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RP - Les maris se choisissent les yeux ouverts...

Fleur_des_pois
... et les amants, les yeux fermés.

    {Nuit du 24 Janvier 1462}


Peu importait si le mariage était fini ou non. Peu importait s'il restait encore des invités dans la cathédrale. Fleur n'y avait pas pris garde. Elle avait laissé son mari fraichement épousé se débattre avec le reste du monde. La Fée était partie, au bras d'Adryan, consommer cette nuit qu'elle aurait dû réserver à Niallan. Mais nul doute que si elle s'était enfuie avec lui, leur colère respective éprouvée l'un pour l'autre se serait muée en haine le lendemain matin. Gaia voulait lui apprendre, en quittant la scène de cette bouffonnerie, que l'on ne possédait pas Gaia Corleone comme on s'appropriait une maîtresse de passage. Désirer ce qu'il ne pourrait avoir le rendrait probablement à moitié fou, et c'était bien ce que le Lutin escomptait.

La porte de ses quartiers fut ouverte d'une légère poussée. Ne craignant pas le vol, elle ne la fermait jamais à clef. L'habituelle odeur de plantes séchées lui parvint au nez, et un sourire satisfait se peignit sur ses lèvres. La Fée aimait ces effluves, elle se sentait protégée de tous maux quand elle respirait à pleins poumons ce parfum entêtant.
Se tournant vers Adryan dont elle serrait la main entre ses doigts fins, l'Ortie le regarda, les yeux pétillants de malice et d'espièglerie.


Veux-tu toujours consommer ma nuit de noces ?

Et sans attendre de réponse, l'Ortie se hissa sur la pointe de ses petits pieds, et happa entre les siennes, les lèvres du Castillon. L'attirant tout à la fois à l'intérieur de la pièce et contre elle, Fleur passa les bras autour du cou du barman.
Envolée, l'image de son mari qui devait trainer quelque part, à Notre-Dame où ailleurs. Il pouvait bien faire ce qu'il voulait de sa nuit, cela n'avait plus aucune importance pour elle. Niallan était hors de ses pensées, évoluant dans un univers qu'elle ne retrouverait que le lendemain matin.
Pour l'heure, Gaia se tenait là. Avec Adryan. Ses lèvres soudées aux siennes. Son corps contre le sien. Et s'apprêtant à passer sa première d'épousée avec son amant.



Henri Jeanson

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Adryan
Froid. Distant. Insensible.

Voila certainement les qualificatifs qui raisonnaient entre les tempes de ceux qui croisaient le chemin du Castillon. Et certainement ces quidams n’avaient pas tort. Pourtant, dans les rues noires ramenant le couple illégitime de la pieuse Notre Dame à la sulfureuse Aphrodite, un goût d’infamie s’accrochait au fond de la gorge d’Adryan. Il n’était pas dévot, mais son éducation lui avait inculqué le respect, et la Dame de pierre avait été insultée par la mascarade. Sa réputation et son honneur étaient déjà bafoués et piétinés par une inclinaison contre nature et un destin séditieux, mais sa fierté s’agitait toujours dans ses veines. Les liens du mariage n’avaient que peu de sens pour lui, pourtant l’outrage était là quand en sus, la voix d’Alphonse avait vrillé d’un feu mauvais et la présence de Dacien contre son épaule, engourdi de mépris.

Taiseux, il avait suivi l’Ortie, souriant quand elle lui souriait, acquiesçant distraitement quand elle lui parlait. Il aurait voulu la mener dans une chambre luxueuse, même chez lui, pour lui offrir ce qu’elle était en droit d’attendre de sa nuit de noces, même corrompue, mais ce fut à la droguerie qu’elle le conduisit, au milieu de bocaux et des herbes sèches, sans même une paillasse. Et la nausée le reprit de plus belle. Il se dégoutait. Fleur dans sa légère insouciance l’accablait.


« Veux-tu toujours consommer ma nuit de noces ? »


La question claqua, purement rhétorique quand déjà elle l’embrassait, pressait ses formes délicieuses contre lui sans un remord, sans un scrupule. Aveugle, définitivement des ressentis de ceux qui partageaient sa vie.


Le baiser du Castillon fut vorace, furieux, alors qu’emprisonnant la frêle silhouette de la petite Sorcière entre ses bras, il valsa avec elle, fougueux, entre les murs de la droguerie, renversant quelques pots dans son sillage sans même y prendre garde jusqu’à l’acculer contre le bois rêche de la porte ne lui offrant pourtant aucune échappatoire. Il mordit sa bouche. Il mordit son cou. Il mordit ses épaules. Il mordit ses seins. Il dénoua sa robe avec emportement, mettant sans pitié sa peau à nue. Telle était la réponse qu’elle n’avait pas attendue. Essoufflé, l’enchainant contre le bois d’une dextre ferme ancrée à son épaule menue, il la regarda. La courbe de ses lèvres rieuses. La ligne mutine de son nez. L’éclat malicieux de ses yeux. La finesse de son épaule. La rondeur de ses seins. Il la regarda, jusqu’à ce que sa senestre adoucie glisse sous son jupon, longeant le fuselé de sa cuisse d’une paume pleine et chaude, fuyant la hanche aguichante pour mieux se perdre à son buisson où ses doigts se déployèrent. Inquisiteurs, habiles, affolants, l’ancien courtisan déployait tout son art à débusquer le plaisir féminin. Otage des lubies aristocratiques, le bouton de Fleur était entravé de frôlements, de caresses les plus alarmantes s’alanguissant à chaque faiblesse qui se trahissait au souffle de l’Ortie. Et lui la regardait, avide, décuplant ses brulantes attentions jusqu'à venir confronter son bassin roide au sien. Et sournois, il vint caresser les lèvres pleines de la Fée des siennes, sans lui accorder pourtant le moindre baiser.

Pourquoi as-tu accepté ce défit inique ?
Souffla-t-il d’une voix caverneuse contre sa bouche. Ne me mens pas. ordonna t-il alors que son doigt fourbe déjà la possédait.

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Fleur_des_pois
La Fée le laissait mener la danse. Indifférente aux éclats de verre qui jonchaient déjà le sol. Ne se préoccupant plus du reste. Elle savourait les morsures d'Adryan comme d'autres de délicats baisers. Elle avait besoin, parfois, de ressentir sur son corps la violence des sentiments qu'elle éprouvait.
Et tandis que la main du Castillon suivait la courbe de sa cuisse, Fleur glissa les doigts dans la chevelure brune de son amant. Déposant une série de baisers légers sur son cou, sa main libre se chargeant de délier le haut de sa chemise.
Un soupire s'échappa de sa bouche alors que les caresses d'Adryan déjà lui firent fermer les yeux. Sa respiration alourdie par le feu qui lui rongeait le ventre, Gaia dût se forcer à capter le sens de la question murmurée.

Un sourire étira les lèvres de l'Ortie, léger et fugace. La réponse lui semblait évidente, à elle. N'était-ce donc pas la même chose pour lui ? Ne voyait-il pas ce qui était si clair pour elle ? Ne s'était-il jamais demandé... Le Lutin plissa légèrement le nez. Elle ne voulait pas savoir, n'en avait même pas besoin. Elle s'en fichait.


Parce que c'est toi qui me l'a proposé, répondit-elle à voix basse.

Gaia ne voulait plus parler. Elle ne voulait pas s'étendre là-dessus, pas encore, pas maintenant. Plus tard, peut-être. Lorsqu'elle aurait trouvé le courage d'affronter les mots qu'elle fuyait si bien, d'ordinaire.
Pas alors qu'une nouvelle vague brûlante déferlait en ses veines tandis que les caresses se faisaient plus délicieuses encore. Pas alors que son cœur s'affolait et que son désir de lui décuplait encore. Pas lorsque les mots qu'elle n'avait pas prononcé semblaient danser devant ses yeux.
Et pour rompre, à sa façon, toute forme de discours superflu, la Fée reprit le délaçage de la chemise, parcourant du bout des doigts la peau mise à nue. Elle se laisserait guider, cette nuit. Comme une jeune vierge le soir de ses noces, à qui l'époux fraichement acquis ferait l'éducation.

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Adryan
« Fracture
Poussé seul sur un tas d'ordures
Torture
Redouter d'être une imposture
Froidure
Qui nous gerce le cœur
Et rouille les jointures
Oui je les ressens* »




« Parce que c'est toi qui me l'a proposé »


Alors qu’il harcelait le désir de Fleur avec une sournoiserie têtue, la réponse murmurée l’agaça comme un grand cru tournant à l’aigre. Malgré la douceur des caresses qui cherchaient à amadouer sa peau dénudée, il mordit sans pitié aucune la fraicheur délicatement parfumée du son cou offert, entrainant la petite Fée sans ménagement jusqu’à la table sans que ses doigts ne cessent leur douce torture. Il avait espéré une réponse qui ait du sens, qui éclaircisse la situation, lui ôte ses fards pour ne laisser que la vérité nue, quelle puisse t’elle être. Mais il ne recevait qu’une réponse sibylline, signifiant tout et rien. Fleur était, avant d’être maitresse, une amie, et l’amitié était un sentiment qui n’admettait pas la dissimulation. Qui n’admettait aucune salissure. Et c’est ce qu’il s’apprêtait à rugir, cherchant à la faire céder sous le poids de ses caresses vicieuses quand le sens de la réponse pris doucement forme entre ses tempes brunes.


Et ce ne fut plus l’agacement qui l’anima mais la stupeur.


« Parce que c'est toi qui me l'a proposé »


La tête lui tourna un moment quand les doigts castillons délaissaient la chaleur de l’Ortie et que d’un pas, il recula, plongeant son regard troublé dans le sien sans même se préoccuper de sa chemise baillant sur son torse. Ainsi donc, elle était prête à tout accepter. Pour lui. Parce que c’était lui. Même l’ignominie. Même passer sa nuit de noces dans la précarité d’une table de bois rugueuse à s’en égratigner le dos sans même s’en offusquer.

Qui pouvait faire cela à part une femme amoureuse ? Personne.

Il recula encore d’un pas, la nausée l’assaillant avec une force sans pareil quant il ne pouvait rien répondre et surtout ne pas lui mentir en la souillant davantage en se pliant au simulacre abject de cette nuit.


Le Castillon tenait bien trop à elle pour la salir de ce qu’il était, un homme qui ne trouvait l’extase le plus pur que dans les bras d’un autre homme, aussi détesté puisse t-il être. Un homme qui jamais ne pourrait lui donner ce à quoi elle avait droit, son amour sincère en échange du sien. La seule chose qu’il pouvait encore lui offrir était son respect. Il refusait de la tromper dans une étreinte corrompue. Il refusait de la prendre comme il prenait une vulgaire cliente quand son désir s’effondrait comme un vulgaire château de cartes. Il refusait de la ployer à ce qu’il n’avait jamais envisager comme autre chose qu’une gageure entre complices et qu’elle avait accepté pour bien d’autres raisons que celles qu’il avait envisagées.

Il ouvrit la bouche, sans pourtant qu’aucun mot ne puisse en franchir le seuil, affligé par l’endroit, accablé par la situation, glacé par ce qu’il était. Aliéné par des sentiments qui le dépassaient, et finalement s’arracha au visage délicat de cette femme qui aurait pu être mais qui n’était pas malgré le désir rare qu’elle avait su éveiller en lui.

Tout n’était que mensonge. Et du mensonge, il en avait déjà bien trop gouté le gout âcre pour accepter de se l’infliger encore, à lui-même, mais aussi à elle.


Alors lentement, d’un pas rompu et le cœur au bord des lèvres, il se dirigea vers la porte. Sa dextre, d’une lenteur équivoque actionna la gâche pour l’ouvrir. Sa poigne resta fermement cramponnée à la poignée, sa gorge le brulait de sentiments contradictoires quand pourtant il savait prendre la bonne décision sous les effluves de la droguerie l’entêtant désagréablement.


Statue noire, un instant figée, n’offrant que le fil d’un profil déterminé, sa voix enrouée déchira enfin le silence pesant.

Je t’avais prévenu, je n’ai rien d’un prince idéal.
Redressant la tête, droit par habitude, il passa le seuil de la porte, refermant celle-ci sur son ombre qui se perdait déjà dans l’obscurité du couloir. L’ivresse la plus décharnée lui donnait rendez-vous entre les murs vides de son appartement solitaire.


« On Reste Dieu Merci à la merci
d'un conifère,
D'un silence inédit,
D'une seule partie de jambe en l'air,
Le soleil est assis,du mauvais coté de la mer, quelle aventure, quelle aventure..
On Reste Dieu Merci à la merci
d'un abri bus,
Ne reste pas ici, On entend
Sonner l'angélus »**



*Etienne Daho – La peau dure
** Benjamin Biolay - La Superbe

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Fleur_des_pois
Il se reculait. La Fée ne comprit pas. Elle ouvrit de nouveau les yeux, cherchant dans ceux d'Adryan la réponse à sa question muette. Pourquoi ? Qu'avait-elle fait ? Ou dit ? Ses propres paroles lui revinrent en mémoire. Avait-il compris ce que cela signifiait réellement ? Avait-il réalisé qu'il était plus qu'un ami pour elle ? Était-ce cela qui le faisait reculer ? Qui le faisait la fuir ? La quitter ?
Etourdie, son désir retomba comme un soufflet. Il n'y avait plus que l'instant présent, que les pas du Castillon qui traçaient leur chemin vers la porte. Ce ne pouvait pas être vrai. Ce ne pouvait pas avoir lieu. Peut-être allait-il chercher une bouteille de son meilleur vin ? Un instant, Gaia se raccrocha à cette idée, certaine que c'était ce qu'il avait en tête.

Les mots qu'il prononça ne voulait rien dire. Elle ne voulait pas les entendre. C'était ridicule. Lorsque la porte se referma sur lui, Fleur attendit en silence, les yeux grands ouverts fixés sur le vantail clos. Il allait revenir. Dans un instant, il enclencherait la poignée et referait son apparition. Il allait revenir.
Le temps s'écoula sans qu'elle en ait conscience. Elle se mit à frissonner, de froid et de peur. Pourquoi était-il si long ? Y avait-il quelque chose qui empêchait son retour ? Un gêneur pour lui parler alors qu'il revenait vers elle ?

Fleur resta là, jusqu'au levé du jour. Il n'était pas revenu. Quand avait-elle fini par le comprendre ? Réellement ? Peut-être depuis le début. Depuis qu'il lui avait parlé. Que sa silhouette avait disparu derrière le battant de bois. Tétanisée encore pour quelques secondes, elle se laissa enfin tomber au sol. Les genoux à terre, elle se frappa le front de ses poings. Comment avait-elle pu être aussi stupide ? Pourquoi n'avait-elle pas pu tenir sa fichue langue ? Si le mensonge l'aurait éloigné d'elle, la vérité n'avait pas eu de conséquences différentes.
Fleur se reprit néanmoins, ravalant ses sanglots. Refusant de pleurer, de se lamenter, de pousser le moindre soupir de douleur. Non. Fleur-des-Pois ne pleurait pas. D'ailleurs, Fleur-des-Pois n'avait pas de cœur, elle ne souffrait pas non plus. Et si Adryan avait fendu la carapace depuis longtemps revêtue, elle allait la réparer, la renforcer.

Sans un mot - et d'ailleurs, à qui aurait-elle parlé ? - la Fée se releva. Le visage fermé, le regard adamantin. Ramassant quelques affaires, elle poussa à son tour, des heures après lui, la porte de ses quartiers. Elle quitta l'Aphrodite sans croiser âme qui vivent, et cela valait mieux.
Elle partait retrouver sa chambre, chez la Mère Lablanche. Elle avait besoin de solitude, pour rebâtir ce qui avait été détruit. Et si elle avait l'impression de ne pas pouvoir survivre à cette douleur qui lui étreignait le cœur, l'Ortie savait qu'elle finirait par s'en remettre. Elle s'en remettait toujours.

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