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[RP] Alea jacta est

Anaon
    *

    Le cuir bruisse doucement sur les doigts qui prennent place dans leur élégance sur mesure. Arachnéens, ils s'animent, adoucissant davantage la souplesse de leur seconde peau. La main gantée est levée à hauteur d'un regard qui les contemple d'un air simplement satisfait, luisant d'un calme qui frôlerait le vertueux. Les doigts ainsi parés s'en viennent resserrer les boucles d'un gilet de la même facture, cintrant sous les coutures des galbes d'une générosité parfaitement féminine. Austères, ils scellent les montants du col, condamnant un peu plus cette peau de femme sous les apprêts des hommes et des mercenaires. Les mains lissent les flancs, imaginant sous le derme ciré les mailles enchevêtrées de la cotte, doublée à la manière des brigandines. Différente, pour être d'une facture bien plus noble, et d'une discrétion qui ne se trahit d'aucun rivet à sa surface. La mercenaire est un mensonge qui s'habille, qui babille et qui se déshabille.

    L'Anaon se pare pour les grandes traques, de ces gibiers à deux pieds dont elle vend la peau avant de les avoir dépecés. A l'heure où la lune pointe, elle range dans chaque recoin ses armes et ses traquenards, des surprises de poussière et de venin. Et ce rituel minutieux s'accompagne d'une sérénité qui lui est bien rare. Quelque chose à changer. Quelque chose à flancher, là, sous les carcans de chair et d'os. La raison... pourfendue, à sa façon.

    C'est frais. C'est presque un renouveau. Un souffle qui l'a exhumée de cette dormance dans laquelle elle s'est calfatée depuis plus d'un an et demi. Depuis sa rencontre avec la Fatalité. Des retrouvailles au goût de fer et de sucre rouillé. Un grand final sur les terres de Provence et leur écœurante senteur de lavande. En bout de course, une mort et un deuil. Et après ? Qu'avait-il eu ? Plus rien. L'anéantissement, les larmes. La grande douleur qui dévore tout, le courage, la hargne, l'espoir et qui ne recrache de ses entrailles qu'une carcasse sucée jusqu'à la moelle de sa moindre goutte de volonté. Percluse dans son propre cloitre, aux charpentes ligamenteuses, aux murs fais de muscles. Une âme moribonde, muselée par un corps qui refuse de se rompre. Elle s'était morfondue, et n'avait rien fait d'autre que cela. Durant longtemps. Il avait fallu l'extrême affliction pour enfin devenir un automate. Accuser, le dernier choc qui fracasse jusqu'à la tombe. Le coup de grâce qui l'avait laissé nue de tout. Alors comme un athlète fourbu, elle s'était laissée gagné par l'automatisme des jambes qui marchent toutes seules. Mécanique, elle avait à nouveau cherché la trace de son premier bourreau. Sans conviction, déjà vaincue. Résignée, sous le plomb de la fatalité... Mais aujourd'hui...

    Il y a eu des bribes. Des traces. De menus avancements dans sa quête macabre. Des miettes, sur lesquelles l'Anaon s'est jetée comme un rat affamé. Elle s'en est gavée. Elle s'en est engraissée. Jusqu'à s'en faire craquer la panse d'une vigueur retrouvée. C'est un rien. Un rien qui lui a pourtant suffi à sortir la tête de l'eau. Et ce soir, elle savoure avec modération cette sensation vivifiante qui coule à nouveau dans ses veines. La conviction. La dague est patiemment sanglée sur le charnu de la cuisse droite. Elle le sait. Elle se sent. Ce sera bientôt le dénouement. Bientôt, elle L'aura. Et quoi qu'il adviendra, la Délivrance arrivera, d'une manière ou d'une autre.

    Les doigts gantés se saisissent d'un billet déplié. Elle avait oublié, comme çà pouvait être bon parfois de haïr sans se laisser accabler. Et en territoire de Roide, cette haine est choyée, chouchoutée comme un monstre que l'on nourrit, dans l'attente du jour J, où il pourra se déployer dans toute sa puissance et cruauté. Ça rend fou, bien souvent, de cultiver sa haine avec autant de minutie. Ça demande de la patience et du calcul. Doublé d'un certain sadisme envers soit-même. L'Anaon n'a jamais été une pulsionnelle. Elle préférait les douleurs bien pensées et les souffrances maîtrisées...

    Les yeux impriment une dernière fois les mots tracés sur le vélin. Un nom, quelques informations et un lieu. Cette mission-là est totalement étrangère à celle qu'elle mène en secret depuis des années déjà. Pour la sicaire, ce n'est qu'un travail de routine qui promet pourtant une bien belle somme pour une simple carotide. L'argent pour l'argent, çà n'a pas de sens pour elle. Mais un bon sac de blé amassé, c'est la garantie de la suffisance sans plus travailler. Et les jours à ne pas travailler, sont des jours alloués à la traque du Volatile. La balafrée est un requin en affaire, elle n'est pas de celles qui vont s'échiner pour trois pauvres piécettes. Alors quand elle se déplace...

    Le vélin se déchire dans un crissement, réduit en charpie par les doigts rendus insensibles avec le cuir. Et les dernières traces du contrat sont jetées en pâture à l'eau d'une cuvette en bois. Le manteau est empoigné, et l'Anaon gagne la rue avec au cœur une étrange bonne humeur.

    Il pleut sur la ville une lueur blafarde de lune ventrue et bien laiteuse. Mais il y a fort à parier, au vu des lambeaux de nuage restant de la journée, que le temps tournera à l'orage pour faire choir sur les têtes une véritable myriade de gouttelettes. Les pieds s'enfoncent dans la pénombre de la nuit claire, sans bifurquer de leur trajectoire initiale : le quartier où elle devrait retrouver son contrat. Par delà le hourdage des maisons qui s'élèvent de leurs étages, elle sent des relents humides cheminer vers ses narines. Des embruns piquants issus des salaisons. Et l'odeur plus caractéristiques de la chair fluviale. Les rues s'élargissent pour laisser place à la découverte du port et surtout de ses docks. Les lumignons derrière les fenêtres s'estompent à la faveur de quelques flambeaux. Le port et son ambiance particulière, foisonnant de monde le jour... vide, mais non moins peuplé de vie la nuit. Sous la large avancée de toit d'un entrepôt, des tonneaux et des caisses s'empilent sous des charpentes ajourées. Et à côté des cages de bois aux flancs vides, un petit attroupement révèlent à la nuit leurs visages facettés par le chatoiement des lanternes.

    Les docks et leurs ambiances particulières... Comme de minuscules tavernes à ciel ouvert. Un cercle de portefaix et de pêcheurs, et le pote du marchand qui payera son tonneau. Il y a dans l'air des allures de bonne franquette. Des tables improvisées, sur lesquelles on étale jeux de carte et roulement de dés. Des paris pour s'amuser et parfois une "Marie" ou une "Fanchon" assise sur les genoux pour jouer les grivois. La sicaire a toujours apprécié l'ambiance feutrée de ces groupuscules qui se foutent bien des maraudeurs ou des couvre-feux instaurés par les maréchaussées.

    Tâche d'encre sur de l'encre, l'Anaon approche des gaillards en s'annonçant de talons qui claquent sur la caillasse des routes négligées. Elle laisse les hommes accueillir sa présence féminine d'exclamations débonnaires, couvrant leurs rires de quelques taquineries sur sa dégaine trop spartiate pour une donzelle. Elle prend place dans le groupe, laissant ses yeux exprimer le sourire qui ne se dessine pas sur ses lippes. Une commissure est striée de fil de suture, refermant les lèvres d'une plaie que l'on devine récente. Sur quelques centimètres, l'estafilade est fraîche et suit, le long d'une joue, le tracé de la cicatrice refermée du sourire de l'ange. Une ré-ouverture. Ça aussi, ça a étrangement contribué à son regain de hargne. Une vive piqure de rappel qui l'a plonge dans une convalescence qu'elle vit aujourd'hui les deux yeux grands ouverts et la conscience éveillée. Non agonisante et ni complètement ivre au fond de son lit.

    La muette glisse son regard azuré sur chaque trognes qui se tournent vers elle, guettant celle qui lui fera mériter son salaire, avant d'embrasser d'une œillade la pénombre des ruelles.

    Aléa jacta est, comme on dit.


Musique : " Aphelion ", Assassin's Creed , composée par Jesper Kyd... Ou par un fan, on ne sait pas trop.
Aléa Jacta Est : Le sort en est jeté.
" La femme est une créature humaine qui s'habille, qui babille et qui se déshabille." d'Alphonse Karr

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De Retour tout doux. Anaon se prononce "Anaonne"
Stradivarius.
O'Stravaganza


D'un Requiem à la Stravaganza.
Pianissimo. Piano. Va Fortissimo. La sonorité d'une vie de pagaille fait vrombir les acoustiques d'une oreille sur le qui vive. L'Astre Solaire se meurt à petit feu à l'horizon. Les dernières lueurs chatoyant les visages des êtres aux dernières labeurs. Le vacarme assourdissant d'une ville en émoi face à l'empressement d'une journée qui se termine. Le crissement des veines qui s'entrouvrent sous l'effort. Les cris des Hommes en Armes qui accompagnent chaque badauds à retourner en leurs chaumières miteuses en l'attente d'une nouvelle journée, au lendemain, qui amènera son lot de misères et de servitude. Le calme avant la tempête. L'accalmie. Le repos du guerrier. Avant le désastre de la débauche sous ce draps sombre troué de quelques tâches blanches. Apollon ravit le ciel bleu et son globe lumineux pour ne laisser que les ténèbres pour régner en maître sur ces terres perfides. Les premiers couards quittent leurs baraquements, leurs navires, leurs étables pour s'en aller rompre la monotonie existentielle et alimenter au mieux les bordels de la ville ainsi que les tavernes, mais aussi les ruelles désertes. Sous ce nouveau jour, la musique prend une claque. La chair se frôle, les cuisses s'ouvrent et se referment en accueillant un nouvel invité des plus austères. Les écus frôlent le sol et les bourses passent d'une main à une autre dans un crépitement infernal. On entend les rires après les cris. Mais les hurlements persistent, d'une autre façon. Le fer s'agite et fend l'air pour retomber dans un moelleux fourreau des plus confortable. On ne passe par quatre chemins pour aller droit au coeur. On profite d'un moment de faiblesse pour s'en emparer. D'une façon comme d'une autre. Et moi, j'avance en ce monde qui est miens. Qui s'apparente au mieux à ce que je suis. Le son me guide. La chaleur a quitté mon visage pour laissé place à la froideur. Ce monde, je le vois nettement. Je le parcours en toute liberté. Les Minuscules qui agissent en de froides expressions ne sont qu'esclaves à mes pieds. Vermines lamentables. Je leur suis supérieur. Je les perçois en mon avancée. Et, pourtant, je suis aveugle.

Tambours battants.
Mes bottes de cuir battent le pavé. Accompagnées du fracassement de ma canne qui me guide au travers des dédales de la ville. Le son résonne, fend l'air, ricoche sur les murs pour s'envoler vers ce ciel profond. La marche se poursuit, ne s'arrête plus. Les soiffards rient à mes côtés, en me voyant, en me jaugeant. La mesquinerie fait rage, mais n'atteint la Blanche Colombe. Je réajuste simplement mon mantel sombre en épousant un geste de mépris, sarcastique, ironique. L'apanage d'un Chevalier n'est aucunement essentiel dans une quête qui me conduit ici-même. On oublie tout de ce statut. On range les armures pour ne prendre que les vêtements confortables à la basse besogne. On ne se perd dans le jugement d'êtres insignifiants. On oublie, on garde en tête la vraie raison. On garde en tête l'esprit même qui me conduit, qui me guide. Pensée omniprésente suite au froissement d'un papier. Le délicat crépitement d'un parchemin appuyé de quelques encres glissées sur le vélin. L'odeur, le toucher, le son. Lecture faite, il ne fallut une éternité pour diriger ma réponse à l'intéressé. Renouer le contact avec le passer. Revêtir à nouveau le sombre et ceindre à ses côtés la Fidèles qui ne m'a jamais quitté. Qui a connu tant de gorges. Tant de canines. Tant de douceur d'un Aorte qui s'exhorte d'une poitrine rebondit. J'étais en mal. J'étais en manque. J'étais refroidis. J'étais un fantôme. Je n'existais plus. Diable, qu'il est bon de reprendre son service. De faire vrombir son palpitant et glisser sur sa peau détendue la froideur des atouts qui firent de moi ce que je fus. Que font de moi ce que je suis. Le trouble n'est trouble que lorsque la vision se perd dans une quête qui est vaine. Celle-ci me redonne un sourire. Ce sourire. Carnassier. Ce sourire qui refroidit. Qui stoppe la palpitation de ceux qui le croisent. J'ai accepté ce travail.

À tord fer, ou à raison.
Cette soirée sera sanglante. Les gris pavés guideront le sanglant rouge. Ce vin qui abreuvera les ruisseaux, les rivières, la mer et l'océan. Ce soir, je n'aurais le temps pour dormir alors que d'autres sont déjà à ronfler. Je l'entend. Je le sens. J'hume l'air et l'ambiance environnante. Et la musique arrive. Toujours plus belle, toujours plus forte. L'odeur d'une pipe se fait percevoir. L'odeur du foutre mêlé à quelques trempages en milieu hostile. On amarre les femelles entre amis, on se gausse de ses efforts et on se félicite cordialement de son exploit. Le port. Mes paupières déchiquetées accueillant les bruns rougeaud se posent sur les voix. On me regarde, je le sais. On me dévisage, je le perçois. Je continue ma route dans l'obscurité, ne me stoppant guère. Je suis à la recherche d'une féminité masculine. D'une audace fébrile. D'un claquement de cuir sur des braies qui ne devraient. La robe est seule censée épouser les courbes magnifiques. Le tissu virevoltant au vent ne devrait point se défaire de la qualité d'une Dame. Aussi, à la recherche, au son que cela produit d'un pas léger, faible. D'un crissement de textile entre les cuisses à chacun des pas posés au sol. Je peux la trouver seul sans même mander ni même préparer quoique ce soit. On ne s'attend jamais à ce qu'un aveugle puisse se prétendre au pire et faire frétiller une dague dans les entrailles. L'habit ne fait le moine. Et pourtant, il est bien le cas à présent. Une dame qui n'en est. Un aveugle qui n'en est. Effroyable et amusante réalité, au final. C'est là tout l'intérêt de ma vie. De ce qui me fait vivre. On endosse l'anonymat, on se fait passer pour ce que l'on est et au passe à autre chose. On poursuit sa route. De nouveau. Comme si de rien était. Un sourire restant toujours le même, pouvant trahir ce que l'on est réellement. Je m'enfonce, le portant fièrement, dans une ruelle ténébreuse. Au loin, disparaissant.

Je ne rencontre mon autre.
Jeter une flèche dans une cible mouvante qui ne se montre pas. Poursuivre sa course affolée dans la cécité qui entrave les décisions et les possibilités. Je suis aux aguets, pourtant. Je me trouve à l'endroit même où je devrais être pour trouver ce que je recherche. Je n'étais assisté, auparavant. Je savais ce que je faisais et pourquoi je le faisais. Peut-être l'handicape est trop grand. Peut-être l'acharnement que je fais est bien trop important. Peut-être qu'une stratégie autre devrait être adoptée en de telles circonstances. Les questions fusent lors de ma marche et je n'entend plus rien. Que le calme. L'affolante douceur d'un simple vent dans mes tympans. Peut-être l'angoisse du moment, et je perd le fils. On se sent esseulé. Perdu. Je ne sais plus où je vais, où je suis. Même les coups de canne ne permettent de me guider. Je me sens pris au piège dans un leurre invisible, intangible. Obscurité. La raison me perd. Je divague. Ma respiration prend le dessus. Je dérive. Les marins au loin me prêtaient l'espérance. La solitude me prêtent l'exaspérante impression du vide. Mes pas se défilent un instant. Je me sens happé dans ce trou noir. Je suis obligé de m'arrêter un instant, m'aidant d'un muret pour me reposer. Me seconder et reprendre mes aises. Que dois-je faire? Que puis-je faire? Ne plus entendre, ne plus voir, ne plus toucher, ne plus humer. Peut-être qu'avec le temps et l'inexistence de mon être passé, de mon monstre angoissé, j'ai perdu de ma superbe et me laisse tenter en l'errance d'un Purgatoire. Il Purgatorio. Il Vesuvio. Je suis un volcan prêt à exploser alors que mes pulsions m'incombent de tuer. M'incombent de faire couler. Un instant. Puis deux. Quelques minutes semblent longues. Je me reprend. Ma tête tourne. Plus doucement. Calme. Serein. Respire. Je sais que je l'aurai. Ce paquet d'écu qui accompagne la tête et l'effluve du sexe opposée sera mien. J'en suis persuadé. Il n'y a aucunes raisons. Personne ne s'attend à son dernier jour. Pas même elle. Ici, l'embrun marin me reprend les narines. Le sel me nargue mais me redonne de la couleur. Le Violon reprend. Faisant vrombir ses cordes frottées. Le rythme de mon coeur reprend son cour. Je lâche ce muret.

Et je me retourne.
Il Paradisio. Magnifico. Chair Al Dente, je t'aurais. Je m'emparerai de toi. Je t'attendrais. Tu passeras par ici. Tu goûteras ma colère. Tu feras jaillir ce cri si intense pour mon égo. Tu gémiras, tu grinceras, tu couperas. Tu n'auras plus que l'espérance de l'éternité. Ce cadeau que je me prépare à te faire goûter. Tu n'auras plus l'espérance que les mots d'un Divin qui ornera ton crâne et ta chevelure longue et soyeuse. Seul regret étant de ne te voir t'étrangler dans ton sang. Seule décoration ornera ta poitrine que la Rose que je jètera sur ta dépouille. Les épines fonderont dans la décomposition sous le céleste impérieux. Je ne m'abaisserais à te chercher. Tu viendras à moi. Tu seras à moi. Viens prendre mon cadeau. Viens me goûter. Viens me succomber. La Mort embrasse et reprend ce qui lui revient de droit. Je n'ai pas vécu dans l'inaction toute cette vie. La Mort me doit tant d'âme. Tant d'offrandes qu'elle m'a toujours laissé vivre pour son profit. Je suis son Salaire. Le Salaire goûteux de ce fer que j'absorbe des coeurs que je ressors. Je n'ai point vécu ce temps pour échouer si prêt de ce but final. Ostensible. Je te hume. Je sens ta présence. Je sais que tu es là. Proche. Je peux te toucher. Je peux te crever les yeux. Tenebrae pourfendus. Aimes-tu ma présence? Ou as-tu la crainte de ce que tu peux voir?

Les notes s'accélèrent.
Lente, Adagio, Andante.
La poursuit le Sol.
La Stravaganza te prendra en son sein.
La chasse est ouverte.




La Stravaganza: l'extravagance
Piano: faible
Pianissimo: très faible
Fortissimo: très fort
Il Purgatorio: le purgatoire
Il Vesuvio: le Vésuve
Il Paradisio: le paradis
Lente: lent
Adagio: à l'aise (tempo confortable)
Andante: en marchant (rythmé normal)

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Anaon

    J'attends.

    Les voix bonhommes se mêlent en taquineries contre l'huis de ses esgourdes. Amusés, on essaie de percer les arcanes de cette singulière présence, comprendre le cuir sur les courbes, les cheveux lâches et les balafres. Dépecer sans se faire intrusif, cette essence qui les étonne. L'Anaon se montre sous son meilleur jour, laissant ces hommes tisser des galéjades qu'elle reçoit d'un air amusé. Les premiers éméchés se font égrillards, réprimandés gaiement par leurs collègues qui prônent la défense d'un brin de galanterie. On se calme à grand coup de "Rhoooo tout de même", on surenchère et on en rit. La mercenaire garde bouche close. Les boutades ne froissent pas son cuir, elle les prend même avec amusement. Ce soir, on ne craint pas l'Anaon. On ne la dévisage pas non plus. On ne la juge pas tant que cela. C'est quelque chose qui la fascine chez les marins. Ce monde complètement à part. La superstition jusqu'au bout des ongles. La mer et le sel pour fluide dans leur veine. Les fleuves pour seule route de France. Eux qui aiment et qui craignent les eaux qu'ils ont pris en épouses, et qui n'ont peur de rien qui puisse venir de la terre. Inatteignables, au royaume des embruns. Inébranlables, même par la méfiance inspirée par la mercenaire. Il suffirait qu'elle monte sur leurs bateaux pour devenir un fléau. Mais les deux pieds sur terre, elle n'est rien d'autre que paquet de chairs et de charmes. La femme laisse traîner son attention sur les jeux de carte qui reprennent, avant qu'elle ne s'étire jusqu'aux pontons qui plongent leurs pieds de bois dans les eaux noires de l'embouchure. Que la nuit est silence...

    Je t'attends.

    Rien ne semble palpiter en dehors de leur cocon, rien d'autre que les roulements de l'eau qui chahute paisiblement contre les coques et les torches disséminées crépitant dans de discrets grésillements. Une dégringolade de dés attire à nouveau son intérêt. Quels augures me prédis-tu ce soir, parieur ? Aurais-je au matin ce même sourire qui envahit tes lèvres ? Oui... Car l'heure de cette nuit ne sera pas la mienne. Un mouvement de paupières. Et le rétines qui s'enfuient encore, guidées par un instinct qui les attirent dans le sombre des rues. Elle ne voit rien. Elle attend. Et puis, au bout d'un moment... Elle entend.

    Je t'attendais.

    Des échos disparates. La résonance du bois des planches qui font les avancées du port. Le choc calfeutré du sol non pavé et de la terre compacte que l'on frappe à chaque pas. Puis le son creux du bois de nouveau. Intermittence. Les azurites restent rivées dans la nuit, où au détour d'un entrepôt, les ténèbres semblent se mouvoir. Les gaillards se réveillent à nouveau, interpellant le passant, levant le nez des cartes et sortant la bouche des bières. Les lazzis fusent, en rires gras ou en ragots. Une canne précède les pas. La cohorte de voix ne peut s'empêcher d'y aller de son commentaire. Sauf la mercenaire...

    Les prunelles ont accroché la silhouette masculine, capturant avidement chaque trait qui se révèle quand cette dernière passe sous le fil d'une torchère. La carrure. Les creusets et les abruptes de son visage. Une vision qui sculpte le charnel sur l'abstrait des mots. Les paupières se plissent. Les pupilles se font surins à graver chaque détail que la pénombre veut bien lui laisser percevoir. Nature t'as bien bâti...

    Te voilà...

    Et il ne peut en être autrement. La correspondance avec la description donnée semble flagrante, mais la nuit creuse toujours un doute même dans la certitude. Et quelque chose ne correspond pas. Il est aveugle. Là est une chose qu'on ne lui avait pas dite. C'est explicable, si le fait est récent, il a pu passer à la trappe des informateurs de son commanditaire. Mais la chose reste néanmoins surprenante. Sur les dernières exclamations des pêcheurs, l'homme disparait dans une rue. Le visage de la balafrée se tourne sur les tables de jeu. L'esprit foisonne de réflexion. Et bien, c'est toi.... Et si ce n'est pas le cas, tant pis pour toi.

    Les secondes s'égrainent. Patience. Et la sicaire se lève enfin d'un geste calme. Sous les regards intrigués des joueurs, elle ôte son long manteau de cuir, en ouvrant la bouche pour la première fois depuis son arrivée. Elle le met en jeu. Si elle revient avant que sonne le dernier coup des Matines, elle le reprendra. Si elle ne revient pas, il sera à eux. Et sans attendre une réelle acception des lurons, elle jette son vêtement sur les premiers genoux venus pour emprunter à son tour la ruelle désignée par sa cible.

    Le pied se fait léger. Le pas mesuré. Tous ses vêtements qui lui collent à la peau minimisent le moindre bruit. Et puisqu'elle vient d'abandonner le seul habit qui pourrait de trop la trahir, elle n'a plus qu'à veiller à ne causer aucun frottement. La mercenaire se presse, jusqu'à revoir au loin la masse d'ombre mouvante dans la nuit. L'attention pivote, l'Anaon s'engouffre dans une autre rue. Elle connait les lacis de la ville. Son esprit analytique l'a arpenté jusqu'à rêver la nuit de ses moindres entrelacs. Fardeau, parfois, que de tout voir et de tout retenir. Elle veut rattraper l'homme, en profitant de la discrétion de la rue parallèle. Elle sait qu'au prochain croisement, il faudra tourner pour rejoindre l'artère suivie par son contrat. C'est ce qu'elle fait. A pas de velours, la traqueuse se retrouve à nouveau derrière l'homme à la canne. Distance d'assurance laissée entre eux. Immobile, elle plante ses azurites entre les omoplates qu'elle devine sous le mantel. Et quand l'avance lui semble suffisante, la femme s'ébranle à nouveau, posant un pied précautionneux derrière chaque pas de sa proie.

    Stradivarius...

    On m'a donné ton nom, ou du moins celui qui te qualifie le mieux... Vibrant de cet instrument que je ne connais que trop peu. Merveille d'Italie. Création de ces temps nouveaux. Qu'elle seront tes cordes ? Laquelle me faudra-t-il pincé... Est-ce le bruit d'un violon qui percera l'air quand sonnera l'heure de ton dernier chant du cygne ? Stradivarius... Ça roule comme une houle sur la langue. Une avalanche de note. Un parfum d'ailleurs, qu'il me faudra fané. Inconnu, déjà tu fatigues ? Ce serait trop facile de me faire expéditive. J'approche, tu ne me vois même pas venir. Mais je ne tolère pas l'erreur, dis-moi le piège qui se cache dans ta cécité. Aveugle que tu es, où est l'embuche sous ta carrure qui me justifie ton pesant d'or ?

    Et il se retourne.

    L'Anaon se fige à plusieurs mètres de lui. Immobile. Il est tourné vers elle. Un pied devant l'autre, les bras croisés contre ses reins, comme une funambule, elle attend. Que sa feinte se trahit. Que son mensonge se brise. Instant suspendu. Excitante sensation que de se retrouver en plein dans la ligne de mire de sa victime. Dangereuse position. Étrange. La mercenaire sent l'aiguillon de l'adrénaline lui chatouiller les veines. Sa respiration se met aux abois. Mais il ne la voit pas...

    Ainsi tu ne me mens pas...

    Il repart. Elle reste sur sa case. Étrange commande que celle-ci. Presque trop facile pour la mettre en pleine confiance. Il suffirait d'un lancé de couteau bien placé pour en finir... Le nez de la sicaire se lève pour observer les alentours. Non... Tu te diriges à nouveau vers le centre de la ville et çà n'est pas pour me plaire. Tomber sur une ronde n'arrangera pas mes affaires, et je lui préfère la discrétion du port. La présence tombale de l'eau à nos côtés ne pourra que m'arranger.

    L'intérêt se porte à nouveau sur l'homme qui s'éloigne avec les claquements de sa canne. Sans le perdre de vue, la mercenaire s'accroupit avec une extrême précaution. Silencieusement, la pulpe des doigts frôle la poussière terreuse du sol, jusqu'à se heurter à quelques cailloux de gabarits divers qu'elle saisit entre les doigts. Et elle se relève, louvoyant à nouveau dans le sillage du Stradivarius. Les azurites balayent de temps à autre les façades lézardées, percées de fenêtres parfois éclairées de la lueur d'une bougie. Le reste de la rue est sombre, éclaircie par la pâleur seule de la lune généreuse. Regard à droite. C'est ici qu'il faut tourner pour regagner les quais.

    Voyons comment tu réfléchis Stradi.

    La dextre s'arme d'une caillasse. Le bras se bande avant d'envoyer le cailloux cogner dans la direction inverse où elle veut mener son homme. Le jeu le plus vieux du monde. A chacun sa façon d'y réagir cependant.

    Elle guette sa réaction.

Musique : " Jade ", Alice Madness Returns, composé par Jason Tai
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De Retour tout doux. Anaon se prononce "Anaonne"
Stradivarius.
Tick Tock.
Un son régulier. Une sorte d'horloge interne réglée de façon mécanique. Pulsations émises aux espacements semblables. L'apport d'énergie, d'adrénaline qui baigne mon cerveau d'illusions et de force. Les veines se contractent, se gonflent sous cette fougue qui serpente mon corps. Ma peau est vallonnées d'une chair de poule. J'entend le son de mon coeur battre sa cage thoracique comme pour s'échapper d'une tension peu commune. Je le sens tenter de s'évader, de se faire la belle, d'aller au plus loin sans se retenir et me laisser choir comme si je n'étais plus rien pour lui. Cette solitude me hante et me glace le sang. Moi, qui, jadis, ne vivait que par cela, me voici dans mon plus simple appareil et dans une nervosité affolante. Je me sens comme un nouvel être incapable de joindre les deux bouts et d'assurer convenablement une mission qui n'est que broutille. La cécité m'envahit et rompt mon âme, me fait déviance, me place au défi et devant le fait accomplis. Serai-je devenu homme semblable aux autres? Suis-je simplement un maillon de la chaîne de la société qui entre, à présent, dans un moule préconçu? Suis-je bon à recycler que mon âme s'est repentie et ne recherche plus aucunement à faire régner le chaos, le sang et la terreur en ce monde si perfide. Les questions s'enchaînent au rythme du Tic-Tac singulier. Pourtant, tout s'emballe. Tout se meus plus rapidement. Promptement. Arrachant un léger rictus sur mon faciès dépouillé d'un regard perçant. Il ne peut être autrement que sa présence devant moi, alors que ma face se projète sur une ombre invisible. L'ouïe n'est pas simplement appareil de reconnaissance. L'odorat amène le piquant nécessaire à la fiabilité du tout. L'embrun marin semble être coincé derrière un obstacle. Cependant, je ne sais si c'est bien toi que je recherche. Ce ne doit être le cas. Mais ce son mécanique régulier en mon âme me donne tant de frissons.

Je marche en direction du centre.
L'attention toujours au qui vive, comme une bête acculée près d'un muret. Dans le silence environnant, l'impact d'un bruit me fait m'arrêter sur place. Le silence n'est plus lorsque l'on vient le déranger dans sa bienfaisance, lorsque l'on occulte son paraître. L'oreille se tend, et le cervelet tente d'obtenir des informations sur ce qui doit être et ce qui est réellement. Je reste immobile, impassible un instant. Un instant qui semble, peut-être, être plus long que convenu. Le ricochet d'une telle sonorité me laisse en suspends. Mes sourcils se baissent, mon visage ne divulgue d'une concentration extrême. Mes globes rougeâtres se bougent sans que j'en prenne conscience. Ricochet. Force du point de chute. Intensité du son émit. Emplacement de cette violation du calme. J'ai. Je crois. Un modeste bout de roche qui quitte un emplacement sédentaire pour se caler en un autre. Quelques explications probables saignent mon esprit. Peut-être l'intervention du vent marin sur les quelques murets vieillit des baraquements, craquèlement, chute. Un animal maladroit faisant virevolter les roches sur son passage. Un leurre pour m'occulter la réalité du chemin à emprunter. À l'écoute, le vent n'est nullement aussi imposant que cela pour faire tordre de douleur un muret, même vieux. Un animal, à moins d'être destrier noble, ne pourrait déplacer dans un bruit semblable ce que je puis entendre. Le leurre expliquerait donc ce qui m'inquiète. Le leurre signifierait que je ne suis point seul et qu'une personne tente de se jouer de mon intellect, me perturber, me faire sombrer dans un doute perpétuel et me prendre à revers, lame sous gorge, faisant tranché en ma glotte. Dernière version retenue. Pomme d'Adam virevoltante. Salive engloutie. Je poursuis ma marche, non point vers le point de chute, mais bien continuellement à la voie empruntée en prime lieu. D'un pas plus vif, d'un pas empressé. La canne ne frappe plus le sol. La discrétion est de rigueur.

Tic tac.
Le temps est compté. Le vent me guide, comme il fut un temps, un temps précieux. Je disais à qui voulait l'entendre que je venais de la où le vent naissait pour me laisser guider perpétuellement par celui-ci. Je ne savais, qu'un jour, cela ne pouvait être que triste réalité. Je continue mon avancée vers le centre. Je sens déjà l'odeur des quelques torches qui alimentent la vision nocturne en un lieu où quelques gardes sauraient venir pour surveiller le respect du couvre feu. Nulle inquiétude pour moi qui sais agir en de telles circonstances. Par de centaines d'actions, mes agissements me conduisirent au milieu des badauds, des miliciens. Je suis toujours là pour témoigner de mes actes, bien que quelques frayeurs furent de mise, faillirent avoir ma peau, ou plutôt mon cou. Il ne sera pas dit que le bougre de Robert puissent se balancer les pieds dans le vide attaché par une simple corde qui sent le renfermé ou la chair d'un autre malheureux. Le vent continue de me guider, ma canne se tient silencieuse en ma poigne. Un embouchure. Je puis tourner là, à ma gauche. Semer le chaotique qui tente vainement de m'accrocher à sa destinée. J'emprunte cette ruelle, je continue ma course, une nouvelle fois à gauche. Je m'arrête, songeant un instant à cette atmosphère. Y'a t'il un bruit d'une quelconque poursuite? Rien. Le néant. Je longe un mur. Mes mains caressent les pierres jusqu'à sentir un renfoncement. Je m'y plonge. Certainement une arche qui couronne l'entrée d'une cour privative d'une quelconque maisonnée. La déduction se fait promptement, la pénombre doit y régner. Doit y être maîtresse. L'obscurité est à présent mon terrain de jeu favoris.

Tic....tac...
Je m'accroupis. La main portée à mon ceinturon. Je veille. Je surveille. Je n'entend réellement aucun murmure. Ma respiration est plus contrôlée. Plus douce. Plus calme. Plus silencieuse. Ma tension s'emballe néanmoins. La fauve de la perfection est à l'affut comme une proie scandaleuse face à plus fort. Pourquoi serais-je donc traqué? Serait-ce une illusion que me joue ma folie? Suis-je en proie à des idées sombres qui me malmènent comme à l'accoutumée? Je reste impassible dans ce coin sombre, dans l'attente. Peut-être m'aura t'il suivi jusqu'à là. M'aura t'il vu pénétrer tel endroit. Peut-être ne serait-ce qu'une vaine tentative de ma part de m'échapper un temps de plus avant l'assaut final. Ou bien une idée totalement craintive. Je ne peux résorber cette chair de poule et ces frissons qui parcourent mon échine. Je sens ce courant d'air froid me glacer à nouveau le sang qui peine déjà à parcourir comme il se doit l'espace de mon corps gelé. Alors que ma concentration est extrême, je crois entendre quelque chose venir jusqu'à moi. Ma dague se faufile entre mes doigts. Ma précieuse amie qui saura une fois de plus, peut-être, consommer son lot de sanguine. Des pas légers s'avancent vers moi. Ma perception me laisse songeur. Seraient-ce là des pas de proximité, ou bien lointains? Je me prépare à l'offensive, mais mon sens des distances s'en trouve déboussolé. La musique s'éteint, mon corps ne bat plus. Un ronronnement se fait entendre. Peste! Serait-il noir que le malheur s'abattrait entier son mon être! Le moment n'est guère franchement bien choisi pour l'apparition d'un félon réclamant nourriture ou caresses. Je le chasse d'un geste de la main. Il râle, s'évadant rapidement dans la ruelle.

Tic-tac-tic-tac.
Si ce n'est point un leurre, me voici convenablement garnis pour perdre l'avantage de ma cachette. C'est tout comme une partie d'échec à grandeur réelle. L'ennemi a bougé un premier pion. Je ne l'ai laissé m'atteindre. J'espérais prendre deux coups d'avance, mais le cavalier miauleur prend la position stratégique. Un tel intrus dans une stratégie presque militaire, ou couarde, saurait mettre le roi à défaut, à découvert, à nu. C'est une sensation qui me bouleverse et le dramatique de la situation m'assomme à petit feu. Mes paupières se ferment. Et de nouveau, je me sens espionné. Je me sens observé. Un mouvement. Le son d'un vêtement si fin qu'il est presque inaudible pour le commun des mortels. Pour celui qui ne sait entraîner son acoustique. Dague en main, je longe le mur, toujours à genoux. Je me cale au dernier recoin, prêt à bondir sur l'âme se trouvant en la ruelle. Ce ne peut-être que ça. Ce ne peut-être que lui. Je suis effectivement recherché. Dans la même ville que mon contrat. La tâche n'était déjà point si simple en soit, mais l'est d'autant plus complexe à présent. Je compte le nombre de pas qui nous séparent. Un. Je sens ton parfum. Deux. Je vois ton regard pourfendre l'horizon. Trois. Continues sur ta lancée, sur tes derniers pas. Quatre. Un effort, ce ne sera point long. Cinq. Je sors de mes Enfers pour me lancer sur ta gorge d'une lame si bien aiguisée. Vais-je pouvoir connaître les raisons de ta venue avant de t'égorger comme un vulgaire goret? Le temps me presse. La lame glissera.

Les gestes sont toujours guidés par l'instinct.
On oublie jamais ce qui fait ce que nous sommes. Tant que l'on se laisse aller, lorsque le chemin se montre de lui-même, il est si simple de réussir. Pourquoi en douter? Pourquoi devrais-je me remettre en question? Je suis le fleuron de cette profession.
Un seul doute subsiste.
Qui se tient là devant mon visage courroucé, arpenté de quelques grimaces offrant toute l'atrocité de mon âme?

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Anaon
"Memento moris"
    - "Souviens-toi que tu mourras" -


    *

    Il s'immobilise, quand le caillou ricoche et dégringole le long de la façade. Il ne sursaute pas, ni ne s'affole. Il ne bouge pas même le moindre cil. Analyste. La beste n'est pas bête. L'Anaon guète le plus infimes de ses gestes pour tenter de deviner quel sens prédomine chez lui hors de sa vue. Une mèche brune vient lui chatouiller la joue. Un vent léger se lève, portant à ses narines les embruns vaseux du fleuve mêlés de sel. Une rivière de sable et de poussières court sur ses bottes comme une nuée de rats en cavalcade. La sicaire relève la tête. Le ciel qui était tissé comme une toile d'araignée couverte d'une scintillante rosée se fait de plus en plus opaque. Même la lune gironde se voit grignoter par intermittence par des lambeaux mouvants de nuage. S'il pouvait pleuvoir, avec un roulement d'orage, l'Anaon aurait en tout point le plus net avantage. Elle priverait définitivement son Infirme de son ouïe et de son odorat... La main attrape la mancheron de son gilet pour le tirer au plus près de son nez. Il a trop de vécu pour sentir encore l'odeur entêtante et si caractéristique du jeune cuir. Simple vérification. Mieux vaut surestimer un adversaire que le sous-estimer.

    Par ailleurs, sa cible s'ébranle à nouveau. Il reprend sa marche, mais ne se dirige ni vers la source du bruit, ni n'emprunte le chemin opposé. Il continue simplement sur sa lancée. Petite moue de contrariété, la mercenaire blanchit ses phalanges sur les cailloux restant dans sa paume. Plus surprenant encore, l'Aveugle ne se sert plus de sa canne pour se diriger. L'Anaon n'a plus qu'à reprendre sa filature.

    Chaque pied s'applique à se poser de concert avec celui qu'elle imite. Appui de velours tant de fois aguerri au fil des chasses et des traques. Pourquoi ne se sert-il plus de sa canne ? Connait-il la ville à ce point ? Est-il natif de celle-ci ? Ou bien l'habitude de sa cécité a développé chez lui un sixième sens à toute épreuve qui frôlerait l'inhumain ? Non... Il ne peut être infirme de naissance. Son commanditaire lui aurait forcément précisé. Soit le gus est un bon acteur, soit un énucléé récent. Ombre dans son ombre, la mercenaire suis le sillage du Stradivarius en s'abimant en circonvolution. Reléguant pourtant ses hypothèses dans un coin de ses pensées, la balafrée s'attardent sur les lueurs éparses qui nimbent encore quelques fenêtres malgré la nuit entamée. Ils quittent la périphérie de la ville pour gagner son cœur. Il faudrait l'abattre, là, maintenant. A la faveur du plus discret et du plus efficace. Mais c'est sans doute cette étrange bonne humeur en latence qui garde l'Anaon dans ce trop plein de patience. Non, elle ne veut pas être la professionnelle expéditive qu'elle est à l'accoutumée, quand elle ne veut pas perdre son temps et qu'elle l'alloue à la plus prompte productivité. Ce soir, elle joue les ballerines dans le théâtre des ombres. Fuyant comme une fumerolle le public qui pourrait la saisir. Ces écornifleurs, ces mendiants tapis dans les recoins des ruelles, le souffle à demi-mort. L'incurie qui s'exhalent de leur futur cadavre. La suie imprégnée par une torche qui lèche dangereusement les hourdages. Sueur de la ville.

    Il s'arrête. Pantomime, elle s'immobilise. Le vent s'engouffre, grondant de plus bel entre les gueules de pierres et de chaux. Ça sent la pluie et la lune déclinante. Une obscurité totale serait une véritable plaie pour elle. Stradivarius continue à nouveau, se faisant seconde peau au mur. Me sais-tu là pour te faire aussi alerte... L'homme disparaît soudainement dans un renforcement comme une araignée dans son nid. La sicaire se fige sous l'imprévu. Merde. Ce n'est pas une rue et elle le sait. Il n'y en a pas ici. Clignement de paupières, les méninges égrainent leur solution. Mais c'est une oreille tendue et un regard au loin qui vont changer la donne.

    Soit...
    Un. Je reprend ma marche alors que tu attends. Deux. J'imagine le vide de ton regard guetter l'apparition. Trois. Je cours quand tu entends. Quatre. Un effort et je serai bientôt sur toi... Cinq.

    Attention, j'arrive...

    Écho malheureux de lueur qui écorche la scène. Fil de lumière suffisant pour accrocher une sortie des Enfers, une lame si bien aiguisée sur le charnue d'une gorge. Une claque d'adrénaline. Un élan de panique et une voix nasillarde qui crie puis qui supplie. Le vent qui s'enfourne dans la cour mugit encore plus fort. Dehors, quelques gouttelettes orphelines forment les prémices d'une pluie à venir. Et au milieu de ses amas de sons, on entend le bruit sec d'une caillasse percutant le sol.

    Une.
    Deux.
    Trois.

    _ Tu t'es trompé...

    Et une quatrième qui siffle l'air pour aller ricocher contre la nuque de l'Aveuglé. Ami... Quand on prétend vouloir se cacher dans une ville, mieux savoir à l'avance s'il y a des traboules. Tu serais surpris de voir qu'il y a bien souvent plusieurs entrées pour un seul et même endroit... Les azurites se lèvent pour se poser sur le garçon grassouillet aux cheveux filasses tenu par le joug du Stradivarius. Égaré nocturne qui semblait n'être qu'à la recherche de son pauvre chat. L'index se tend et se pose sur les lèvres couturées. L'indiscernable dans le noir.

    _ Chuuut... Il n'est jamais bon de hurler à la mort quand elle est devant vous...

    Murmure. Rampant, les doigts cheminent sur le cuir, glisse sur le rond d'une hanche jusqu'à la percemaille dont ils redessinent le pommeau.

    _... ni de lui tourner le dos.

Musique : "Sunken Crypt" et "Card Castles In The Sky", Alice Madness Returns, composé par Jason Tai
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De Retour tout doux. Anaon se prononce "Anaonne"
Stradivarius.
Dans la terreur.
Le temps s'arrête, inexorable. La destinée des hommes se fait parfois pourfendre lamentablement. Je tiens cette personne sous ma force, unique, et mes yeux abrutis par la guerre qui plonge sur le futur cadavre en ma possession qui n'aura plus qu'un rôle à jouer, celui de joncher le sol à mes pieds. Quelque-chose me chiffonne. Sa respiration étrange et les quelques gémissements faibles qui sortent de ce gosier plutôt grassouillet. Rien ne saurait indiquer la présence, devant moi, d'une quelconque personne dangereuse et d'une utilité néfaste pour moi. Rien ne saurait indiquer un quelconque danger venant de lui alors que ma lame glisse lentement sur sa chair. J'ai l'impression de tenir un enfant. Un frêle égaré dans le nocturne. J'ai l'impression de faire une totale erreur de jugement. Comme si tout était écrit pour me faire sombrer dans un piège qui aura ma peau. Je suis tombé dans un piège. Grotesque. Celui qui vient de Mère Nature et qui ne peut être déjoué. Un sifflement. Un miaou. Que du bruit sortant de la torpeur de la nuit. Des sons qui ne me plaisent guère. Des sons insolents qui percutent mon esprit et mon cou. Tout s'éclaire. Je suis dans une impasse. Il y a bien une personne qui tente d'avoir ma peau. Elle se tient en mon dos. Je ne cherche point plus longtemps. La lenteur est faiblesse. Ma lame découpe la gorge et le corps gras tombe fortement, frappant le sol, manquant de le casser. Le sang gicle et arrose la terre. Il ne sera que poussière dans la poussière. Si personne ne le trouve auparavant.

Murmures.
Vociférants. Doux. Calmes. Ce qui convient bien mieux à une mauvaise personne sûre d'elle. Je panique sans défaillir. Ce bruit de cuir et ce son significatif d'une main descendant, frôlant, parvenant à un objet de fer. Significatif que mon aorte risque d'exploser. Comment parvenir à contrôler le bruit de ce palpitant qui occupe tout mon esprit dès lors. Je me retourne prestement. Promptement. Faisant face à mon possible ennemi et ces questionnements qui ne cessent de me hanter. Qui frisent mon cervelet et ne m'aident aucunement à prendre les décisions qui doivent être prises. Peut-être que ce contrat est simplement un jeu. Un jeu qui aura pour but de m'anéantir. En terminer de mon existence. Un jeu orchestré de main de maître pour m'attirer dans un traquenard perturbant. Oui, ce ne peut-être que cela. Faire confiance à un aveugle dans une ville qu'il ne connaît pas et ses dédales impressionnants qui ne mettent en sécurité aucune âme. Faire confiance à cet aveugle qui se fera avoir en n'ayant connaissance des passages occultes pouvant être emprunté pour arriver à l'arrière de sa victime. Un tueur qui ne peut être que doué dans son domaine puisqu'il semble s'amuser avec moi comme je m'amuse avec mes victimes. Je deviens proie. Comme un lion en cage sur lequel on pointe une lance acérée sans possibilité de fuite. Faisons face. Verdict. C'est elle.


-"Je sais qui tu es.
Tu es ma mort, mon piège. La personne que je recherche en vain et qui doit se délecter de mon impuissance. Le Démon d'un piège conçu par le Diable en personne. La personne que je devais occire et qui aura ma peau. Parviendrais-tu à jouer à armes égales dans les ténèbres qui sont miens.
Vas-y, Mort. Jouons."


Situation indescriptible.
Les parts ne sont pas égales. J'aurai du y parvenir. J'aurai du m'arrêter lorsqu'il était encore temps. Prendre une retraite. Vivre paisiblement avec femme et enfant sans me soucier des vicissitudes de la vie. Prendre fin à cette mascarade tant qu'il en était encore possible. Dague bien empoignée. Douleur à la nuque. Légère grimace sur mon visage émacié. Trouble visible. Cadavre en mon dos. Ce chuchotement. D'où vient-il? Où est le coupable de mon meurtre? Juste là, devant moi. Oui. Je ne pourrai tailler le bout de gras sans jouer avec les règles de l'art. Je ne pourrai en sortir vainqueur en un duel à la régulière. Je ne pourrai m'extasier d'un palpitant quittant le corps d'une victime. Je sais fort bien que donner un coup ici ne mènera à rien. Seul le vent, l'air seront frappés d'une façon brutale et inintéressante. L'assassin pourra se gausser et moi, avoir l'air d'un débile. Douleur à la poitrine. Respiration difficile. Jamais je n'aurai senti cela auparavant. Jamais je ne me serai senti vaincu auparavant. Fuir? Impossible. Aucunes échappatoires possibles. Je reste donc là. Le sourire vient enfin décorer mon visage. Acceptons l'inacceptable. Agissons en maître, avec honneur. Comme dans une de ces religions où la mort d'un guerrier nous conduira à un Paradis glorieux dans lequel la Mort ne serait qu'un prolongement du bonheur. Mes doigts et mes membres se décontractent. Je ris. D'un rire simple et totalement nerveux. Cette musique me trottant dans la tête.

-"Descend de ton promontoire divin.
Viens jouer avec moi. Face à face. Lame contre lame.
Cessons les caillasses. Rendons la fin acceptable et tu auras le mérite de ton salaire."


Le vent caresse mon visage.
L'embrun marin chatouille mes narines. Je me sens bien. Si bien. Je ne bouge pas d'un cil. Mes bras sont grands ouverts, arme au bout du poing semblant manquer de tomber à chaque instant. Comme un appel à l'embrassade. Comme un appel à un ami pour qu'il vienne me chercher et m'emmener là où je pourrai respirer enfin. Je continue de rire. La joie semble me guider à cet instant précis. J'entend les cloches sonner. J'entend le mugissement du chat, encore. Le sang qui coule. Des sons de graviers écrasés sous des pieds. J'entend le cuir et le fer. Je parviens à décrire et retrouver ma destination. Mes sens s'aiguisent. Il n'y aura rien de sournois. Juste toi et moi dans un combat à mort. Le meilleur en ressortira grand. Ou pas. C'est en fonction de ce que l'on pense d'un combat contre un aveugle. Amusant ou non. Je vois ton sourire. C'est assez exaltant, cette prime facile. Tu verras que je ne saurais me laisser vaincre aussi aisément que tu ne le penses. J'ai encore toute ma fougue, ma force, ma vitesse et ma souplesse. Je saurai te surprendre. Je peux te surprendre. Je te surprendrai. Je veux, au moins, que tu te souviennes de moi après ce que tu auras fait. Si tu y parviens. Ne jamais sous-estimer une personne. Ne jamais songer d'une façon mauvaise et sournoise que l'on a le dessus par la force des choses et par les bienfaits de la nature.

-"C'est entre toi et moi.
Je t'offre le premier coup."


Sourire narquois.
Légère boutade pour détendre l'atmosphère. Le premier coup ne sera pas le bon.

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Anaon

    Alors...
    Es-tu mauvais joueur... Face à l'erreur, sais-tu réagir ? On m'a dit si peu de choses sur toi. On m'a néanmoins appris ta propension pour les armes. Mais Aveugle, peux-tu prétendre sans prétention pouvoir compenser ta cécité d'un métal bien aiguisé ?

    Les doigts de l'Anaon s'enroulent avec lenteur autour de la garde, et dans un soin tout aussi précautionneux, la lame glisse calmement du cuir de son fourreau, moirant son alliage sous la lueur incertaine de la lune. Les prunelles restent rivées à la nuque offerte à sa vision, voilée, par l'ombre humide créée par les prémices du crachin. Mais ce qu'elles voient à l'abri du porche ne leur plait pas. Un geste sec, et le corps libéré du joug s'affaisse en un tas de chairs brièvement secouées de soubresauts. Avant de se faire inanimées. Sur le visage de marbre, le regard se fait scandalisé. Nul état d'âme ou pitié pour justifier sa réaction, mais seul la contrariété d'un travail bâclé. L'Anaon n'est pas de ces sicaires qui s'élèvent artistes et qui laissent les preuves de leurs œuvres d'art macabres. Elle est de ceux que l'on n'imagine pas. Ceux qui ne laissent pas trace de leur crime et qui ne sont habités par aucun désir malsain de reconnaissance de leur tableau de chasse. On sait qu'elle a déjà tué, mais on ne saurait dire qui. On se doute sans pouvoir prouver. Aux yeux du monde, elle préfère rester blanche comme neige et irréprochable. Et la maniaque du détail est largement contrariée de cette effusion de sang qui aurait pu être fortement évitée.

    Déjà, la mercenaire imagine la ronde, passer non loin du corps irriguant les pavés éparses d'un flot d'hémoglobine, elle les voit donner l'alerte dans la petite ville, soulevée d'un vent de panique quand elle constatera que ce drame n'aura été que le fruit de la gratuité. Ce n'est pas une quelconque peur qui chiffonne la balafrée, mais l'ennuie du remue-ménage à venir qui trace une légère moue désolée sur ses traits habituellement impassibles. La voix sortant soudain de la bouche traquée la tire pourtant de ses réflexions, et les yeux cobalts de la balafrée reviennent à sa proie qui se fait étrangement bavarde.

    L'oreille se prête au discours délivré. Amusée, surprise, intriguée par le flot de paroles. La main se lève pour aller appuyee doucement la pointe de la percemaille contre l'angle de sa mâchoire où la tête se penche pour s'y appuyer faussement. Comme elle y aiguiserait sa réflexion. La pluie légère éclate quelques perles translucides sur son visage, encore dans la retenue d'un ciel qui refuse de faire craquer ses écluses. Le vent souffle pourtant toujours, voilant par intermittence les pâleurs de la lune de nuages trop opaques, plongeant la ville dans des ténèbres impeccablement dérangeantes. Un son sourd roule alors gravement dans l'obscurité, comme le glas macabre d'une messe aux funérailles. Non... Est-ce Matines qui sonne déjà ? Aurais-je mal jugé mon temps ? J'ai perdu mon manteau...

    Tant pis. C'est le tien que je prendrai.

    _ Et qu'est-ce qui te fait croire...

    La percemaille quitte son étrange pose. La mercenaire se bouge, faisant volontairement grincer un instant les graviers sous ses pieds avant de se faire silence.

    _ … que je serais disposée à t'offrir le plaisir d'une mort honorable ?

    La voix n'est qu'un ruban de velours qui se délie dans un bruissement soyeux. Elle ne peut être que murmure, ainsi scellée, à demi, des sutures qui se feraient Douleur à trop être déformées. L'approche se veut sans bruit, l'Anaon fuit le contact de la pluie pour se glisser sous le large porche où Stradivarius l'attend comme un Jésus en croix. On pourrait y faire passer un fiacre sous cette voute et c'est au mur opposé que la sicaire se glisse.

    _ Envoyer un poignard se nicher dans ta gorge serait tellement aisé...

    La percemaille se lève faisant crisser un instant sa pointe sur le roc du pan de pierre. Désagréable bruit. Elle s'immobilise. La pupille luit.

    Ainsi, pour toi je suis Camarde. Mais toi, qui es-tu ? Tu parles beaucoup pour quelqu'un qui sent la mort. Ta voix... Ses ondulations tendues n'ont pour moi rien de paniqué. Es-tu un menteur doué ? Un condamné résigné ? Ou un imprudent qui croit que les beaux mots pourront sauver sa peau ? Ou bien serait-ce l'assurance peut-être... Un sang-froid bravache qui te donne le courage des profonds discours. L'intelligence, sans doute de gagner du temps... Mériter mon salaire... Et toi ? Mérites-tu que je m'acharne à t'abattre avec plus d'égard qu'une pauvre bête que l'on crèverait d'un simple coup derrière la tête...

    Tu ris. Est-ce désespoir, provocation ou tromperie ? Un Aveugle qui provoque ce qu'il ne peut pas voir. Un Aveugle qui veut se battre. Je sens pointer l'arnaque. Ou la richissime naïveté d'un désir de vengeance sans limite. Si simple. Et pourtant porteur d'une si belle prime sur ta tête. Où est l'embûche...

    La balafrée cesse tout mouvement, observant, enfin, de plus près l'allure de celui qui forme son contrat. Et elle prend son temps, à détailler ce que l'obscurité veut bien lui montrer, par prudence, mais aussi par jeu. Ce soir, comme un loup déjà repu, elle préfère s'amuser à lancer son lapin en l'air, au lieu de lui craquer les cervicales d'un unique coup de crocs. La bête n'est pas Goliath. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas là-dessous des réflexes de chat ou une musculature de bois brut. L'âge ? Là ainsi, il ne lui semble pas des plus jeunes. Et pourtant, de prime impression, elle veut bien lui accorder un certain charisme... ou un culot dont elle aimerait jauger toute la porté.

    _ Tu attends que je te frappe... Car si je ne parle pas, ni ne m'agite, tu ne peux pas savoir avec exactitude où est-ce que je suis...

    Le timbre se ferait presque amusé. On sent le sourire que son visage ne dessine pas. Je déteste ça... Porter le premier coup, s'il n'a pas vocation à être le dernier. Je déteste réellement ça... Mais allons, ainsi posté, tu me donnes envie de te chatouiller les flancs. Alors soit... Je te l'accorde.

    Sans la conviction de vouloir se faire expéditive, dans la simple envie d'asticoter et d'ainsi assouvir sa curiosité, la femme consent à s'élancer vivement d'un pas et d'une main dirigeant la dague pour aller percer les côtes, l'autre en garde, prête à agripper le coup qui pourrait lui être fatal à elle. Prévisible délibérée.

    Alors Petit Tas d'Or, vaux-tu la prime que l'on t'accorde ? Montre-moi si tu as des réflexes, ou ne serait-ce que de l'instinct. Ce petit intérêt que tu éveilles en moi, d'un aiguillon curieux, est-il justifié ? Voilà que tu me sors de mes sentiers. Est-ce pour déjà t'écrouler dans le fossé ?

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De Retour tout doux. Anaon se prononce "Anaonne"
Stradivarius.
On dirait un serpent.
Sorte de bestiole qui rampe sans trop de bruits et qui se faufile dans l'ombre, les crocs sortis, prêt à bondir sur sa proie pour l'avaler tout rond. Un serpent qui persifle et siffle une certaine classe. Je sais que dans ces cas là, il ne faut pas bouger. Ne pas laisser envisager le moindre mouvement qui serait alors, d'un coup fatal. Comment faire, pour moi qui ne souhaite que trop prendre le contrôle d'une situation, même si celle-ci m'échappe totalement? Je ne rompt pas le silence, c'est lui qui me tuera. Si je ne bouge les muscles de mon faciès pour arborer le plus grand des sourires, c'est ça qui aura ma peau. Je ne peux me fier qu'à mon caractère, mon comportement et faire fi de tout le reste. Même si tout a bien changé. Même si je ne vois plus. Même si ce jour serait alors le dernier. C'est amusant que la pluie commence à tomber. Le frottement de l'eau sur le pavé. Le crissement de ce liquide qui s'abat sur du cuir. C'est comme un rideau qui me fait recouvrir la vue. Chaque lieu se dessine à ma pensée. Chaque endroit se profile à l'horizon. Chaque caches se montrent à moi comme si je n'avais rien perdu de mes capacités. C'est ainsi que l'aveugle voit. Avec ses oreilles. Seules guides de l'incertain. L'idiotie étant de se retrouver sous un porche. Un porche qui me condamne de nouveau à l'errance. Je perçois tout mon environnement. Sauf ce point précis. Sauf cet endroit où, certainement, elle se trouve déjà.

Doucement.
Je recule, presque imperceptiblement. Gardant de ma superbe imbécile quant à la situation. Des pas légers, inaudibles qui me font connaître un peu la pluie. Petit à petit dans le dos, de l'eau qui me chatouille. Qui me rend vivant. Qui imprègne doucement ma chevelure. Je n'aimais la pluie, auparavant. Mais ça, c'était avant. Quant à ma proie, ou ma chasseuse, je ne la visionne toujours pas. Intérieurement, je bouillonne. Je tremble. Comme une sensation de picotements dans la poitrine. Ça se resserre, doucement, lentement. Je n'entend aucun mouvement. Aucune émotion. Rien qui n'indique réellement sa présence. Je suis tout bêtement dans les ténèbres. Serrant dague et canne. Attendant naïvement le glas de la défaite, cette épée de Damoclès qui me transpercera de haut en bas. Deux parties de moi, parties égales, joncheront bientôt le sol. Et pourtant, je la cherche. Je lui envoie des piques. Des phrases qui sortent tout naturellement de mon gosier, sans faillir. Je lui impose le fait de venir me donner le premier coup. De frapper la première. De me montrer cette force. Je n'ai pas la conviction, réelle, de mener à bien ce combat. Surtout si nous ne sommes à armes égales. Elle a clairement l'avantage. Je ne compte pas me laisser avoir aussi facilement que cela. Ma respiration se gagne. Je ne la lâcherai pas comme ça. Pas maintenant. Qu'on me vienne en aide, pour vaincre la perfidie. Pour vaincre ma maladresse. Pour tuer ma maladie. Si ma vue revenait, là, maintenant, à présent, je la maîtriserai sans faute. Aucune.

Elle parle.
Ou plutôt, persiffle. Doux murmures que je parviens à entendre comme des échos de destruction. Assurée. Forte. J'avoue qu'une pointe de respect commence à poindre en moi, pour elle. Je n'ai rarement rencontré de personnes comme elle. Elle a l'air si imposante. Si puissante. Prête à déclencher la mort sur son passage sans sourciller un instant. On dirait une mère qui vient s'occuper de son gosse récalcitrant. Si mon imagination voulait me jouer des tours, je la vois comme une Géante. Aux yeux rouges exorbités. Comme quelqu'un qui pourrait me réduire en poudre d'un coup de poing. Et cette voix douce qui dénote totalement. Je bouge la tête pour mener l'oreille en direction des paroles. C'est bien. Dès qu'elle perle, je peux placer avec véracité sa présence sur la carte inscrite dans mon cerveau. Pendant qu'elle cause et qu'elle bouge, faisant ainsi virevolter la caillasse du sol, je prépare de suite ma défense. Aussi bien que je le puisse. Je sais que non loin de moi, à mes côtés, il y a un cadavre. Qu'en face, il y a la tueuse. Je sais que les pas dans la mauvaise direction causera un déséquilibre flagrant. Une perte de contrôle. Je me dois d'enregistrer toutes les entraves sur mon passage. Et, de ce temps, elle prononce les derniers mots. Ceux qui précèdent l'attaque. Je le sais. Ces notes qui sont appuyées sur la fin pour montrer sa volonté, sa détermination, son envie d'extermination. Un premier pas vers le tombeau? Je garde mon sourire.

    -Robert, prend garde. Juste à tes côtés.

    -J'ai vu.

    -Elle arrive. Bien trop rapidement. Tu n'auras le temps.

    -J'aurai le temps.

    -Une main vers le bas. Une autre en haut.

    -Je sais.


Je les entend.
Elle aussi. Étrangement, étonnamment, elle avance comme une sorte de taureau à la charge. Elle qui était si silencieuse jusqu'alors. Elle qui se voulait discrète. Elle qui était comme le serpent. Elle bondit trop rageusement sur moi. Surement un test. Surement une façon qu'elle aura trouvé pour se divertir un peu de moi. C'est sans doute cela. Ce ne peut être que ça. C'est ce qui indique une certaine sous-estime pour moi. Comme si elle voyait déjà le triomphe à portée de main. J'ai l'habitude de ce genre d'attitude. Et la première attaque est toujours la plus importante. Connaître la force de son adversaire. La connaître elle et sa force, sa fougue, son esprit. Anticipé la défense, puis l'attaque. En offrant le premier coup, on s'octroie deux coups d'avance. Je suis aisé qu'elle puisse avoir répondu à ma requête. Je suis heureux de percevoir chacun de ses mouvements. Une côte. Une protection. C'est bien trop simple. Bien trop bas. Il suffirait simplement que je compte les secondes qui me séparent d'elle. Que je compte ses pas. Que je jauge sa vitesse pour la voir dans toute sa splendeur. Cinq. Quatre. Trois. Deux... un saut en arrière. Sous la pluie balayant mon visage, faisant luire une certaine brillance dans ma chevelure. Le vent qui passe devant mon visage. Évité de peu. Très peu. Simple jeu de jambe des plus basique et élémentaire. Le prochain coup ne sera pas aussi simple. Je le souhaite. J'en profite, amusé, pour lui infliger un coup de canne dans le dos. Pas assez violent pour lui créer aucun mal. Juste déstabiliser. S'amuser. Jouer un peu avec les nerfs. Il ne fallait pas s'attendre à autre chose. Elle doit le savoir.


    -Teuh, teuh, teuh. Il n'est l'heure s'échauffer, trésor. Ne jamais s'endormir. Tu peux faire mieux. Je suis aveugle, tout de même.


Rires de mise.
Je ne suis toujours pas assuré. Je ne suis toujours pas aussi fier que je pourrai le paraître. Mais autant montrer un peu d'amusement à la situation. Profiter jusqu'au dernier moment. Au dernier instant. À présent qu'elle est là, je situe sa présence plus que jamais. Je me recule. M'en vais sous le rideau de vision que m'offre l'eau. J'attend qu'elle m'y rejoigne. Qu'elle se montre. Je continuerai à la taquiner jusqu'à ce que j'obtienne ce que je souhaite. Tu peux sourire, charmante donzelle. Encore un coup, et tu sauras de quoi je suis réellement capable. À armes égales, comme convenu. Je peux respirer, plus amplement. Toi aussi, bien que tu ne le saches, tu dois me montrer que tu vaux ton pesant d'or. Toi aussi, tu dois me faire voir que ta tête sera bien plus jolie sur une pique après que j'eusse toucher l'argent qui va avec. Crois-moi, c'est dans des instants comme celui-ci que je vois ma jeunesse éclater de nouveau à la face du monde. C'est dans de telles circonstances que je me sens de nouveau invincible, même si tu es invisibles et que la partie est loin d'être terminée. Allez. Encore un pas, une attaque et nous en finirons de cette mascarade petit serpent.

    -Viens persifler à mes oreilles, petit serpent, que j'écoute la douce mélodie de ta mort. Tu as le droit à une deuxième chance. La dernière.


Bâton jeté.
Je place pression sur ma jambe, prêt à bondir quand il le faudra. Je n'ai plus qu'une lame. Prêt à en découdre. Les choses sérieuses commencent.

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Anaon


    L'élan n'est pas porteur. Comme anticipé, le coup ne touche pas sa cible. Infime seconde où elle le voit reculer et note ainsi la présence de ses réflexes. Infime seconde où déjà l'Anaon se retourne pour ne pas exposer son dos. Les bras en plastron devant sa poitrine, c'est l'épaule qui encaisse la petite pique du bois, étirant un sourire subreptice du bout de lèvre valide face au comique de la situation. La distance de quelques pas est déjà retrouvée, et la sicaire s'immobilise, bras ballants dans ses airs nonchalants, regardant sa proie fanfaronner et se ponctuer d'un rire. Un sourcil se rehausse sur le faciès balafré. Dieux, mais sur quel drille est-elle tombé ?

    La femme se penche, les doigts se referment sur la grossière bille de roc qui a précédemment ricoché sur la nuque du Stradivarius. Et à nouveau elle l'envoie brusquement baiser la trogne de l'aveuglé.

    _ Tu n'es pas en position de faire le mariole... et évite les mots doux, mon mignon, tu pourrais t'attacher...

    Non mais oh.
    Piqure de rappel. La sous-estime de l'autre peut être une erreur fatale, mais le manque de confiance en soi peut aussi être une ânerie. La seule chance de survie est de savoir doser. Et l'Anaon dose, non sans un vague ressentit amusé qui déjà se dissipe quand tout son sérieux revient. Quoique dissipé... Voilà que le ballet mortel promet de s'égayer de quelques notes d'un humour déplacé. C'est là, qu'elle sent toute la présence de la mort qui plane sur les épaules Aveugles. Petite présence pernicieuse qui se cache dans ses rides et louvoie dans son rire. N'est-elle pas la première à dire, qu'elle s'est si souvent mise à rire quand elle s'est vu mourir ? Elle ne sait encore si c'est son caractère, son détachement ou ce macabre pressentiment qui donne à l'homme ses allures désinvoltes.

    Ma mort ? Moi ? Oh non, je n'ai pas envie de mourir ce soir, ce n'est pas faute pourtant, d'avoir si souvent appelé la Camarde ou attendu que les Caladrius veuillent bien se détourner de moi. Mais ce soir, non, n'espère pas t'échapper du glas que je te sonne. Les cloches ne pleureront pas pour moi.

    Les azurites suivent le bâton lâché, vaguement étonnées. Première erreur. L'attention revient au visage baigné de pluie. Sottise de vouloir jouer les égales. Car moi, d'honneur, je n'en aurais pas. Une arme laissée sans crainte à la portée d'un ennemi... C'est bien trop compter sur son sens de l'équité. L'Anaon alors ne le déduit pas mercenaire, bien qu'il pourrait en avoir l'allure. A moins qu'il ne soit de ces mercenaires reliquats de chevaliers, ersatz de paladins, mêlant la cupidité d'une bourse bien remplie aux valeurs charitables de la loyauté et de la dignité. Chose que l'Anaon n'est pas. Elle, sicaire de la pire espèce, sans état d'âme ni état de cœur. De celles qui préfèrent les coups bas aux lauriers du mérite. Celles qui chérissent la survie à la mort honorable. La vie, par tous les moyens, car nul n'est digne de la juger. Nul ne peut lui reprocher ses bassesses et ses faiblesses. Nul autre que ceux qui ont réellement pâtis de ses erreurs. Que croule sur elle le déshonneur. On ne peut pas prétendre à la fierté sans hypocrisie lorsque l'on s'abaisse à vendre sa vie pour de l'argent.

    Alors, durant l'instant où elle observe cet inconnu battu par des milliers de perles liquides, elle lui imagine une vie. Elle le voit petit seigneur destitué, ou chevalier sans médaille. Croisé revenu de terre Sainte, que les yeux désabusés de n'y avoir trouvé aucun miracle, se sont voués à la cécité pour ne plus voir jamais les horreurs commises par de saints hommes. Ou soldat encore, ayant laissé orgueil et vue sur le champ de bataille, espérant perdre cette fois avec la gloire qu'il n'a plus. Cette dernière supposition lui plaît, et elle se dit même que ce serait compassion et bon geste que de lui accorder une mort raisonnable. A cette pensée, elle éprouve soudain une légère vague de sympathie à l'encontre de son adversaire. Un embrun d'émotion bien vite chassé par le pragmatisme et le professionnalisme de l'instant.

    Le comment de sa mort, il en sera lui-même acteur. Elle, elle devra aussi s'assurer de ne pas plonger dans les bras de l'Ankou. L'image de soldat lui plait. Mais un soldat sait se battre. C'est toujours dérangeant ça...

    Voilà que les secondes s'égrainent en un chapelet impalpable, au silence brisé par les craquements célestes et la résonance de ses pleures sur les toits de la ville. Les prunelles mercenaires se posent sur la posture de l'homme et surtout de ses jambes. Trois claquements de langue désapprobateurs viennent animer ses lèvres, avec un brin de taquinerie dans la voix.

    _ … Dommage... J'aurais pu t'apprendre...

    Moi aussi je sais m'amuser. Mais allons, viens. Attaques et gardes tout ton poids sur la même jambe, et je te montrerais pourquoi il ne faut pas. Le vieux singe te montreras comme faire ses grimaces.
    Se battre contre un aveugle, voilà une chose inédite. Mais oui, si l'Anaon perçoit clairement son avantage, paranoïaque et bien trop expérimentée, elle ne fait pas la stupide erreur de mésestimer celui qui lui fait face. Il n'a ni la stature du rachitique, ni n'hésite à rompre la carotide du premier qui passe. Et même un inexpérimenté serait capable dans un réflexe fou d'abattre son assaillant. Alors un homme qui sait manier une arme...

    Elle s'avance avec son pas léger et coutumier, sans prendre garde pour autant de se faire muette. Non, elle ne se met pas encore en garde, la pointe de la dague demeure simplement pointer vers le torse de l'homme. Et à distance elle se contente de tourner autour de Stradivarius.

    _ A toi l'honneur, Bijou.

    Ce seront mes derniers mots.

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De Retour tout doux. Anaon se prononce "Anaonne"
Anaon

Face à face.
Jusqu'à ce que la monotonie se rompe d'un coup de roc sur un faciès déjà bien entamé par la vie et la mort, au gré du temps qui passe et n'en peut plus. Certes, la caillasse cause la douleur du corps, mais aucunement de l'âme. Un simple ressort du manque de dignité et d'honneur de la personne d'en face. Une mercenaire comme je l'étais, jadis, lorsque je tuais un pauvre badaud dans une ruelle sinistre, l'éventrant totalement pour m'emparer de son coeur et l'offrir à une compagne d'un instant. Compagne qui pouvait aussi succomber d'une offrande de la mort de ma part. J'aimais tant cette insouciance, en moi. Bien qu'en perdition, hanté par mes démons affolants. Je jouais cette complainte sinistre à l'aide de mon violon. Il a été remisé bien trop longtemps. Je ne l'ai pas à cet instant, ni même une rose à apposer sur la dépouille de cette femme qui me fait face. Autant se contenter de siffler un air que j'aurai pu jouer. Mettre un peu de relief à cette atmosphère tendue tout en me frottant la trogne pour laisser s'estamper la douleur. Elle veut jouer. Elle veut me faire perdre pieds. Que j'attaque enfin pour lui laisser une chance. Je ne lui laisserai jamais cette chance. Je lui ferai un cadeau, comme à toutes les autres, à tous les autres. Je reste stoïque, impassible, comme une statue de marbre à siffler une arrogante symphonie tout en serrant fortement mon coutelas qui baignera dans le sanguinolent prochainement.


-Je saurais te délivrer de cette vie morose. Laisse-moi t'offrir mon cadeau le plus cher. Ton âme s'épanouira en Enfer. Je connais cet endroit personnellement. Tu y seras bien. Je t'y rejoindrais. Plus tard. Quand la Mort voudra de moi.

C'est bon.
Elle y aura le droit. On ne peut décemment juger une personne dans une aussi infime intimité que celle de la mort proche. Je lui donne néanmoins mon respect pour jouer de la sorte avec mes démons. Elle a ce timbre de voix si doux, si lugubre, si alléchant que j'affectionne tant. Si elle avait été un homme, j'aurai pu croire me battre contre ma voix intérieure. Ma conscience. Ce monstre qui me force à tuer, à pourfendre, à détruire. Cet ami de longue date que j'ai appris à aimer. J'aurai pu l'aimer, elle, cette ennemie mercenaire. Si tant est que ma prime fonction n'eut été de la voir trépasser. Je le fais pour l'argent, oui, mais pas seulement. Ce besoin omniprésent, ces pulsions irrésistibles. Non. Elle me crachera au visage tout ce carmin que j'absorberai ensuite pour abreuver mon gosier asséché. Si je l'entend tourner autour de moi, sans discrétion, je peux anticiper ses mouvements et prévenir, sans trop de risques de failles, ses prochaines attaques. Si tant est que le premier coup soit faussé et que l'équilibre des choses se fassent en contrecoup de ma bonne fortune. Je m'élance vers la silhouette des ténèbres que je vois si grande entre les gouttes qui perlent en décadence. Les oreilles guident, comme la main pointe vers la gorge. Peut-être une cible trop étroite, trop légère, trop volatile pour un premier coup. Si mes calculs sont exacts, ça devrait perforer et retirer l'excédent de vie. Je fonce rapidement vers elle.


Et les paroles livrées plus tôt n'ont pas le temps de méditer au creuset de son esprit. Il fonce, elle se tient immobile, se risquant au calcul chirurgical d'un coup qui ne permet aucune faille. La lame fuse, elle recule la tête au dernier instant du geste, Instant où elle imagine le fil lui lécher la peau, Instant où elle se laisse impressionner de constater que ce bougre d'Aveuglé sait admirablement bien viser. Mais l'avantage de l'Anaon est là, à peine la main ennemie termine son attaque que senestre agrippe le poignet armé, l'accompagnant dans la courbe décrite qui était destinée à l'égorger et plaquant ainsi la main masculine sur son épaule opposée. C'est alors que son buste pivote, envoyant tout son côté droit se heurter à l'élan de Stradivarius quand sa dextre armée se lève comme en uppercut pour perforer l'aisselle bloquée de l'homme.

Résistance du cuir qui cède sous la percée. Durant quelques secondes l'Anaon soude son profil à celui de son belligérant. Premier contact, subreptice, où la mercenaire comme une bête en chasse ne peut s'empêcher de gonfler les narines. Chercher à capturer les moindres bribes d'odeur. Celles des tissus alourdis d'eau, celle de son parfum qu'elle voudrait démêler de tout le reste.
Oui... En d'autres temps je t'aurais dit "oui". Comme j'ai déjà dit oui un soir de folie à un colosse dans un combat acharné. J'aurais dit oui à ta Mort. Je t'aurais aimé pour me l'avoir donnée. Comme un vieux Dragon qui n'a plus rien à apprendre et a connu toutes les douleurs, j'aurais accueilli avec hargne celui qui aurait prétendu pourvoir m'abattre. Mais je t'aurais résisté. Par orgueil, je me serais battu comme dans ces combats épiques car je n'aurais toléré de perdre la vie par la main d'un incapable. J'aurais accepté mon heure, pour peu qu'elle soit glorieuse. Mais ce soir, non, le vieux dragon a jugé qu'il lui restait des jours à vivre, et que ce ne sera pas toi qui brandira sa tête en trophée à qui voudra la voir.

Clignement de paupière. Les azurites se posent sur ces autres accolées à son profil. Des voiles de chairs... déchirés ? Le détail se note sans qu'elle ne perde le temps de lui donner importance. D'un même coup, la jambe droite de l'Anaon passe derrière celle du Stradivarius pour lui crocheter la cheville dans un revers alors que sa dague se déloge brusquement de sa gaine de chair.



Silenzio.
Je ne peux décemment dire, dans l'instant, ce qui s'est exactement déroulé. Je n'arrive pas le comprendre. À entrevoir le pourquoi du comment je me trouve à présent au sol. Cette chose, ce démon, elle a répondu bien trop rapidement pour être raisonnablement humaine. Ce n'est pas une humaine, c'est un fléau. Une bête sombre et sinistre dressée pour tuer. Comme je le suis. Elle a joué divinement son coup pour me mettre à défaut. Hors jeu. Je suis la bête blessée par l'Anaon. Moi qui pensais, seulement un instant, être le chasseur et non la proie, me voici doublement contredit. Mon moral en prend un coup, comme une attaque de claimore balancée avec force et fougue tout contre moi. Je suis anéantis. Il faut que je me reprenne. Si je bouge, je sens l'affreuse douleur me faire lâcher un nouveau râle. Un cri s'était bercé au creu de l'oreille féminine lorsque la fine aiguille transperça le cuir pour s'enjoindre à ma chair. Allant jusqu'a se coincer dans un os, le fêler délicatement dans un bruissement affreux. Par le mouvement des deux corps, la lame suivit l'os et quitta la chair d'un autre trou. On la vit bien transpercer le haut d'une poitrine jadis robuste. Sans crier gare. La percemaille causa deux douleurs distinctes. Lorsqu'elle entra, lorsqu'elle qu'elle sortie. Rompant ainsi par deux fois la chair, les muscles et tendons se trouvant à l'intérieur de mon corps meurtris au sol. Cette attaque, je la connais que trop bien. Je l'ai pratiqué une fois, à Rome, pour un Cardinal. C'est sournois, fourbe, féroce. Ça va droit au coeur. Ça détruit tout sur son passage. Pourtant, je suis encore là. À sentir le sanguin me quitter, emplir mes vêtements et sortir par ce petit trou causé dans le cuir.

J
e souffre.
Mes doigts se crispent plus lentement qu'à l'accoutumée. Blessé de la sorte, le moindre mouvement me cause une douleur absolue. C'est ainsi que je sonne le glas de la défaite en perdant l'utilité de mon bras d'arme. Au diable la décadante défaite. Si je dois mourir aujourd'hui, me vider entièrement de mon sang, ce ne sera pas sans avoir lutté comme un Diable. Sans avoir montré les crocs et me montrer féroce. Tout comme les chiens, lorsqu'ils sont acculés, je peux être d'autant plus féroce. Sélène, la douce Sélène, m'avait apprit à utiliser aussi bien ma gauche que ma droite. Célèbre ambidextre que celle-là. J'ai toujours eu du mal avec ces pratiques contre nature qui peuvent, cependant, être très utile. Comme dans ce cas précis. Je prend appuie sur ma blessure pour m'aider à me remettre de côté et prendre la lame de la main gauche. Oui, je souffre bien trop. Je risque de m'évanouir au moindre instant. J'ai, néanmoins, cette décharge d'adrénaline qui me maintiens et me fait résister plus que de raison. L'action se veut rapide, bien qu'en apparence dénuée d'hardiesse. Beaucoup plus semblant être une révérence qu'un coup brutal. Cette lame s'enfonce néanmoins bien chaleureusement dans la bottine. Transperçant elle aussi le cuir pour atteindre la chair. Le tout n'étant de ne pas attendre, et continuer à frapper. Mon poing serré tape le pommeau de la dague, et la jambe mise à disposition temporelle. On ne s'attaque pas aussi impunément à une bête souffreteuse. Tout comme on prend soin de tuer le sanglier avant que celui-ci ne revienne dans une charge brutale. Je profite de cet instant pour tenter de me relever.


Le bruit mat de la chute. D'un pas vif la sicaire recule pour laisser le corps du Stradivarius s'effondrer sur le sol. Elle n'a pas cherché à viser le cœur. En frappant au côté droit, elle ne l'aurait pu. Mais le sang qui se mêle déjà à l'eau témoigne que le coup porté a visé juste en amochant l'articulation du bras armé. La sicaire ne saurait déjà entrevoir la victoire, mais un premier constat bien rassurant pour elle. Sauf que Stradivarius a crié. Un claquement soudain résonne contre les parois de la petite cour. Un échos qui n'est ni celui de l'orage ni celui du vent. La mercenaire relève brusquement la tête. Un volet que l'on vient d'ouvrir ? Auraient-ils réveiller public qui pourrait les découvrir ? Non ! Ce serait la mettre dans une situation bien trop délicate !

Froissement à ses pieds. Les azurites s'abaissent. L'image du Stradivarius qui se tourne lui claque à la rétine. Elle voit la dague. Son cœur sursaute. Dans un réflexe agile elle recule la jambe gauche et c'est la droite qui sert de nid à la lame. Séisme dans son échine. A peine le juron tente de sortir que ses dents se referment sur lui en broyant son cri. Elle s'arrache de la main assassine. Recule de plusieurs pas titubant. S'arrête.

Son cœur s'emballe. Le buste se courbe. Et la sicaire voit la garde de la dague fichée sous son mollet. Le fluide vif et vermeil se noie dans les rigoles de pluie sur le cuir épais de sa botte. Douleur. Sa main crispée s'approche. Ses mâchoires se serrent pour enrayer un râle furieux. L'esprit chamboulé et parasité par la souffrance soudaine analyse pourtant à une vitesse fulgurante. La lame semble ne pas avoir touchée le tendon. Elle s'est glissée juste dessous, perforant vraisemblablement le soléaire. Pulsation incontrôlée dans sa jambe. Une dague comme ça ne peut pas rester là. Elle n'a pas choix. Elle n'a pas le temps de tergiverser ni de digérer sa surprise. Ce sera l'hémorragie, mais elle le doit. Sans trop hésiter, une crispation violente figeant ses traits, la sicaire attrape la dague qu'elle entreprend d'un trait franc mais précautionneux de retirer. Plus loin, elle ne prend pas conscience de l'homme qui essaie de se redresser.


    - Post à quatre mains -

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De Retour tout doux. Anaon se prononce "Anaonne"
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