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[RP] Fais la somme de toi et moi…

Axelle
... Et donne-moi le résultat*

Si je reprends tout depuis le début
Pour résoudre le problème
De cette équation à 2 inconnus
Suffit de savoir que c’est pas une lubie
Si j'ajoute à ça que le point G
Se trouve à l'intersection
De 2 corps en position allongée
Tu auras la solution*



Les journées s’allongeaient et la Gitane s’en réjouissait, promesse d’un printemps proche, annonciateur des canicules estivales que la Camarguaise aimait tant, même si la froidure s’entêtait, brume venteuse dans les ruelles de la capitale. Mais surtout, les journées plus longues lui épargnaient de jouer avec acharnement à cache-cache avec la nuit, ennemie invisible s’il en était. Mais en cette fin d’après midi, la course du soleil la laissait indifférente malgré l’habitude vite apprivoisée d’en épier chaque déclin pour se réfugier à la lueur des chandelles parsemant sa chambrée de la maison basse.


Si dans les premiers temps de sa grossesse, Axelle avait boudé l’attention d’Alphonse et se rendait peu dans la chambre simple mais élégante, les jours passants, elle avait fini par délaisser son auberge pour y passer le plus clair de ses nuits, jusqu’à enfin, se laisser adopter par l’édredon moelleux et les effluves des première fleurs lézardant de leurs couleurs vives l’argenté du givre.


Les jours avaient passés, tendres, insouciants, bercés uniquement par ce ventre qui s’arrondissant, avait chassé loin d’elle toutes ses peurs, ses angoisses et ses doutes. Les pleurs n’étaient que larmes de crocodiles, les faims que de fruits, les soifs que de lait, et les envies les plus poignantes, assouvies sous les doigts du Chat et à ses babines délicieusement rêveuses. Pour quelques mois, le monde n’avait tourné que dans son ventre et dans les yeux d’Alphonse. Mais depuis l’aube, le calme était perturbé, et c’était elle qui tournait inlassablement en rond. Elle s’agitait de mouvements inutiles, voleurs de son souffle, mais qu’elle ne pouvait calmer. A l’abri de la porte de son atelier soigneusement verrouillée à tous clients, elle avait rangé ses toiles. Elle avait rangé ses pigments. Elle s’était escrimée à nettoyer une tache d’encre incrustée depuis des lustres, paumée au milieu d’une nuée d’autres, sur sa table à dessin. Elle avait brassé l’air jusqu’à se rendre à l’évidence qu’elle n’avait plus rien à déplacer pour replacer exactement au même emplacement, et ses pas, enfin, l’avaient conduite vers sa chambre où, malgré une fatigue déjà présente, elle n’avait pu se résoudre à s’allonger ou à feuilleter tranquillement l’épais livre recelant tous les trésors méditerranéens.

Le Flamand, au fait de ses habitudes pour les partager avec dévotion depuis qu’ils avaient un ventre en commun, n’avait pas tardé à la rejoindre. Les heures s’écoulaient habituellement en caresses délicates pour se perdre dans la fièvre la plus débridée, Amants impénitents qu’ils étaient et qu’un ventre rond ne suffisait pas à assagir, ou en jeu de cartes où la gitane se dévoilait tricheuse enfantine sous le regard du Chat faisait le plus souvent mine de ne s’apercevoir de rien quand son sourire pourtant trahissait son amusement. Chose plus improbable, ils avaient parlé aussi, longuement, lui de son père, de son éducation moulée et de ce lien qui à l'ombre la de la mort le liait à l’Aphrodite. Elle avait dit, elle, ses enfants délaissés et son mariage, sans plus laisser de place aux sous entendus. Les confidences avaient pris la teinte d’un préparatif essentiel à l’arrivée du Fruit tendrement couvé.

Mais ce jour là, Axelle était incapable de se blottir tout contre son Amant, de savourer son souffle chaud sur la ligne de son épaule négligemment dépenaillée, mais marchait, encore et encore, tournant en rond, répondant à peine aux paroles flamandes. Et quand elle risquait une phrase, c’était avec retard, ou complètement à coté du sujet. Elle tournait, et soudain se figeait, cherchant à calmer en catimini sa respiration qui s’étouffait, se voutant avant de se redresser et de marcher encore, pantin dont le mécanisme semblait avoir été remonté avec trop de force. La pantomime n’était certainement pas discrète, mais la gitane s’y accrochait quand pourtant, elle savait pertinemment que cette fuite là était inutile et que les événements courraient bien plus vite qu’elle. Mais résistante encore, elle s’évertuait à taire le cataclysme qui s’annonçait. Taire jusqu’à ce que la tenaille enferrant son ventre et son dos dans une cadence scandée avec une régularité intransigeante et inflexible ne se révolte et gronde au point que sa main en s’abattant sur le bois rêche de la table n’éparpille un vase en mille éclats sur le plancher. Satisfaite de s’être enfin fait entendre à sa juste valeur, la tenaille se desserra lentement jusqu'à s’effacer, laissant pourtant dans le souffle gitan la promesse d’un retour implacable.

Le répit était court, et Axelle le savait, aussi, le temps devenait son plus précieux allié. Tournant le dos à Alphonse, la voix posée quand pourtant une peur bleue enflait en elle, elle articula en ouvrant un petit coffret.

Alphonse, si tu veux partir, c’est maintenant. Oh non, elle ne voulait le voir partir, malgré cette coutume qui interdisait qu’il soit à ses cotés. Au diable les coutumes, elle avait besoin de lui plus que jamais, trop gavée de solitude qu’elle avait été par le passé. Pourtant, dans un élan ultime, elle voulait encore lui laisser le choix, avant que plus aucun demi-tour ne soit possible sans la poignarder définitivement.



* Zazie - La preuve par trois (légèrement modifié pour les besoins du rp)
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Alphonse_tabouret
Feuilletant avec une nonchalance coutumière les feuillets remplis d’esquisses des carnets de croquis qu’elle avait ramené avec elle à la Maison Basse, le chat les regardait tous et aucun à la fois, et si l’œil était dirigé vers les couleurs disséminées au vélin, l’attention elle, se portait sur la silhouette mouvante d’Axelle qui depuis son arrivée n’avait eu de cesse de flâner le long d’un fil aux vibrations dissonantes. Il avait d’abord essayé de la contenir dans ses bras mais l’échec avait été de taille, et, agitée, elle avait fui le havre douillet du lit avant d’arpenter de manière mystérieuse la chambre dans laquelle elle était installée. Aux quelques questions qu’il avait lancé, elle avait répondu distraitement, sommairement et un sourire amusé avait fini par former un pli sur le museau du chat quand le jeu qu’il orchestrait à son insu avait atteint les sommets de l’absurde sans même qu’elle s’en rende compte.

Combien de bleus as-tu utilisé pour peindre ce soleil ?, avait-il demandé en jetant un coup d’œil à sa silhouette ronde, coquelicot n’ayant jamais aussi bien porté son nom que dans cet éclosion proche.
Oui, avait-elle répondu du bout des lèvres toute occupée à rien, amenant le félin à laisser échapper un de ces rires silencieux qui illuminait son visage à défaut de sa gorge.

Il ne vit pas le vase osciller mais en l’entendant éclater au sol, il se redressa du lit sur lequel il l’attendait, étonné d’une telle maladresse, homme égoïste si loin des préoccupations des femmes dont la douleur agissait à la manière d’un indicateur.


Alphonse, si tu veux partir, c’est maintenant

Homo sapiens, animal inepte que sa superbe évolution ne mettait pourtant pas à l’abri de l’imbécilité propre à son règne, le jeune homme fronça un sourcil pour accompagner la perplexité ondulant à ses prunelles et tandis qu’il ouvrait la bouche pour s’étonner de la proposition, il vit la main crispée sur le coffret, saisit l’ampleur de la pose dans laquelle s’était réfugiée Axelle et comprit. Il avait pourtant eu le temps d’imaginer ce moment-là, et s’était rassuré au souvenir de la naissance de Morvan en se rappelant des gestes qui avaient amené l’enfant de la Mégère à voir le jour mais étrangement à cet instant ci, il ne savait plus rien, et ce fut l’angoisse sourde du père en devenir, impuissant face à l’évènement qui le submergea complétement, faisant taire le fauve pour ne laisser dans la chambre qu’un chaton pétrifié de nervosité.
Il avait cru longtemps avoir mené les batailles les plus élémentaires contre lui-même et les autres, transi au contact de ses fortifications et se força à remuer toute la fange qui sommeillait en lui pour réussir à retrouver, in extremis, une volute à laquelle se rattraper, un fil à remonter, à suivre, pour percevoir la consistance qui lui avait fait à ce point faux bond. Il savait les faiblesses, l’inquiétude, les tourments qui entouraient ce ventre et que le cocon tissé entre eux avait un temps noyé pour mieux les laisser ressurgir à l’aube de cette nouvelle vie. Elève appliqué, homme aux chaines si profondément attachées à lui qu’il avait appris à vivre avec sans concevoir de s’en défaire, il imposa le gel au bouillonnement de ses idées, et parvint enfin à articuler en se levant.

Partir pour où ?, demanda-t-il doucement en s’approchant dans son dos, venant cueillir sa nuque de la paume de sa main, caresse légère, à peine perceptible, conscient des frimas que délayait la souffrance malgré les attentions. Ne vaut il pas mieux que je reste? Telle que je te connais, tu serais capable une fois le travail achevé, de te lever pour finir une commande, la taquina-t-il tendrement en faisant pivoter sa nuque de manière à saisir son regard, y découvrant les remous de l’inquiétude jusqu’aux tréfonds de l’opacité étincelante de ses yeux noirs. Il amena un sourire à ses lèvres, volontaire, sincère quand il était pourtant bravade pure au gouffre qui les menaçait. Couche-toi, veux-tu ? Je vais aller chercher de l’aide…

Et un whisky, songea-t-il en se demandant l’espace d’un instant s’il devait aussi en ramener un à la danseuse .

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Axelle
Le coffret s’ouvrit sous ses doigts sans le moindre grincement - contrairement à ses dents trop serrées - pour agripper son regard troublé sur la seule attention prévue pour l’arrivée de l’enfant. Là, sur un velours noir, respirait tranquillement le rouge d’un petit ruban délicat de satin. Tout en attendant, sereine par habitude du couperet, la décision d’Alphonse à cette mise au pied du mur, la gitane s’en saisit, le lissant tendrement dans la paume de sa main. Après un temps qui semblait se jouer d’elle de volutes élastiques, la voix du Chat s’éleva dans son dos, sans que le rouge hypnotique, telle une promesse, n’autorise son regard à cueillir la vérité dans les prunelles jumelles.

« Partir pour où ? »

Etait-il maladroit ou terriblement habile ?
Aurait-elle voulu qu’il l’enlace jusqu’à l’étouffer en lui jurant que jamais il ne s’éloignerait d’elle plus loin qu'un jet de sarbacane* ? Aurait-elle voulu sa voix étranglée d’une angoisse partagée pour alimenter la sienne d’une unicité vibrante mais néfaste au point de faire éclater une crainte sourde où ils n’auraient pu que s’enliser stupidement en cœur ? Ou le préférait-elle, tel qu’il semblait avoir prit le parti de se montrer, posé, apaisant, plein de sang froid aux portes du chamboulement ? La Bestiole, si tant était qu’elle eut été capable d’autre chose que de compter les secondes avant le prochain assaut de la tenaille, n’aurait pu y répondre. Elle avait été mère, par deux fois déjà, et pourtant, devant cette situation inédite d’un futur père présent, se trouvait tout aussi confondue d’ignorance que lui.


De la première fois où elle avait donné le jour, elle ne se souvenait de rien. Ni des douleurs, ni des ressentis. C’était presque mère adoptive qu’elle s’était éveillée, posant un regard stupéfait sur la grande carcasse blonde de Sergueï recroquevillée contre un mur de sa masure. Elle revoyait son sourire tendre et soulagé quand, malgré ses invectives injustes, il s’était approché d’elle, lui expliquant de sa voix doucement chantante d’accents salves que la petite chose blottie contre son sein était son enfant, à elle. Sergueï. Malgré les sentiers divers de leurs vies respectives, le Lion restait ancré dans le cœur à vif de la Gitane. Quand elle s’acharnait, bornée, à se souvenir de l’abandon pourtant si justifié, lui, généreux, protecteur, lui avait sauvé la vie. Par deux fois. Ange gardien.

La deuxième délivrance, la mise à bas de l’enfant monstre d’être inconnu, n’avait été qu’une valse de cornettes dépouillée de mains à étreindre, de chaleur, ou de paroles, même futiles, où se réfugier. Tout n’avait que dégueulé de solitude écorchée et décortiquée, rien n’avait eu de poids hors de son propre abandon, à elle, indigne devant ce nourrisson qui pourtant la réclamait de ses cris menus mais si entêtants.


Mais Lui, l’Autre, la Moitié, jamais n’avait été là.


Alors, Alphonse, là, demandant où il pourrait aller, avait un gout neuf de découverte, et finalement, quelques soient les mots qu’il choisirait, tous seraient confortables comparés à l’absence.

« Ne vaut il pas mieux que je reste? Telle que je te connais, tu serais capable une fois le travail achevé, de te lever pour finir une commande »


Roulant la tête sous la caresse timide à sa nuque, le sens des mots félins lui échappait comme tout lui échappait depuis quelques heures, même si furtivement elle ressentait une taquinerie toute modelée pour soulager l’angoisse. Ses amandes se plongèrent sans concession dans les prunelles noires du Chat, sans pourtant que la Gitane ne puisse rien y déchiffrer. Masqué, indubitablement, Alphonse ne laissait rien paraitre des émotions qui pouvaient bien l’assaillir, à tel point qu’elle douta, un infime instant, qu’il puisse réellement ressentir quelque chose tant forgé qu’il était depuis l’enfance à s’enferrer dans ses propres remparts.


« Couche-toi, veux-tu ? Je vais aller chercher de l’aide… »

NON !

Toutes les questions secondaires, les errements idiots dans les flots de ses incertitudes à comprendre cet homme face à elle qui, malgré leurs liens de plus en plus enchevêtrés dans le cocon qu’ils tissaient soigneusement, lui demeurait parfois aussi étranger, fuyant et impénétrable que lorsqu’il avait passé le seuil de son atelier bourguignon, disparurent.
Qu’importait tout cela, quand devant ses yeux flottait le spectre d’un mot oublié sur le chevet d’une chambrée dijonnaise qui l’avait fait sourire avant que son visage ne se fige dans l’horreur la plus infâme et découvrant sous ses doigts le cuir enflé de feuilles séchées d’une blague à tabac.

Non… Sa voix était presque suppliante, comme si entre ses tempes, une voix hurlait que tout allait recommencer, que sous un prétexte fallacieux, Alphonse disparaitrait sans ne plus jamais revenir, s’évaporant comme une volute de fumée la laissant consumée d’injustice, de colère et de solitude malgré son sourire auquel elle se raccrochait désespérément. Mais rien n’était fait pour durer dans cet enchevêtrement de souvenirs relégués par l’euphorie d’un possible neuf pour mieux lui ressauter à la figure à l’aube de la délivrance. Et contre toute attente, c’était la douleur bien réelle de son ventre qui la maintenait en équilibre sur le fil de la réalité avec une fermeté salvatrice, chassant le chimérique à grands coups de fer récidivant l’assaut à ses flancs. Incapable de ne pas obéir aux ordres impératifs de son corps, laissant son esprit inutile aux rebuts, elle se vouta encore pour mieux inspirer jusqu’à l’accalmie. Et quand elle rouvrit les yeux, elle se trouva si stupéfaite de voir Alphonse encore devant elle, qu’injuste dans les tourments féminins, elle rugit contradictoire.

Mais qu’fais tu encore là à trainer ! T’vois pas qu’ça devient pressé là ? Et non, j’m’coucherai pas ! J’vais pas en plus m’lacérer les pieds sur c’fichu vase branlant qu’à rien trouvé d’mieux à faire que d'se casser la figure ! Soudain consciente que cette saute d’humeur n’avait pas lieu de s’acharner contre le Flamand, bien qu’il soit la cause évidente de ses tourments à savoir si bien l’enchainer à son plaisir, son regard s’attendrit jusqu’à éteindre la lave inconvenante. Attends… souffla t-elle en découvrant le petit ruban niché au fond de sa paume. Avant, prends ça, s’il te plait, et promets moi, quoiqu’il se passe, d’le nouer au poignet de… ses yeux papillonnèrent un moment quand pour la première fois, tout devenait palpable… ...quand y sera là.



* Sarbacane-Francis Cabrel

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Alphonse_tabouret
Le cri le surprit tant par sa violence que par le désespoir qui y perlait, figeant l’animal dans le dos de la danseuse, ne la contournant qu’à la nouvelle salve qui fit trembler son corps , rappelant que l’on était rien face à la Vie et ses tourments, que la douleur au fond, fil rouge ou sensation dans laquelle s’engouffrer pour se rappeler être envie, faisait bien pâle figure face aux souvenirs et aux poids dont ils entravaient les âmes esseulées.
Et s’il avait voulu faire bonne figure, l’invective qui suivit le laissa pantois, sonné par sa soudaineté et sa virulence


Mais qu’fais tu encore là à trainer ! T’vois pas qu’ça devient pressé là ?
Il le voyait, le savait, mais n’était-ce pas elle qui l’avait retenu ? Les mots restèrent à sa gorge quand ses yeux arrondis d’une surprise qu’il n’avait pas eu le temps de maquiller sous les plis du costume choisi se posaient sur les débris de vase qu’elle lui montrait.
Et non, j’m’coucherai pas ! J’vais pas en plus m’lacérer les pieds sur c’fichu vase branlant qu’à rien trouvé d’mieux à faire que d'se casser la figure !
Des femmes et de leurs cris, il ne connaissait rien, amant volage qui avait toujours choisi de s’envoler du nid sans même avoir eu le temps d’y laisser son odeur, mais immobile, statufié par les mots sans queue ni tête qui échappaient à la peintre, il se contenta de la tétanie, sentant que ce n’était en aucun cas le moment d’apposer la logique à la conversation aussi décousue soit elle et s’autorisa uniquement un coup d’œil désorienté vers le lit qu’il avait quitté quelques instants auparavant et qui n’attendait qu’Axelle.
Attends Le ruban se retrouva dans sa main, filin écarlate qui caressa l’intérieur de sa main tandis qu’elle poursuivait, plus calmement, peut être vaincue par une nouvelle contraction à venir ou tout simplement aux portes d’un enfer personnel dont il appréhendait les contours en sachant qu’il ne pourrait jamais en mesurer le gouffre véritable. Avant, prends ça, s’il te plait, et promets-moi, quoiqu’il se passe, d’le nouer au poignet de...quand y sera là.

La réalité le foudroya avec une précision diabolique, zébrant jusqu’à l’intérieur des fortifications édifiées au fil du temps, projetant un instant l’ombre planante de la mort sur l’alcôve dans laquelle ils s’étaient réfugiés en attendant cette délivrance et balaya les mois passés à s’amouracher de ce ventre par une vérité qu’on ne pouvait nier. Tout cela pouvait finir dans le désastre le plus total et un instant au creux de la balance, le chat se retrouva plongé dans le marasme des possibles les plus lancinants. Choisir d’être fort quand on ne l’était pas, voilà un habit que le fauve n’avait encore jamais essayé, ni dans sa fugue, ni dans son deuil, ni dans l’esclavage qu’il avait choisi, porté par ses seules certitudes et affaibli à cet instant ci de n’en avoir aucune à laquelle se raccrocher, menteur pour la première fois dans l’assurance qu’il emprunta à la sécheresse de son imagination. La senestre cueillit le visage et il vint plaquer aux lèvres chaudes les siennes, fraiches, pour y chuchoter dans un sourire :

Ce serait fait, Ballerina , promit il en retrouvant un instant dans l’unicité du surnom les aspérités de sa langue natale, serrant brièvement le ruban dans sa dextre avant de faire un pas vers la porte. Casse ce que tu veux en m’attendant mais ne commence pas avant que je revienne… Tentative dérisoire d’amener une expression nouvelle à ce visage angoissé, d’illuminer de colère ou d'un sourire les traits de son Amante, qu’importe tant que cela en chassait la tristesse.
Laissant derrière lui une porte ouverte et une mère en devenir, le comptable s’aventura dans le couloir de la maison basse en tachant de rassembler des ordres pourtant cent fois préparés et alors qu’il s’apprêtait à franchir le seuil de la cuisine pour y quémander l’urgence des linges et de l’eau, n’évita Sybil que d’une pirouette née de ses réflexes les plus élémentaires. Hébété par ce contretemps, il avisa la catin une seconde avant de la saisir par le bras.
De l’aide, demanda-t-il simplement, une pointe d’urgence dans la voix contrastant avec le flegme habituel de son métier. Axelle a besoin d’aide, répéta-t-il plus clairement quand les regards des employés de la cuisine se posaient sur eux, parfaitement conscients de l’état de la danseuse et de l’ imminence de sa délivrance, l’une des matrones rompant le bref silence instauré d’un ordre sec qui mit le reste des soubrettes en marche, empilant prestement le matériel dont ils allaient avoir besoin quand l'une d'elle filait chercher la sage femme.
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Axelle
Le baiser félin à sa bouche fiévreuse avait le gout sucré et désaltérant de la pêche, câlinant tel un baume délicieux l’assurance mensongère d’Alphonse. Ce mensonge, elle le réclamait dans un silence qui hurlait, pointe de normalité à laquelle s’accrocher quand l’un et l’autre savaient pourtant pertinemment n’être plus maîtres de rien. Au téméraire défi visant à la distraire, les lèvres gitanes s’arquèrent, non pas d’un de ces sourires où l’amusement pétille jusqu’au coin des yeux, mais bercé d’une complicité écorchée ondoyant avec tendresse au chardon de ses prunelles. Sourire raisonnant d’un Merci poignant lancé au vent de ses pas s’éloignant d’être à ce point attentif. Remerciement muet sur sa discrétion à ne rien demander sur la superstition ridicule qui rougeoyait dans la paume douce du Chat, clamant des croyances gitanes imbéciles desquelles, si elle ne pouvait s’extraire, elle ne pouvait pas davantage en expliquer le sens sans se morfondre de honte. Comment avouer que cela protégerait l’enfant tout juste né des esprits maléfiques ? Ecoutant les pas d’Alphonse s’éteindre dans le couloir, elle qui n’aspirait encore quelques instants auparavant qu’à la présence de son Amant, fut curieusement soulagée alors que ses cuisses se trempaient d’une onde chaude et douce. Solitude pudique pour les derniers préparatifs.

D’une main pleine dont chaque geste était soigneusement calculé pour s’épargner le superflu, elle saisit le broc d’eau pour emplir la cuvette de faïence, s’immobilisant de longues secondes sans plus dissimuler le froissement de ses paupières accablées d’une douleur ne la quittant qu’essoufflée, et se dévêtit. Là, nue, un ultime regard lancé au reflet ce corps encore gardien de l’invisible, elle se lava méticuleusement, reniant exceptionnellement ses habitudes brutales. Usant de sa robe abandonnée comme pansement pour écarter les éclats du vase du bout de son pied nu, le lin frais et immaculé d’une chemise propre roula doucement sur sa peau brune, respectueux des rondeurs en passe de s’évanouir.


Calme, pleine d’une sérénité neuve quand courir n’avait plus de sens, elle s’assit sur le lit, les pieds posés sagement l’un contre l’autre comme une enfant bien élevée qui attend qu’on vienne la chercher, serrant entre ses mains, non pas une poupée, mais la petite statuette d’une vierge de bois brut.

Ave Maria, sa voix résonna douce, presque désengluée de son voile familier, Pardonne-moi si devant toi je me tiens debout. Moi qui ne sais pas me mettre à genoux. Ave Maria. Écoute-moi. Ave Maria. Protège-moi*. La tête relevée vers un plafond s’effaçant sous son regard limpide pour se peindre des volutes d’un ciel de Camargue, le temps de la vérité était venu, dénudé de toute fierté face à la Sainte. J’sais, Sarah, j’sais qu’suis pas digne d’un gamin quand dans mon sillage, deux sont perdus. J’sais, J’sais Sarah, qu’j’rejette la faute sur d’autres épaules qu’les miennes cause qu’c’est plus facile comme ça. J’sais qu’aurai pu m’battre, ou simplement essayer, mais qu’j’l’ai pas fait, cause qu’c’était plus facile d’filer et d’dire qu’c’est pas d’ma faute. Qu’j’avais pas l’choix. P’têt qu’si j’avais été forte, j’les aurais pas perdu. J’suis trouillarde quand on m’croit forte. Mais, Sarah, j’t’en supplie, lui fait pas payer, ça, à lui. L’est innocent. Protège le, protège moi, qu’lui, j’l'abandonne pas aussi. J’veux pas. J'veux plus. Sarah, j’t’promets, s’tu m’laisses cette chance, j’l’aimerai. J’l’aimerai pour trois.

Peut-être aurait-elle poursuivit sa litanie si une nuée bourdonnante n’avait envahie sa chambre sans crier gare, apportant linges, bassines d’eau, et autres pichets, la laissant abasourdie de l’agitation soudaine, figée là, assise sur son lit, sous les regards furtivement curieux des soubrettes quand le sien, affolé, cherchait Alphonse dans la cohue. Tout semblait se dérober à sa volonté quand une femme à la voix sévère lui ordonnait sèchement de allonger, sans qu’elle ne puisse rien faire d’autre que d’obéir tant le simple fait de glisser la statuette sous son oreiller prenait déjà des allures de mutinerie. Grande, maigre, les joues pincées et la bouche trop fine pour être souriante, la femme, remonta le lin sans précaution, brisant la pudeur démunie de la gitane sans se présenter, fouillant, tâtant ses entrailles sans le moindre avertissement du crochet de ses doigts s’alliant douleur et mortification. Les doigts bruns eux, froissaient les draps et les amandes noires s’agitaient, jusqu’à ce qu’enfin, l’Inquisitrice s’éloigne en maugréant laissant la Gitane se tortiller comme elle pouvait pour cacher son intimité au mieux.

Quelqu’un derrière elle, pour la soutenir. Elle va en avoir besoin. L’enfant veut montrer ses fesses avant sa figure.

Voix rêche, exempte de toute manières délicates pour décrire des faits qui laissaient le vide vrombir dans le crane gitan, témoin impuissant de son propre sort.

* Extraits de Ave Maria Païen.
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--Sybil
Début d'une nuit ordinaire pour Sybil. Le Soleil se couche petit à petit, les rues de Paris s'éclairent des chandelles que les braves citoyens laissent à leurs fenêtres. Les écoliers se rincent le gosier d'hydromel dans quelque bouge mal-famé, et le tohu-bohu des marchands et des commères se calme sous les arcades du cimetière des Saints-Innocents, à l'ombre de la Danse Macabre. A l'Aphrodite, Sybil se prépare mollement pour la nuit. Propre comme un sou neuf, elle avait laissé ses cheveux épars dans son dos, et revêtue de son éternel chainse, elle décide que, plutôt que de s'habiller, elle devrait aller prendre un goûter en cuisine. Choix tout à fait stratégique, il ne s'agit pas de manger après s'être habillée pour la nuit, au risque de se retrouver tachée, avec une robe à changer, et une note exorbitante de lavandière à payer.

Descente en cuisine donc, où elle se sert généreusement une grosse tartine nappée de confiture de myrtille, sa préférée. Ça s'activait aux fourneaux, un client devait avoir commandé une sacrée java. Ceci fait, elle sort, en ayant enfourné une bonne grosse bouchée de pain, s'en délectant d'ailleurs avec une joie bruyante. Mais... Au moment où elle sort, voilà qu'elle fonce presque dans Alphonse, qui ne l'évite que par une pirouette miraculeuse. Saisie, comme une bécasse, elle sursaute et laisse tomber sa tartine, qui bien évidemment, retombe côté confiture sur la dalle froide, et ses pieds nus.

Même pas le temps de s'en plaindre dans une bruyante exclamation. Il lui saisit le bras, et avant même qu'il ne parle, elle peut lire dans ses yeux le vent de panique qui lui aère le cerveau. «De l'aide. Axelle a besoin d'aide.» Axelle ?


- Ch'est la groche ?

Bouchée avalée, elle réalise. Si la grosse a besoin d'aide, c'est qu'elle accouche. Un instant, les yeux de Sybil s'agrandissent comme des soucoupes. Un accouchement. Manquait plus que ça ! Mais elle se reprend. Ce ne sera pas son premier, le fait est que, quand on passe 17 ans de sa vie dans un seul et même bordel, des femmes enceintes... On finit toujours par en voir une ou deux. Voire plus. Le plus dur pour elle avait toujours été de savoir que les enfants seraient abandonnés sur le parvis de telle ou telle église. Elle aimait les bébés. D'ailleurs... Si elle n'avait pas été putain, elle aurait été ventrière. Ventrière que l'une des soubrettes partit chercher, d'ailleurs, cela lui éviterait de courir elle-même à l'autre bout de Paris.

Un sourire pour Alphonse, duquel elle saisit la main pour la serrer un instant dans la sienne.


- Allons ! Hauts les cœurs ! Ça va bien se passer.

Secouant son pied pour en faire partir la tartine, elle se retourne ensuite, pour aller se saisir d'une pile de torchons propres rassemblés par une cuisinière, qu'elle claque entre les mains du Chat, tandis qu'elle ajoute gaiment :

- Dix écus qu'il s'agit d'une fille !

Quant à elle, elle s'empare d'une cruche d'eau fraîche, celle qui servirait à rafraîchir le front et la nuque de la future mère. Les servantes apporteraient la tiède lorsqu'elle serait à température. Et de se tourner vers elle en annonçant :

- Mesdames... Vos nœuds !

Tout en tirant elle-même sur les cordons de son chainse, en ouvrant ainsi le col. Puis, vers Alphonse encore :

- Emmenez-nous !

L'entièreté de cette scène avait été jouée sur un ton joyeux et détendu. Prétendre était la plus grosse partie de son métier de catin, et par là, elle offrait à Alphonse des certitudes sur lesquelles il pourrait se reposer quelques instants, l'impression qu'elle maîtrisait la situation quand... Et bien, on verrait bien. D'ailleurs, sur le chemin, suivis ou précédés de la cohorte des femmes de cuisine, elle continue à babiller.

- Vous comptez rester ? Non parce que vous savez, des fois c'est pas joli-joli, je veux dire, surtout pour les narines, des fois il n'y a pas que le bébé qui sort !

Elle en rit même.

- Au fait, j'espère qu'elle n'a pas mangé de têtes de poissons. Déjà parce que le poisson de la Seine, euh... Et puis aussi, enfin il paraît, quand la femme mange des têtes de poisson, après, c'est le bébé qui en a une !

Et puis soudain, comme une inspiration, la question qui tue.

- Au fait... On connaît le père ?
Alphonse_tabouret
Des phrases qui s’égrenaient, le chat n’en percevait aucune, et hochait poliment la tête à tout ce qu’on lui disait sans rien en entendre que des sons, et se sentait à ce point démuni quand il avait réussi à se convaincre durant des semaines que l’accouchement de la mégère l’avait préparé à cette urgence, qu’il se retrouvait isolé dans les tourments de ses pensées.
Il avait abonné Chimera à moitié morte dans un champ, du sang en corolle jusqu’à herbe grasse dans laquelle elle avait mis bas sans le moindre scrupule, entièrement tourné vers Morvan qui portait si haut les couleurs de son existence qu’il en avait été aveuglé, et si la Kermorial et les secours n’étaient pas arrivés, qui sait ce qu’il resterait de la nymphe dévoyée à cet instant ci… Il secoua la tête, s’extirpant des mauvaises pensées où la douleur et la pâleur n’appartenaient plus à la rousse sorcière mais se superposaient, terrifiants, à la danseuse, et, linges dans les mains, ouvrit la marche avec l’assurance de celui qui ne sait pas où il va mais qui en connait le chemin, guidé par un corps qu’il ne contrôlait plus et qui, encore une fois, choisissait pour lui, de mener ses pas là où on l’attendait.
Dans la chambre, la première chose qu’il vit fut la flaque d’eau inondant le sol, témoin fatidique de l’imminence d’une réalité nouvelle, et sans avoir le temps de s’y appesantir une seconde de plus, fut absorbé par la cacophonie féminine qui emplit la pièce dans l’instant, rythmée par l’apparition de la sage-femme qui, s’extirpant enfin de la silhouette d’Axelle, révéla la gitane apeurée, défaite, à l’aube du massacre qu’elle redoutait et qu’il avait choisi de nier.

Quelqu’un derrière elle, pour la soutenir. Elle va en avoir besoin. L’enfant veut montrer ses fesses avant sa figure.
- Au fait... On connaît le père ?
C’est moi, répondit-il, saisissant enfin un sens aux paroles dont on l’abreuvait en lui demandant de se pousser, en le dépossédant des tissus amenés, en soupirs agacés sur sa silhouette inanimée qui se contentait de chercher fiévreusement les prunelles noires de sa maitresse, perdu comme elle dans ce tintamarre auquel il ne s’était pas attendu, ayant gardé en guise de bruit de fond l’air bruissant aux feuilles des forets bretonnes et la colère de Cholet crispée à sa main en guise de concert à cette intimité. Comme mû enfin par cette affirmation raffermissant ses pensées de cette fierté imbécile qui lui saisissait les nerfs dès qu’il évoquait sa paternité, il contourna les soubrettes en rejoignant le lit, trouvant enfin les amandes le cherchant et y opposant un sourire timide autant que soucieux impossible à cacher, témoin inutile dans ce monde féminin choisissant de s’assoir sur le bord de lit, épousant le dos de sa maitresse et l’y laissant s’y appuyer, la senestre venant prendre possession de l’arrondi de l’épaule, geste en guise de communication quand les réflexes taiseux reprenaient leurs habitudes mâles.

Un baiser s’égara à la tempe brulante, au soyeux des boucles qui y cavalaient, et crispa ses doigts à la chair brune dans une inspiration qui lui échappa, angoisse contenue dans les possibles qui se dessinaient dans la mauvaise nouvelle annoncée. Pouvait-on faire confiance au Très haut pour ce genre de tache ? Pouvait-on s’en remettre à d’autres quand c’était un Tout qui menaçait de naitre ou de se rompre ?
Ce fut finalement dans un souffle à peine audible que le jeune homme égrena une prière à l’oreille gitane, premier sacrifice accordée par sa voix rocailleuse lorsqu'elle était pliée à l’accent paternel, déversant les mots saints avec une piété qu’il n’aurait jamais soupçonné, adressée autant à ce Dieu qui l’avait jusque-là malmené, qu’à ce ventre dont les courbes avaient perdu la rondeur parfaite, bosselé par le divin monstre qui y siégeait, qu'il aimait déjà passionnément et qui s'offrait le loisir d' attarder un souffle à la frontière de l’horreur la plus impensable, de retenir un cri, un simple cri, pour bouleverser deux vies qui n’attendaient plus que lui.

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Axelle
Le tumulte. L’agitation. La gêne. L’angoisse même. D’une simple présence. D’une promesse tenue, la silhouette du Chat se découpant entre les ombres mouvantes suffit à tout noyer dans une masse informe et négligeable. D’un simple baiser à sa tempe. D’une simple main à son épaule. De ce torse dont elle connaissait chaque creux sur le bout des doigts, sur le bout des lèvres se forgeant soutien. D’un regard bavard où puiser la force dont elle avait besoin et même d’un sourire timide ruisselant d’inquiétude. Tout soulageait les épaules gitanes d’un poids trop lourd pour elles seules, et surtout le souffle d’une voix à son oreille, sédatif sacré même si le sens des mots rugueux lui échappait. Il ne la délaissait pas quand il aurait été si facile pour lui de s’évanouir dans les couloirs de l’Aphrodite jusqu’à ce que tout soit fini. Simplement. Il ne fuyait pas, courageux, devant ce gouffre vacillant de trop de piaillements où se mêlait tout les possibles. Il était là. Sans qu’aucun lien hors ceux qu’ils avaient choisi de tisser ne les réunisse. Sans mensonge. Jamais. Pureté de sentiments qui, s’ils n’avaient pas le lustre de l’Amour mais celui flamboyant de l’Amitié, débordaient avec ferveur dans chaque inspiration de la Gitane.

Et si les traits de son visage étaient déjà défaits, Axelle sourit, de ces sourires que rien ne peut restreindre, pas même la douleur, parce que finalement rien de pire ne pouvait lui arriver qu’être seule. Or, seule, elle ne l’était pas, simplement. Quelques soient les chemins dérobés et épineux où ils s’aventureraient, il suffirait que l’un d’eux tende une main blessée ou apeurée pour que l’autre l’attrape et la serre. Et bientôt, une nouvelle main à aimer agiterait ses doigts minuscules. Rien d’autre n’avait plus la moindre importance face à la nouvelle égrainée de la bouche pincée de la sage femme affairée entre ses cuisses. Femme qui sous ses airs revêches, cachait une expérience et une compétence trahies par chacun de ses gestes précis, par chacun de ses ordres égrainés sans hésitation. Et quand la sournoise tenaille s’acharnait avec une force toujours plus entêtée, Axelle laissait voguer sa confiance entre les mains des deux uniques êtres peuplant son univers ceinturé.


Parle Màćka*. Parle encore.

Si elle se pliait avec docilité aux ordres de la femme, la voix d’Alphonse avait ce don de la bercer, chaude, quand glacée jusqu’aux tréfonds d’elle-même, la sueur à son front emprisonnait ses boucles noires. Ecouter, ne pas crier, s’arc-bouter, se comprimer, mordre ses lèvres pour rester digne, et retrouver le refuge du torse d’Alphonse pour reprendre son souffle quelques instants qui pourtant s’étiolaient traitreusement. Si elle connaissait les affres de l’accouchement, jamais ils ne s’étaient revêtus d’autant d’opiniâtreté à la broyer, jusqu’à la certitude que ses os en étaient pulvérisés à chaque caprice de la tenaille.

Combien de temps ?

Une éternité pour la Gitane quand tout peut-être ne se réduisait qu’à une poignée de minutes saccageant ses forces et sa volonté dans tel un gouffre d’épuisement et de douleur que la mort, dans un éclair fulgurant, lui parut la plus douce des issues possibles. Si elle tentait maladroitement de donner le change, Axelle savait, au plus profond d’elle, que son corps éreinté avait atteint les frontières de sa résistance, et sous les pas de la danseuse, aussi légers puissent-ils être, le fil se dérobait et se romprait inéluctablement sous un effort supplémentaire, l’emportant loin de toutes ses espérances. Et dans un élan hargneux de se voir privée de tout aux portes de cette vie d’Araignée que méticuleusement elle avait retissée, elle refusa de capituler, pour elle, pour Alphonse en anéantissant cruellement cette joie qu’elle avait vu vaciller dans son regard dès qu’il se posait sur son ventre rond. Tenace dans les méandres fiévreux de son calvaire, elle refusait de rendre les armes sans livrer une dernière bataille. Alors creusant sans plus de concessions dans les ultimes soubresauts de vie s’agitant dans ses veines, ravivés par une colère sans fond contre un destin auquel elle ne voulait plus se soumettre, elle agrippa le poignet du Chat avec la force prodigieuse de la lutte désespérée et se redressa encore, déchirant l’air d’un cri effarant, terrassant la douleur et l’épuisement pour ne se saturer que de la rage de vivre et de laisser vivre.

Puis se fut le silence, lourd après l’orage. Plus rien. Plus un bruit. Plus un murmure quand tout semblait figé dans un manteau poisseux. La poigne brune desserra l’étau enferré au poignet félin, jusqu’à s’échouer mollement sur le drap froissé de sueur.

Et là, comme seul au monde, un miaulement magnifique de fragilité déjà volontaire déchira le voile du temps suspendu d’une ferveur naissante.

Mais de ce miaulement tant espéré, Axelle n’entendit rien, laissant à jamais un autre, revanchard et entêté à vivre, retentir, victorieux à jamais entre les tempes gitanes dont le visage lisse aux paupières clauses veillant sur une bouche entrouverte d’un souffle imperceptible, s’alourdissait sur le torse d’Alphonse.



*Chat en romani
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Alphonse_tabouret
A la demande aux consonances de suppliques, il abdiqua immédiatement, parlant au creux de l’oreille gitane sans discontinuer, se réfugiant dans le timbre de la voix plutôt que dans le sens des mots, incapable de dire quoique ce soit de tangible et les blotissant, hébété par la tempête qui soulevait la pièce de cris, de bruits et d’ordres, dans les acquis les plus sûrs qu’il ait jamais possédé. Pas d’improvisation desquelles il serait sorti vaincu, spectateur impuissant lié à cette main menue qui s’accrochait à lui à chacun des impossibles efforts qu’on demandait de sa propriétaire, chuchotant dans les écorchures de sa langue originelle, une succession de recettes de parfums qui restaient ancrées en lui, immuables, impénétrables dans ses accents gutturaux, ruban sans queue ni tête mais dont l’intention restait intacte.

L’accalmie le surprit, fauchant brièvement son attention dévouée et suivant des yeux la masse ensanglantée que la sage-femme extirpait des cuisses épuisées de la gitane, rompit un instant le flot de son incantation, pour participer au vide dans lequel le flottement de l’apaisement les avait tous jetés, ne percevant dans le délassement de la main maitresse que l’épuisement de la victoire, en aucun cas l’inconscience qui menait au gouffre. Suspendu au fil blême de la paix après la cacophonie, il sentit le monde exploser au cri aussi brusque que vivifiant poussé par l’enfant dont il ne voyait encore rien que cette main minuscule s’agitant dans les bras moelleux d’une des femmes, figé sur ce rebord de lit, père désormais, aussi surement que l’attestait le sourire des soubrettes dont l’attention se portait encore sur le chaton dénudé
Étrange sensation que celle de la gorge s’irritant, grattant d’une envie subite, attardant un picotement entre les tempes et étirant les lèvres du chat d’un début de félicité insondable, mais fauchée à même son dessin le plus primitif en percevant la tête inerte de la gitane dodelinant contre lui et la mine soucieuse de la matrone s’approchant d’elle avec vivacité. Incapable d’associer la drame à cette joie incandescente, incapable de croire qu’il fallait payer un dû pour pouvoir cueillir cette offrande , ce fut étonnamment la colère la plus brutale qui se lia à la peur absolue de perdre à cet instant ci, le lien unique tendu entre Axelle et lui le long de cette année désastreuse, et refusant avec une rage acide qu’on le force à contempler son enfant en songeant à la mort nécessaire à sa survie, se leva, animal au fil de son instinct, pour saisir le nouveau né encore visqueux des bras de la petite rousse dans les cris de stupeur de quelques-unes. Il ne sentit pas les petites mains venant s’agripper à lui, craignant par on ne sait quel mystère qu’il s’égare à quelques atrocités sur l’enfant, et plantant un genou sur le bord du lit sans faire cas de la ventrière qui dispensait au nez de la jeune femme un linge imbibé d’un épais liquide odorant, amena la larve sale sur les seins potelés de sa mère, tachant d’un sang gras et noir, la chemise qu’on lui avait laissé, nouant fébrilement au bébé surpris et hoquetant le ruban rouge à son minuscule poignet avant de cueillir le menton d’Axelle pour le faire pivoter vers lui.

Tu n’as pas le droit !, la prévint-il rageusement, égoïste, terrifié, en écho aux pépiements des femmes derrière lui qui tachaient de l’écarter du lit, sans succès, vacillant tout juste sous le flot de leurs efforts inutiles


Tu n’as pas le droit de ne pas le voir grandir.
Tu n’as pas le droit de te sacrifier pour lui.
Tu n’as pas le droit de me demander d’aimer ce qui t’aura tué.



Vis ! , ordonna-t-il plus fort en guettant un frémissement des paupières, un hoquet à la gorge, n’importe quel détail auquel se raccrocher pour être sûr que d’ici quelques instants, elle verrait elle aussi la merveille qui s’agitait sur son ventre.
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Axelle
Il faisait beau, merveilleusement beau. Le soleil ardent de Camargue s’écrasait sur ses épaules frêles avec la force de la brulure. Juste comme elle aimait. Du haut de ses quatorze ans, Axelle plissait les yeux, reniflant à pleins poumons le sel des vaguelettes qui mouraient sur ses mollets. Jamais elle n’aventurait plus que le bas de ses jambes dans cette mer sans cesse vivante et pourtant si accueillante que ce jour là, même la noyade était désirable. Elle ne savait pas nager et avait toujours refusé d’apprendre, craignant par trop que des poissons ne viennent lui grignoter les pieds. Mais à cette profondeur là, l’eau restait assez limpide pour déguerpir à la moindre ombre suspecte s’hasardant trop près d’elle.

Elle frémissait encore pleine de l’audace d’Esteban, sereine et pourtant pensive. Depuis longtemps, elle n’avait plus songé à ce premier baiser échangé sur la plage même si depuis, elle en avait embrassé des garçons, de toutes sortes même. Des grands, des petits, un roux et même un moustachu. L’expérience avait d’ailleurs été assez cocasse. La bouche piquée, ou chatouillée, elle ne savait plus trop, elle avait, dans un sursaut, mordu la langue du malheureux, qui n’avait pu que zozoter son indignation quand elle tressautait d’un rire incontrôlable. Il y en avait eu d’autres, qui d’une bouche trop grande ou trop vorace, avaient gobé la sienne, la laissant avec l’envie de crachoter un trop plein de salive et d’essuyer du revers de la main la moustache baveuse laissée en souvenir. Il y avait eu aussi les paresseux, lui laissant tout le travail d’aller de sa langue débusquer la leur.

Mais il y avait aussi ceux qui embrassaient fichtrement bien. Et de ceux là, Esteban faisait partie. Indubitablement. Ses cils étaient si longs, si épais, si recourbés que les filles en étaient jalouses. Cela lui donnait un tel regard qu’Axelle n’avait pu, curieuse et expérimentatrice, que s’y plonger. Tel est pris qu’y croyait prendre, l’adolescente en avait perdu ses projets d’expérimentation et avait laissé les lèvres ourlées cavaler sur ses joues, sur son front, sur son cou. Elle n’avait pas même rechigné quand les mains aux doigts habiles et fins avaient délacé sa robe rouge aux manches trop courtes. Et quand il avait suçoté timidement la pointe de son sein à peine éclos, elle avait ressenti un picotement intense et inconnu se nicher entre ses cuisses. Mais il avait voulu remonter son jupon pour aiguiser encore le picotement, et elle l’avait repoussé en balbutiant des excuses sans queue ni tête. Oh oui, le picotement était délicieux, mais pourtant, Esteban malgré ses yeux, malgré la douceur de sa bouche, malgré toute sa beauté, restait pâle et sans saveur. S’il avait su titiller son désir, la tête gitane, elle, était restée à la traine. Non, définitivement non, il n’avait pas su éveiller ce drôle de sentiment qu’avait su faire naître, en à peine une heure égarée, cet étranger aux chausses si luxueuses. Antoine, du moins était-ce le prénom qu’il avait annoncé. A lui, depuis quatre ans, elle pensait sans y penser, comme un voile vaporeux qui s’était installé sur sa mémoire, ni envahissant, ni entravant, juste intriguant. Lui avait su éveiller quelque chose de plus subtil qu’une simple envie d’aller voir plus loin, mais une certaine curiosité, une attention inexpliquée. Et c’était bien ce qu’elle recherchait à retrouver sans encore y parvenir. Peut-être était-ce simplement car il était le propriétaire de la première bouche sur laquelle la sienne, maladroite, s’était posée ?


C’était bien la question qu’elle se posait, là, les pieds dans l’eau malgré l’odeur soudain bien trop piquante des flots, se demandant si un jour, un autre garçon pourrait l’intéresser.

Surprise, il lui sembla qu’un rayon de soleil obstiné se focalisait sur sa poitrine, comme s’il pointait du doigt la faute qu’elle venait de commettre sans pourtant qu’elle n’en regrette rien. Haussant les épaules, la gitane en devenir bouda l’index accusateur et délaissant l’onde agressant définitivement trop ses narines, se recula pour aller s’asseoir dans le sable, tournant le dos au juge trop sévère qui à présent semblait vouloir s’amuser avec son menton quand elle restait impassible et dédaigneuse à lui porter le moindre intérêt.


« Tu n’as pas le droit ! »


J’fais c’que j’veux ! Maugréa t-elle sans pourtant que sa bouche ne frémisse d’un soupçon, laissant fuser la rébellion en perdition dans des limbes insondables. Et d’une moue boudeuse, plongea son index dans le sable pour y esquisser le portait qu’elle avait promis quatre ans auparavant, sans le modèle devant ses yeux. Sans vraiment savoir pourquoi. Promesse de gamins tenue avant l’heure quand six ans paraissait une éternité hors d’atteinte.

« Vis ! »


Têtue malgré l’ordre, elle s’acharnait à ne pas quitter des yeux l’éphémère portrait de sable. Elle voulait rester là, elle ne voulait pas partir, il faisait trop beau, elle était bien ici. Pourtant le soleil se voilait la privant de sa chaleur pour laisser un froid étrange s’insinuer en elle. Sa bouche s’arqua et s’ouvrit. Ca aurait du être facile, et pourtant sa voix semblait vouloir rester prisonnière de sa gorge. Alors, elle s’accrocha encore plus désespérément au portrait du chaton, comme s’il était un point d’attache indéfectible pour que le sable ne se dérobe pas sous la corole rouge.

Antoine.


Elle voulait crier, mais ce ne fut qu’un filet de voix qui s’échappa de ses lèvres. Par un prodige étrange, le portrait de sable se désagrégeait sous ses yeux impuissants pour en dessiner un autre, similaire mais plus aiguisé. Si les joues se creusaient et le fil de la mâchoire se durcissait, le regard, la ligne du nez, la courbure de la lèvre restaient farouchement les mêmes.

Antoine.


Le voile de la mémoire aurait du se déchirer sous l’évidence implacable s’affichant impudique aux les yeux de la Gitane gisant sur le lit froissé de la chambre de la maison basse. Et pourtant, rien ne transperça de l’inconscience, qu’un prénom qu’elle répéta encore dans un sourire à Alphonse, éreinté mais éclatant d’un rayon de soleil obstiné qu’elle avait gardé accroché au cœur.

Antoine… Cap ? Défi incongru quand elle-même n’osait baisser le regard sur la chaleur l’irradiant, dont déjà elle était intoxiquée, tant la réalité lui échappait encore.
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Alphonse_tabouret

La surprise le faucha, tant par le sursaut de vie de la gitane que par l’incongruité de son ton, et s’il resta muet dans un premier temps ce fut simplement parce qu’il était incapable de savoir comment aborder le ravin qui l’avait nargué de son gouffre, pour s’éloigner, gangrénant n’était ce que par son existence, la quiétude que jetait la voix enrubannée de coquelicots qui franchissait le vide pour s'adresser à lui.
Le souvenir de cette plage était perdu aux tempes félines, englué sous les contraintes auxquelles on l’avait formaté pour qu’il n’en reste rien d’autre qu’un objet parfait, et s’il en gardait quelques réminiscences au point d’étirer un sourire lorsque ses doigts égrenaient le sable humide d’une langue océane, les grands yeux noirs de la gamine croisée ce jour là s’étaient mués en comètes flottant dans un ciel obscurci par les devoirs qu’on lui avait attaché aux pattes, indéfinissables, bienveillantes et lointaines, confins d’un autre univers, d’une après midi ensoleillée où il avait savouré une poignée de temps libre sans en comprendre l’importance, en devinant tout au plus, la salvation simple d’une rencontre fortuite.

Les émotions se mêlèrent, assourdissantes, reléguant la rage maladive et sa cohorte de plaies égoïstes à un autre temps, une autre ligne, d’autres défaites, plus tangibles, plus sanglantes, et, tout simplement, à la jonction fugace de deux champs de bataille, l’un arguant l’herbe verte et l’autre la terre brulée, Alphonse se mit à rire. Ses épaules se secouèrent, indociles, avant que la gorge ne libère une cascade d’éclats si rarement débridés, offrant pour la première fois au personnel du bordel, le son mêlé du soulagement et de la félicité, nouant à chacun de ses détours l’étincelle fugace d’une joie de vivre d’habitude réservée à l’attention de rarissimes invités, et se penchant sur le front de la gitane à l’orchestration de cette surprenante mélodie, déposa un baiser sur le front moite de sa maitresse.


Antoine, c’est entendu… Antoine…

Un sourire épanoui s’attarda au dessin de ses lèvres quand la paume de sa main venait cueillir le dos du poupon sur le ventre maternel, amoureux au premier regard de cette minuscule chose qui, inébranlable, se contentait sans un plus de bruit, de cligner des yeux.
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Axelle
Qu'il ne soit roi ni prince*

Funambule téméraire, la Gitane flânait au gré des éclats cristallins du rire du Chat pour s’avancer, pas à pas, vers la surface de la réalité, laissant derrière elle un rêve à ce point réel que les lambeaux s’accrochaient à ses flancs, les léchant d’une paix nouvelle. Autour d’elle, les chuchotis enflaient de gaieté contenue mais soulagée, sans pourtant atteindre les tempes brunes dédaigneuses des sourires perchés sur des cous tendus pour voir la petite boule chaude blottie sur elle.


Et qu'il ait besoin d'argent.*

Et elle osa, enfin, baisser son regard. Timide, plus gamine encore qu’il n’était nouveau né, fébrile de cette rencontre au gout d’unique. La seule qu’il lui était interdit de rater. Par quel prodige pouvait-elle aimer un être dont elle ne connaissait rien ? Ni le visage, ni les mains, ni la voix? Qu’importait la réponse quand les yeux noirs de la gitane se posèrent sur le petit crane aux fins cheveux bruns encore collés. Elle ouvrit la bouche, il arrondit la sienne, si minuscule, si parfaite. Elle pencha la tête, il tendit son petit cou d’oisillon déplumé.

Que la chance le délaisse*


Il cligna des yeux, petit aveugle au regard intense et insistant, et le plus merveilleux des gouffres noirs enlaça la gitane suspendue à la seule découverte de son fils. Il était des mots qui n’existaient pas. Il était des instants que rien ne pourrait arracher de sa mémoire. Il était des rencontres religieuses.

Qu'il ne sache aucun serment*

Plus rien n’exista, ni les soubrettes quittant la chambrée, ni la sage femme proférant les derniers soins dans le mutisme le plus complet, ni les odeurs piquantes d’herbes et d’onguents. Que ce regard là. Que cette chaleur là. Que cette âme là. Elle aurait pu passer des heures ainsi, juste à le regarder, nourrie de ces prunelles inconnues et déjà tant familières. Doucement, d’une voix à peine audible, elle murmura en secret en effleurant à peine le philtrum.
Chut… L’ange à posé son doigt sur ta bouche et y a laissé son empreinte pour que tu taises et oublies tout ce que tu savais. A présent tu vas tout réapprendre Antoine.

Mais qu'il sache aimer vraiment.*

Un sourire paisible étira la bouche gitane. Merci, souffla t-elle sans chercher à savoir qui du père ou du fils en était le destinataire. Aux deux, sans aucun doute quand la Vie, enfin, reprenait un sens.


*Michel Berger - Ni reine ni princesse légèrement modifié pour les besoins du rp.
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Alphonse_tabouret
Les yeux de la gitanes se baissèrent enfin sur l’enfant, magma de doutes, d’inquiétudes et d’appréhension balayé dans un éclaircissement sauvage, grève allumée brusquement de mille feux insoupçonnés à la découverte du trésor qui paressait à portait de ses sens. Axelle devenait mère, autant dans la douleur que l’abêtissement joyeux de la délivrance, autant dans l’ignorance cruelle des fois précédentes que du savoir que dispensait dès lors l’almanach à portée de mains, presque retardée à cette rencontre avant d’en devenir actrice à part entière, laissant le chat un instant spectateur apaisé de la pièce qu’ils déroulaient à trois.
Incapable de mettre un mot sur les sentiments qui emportaient ses nerfs, les dissociant du vertige extatique dans lequel le plongeait Etienne, loin du coton voluptueux dans lequel Axelle avait pansé leurs plaies communes, loin de l’inquiétude des jours dont les desseins restaient indistincts, loin du rejet systématique de posséder les choses, les gens, ce qui avait de l’importance, pour être sûr de ne jamais avoir à s’en séparer… Si loin et pourtant si près de la béatitude, du confort inexplicable de l’autre, de ce gouffre de possibles qui s’éparpillaient à la tête ronde d’Antoine, si fier d’être père, d’associer au travers d’un simple mot, sa propre lignée, bouffi d’un orgueil qu’il ne connaissait pas et qui délayait à ses traits, une onde paisible et certaine…

Il suivit la confidence, oreilles tendues vers le microcosme nouveau qui pulsait au creux de la chambre dont la paix succédait au chaos dans le départ silencieux du personnel rangeant, empilant, emportant pour disparaitre, ne laissant qu’une porte entrouverte derrière eux, souris ayant appris la discrétion au sein de cette étrange tanière depuis longtemps déjà, et s’il savait que l’euphorie de l’heure égrenée les amènerait fatalement à piailler longtemps dans les cuisines avant de reprendre le chemin de leurs rôles, Alphonse n’y voyait aucune objection, saoul de cette vie parfaite dont les yeux papillonnaient lentement aux gestes d’amour maternel, ravagé par une énergie qui fourmillait dans ses veines, embaumait sa chair et l’affamait, littéralement de bruits, de cris, de feux, aux antipodes de cette fatigue légitime et pieuse qui avait envahi la gitane tout juste revenue d’un horizon lointain, du sable encore aux pieds, éternel gouffre entre Lui et Elle, créatures faites presque en tous points égales et que tout s’amusait à différencier jusqu’aux expériences communes les plus virulentes.
Il n’avait jamais compris ces fêtes nocturnes où l’alcool coulait à flot pour commémorer la vie, où l’on se gargarisait jusqu’aux premières heures de l’aube d’avoir su remplir un ventre jusqu’à l’éclosion, et percevait à l’instant toute l’étendue de son ignorance, de ce jugement inflexible qui se consumait, vélin fragile, aux abords de la vérité qu’Antoine lui livrait aujourd’hui. Il ne s’agissait pas tant d’honorer une naissance que d’un péché d’orgueil à expier, d’une joie insondable à s’acquitter dans les bacchanales de la célébration, une festivité n’ayant de sens que dans ce tumulte-là, d’un partage au monde…



Merci

Le chuchotement d’Axelle effleura ses sens sans qu’il ne s’accapare le mot, fautif plus que responsable, propriétaire sans avoir mené cette lutte sacrée qui avait failli l’emporter, bénéficiaire honteusement heureux, père comblé, amant émerveillé, ami honoré… A n’importe quelle autre femme il aurait claqué au nez la porte de la chambre pour aller s’abandonner aux festivités de ce mâle nouveau-né qui étreignait son orgueil avec une emphase jouissive, mais Axelle n’était pas n’importe quelle femme, pas n’importe quelle maitresse où il égarait le stupre de ses vices sans jamais accorder plus que la brulure de l’instant à vif… Amie, amante, part de lui même...
Il s’adossa à la tête de lit, passant un bras autour des épaules femelles, s’appropriant une boucle au bout de l’index pour jouer avec, et s’appuya à l’arrondi du crâne brun, les yeux perdus sur l’insolite duo dont la place était faite à peine désignée.


Dors, je prends la première garde
, la taquina-t-il d’un chuchotement, en dispensant un baiser léger à la tempe fatiguée, replongeant la pièce dans l’enchevêtrement délicat et neuf d’un souffle ternaire.
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Axelle
« Le bonheur est une joie secrète qui se vit comme en songe. »
Robert Lalonde


« Dors, je prends la première garde »


De sable, plus la moindre trace aux pieds de la danseuse quand elle s’égarait, étourdie par sa contemplation fervente, au moelleux d’un coton délicat pansant déjà son corps brutalisé. Accaparement comblé dont seule la voix d’Alphonse avait le pouvoir et le droit de la détourner. Si un instant le désir de plonger son regard dans le noir pair la tenailla, ses prunelles se rivèrent à cette main paternelle encore ignorée, doucement déposée sur le dos du nourrisson. Nul besoin de dévisager le Chat pour voir son regard extasié sur son fils. Nul besoin de relever la tête pour ressentir l’exaltation qui ondulait dans les veines flamandes quand une simple patte de velours couvait, éclaboussant la chambrée d’une vérité aveuglante. Egoïste pour quelles heures, jalouse du secret qui saisissait ses tempes, la Gitane farouchement possessive de cet aveu là, tira l’édredon délaissé sur le corps minuscule juste revêtu de la protection de son père d’un geste ralenti tant par l’épuisement que par la pudeur de ne rien briser de ce qui se tramait sous ses seuls yeux. Et elle souriait alors que l’affirmation se désagrégeait pour faire éclater une question qui avait raisonné bien des mois auparavant, entre les murs d’une chambrée bretonne.


« Axelle, ne me mens pas… Ferais-je un bon père ? »

Parents. Aucun des deux n’avait été formé à le devenir, enfantés de monstres qu’ils étaient, et dont chacun gardait les stigmates incrustés à même la chair. Si Alphonse s’était jusqu’alors vu épargné d’éprouver son ignorance, Axelle avait étalé son incapacité avec une emphase dévastatrice. Pourtant, au creux insolite d’un bordel transformé pour l’occasion en maternité, tout semblait différent, juste car il était là, serait là, dans une certitude que rien ne pouvait ébranler. La félicité prenait des aises de tant d’absolu qu’elle semblait immuable, scellée d’un simple baiser à la tempe qui se parait des atours de promesse.

Et à la tête s’appuyant, elle confia la sienne, les paupières lourdes se fermant sans que rien ne puisse encore entraver leur volonté indépendante.


Oui, souffla t-elle, répondant enfin, après tant de mois, à Alphonse avant que l’endormissement ne la trahisse d’une respiration régulière. Peu importait si dans une heure à peine, Antoine la tirait du repos quand la Vie se faisait à ce point affamé. Durant quelques jours, tout serait nimbé d’insouciance irréelle, avant que cette vie même, au détour d’une ruelle funeste, ne lui rappelle avec cruauté que rien, jamais, et surtout pas le bonheur, n’était acquis.
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