable de calmer son sang furieux avant de réussir à l’entendre ? Quelle importance quand au fil du récit, ses yeux virent finalement cueillir les prunelles délicates. Un deuil. Voilà donc ce qui avait poussé les pas de Fleur à fuir loin de lui, le laissant stupidement les bras pleins de cet attachement soudain inutile. Le besoin d’isolement, lui le premier pouvait le comprendre, pourtant il ne pouvait concevoir s’exiler sans le moindre avertissement, épargnant ainsi les tourments de l’angoisse. Des deuils douloureux, des faiblesses, la vie de l’Ortie en serait parsemée. Fuirait-elle ainsi à chaque fois, abandonnant sans hésitation ceux qui l’aimaient dans l’incompréhension la plus profonde ? Le doute fut à cet instant si profond entre les tempes castillonnes qu’il voulu tout lui reprendre. Son amitié. Sa confiance. Ses bras. Ses attentions. Jusqu'à son sourire. Tant avare de sentiments qu’il refusait de laisser ceux qu’il accordait être piétinés, tout aussi grand que le malheur de l’autre puisse être. Egoïste, méticuleux à se protéger. Et il se reprocha de s’être lié si fébrilement à cette petite silhouette verte. Trop impulsif. Trop imprudent.

Pourtant, quand elle était là, devant lui, la mine implorante, il sut qu’il était incapable de rebrousser chemin, qu’il était trop tard pour reprendre la moindre de ses offrandes. Il soupira sous la capitulation, la froideur du regard vaincue par la main fine se nouant à la sienne. Elle était sa Fleur, sa Pâquerette, et rien, pas même cet abandon que les mots ne parvenaient pas à justifier, ne pourrait changer cet état de fait. Et il la tira contre lui, d’un geste emporté et irraisonné pour la serrer dans ses bras, longuement, silencieusement, enfouissant son nez dans sa chevelure pour mieux retrouver son odeur de gamine effrayée par les loups.


Seule ? Finit-il enfin à articuler tendrement à mi voix. Petite sotte, tu n’es qu’aveugle.
Fleur_des_pois
    Quand on a que l'amour
    Pour unique raison
    Pour unique chanson
    Et unique secours


La relativité. La relativité brouillait si biens les sens que parfois, l'on pouvait confondre une minute et une heure. Combien de temps la Fée resta-t-elle plantée là ? La main dans celle d'Adryan, à attendre ce qui lui semblât être une vie entière, qu'il daigne faire quelque chose.
Mais finalement, après un temps mué en élastique qui se jouait d'elle en s'allongeant indéfiniment, le Castillon la prit dans ses bras. Pas un instant alors, l'Ortie n'hésita. Elle répondit à cette étreinte en se blottissant contre lui, enserrant de ses bras le buste du jeune homme. Les yeux clos pour empêcher la moindre larme de s'échapper de ses yeux, Gaia respirait fébrilement, par saccades, pendant qu'au creux de sa poitrine, son cœur s'obstinait à vouloir briser les remparts des côtes.

Tout ce qu'elle avait pu fuir deux mois plus tôt s'envolaient loin d'elle. La peine ressentie lors de l'annonce de la mort de son amie. La violence des coups reçus par les viles armes de ses brigands. L'horreur de la main tranchée d'Umbra. Et ce rappel, pernicieux, à chaque fois qu'elle se mouvait. La jeunesse se croyant éternelle, se brise d'autant plus violement lorsqu'on lui rappelle qu'elle se fourvoie. Cette nuit-là, entourée de malandrins, Fleur avait cru entrapercevoir l'ombre de la Faucheuse. Pourtant, elle avait gardé la tête haute, à son grand étonnement. Son heure ne pouvait pas être venue, la Fée s'était battue comme elle avait pu, jusqu'à en briser son gourdin. Non, malgré la peine qu'elle portait en son sein, il était hors de question qu'elle rejoigne la petite rousse qui était devenue la sœur qu'elle aurait voulu avoir.
L'indifférence de Tynop avait achevé de la briser. Et alors qu'elle s'imaginait guérie, le spectacle de la main morte de sa cousine et son incapacité à la soigner avait terminé le travail. Fleur-des-Pois n'était plus, puisqu'elle ne parvenait pas à soigner une plaie infectée. La fierté d'être surdouée avec ses fioles s'était effritée. N'était-ce pas pire que la mort, que de se sentir inutile ?

Mais tout cela, l'Ortie le garderait pour elle. Jamais personne ne devait savoir à quel point elle avait été près de se laisser dévorer par ses peurs. La mort. L'incapacité. Les deux craintes de sa vie, elle qui vendait le trépas au cœur de fioles colorées, et qui savait manier les plantes avec brio. Illogique et insensée, voilà ce qu'elle était. Si elle avait eu un peu plus de discernement, ç'aurait été ici qu'elle aurait dû se précipiter. Exactement là où elle était en cet instant. Contre Adryan.


Aveugle, je l'étais. Je crois que je commence à voir clair. Je ne t'abandonnerai plus jamais, Adryan. Et si un jour je ressens le besoin de m'enfuir, c'est ici que je viendrai, ici, avec toi. J'en fais le serment.

Relevant le nez, les yeux brillants, la Fée se haussa sur la pointe des pieds. Sa main quitta le dos du Castillon pour trouver refuge contre sa joue, effleurant du bout des doigts le visage qui lui avait tant manqué, au fin fond des bois. Se dressant jusqu'à la limite autorisée par ses orteils, Gaia déposa ses lèvres sur celles du barman. Avec délicatesse, tendresse, légèreté. Comme une fée se posant sur un pétale de rose.



Jacques Brel - Quand on a que l'amour
--Adryan
La promesse résonna, pleine, entière entre les murs du bureau, brisant les dernières réticences du Castillon. Et aux lèvres qui se posèrent délicatement aux siennes, il perdit son souffle dans un baiser lent et fervent, brulant et paradoxalement emprunt d’une sérénité neuve, chaste malgré sa langue s’enlaçant voluptueusement à celle de l’Ortie qui ne lui avait jamais parue aussi douce qu’à cet instant.

Les explications qu’elle lui avait données ne l’auraient pas convaincu de s’adoucir si cette petite main n’était venue chercher la sienne, si ce regard alarmé de le perdre n’avait fendu son âme jusqu’au tréfonds, le laissant incapable de lui faire le moindre mal. Mais les mots qu’il avait espéré entendre, elle venait enfin de les prononcer, lui offrant enfin ce qu’il désirait le plus, au-delà de ce corps souple et chaud entre ses main, au delà de cette bouche rose au dessin parfait. Elle lui offrait sa confiance, sans compromis, sans peur, sans plus d’hésitations, et les tempes castillonnes battaient d’un feu insoupçonné, mélange de douceur, d’attachement irrémédiable, de soif de protéger.

Sa bouche à regret se dénouant de celle de la Fée, son regard suivant les lignes fines de son visage dans un sourire fin et repu, il noua ses doigts à la soie de sa chevelure, amusé en butant sur les brindilles qui s’y trouvaient encore accrochées.
Il me faut retrouver mon bar, avoua t-il dépité de devoir s’arracher à ses bras à peine retrouvés. Repose-toi. Et posant un baiser sur la main fine recula sans se retourner jusqu’à la porte, puis doucement moqueur ajouta avant de passer la porte, il doit bien y trainer là un peigne oublié par une cliente son sourire s’étira davantage avant qu’il ne disparaisse dans le couloir si tu en as besoin...
Fleur_des_pois
Adryan l'embrassait et plus rien d'autre n'avait d'importance. La Fée y répondit avec une fougue à la limite de la sauvagerie. Comme si sa vie entière dépendait de ce baiser. Peut-être était-ce le cas, pour ce qu'elle en savait. Et comment, songea-t-elle alors qu'ils se séparaient, avait-elle pu penser à le quitter un jour ? Sottise, la première pour laquelle elle éprouva du regret.
Ce qui les liait, Gaia n'osait y appliquer un nom. Il lui semblait que quoi que ce fut, cela ne pouvait guère se résumer à un mot. C'était autre chose, de plus grand, de plus fort, de plus enivrant. Ce n'était pas une flamme, c'était un brasier. Les forges de l'enfer ne devaient pas posséder de feu plus brûlant.

Cependant, Adryan devait repartir. Un pâle sourire étira les lèvres de Fleur à cette annonce. Sourire qui se para ensuite des atours de l'amusement. Elle passa une main dans sa chevelure emmêlée, ses ongles s'accrochant aux brindilles restantes. Dépitée, elle l'était, lorsqu'elle songeait à la brillance et à la douceur possédées autrefois. Mais rien n'était irréversible. L'Ortie savait comment s'y prendre.


C'est plus qu'un coup de peigne, c'est un bain, qu'il me faut, répondit-elle alors que déjà il se dérobait à sa vue.

Soupirant, Gaia observa un instant les lieux désertés. La bouteille trônait là, toujours. Sa main s'en empara d'un geste avide. De ceci aussi, elle avait oublié la saveur, mais était bien déterminée à s'en souvenir rapidement.
Quittant le bureau sur la pointe des pieds, le Lutin gagna ses quartiers, soulagée et heureuse, toute prête à se baigner pour chasser définitivement les dernières traces de ce passé peu glorieux dont elle ne parlerait plus.
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